Saison 1 Épisode 1 - La mécanique du livre - Éditer

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édition relecture chronologie

Ce premier épisode de La mécanique du livre, podcast dédié aux coulisses du monde du livre et de l'édition, est consacré à une présentation générale de la chaîne du livre ainsi qu'au travail de relecture-réécriture. En prenant l'exemple des éditions du commun nous nous efforçons d'explorer les pratiques éditoriales et de les donner à voir le plus clairement possible.

Pour ce premier épisode, dédié à une présentation générale de la chaîne du livre ainsi qu'au travail de réécriture, nous avons eu le plaisir d'interviewer deux auteurs : Xavier Dollo, également libraire et éditeur, et Jérôme Guillet, l'auteur du Petit manuel de travail dans l'espace public. Dans un second temps, nous sommes allé interroger Émilie, qui assure la relecture des maquettes aux éditions du commun.

 

Il est possible d'écouter et de télécharger La mécanique du livre sur toutes les plateformes d'écoute de podcast.

Diagramme du prix du livre

Diagramme circulaire - Prix du livre

 

Frise de la chaîne du livre

 

Frise - Chaîne du livre

 

Retranscription écrite

WEBVTT

Kind: captions

Language: fr

 

00:00:00.000 --> 00:01:00.229

Corentin

Bonjour à tous et bienvenu dans ce premier épisode de La mécanique du livre, le podcast dédié aux coulisses des maisons d’édition. Je suis Corentin et je serai votre hôte tout au long de cette première saison.

Dans cette émission, on va s’efforcer de vous donner la vision la plus claire possible du fonctionnement d’une maison d’édition et plus généralement de toute la chaîne du livre.

Ce podcast est produit et réalisé par les éditions du commun, une maison d’édition rennaise, et c’est donc cette structure qui nous servira d’exemple concret, de fil rouge, tout au long de nos épisodes. Pour ce faire nous serons accompagnés de Benjamin. Bonjour Benjamin.

 

Benjamin

Bonjour Corentin.

 

Corentin

Est-ce que tu peux commencer par te présenter un peu pour nos auditeurs et nos auditrices s’il te plaît ?

 

00:01:00.229 --> 00:02:07.779

Benjamin

Oui avec plaisir. Donc moi je suis présent depuis la fondation des éditions en 2015, bientôt 5 ans, et j’en suis actuellement le responsable éditorial et administratif. Pour préciser un petit peu, nous sommes sous un statut juridique qui est à forme associative. Ça veut dire que nous avons deux coprésidents, six bénévoles aujourd’hui, actifs sur différentes tâches éditoriales, on le verra sûrement plus tard : comité de lecture, accompagnement d’auteur, relecture d’épreuves, etc. Et donc moi je coordonne toute cette équipe ainsi que les différentes personnes avec qui nous travaillons au quotidien, qui sont eux indépendants : graphistes, illustratrices, traductrices, etc.

 

Corentin

OK, et est-ce que tu peux nous parler un peu des éditions du commun et de la place que va prendre ce podcast au sein de la maison d’édition ?

 

Benjamin

Oui, donc l’activité principale des éditions du commun, c’est une activité éditoriale classique : nous sommes diffusés et distribués en France, Belgique, Suisse, Québec dans 200 librairies et on publie une dizaine de livres par an qui ont pour objectif d’éclairer de différentes manières les enjeux sociaux et politiques du monde dans lequel nous vivons.

 

00:02:07.779 --> 00:03:02.099

Cela prend différentes formes : essais de vulgarisation (au sens mélioratif du terme : prendre soin de donner à lire des travaux universitaires au-delà des murs de l’université), de la littérature du réel, mais aussi une collection appelée « culture des précédents » avec laquelle nous voulons nourrir nos pratiques et réflexions avec des récits plus ou moins anciens d’expériences collectives, et enfin une dernière série, la plus jeune, qu’on a nommée « petit manuel de » et qui vient donner la parole à des personnes directement concernées par une pratique, un métier et qui viennent donner à lire leurs expériences ainsi qu’un regard distancié et critique sur le milieu dans lequel ils où elles œuvrent.

En parallèle de ça on a aussi une activité en local, une vie rennaise et dans le quartier dans lequel nous avons nos bureaux où on vient questionner, dans le sens large, les pratiques de lecture.

 

00:03:04.269 --> 00:04:05.539

Et enfin pour terminer sur le dernier point de ta question, celui de la connexion entre les éditions et le podcast : il nous semble que le milieu de l’édition est assez mythifié, on le verra tout du long, c’est un peu notre fil rouge à nous. Un milieu dans lequel nous accédons peu aux coulisses, et donc nous allons essayer tout au long de ce podcast d’ouvrir ce rideau et de les dévoiler.

 

Corentin

Du coup dans les mois qui viennent on va disséquer pour vous le milieu professionnel du livre et nous efforcer de vous en montrer toutes les facettes. D’abord du point de vue de l’éditeur, parce que c’est le nôtre : ça, c’est la partie qui nous concerne Benjamin et moi. Mais aussi en vous apportant le point de vue de tous les acteurs avec lesquels on peut échanger pendant le processus de production d’un ouvrage. Pour ça, on a été rencontrer plusieurs personnes dont on pourra entendre les témoignages à chaque épisode : des diffuseurs, notre distributeur, des libraires, des auteurs…

 

00:04:05.539 --> 00:04:58.410

Et comme base de notre réflexion, on a décidé de partir du prix du livre. D’abord parce que ce prix on peut dire maintenant qu’il a un sens particulier qui différencie vraiment notre milieu du livre de celui de nos voisins par exemple.

 

Benjamin

Oui tout à fait, et dans les voisins, justement, il y a à la fois les voisins d’autres secteurs d’activité et aussi les voisins d’autres pays que la France.

Pourquoi je dis ça : le prix du livre a un début en 1981. C’est le ministre de l’époque, Jack Lang, qui décide suite à un rapport d’appliquer un prix unique du livre, fait rare pour une activité économique. Les chaussettes ne sont pas contraintes dans l’univers de la chaussette par un prix unique en fonction de qui les vend. [rires]

 

00:04:58.410 --> 00:05:59.890

Or c’est le cas effectivement d’un livre, c’est faire le choix que peu importe qui le vend, que ce soit l’éditeur en direct, le libraire ou des grosses structures du numérique comme Amazon, le prix du livre restera le même. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’il est imprimé obligatoirement en quatrième de couverture de celui-ci.

Dernière petite chose : en termes de voisins, tous les pays ne l’appliquent pas, on pourra sûrement en reparler, mais on a des exemples très concrets d’autres pays qui n’ont pas cette expérience-là et donc qui ont vu dans les dernières années disparaître un certain nombre d’acteurs comme les petites librairies.

Et pour terminer sur cette question du prix du livre, la petite anecdote que j’ai souvent en tête c’est que dans les années 80 la crainte était plutôt portée avant tout sur cette fameuse photocopie qui tue le livre, et quelques grands centres commerciaux qui arrivaient en périphérie et commençaient à en vendre. Il n’était pas du tout à l’époque question d’envisager même le fait que la plupart des achats aujourd’hui de livres se feraient par internet et des grosses plates-formes.

 

00:06:11.839 --> 00:07:00.169

Corentin

Du coup l’autre particularité sur ce prix du livre c’est que lorsqu’on le définit on doit tout naturellement définir la part qui ira à chacun des acteurs qui ont amené à sa commercialisation. Ce partage qu’on a choisi de représenter sous la forme d’un camembert, ou diagramme circulaire pour les plus pointilleux d’entre vous, vous pourrez le retrouver en annexe du podcast. Il permet de se faire une idée, non seulement des acteurs de la chaîne du livre, mais aussi de sa temporalité d’une certaine façon, du processus de création dans le temps et donc plus généralement du travail d’éditeur dans son ensemble. Est-ce que tu peux nous parler de ces étapes-là ?

 

Benjamin

Oui. Si on prend le diagramme circulaire, on peut déjà parler du fait que 5,5 % vont à la TVA donc à l’État.

 

00:07:00.169 --> 00:07:59.850

Une taxe dont là encore le pourcentage est différent d’autres secteurs. Dans la suite si je prends le schéma à rebours on aurait le libraire autour de 35 %, on a ensuite un diffuseur et un distributeur qui pour nous sont différenciés, mais ensemble les deux ont à peu près 24 %. Nous avons ensuite l’auteur/l’autrice, qui pour nous aujourd’hui a 8 % lorsque c’est une personne seule et dès qu’ils sont plusieurs se partagent 12 %. Il y a ensuite l’imprimeur qui est autour, pour nous là aussi, de 10 %. Et il reste donc pour celles et ceux qui ont fait le calcul 17,5 % pour l’éditeur.

 

00:07:59.850 --> 00:09:00.670

Ce qui est important de voir, et on le verra tout au long des épisodes plus en détail c’est que, en tout cas avec les personnes avec qui nous travaillons, je ne connais aucun de ces partenaires qui s’en mettrait plein les poches plus que d’autres autour du gâteau. Donc ces pourcentages, hélas, sont serrés pour un secteur qui est complexe et qui permet surtout à chacun et chacune de vivre ou survivre.

 

Corentin

Et là on donne à voir une idée générale du circuit du livre, mais on peut aussi diviser en différentes phases le travail de l’éditeur lui-même.

 

Benjamin

Effectivement pour détailler un petit peu les étapes qui nous concernent je vais essayer de résumer et commencer par l’auteur ou l’autrice, qui vient à nous avec un manuscrit. Nous avons un comité de lecture de trois personnes qui vient lire chaque manuscrit et qui prend le temps de répondre favorablement ou défavorablement à chaque personne en argumentant nos choix.

 

00:09:00.670 --> 00:10:04.410

Une fois qu’on a passé le comité de lecture et qu’un manuscrit va être publié chez nous l’étape suivante, qui est souvent la plus longue, c’est un accompagnement et des allers-retours pour réécrire. Il n’y a aucun manuscrit qui nous arrive et qui sera édité tel quel. On va plus ou moins rentrer dedans et faire le travail qui est le nôtre.

L’étape suivante une fois qu’on a un manuscrit fini avec un point final et une satisfaction partagée de l’auteur ou de l’autrice et de nous, c’est de passer à l’étape de maquette. C’est jusque-là fait en interne des éditions du commun et avec une maquettiste.

Une fois que la publication est maquettée, il y a pour nous quand même une dernière étape de relecture : ce qu’on appelle une relecture d’épreuve.

 

Corentin

Je t’interromps rapidement : le travail de maquette en gros on peut dire que pour résumer rapidement, on peut dire que c’est la mise en forme du texte sous une forme lisible.

 

00:10:04.410 --> 00:10:52.420

Benjamin

Tout à fait voilà, c’est même l’étape particulière du travail de maquette intérieure du livre : rendre le plus possible lisible le propos d’un point de vue typo, mise en forme, marge, etc.

Donc une fois que la maquettiste est passée il y a l’étape finale de notre côté qui est la relecture d’épreuve. Sur le texte comme vous l’aurez entre les mains on finit de vérifier les dernières coquilles qui subsisteraient. Une fois que cela est passé, on envoie ses fichiers à l’imprimeur qui se chargent de bien les imprimer et d’envoyer une partie de ce stock chez nous, dans nos locaux, et une autre partie chez notre distributeur, Makassar, à Paris.

 

00:10:52.420 --> 00:11:55.150

S’entame ensuite une expédition et livraison dans toutes les librairies qui auront commandé le livre et un travail de libraire pour faire en sorte que des lecteurs et lectrices l’aient en main et repartent avec.

 

Corentin

À ce moment notre travail d’éditeur il n’est pas tout à fait fini parce qu’on peut encore faire de la promotion, porter le livre de notre côté, etc.

 

Benjamin

Effectivement il y a des étapes que j’ai pas énumérées dans un sens chronologique, mais qui sont tout du long, en parallèle, en amont, en prolongation… déjà il y a un travail avec le diffuseur qui n’était pas présent dans cette description : là on doit, déjà six mois avant, avoir trouvé un titre au livre, travaillé avec notre graphiste et notre illustratrice à une couverture, nous devons écrire un argumentaire, en penser le prix, le format, etc. Pour que justement Hobo, le diffuseur, puisse, trois mois avant sa sortie, aller faire une tournée et le présenter à l’ensemble des libraires qu’ils rencontrent.

 

00:11:55.150 --> 00:13:00.519

On a aussi un autre travail avec notre attaché de presse pour porter le plus en amont possible des extraits de l’argumentaire auprès des médias pour donner envie, à des journalistes notamment, d’en parler et de porter ce livre-là

 

Corentin

Tu l’as évoqué, une part très chronophage de ce travail c’est celle de la relecture-réécriture, ce fameux travail d’échange avec l’auteur. Pour toi est-ce que c’est une part importante, non pas en termes de temps, mais en termes de valeur du travail d’éditeur ?

 

Benjamin

J’ai envie de dire c’est même la valeur ajoutée et le vrai apport qu’un éditeur peut apporter. Dans un contexte aujourd’hui où le numérique a permis de grandes choses et notamment à des auteurs ou autrices en devenir ou déjà sur le marché de publier par elles-mêmes, d’autodiffuser et de distribuer leur livre, on voit qu’il y a plein de maillons de cette chaîne qu’on vient de décrire qui peuvent se faire depuis chez soi et soi-même.

 

00:13:00.519 --> 00:14:05.410

Et des fois on oublie que l’éditeur n’est pas tant un intermédiaire de plus qui permet de sous-traiter tout ça, mais qu’il y a bien un réel travail qui fait qu’un livre, un manuscrit, aussi bien écrit qu’il soit, a besoin d’un regard extérieur pour monter en qualité et être critiquable ou travailler ou lu et apprécié pour son fond et non pas pour des choses qui viendraient nous embêter comme des petites erreurs de syntaxe, une mauvaise construction de plan, etc.

 

Corentin

Et c’est vrai qu’en interrogeant différents professionnels du livre, notamment des auteurs, on s’aperçoit que c’est réellement perçu comme un travail de valorisation très important. On a notamment été rencontrer Xavier Dollo qui est auteur, éditeur et libraire sur Rennes et lui il avait une vision très claire de l’impact de cet échange sur son travail.

 

00:14:05.410 --> 00:15:06.269

00:14:07.670 — [Début de l’interview de Xavier Dollo]

Corentin

Bonjour Xavier, et bienvenue dans La mécanique du livre. Est-ce que tu veux bien te présenter s’il te plaît ?

 

Xavier

Bonjour Corentin, bonjour La mécanique du livre. Donc je suis Xavier Dollo, je suis écrivain connu sous deux noms : évidemment alors Xavier Dollo qui est mon vrai nom, et un pseudonyme qui est celui avec lequel j’ai publié le plus de livres qui est Thomas Geha. J’écris aussi bien dans la science-fiction que dans la fantasy, ou le fantastique, la nouvelle, le roman, le poème aussi. Je publie depuis pas mal de temps maintenant puisque j’ai publié ma première nouvelle en 94. Oui, le XXe siècle [rires]. Et mon premier roman au XXIe siècle quand même en 2005 aux éditions Rivière Blanche, un roman qui était un post-apocalyptique breton, et rennais d’ailleurs, qui s’appelait A comme alone.

 

00:15:06.269 --> 00:16:03.060

Corentin

Un des points qu’on va aborder dans l’épisode qui te concerne et qui nous a semblé assez important dans le rapport d’une maison d’édition à l’auteur c’est le travail de relecture, notamment le travail de ping-pong qui peut être fait entre un éditeur et un auteur. Toi du coup ce travail de lecture là tu l’as expérimenté depuis deux points de vue, comment tu le vis ?

 

Xavier Dollo

Alors moi qui ai vécu l’époque des fanzines, c’est-à-dire que j’ai commencé dans les années 90 à publier dans les fanzines, évidemment j’écrivais de mon côté chez moi sur un des tout premiers PC et j’envoyais mes nouvelles aux adresses qu’on me conseillait, sur des forums minitel tu vois ma vieillesse. En tout cas ce qui est certain c’est qu’effectivement à cette époque-là on envoyait les textes, on nous les refusait ou on nous les acceptait et puis ils étaient publiés tels quels, voilà, et pas de questions.

 

00:16:03.060 --> 00:17:04.770

On était content d’avoir publié un texte, d’avoir un texte dans notre bibliographie. C’est vraiment quand j’ai commencé à me dire que je publierais bien quelques nouvelles, ou j’essaierais bien de publier quelques nouvelles en professionnel, où là effectivement les choses ont commencé à changer. Le professionnalisme, ou en tout cas le pré-professionnalisme, apporte une autre façon de travailler les textes, c’est évident. Quand on commence à publier de façon un peu plus sérieuse et qu’on a envie, par exemple, de publier un roman, on va proposer un roman à un éditeur, il va nous dire : « Oui d’accord, super, j’ai lu votre roman, il est génial et tout… par contre il va falloir tout réécrire. » C’est des choses qui arrivent. C’est pas qu’il n’a pas aimé le livre, c’est que l’éditeur a sa propre vision de sa maison d’édition, de sa façon de fonctionner, de sa façon de travailler, et il a une vision de ce qu’il a envie de proposer comme produit final. Donc il demande à l’auteur de retravailler son texte en fonction de ce qu’il va pouvoir présenter ensuite aux lecteurs.

 

00:17:04.770 --> 00:18:00.429

Après c’est l’auteur qui va décider si oui ou non il va accepter le travail éditorial, mais en règle générale effectivement plus on approche du professionnalisme, plus un éditeur va nous demander de travailler le texte, ça c’est une évidence. Donc ça va aussi dépendre de l’éditeur. Chez Critic avec qui je travaille beaucoup maintenant sur mes romans, eh bien je suis tombé sur un éditeur qui s’appelle Simon Pinel qui lui est un tortillard, un vicieux [rires] et qui n’hésite pas à châtier son auteur pour lui faire ressortir la substantifique moelle de son texte et de son idée. Donc avec Simon on va beaucoup travailler les textes, beaucoup.

 

00:18:00.429 --> 00:18:58.480

C’est d’ailleurs quelque chose que j’apprécie beaucoup chez lui parce que, souvent, plus tu travailles, plus tu apprends, et on n’a jamais fini d’apprendre.

Quoi qu’il en soit donc quand je travaille avec Simon, j’apprends, j’apprends toujours, et je trouve que les textes n’en sont que meilleurs et c’est pour ça que je suis plutôt un partisan du travail éditorial : parce qu’il y a, je pense, sauf dans le cas d’être un génie, toujours moyen d’améliorer son texte, d’améliorer son œuvre. Et au final, quand l’œuvre est livrée aux lecteurs d’avoir plus de satisfaction sur les retours qu’on va avoir des lecteurs. Y compris sur le travail éditorial classique, c’est-à-dire la correction orthographique et grammaticale que parfois certains éditeurs professionnels ne font pas. Ça arrive.

 

00:18:58.480 --> 00:20:00.040

C’est parmi les évolutions du circuit du livre, on a parfois des éditeurs qui sont de plus en plus laxistes là-dessus, c’est une évidence.

 

Corentin

Toi tu dirais que cette dimension de co-écriture et de pédagogie elle fait partie du travail éditorial ?

 

Xavier Dollo

Oui, complètement. Je trouve même que c’est le rôle de l’éditeur de faire cet accompagnement, sinon c’est juste un publiant. Un éditeur n’est pas un simple publiant, c’est quelqu’un qui accompagne son auteur dans le processus créatif et dans le processus de livraison finale de son œuvre, qu’elle soit fictionnelle ou pas d’ailleurs. C’est quelque chose qui me semble extrêmement important et j’irais même au-delà, crucial.

 

00:19:51.809 — [Fin de l’interview de Xavier Dollo]

Corentin

Merci encore à Xavier pour m’avoir accueilli et d’avoir pu échanger un peu sur le sujet.

 

00:20:00.040 --> 00:21:06.700

Toi Benjamin, en tant qu’éditeur, c’est quoi tes préoccupations principales durant le travail de relecture ? Ce à quoi tu fais le plus attention ?

 

Benjamin

J’allais dire tout, mais je pense que c’est pas ce que les gens ont envie d’entendre [rires]. En fait il y a plusieurs niveaux d’accompagnement et de relecture. Déjà raisonnablement on doit bien lire au moins une dizaine de fois, si ce n’est plus, un manuscrit avant d’arriver à sa phase finale. Et je dis on parce que je ne suis pas le seul : à chaque fois, on a comme on l’a vu précédemment, soit des personnes bénévoles qui donnent de leur temps, soit des gens qu’on peut rémunérer pour ce travail.

Il y a deux niveaux, que j’ai tendance à appeler macro et micro. Le macro, c’est vraiment faire en sorte que le texte dans son ensemble ait une tenue. Après on ne parle pas de la même chose lorsqu’on a un texte de littérature que lorsqu’on a un texte d’essai. Pour la littérature on sera plus sur une construction narrative et des choses propres à la partie fictionnelle du récit.

 

00:21:06.700 --> 00:22:02.800

Pour ce qui est des essais, on a plus une construction de pensée et d’argumentation, un déroulé de l’argumentaire et une rigueur dans la manière dont on construit la critique et le propos. Et donc là il y a ce travail macro, qui va être de construire un format final. Je pense notamment au cas des sciences sociales où souvent il nous arrive des textes qui ont été pensés dans un cadre précis : l’université, une revue scientifique, un travail de recherche, une thèse... et on n’écrit pas un travail de recherche pour une thèse de la même manière que l’on écrirait pour un livre. Donc là nous avons un travail de puzzle, de réagencement, de rythme à donner tant dans le titre que dans l’agencement des parties, dans le fait aussi d’écrémer des choses qu’on n’a pas besoin de mettre, etc.

 

00:22:02.800 --> 00:23:05.020

Ça c’est la partie macro, et dans la partie micro on vient faire en sorte que ce qui est écrit est bien en français d’un point de vue grammatical, syntaxique, et en tout cas garde une harmonie d’ensemble d’un point de vue du choix du style.

 

Corentin

Tu parlais du fait qu’on éditait du travail de recherche et tu es directement concerné puisqu’on a édité tes propres recherches dans L’art de conter nos expériences collectives l’année dernière. Comment tu l’as vécu en tant qu’auteur, ce processus de réécriture ?

 

Benjamin

Péniblement, et je le dis sincèrement. Enfin, l’avantage de cet exercice douloureux c’est que je me suis aussi mis à la place des gens avec qui habituellement nous travaillons et pour bien faire les choses bien sûr que je n’ai pas jonglé avec deux casquettes, mon moi éditeur qui viendrait faire des retours à mon moi auteur.

 

00:23:05.020 --> 00:23:56.820

On a fait en sorte d’avoir trois personnes, deux des éditions du commun qui viennent faire ce travail d’éditeur pour que je sois dans ce cadre simplement auteur. C’est un travail ardu, et on y reviendra, car un éditeur qui fait bien son boulot, c’est un éditeur qui vient remuer le texte et poser plein de questions.

 

Corentin

Bien sûr, tu n’es pas le seul auteur à avoir fait les frais de ce boulot-là et pour un peu s’attarder sur le point de vue d’un auteur on a été interroger Jérôme Guillet, l’auteur du Petit manuel de travail dans l’espace public.

 

00:23:46.750 — [Début de l’interview de Jérôme Guillet]

Bonjour Jérôme et bienvenu dans La mécanique du livre. Pour commencer est-ce que tu peux te présenter un peu pour nos auditeurs et nos auditrices ?

 

00:23:56.820 --> 00:25:07.580

Jérôme Guillet

Alors je suis Jérôme Guillet, je travaille depuis pas mal d’années à soutenir des professionnels et des collectifs militants dans leur volonté de toucher des publics qu’ils n’arrivent pas à toucher d’habitude. Je suis spécialisé sur le fait de rentrer en relation avec un public qu’on appelle parfois non-acquis ou fuyant, voire même des fois non-captif voilà. Cette partie-là c’était plutôt un travail pour toucher des passants comme on touchait des passants souvent dans les villes. Et puis depuis quelques années, je travaille davantage avec des centres sociaux, des missions locales.

 

Corentin

Et du coup ce travail que tu évoquais sur le fait d’aller vers les passants, c’est ce qui t’a amené à écrire un bouquin aux éditions du commun ?

 

Jérôme Guillet

Tout à fait.

 

Corentin

Quand t’as entamé ce processus d’écriture, tu t’attendais à ce qu’il consiste en quoi l’échange que tu aurais avec les éditions ?

 

00:25:07.580 --> 00:26:01.310

Jérôme Guillet

Bah je dois avouer que j’étais pas très serein [rire] parce que je pense que j’étais un peu écrasé par le poids du symbole. Écrire un livre, il y a quelque chose d’un peu sacré et donc d’un peu interdit. Je découvrais un peu ce poids-là, c’est-à-dire qu’en fait tu te sens quand même pas vraiment autorisé à ce projet donc il faut quelqu’un qui te dise : « Mais en fait si, vas-y, fais-le ». Voilà, il y a une sorte de digestion qui, je pense, pour moi en tout cas puisque je sais pas comment c’est pour les autres, a traversé différentes phases. C’est la part de frein et stimulation, parce qu’en fait cette mythologie du livre n’est pas qu’un problème elle est aussi un moteur.

 

00:26:01.310 --> 00:27:08.520

Donc il y a ça, c’est un peu une ligne d’arrière-plans, enfin c’est quelque chose qui traverse une bonne partie du démarrage, et puis après plus concrètement moi j’avais beaucoup d’écrits épars, j’avais un projet qui avait un avantage, une forme de confort, en tout cas ce que je me disais c’est « Je vais raconter des choses qui se sont passées, je fais pas un travail prospectif, je fais pas un travail de fiction, je vais devoir choisir comment organiser le récit de choses qui se sont déroulées. »

 

Corentin

Sur ce travail de sélection et d’écriture, de mise en place d’un objet final, comment tu as perçu ton échange avec les éditions du commun ?

 

Jérôme Guillet

C’était… alors il y a deux phases : je pense qu’il y a une phase préalable, où du coup Benjamin m’encourage à partir des écrits que je lui ai présentés.

 

00:27:01.120 --> 00:28:03.020

Mais c’est plutôt un travail dans lequel je suis assez insatisfait parce que lui me dit « c’est cool, tu vas y arriver » et moi j’aurais déjà envie de quelqu’un qui est dans une relation critique beaucoup plus forte et qui me contient beaucoup plus quoi. Donc là pendant toute une période Benjamin ne peut pas faire grand-chose de plus. À la fois parce que mon avancée est limitée : dans un premier temps, je vais essayer d’utiliser les textes que j’ai déjà faits, ce qui va finalement s’avérer être une erreur, et je vais devoir oublier tout ce que j’avais fait, enfin le mettre de côté, pour retrouver une écriture neuve, un souffle d’une certaine manière. Donc pendant toute cette période où j’essaye de bricoler et, me semble-t-il, de gagner du temps, alors que j’en perds, Benjamin est plutôt assez lointain dans la relation.

 

00:28:03.020 --> 00:29:04.039

Moi j’ose pas trop lui demander, mais bon en fait j’aimerais que quelqu’un soit plus tranché. Et la suite, c’est que va y avoir un calendrier de posé avec des dates où je rends des parties. Déjà il va y avoir un calendrier final pour la sortie du bouquin, un rétroplanning, et évidemment dès que tu es dans cette configuration tu es un peu comme sur la piste d’athlétisme quoi ! Tu cours plus n’importe où, t’as une ligne d’arrivée et une distance à courir et t’as un couloir d’une certaine manière. Donc là c’était beaucoup plus simple.

Entre temps, mais ça il le savait, je m’étais fait un petit comité de lecteurs. Donc il y a des gens qui se sont chargés de m’exécuter en fait.

 

00:29:04.039 --> 00:30:01.010

Et donc j’ai eu des premières salves d’un feu nourri de critiques de gens qui m’ont dit « mais ça, mais c’est trop pourri, faut que t’arrêtes complètement d’écrire comme ça ». Et donc j’ai eu ce que j’aurai plus tard avec ma relectrice attitrée des éditions, mais plus sur la fin du processus : j’ai eu mes premiers retours saignants. Et en fait on en a vraiment besoin parce que sinon tu te sens flottant quand même, t’as beau avoir ton rétroplanning, tes machins, etc. tant que t’as pas des gens qui te disent « ça c’est bien, ça c’est de la merde », enfin ça dépend des gens mais moi j’avais besoin de ces premiers retours.

Mais donc, toujours est-il que mon comité de lecture que je m’étais fait, mes deux personnes dont je me voulais proche pour me donner des retours, elles ont commencé à faire ce travail assez ingrat.

 

00:30:01.010 --> 00:30:56.399

Parce que c’est facile de dire à quelqu’un quand on trouve ça formidable et de lui dire pourquoi, maintenant lui expliquer pourquoi ça tient pas debout, pourquoi c’est chiant… c’est vraiment toujours une épreuve. Je pense que c’est une compétence à part de la vie de dire à quelqu’un qu’il déconne. Ça a composé un équilibre entre Benjamin qui me racontait plutôt des choses du genre sur ma façon de m’exprimer, sur ce qu’il trouvait intéressant et ce qu’il trouvait gênant, mais c’était des choses assez… latérales, sur le rythme général. Et de l’encouragement, en attendant une relecture plus serrée qui allait venir, mais ça c’est l’étape d’après, et à côté de ça je me suis bricolé avec mon comité de lecture, les gens plutôt sans complaisance qui me permettaient finalement de faire des choix.

 

00:30:56.399 --> 00:32:00.690

Et de faire des choix fondamentaux, parce que à un moment donné il faut vraiment partir sur à la fois une forme d’écriture et une structure narrative, un style qui trouve son public, et il faut un début de public qui te cartonne la gueule si t’es à côté quoi. Donc la première phase de coopération a été composite entre de l’intérieur et de l’extérieur des éditions. Et après, il y a la phase avec Marianne, là on change de dimension. Marianne donc qui sera ma relectrice attitrée aux éditions.

 

Corentin

OK, et elle, tu dirais qu’elle a apporté quel type de regard ?

 

Jérôme Guillet

Alors donc je rends un premier document plus ou moins en décembre, une structure complète et elle, elle va se coltiner le texte. Donc c’est quelqu’un qui reprend paragraphe par paragraphe, ligne à ligne.

 

00:32:00.690 --> 00:33:03.730

C’est quelqu’un qui est là pour ne rien rater en faisant un travail fond-forme, et en étant un lecteur dur en fait. Elle va faire ce qu’avait commencé à faire mon comité de lecture, mais elle va le faire d’une manière à la fois plus systématique et plus distante. En gros, c’est presque une relecture à l’aveugle. Quand je dis à l’aveugle, c’est que Benjamin m’a dit : « je pense que c’est une bonne chose que vous ne vous contactiez pas et pour deux raisons. La

première c’est que si on commence à discuter avec son relecteur ça peut faire des nœuds, ça peut rendre les choses plus compliquées. Parce qu’on peut rentrer dans le régime de la justification et de la contre-justification. Et la deuxième chose c’est que parfois, ça peut être heureux cette discussion, ça peut être une heureuse discussion, mais qui rajoute de toute façon du temps.

 

00:33:03.730 --> 00:33:58.690

Et là il y a une réalité matérielle, c’est que la date de sortie elle est dans pas longtemps. Et ça va être extrêmement dur parce qu’en fait j’ai quelqu’un, qui me connaît pas et qui va être, comment dire, comme une prof un peu trash quoi, comme les profs qui étaient minutieux, ceux qui donnaient une pas très bonne note et qui te défonçaient la gueule en te l’expliquant très bien tu vois ? Bon après, le très bon côté du travail de Marianne quand même c’est qu’elle était toujours dans la contre-proposition. C’est quelqu’un qui avait quand même la politesse, ou le professionnalisme j’en sais rien, de me dire « quand ça, ça ne va pas, je verrais plutôt ça ».

 

00:33:58.690 --> 00:35:01.580

À la fois sur le plan des formules, c’est-à-dire « je trouverais cela plus clair dit comme ça », que sur le fond. Et donc je sentais bien qu’il y avait des moments où elle était en désaccord profond à la fois d’un point de vue éthique et d’un point de vue humain, voire en tant que professionnelle ou militante.

 

Corentin

Dans cette relation, Benjamin il servait d’intermédiaire tu dirais ?

 

Jérôme Guillet

Ben en fait Benjamin, moi je me suis plaint une fois à lui. Je lui ai dit une fois que je contestais absolument pas le travail de Marianne, même je l’appréciais, mais je crois que je lui ai dit un truc du genre « il y a des moments où j’ai le sentiment presque qu’elle méprise ce que j’écris et c’est des moments où c’est juste pas possible ». Bon en gros il faisait tampon quoi. Et je pense qu’il l’a fait un peu aussi du côté de Marianne, je ne sais pas dans quelle mesure elle n’est pas non plus allée le voir pour lui dire « putain, mais c’est quoi que tu m’as donné à relire, c’est quoi ce bordel, on va jamais y arriver » [rires]

 

00:35:01.580 --> 00:35:58.810

Corentin

Tu as évoqué deux phases du processus de réécriture : le travail sur la forme et celui sur le fond. Tu dirais que tes relectrices elles ont eu un vrai impact sur ta réflexion ?

 

Jérôme Guillet

Ah mais c’est énorme… c’est juste, enfin… je m’en sortais pas. Après la relecture de Marianne c’est là que Benjamin est vraiment entré dans la danse et est devenu un interlocuteur pour toute la finition. Là on a fait un vrai face à face où tout a été repris pour assumer des modifications qui étaient parfois majeures tout en maintenant un timing, avec un report d’un mois, des délais, etc. Mais il est devenu mon interlocuteur pour la finition du livre et sans ce travail d’équipe, j’étais mort. Ou je mettais trois ans ou quatre ans de plus. Mais surtout je pense que je le faisais pas, parce que je me décourageais.

 

00:35:58.810 --> 00:37:07.070

Corentin

OK, donc toi tu as vécu l’écriture de ton bouquin comme un travail collectif ?

 

Jérôme Guillet

Ah bah oui, oui c’est vraiment ça. Mais je pense que c’est quelque chose qu’il y a beaucoup quand on cherche à obtenir des résultats ambitieux et qu’on est dans l’édification de quelque chose. En fait, c’est la question de la performance : à un certain niveau de performance, on ne peut pas être seul. Donc il fallait à la fois que moi je me permette d’y croire, qu’on m’aide à croire que je pouvais le faire, et puis il fallait le faire sachant que j’ai tout appris. C’était un chantier incroyable : j’ai dû lâcher tout ce que j’avais fait, j’ai dû renoncer à des formes que je croyais intéressantes et qui ne l’étaient finalement pas du tout. J’ai dû lutter contre deux écritures en fait : des écritures qu’on m’a apprises à l’école et à la fac, avec des transitions casse-couilles, du genre « donc nous venons de voir et maintenant nous allons voir que » tu vois donc j’ai dû lutter contre ça, et j’ai dû lutter contre ce que j’avais écrit quand je faisais des fanzines, c’est-à-dire les « Eh ouais mon pote ! » tu vois ? Enfin un peu mieux quand même, mais bon en gros voilà. [rire]

 

00:37:07.070 --> 00:37:59.720

J’ai dû aussi énormément gicler de texte. J’ai écrit deux fois et demie le texte : 400 pages pour en garder 180. Il fallait absolument être une équipe.

 

00:37:25.610 — [Fin de l’interview de Jérôme Guillet]

Corentin

Un truc qui transparaît dans le témoignage de Jérôme dont on n’a pas énormément parlé c’est qu’il y a une dimension très humaine dans ce travail de relecture. On vient quand même mettre nos mains pleines de cambouis dans le texte de quelqu’un qui s’est consacré entièrement à cette écriture. Est-ce que tu peux nous dire comment est-ce que tu gères cet aspect humain ?

 

Benjamin

Et bah pas avec tableurs et des outils, justement.

 

00:37:59.720 --> 00:39:07.640

Contrairement à pas mal d’autres tâches qu’on peut avoir, à cet endroit-là on n’a aucune méthode précise de A à Z à suivre parce que justement tout est une question de relations humaines, d’affects, et on a d’un côté une personne qui a mis des fois plusieurs années à écrire l’ouvrage qu’elle nous confie et de notre côté on a une exigence qui est celle que les gens, les futurs lecteurs et lectrices de cet ouvrage, viennent au travail dans le propos et le fond de ce que veut porter la personne et pas dans des faiblesses des choses qui viendraient empêcher ou incommoder la lecture comme déjà par exemple une mauvaise maquette, mais ça c’est de notre ressort, mais aussi des petites coquilles, des erreurs de syntaxe, des erreurs d’argumentaire ou de justification. Et donc c’est ce travail-là qui nous fait aller fortement dans le texte et après tout est discussion justement. On a mis en place des allers-retours et des manières de travailler dans les fichiers numériques qui font qu’on peut assumer, et sans argumenter des fois, des retours, en les laissant toujours en lisibilité pour l’auteur ou l’autrice.

 

00:39:07.640 --> 00:40:03.599

Et souvent on pose des questions, on rentre en débat, on fait des propositions.

 

Corentin

Tu dirais qu’il y a une dimension pédagogique aussi dans ce boulot ?

 

Benjamin

Oui, on peut dire ça, mais modestement, voilà. L’auteur ou l’autrice a des choses à nous apprendre, a minima sur ce qu’il raconte, comme dans la manière dont il ou elle raconte tout ça. Après par contre nous on a aussi à ouvrir justement ce rideau qu’on ouvre en podcast. On l’ouvre aussi parce qu’on a la particularité, étant une petite maison d’édition, et une jeune, d’avoir aussi des premières écritures. Donc c’est aussi pour nous un travail en cela je trouve effectivement pédagogique que de raconter tout ce que l’on fait pour que la personne en face n’ait pas d’incompréhension ou en tout cas qu’on reste bien sur la même longueur d’onde.

 

00:40:03.599 --> 00:41:05.319

Corentin

Jérôme évoquait, et je trouve ça particulièrement parlant, le travail d’écriture comme un travail d’équipe, et il paraît évident que tu fais pas ce travail tout seul toi-même de ton côté. Est-ce que tu peux nous parler un peu des autres lecteurs des éditions ? Comment est-ce que tu travailles avec, c’est quoi leurs différents rôles, etc. ?

 

Benjamin

Mon rôle est un peu d’être un peu coordinateur-gymnaste c’est-à-dire d’avoir de la souplesse et de trouver les bonnes personnes pour les bons textes, voilà. J’ai la chance d’être bien entouré, de plein de personnes, mais qui n’ont pas les mêmes expériences ou pratiques, et comme je disais tout à l’heure, entre de la science sociale ou de la littérature on n’a pas les mêmes types de relecture et d’écriture par exemple. Donc moi le but de mon travail est d’organiser justement une petite équipe au plus près de l’ouvrage et de l’auteur, avec des regards complémentaires.

 

00:41:05.319 --> 00:41:58.870

Corentin

Pour apporter un éclairage supplémentaire sur ce boulot, on a été interroger tout simplement une de nos relectrices, Émilie, qui s’occupe de la relecture d’épreuve.

 

00:41:23.890 — [Début de l’interview d’Émilie]

Bonjour Émilie

 

Émilie

Bonjour Corentin

 

Corentin

Est-ce tu peux commencer par te présenter pour nos auditeurs et nos auditrices s’il te plaît ?

 

Émilie

Alors et bien je suis bénévole aux éditions du commun, et aussi coprésidente, et aussi relectrice des maquettes. En dehors des éditions du commun, je suis documentaliste dans un laboratoire de recherche, avec une formation autour des métiers du livre, voilà pour le côté professionnel et activité.

 

00:41:58.870 --> 00:43:06.120

Corentin

Tu dirais que ta formation et ton boulot, globalement, ça t’apporte des aptitudes pour ce travail parallèle, ce hobby de relectrice ?

 

Émilie

Mon boulot en lui-même c’est pas forcément ça qui m’amène quelque chose pour cette activité. Après dans mon métier, sur la documentation il y a un aspect de recherche d’informations, vérification des sources, qui sont des aptitudes ou des réflexes qui peuvent quand même servir quand tu relis.

Pour la correction, on travaille surtout avec des outils : donc c’est le Bescherelle, c’est des guides de règles de typo, des choses absolument imbuvables, mais très très drôles, qui posent des règles et qui expliquent surtout qu’il y a beaucoup d’exceptions. Donc après voilà : dans un texte on va chercher à le rendre homogène, au sein de la maison d’édition on cherche aussi à faire des choses assez homogènes, pour répondre à des critères qu’on se fixe.

 

00:43:06.120 --> 00:44:01.549

Corentin

Donc il y a une forme de cohérence interne dans une maison d’édition ?

 

Émilie

Oui, il faut pas qu’elle soit figée et stricte parce que cela peut dépendre de chaque texte, mais voilà, il y a aussi des gens derrière donc forcément il y a quand même des choix à des moments qui sont faits et qui transparaissent dans ces formes.

 

Corentin

OK, et est-ce que tu peux nous expliquer un peu c’est quoi ton travail de relecture de maquettes ?

 

Émilie

Mon travail de relecture de maquettes… j’interviens une fois que le texte est finalisé, qu’il est passé dans le logiciel et qu’il est pas encore bon à tirer, parce que moi je fais une relecture donc essentiellement de forme : sur les numéros de chapitre, la structure de l’ouvrage, est-ce que tout va bien dans le fichier…

 

00:44:01.549 --> 00:45:00.010

Et après au niveau du texte c’est donc une relecture de forme sur de la typo, de l’orthographe, une vérification au niveau des notes de bas de page. Voilà, la mission de relecture de maquette c’est à cet endroit-là.

 

Corentin

Et ça prend combien de temps en général ce travail de relecture ?

 

Émilie

Alors ça dépend de la taille du bouquin. Ça dépend aussi quand même un peu de son contenu parce qu’il y a une lecture un peu macro qui regarde que la forme, autant sur les premières maquettes que j’ai relues, j’arrivais à avoir vraiment cette lecture macro, à regarder que la forme, à dire « ah bah là ça va pas il manque quelque chose », etc. Maintenant j’arrive à coupler un peu la forme et le contenu. Donc voilà en fonction du contenu de l’ouvrage je peux le lire plus ou moins rapidement.

 

00:45:00.010 --> 00:46:04.640

En gros, je sais pas, pour un livre d’une centaine de pages je dirais une bonne demi-journée dessus et l’idée en fait c’est que… comment dire… je suis pas bonne en orthographe [rires] et je crois que c’est ça qui m’intéresse en fait c’est de regarder à quel endroit ça va faire tilt et où est-ce que tu mets en doute telle ou telle forme d’écriture, qu’est-ce qui va pas qu’est-ce qui te gêne toi dans ta lecture, parce que là il y a quelque chose qui t’accroche et qui fait que ça coule pas quoi. Donc on n’est pas sur le contenu vraiment, on est sur la forme, mais au niveau de la forme il y a quelque chose qui va pas. Par exemple s’il y a trop d’italiques, s’il y a trop de points de suspension, s’il a trop de tout ça, ça rend la lecture difficile. Donc on essaye de trouver des solutions par rapport à ça. Comme je suis documentaliste et que j’aime bien les références : j’avais lu un article d’une correctrice, Sophie Brissot, qui disait que les correcteurs étaient des lecteurs angoissés qui remettaient tout en doute [rires].

 

00:46:04.640 --> 00:47:06.03

Corentin

Du coup dans ces corrections que tu as à faire est-ce qu’il y en a qui reviennent plus systématiquement, des mauvaises habitudes que tu retrouves chez beaucoup d’auteurs ?

 

Émilie

C’est propre un peu à chaque discipline ou thématique, mais dans les sciences sociales on retrouve quand même beaucoup de choses comme la typo, l’accentuation des capitales aussi, j’y suis très très attentive… mais Benjamin a su s’adapter, donc on fait des progrès [rires]

 

Corentin

Tu as évoqué Benjamin, est-ce que ça arrive qu’il y ait des désaccords entre ton avis de relectrice et le sien ?

 

Émilie

Alors quand je m’aventure un peu plus sur le contenu, par exemple il y a des mots que je trouve difficiles, pas suffisamment fluides pour exprimer l’idée…

 

00:47:06.030 --> 00:47:58.980

Enfin voilà, quand je m’autorise à aller un peu plus sur le contenu, je peux faire des retours comme ça à Benjamin. Sauf qu’effectivement au niveau de la maquette, ça peut être compliqué de faire des modifications. Alors quand elles sont vraiment à la marge, qu’il est complètement d’accord avec moi, on peut le faire, mais souvent ça nécessiterait quand même un retour vers l’auteur. Et quand on est au stade de la maquette et bien le temps est un peu contraint, donc on ne peut pas toujours le faire. Après moi j’ai bien conscience que j’interviens au niveau de la maquette et que donc je peux exprimer des avis et on discute. En général moi je viens rendre ma copie, on regarde mes notes que j’ai marquées sur le côté et puis on échange pour aussi qu’il soit bien sûr de comprendre tout ce que j’ai voulu dire.

 

00:47:58.980 --> 00:49:04.560

Comme je ne suis pas du tout professionnelle, je ne corrige pas avec les codes de correction, donc il faut s’assurer qu’on se comprenne bien. Mais des vrais désaccords, non on n’en a pas eus.

 

Corentin

Est-ce que ça t’arrive d’être en contact avec les auteurs ?

 

Émilie

Alors moi je suis pas en contact avec les auteurs. Vraiment je suis à la fin, juste avant le bon à tirer pour l’imprimeur, c’est pas du tout à cet endroit-là qu’on les côtoie. Par rapport à mon travail je pense pas que ce soit nécessaire que je sois en contact avec eux, parce qu’on est quand même sur de la forme finale : le texte a déjà été relu, travaillé… il est passé dans tout le circuit l’éditorial, il est déjà passé dans un travail avec des relecteurs sur le fond, il y a déjà eu plusieurs regards, donc l’auteur a déjà eu pas mal d’allers-retours.

 

00:49:04.560 --> 00:50:05.430

J’ai pas eu de remarques sur le fond à faire, où quand j’en ai eu c’est à travers Benjamin que c’est passé, parce que faire intervenir encore une autre personne avec l’auteur c’est peut-être pas forcément évident et ça rajoute encore d’autres points de vue… donc ça passe par Benjamin, je pense que ça suffit quand il y a des petites questions de formes pour lesquelles il faut leur avis.

 

00:49:26.710 — [Fin de l’interview de Émilie]

Corentin

Merci encore à Émilie pour cet échange, c’était super intéressant, enfin moi j’ai appris plein de trucs quand j’étais avec elle. Elle nous a un peu parlé des outils qu’elle employait pour aider à sa relecture. Alors elle, c’était essentiellement des livres, des sets de règles préétablies, mais est-ce que toi il y a des outils numériques, des supports logiciel particuliers que tu emploies dans ton travail de relecture ?

 

00:50:05.430 --> 00:50:56.319

Benjamin

Oui ! Alors attention, je vais donner des grandes infos et des secrets de polichinelle : on a un gros logiciel technique qui s’appelle un traitement de texte, voilà. Attention à ceux qui nous écoutent de ne pas reproduire ça chez vous, nous faisons ça avec des mains de professionnels [rires]. Donc là effectivement si vous êtes en possession d’une licence ce sera la suite Office et notamment Word, et autrement il y a de très bons logiciels libres comme LibreOffice qui de notre côté est celui que nous utilisons et qui fait très bien le boulot. Et après c’est plutôt des fonctionnalités de ces logiciels qui nous permettent de travailler à plusieurs. C’est de la révision qu’on peut rendre visible et donc travailler directement dans le texte tout en laissant apparaître ce qu’on a modifié.

 

00:50:56.319 --> 00:52:01.870

Et puis surtout les fameux commentaires qui sont des fois pour nous des grands forums de discussions en marge des textes, où l’on rentre en débat relecteurs/relectrices et auteurs/autrices. En parallèle de ça une autre astuce, on va dire, c’est de bien numéroter les fichiers pour ne pas s’embrouiller dans les versions et ne pas arriver à une version finale où on aurait oublié de prendre en compte un retour. Voilà en fait c’est surtout des choses qui facilitent le fait qu’on soit plusieurs à travailler sur un texte. Peut-être aussi un dernier outil qui nous aide beaucoup, lui il arrive en final c’est le logiciel Antidote. On n’a aucune part dans l’entreprise, mais on est très satisfaits du logiciel. C’est un logiciel qui va venir automatiser énormément de nettoyage de notre côté, de coquilles et d’erreurs syntaxiques, qui permet d’enlever les doubles espaces, de mettre des bons espaces insécables au bons endroits, qui finit de préparer pour faciliter grandement le travail de maquette à venir.

 

00:52:01.870 --> 00:53:02.410

Corentin

Une chose qui est remarquable c’est que si chaque livre dispose d’un relecteur dédié à cette tâche, généralement bénévole, toi et Émilie effectuez un travail de relecture sur presque tous les livres publiés dans l’année. On l’a dit, ça fait une petite dizaine de livres, c’est donc réellement un travail sur le temps long qui marque le quotidien d’une maison d’édition en fait ?

 

Benjamin

En fonction des périodes et des saisons on pense l’espace public, on se rêve dans un squat de la communale ou on est dans des nouveaux mots inventés pour penser nos réunions. Et effectivement on a vraiment un esprit dans un moment. Et après si je complexifie un peu ça, on a surtout des couches. C’est-à-dire que lorsqu’on entame une relecture d’un manuscrit on est en train d’en terminer une autre, on passe à la maquette d’un troisième. Puisqu’à dix livres par an, on en sort un tous les mois quasiment, on est au même moment dans plusieurs étapes de plusieurs livres.

 

00:53:02.410 --> 00:54:04.059

Corentin

On arrive au terme de ce premier épisode et nous espérons qu’il vous a plu. Si vous souhaitez retrouver les différentes références disséminées au cours de cet épisode, je vous invite à vous rendre sur le site des éditions du commun, sur la page de l’épisode 1. Vous y trouverez également toute la retranscription écrite annotée ainsi que le fameux camembert du prix du livre. Alors bien sûr, en 45 minutes, on n’a pas pu tout vous dire sur le milieu du livre, mais on espère que cet avant-goût vous aura donné envie d’écouter la suite. Lors du prochain épisode, on évoquera un thème central aux maisons d’édition et au métier d’auteur : les contrats d’édition et les notions de propriété intellectuelle.

 

00:53:36.210 — [Fin de l’épisode 1]