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Et vous, quand vous riez, ça fait «ha ha» ou bien «ah ah» ?

Tour d'horizon de l'expression de la bonne humeur dans nos conversations écrites.
par Guillaume Lecaplain
publié le 2 novembre 2019 à 8h59

Quand votre belle-sœur en sort une bien bonne sur le groupe WhatsApp qui réunit votre famille, quelle est votre réaction ? Pour manifester que la saillie vous a fait rire, il y a deux écoles : ceux qui écrivent «ha ha» et les partisans du «ah ah». Qui a raison ?

Autour de nous, personne n'est d'accord. Un voisin de table tranche : «On est d'accord que c'est "ha ha", hein ?» Une collègue s'insurge : le h, elle le met après le a et pense qu'elle a raison. Un éditeur de Libération avance pour sa part que le «ha ha» serait surtout anglo-saxon parce que, dans cette langue, les h sont aspirés. Une autre, éditrice elle aussi, assure qu'au contraire, en bon français, on rit en «ha ha». Mais «les Anglais écrivent ha ha», selon un ami qui a habité Bristol pendant des années − un autre ami, américain celui-là, répond pourtant à toutes nos blagues (il est poli) avec des «ah ah».

Dans les conversations par textos, et après une enquête toute subjective, force est de reconnaître que les «ah ah» sont plus nombreux que les «ha ha». Ce serait une faute, et la bonne graphie est avec le h en premier, analyse un utilisateur du forum Reddit qui s'est penché sur la question («Vous écrivez "hahaha" ou "ahahah" ?»). Sur Twitter, le vidéaste Kazuki Inuzuka a le même avis : il a publié en mars 2018 une vidéo pour se moquer des utilisateurs du «ah ah».

Bon, alors ? Eh bien (1) tout le monde a raison. D'ailleurs, ah ou ha, c'est le même mot. L'Académie française indique qu'«ah» est attesté en français depuis le XIsiècle, mais qu'on trouve déjà ce mot «en latin sous la forme A ou Ha». Quant à la définition, l'Académie écrit : «Onomatopée imitant le bruit d'un éclat de rire.» Et propose comme à chaque fois un exemple : «Ah ! ah ! ah ! que c'est drôle !»

A l'article «ha», l'Académie propose cette fois : «Redoublé ou répété, pour imiter avec affectation le bruit du rire.» Avec le même exemple que pour l'«ah» : «Ha ! ha ! ha ! comme c'est drôle !» 

Interchangeables chez Molière

Le Littré, un des dictionnaires de référence de la langue française − mais pas actualisé depuis sa rédaction à la fin du XIXsiècle, est entièrement disponible gratuitement sur le Web. Que nous dit-il à propos de cet épineux problème ? Il consacre un paragraphe à la différence entre ah et ha. «Si l'on éprouve un sentiment de joie, de douleur, une émotion vive, on l'exprime en proférant le son prolongé ah, et c'est l'h qui, placée après ce son, peint cette durée», explique le dictionnaire. «Un homme, plongé dans ses réflexions, marche sans regarder devant lui ; il trouve quelque chose qui l'arrête : un fossé par exemple ; il fait un mouvement, et dans sa surprise s'écrie : ha !» Bref, l'ah exprimerait un sentiment qui dure un peu, l'ha la surprise. Mais c'est loin d'être aussi simple, puisque le Littré explique par ailleurs que dans certaines pièces de Molière, dans un temps où la langue était d'ailleurs beaucoup moins fixée qu'aujourd'hui, «les éditions portent les unes ha ! et les autres ah !»

Bon, mais si les deux sont interchangeables, d'où vient cette impression que l'«ah ah» est plus souvent usité que l'autre ? Libération a posé la question au dictionnaire le Robert. «Ma seule hypothèse est que l'"ah" étant d'emploi plus large (avec notamment l'"ah" de soulagement : "ah ! enfin !"), les locuteurs du français sont plus habitués à voir cette graphie et donc à l'écrire ainsi eux-mêmes», explique Edouard Trouillez, lexicographe au Robert.

«Hé hé», c’est «l’adhésion gourmande»

Reste que, pour exprimer son hilarité, «ha ha» n'est pas la seule réaction possible. «Hi hi» est tout à fait français aussi, «hé hé» fonctionne aussi, mais plutôt «pour marquer une sorte d'adhésion gourmande, de complicité, parfois railleuse ou ironique», note joliment l'Académie. Evidemment, l'acronyme LOL (pour «laughing out loud») et sa version française le sigle MDR (pour «mort de rire») sont encore couramment employés. Davantage que PTDR, un peu daté, ou le totalement oublié (hélas, parce que l'expression était en soi une blague) «enkuler de rire».

Mais nos conversations écrites s’enrichissent aussi des gifs : la plupart des outils numériques proposent un catalogue de ces images qui bougent, en fonction des émotions qu’on souhaite exprimer.

On voit d'ailleurs que WhatsApp (capture ci-dessus) a choisi pour le rire d'écrire «haha», ce qui n'est pas correct : la bonne graphie serait «ha ha», en deux mots. La forme «haha» existe bien, mais c'est pour désigner une «ouverture pratiquée dans le mur d'un jardin, d'un parc, surplombant un saut-de-loup», ce qui n'a rien à voir.

Enfin, notre vocabulaire écrit comprend désormais les émojis, aux nuances presque infinies. Quatre d’entre eux peuvent exprimer le rire, du large sourire au grand éclat de rire qui va jusqu’à déstabiliser l’horizontalité du visage.

Le dernier de cette liste, et qui est aussi le plus récent (il a été validé en 2016) s'appelle «rolling on the floor laughing» (siglé ROFL sur les réseaux sociaux) qu'on peut traduire par : rire jusqu'à en rouler par terre. Pour en arriver là, il faut vraiment que la sortie de votre belle-sœur soit irrépressiblement hilarante.

(1) En revanche, on ne peut pas écrire ici «hé bien», ni même «et bien» : la forme correcte est «eh bien».

Pour aller plus loin :

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