Les parutions de fin septembre jouent des coudes dans notre palmarès...

La sélection littéraire de L'Express

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Oyana

Par Eric Plamondon. Quidam éditeur, 152 p., 16 ¤.

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La note de L'Express : 14/20

Les guerres civiles ont ceci de cruel que les ennemis d'hier ne peuvent s'oublier puisqu'ils se connaissent depuis l'enfance, que les fautes passées jamais ne s'effacent des mémoires. Mai 2018, ETA annonce sa dissolution. Oyana, née au Pays basque, mais installée au Québec depuis plus de vingt ans, décide de rentrer en France. Au cours de ces quelques jours qui séparent Montréal de Saint-Jean-de-Luz, les digues qu'elle a construites pour contenir son passé craquent. Qu'a-t-elle fui à l'époque ? Qu'affronte-t-elle aujourd'hui ? Pourquoi n'a-t-elle rien dit à son compagnon rencontré par hasard au Mexique ? Comment lui raconter une vie de mensonge ?

Pour livrer cette histoire complexe, Eric Plamondon, lui-même né au Québec et habitant aujourd'hui Bordeaux, alterne les lettres qu'adresse Oyana à son conjoint, le récit de ses souvenirs, des extraits d'articles de presse ou des documents. Avec une pointe d'accent québécois - mais la province n'a-t-elle pas aussi rêvé d'autonomie ? - certains passages éclairent les moments personnels, d'autres la "grande" Histoire. Tous parlent de la lutte armée, des hasards qui parfois y conduisent, des conséquences imprévisibles de certains choix. Tous racontent le poids du groupe qui décide d'un destin, l'infinie différence entre l'histoire que l'on a cru vivre et ce que l'on a réellement vécu.

En quelques mots, en peu de pages, Eric Plamondon, auteur du déjà remarqué Taqawan qui lui a valu le prix France-Québec saisit une vie toute entière. Il attrape les détails du quotidien, un film regardé en couple, un repas partagé, pour dire les silences qui séparent. Il fait vivre les lieux - la Nivelle à Saint-Jean de Luz, le bar de la Marine - pour faire éprouver les sensations d'une héroïne rattrapée par son passé. Cela donne un livre vivant, au plus près du ressenti des protagonistes, loin des analyses des historiens et des commentateurs.

A la manière de Patria, de Fernando Aramburu (2018), qui racontait la version espagnole de l'après-ETA, Oyana s'inscrit dans une littérature toute en nuances. Parce que dans la lutte d'indépendance - au pays basque comme ailleurs -, les faux-semblants sont nombreux et les coupables pas forcément ceux que l'on imagine. Seule certitude, ces conflits ne laissent que des vies brisées derrière eux. A.L.

Eric Plamondon

Oyana

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Du corps à l'ouvrage

Par Eric Dussert et Christian Laucou. La Table Ronde, 216 p., 24 ¤.

La note de L'Express 18/20

Après avoir lu cet ouvrage, vous ne regarderez plus jamais vos livres de la même manière. Ce dictionnaire des termes liés à l'imprimerie, à la typographie et à l'édition propose une exploration savante et ludique de l'univers de l'imprimé. Ainsi, vous ne confondrez plus le "dos" et la "tranche" d'un roman, vous saurez que le mot "bouquin" vient peut-être de "bouc" (eu égard à son odeur...) et que la toute première apostrophe de l'Histoire fut imprimée en Italie, en 1501, dans une oeuvre de Pétrarque.

Nombre des termes répertoriés par Eric Dussert et Christian Laucou, respectivement bibliothécaire à la BnF et typographe, sont pittoresques : un "moine" est un blanc causé sur la page par un défaut d'encrage (par analogie avec la tonsure...), une "rue" est une ligne blanche verticale produite involontairement par des mots d'égale longueur disposés sur plusieurs lignes horizontales, et une "chiure de mouche", une apostrophe droite...

Nos deux auteurs complètent ce lexique par un très utile "cahier technique" dans lequel on apprend mille choses : les formats de papier (Grand Aigle, Raisin, Grand Jésus, etc.), le calcul du corps des caractères (le point Didot équivaut à 0,376 millimètre) et tous ces termes techniques imagés servant à désigner certaines parties des caractères d'imprimerie (la goutte, l'empattement, la hampe, la panse...). Mention spéciale pour la présentation de ce Corps à l'ouvrage, claire, pratique, élégante. Fort de notre tout nouveau savoir, nous dirons donc que le premier plat, la couvrure et les rabats sont particulièrement réussis, que la main est agréable, sans parler de la petite diablerie dans la reliure. Hautement recommandé à tous les amoureux de la chose imprimée. J.D.

Eric Dussert

du corps à l'ouvrage

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Anatomie du Bison. Chrono-bio-bibliographie de Boris Vian

Par Christelle Gonzalo et François Roulmann. Editions des Cendres, 216 p., 38 ¤.

La note de L'Express : 18/20

Boris Vian l'avait toujours dit : "Je n'atteindrai pas mes 40 ans." Il a tenu parole, victime d'une attaque cardiaque à 39 ans, alors qu'il assistait à une projection de J'irai cracher sur vos tombes. C'était en 1959. A l'occasion du soixantième anniversaire de sa disparition paraît un étonnant ouvrage illustré sur l'auteur de L'Ecume des jours. On le doit à un couple de libraires, fervents spécialistes de "Bison Ravi" (l'anagramme de son nom par lequel Boris Vian a signé ses premiers articles), qui avaient déjà participé à l'édition des OEuvres romanesques de l'écrivain dans la Pléiade.

Cette "chrono-biographie" suit littéralement l'écrivain-trompettiste au jour le jour selon un principe simplissime : texte à gauche ; iconographie, souvent inédite et poignante, à droite. Et Dieu sait si les jours et les nuits de Boris Vian étaient remplis ! Ce ne sont qu'escapades à Saint-Tropez, concerts de jazz au Tabou, articles pour Combat, remise de manuscrits chez Gallimard, lancement de disques chez Philips... On découvre ainsi au passage que c'est Boris Vian qui a dirigé l'enregistrement par Miles Davis de la musique d'Ascenseur pour l'échafaud, que L'Ecume des jours fut un flop à sa sortie, (il s'en vendit moins de 4000 exemplaires en quinze ans !) ou que l'auteur du Déserteur a tourné dans un roman-photo kitsch tiré des Liaisons dangereuses.

En s'appuyant notamment sur les agendas de Michelle, la première épouse de Vian, mais aussi sur sa correspondance, souvent savoureuse, Christelle Gonzalo et François Roulmann restituent à merveille la frénésie mélancolique de l'auteur de La Java des bombes atomiques. Des photographies rares exhumées ici, où on le voit tantôt avec Juliette Gréco, tantôt avec sa seconde épouse, Ursula Kübler, transparaît aussi cette fameuse insouciance de l'après-guerre. A ce foisonnement d'informations et de documents vient encore s'ajouter une rigoureuse recension de tous les ouvrages de Vian, achevant de faire de cette Anatomie du Bison un joyeux ouvrage de référence. J.D.

Christelle Gonzalo

Anatomie du bison

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A la ligne. Feuillets d'usine

Par Joseph Ponthus. La Table ronde, 270 p., 18 ¤.

La note de L'Express : 18/20

Ils ne sont pas si fréquents, les livres qui vous prennent aux tripes et vous laissent sonnés, entre ébahissement et effarement. A la ligne, de Joseph Ponthus n'est pas seulement un formidable premier roman, c'est aussi un livre coup de poing, un ouvrage, on ose le dire, essentiel. Oui, essentiel pour approcher, voire comprendre, le monde de l'usine, celui des forçats de l'industrie agroalimentaire du XXIe siècle. L'auteur, Joseph Ponthus, la quarantaine, étudiant lettré devenu éducateur spécialisé, a quitté la région parisienne pour l'amour d'une femme. A Lorient, les boîtes d'intérim ne lui proposent que des jobs d'ouvrier. Alors, va pour la conserverie de poissons, ses embauches à 5 h 30, sa température glaciale, ses néons blafards, ses cadences infernales, ses gestes répétitifs, ses pauses clopes-café, ses lignes de production à l'infini de crevettes congelées, de sardines, de chimères, de bulots ("le coquillage le plus con qui soit au monde") ou de maquereaux.

Joseph Ponthus, lui aussi, va à la ligne, souvent, sans ponctuation, et surtout pas de points de suspension. Car la chaîne ne s'arrête jamais avec ses tonnes de produits à porter, trier, égoutter, au risque de se geler les doigts, de s'esquinter les pieds et de se casser le dos. "Si j'avais su/Vingt ans plus tôt/Sur les bancs de l'élite/Prétendue/Que le père Godot m'aiderait à en rire de tout ça" : pour supporter la besogne, l'auteur pense à Beckett, Dumas, Apollinaire, Rabelais, mais aussi au Journal d'un manoeuvre de Thierry Metz, "un chef-d'oeuvre". Il chante Trenet à tue-tête, évite de trop regarder l'horloge, compte les heures, les minutes. Puis, chez lui, fourbu, comateux, il promène son chien, Pok Pok, et fait des vers, libres, fluides, autant de "feuillets d'usine" qui enchantent le monde.

Au lendemain de Noël - "Fini pour toi/A la prochaine/Petit intérimaire" - changement de boulot, Ponthus part à l'abattoir. Nettoyage de nuit d'un atelier de découpe de porc : "J'arrive avec mon tuyau/Tout est rouge de sang et blanc de gras". Bientôt, les carcasses à charrier, à raccrocher. Et pourtant, au terme de ce merveilleux chant poétique, Ponthus le reconnaît : au diable les psychotropes, l'usine l'a apaisé "comme un divan". A moins que cela ne soit l'amour... M. P.

Joseph Ponthus

À la ligne

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