Le chercheur qui a longtemps vécu dans l’Ain a été prix Nobel en 1992 Georges Charpak, la mort d’un scientifique engagé

Sébastien COLSON - 01 oct. 2010 à 05:00 | mis à jour le 01 oct. 2010 à 17:36 - Temps de lecture :
Georges Charpak, prix Nobel de physique en 1992, s’est éteint mercredi à l’âge de 86 ans. “Discret et simple” sont les deux qualificatifs qui reviennent sans cesse à son propos. AFP/Pierre-Franck COLOMBIER
Georges Charpak, prix Nobel de physique en 1992, s’est éteint mercredi à l’âge de 86 ans. “Discret et simple” sont les deux qualificatifs qui reviennent sans cesse à son propos. AFP/Pierre-Franck COLOMBIER

Reconnaître un footballeur pro ? Rien de plus simple. Un diam’s, un V8, une Playstation en guise de bibliothèque, voilà votre client. Reconnaître un prix Nobel de physique, c’est une autre paire de manches.

“Lorsque Georges Charpak a été récompensé en 1992, pour le commun des mortels à Gex, cela a été une énorme surprise”, se souvient Michel Nicod, l’ancien maire de la petite sous-préfecture de l’Ain où Charpak vécut des années 1970 au début des années 1990. Bienvenue en Pays de Gex, “Cern-land”, où habitent les centaines de chercheurs travaillant sur l’accélérateur de particules. Ici, votre voisin peut être un Einstein en puissance, mais vous n’en savez rien.

Ainsi, le Georges Charpak que croisaient les Gessiens, au ciné-club ou à la réunion de parents d’élèves, avait déjà réalisé ses travaux qui lui ont valu le Nobel. Son invention la plus célèbre date en effet de 1968 : il s’agit de la chambre à fils. Cette petite boîte pas plus grosse qu’une télé remplie d’un gaz type argon, a permis d’avancer dans la détection des particules, ces composants infiniment petits de la matière. Avant Charpak, les chercheurs examinaient péniblement, à l’œil nu, des milliers de photos pour tenter de dénicher le phénomène intéressant. Son invention, une révolution même, fit entrer la physique des particules dans un nouveau monde : celui de l’électronique.

De la découverte de ce principe découlent aujourd’hui les systèmes de calculs du LHC, le gigantesque accélérateur de particules à même d’ouvrir les secrets de l’Univers. À chaque seconde, des nuées d’ordinateurs analysent la multitude de particules produites par les collisions de l’accélérateur. “Peu de gens ont véritablement changé la face du monde, mais Georges Charpak était assurément l’un d’entre eux”, pouvait donc tranquillement dire, hier, Rolf Heuer, directeur actuel du Cern.

Reste que Georges Charpak n’était surtout pas qu’un scientifique de labo. Ses travaux ont eu d’ailleurs pas mal d’applications concrètes, notamment en matière d’imagerie médicale. Des systèmes de radiographies en 3D inventés dans les années 1990 avec de très faibles doses de rayons, par exemple, viennent directement des recherches qu’il mena au Cern. Et puis, il y avait tout son engagement à diffuser la science. Un engagement citoyen, tant science rime avec conscience,, chez ce militant antinucléaire militaire. Il faut dire que sa vie a épousé les méandres douloureux du XX e siècle.

Gamin juif né à Dabrowica, dans la Pologne des pogroms de l’entre-deux-guerres (la ville est aujourd’hui en Ukraine), Charpak a pu réussir en trouvant refuge dans une France plus accueillante qu’aujourd’hui. Résistant, déporté à Dachau, rescapé des camps, il est naturalisé en 1946. Sa trajectoire est ensuite celle d’un pur produit de la méritocratie républicaine, qui le voit entrer au CNRS en 1948 après avoir été élève de Frédéric Joliot-Curie.

Est-ce pour rendre à l’école de la République et à la science ce qu’elles lui donnèrent que Charpak inventa “La main à la pâte”, un système qui rénove entièrement l’enseignement des sciences à l’école et essaime, partout dans le monde, après avoir conquis les écoles françaises ? Il y a sans doute de cela. En tout cas, dans le Pays de Gex, notamment au lycée de Ferney-Voltaire, où il était venu à la rencontre des élèves, Jeanne Bernoux, proviseur adjointe de l’époque, garde un excellent souvenir de son sens du contact. “Il était décontracté et bon vivant”, mangeant comme tout le monde en salle des profs.

Sans que jamais il n’en rajoute. “Discret et simple” sont les deux qualificatifs qui reviennent sans cesse à son propos. À Gex, en 1992, à l’occasion d’une petite réception pour fêter son Nobel, il disait : “Vous avez peut-être trop utilisé les louanges. Je connais des physiciens qui sont bien meilleurs que moi. Le prix Nobel est en réalité la rencontre de plusieurs circonstances favorables”.

Une humilité nullement feinte : côtoyer l’infiniment grand et l’infiniment petit, ça vous pose les pieds sur terre…