Ses premiers pas dans la vie sont à l’image de ses derniers : aussi fulgurants que sombres. À peine née, le 17 janvier 1933 dans les faubourgs du Caire en Égypte, la future diva est déjà déracinée. Elle est la seule fille d’une fratrie d’italiens immigrés, au sang encore tiédi par le soleil de Calabre. Son père, Pietro Gigliotti, dont les notes de violon marqueront la trajectoire de la star, meurt des suites de son internement dans les camps lors de la Seconde Guerre mondiale. La jeune Iolanda Gigliotti – de son vrai nom – n’a alors que 12 ans et cette disparition la hantera à jamais. Loin du glamour décomplexé qu’on lui connaît, l’adolescente se cache derrière une épaisse paire de lunettes. Son strabisme, dû à une maladie infantile des yeux, l’horripile. Mais Iolanda a cette ambition venue d’on ne sait où, cette soif insatiable de lumière et de paillettes qui la pousse à outrepasser ses complexes. Dès 1951, la bambina attrape le taureau par les cornes et s’inscrit successivement à deux concours de beauté. Elle en sort triomphante du titre de « Miss Égypte » : la diva est née.

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L’âge d’or parisien de « la reine du jukebox »

Contre toutes attentes, ce ne sont pas ses vocalises aux R roulés qui font ses premiers succès. Mais bien de petits rôles dans des séries B égyptiennes, qui d’ailleurs ne la contentent que peu. Tout est toujours trop étriqué pour ses rêves somptueux. « L’Égypte, c’est bien, mais je veux le monde », se plaisait-elle à dire. Et le monde ici, n’est autre que Paris. Noël 1954, elle s’envole vers la capitale aussi vite qu’elle tombe des nues. Car si le réalisateur français Marco de Gastyne l’avait repérée, les autres producteurs ne lui trouvent guère d’intérêt. Des actrices fraîchement débarquées, la Nouvelle Vague du cinéma français en a à la pelle… Auditions peu fructueuses et manque de moyens, il lui reste une ultime corde à son arc : sa voix. Iolanda va alors chanter, et révolutionner la variété française. C’est au cabaret de la Villa d’Este qu’elle fait ses preuves, sous le regard attentif de Bruno Coquatrix – qui n’est autre que le patron de l’Olympia. Rien que ça. Fasciné, il convie la chanteuse en herbe à son émission « Numéro 1 de demain » (un concours de jeunes talents) où elle rencontre le second protagoniste de sa réussite : Eddy Barclay, du célèbre label éponyme. Deux rencontres, une vie bouleversée pour toujours. Mais, dans les parages, traîne un autre ambitieux, Lucien Morisse, qui ne fait pas que de la remarquer : il en tombe éperdument amoureux. Alors directeur artistique de la jeune station Europe 1, il décide de devenir le Pygmalion qui façonnera sa carrière. 

Puis, 1956 est l’année de la consécration. Iolanda est propulsée au-devant de la scène avec son légendaire « Les yeux battus, la mine triste et les joues blêmes » qui ouvre son disque tubesque « Bambino ». Les éloges pleuvent et le succès est monstre pour celle que l’on doit désormais appeler « Dalida ». Très vite, elle prend goût aux plaisirs du show et des foules adoratrices. Mieux, elle se découvre nouvelle sous le feu des projecteurs qui ne la brûle pas encore. Et ces sensations ne la quitteront jamais. De « Prima Donna » à « Gondolier », en passant par « Itsy Bitsy Petit Bikini », les hits s’enchaînent et son gimmick à l’italienne devient un incontournable. Sur scène, Dalida se met à développer une gestuelle singulière, digne des grandes tragédiennes. C’est un phénomène. À tel point que le premier disque d’or est inventé pour elle. En 1961, alors que les médias prévoient la fin de son ère avec l’arrivée de la vague yéyé, Dalida, elle, surfe à son sommet. Tout était alors bien trop beau. Mais la bella vita va s’étioler à mesure que les hommes rentreront dans sa vie. 

Trois romances, une descente aux enfers 

Car plus que la gloire, la dame de Montmartre recherche l’amour : le véritable. Et pourtant chacune des idylles qu’elle entame vire inévitablement au cauchemar. Automne 1966, son époux Luigi Tenco, avec qui elle nourrissait une ardente passion, se donne la mort en ingurgitant alcool et tranquillisants. Instable, il n’avait pas supporté la défaite de leur chanson « Ciao Amore » au Festival de San Remo. Septembre 1970, c’est au tour de Lucien Morisse de mettre fin à ses jours. La chanteuse l’avait quitté deux mois après leur mariage en 1961, éreintée par la masse de travail dont il la sommait. Été 1983, Richard Chanfray, celui qui lui avait redonner le goût de vivre, se suicide également. Préférant la mort à leur rupture, deux années plus tôt. Dalida se pense poison mortel, maudite, et s’assombrît définitivement. Cette triple tragédie éveille en elle de vieux démons : sa personnalité déchirée entre la petite Iolanda et l’éclatante Dalida. « Je suis jalouse de cette chanteuse qui m’empêche de mener ma vie comme je voudrais », aimait-elle confier en interview. L’interprète de « Que reste-t-il de nos amours » (titre anodin ?) choisit de noyer son chagrin dans un travail acharné. Et des plus graves épreuves naissent souvent les plus purs joyaux musicaux. De « Il venait d’avoir 18 ans » à « Avec le temps », les notes noires de son nouveau répertoire subjuguent son public à l’Olympia. Mais moins la profession : Bruno Coquatrix quitte le navire. Comme pour conjurer le drame qu’est sa vie, Dalida change continuellement de peau, se fait le caméléon des tendances pop les plus en vogue. Et ça lui réussit. 

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La période faste de l’artiste caméléon  

En 1970, l’Égyptienne est d’abord la « Madone » des foules, la « Sainte Dalida » de la presse. Et pour cause : la spiritualité devient centrale dans son existence, elle ne monte plus sur scène sans sa longue robe blanche et sa moue plaintive. À ce stade, ce n’est plus de la ferveur qui anime son public : mais une quasi-dévotion. Trois ans plus tard, Dalida joue la sensualité et les querelles conjugales, à coup de « Caramels, bonbons et chocolats », et en duo avec un certain Alain Delon (« Paroles »). Elle s’accapare ce « parlé-chanté » si emblématique de l’époque, et le fait à la perfection. Notamment avec « Gigi L’Amoroso », pièce maîtresse de son panthéon musical, qui lui vaut une reconnaissance mondiale. Mais ce n’est pas tout. En 1965, Dalida troque ses robes sirènes pour des tenues à strass échancrées jusqu’à la hanche. Car elle est tout bonnement : la pionnière incontestée du disco en France. Les États-Unis s’entichent du personnage, elle voyage. À son retour en 1979, elle emporte « Monday Tuesday » dans ses bagages. Le succès est vertigineux. Mais à quel prix ? Dalida cultive une exigence envers elle-même telle, qu’elle s’en trouve peu à peu rongée…

« La vie m’est insupportable, pardonnez-moi » 

Les années 1980 finissent d’achever le sacre de la « reine du dancing ». En 1986, elle est même la tête d’affiche d’un film de Youssef Chahine (« Le sixième jour »). Son tout premier rêve, un aboutissement. Mais du haut de son piédestal, la superstar est éprouvée, usée. Le souvenir de ces hommes disparus, d’un avortement clandestin et d’une vie vouée au travail ont raison de son moral. Dalida est écrasée par ce temps qui passe et – pense-t-elle – emporte sa beauté ; elle se croit sans cesse abandonnée alors que toujours entourée. « Aimez-moi toujours et quoi qu’il arrive », répétait-elle à ses fidèles qui l’appelaient maman. Les derniers mois de sa vie sont ponctués de crises dépressives et parties de cartes avec ses proches. Mais plus de grands shows. Celle qui chantait vouloir « Mourir sur scène, devant les projecteurs » se donne la mort le 3 mai 1987, dans son hôtel particulier sur les hauteurs de Montmartre. Celui qui l’a vu exploser. Somnifères et whisky trônent alors à son chevet, mais la star est impeccablement coiffée. Elle avait 54 ans. 

Le message « La vie m’est insupportable, pardonnez-moi » n’est pas l’unique legs de Dalida. Sa détermination vorace, ses chansons devenues cultes et son timbre ensoleillé continuent d’enivrer son public. Et notamment grâce au soutien indéfectible de son frère  Orlando – qui fut l'un de ses piliers et son producteur des années durant – qui fait vivre sa mémoire. À la diva Dalida, on dit chapeau bas et « Ciao Amore Ciao ».