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Libération

Le roman-photo ressort de sa bulle

par Isabelle Hanne
publié le 5 novembre 2012 à 10h41
(mis à jour le 5 novembre 2012 à 10h43)

Un peu honteux, un peu has been , le roman-photo. Pourtant, au faîte de sa gloire, le genre a attiré des stars extrêmement populaires, tels Gina Lollobrigida, Johnny Hallyday, Hugh Grant… Un beau livre, Nous Deux : la saga du roman-photo , présente les origines et retrace l'histoire de ce format un peu hybride, à cheval entre BD, roman et cinéma.

Nés dans les années 20, les ciné-romans, apparus dans le sillage du cinéma muet, sont considérés comme les ancêtres du roman-photo. Mais ce dernier naît vraiment de l'intuition des frères Del Duca, patrons d'une maison d'édition, dans l'Italie de l'immédiat après-guerre. Trois revues vont, progressivement, définir le genre : Grand Hotel, Il Mio Sogno et Bolero , entre 1946 et 1947 -- d'abord romans dessinés, puis photographiques. Au même moment naît le cinéma néoréaliste italien, et la concomitance n'est pas anodine : au départ, cinéma et roman-photo sont perméables. Acteurs, photographes, scénaristes peuvent travailler tantôt pour l'un, tantôt pour l'autre. «Le roman-photo, je dis toujours que c'est du cinéma de papier» , précise Bruno Takodjerad, l'un des auteurs du livre, spécialiste et collectionneur de romans-photos.

Karl Lagerfeld dans Grazia

Dans l'Italie postmussolinienne en mal de divertissement, le succès des romans-photos est immédiat : Bolero et Il Mio Sogno se vendent à 600000 exemplaires. Grand Hotel dépasse le million. Tous les codes sont déjà là : le nombre de photos par page (une vingtaine), les bulles, le scénario romantico-romanesque. Car c'est souvent à peu près la même histoire : celle d'une femme seule, meurtrie, qui à la fin trouve son chevalier servant qui va la tirer d'affaire. Les romans-photos vont trouver une place de choix dans la presse de cœur, comme on appelle les journaux à l'eau de rose destinés au lectorat féminin.

Cino, le troisième frère Del Duca, décide de tenter sa chance en France. En 1947, il lance Nous Deux , hebdo sosie du Grand Hotel italien. «En l'espace de quelques années, le tirage de Nous Deux franchira allègrement le cap du million d'exemplaires, ce qui en fera le magazine féminin le plus vendu en France» , affirme la Saga du roman-photo . Conforté par ce succès, Del Duca va lancer Intimité, Madrigal, Festival, Télé-Poche … Dont les pages sont pleines de romans-photos.

D'une lecture facile, le roman-photo s'impose rapidement comme un genre populaire. «Il faut remettre en contexte le succès du roman-photo , tempère Takodjerad. À l'époque, il y avait très peu de salles de cinéma, les gens n'avaient pas la télévision.» Au milieu des années 60, la France compte une trentaine de publications proposant des romans-photos. Toutes les vedettes yé-yé y figureront en noir et blanc : Hallyday, Vartan, Dalida, Sacha Distel, Frank Alamo… Le roman-photo devient un efficace outil de promotion pour de nombreux artistes.

Johnny Hallyday dans le numéro 886 de Nous Deux, paru le 5 juin 1964

Le genre a une esthétique, et n'hésite pas à se saisir de grands sujets de société, d'histoire ou de littérature. Avec ses récits «parfois très poignants, très réalistes» , sur «la pauvreté, l'impuissance masculine, le viol» , le roman-photo a eu une «vocation cinématographique» , affirme Takodjerad. Et de conclure : «Pourtant, ça a toujours été considéré comme un art mineur.»

Le roman-photo va aussi chercher du côté des histoires policières ( Jenifer Top Secret ), biographiques (sur Marilyn Monroe, Jean-Luc Lahaye…), parodiques ( Hara-Kiri ou Fluide Glacial ) et même érotiques ( Supersex ou Menelik en Italie). Pour tomber peu à peu en désuétude. Aujourd'hui, Nous Deux (279085 exemplaires en diffusion France payée en 2011) publie vaille que vaille au moins deux romans-photos par semaine. La presse africaine ( Amina ) et pour ados en publie encore régulièrement. Le roman-photo a déserté depuis longtemps la presse généraliste, mais a fait quelques réapparitions clins d'œil, récemment, dans des magazines féminins et people : Grazia , qui en a fait sa série d'été, et Voici . Bruno Takodjerad, lui, voit l'avenir du roman-photo «dans la tablette, à condition que son usage se démocratise à toutes les couches de la société» .

Paru dans Libération du 2 novembre 2012

Nous Deux : La saga du roman-photo

_ de Dominique Faber, Marion Minuit et Bruno Takodjerad

_ éditions Jean-Claude Gawsewitch, 240 pp., 39 €.

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