Fluide glacial, le facteur rit toujours deux fois

Fluide glacial, le facteur rit toujours deux fois Le célèbre magazine d'humour absurde, acide et décalé lance "Ne perdons pas une occasion de faire les cons ! ", sa nouvelle campagne de financement participatif. Pourquoi le mensuel fondé par Marcel Gotlib s'est-il lancé dans une telle aventure ?

Le monde de la presse et des magazines est en crise depuis plusieurs années, premier symbole de cet étiolement du lectorat : la disparition progressive des kiosques à journaux et des maisons de la presse. La crise du Covid-19 a provoqué la fermeture, temporaire, d'une grande partie de ces espaces et bousculé très fortement la parution et distribution des périodiques. Face à ce chaos imprévu et sans aucune visibilité à l'époque sur la fin de cette crise, de nombreux éditeurs se sont adaptés pour passer à un système de production avec le plus de télétravail possible, une distribution via la poste. Et certains en ont profité pour renforcer, intelligemment un lien direct avec leur lectorat. C'est le cas du magazine Fluide Glacial, fondé en 1975, qui a lancé en 2020 une première campagne participative. Fort de ce succès, l'éditeur mûrit sa réflexion et revient avec une nouvelle campagne du 9 novembre au 9 décembre 2021. Un projet sobrement appelé : Ne perdons pas une occasion de faire les cons !

Clément Argouarc'h, directeur éditorial des éditions Fluide Glacial, raconte à L'Internaute la genèse de ce projet - et les attentes qui y sont associées.

© Fluide Glacial

Pourquoi faire cette seconde campagne ?

La première campagne d'avril à mai 2020 nous a permis de répondre au besoin urgent du confinement : les kiosques fermés sans aucune vision sur une date de réouverture.

Mais cela nous a permis aussi d'échanger énormément avec nos lecteurs, et nous avons a ressenti un amour pour Fluide qui nous a fait chaud au cœur en cette période de pandémie. On s'est demandé comment remercier nos lecteurs passionnés.

C'est lors du pot de départ d'un collègue, alors que nous réfléchissions pour lui personnaliser des cadeaux avec la marque Fluide Glacial, que nous nous sommes dit que ça pourrait justement intéresser nos lecteurs assidus. Nous avons commencé à noter deux u trois idées de cadeaux. Très vite, les idées fusent comme Superdupont - et nous nous sommes rendu compte que chaque moment de la vie était un moment où l'on pouvait légitimement offrir un goodies Fluide Glacial : pot de départ, mariage, anniversaire.

Nous avions trop d'idées de bricoles personnalisées pour pouvoir gérer cette matrice tout seul, c'est pourquoi nous avons décidé de nous appuyer sur une plateforme de financement participatif comme Kiss Kiss Bank Bank, dont c'est le cœur de métier. Nos lecteurs sont nos meilleurs ambassadeurs, ils aiment Fluide et ils n'hésitent pas à partager leur affection pour notre magazine.

46 ans de publication ininterrompue, sans la moindre publicité ! Nous ne sommes pas dans une logique de come-back.

Enfin, nous avons aussi un but financier : nous souhaitons augmenter le nombre de nos abonnés.

L'Abbé est l'une des nouvelles pépite de la revue. © Fluide Glacial

Quelles sont vos attentes avec ce financement participatif ?  

Premièrement, nous souhaitons pérenniser le magazine via l'augmentation du nombre d'abonnés. Entre la fermeture des points de ventes d'un côté et l'augmentation du prix du papier qui accompagne la pénurie actuelle, nous devons anticiper une évolution de notre modèle de distribution.

Aussi, nous avons envie d'en finir avec les réflexions du type: " Ah, vous existez encore! Je vous lisais, enfant". Fluide n'a jamais cessé de paraître depuis 1975. Nous ne sommes pas comme Pif Gadget qui a connu plusieurs vies et revient périodiquement d'entre les morts avec plus ou moins de succès. D'ailleurs, notre rédacteur en chef actuel est celui qui a piloté le magazine de 1989 à 2001. Nous avons encore beaucoup d'auteurs historiques comme Edika ou Goossens, d'autres comme Monsieur le chien ou Reuzé sont parmi nous depuis 5 ou 10 ans. 46 ans de publication ininterrompue, sans la moindre publicité, nous ne sommes pas dans une logique de come-back. Nous ne courons pas derrière l'abonné pour lui vendre de la publicité mais pour le faire rire. Et avec nos auteurs, nous souhaitons continuer à le faire pour encore des décennies.

Pourquoi est-ce qu'un format périodique est primordial ?

Les albums se vendent bien en librairie, mais on touche beaucoup plus de monde avec le magazine qu'avec les BDs. De plus, ce rendez-vous est essentiel pour créer une complicité aussi bien avec les lecteurs qu'avec nos auteurs.  Par exemple, la rubrique " porte ouverte" nous permet de montrer l'envers du décors à nos lecteurs et est aussi un lieu d'expression différent pour nos auteurs. Enfin, quand on est attaché à un magazine comme Fluide, on aime cette période d'anticipation de l'arrivée du facteur. La relation avec un périodique va au-delà de la lecture du magazine aux toilettes.

D'ailleurs, des services comme Netflix ou Amazon Prime reviennent de plus en plus à un rythme de parution périodique. La notion de rendez-vous est importante au-delà du format de magazine. On construit une relation dans la durée.

Fluide Glacial, c'est plusieurs générations d'auteurs et de lecteurs, à qui vous adressez- vous avec ce financement participatif ?

Nous n'avons pas d'étude de marché sur l'ensemble de nos lecteurs. ⅗ de nos lecteurs sont des abonnés et ⅖ des acheteurs en kiosque. Forcément nous connaissons mieux nos abonnés. Le lecteur type est un homme entre 40 et 50 ans, mais nous avons des lecteurs de plusieurs générations. Et le financement participatif nous permet de toucher plus facilement le public des trentenaires.

L'humour doit être drôle: monter une bite ou une paire de seins ne suffit pas à faire rire.

On sait que toucher les 15-25 ans avec un magazine est quasiment impossible, alors nous ne visons pas vraiment cette cible, même si notre humour est universel et peut leur plaire.

Avec "Faut pas prendre les cons pour des gens" Reuzé et Rouhaud ont conquis un lectorat au delà des fans de bande dessiné. © Fluide Glacial

Pourquoi c'est aussi difficile de toucher les 15-25 ?

Il y a un gap d'habitude en France. Il y a beaucoup de jeunes qui découvrent la lecture via des magazines de presse jeunesse que ce soit via les publications du groupe Bayard Presse (J'aime lire, etc) ou des titres comme Picsou Magazine ou Mickey Parade.

Mais arrivé à l'adolescence, ce lectorat s'étiole et poursuit très peu sur du Spirou Magazine, Bamboo Mag et consort. Probablement car la concurrence est trop riche : écrans, mangas, vie scolaire… Ce phénomène de désaffection générationnel touche tous les acteurs et pas seulement Fluide Glacial.

En parlant de génération, Fluide Glacial est né le 1er avril 1975. Comment l'humour a-t-il évolué, depuis ?

Dans l'équipe éditoriale, nous avons des gens de 23 à 64 ans et une majorité de filles, nous sommes assez représentatif de la société dans notre organigramme. Nous discutons énormément sur les gags mais surtout sur l'équilibre du magazine. Le chemin de fer est primordial: un gag potache suivi d'un gag cérébral, celà fonctionne mieux pour l'ensemble. Goossens et ses gags exigeants n'auraient probablement pas pu continuer ainsi sans les succès plus populaires de Coyote ou Maëster. Et aujourd'hui, Goossens, c'est le phare de Fluide Glacial, son génie nous illumine et attire de nouveaux auteurs.

Nous n'avons jamais cherché à nous positionner sur l'actualité ou la politique, bien sûr nous parlons de la société car elle touche nos auteurs, mais nous n'avons pas besoin de nous imposer une quelconque contrainte d'actualité.

Et j'en profite pour insister: l'humour doit être drôle, ça peut sembler évident dit comme ça, mais monter une bite ou une paire de seins ne suffit pas à faire rire, il faut que cela serve un gag, absurde, capillotracté, de situation, etc… Peu importe! mais il faut que leur présence soit utile. Le but de Fluide Glacial est de pouvoir se lâcher à fond sur l'absurde, c'est dans cet état d'esprit que Gotlib a créé le magazine.

Bill Baroud, l'espion imaginé par Manu Larcenet est devenu un classique incontournable du catalogue de Fluide Glacial.. © Fluide Glacial

On a l'impression que le rire se vend bien mais n'est pas reconnu, pourquoi à votre avis ?

C'est toujours plus facile de parler d'une bd qui émeut, qui raconte un drame ou qui parle d'une figure historique importante que d'un album de gags.

Cependant, on constate que depuis Zaï zaï zaï zaï de Fabcaro, l'humour n'est plus " ringard". De notre côté la série Faut pas prendre les cons pour des gens de Reuzé et Rouhaud nous a rouvert beaucoup de portes aussi bien de la presse que de libraires.

On constate par contre que l'humour qui marche le plus est celui porté par des romans graphiques, celui qui plaît au-delà du cercle des lecteurs de bds. Le lecteur de bande dessinée est très fidèle, mais il a ses canons. Et c'est quand on sort de ces canons que l'on voit certains titres ou auteurs exploser.

Manu Larcenet chez Fluide marchait très bien, mais c'est avec Le combat ordinaire qu'il a explosé. Idem, Riad Sattouf et son Pascal Brutal sont une super vente chez nous, mais l'Arabe du futur représente vingt fois les ventes de Pascal Brutal. Malheureusement pour l'intelligentsia, un roman graphique dans une bibliothèque paraît plus classe qu'un album des Bidochon.

Un trait entre Bretecher et Lelong (Carmen Cru). Voici la série qui a le « vamps» en poupe d’après Clément Argouarc'h. © Fluide Glacial

Fluide a vu naître et exploser des titres comme : Les Bidochon, Gai-Luron, Clark Gaybeul, Lucien, Superdupont, Litteul Kévin, Sœur Marie-Thérèse des Batignolles, Pascal Brutal, Cosmik Roger… Quelle série est LA petite perle qui va exploser demain et pourquoi ?

L'institut Fluide Glacial que l'on a créé pour pousser nos jeunes pousses est ce qui me vient en tête de suite, avec des auteurs comme L'abbé et Mab qui ont une patate incroyable dans leur dessins et leur humour.

Je pense aussi à Stella Lorry qui commence à percer et à Maud Chalmel qui vient du monde des jeux de société, ces deux autrices ont un bel avenir devant elles.