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Subjectives: Lettre de roumanie: Dracula, le vampire généreux

Un paysage d'une beauté sauvage, un endroit plein de mystère, de magie,

Un paysage d'une beauté sauvage, un endroit plein de mystère, de magie, exotique, à la fois lointain et familier, voilà ce que cherchait l'écrivain irlandais Bram Stoker en 1897, quand il prit la plume pour écrire Dracula, le comte vampire (lire LT du 27 mai 1999). Son périple romancé – basé sur des éléments historiques dénichés dans les traités de l'époque – reproduit à s'y méprendre l'ambiance de la Transylvanie. A première vue, il n'y a pas de différence entre les vallées que surplombent les Carpates au sud-est de la Transylvanie et les vallées des Alpes suisses.

Mais la Roumanie de l'après-Ceausescu n'est pas la Confédération helvétique. Et, à la place des chalets et des coquettes villas qui émaillent les collines suisses, les vallées roumaines n'offrent au regard que des habitations paysannes de fortune et des routes défoncées. Sauf dans le village de Bran, où se dresse sur une haute colline le fameux château de Dracula: ici, un Suisse ne se sentirait pas dépaysé.

Région privilégiée durant l'époque communiste, puisqu'elle a échappé au programme de collectivisation instauré par le dictateur, le village de Bran s'est développé à un rythme plus rapide que ses voisins. Les bergers y faisaient fortune dans un pays ruiné par l'économie centralisée. Aujourd'hui, c'est le tourisme rural qui prend la relève. Le château de Bran, avec les fantasmes entretenus au sujet de son sanguinaire locataire du XVe siècle, le comte Dracula, attire quelque 50 000 touristes par an venus de tous horizons. Américains, Européens, Asiatiques, tout le monde est là.

Tout le monde, sauf Dracula. «Ce n'est qu'une légende, explique Bianca Reit, une guide du château. Vlad l'Empaleur, l'ancêtre supposé de Dracula, aurait passé quelques nuits dans ce château et l'histoire s'arrête là. Mais je ne peux dire la vérité aux touristes qu'à la fin de la visite, sinon leur déception les chasserait tout de suite du château. J'ai vu des Américains pleurer pendant des heures parce qu'ils avaient raté le rendez-vous tant rêvé avec le vampire!» Et une habitante du village évoque l'histoire de cette Chinoise prise de panique parce qu'elle avait perdu son collier d'ail juste avant d'entrer dans le château maudit.

Dracula ne fait pas l'unanimité en Roumanie. La plupart des historiens s'insurgent contre cette légende qui nuit à l'image de Vlad l'Empaleur, un héros national qui fut un valeureux défenseur de la chrétienté face à la menace ottomane. Mais les hommes d'affaires ont vu là l'occasion d'empocher des gains considérables. Florea Pircan, propriétaire d'un grand restaurant de Bucarest, s'est dépêché d'investir les lieux sitôt après la chute de Ceausescu, fin 1989. Neuf ans après, il a réussi à mettre en place un impressionnant motel aux standards occidentaux. Ses projets sont à la hauteur de ses fantasmes les plus osés.

«Il ne me reste qu'à décorer les murs de masques de Dracula, raconte-t-il. Je compte proposer des balades en calèches, des vraies, comme au temps du vampire. J'ai pensé aussi à des plats du genre grillade hors-la-loi, friture Dracula ou steaks héroïques. C'est un domaine où tout est possible.» Sa logique a été adoptée par la majorité des villageois de Bran, qui propose des chambres à louer et des menus adaptés au goût des aventuriers à la recherche de Dracula. Il suffit de traverser ce village prospère pour mesurer le succès post mortem du vampire imaginaire. Comme quoi la fiction peut concurrencer avantageusement la réalité.