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Claude Monet, pionnier incompris de l’abstraction

Le Musée de l’Orangerie expose les toiles des peintres américains qui ont suivi la voie ouverte par « Les Nymphéas ».

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Publié le 24 mai 2018 à 06h28, modifié le 25 mai 2018 à 08h26

Temps de Lecture 5 min.

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« Les Nymphéas bleus » (1916-1919), huile sur toile de Claude Monet, Musée d’Orsay.

Les Nymphéas, connu aujourd’hui comme l’un des chefs-d’œuvre du peintre Claude Monet (1840-1926), offre l’histoire exemplaire d’une œuvre incomprise par ses contemporains. En 1927, quelques mois après la mort du peintre, les salles ovales du ­Musée de l’Orangerie où sont ­placées ses longues peintures de nymphéas sont ouvertes, après des années de retard et de difficultés, Monet n’étant jamais ­satisfait de ses œuvres, sur ­lesquelles il a travaillé pendant trois décennies. A l’époque, l’ensemble, que le peintre avait ­offert à l’Etat, reçoit ce qu’il faut d’éloges officiels. Et ce qu’il ne faudrait pas de critiques : une « erreur » ­selon Jacques-Emile Blanche, « le plus vilain ­cadeau » fait à la France selon Paul ­Morand, qui, à travers Les Nymphéas, vise Georges Clemenceau, leur défenseur acharné. ­André Lhote, chargé de la critique d’art à La Nouvelle ­Revue française (NRF), feint de se ­lamenter sur ce « suicide plastique (…) dans le ­linceul des nénuphars ». Le public ne manifeste aucun enthousiasme non plus : l’Orangerie reste vide. En 1944, un obus ­touche le bâtiment et crève l’un des panneaux. Les musées ne s’en soucient que modérément et la restauration prend huit ans, jusqu’à l’automne 1952, malgré les ­protestations répétées des héritiers du peintre.

  • Formes fluides, absence de perspective et support saturé de couleurs : la série des « Nymphéas » remet en cause notamment le tableau de chevalet avec ses compositions décentrées et la répétition d’un même motif.

    Claude Monet (1840-1926) : « Les Nymphéas bleus », 1916-1919 ‒ huile sur toile, 204 x 200 cm ‒ Paris, Musée d’Orsay

    Formes fluides, absence de perspective et support saturé de couleurs : la série des « Nymphéas » remet en cause notamment le tableau de chevalet avec ses compositions décentrées et la répétition d’un même motif. MUSÉE D’ORSAY, DIST. RMN-GRAND PALAIS/PATRICE SCHMIDT

  • La technique du « all-over » pratiquée par le peintre américain Jackson Pollock pourrait s’appliquer aux panneaux tardifs des « Nymphéas ». Toute référence au réel est abandonnée au profit de touches jetées à même la toile, fusionnant en des motifs non figuratifs.

    Jackson Pollock (1912-1956) : Untitled, vers 1949 ‒ tissus, papier, carton, émail et peinture aluminium sur panneau, 78,7 x 57,5 cm ‒ Riehen/Basel, Fondation Beyeler, Suisse

    La technique du « all-over » pratiquée par le peintre américain Jackson Pollock pourrait s’appliquer aux panneaux tardifs des « Nymphéas ». Toute référence au réel est abandonnée au profit de touches jetées à même la toile, fusionnant en des motifs non figuratifs. FONDATION BEYELER/ROBERT BAYER/ADAGP, PARIS, 2018

  • « Nous sommes pour les formes plates parce qu’elles détruisent l’illusion et révèlent la vérité », déclarait, en 1942, Marc Rothko. Sa peinture ‒ par le champ de couleurs et par l’absence de relief ‒ crée une « nouvelle approche optique » évoquant « Les Nymphéas » présentés à l’Orangerie.

    Mark Rothko (1903-1970) : « Blue and Gray », 1962 ‒ huile sur toile, 193 x 175 cm ‒ Riehen/Basel, Fondation Beyeler, Suisse

    « Nous sommes pour les formes plates parce qu’elles détruisent l’illusion et révèlent la vérité », déclarait, en 1942, Marc Rothko. Sa peinture ‒ par le champ de couleurs et par l’absence de relief ‒ crée une « nouvelle approche optique » évoquant « Les Nymphéas » présentés à l’Orangerie. KATE ROTHKO PRIZEL & CHRISTOPHER ROTHKO

  • De grands formats et de larges aplats irréguliers, presque aléatoires, dominés par une même couleur : la peinture de Clyfford Still s’inspire des « Nymphéas », de Claude Monet, qu’il découvre en 1925 au Metropolitan Museum of Art lors d’un séjour à New York.

    Clyfford Still (1904-1980) : 1965 (PH-578), 1965 ‒ huile sur toile, 254 x 176,5 cm ‒ Madrid, Museo Nacional Thyssen-Bormenisza

    De grands formats et de larges aplats irréguliers, presque aléatoires, dominés par une même couleur : la peinture de Clyfford Still s’inspire des « Nymphéas », de Claude Monet, qu’il découvre en 1925 au Metropolitan Museum of Art lors d’un séjour à New York. MUSEO NACIONAL THYSSEN-BORNEMISZA/SCALA, FLORENCE/ADAGP, PARIS, 2018

  • La couleur comme tache : ici, Morris Louis applique la technique de la « stained color » ‒ une peinture diluée et répandue sur la toile en couches successives. Sa palette s’apparente à celle de Claude Monet, notamment dans la représentation suggestive ‒ et presque voilée ‒ de ses nénuphars.

    Morris Louis (1912-1962) : « Vernal », 1960 ‒ acrylique sur toile, 195,6 × 264,2 cm ‒ Madrid, Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia

    La couleur comme tache : ici, Morris Louis applique la technique de la « stained color » ‒ une peinture diluée et répandue sur la toile en couches successives. Sa palette s’apparente à celle de Claude Monet, notamment dans la représentation suggestive ‒ et presque voilée ‒ de ses nénuphars. ARCHIVO FOTOGRÁFICO MUSEO NACIONAL CENTRO DE ARTE REINA SOFÍA/ADAGP, PARIS, 2018

  • Peinture directement versée sur la toile étendue au sol, couleur fluide ‒ presque translucide ‒ et saturation du support : Helen Frankenthaler a découvert en 1954 « Les Nymphéas ». Ses motifs amples et aquatiques peuvent se rapprocher de la technique utilisée par Claude Monet.

    Helen Frankenthaler (1928-2011) : « Riverhead », 1963 ‒ acrylique sur toile, 208,9 x 363,2 cm ‒ New York, Helen Frankenthaler Foundation

    Peinture directement versée sur la toile étendue au sol, couleur fluide ‒ presque translucide ‒ et saturation du support : Helen Frankenthaler a découvert en 1954 « Les Nymphéas ». Ses motifs amples et aquatiques peuvent se rapprocher de la technique utilisée par Claude Monet. HELEN FRANKENTHALER FOUNDATION, INC./ADAGP, PARIS, 2018

  • C’est au cours d’un voyage en Europe en 1948 que Philip Guston découvre la peinture française du XIXe siècle. Réaliste à ses débuts, sa peinture évoluera vers une forme de « lyrisme » déjà utilisée par Claude Monet dans sa dernière série.

    Philip Guston (1913-1980) : « Dial », 1956 ‒ huile sur toile, 182,9 x 194 cm ‒ New York, Whitney Museum of American Art

    C’est au cours d’un voyage en Europe en 1948 que Philip Guston découvre la peinture française du XIXe siècle. Réaliste à ses débuts, sa peinture évoluera vers une forme de « lyrisme » déjà utilisée par Claude Monet dans sa dernière série. SUCCESSION DE PHILIP GUSTON, AVEC LA PERMISSION DE HAUSER & WIRTH

  • Cette artiste américaine, installée en France à la fin des années 1950, considère la peinture comme une expérience visuelle où « la finalité n’est plus le sujet ». Elle compose des toiles gestuelles et colorées et s’inspire directement de la Nature. Elle en retient des sensations qu’elle restitue sur la toile ‒ reliant ainsi son œuvre à l’impressionnisme.

    Joan Mitchell (1925-1992) : Sans titre, 1964 ‒ huile sur toile, 159 x 125 cm ‒ Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Centre de création industrielle

    Cette artiste américaine, installée en France à la fin des années 1950, considère la peinture comme une expérience visuelle où « la finalité n’est plus le sujet ». Elle compose des toiles gestuelles et colorées et s’inspire directement de la Nature. Elle en retient des sensations qu’elle restitue sur la toile ‒ reliant ainsi son œuvre à l’impressionnisme. CENTRE POMPIDOU, MNAM-CCI, DIST. RMN-GRAND PALAIS/JACQUES FAUJOUR

  • Précurseur de l’abstraction américaine, Mark Tobey élabore des compositions « polyphoniques » et sature la toile d’un même motif, récurrent et répétitif ‒ affinités qu’il semble partager avec Claude Monet et Camille Pissarro.

    Mark Tobey (1890-1976) : « White Journey », 1956 ‒ peinture à la colle sur papier sur Pavatex, 113,5 x 89,5 cm ‒ Riehen/Basel, Fondation Beyeler

    Précurseur de l’abstraction américaine, Mark Tobey élabore des compositions « polyphoniques » et sature la toile d’un même motif, récurrent et répétitif ‒ affinités qu’il semble partager avec Claude Monet et Camille Pissarro. FONDATION BEYELER/ROBERT BAYER/ADAGP, PARIS, 2018

  • Ellsworth Kelly  découvre « Les Nymphéas » lors d’une rétrospective consacrée à Claude Monet en 1952 à Zurich. Il se rendra ensuite à Giverny pour voir, dans l’atelier même du peintre, ces grands panneaux in situ : Kelly réalisera alors un tableau monochrome, « Tableau vert », hommage à Claude Monet et directement inspiré des « Nymphéas » : une composition unie avec de larges étendues de verts « comme de l’herbe qui bouge sous l’eau ».

    Ellsworth Kelly (1923-2015) : « Tableau vert », 1952 ‒ huile sur bois, 74,3 x 99,7 cm ‒ Chicago, The Art Institute of Chicago, don de l’artiste

    Ellsworth Kelly  découvre « Les Nymphéas » lors d’une rétrospective consacrée à Claude Monet en 1952 à Zurich. Il se rendra ensuite à Giverny pour voir, dans l’atelier même du peintre, ces grands panneaux in situ : Kelly réalisera alors un tableau monochrome, « Tableau vert », hommage à Claude Monet et directement inspiré des « Nymphéas » : une composition unie avec de larges étendues de verts « comme de l’herbe qui bouge sous l’eau ». ART INSTITUTE OF CHICAGO/ELLSWORTH KELLY FOUNDATION

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Deux ans et demi plus tard, en mai 1955, Michel Monet, fils de Claude, reçoit à Giverny deux conservateurs du Museum of ­Modern Art (MoMA) de New York. Ils sont mandatés par Alfred Barr, son directeur, pour conclure un achat : celui de l’un des grands panneaux de la série des ­Nymphéas qui n’a pas été ­intégré au cycle de l’Orangerie et est ­demeuré dans l’atelier, lequel n’a été miraculeusement ni pillé ni détruit pendant la guerre. Ils choisissent une toile de très grand format – 2 mètres de haut, 5,65 mètres de long, l’œuvre la plus vaste que le MoMA possède à cette date. Pourquoi cette ­acquisition ? Parce que Barr a compris, grâce aux ­artistes qu’il rencontre et achète à New York, que le dernier Monet, cette peinture fluide et presque dépourvue de signes figuratifs, est une référence majeure. En 1951, déjà, le MoMA avait ­acquis Peupliers à ­Giverny, ce qui avait valu au musée une lettre d’un peintre alors peu connu, Barnett Newman, qui protestait ­contre la faible ­présence de ­Monet au musée. Après une ­première réponse qu’il juge niaise, Newman ­recommence : « [Monet] a passé l’épreuve du temps et ma lettre vous accusait de l’avoir volontairement ignoré pendant près de vingt-cinq ans. »

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