Kad Merad : « "Citoyen d’honneur" faisait écho à ma propre histoire »

Soucieux de ne pas se laisser enfermer dans un genre, l’acteur choisit des rôles susceptibles de l’ouvrir à d’autres horizons. Avec « Citoyen d’honneur », le remake que Mohamed Hamidi a fait d’un film argentin, Kad Merad a ainsi pu puiser dans ses racines algériennes et s’interroger sur l’impact de la notoriété. Alors qu’il profitait de sa famille, à la campagne, entre deux tournages, il nous a accordé un entretien téléphonique pour évoquer, avec l’humour et la réserve qui le caractérisent, ses origines et ses projets.
Clara Géliot
Kad Merad : « Bestimage

Est-ce vous qui avez soufflé à Mohamed Hamidi l'idée de ce remake ?
Kad Merad -
Non, ce sont les producteurs. Lorsque j’ai eu vent du projet, je n’avais pas encore vu le film de Mariano Cohn et Gaston Duprat, mais j’ai été très ému par cette histoire qui raconte le retour d’un Prix Nobel de littérature dans son village natal, en Algérie, auprès de gens dont la plupart sont devenus les personnages de ses romans. Or ce qui était intéressant dans la proposition de Mohamed, c’est qu’il s’était livré à un vrai travail d’adaptation avec Alain-Michel Blanc pour servir cette intrigue à la sauce francoalgérienne. Moins cynique et moins dramatique que l’œuvre originale, son scénario était celui d’une comédie où l’émotion occupe une large place.

A découvrir également : Pomme : « Mes chansons sont comme des refuges »

Au-delà du scénario, en quoi ce projet vous attirait-il ?
Kad Merad - Après Une belle équipe, en 2020, j’avais envie de retravailler avec Mohamed, car j’aime son cinéma, ses personnages et sa façon de raconter les intrigues. Mais je dois dire que celle-ci me touchait particulièrement, parce qu’elle faisait écho à ma propre histoire. Je suis né à Sidi Bel Abbes et, même si je n’y ai jamais vécu, j’ai des racines en Algérie. Si demain je recevais une lettre du maire de ma ville natale pour m’inviter à en devenir un citoyen d’honneur, je serais sans doute dans le même état d’esprit que Samir Amin, mon personnage. Car sans être un Prix Nobel de littérature, mon parcours, en tant qu’acteur, peut rendre fiers les Algériens. Tous ces éléments me parlaient donc intimement.

N’était-ce finalement en rien un rôle de composition ?
Kad Merad - Si, car j’ai dû quand même travailler le côté dépressif ! [Rires.] Samir Amin ne célèbre pas sa distinction, car c’est un type qui subit les événements. Or moi, dans la vie, je suis plutôt le Baron noir, un gars qui agit ! Mais c’était intéressant de camper un personnage « en réaction », puisque ce n’est pas ce que j’ai l’habitude de jouer au cinéma ou dans cette série. Et, par rapport à d’autres, j’ai la chance de pouvoir m’exprimer sur de nombreux terrains de jeu.

La notoriété a-t-elle tendance à isoler ?
Kad Merad - Je crois que l’on se crée naturellement cet isolement. Il faut parfois se replier sur soi pour éviter d’être trop éclaboussé. Mais ce n’est pas toujours aussi sombre que dans le film ; c’est une occasion heureuse de retrouver les siens et ses fondations. Mon socle, c’est ma famille et un quotidien qui ressemble à la vie de M. Tout-le-Monde, c’est en tout cas l’endroit où je me retrouve le plus. Voilà pourquoi on me voit si peu dans les soirées et autres mondanités.

« J’ai la chance de pouvoir m'exprimer sur de nombreux terrains de jeu »

Former un duo avec Fatsah Bouyahmed dans ce film était-il une grande joie ?
Kad Merad - C’est même l’une des raisons qui m’ont convaincu ! Fatsah est un magnifique acteur, touchant, drôle, généreux, et un homme adorable, cool et précieux. Bref, c’est le partenaire idéal… Pendant le tournage, au Maroc, comme nous étions voisins de cabanon, on avait pris l’habitude de se retrouver le soir autour d’un feu de camp pour boire un coup et dire des bêtises en écoutant de la musique. Or je suis heureux de voir que, dans le film, le duo fonctionne également très bien. Au début, l’antagonisme entre l’écrivain sombre que je joue et le guide solaire qu’il incarne prête à sourire mais, finalement, Fatsah emporte tout avec sa simplicité et sa poésie.

Quelle était l'atmosphère du tournage ?
Kad Merad - L’ambiance était géniale. Le seul bémol, c’est que nous n’avons pas pu tourner en Algérie. Les conditions ne sont pas faciles là-bas et le budget du film ne nous permettait de prendre aucun risque. Mohammed et moi en étions frustrés, mais conscients malgré tout de notre chance de tourner au pied de l’Atlas, dans des décors sublimes et au cœur d’une petite ville peuplée d’habitants très accueillants.

Vous aviez aussi comme partenaires Oulaya Amamra et Brahim Bouhlel. Quel regard portez-vous sur leur génération ?
Kad Merad - Oulaya et Brahim sont deux acteurs très talentueux. Au-delà du plaisir que j’ai eu de partager des scènes avec eux, je constate que leur génération est capable de s’exprimer aussi en dehors des plateaux. Et, sous leurs apparences très sages, très raisonnables, ils osent beaucoup de choses et méritent que l’on parle d’eux.

Est-ce plus facile de valoriser ses origines dans le cinéma d'aujourd'hui qu'à vos débuts, il y a vingt-cinq ans ?
Kad Merad -
C’est certain. La place des minorités est plus large – on le voit au cinéma mais aussi au théâtre ou à la télévision. Il a fallu imposer les choses, malheureusement, mais le résultat est là : le métier reflète enfin notre pays ! Désormais, cela semble normal que des acteurs issus de l’immigration incarnent simplement des Français. Quand j’ai commencé dans la série Tribunal, en 1989, mon premier personnage s’appelait Ahmed Ben Mabrouk. Comme j’ai un nom qui ne sonne pas français, on m’a tout de suite catalogué « étranger », mais ce ne serait plus le cas à présent. L’histoire avance, heureusement.

Quel lien avez-vous avec l'algérie aujourd'hui ?
Kad Merad - Comme je l’ai dit, je n’y ai jamais vécu, et mon père, dans un souci d’intégration et parce qu’il avait quitté l’Algérie à 16 ans, n’a jamais rien fait pour nous transmettre ses racines – à part nous donner des prénoms arabes. De ce pays, je n’ai donc que des souvenirs de vacances d’été mais, malgré tout, quelques images précises du hammam de ma tante, de la ferme de mes grands-parents, des jeux auxquels nous jouions avec mes frères et ma sœur, et de la rivière où l’on se baignait dans le village, qui s’appelait Ouled Mimoun.

Êtes-vous soucoeix de transmettre cette culture à votre fils ?
Kad Merad - Quoi qu’il arrive, les origines sont là, dans notre sang et notre histoire familiale, elles sont ancrées comme des racines. Cela reste discret, ce n’est jamais revendicatif, mais j’ai toujours dit à mon fils que nous irions un jour ensemble sur les terres de ses ancêtres, pour qu’il voie à quoi cela ressemble et puisse faire la connaissance des membres de la famille de mon père qui vivent toujours là-bas. Cela me paraît être le meilleur moyen de partager cette culture avec lui et maintenant qu’il a 18 ans, il va falloir l’organiser.

Qu'avez-vous fait cet été ?
Kad Merad - J’ai eu le plaisir de retrouver Dany Boon, réalisateur et acteur, pour tourner la Vie pour de vrai, avec Charlotte Gainsbourg. J’ai découvert que, dans le jeu, elle n’avait aucune retenue et j’ai adoré ça, c’est la marque d’une grande femme et d’une grande actrice. Quant à Dany, c’est toujours un bonheur de travailler avec lui, car il a une écriture qui plaît autant aux adultes qu’aux enfants et c’est à la fois un clown et un cinéaste très précis.

Quels sont vos projets désormais ?
Kad Merad - Avec Olivier Baroux, mon complice de toujours, nous préparons l’adaptation de Mais qui a tué Pamela Rose ? en série pour Canal+. Le tournage est prévu pour le premier semestre de 2023, et je peux vous assurer que nous avons hâte de poursuivre les aventures de nos personnages !

Citoyen d’honneur, de Mohamed Hamidi. Sortie le 14 septembre.

le 11/09/2022