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Livres. Edith Wharton et Henry James. Deux Américains en Europe

Destins croisés. Des amis et des goûts communs, l'amour partagé de la France et de l'Italie ont rapproché les deux écrivains: ils se sont admirés durant quinze ans, avec un zeste de jalousie.

Nés tous deux à New York à vingt ans de distance, lui en 1843 dans un milieu aisé et cultivé d'origine irlandaise (le philosophe William James est son frère aîné), elle en 1862 dans une ancienne et richissime famille new-yorkaise, Edith Wharton et Henry James ne se sont rencontrés que tardivement, en 1903, à Londres. James vit depuis 1875 en Europe, qu'il connaît depuis longtemps (son premier souvenir d'enfance, la colonne Vendôme à Paris, date de sa deuxième année): il se partage alors entre sa maison du Sussex et Londres, où il meurt en 1916, six mois après avoir obtenu la nationalité anglaise.

Edith Wharton, elle aussi, a découvert précocement l'Europe mais elle ne s'établira définitivement à Paris, où elle loue un appartement dès 1906, qu'après son tardif divorce d'avec un mari névrosé qu'elle n'a jamais aimé: c'est en 1913, année où elle publie avec succès un roman ironiquement intitulé Les beaux Mariages… Juste après la guerre de 14-18 où elle s'est dépensée sans compter pour aider les réfugiés, les chômeurs et les femmes sans ressources, elle achètera une propriété à Saint-Brice, près de Paris, où elle mourra en 1937, ainsi que le château Sainte-Claire et ses jardins sur les hauteurs d'Hyères.

Son énergie vitale et les gros tirages que connaissent ses livres ne sont pas sans indisposer parfois le puritain et thésauriseur James, qui a moins de succès et connaît quelques difficultés financières auxquelles son amie tente de remédier: après l'échec d'une souscription publique, elle aura l'idée de lui faire allouer discrètement une importante somme par leur éditeur commun, Scribner's. Ce qui les sépare aussi, comme le dit justement Diane de Margerie dans son excellente étude sur Edith Wharton, c'est la question du «point de vue» sur l'œuvre: James s'intéresse davantage à la forme et au drame d'une conscience centrale qu'il analyse jusque dans ses plus infimes ramifications, tandis qu'Edith préfère prendre pour cible un personnage plongé dans son milieu social, qu'elle décrit avec un sens très juste du détail vrai.

Ce don pour la satire, le maître qu'est James le relève dès sa première lettre adressée en 1900, donc avant leur rencontre, à celle qui n'a encore publié que des nouvelles: «Je ne saurais que vous inciter à étudier cette vie américaine qui vous entoure. Laissez-vous envahir par le sujet, empoignez-le – c'est un domaine pratiquement inexploré. […] N'oubliez pas d'utiliser à plein vos dons pour l'ironie & la satire; ils constituent (à mon sens) un moteur des plus précieux & des plus bénéfiques.» On le vérifiera en lisant le plus récemment traduit des nombreux romans d'Edith Wharton: Les New-Yorkaises, portrait-charge un brin caricatural d'une riche Américaine fortunée et aveuglément optimiste, qui veut tout régenter autour d'elle, famille et œuvres charitables, sans jamais s'interroger sur les raisons profondes de cet activisme frénétique.

Diane de Margerie propose mieux qu'une biographie: un éclairage sur quelques points de jonction révélateurs entre la vie et l'œuvre de son modèle, qui les a évoqués de façon parfois prémonitoire dans certains de ses livres, «comme si le seul fait d'imaginer et d'écrire influait sur la vie réelle; comme s'il arrivait aux écrivains de se déterminer eux-mêmes en voulant donner corps à la vie qui n'existait que dans leur imaginaire». Avec finesse, l'essayiste analyse le besoin effréné de plaire né du manque d'amour maternel dont a souffert Edith, les raisons de son mariage raté, sa découverte tardive de l'amour, son besoin de s'affirmer comme écrivain et son agacement d'être sans cesse comparée à James, son respect des convenances et sa lucidité, ses multiples engagements sociaux et son ombrageuse timidité…

Au terme de son étude, complétée par une bibliographie commentée et la liste de toutes ses œuvres traduites en français (et souvent disponibles en poche), Diane de Margerie conclut par ces mots attristés du grand critique d'art Bernard Berenson, avec qui Edith avait voyagé en Italie en compagnie de James: «Pour moi, elle ne sera jamais morte. […] Comment pourrait-il en être autrement après trente ans d'intimité spirituelle et d'affection fraternelle?»

Diane de Margerie

Edith Wharton, Lecture d'une vie

Flammarion, 286 p.

Edith Wharton

Les New-Yorkaises

Trad. de Jean Pavans

Flammarion, 294 p.