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Le piège de Lampedusa

Alors que 7 000 migrants ont débarqué à Lampedusa, Giorgia Meloni doit faire face à cette épreuve qui menace sa crédibilité.

Marie d’Armagnac
Migrants clandestins en attente de débarquer sur l’île sicilienne, le 15 septembre.
Migrants clandestins en attente de débarquer sur l’île sicilienne, le 15 septembre. © REUTERS/YARA NARDI

Que s’est-il passé pour que l’Italie, pourtant gouvernée par une coalition de droite dont l’immigration a toujours été un thème privilégié de campagne électorale, ait à subir un tel assaut ? En moins de quarante-huit heures, plus de 7 000 migrants ont débarqué sur la petite île de Lampedusa, qui compte un peu plus de 6 000 habitants. Répartis dans près de 120 bateaux de fortune, les migrants ont envahi le port de Lampedusa, face à des forces de l’ordre italienne submergées par cette marée humaine. Depuis, le flot ne tarit pas. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur italien, près de 127 207 clandestins ont débarqué en Italie depuis début 2023, contre 66 237 en 2022 et 42 750 en 2021 pour la même période. 

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Pour Matteo Salvini, vice-Premier ministre, « si dans les faits, à Bruxelles, Berlin et Paris [les gouvernants] se détournent de l’autre côté, nous devons en prendre acte et défendre nos frontières par tous les moyens nécessaires que la démocratie met à disposition ». Et sur Rete 4, il poursuit : « Je n’exclus pas l’utilisation de la Marine militaire. » Enfin, décochant une dernière flèche à l’Allemagne : « Il y a des institutions allemandes qui donnent des millions d’euros à des ONG pour amener les migrants en Italie. C’est un fait. » Le 15 septembre, le procès de Salvini s’est d’ailleurs ouvert dans la salle d’audience-bunker de la prison de Pagliarelli à Palerme, celle qui est réservée aux mafieux : il est accusé de séquestration de personnes pour avoir retardé, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur en août 2019, l’accostage en Italie du navire de l’ONG Open Arms chargé de 147 clandestins. .

Pour Matteo Salvini, « quand on voit arriver 120 bateaux, ce n’est pas un épisode spontané, mais c’est un acte de guerre […]. Je pense que c’est quelque chose de voulu et d’organisé aussi pour mettre en difficulté un gouvernement qui dérange ». Selon Francesco Giubilei, président du think tank Nazione Futura, proche de la droite italienne, « la réponse doit être européenne, mais si cela ne fonctionne pas, l’Italie doit agir seule, a-t-il confié au JDD. La réponse doit être ferme, ce qui n’empêchera pas ensuite la diplomatie de reprendre ses droits. Pourquoi ne pas suivre le modèle australien et faire appel à la Marine militaire ? L’Australie n’est pas une dictature, et cela a fonctionné. La réponse doit être absolument dissuasive surtout vis-à-vis des pays de départ. » 

L’Italie va-t-elle mettre en place un blocus naval, comme l’avait fait le gouvernement de gauche de Romano Prodi face à l’explosion migratoire en provenance d’Albanie ? Souvenons-nous. Mars 1997, l’État albanais s’effondre, la population fuit vers la Grèce et l’Italie. Romano Prodi, avec son ministre de l’Intérieur Giorgio Napolitano (un ancien du Parti communiste italien), noue un pacte avec Tirana pour envoyer la marine italienne jusque dans les eaux territoriales albanaises repousser les bateaux de migrants. Ce blocus fut pudiquement appelé « opérations de patrouille » et se termina par une tragédie. Un groupe de passeurs mafieux déroba un navire d’une capacité de neuf personnes, y embarqua 142 migrants dont la plupart se noyèrent après un éperonnage par un navire italien. Aucun membre du gouvernement ne fut inquiété, Giorgio Napolitano devint même, par la suite, président de la République. 

Depuis son arrivée au pouvoir, Giorgia Meloni a développé une intense activité diplomatique. Investissements en Libye, en Algérie, en Tunisie, tentatives à maintes reprises d’impliquer l’Union européenne dans la gestion des frontières et de la crise migratoire. Pour Salvini, son partenaire de coalition, « Giorgia a fait un travail exceptionnel au niveau international ». Sous l’impulsion de cette dernière, Ursula von der Leyen signe un accord de soutien à la Tunisie qui promettait de débloquer 150 millions d’euros pour donner un peu de souffle à une Tunisie exsangue et 105 millions pour remettre sur pied les forces de l’ordre afin qu’elles empêchent les bateaux chargés de migrants de quitter leurs côtes.

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Or, révèle Gian Micalessin dans les colonnes d’Il Giornale, la Tunisie n’a pas vu l’ombre d’un kopek, mettant ainsi le gouvernement italien en porte-à-faux, vis-à-vis de l’UE et de ses partenaires africains. Pourquoi ? Parce que dans les couloirs de la Commission de Bruxelles, la gauche, et singulièrement italienne, s’est activée avec succès pour que ces fonds ne soient jamais envoyés. Brando Benifei, chef de la délégation européenne du Parti démocrate (PD) au Parlement européen, accusait  ce pacte d’« énième tentative inutile d’externaliser le contrôle des frontières européennes avec de grands risques pour les droits humains ». Pietro Bartolo, l’ancien médecin de Lampedusa élu au PD, renchérit sur une Union « complice de la chasse aux Noirs ouverte par Saïed ». 

Antonio Tajani, ministre des Affaires étrangères, homme fort du PPE (droite) et es-président du Parlement européen, dénonce ce torpillage : « L’Europe doit absolument faire plus : nous travaillons avec la Tunisie, mais en Europe, il y a des résistances de la part des forces socialistes. La gauche européenne doit faire plus. » Il avertit : « Les migrants qui arrivent dans notre pays ne veulent pas venir en Italie, ils veulent aller en Allemagne, en France, ailleurs en Europe […], beaucoup sont de langue maternelle française. » (Diritto e rovescio, le 14 septembre 2023.)

Marion Maréchal s’est rendue à Lampedusa, le 15 septembre, pour marquer son soutien à l’Italie.
Marion Maréchal s’est rendue à Lampedusa, le 15 septembre, pour marquer son soutien à l’Italie. © FABIANO/LAPRESSE/SIPA

 

C’est pour cela que Marion Maréchal s’est rendue à Lampedusa : « J’entends donner un signal de soutien au peuple italien abandonné par l’UE dans cette crise migratoire. Sur place, j’ai vu une situation humanitaire compliquée, j’ai entendu ce clandestin qui disait qu’il voulait venir en France parce qu’il avait vu à la TV qu’il y avait des aides sociales, ou un autre qui expliquait qu’il n’avait pas payé sa traversée. Cela jette un doute sur la nature spontanée de ce qui arrive. Cela montre que nous sommes aujourd’hui face à des afflux organisés par des professionnels, voire des œuvres de déstabilisation de pays étrangers. »

Quant à Giorgia Meloni, qui affronte, par une curieuse concomitance, la fermeture des frontières françaises et le refus de l’Allemagne de prendre plus de migrants dans le cadre de redistributions volontaires, elle répond : « La question de la redistribution est secondaire. En effet, très peu de gens (migrants) ont été redistribués ces derniers mois : 1 000 migrants venant d’Italie et 670 de Chypre, sur les 128 000 arrivés depuis début 2023 seulement en Italie, ont été accueillis en Allemagne. Pour moi, […] le seul moyen de résoudre le problème pour tous est de les arrêter et d’arrêter les mouvements primaires et donc les arrivées en Italie […]. Je ne vois pas encore de réponse concrète. »

Pourtant, Giorgia Meloni avait réussi ces derniers mois à imposer dans les discussions diplomatiques le thème du traitement global de la crise migratoire, entrouvrant une brèche dans le sacro-saint dogme de l’accueil inconditionnel des clandestins : contrôler les frontières extérieures de l’UE, empêcher les départs des pays d’origine, avant même de parler de redistribution.

Vendredi dans la soirée, la présidente du Conseil des ministres s’est fendue d’un communiqué officiel, sorte de discours à la nation : « L’Italie et l’Europe ne peuvent accueillir cette masse énorme de personnes. » Elle rappelle le rôle de « quelques forces politiques et sphères d’influence » opposées à l’accord avec la Tunisie. Mais, prévient-elle, « l’Italie ne peut plus attendre […], la pression est devenue insoutenable ». Elle réclame la création d’une force européenne qui, avec l’accord des pays d’origine, servira à repousser les bateaux en partance d’Afrique du Nord. Quand on sait la lenteur de la bureaucratie bruxelloise et la mauvaise volonté des pays membres… 

Giorgia Meloni demande à Ursula von der Leyen de se rendre avec elle à Lampedusa pour qu’« elle se rende compte personnellement de la gravité de la situation que nous sommes en train d’affronter » et que les 250 millions d’euros promis soient immédiatement transférés en Tunisie. « Je ne doute pas qu’Ursula von der Leyen collaborera », ajoute-t-elle. Cette dernière annonce d’ailleurs sa venue sur l’île le 17 septembre. Enfin, Giorgia Meloni annonce un train de mesures extraordinaires, dont la création partout en Italie de centres de rétention administrative pour les déboutés du droit d’asile en attente d’expulsion. Ils pourront y rester jusqu’à dix-huit mois.

« Sans réponse forte, les conséquences électorales peuvent être lourdes, alerte Francesco Giubilei. On sent monter le mécontentement dans l’électorat de la droite, surtout sur ce thème qui lui est cher. » À Lampedusa, la révolte des habitants, avec à leur tête un élu local de la Ligue (parti de la coalition gouvernementale), contre le projet d’un camp de tentes de réfugiés sur l’ancienne base militaire de Loran, fait craindre que la situation ne dégénère…

Des clandestins s’enfuient du camp de Lampedusa, le 14 septembre.
Des clandestins s’enfuient du camp de Lampedusa, le 14 septembre. © REUTERS/YARA NARD

 

Les européennes qui se profilent ajoutent une pression sur Giorgia Meloni. Les semaines à venir, où le gouvernement doit affronter un agenda chargé avec l’examen de la loi de finances, seront cruciales. Le piège de Lampedusa va-t-il se refermer sur elle ?

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