Cirque

Dans l’œuvre de Marc Chagall, acrobates, jongleurs et musiciens, ainsi que trapézistes et écuyères, évoluent dans des compositions de prime abord enjouées et colorées. Mais ce monde enchanté cache un univers métaphorique et symbolique à la dimension tragique, où le rire se mêle au dramatique. Réminiscence des cirques itinérants rencontrés en Russie dans sa jeunesse, le thème du cirque apparaît dans l’œuvre dès les années 1910. Des dessins réalisés à son arrivée à Paris attestent de ses visites au cirque Medrano. Comme Pablo Picasso, Chagall associe le monde des saltimbanques au tragique de l’existence : « Le cirque est la représentation qui me semble la plus tragique. À travers ces siècles, c’est le cri le plus aigu dans la recherche de l’amusement et de la joie de l’homme. » L’homme fuit son quotidien dans la parenthèse enchantée du cirque, où l’émerveillement du spectateur n’a d’égale que la souffrance des artistes sur scène. La Commedia dell’arte (1959, Théâtre de Francfort) fait de la piste de cirque un miroir de la société contemporaine, à travers lequel les acrobates et les musiciens sonnent de concert une Europe en reconstruction. Les dimensions sacrée et profane se conjuguent au sein des toiles, les acrobates ayant la grandeur des figures bibliques : « J’ai toujours considéré les clowns, les acrobates et les acteurs comme des êtres tragiquement humains, qui ressembleraient, pour moi, aux personnages de certaines peintures religieuses. Et même aujourd’hui, quand je peins une crucifixion ou un autre tableau religieux, je ressens les mêmes sensations que j’éprouvais en peignant les gens du cirque. »

L’atelier d’artiste est un thème récurrent de l’histoire de l’art, qu’il soit dessiné, peint ou photographié. Ce lieu fascine en tant que berceau du geste créateur, vision romantique de l’atelier héritée du XIXe siècle. Durant ce siècle, un véritable mythe se construit autour de la figure de l’artiste, admiré, qui devient « prescripteur de goût1 » pour la bourgeoisie et les bohèmes s’inspirant de son mode de vie, souvent fantasmé. Au début du XXe siècle, l’atelier devient alors un modèle architectural à Paris, inspirant de nouvelles constructions illuminées par de grandes verrières et une belle hauteur sous plafond, dans lesquelles la décoration poursuit cette recherche de la « vie bohème », créée par des mises en scène et des accumulations d’objets plus ou moins luxueux2. Plus tard, l’atelier de Chagall perpétue cette image et s’inscrit dans cette représentation mentale collective. Des photographies provenant des Archives Marc et Ida Chagall et les représentations de l’atelier permettent d’entrevoir l’atmosphère de ces espaces de création. Ces lieux sont en effet pluriels, suivant les nombreuses installations du peintre en Russie, en France, en Allemagne et en exil aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet espace de l’atelier, prenant de l’ampleur, a suivi l’évolution du statut social et de la reconnaissance de Chagall en tant qu’artiste, de son séjour à la Ruche de 1912 à 1914, une cité d’ateliers-logements du quartier de Vaugirard, jusqu’à la construction de la villa La Colline à Saint-Paul-de-Vence, où l’artiste s’installe en 1966. Ces lieux sont synonymes de rencontres et de collaborations lorsque Chagall aborde d’autres pratiques artistiques, ce qui transcende une vision très personnelle de l’atelier.

Les œuvres représentant son atelier permettent de mettre en lumière sa fonction et le rôle spécifique que lui assigne l’artiste. Chagall ne peint pas en plein air : « Je peignais à ma fenêtre, jamais je ne me promenais dans la rue avec ma boîte de couleurs », affirme-t-il dans Ma vie3. L’atelier est un lieu charnière, matérialisant la rencontre entre l’intérieur et l’extérieur, cristallisée par la fenêtre. De la même manière que l’autoportrait, ces représentations de l’atelier témoignent de la réflexion de Chagall sur son statut d’artiste, telle une fenêtre sur son monde.

1 Manuel Charpy, « Les ateliers d’artistes et leurs voisinages. Espaces et scènes urbaines des modes bourgeoises à Paris entre 1830-1914 », Histoire urbaine, vol. 26, n° 3, 2009, p. 43-68.

2 Ibid.

3 Marc Chagall, Ma vie, Paris, réédition Stock, 1983, p. 166, in Élisabeth Pacoud-Rème, « Chagall, fenêtres sur l’œuvre », in Chagall, un peintre à la fenêtre (cat. exp., Nice, Musée national Marc Chagall, 25 juin-13 octobre 2008, Münster, Graphikmuseum Pablo Picasso Münster, 13 novembre-4 mars 2009), Paris, Réunion des musées nationaux, 2008, p. 33.