Jean Yanne, « à la fois anarchiste et réactionnaire »
En juillet, Jean Yanne aurait eu 80 ans. Près de dix ans après sa mort, nouveau portrait de ce comédien-réalisateur provocateur et difficilement saisissable.
- Publié le 11-01-2013 à 07h00
À l’enterrement de Jean Yanne décédé le 23mai 2003, le «métier» n’est pas très présent, hormis quelques fidèles. Et la télé ne diffuse aucun de ses films.
Pourtant, deWeek-end à Pétain (où il joue Laval), en passant par Erotissimo, Le Boucher, Nous ne vieillirons pas ensemble (Prix d'interprétation à Cannes), Armaguedon, Le Paltoquet, Regarde les hommes tomber ou Je règle mon pas sur le pas de mon père, sans oublier ses propres films, le choix ne manque pas.
Pour le dixième anniversaire de sa disparition, Bertrand Dicale rend hommage à ce grand comédien qui aurait eu 80 ans en juillet prochain.
Ce qui caractérise Jean Yanne, c’est son goût de la provocation ?
Oui, mais cette provocation n’est pas vide. D’une part, il aime bien se marrer et faire rire les autres. D’autre part, c’est un vrai désespéré. Il est extraordinairement pessimiste sur la vie faite aux hommes envers lesquels, trouvant leur destin dérisoire, il est animé par une forme de compassion. Il ne comprend pas l’incohérence du monde. C’est pour cela qu’il fait des blagues sur les ouvriers, les grèves, les fermetures d’usines qui sont parfois très mal comprises. Il est à la fois anarchiste et réactionnaire, conservateur et révolutionnaire. Il est en permanence en réaction et dans l’opposition.
Dans les années 1960, c’est de la radio qui l’attire surtout ?
Si c’était vraiment le cas, il ne se serait pas fait successivement virer d’Europe 1, de RTL et de France Inter. Et quand, au début des années 1970, il se met à la réalisation, il ne veut plus en faire, convaincu qu’il a trouvé un jouet beaucoup plus offensif. Ses premiers films, Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, Moi y en a vouloir des sous, Les Chinois à Paris, sont des événements. On le présente comme un successeur de Louis de Funès sur le terrain de la comédie. Pendant dix ans, jusqu’à Deux heures moins le quart avant Jésus-Christ, son plus gros succès, il va tourner six films. Mais quand, suite à l’échec retentissant de Liberté, égalité, choucroute en 1985, il ne trouve plus d’argent pour en faire, il ressent une grande frustration. Pendant les dix-huit années restantes, il ne va alors refuser aucun film ou téléfilm.
La barbe qu’il laisse pousser fin 1970 marque-t-elle une étape dans sa carrière ?
Il a une extraordinaire capacité d’incarner une immobilité et une profondeur. Et c’est ce côté marmoréen, bougon que la barbe vient accentuer. Les réalisateurs ont tendance à lui confier des rôles sombres, graves. Ce qui ne l’empêche pas d’incarner des personnages extrêmement divers. S’il n’a pas eu la carrière d’un Gabin ou d’un Ventura, c’est parce qu’il ne s’est pas rêvé en acteur.
Et son installation à Los Angeles fin 1979, c’est pour fuir le fisc ?
Pas seulement le fisc, mais aussi ses créanciers suite aux pertes de Je te tiens tu me tiens par la barbichette qui n’est pas un échec commercial mais a coûté beaucoup plus cher que prévu. Tous ses revenus en France sont gelés. Il devient résident américain afin de pouvoir toucher ses cachets aux États-Unis. Mais il y a aussi un vrai ras-le-bol, il ne se sent plus bien en France.
À la fin des années 1980, il veut revenir à la réalisation avec une adaptation de la BD Les Bidochon de Binet. Qui sera finalement réalisée par Serge Korber, mais sans lui.
Les Bidochon ne sont pas les abrutis auxquels on les réduit trop souvent. Jean Yanne, qui vient un peu de ce monde-là, a beaucoup de tendresse pour eux, il invente leurs rêves. Mais le budget gigantesque qu’il demande fait peur aux producteurs. Et il ne s’imagine pas en Robert Bidochon qui n’est pas un beauf râleur mais un personnage tendre, ébréché.¦
Bertrand Dicale, Jean Yanne. A rebrousse-poil, First Editions, 510 p., 21,90€.