Avant-critiques Roman et Biographie

Jean-Maurice de Montremy, "Les hivers et les printemps" et "Rancé le soleil noir" (Nuvis Éditions) :  À la Trappe

Jean-Maurice de Montremy - Photo © DR/Nuvis éditions

Jean-Maurice de Montremy, "Les hivers et les printemps" et "Rancé le soleil noir" (Nuvis Éditions) :  À la Trappe

Dans un roman et une biographie, Jean-Maurice de Montremy nous ramène au temps des moines splendides et frondeurs du Grand Siècle.

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Par Laurent Lemire
Créé le 08.09.2022 à 09h00

Charnat, c'est son nom. Le patronyme fait penser à charnel et ce n'est pas anodin. Ce militaire, veuf et père d'une belle jeune fille, ne dédaigne pas la compagnie des dames et son cœur se laisse facilement happer par quelques-unes d'entre elles. Il a aussi connu les champs de bataille, la violence, le mal. Désormais, il observe au-dessus de son bureau l'image de l'Échelle sainte de Jean Climaque, un moine syrien du VIIe siècle qui expliquait comment monter vers le Ciel. Penché sur son écritoire, le chevalier de Charnat écrit sur les hommes, le silence et la foi. Il s'intéresse au sommeil d'Adam, celui dont Dieu profite pour créer Ève. Nous sommes en 1696, au Grand Siècle, le XVIIe des libertins et des dévots.

D'une plume suggestive, souvent hypnotisante, à la fois douce et carnassière, Jean-Maurice de Montremy nous transporte dans le monde d'avant, ce monde chrétien traversé de courants contraires et de rancœurs. Dans ce fleuve spirituel, les affluents de Port Royal et de la Trappe affirment leurs discordances. Le Très-Révérend Père abbé de Rancé auquel l'auteur a consacré une belle biographie couronnée du prix Combourg Chateaubriand en 2007 − biographie revue et augmentée à l'occasion de cette nouvelle publication chez Nuvis −, cet abbé pas comme les autres et presque impotent laisse la Trappe à l'abbé Zozime. Ce dernier, accusé d'altérer la règle de silence à l'égard des étrangers, décède mystérieusement à peine trois mois après en avoir reçu la charge. Il est remplacé par l'ancien prieur, Dom Armand-François Gervaise, un original lui aussi avec sa lubie du « sommeil balsamique d'Adam », ce « pur sommeil d'avant la chute », « ce sommeil du Paradis que nous avons perdu ». Le chevalier de Charnat est donc envoyé par le marquis d'Argenson pour enquêter sur ce qui se passe à la Trappe, près de Mortagne-au-Perche. Car pour rayonner entre les guerres, le Roi-Soleil a besoin de la prière du « soleil noir » qu'est l'abbé de Rancé. Et il veut en savoir plus sur ses liens avec le couvent des Clairets et le projet d'installation d'un hôpital et d'une colonie de familles pauvres.

Dans ce roman très construit qui multiplie les modes de narration, du journal au récit, et donc les points de vue sur l'histoire elle-même, Jean-Maurice de Montremy observe un temps où le silence de la foi cohabite avec le tonnerre de la guerre, où la société des salons parisiens fait rêver les cœurs endurcis. « Que fera l'homme si derrière chacun de ses désirs l'attend Dieu ? » L'histoire n'est ici qu'un sfumato sur lequel l'écrivain pose ses personnages. Avec Les hivers et les printemps, Jean-Maurice de Montremy poursuit la suite romanesque des Îles étrangères commencée en 1984 avec Mémoires (réédité en 2007 au Rocher sous le titre Miroir et songes). Il plane sur cet opéra baroque et chatoyant, dans lequel s'agitent des moines inquiets et des curés séditieux, des abbesses influentes et des duchesses élégantes, comme un parfum du Nom de la rose, un subtil mélange de mystère et d'érudition.

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