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Portrait

Fabrice Lardreau «La montagne fonctionne très bien avec l’écriture»

Une saison à la montagnedossier
Dans la revue de la Fédération des clubs alpins, l’écrivain Fabrice Lardreau mène depuis douze ans des entretiens avec des auteurs français et étrangers proches de la montagne. Sujet où affleure l’intime.
par Frédérique Roussel
publié le 2 février 2017 à 17h06

Presque logiquement, Fabrice Lardreau travaille à la Fédération française des clubs alpins et de montagne (FFCAM), à Paris. Pas de sommet en perspective, si ce n’est la légère côte de l’avenue de Laumière.

«Vous verrez, vous pourrez admirer le plus grand ficus du monde !»

avait-il lancé, au téléphone. En effet, la plante en question a profité du patio profond et élevé des lieux pour prendre ses aises au fil des années. Elle était déjà là avant que Fabrice Lardreau ne pose son sac en 1998. Originaire de Bourg-la-Reine, dans la banlieue sud de Paris, cet ancien étudiant du Celsa, aujourd’hui 50 ans, a suivi le modèle du ficus en incrustant ses portraits au fil des années dans les pages de la revue de la FFCAM,

la Montagne & Alpinisme.

Et en étoffant livre après livre sa bibliographie personnelle. Son onzième titre (dont sept romans), sort en mars (1). Le journaliste se double ainsi d’un écrivain de longue date qui a éclos juste avant la trentaine.

«Puissance d’appel»

«J'ai créé la rubrique "Portraits" dans la revue pour essayer de comprendre en quoi la montagne est importante dans la vie d'écrivains ou d'artistes», raconte Fabrice Lardreau. Il y a songé après sa première rencontre avec Philippe Claudel (la Montagne & Alpinisme, automne 2005). L'auteur des Ames grises, alpiniste chevronné, lui disait : «La montagne a une puissance d'appel inégalée ; elle recèle une dimension profonde, mystérieuse, mais a aussi une part très enfantine.» Pourquoi ne pas faire parler des personnalités sur leur rapport à la montagne même s'ils ne sont pas connus pour ça ? Le journaliste de montagne réalise depuis presque douze ans quatre entretiens par an. Sur le total, il y a quelque trente écrivains comme David Vann, Ian McEwan, Belinda Cannone, Emmanuel Carrère, Rick Bass… Céline Minard dans le numéro qui sort en mars.

Quelques rapprochements se sont fait jour. Ainsi, «la montagne fonctionne très bien avec l'écriture, poursuit Fabrice Lardreau. Les auteurs sont majoritairement des gens horizontaux, des randonneurs, rarement des adeptes de l'escalade.» Emmanuel Carrère parle d'une question de souffle et de pas avec une partie finale dans les deux cas qui s'accélère un peu après les tâtonnements du début. L'auteur de D'autres vies que la mienne va chaque année marcher avec un ami en Suisse dans le Valais. Mais d'autres préfèrent s'y rendre seuls pour écrire ; la marche et le silence soutenant la mise en place de la narration. Dans l'entretien qu'elle a donné à Fabrice Lardreau, Belinda Cannone estime que la montagne est un espace prisé par les écrivains parce qu'on peut s'y concentrer. «Woodworth parlait de synergie entre la métrie de ses poèmes et la longueur de ses pas, ajoute-t-il. L'esprit et le corps se calent sur un rythme commun.» Le rapport à l'espace se calque sur un rapport à l'écrit.

La fréquentation des cimes obéit à certains rituels. Chacun a ainsi son massif de prédilection. La majorité affectionnent les Alpes, à l'instar de Michel Butor qui y vivait. Ian McEwan fréquente plutôt les Cévennes, et il ne manque pas d'amener dans ses sorties un Bordeaux et de petits gobelets en métal. Emmanuel Carrère, lui, se munit d'une bouteille de Fendant, un vin blanc du Valais. «La montagne ramène à des plaisirs simples : un sandwich jambon-beurre devient un festin avec une belle vue. Elle décuple les petits plaisirs.» Mais elle a aussi sa face sombre. «Jean-Christophe Grangé a parlé de la glace comme de la mort. Il apportait autre chose sur la montagne à laquelle je n'avais pas pensé.» C'est un espace associé à la peur et à l'ombre, à l'image de la dichotomie adret-ubac, soleil-ombre.

Voile social levé

Certains ont refusé de parler montagne avec Fabrice Lardreau, qui tombe sur ses proies après avoir repéré ici ou là un article, une citation ou une référence à un livre qui le met sur la piste du montagnard. Ainsi Yasmina Reza n'a pas donné suite. «Je lui avais envoyé le portrait d'Emmanuel Carrère et elle ne se voyait pas évoquer des choses aussi intimes que lui.» La montagne a donc à voir avec l'intimité. Elle lève le voile social. «Selon Ian McEwan, les gens abandonnent assez vite le vernis social pour parler d'eux de manière intime et assez simple.» L'épisode de la descente s'avère le plus révélateur. «Elle permet, selon Pascal Bruckner, une libération du corps et de l'esprit. On commence alors à bavarder et on se livre pas mal.»

Fabrice Lardreau aurait pu s'interviewer lui-même… Un écrivain-journaliste-montagnard. A 10 ans, il découvrait les joies de la rando avec son père, membre du Club alpin français et puis marchait avec lui tous les ans dans les Hautes-Alpes, mais aussi en Autriche et en Suisse. L'adulte essaye chaque année un nouveau massif. Il y a trois ans, c'était le Canigou dans les Pyrénées-Orientales. «C'est une randonnée sublime qui traverse des paysages très différents. Je suis partie au petit matin, et j'ai enfilé la course en quatre heures.» L'année dernière, Fabrice Lardreau a fait le massif du Pilat, il est passé au «fabuleux» col de la Croix-Morand que chante Jean-Louis Murat. «Dans les massifs, la vue porte extrêmement loin. Du Pilat à 1 400 mètres, on voit jusqu'aux Alpes. La sensation physique de voir le monde, avec des plans et des arrière-plans.»

L'écrivain a poussé tôt la porte de la revue l'Atelier du roman. Il était soutenu par Michel Houellebecq dès son deuxième roman, Une fuite ordinaire. «La montagne m'a amené à m'intéresser à des choses de grande haleine, au roman comme grande randonnée. Mes livres et portraits se situent dans la suite logique de l'été 1975.» A l'été 1975, à 10 ans, Fabrice Lardreau appréciait sa première ascension au sommet du mont Buet. Cet été-là, Truffaut tournait l'Argent de poche qui démarre à Bruère-Allichamps, le centre exact de la France. Cette France médiane est le sujet de son prochain livre.

(1) Le Carrefour invisible, Editions Plein Jour, 168 pp., 15 euros. En librairie le 9 mars.

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