Babx, poète stellaire

D'album en album, l'artiste compose sa galaxie, guidée par l'exigence des mots et des sons. Dernier astre en date : "Drones personnels".

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Babx sort son troisième album,
Babx sort son troisième album, "Drones personnels". © Julien Mignot

Temps de lecture : 4 min

C'est un élégant pied de nez à l'hégémonie des ventes iTunes qui voudrait nous imposer pop, folk et R'n'B comme seul tiercé. Un bras d'honneur aux exigences si peu exigeantes des charts. Une incantation fulgurante à la beauté - des mots, des sons -, une incursion dans un univers électrique et délicat, éclectique mais cohérent. Le terme ne serait pas si galvaudé, on dirait de Drones personnels et de son auteur, Babx, qu'ils sont des ovnis.

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Il y a des filiations, pourtant, des références, le plus souvent du fait des critiques. Et s'il faut sacrifier à ce jeu, alors évacuons-les de suite : Léo Ferré, Alain Bashung, The Doors, Claude Nougaro, Barbara, Tom Waits, Radiohead, Jacques Brel. "Je suis ravi, mais je suis moi ! En même temps, je suis extrêmement reconnaissant à tous les artistes que j'ai pu plagier. Ayant écouté beaucoup de hip-hop (où les artistes samples des morceaux existants, NDLR) j'assume complètement."

Orfèvre des mots

Derrière ce nom de scène elliptique : David Babin, auteur-compositeur-interprète, qui se définit avant tout comme un musicien. Mère pianiste, grand-père chef d'orchestre, il y a déterminisme. Et qui est au fait de ses productions ne lui fera pas l'affront de le contredire. On arguera seulement qu'aux oreilles profanes il se révélera d'abord poète. Orfèvre des mots. Gare ! On ne parle pas ici de "bons mots" dont sont friands nombre de ses contemporains de la nouvelle scène française pour parler de leurs états d'âme; à l'opposé, l'écriture du tout juste trentenaire ne tient pas du prosaïsme, plutôt de la transcendance. Osons même : du chamanisme - le père est psy, là encore...

Lisez plutôt : "J'attends les ET, j'attends les étés, j'attends qu'un Vostok vienne me chercher. J'attends les ET, j'attends les fusées, j'attends les éthers et la voix lactée" ("J'attends les ET") ; ou encore : "Nous voguons tous les deux dans le brun des roulis comme voguent les villes, comme voguent les villes. Sous les coraux en feu, de pâles Ophélie filent. (...) Dans quel atoll te reverrai-je, dans quel atome t'es-tu noyée ? As-tu rejoint les sirènes irradiées ?" ("Les Noyés"). Et toutes les vannes de s'ouvrir, toute une imagerie de s'épanouir à son écoute.

Dialogue homme-machine

Pourtant, même passé au filtre de la poésie, cet album, le troisième, est bien la photographie de notre temps, dans la forme comme dans le fond. La première est "très synthétique, rugueuse, contemporaine", écrin sonore qui, autant que les mots, dit de manière à la fois survoltée, menaçante, froide, aérienne et poignante notre "ultramoderne solitude" dans un XXIe siècle dominé par les machines. Le second, le fond, digresse sur nos émotions, nos peurs qui "à la manière de drones, d'avions sans pilotes nous tournent autour, nous traquent, nous bombardent". L'artiste file les symboles, fait de l'actualité des épopées - "Tchador Woman" évoque Manal al-Sharif, jetée en prison pour avoir pris le volant en Arabie saoudite, "Naomi aime" dresse le portait d'une top-model bien reconnaissable, Néfertiti, à qui un dictateur libérien offrait des diamants poisseux du sang de la guerre, "Les Noyés" évoque autant les amours à la dérive que le tsunami, et "Helsinki", l'éruption d'Eyjafjöll.

Dans l'intimité de son studio d'enregistrement - le studio Pigalle, chargé d'histoire et dans lequel Ferré enregistra son premier album -, il confie avoir voulu établir un dialogue entre l'homme et les machines. Dès lors, le chanteur, qui avoue s'être jusque-là "planqué derrière les arrangements", a enfin poussé la voix. Il scande, murmure, crie, menace, gronde, caresse. Avec, parfois, un plaisir non dissimulé - "Despote Paranoia" est, à ce titre et à bien d'autres, délectable.

REGARDEZ Babx interpréter "Helsinki" pour Le Point.fr :

Pistes d'imaginaire

Parce qu'elle n'est pas sans conséquence, pas du genre vite entendue, vite oubliée, sa musique n'est pas toujours immédiatement accessible. Certains titres exigent plusieurs écoutes avant que nos oreilles ne les apprivoisent - à moins que ce ne soit le contraire. Une sophistication qui pourrait lui fermer les portes d'un rayonnement plus grand, il en a conscience, il n'en a cure. "Ça se fera sur la longueur, si ça doit se faire. Je suis bien avec ça." Sans concession, celui qui dit ne pas se reconnaître dans le ton "disons sautillant" - ce sont ses mots - de ce qui domine actuellement la musique a quitté son premier label, Warner - "Une erreur de casting absolue, entre Christophe Maé et Johnny, on me regardait comme une bête étrange" - pour cinq7 qui lui "laisse la liberté de faire plein d'autres choses qui ne sont pas juste être chanteur pop". "On doit tenir le cap et donner le meilleur possible aux gens, quand bien même ça implique parfois de jouer devant 50 personnes comme ça m'arrive encore. Mais je ne pense pas que la musique que je fais soit élitiste, ce sont des pistes d'imaginaire que j'essaie de jeter, c'est tout."

Et il y en a une, de piste, qui pourrait bien, enfin, le mener jusqu'aux grandes ondes, sans avoir à en rougir : "Je ne t'ai jamais aimé", ballade douce-amère dont la ritournelle ne nous lâche plus une fois entendue. Doublement séduisante parce que chantée avec Camelia-Jordana, dont il avait écrit le premier album et avec laquelle il travaille sur le second. Un tube ? En tout cas, un drone qui vise juste, comme l'ensemble des 15 titres.

REGARDEZ le clip de "Tchador Woman" :


"Drones personnels" de Babx (cinq7). En concert au Printemps de Bourges le 26 avril.

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