«Comment aurait-il pu imaginer qu'il se retrouverait dans un état pire, écrasé sur lui-même comme une étoile mourante?»

Gébé, Polaroid, avril 2003

Si tout s'était bien passé, on aurait fermé la semaine avec le citoyen Nicolas Miguet. Bon client, ce Miguet, gueule d'affamé affairiste, bonimenteur tel que la Bourse les accouche, sans cesse à se refaire la cerise et la cagnotte, marchand de tuyaux bancaires, banqueroutier, interdit de gestion cinq ans durant et, depuis trois jours, explosant les écrans en gourou de petits porteurs qui jouèrent à Eurotunnel comme on joue au bandit manchot, mais escomptent sans rire que vous et moi leur feront la monnaie. L'entendant mercredi proclamer sa «démocratie actionnariale» (sic), je le cadrai, Miguet, en emblème de tout ce qui révulse dans la médiocrité spéculatrice, fin et moyen du capitalisme tel que le scande l'index hystérique de Nicolas Sarkozy : de (France d'en) haut en (France d'en) bas, comme un couperet de guillotine. Puis il m'apparut que le monde des Miguet n'était décidément pas compatible avec celui de Gébé. Car on l'enterrait jeudi, Gébé, dessinateur et prosateur désespéré. Alors, plutôt que m'asphyxier de Miguet et des remugles de son sale argent, j'ai préféré respirer dans la nuit l'encre noire de Gébé, et retrouver, dans Charlie collectionné, son trait capital et ses mots manuscrits, intimement enchevêtrés ; comme s'il n'y avait jamais assez de place, dans ses cases, pour dire que non, mais qu'on n'y couperait pas, à cette guerre. Au printemps belliqueux de l'an passé, ses humains lourdement armés et casqués, métamorphoses d'insectes kafkaïens, dessinaient l'absolue négation des soleils fleuris de l'An 01, éteints l'autre siècle ­ c'était il y a un siècle. Gébé ­ qui, à l'opposé de Miguet, n'écrivait jamais de lui qu'à la troisième personne ­, il n'y eut pas que le crabe pour l'emporter. Il y eut aussi, un peu beaucoup, des tas de Miguet pour le faire s'enfouir.