Droit de suite. Près d’un an après les premiers attentats à la poudre blanche, la piste ” interne ” se confirme sur fond de discrédit de la police fédérale.
New York (États-Unis),
correspondance particulière.
Si le docteur Steven Hatfill n’est pas coupable des attaques au charbon de l’année dernière, comme il l’a maintes fois répété, il risque d’avoir du mal à en convaincre le public américain. Se pourrait-il que la mise à l’index de l’expert en armes biologiques serve à masquer l’absence de progrès du FBI dans l’enquête ?
Le FBI a déclaré que le docteur Hatfill figurait parmi 20 ou 30 personnes interrogées dans le cadre des investigations sur les attaques à l’anthrax contre des médias et les sénateurs Leahy et Daschle, qui ont causé le décès de 5 personnes et en ont rendu 13 autres malades en automne dernier. L’agence fédérale insiste sur le fait qu’il n’est pas ” suspect “, mais oriente son enquête principalement vers Hatfill et, selon certains, ferait même tout son possible pour incriminer le scientifique au regard du public, ce dernier ayant été notamment soumis à grand renfort de publicité médiatique au test du détecteur de mensonges ?
Hartfill a récemment été démis de ses fonctions à la Science Applications International Corporation et à l’université de Louisiane. Son roman non publié – retrouvé sur son ordinateur et dépeignant une attaque de la peste brune sur le Congrès – a été jeté en pâture aux médias. Pourtant, aucun membre du FBI n’a officiellement reconnu qu’il faisait l’objet d’une enquête ou mentionné la moindre preuve à son encontre. Ce paradoxe a poussé Hartfill à faire une mise au point : ” J’accepte d’être interrogé par les autorités du fait de mes connaissances et de mon expérience dans le domaine de la défense militaire biologique, mais cela ne leur donne pas le droit de me diffamer et de détruire ma vie. ” Et Hatfill de souligner qu’il n’a jamais manipulé d’anthrax aux cours de ses fonctions.
On se souvient que le gouvernement américain avait été forcé d’admettre que son centre militaire d’essais de Dugway avait produit de la poudre d’anthrax militarisé quasiment identique au charbon utilisé dans les attaques postales contre des médias et les sénateurs (la poudre blanche utilisée dans les attaques était tellement concentrée que deux grammes correctement diffusés peuvent infecter des millions de personnes). Cette production viole le traité d’interdiction des armes biologiques de 1972 et encourage de fait la prolifération des armes biologiques dans d’autres pays.
Le fait que le FBI ne soit pas parvenu à identifier un suspect après bientôt un an d’enquête explique peut-être l’empressement à impliquer le docteur Hatfill. Il faut noter que le Congrès, en la personne des sénateurs Leahy et Daschle, exerce en outre une pression importante sur l’agence fédérale afin que celle-ci éclaircisse cette affaire. ” Les enquêteurs sont toujours tentés de prendre des raccourcis, d’aboutir à des conclusions trop hâtives et de sacrifier des méthodes plus saines dans ce type d’enquête importante parce que la pression est tellement forte “, a indiqué le directeur du projet sur la justice pénale du Cato Institute, Tim Lynch. De nombreux éditorialistes se sont hâtés de rappeler l’expérience du scientifique nucléaire chinois, Wen Ho Lee, accusé d’espionnage pour la Chine par le FBI, emprisonné pendant neuf mois et licencié de son poste au laboratoire national de Los Alamos sans qu’aucun chef d’accusation d’espionnage ne soit porté contre lui. Lee n’a jamais retrouvé de travail. Si la probabilité de la piste interne américaine est de plus en plus confirmée, cette affaire illustre donc une nouvelle fois la crise de crédibilité d’un FBI, déjà très malmené pour son manque de compétences à prévenir les attentats du 11 septembre.
Natasha Saulnier
