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La tragédie du dernier Habsbourg

Le Dernier Empereur : Charles d'Autriche 1887-1922 de Jean Sévillia - Douze ans après avoir rendu hommage à l'impératrice Zita, Jean Sévillia complète son diptyque avec cette biographie passionnante du dernier des Habsbourg.


Une page brève et inoubliable du Monde d'hier, où Stefan Zweig aperçoit le couple impérial dans le train de l'exil. Quelques images du documentaire de Frédéric Mitterrand, Les Aigles foudroyés. Un souvenir de tel livre de François Fejtö, ou des romans de Joseph Roth. Voilà probablement ce que d'ordinaire on retient de l'empereur Charles et de l'impératrice Zita, figures pâles, fantomatiques, emportées presque aussitôt qu'apparues dans le cataclysme de 1914-1918.

Douze ans après avoir rendu hommage à l'impératrice, Jean Sévillia complète son diptyque avec cette biographie du dernier des Habsbourg, appuyée sur une énorme bibliographie en langues française et allemande, ainsi que sur les milliers de pages du long procès en béatification (l'affaire dura de Pie XII à Jean-Paul II), où les moindres écrits et témoignages le concernant furent rassemblés et passés au peigne fin.

«Le seul honnête homme»

Il semble y avoir dans l'histoire des scénarios qui mystérieusement se répètent. La tragédie de Charles d'Autriche est comme un résumé en accéléré de celle de Louis XVI aussi bien que de celle de Nicolas II. Tous trois succèdent trop jeunes à un écrasant aïeul. Tous trois semblent prêts à soutenir de nécessaires réformes. Tous trois viennent dans des circonstances où il est déjà trop tard. Tous trois le paieront de leur vie. Certes, Charles n'est pas exécuté ; mais il meurt à 34 ans, dans l'île de Madère, recru de chagrins et d'épreuves. Il n'avait sans doute pas mérité cela.

Charles ne se croyait pas promis à recevoir la couronne ou, du moins, pas si vite. Le coup de pistolet de Gavrilo Princip à Sarajevo, en 1914, décida de son destin. François-Joseph, monstre sacré, vieux maître madré de l'immense empire, a quatre-vingt-six ans lorsqu'il meurt en 1916. On est en guerre ; une guerre que le jeune Charles n'a pas décidée, avec un encombrant allié, l'Allemagne, qu'il n'a pas choisi. Le cortège funèbre, figé dans un cérémonial baroque et hors du temps, gagne la crypte des Capucins au milieu d'une Vienne déjà en manque de pain et de charbon.

Le jeune homme a une idée : la paix. La paix, parce que d'abord la guerre l'horrifie, et aussi parce que (Sévillia le montre de façon très convaincante), il est le premier à comprendre que le conflit sera fatalement perdu pour les forces de l'Entente. On songe à l'analyse qu'un de Gaulle fera, le premier et le seul, dès le début de l'été 1940. Cet empereur qu'on dit hésitant, faible, quasiment inapte, Sévillia nous le montre parcourant des milliers de kilomètres pour aller voir les soldats, multipliant les initiatives diplomatiques qui rencontrent une France sceptique (elle n'a d'ailleurs pas de front direct avec l'Autriche), une Allemagne dressée dans un bellicisme impitoyable, un pape impuissant, un Lénine cyniquement aidé par la même Allemagne et qui ne souhaite qu'une chose : que le conflit s'éternise, pour que les peuples excédés fassent la révolution. Anatole France, peu suspect de passion guerrière, rendra cet hommage au jeune monarque de Vienne : « C'est le seul honnête homme qui ait paru dans cette guerre. »

« On n'avait plus voulu des Habsbourg, on aura Hitler et Staline. Et il faudra attendre la fin des années 1980 pour que revienne la liberté dans cette région du monde. » Tel est le constat que fait Jean Sévillia, et qu'il est difficile de contredire. N'oublions pas que cet empire, qu'on nommait la « prison des peuples », fut un phare de civilisation : dans la Vienne du vieux François-Joseph, Freud, Zweig, Schnitzler, Klimt, et combien d'autres, éblouissaient l'Europe d'œuvres et de pensées nouvelles. Les nationalismes, tant dénoncés depuis, y étaient tenus en lisière. Pas si mal?

Le dernier empereur échoua complètement dans ses projets de paix et de réforme. Et l'on parla de « dérision » lorsque Jean-Paul II, en 2004, béatifia Charles de Habsbourg-Lorraine. Une historienne allemande ironisa sur le « saint patron des perdants ». Cette dame pensait-elle qu'il ne faut exalter que ce qui triomphe ? C'est en définitive la vraie question que nous pose Jean Sévillia à travers ce livre, et elle irrigue toute l'œuvre qu'il s'attache à construire. Érudit, scrupuleux, équipé de références, Sévillia n'est pas seulement un historien. De son remarquable Historiquement correct (2003) au présent volume, il nous incite à prendre la mesure de ce que sentirent, pensèrent, tentèrent ceux qui vécurent avant nous. Il n'omet pas leurs fautes (et l'empereur Charles en commit). Il nous demande seulement l'équité. C'est une bonne idée. Peut-être en aurons-nous besoin un jour, nous aussi.

Le Dernier Empereur : Charles d'Autriche 1887-1922 de Jean Sévillia Perrin, 356 p., 21,80 €.

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