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Le Proust de Maurois

Par EMILE HENRIOT, de l'Académie française

Publié le 27 avril 1949 à 00h00, modifié le 27 avril 1949 à 00h00

Temps de Lecture 9 min.

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LES bonnes cuisinières savent bien que pour clarifier une gelée il la faut tamiser à travers des blancs d'œufs battus. C'est un peu le service que M. André Maurois, excellent clarificateur, vient de rendre à Marcel Proust dans un livre fervent et nourri, A la recherche de Marcel Proust (1), qui pendant longtemps fera Somme sur l'auteur de Swann et de Cuermantes. Proust a-t-il d'ailleurs besoin d'être clarifié ? Non, dans un sens : 11 dit très bien ce qu'il veut dire, et il n'est que de le lire avec attention pour 8'en assurer, à travers les méandres de sa pensée et de son art. Mais son œuvre, d'abord difficile par sa nouveauté, ses infinis détours et sa lenteur, aujourd'hui devenue classique, reste si touffue et si abondante que des poteaux indicateurs sont nécessaires tout au moins pour se retrouver dans cette forêt compacte, et dès les premiers jours voulue telle par l'auteur lui-même. A vrai dire, depuis vingt-sept ans qu'il est mort, les commentateurs ne lui ont pas manqué - M. André Maurois, dans sa bibliographie, cite près d'une centaine d'ouvrages consacrés a sa personne et à son œuvre : tant de témoins que de critiques, de Léon-Pierre Quint et de Ramon Fernandez à Robert Dreyfus à Pierre Abraham, à Curtius, à Feuillerat ou à Jean Pommier ; et cette année même nous avons pu lire les souvenirs de Mme Elisabeth de Gramont, les Lettres d'un ami, publiées par M. de Lauris, et l'excellente étude de M Jean Mouton sur le Style de Marcel Proust (2). Sans parler de quelque dix volumes déjà de Correspondance, qui est loin d'être encore toute publiée. Appuyé sur cette large documentation, aidé par les importants, inédits des Cahiers intimes communiqués par Mme Gérard Mante-Proust, il appartenait à Maurois de tracer définitivement le portrait en pied, biographique et critique, de l'auteur d'A la recherche du temps perdu.

Impassible de dissocier chez Proust l'homme de l'écrivain, qui ne font qu'un. Comme Montaigne, il est tout entier dans son livre, dont il est à la fois le héros et le narrateur, et ou rien n'importe que par lui et à travers lui, selon son système subjectif. Sa vie semble n'avoir été menée qu'en raison du livre à écrire ; non qu'il l'ait conduite exprès à cette fini mais son vaste roman n'est que la peinture de sa vie, réelle, imaginaire ou transposée, et dans son cours divers envisagée sous ce point de vue personnel que la réalité n'existe pas, que nous ne sommes dans le temps qu'une succession d'états passagers, promis au néant ; la réalité n'étant que dans le souvenir et les reconstructions de la mémoire méthodiquement appliquée à ces retrouvailles. D'où le titre d'ensemble de l'ouvrage : A la recherche du temps perdu - et le temps perdu c'est la vie au jour le jour détruite par le temps ; le temps ne devant être retrouvé et la vie fixée que dans l'œuvre d'art que cette recherche et cette récupération auront inspirée. Pour les premiers lecteurs de Proust, tandis que s'imprimait son œuvre, volume par volume, de 1913 à 1927, cela n'apparaissait pas clairement ; on ne savait et on ne pouvait pas savoir où allait l'auteur, ni à quelle conclusion il aboutirait. Mais lui il le savait, si même tels épisodes imprévus devaient venir étoffer son long récit en cours de route, que le temps se retrouverait, la boucle bouclée à la dernière page. Nouvel Einstein, son système était cohérent, et il l'avait nettement établi avant d'avoir peut-être écrit la première ligne de son premier tome. Sans doute les proustiens savent cola, mais c'est un des mérites de M. André Maurois d'avoir si nettement dégagé cette ordonnance et cette composition de l'ouvrage, très volontairement concerté ; et l'explication sera utile à plus d'un lecteur qui, même admirant, et un peu perdu dans ce labyrinthe, ne voit pas toujours l'ensemble, comme beaucoup de visiteurs de cathédrale, entre tant de clochers, de tours, de cryptes, de chapelles, d'absides et d'absidioles, n'en aperçoivent pas très bien le plan, pourtant strictement défini dans l'esprit de son constructeur. En apparence si diffus, par son goût du développement, par sa complexité foisonnante, ses retours sans fin sur lui-même et le caractère télescopique, comme il l'a remarqué lui-même, de ses analyses, l'esprit de Marcel

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