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Un Dennis Lehane criant de vérité

Dennis Lehane
Photo fournie par Bycphotography


Après six ans de silence, l’auteur de Mystic River et Shutter Island nous revient enfin. Avec un superbe roman noir.

Ces dernières années, Dennis Lehane a surtout écrit pour la télé. Ce qui explique pourquoi depuis 2017, on n’a eu aucun nouveau roman de lui à se mettre sous la dent. 

Puis un jour, il entend parler d’une femme mexicaine qui s’est attaquée aux membres d’un cartel de la drogue parce qu’ils avaient tué sa fille. 

« Ça m’a touché en tant que parent, révèle Dennis Lehane par courriel. En même temps, je pensais beaucoup à la résurgence du racisme dans mon pays et en Europe, et ça m’a ramené à l’été 1974 où, enfant, j’ai senti ma vision du monde se modifier de manière irrévocable. »

Voilà. On a la trame (une mère qui va s’en prendre à plus gros qu’elle pour venger la mort de sa fille) et l’année où elle va se dérouler. Et ce qu’on ne va pas garder plus longtemps sous silence, c’est que Le silence est un bon, très bon roman noir. Plus noir encore que la peau des élèves qui vont bientôt être transférés vers les écoles des quartiers majoritairement blancs de Boston. En 1974, pour lutter contre la ségrégation en milieu scolaire, un juge fédéral a en effet exigé l’implantation d’un système de bus (appelé busing) obligeant élèves noirs et élèves blancs à troquer leurs places sur les bancs d’école. 

« J’étais très jeune – j’avais neuf ans – et le busing ne m’a donc pas affecté, explique Dennis Lehane. Mais il a touché beaucoup de gens autour de moi. Et comme j’ai grandi tout près du point zéro des manifestations contre le busing (South Boston High School), j’étais aux premières loges. En outre, les manifestations violentes et le racisme véhément qui se sont manifestés à South Boston ont fait la une des journaux nationaux et ont changé à jamais la réputation de la ville tout entière. Boston devint, à tort ou à raison, le symbole du racisme de la côte est des États-Unis. Il était déconcertant de sentir les projecteurs nationaux braqués sur sa ville pour une chose aussi horrible. »

Dennis Lehane
Photo fournie par Éditions Gallmeister

Une mère désespérée

Tout comme nombre d’habitants de Southie, Mary Pat Fennessy, une Irlandaise pur jus, est loin de voir cet échange d’élèves d’un bon œil. Elle n’aime pas savoir qu’à la rentrée, sa fille Jules sera obligée de fréquenter l’école de Roxbury, un quartier essentiellement peuplé d’Afro-Américains. 

Mais ce qu’elle aimera encore moins, c’est de constater un matin que Jules n’est pas rentrée de la nuit. Plus bizarre encore, même son petit ami n’est pas en mesure de lui dire où elle a bien pu passer. À Mary Pat de découvrir ce qui est arrivé à sa fille, et pour ça elle sera prête à remuer ciel et terre.

« Mary Pat a été inspirée par plusieurs femmes que j’ai connues dans mon enfance, précise Dennis Lehane. La plupart de ces femmes venaient des HLM du sud de Boston, mais j’en ai aussi connu plusieurs dans mon propre quartier de Dorchester. C’étaient des femmes dures et intrépides qui élevaient des enfants durs et intrépides. Ce n’est qu’à l’âge adulte que j’ai commencé à voir la tragédie en elles. La dureté et l’intrépidité ne vous mènent pas loin, surtout si vous êtes pauvre, de sexe féminin et soumis à une culture tribale qui ne récompense pas l’indépendance d’esprit. Beaucoup de ces femmes ont été maltraitées par leurs pères et leurs mères, par leurs maris et par la pauvreté. »

« Mary Pat est une alcoolique raciste, fumeuse à la chaîne et dotée d’un tempérament à fleur de peau, mais au fil du roman, on constate qu’elle fait preuve d’un grand courage, d’un grand amour et, surtout, d’une grande ouverture au changement, poursuit Dennis Lehane. Son parcours consiste à découvrir à quel point le racisme dans lequel elle a été élevée et celui dans lequel elle a élevé ses enfants sont destructeurs. On lui a donné du poison et elle l’a transmis à la génération suivante. Et sa prise de conscience est, je l’espère, un petit rayon de lumière dans un héritage autrement très sombre. »

Habité par la rage

Au début, on doit avouer ne pas avoir tellement apprécié ce personnage féminin bourré de préjugés. Mais la magie a fini par opérer et Mary Pat est une héroïne qu’on n’est pas près d’oublier, en partie pour son petit côté Beatrix Kiddo (la justicière de Kill Bill).

« Ma rage – une vieille “amie” depuis l’enfance – n’arrêtait pas de bouillonner et de menacer de submerger le roman, termine Dennis Lehane. C’est une rage contre le racisme, une rage contre ceux qui ont essayé de me vendre du racisme quand j’étais enfant, et une rage contre ceux qui ne peuvent pas voir que la victime finale du racisme est toujours le raciste lui-même. Cette fureur aurait pu couler le roman si Bobby Coyne [un enquêteur de la criminelle] ne s’était pas invité dans le livre au moment où j’avais le plus besoin d’un contrepoids. Il a contribué à atténuer la noirceur et le chagrin au cœur de l’histoire de Mary Pat et à apporter la légèreté dont le livre avait désespérément besoin. »

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