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"L'Odyssée Cendrars", de Patrice Delbourg : de braise et de cendres

Une vie de bougeotte enflammée décida le jeune Freddy Hauser à s'inventer, à New York, en 1912, le pseudonyme Blaise Cendrars qui consonne avec la braise et les cendres, les deux versants de sa cyclothymie, l'enthousiasme et la noire tristesse.

Par Michel Contat

Publié le 14 octobre 2010 à 11h07, modifié le 14 octobre 2010 à 11h07

Temps de Lecture 2 min.

Image de Blaise Cendrars roulant à tombeau ouvert sur les petites routes sinueuses du Massif central en Alfa Romeo rutilante, béret vissé sur "sa trogne unique d'enluminure pour calvados millésimé", conduisant de la main gauche, cigarette fichée entre l'index et le médius, passant les vitesses avec son moignon : il avait eu le bras droit arraché par un obus, en 1915, dans la guerre où ce Suisse parisien de La Chaux-de-Fonds, canton de Neuchâtel, s'était aussitôt engagé dans le 1er régiment étranger, à 27 ans, parce qu'il préférait les Français aux Allemands. Mutilé, il fut naturalisé.

Sous de Gaulle II, en 1958, le ministre André Malraux cravata l'écrivain anar anti-idéologique avec le grade de commandeur de la Légion d'honneur. Encore debout mais à moitié paralysé, l'auteur fulgurant de ces chefs-d'oeuvre de la modernité, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France (1913), L'Or (1925), Moravagine (1926), devait mourir en 1961 dans son rez-de-chaussée parisien, âgé de 74 ans. John Dos Passos, lié à lui par une grande amitié d'anciens combattants volontaires, raconte que voyager en auto avec le "bourlingueur" était une expérience effarante. Ils se perdirent un peu de vue ensuite, Dos Passos sympathisant avec le communisme et allant couvrir en journaliste la guerre d'Espagne, l'irréductible Cendrars continuant à "sillonner la peau" du monde par d'incessants voyages qui étaient autant de fugues et de caresses aux femmes. Il le fit toute sa vie, sauf pendant l'Occupation, se réfugiant alors discrètement à Aix-en-Provence pour au moins écrire, sans publier, mais en buvant, ce qui, pour le prototype de l'écrivain-voyageur et de l'autofictionnaire somptueusement affabulateur, est un grand mal, certes, mais quand même un demi-mal.

Cette vie de bougeotte enflammée décida le jeune Freddy Hauser à s'inventer, à New York, en 1912, le pseudonyme Blaise Cendrars qui consonne avec la braise et les cendres, les deux versants de sa cyclothymie, l'enthousiasme et la noire tristesse. Patrice Delbourg, poète, romancier, la détaille dans un essai qui se lit avec jubilation parce que c'est ainsi qu'il est écrit, passionnément. Comment un auteur participant à cette fête des mots joueurs que sont "Des Papous dans la tête", sur France Culture, aurait-il pu narrer une oeuvre aussi neuve et incendiaire que celle de Cendrars autrement qu'en 26 brefs chapitres formant un portrait à la Picasso, coloré, post-cubiste, mobile comme son modèle ? Euphorisé, on a le sentiment de parcourir avec un bon compagnon qui les connaît mieux que vous une vie et une oeuvre indistinctement mêlées par le grand brassage des arts vivants et visionnaires, si caractéristique de la première moitié du XXe siècle, peinture, cinéma, art nègre, jazz, réclame, journaux, photos, vitesse, tohu-bohu urbain. Et la guerre où qu'on aille, qui démolit et renouvelle tout et ouvre l'enfer sur terre. "Je suis le premier poète à avoir vécu sur un plan mondial !", lançait Blaise Cendrars. Et Henry Miller, éperdu d'admiration, le définissait ainsi : "Une masse poétique étincelante dédiée à l'archipel de l'insomnie. "


L'ODYSSÉE CENDRARS

de Patrice Delbourg. Ecriture, 224 p., 17,95 €.

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