Miss. Tic : le charme discret du pochoir

La street-artiste, décédée le 22 mai, laisse derrière elle une œuvre délicate peinte sur les façades des grandes villes de France, mais aussi en galerie.

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Miss. Tic devant la fresque qu'elle a dessinée sur la façade du café Le Balto, rue Mazarine à Paris.
Miss. Tic devant la fresque qu'elle a dessinée sur la façade du café Le Balto, rue Mazarine à Paris. © DR

Temps de lecture : 4 min

Avec sa veste en cuir et ses lunettes de soleil, ses cheveux de jais, souvent couverts d'un béret, elle ne passait pas inaperçue. Pas plus que ses œuvres : grandes fresques colorées en noir et rouge figurant des silhouettes de femmes, accompagnées de légendes poétiques en forme d'aphorismes. La street-artiste connue sous le pseudonyme de Miss. Tic (son vrai nom était Radhia Novat) s'est éteinte dimanche 22 mai à l'âge de 66 ans.

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Miss. Tic, portrait des studios Harcourt en 2008.
 ©  DR
Miss. Tic, portrait des studios Harcourt en 2008. © DR
Ses dessins avaient commencé à fleurir sur les façades de la capitale en 1985, au lendemain d'une séparation amoureuse. C'est à ses 29 ans qu'elle disait s'être mise à couvrir, de manière quasi compulsive, les murs de Paris d'autoportraits accompagnés de formules désabusées. « Soyons heureuses en attendant le bonheur », « L'homme est le passé de la femme » ou « Je n'attends pas l'amour, c'est lui qui m'attend ».

Miss. Tic était une adepte de l'humour noir. En témoigne sa série : « C'est la vie... ça va passer ! », dont elle a couvert les murs de Montmartre vers 2010.
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Miss. Tic était une adepte de l'humour noir. En témoigne sa série : « C'est la vie... ça va passer ! », dont elle a couvert les murs de Montmartre vers 2010. © DR
Ayant grandi au pied de Montmartre, du côté du boulevard Barbès, l'artiste affichait en bandoulière un air canaille qui dissimulait une grande fragilité. Elle avait dix ans quand un très grave accident de la route tua sa mère, son frère et sa grand-mère. Elle-même avait été grièvement blessée. Tout comme son père, qui décédera en 1972 alors qu'elle n'a que 16 ans.

Nuits au poste

Après des études d'art graphique, elle commence par travailler pour des décorateurs de théâtre et des agences de graphisme, avant de devenir comédienne de rue, au sein d'une compagnie de théâtre baptisée « Zéro de conduite ».

Dans toute son oeuvre, l'artiste se joue des stéréotypes véhiculés par les campagnes de publicité.
 ©  DR
Dans toute son oeuvre, l'artiste se joue des stéréotypes véhiculés par les campagnes de publicité. © DR
Mais c'est par le street art qu'elle va devenir célèbre. Elle se passionne pour la technique du pochoir, car il permet d'agir vite et laisse sur la pierre comme une forme de tatouage. C'est en Californie, où elle a séjourné entre 1980 et 1985, que Miss. Tic dit avoir découvert l'art du graffiti. Un art alors mal accepté, dont le parfum d'interdit n'est pas pour lui déplaire.

« Je ne compte plus les nuits que j'ai passées au poste dans les années 1980 », évoquait la plasticienne, qui confiait avoir tiré son nom d'artiste d'un personnage du Journal de Mickey : une sorcière nommée Miss Tick qui tente régulièrement de voler l'oncle Picsou. La Galerie Christophe, proche des Champs-Élysées, la représente à partir de 1987.

En 1997, peu après avoir été prise en train de décorer un mur dans le Marais, Miss. Tic écope d'une amende de plus de 20 000 francs pour vandalisme. L'épisode l'incite à demander désormais systématiquement l'autorisation des propriétaires des maisons qu'elle va orner de l'un de ses dessins.

La plasticienne s'est fait connaître par le ton désabusé de ses formules.
 ©  DR
La plasticienne s'est fait connaître par le ton désabusé de ses formules. © DR
L'artiste bénéficiera d'une reconnaissance institutionnelle au tournant des années 2000 en se mettant à décliner son œuvre sur des supports divers (bois, toiles, tissus et même parpaings) tout en multipliant les livres, édités par la Galerie Lélia Mordoch qui lui consacrera de nombreuses expositions. « Miss. Tic était une magnifique personne. Son œuvre est à son image. Elle a trouvé ce point d'équilibre merveilleux entre le texte et l'image », dit d'elle Lélia Mordoch, qui l'a rencontrée à la fin des années 1990 par l'entremise d'un ami commun : l'artiste Gérard Delafosse.

Mode et cinéma

Très vite réclamée par le milieu de la mode (Kenzo ou Louis Vuitton), Miss. Tic multipliera par la suite les expériences, travaillant même pour le monde du cinéma. C'est ainsi qu'elle a conçu l'affiche de La Fille coupée en deux, de Claude Chabrol, en 2007.

Abonnée aux foires internationales d'art contemporain (elle a exposé à la Biennale de Venise, en 2006), certaines de ses œuvres ont rejoint depuis de grandes institutions muséales : le Fonds municipal d'art contemporain de Paris (1989), la collection du Victoria and Albert Museum de Londres (2005), le Musée d'Ingres à Montauban (2009), le Mucem de Marseille (2013).

Pour dessiner les motifs de ses pochoirs, Miss. Tic recourait fréquemment à des photographies d'elle mais aussi à des photos de mode et de publicité dont elle aimait tourner en dérision les slogans.
 ©  DR
Pour dessiner les motifs de ses pochoirs, Miss. Tic recourait fréquemment à des photographies d'elle mais aussi à des photos de mode et de publicité dont elle aimait tourner en dérision les slogans. © DR
Adepte de jeux de mots, Miss. Tic se jouait des stéréotypes accompagnant la représentation de la féminité. « Je détourne l'image de la femme que nous renvoient les médias, la publicité et la mode. Je développe une certaine image de la femme non pour la promouvoir, mais pour la questionner. Je fais une sorte d'inventaire des positions féminines. Quelles postures choisissons-nous dans l'existence ? » répondait-elle quand on la questionnait sur la signification de son travail.

À LIRE AUSSI Speedy Graphito entre au muséeElle précisait, sur ce point, ne pas être féministe : « Je suis pire ! Humaniste, humoriste, anarchiste. Mais ce que je délivre dans ma création, c'est surtout l'idée de la liberté, jusque dans l'interprétation. Puisque chacun peut décider du sens de ce qu'il voit, comprendre comme il l'entend le jeu de mots ou le mot d'esprit. En pastichant la femme fatale, le fétichisme, je dénonce les rapports de domination, de soumission idéologique, machiste, phallocrate. »

Miss. Tic a essaimé ses œuvres sur tout le territoire. Ici à Arles en 2007.
 ©  DR
Miss. Tic a essaimé ses œuvres sur tout le territoire. Ici à Arles en 2007. © DR
Proche de Jérôme Mesnager couvrant les murs de ses corps blancs mais aussi des peintres Jef Aérosol, Speedy Graphito ou du trio VLP (Vive La Peinture), tous héritiers des artistes de cette génération dite de « la Figuration libre » dont font partie les plasticiens Ben, François Boisrond, Robert Combas ou encore Hervé Di Rosa, Miss. Tic a influencé de très nombreux street-artistes, dont C215, JR et même Banksy. En 2011, l'artiste avait été sollicitée par la Poste pour réaliser douze timbres publiés à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes.

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Commentaire (1)

  • rusé goupil

    Excusez mous, Miss. Tic ! Mais nous, nous continuons à aimer les belles femmes (y compris les femmes fatales). Je connais aussi beaucoup de femmes qui sont en pamoison devant Georges Clooney. Et alors ? C'est beau également, un bel homme !