Théorème de Selberg

De Groupes Kleiniens
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Ces notes ont été prises et transcrites par Arnaud Chéritat, à partir de l'exposé de Jean-François Quint, lequel s'est basé sur l'article de R. Alperin : An elementary proof of Selberg’s lemma.

Énoncé et commentaires

Théorème de Selberg : Soit $k$ un corps de caractéristique $0$, $\Gamma$ un sous-groupe de $\mathrm{GL}_n\,k$ et $n\geq 1$. Si $\Gamma$ est finiment engendré alors $\exists\, \Lambda < \Gamma$ tel que

  • $\Gamma\!:\!\Lambda < +\infty$,
  • $\Lambda$ est sans torsion.

Il y a une variante de cette énoncé en caractéristique positive. Nous ne la traiterons pas.

Rappelons qu'un sous-groupe d'indice fini d'un groupe finiment engendré est finiment engendré : c'est donc le cas de $\Lambda$ dans le théorème ci-dessus.

Rappelons que pour tout sous-groupe d'indice fini $H$ d'un groupe quelconque $G$, il existe un sous-groupe $N$ de $H$, distingué dans $G$ et d'indice fini. Ainsi on peut rajouter la condition $\Lambda\lhd \Gamma$ à la conclusion du théorème de Selberg. Mais en fait, les sous-groupes $\Lambda$ que nous construisons dans les preuves ci-dessous sont déjà distingués.

Voici un corollaire intéressant :

Corollaire : Si $\Gamma < \mathrm{GL}_n\, k$ est finiment engendré et de torsion alors il est fini.

Voici quelques (contre)exemples.

  • Groupes de torsion infinis : Le groupe des racines de l'unité dans $\mathbb{C}^*$ n'est pas finiment engendré. Il y a donc bien des groupes de torsions infinis dans $\mathrm{GL}_1 \mathbb{C}$ et donc dans $\mathrm{GL}_n \mathbb{C}$.
  • Contre-exemple au théorème de Selberg en caractéristique $p$ : Soit $\Gamma < \mathrm{GL}_2 \mathbb{F}_p(t)$ le sous-groupe engendré par $U=\left[\begin{array}{cc}1&1\\0&1\end{array}\right]$ et $V=\left[\begin{array}{cc}t&0\\0&1\end{array}\right]$ :

$$\Gamma=\left\{\left[\begin{array}{cc}t^k&b\\0&1\end{array}\right],\ k\in\mathbb{Z},\ b\in\mathbb{F}_p[t,t^{-1}]\right\}$$ On a $V\left[\begin{array}{cc}1&b\\0&1\end{array}\right]V^{-1}=\left[\begin{array}{cc}1&tb\\0&1\end{array}\right]$ donc $\Gamma$ est isomorphe au produit tordu $$\Gamma\simeq \mathbb{Z}\rtimes (\mathbb{F}_p)^{(\mathbb{Z})}$$ avec action de $\mathbb{Z}$ par décalage. Soit $U<\Gamma$ défini par $U=\{0\}\rtimes(\mathbb{F}_p)^{(\mathbb{Z})}$. Le sous-groupe $U$ contient précisément tous les éléments de torsion de $\Gamma$. Ainsi tout $\Lambda<\Gamma$ sans torsion vérifie $U\cap\Lambda =\{e\}$. En particulier $\Gamma:\Lambda = +\infty$.

On peut corriger le théorème de Selberg en caractéristique $p$ mais cela sort du cadre de cet article.

Cas de $\Gamma = \mathrm{GL}_n\mathbb{Z}$

Ce cas nous servira d'échauffement, de motivation et d'inspiration pour le cas général.

La première remarque est que si $\gamma\in \mathrm{GL}_n\mathbb{Z}$ est de torsion, alors sa trace vérifie $\operatorname{tr}\gamma\in\{-n,\ldots,n\}$. En effet ses valeurs propres dans $\mathbb{C}$ sont toutes de module $1$. La seconde que le cas $\operatorname{tr}\gamma=n$ n'arrive que pour $\gamma=e$.

Soit $p$ un nombre premier et considérons le morphisme $$\mathrm{GL}_n \mathbb{Z} \overset{\Phi}\longrightarrow \mathrm{GL}_n \mathbb{F}_p.$$ Le groupe d'arrivée est fini donc son noyau est fini. Si $\gamma\in\Gamma$ est de torsion et si $\Phi(\gamma)=e$ alors $\operatorname{tr} \gamma \equiv n\bmod p$, donc si $p>2n$, la seule possibilité est $\operatorname{tr} \gamma = n$ et donc $\gamma=e$. Ainsi le noyau $\Lambda=\operatorname{Ker}\Phi$ est sans torsion pour n'importe quel choix de $p>2n$.

Remarque

Conséquence immédiate : la conclusion du théorème de Selberg est valide pour tout sous-groupe $\Gamma< \mathrm{GL}_n\mathbb{Z}$, même s'il n'est pas finiment engendré : il suffit de prendre l'intersection de $\Gamma$ avec le noyau de $\Phi$.

Cas général

Réductions

Nous allons effectuer une suite de réductions.

Soit $S$ un système fini de générateurs de $\Gamma$. On peut remplacer $k$ par un corps plus petit contenant les coefficients des éléments de $S$, qui sont des matrices $n\times n$. On suppose donc dorénavant que $k=\mathbb{Q}(\{\text{coeffs}\})$.

Par un théorème classique, $k$ est une extension algébrique de degré fini de $\mathbb{Q}(t_1,\ldots, t_r)$ où les $t_i$ désignent des variables symboliques. On peut se ramener à l'étude d'un sous-groupe $\Lambda < \mathrm{GL}_{n'} \mathbb{Q}(t_1,\ldots, t_r)$ pour un certain $n'\geq n$. En effet, si $l:k$ est une extension de corps de degré fini $d$ alors il y a un morphisme injectif du groupe $\mathrm{GL}_n(l)$ vers le groupe $\mathrm{GL}_{nd}(k)$, obtenu par l'isomorphisme de $k$-espace vectoriel $l\simeq k^d$ associé à un choix de $k$-base de $l$. Dans la suite on suppose donc $k=\mathbb{Q}(t_1,\ldots, t_r)$ et $n$ désigne $n'$.

Soit $A$ le sous-anneau de $k=\mathbb{Q}(t_1,\ldots, t_r)$ engendré par les éléments de $S$. Il existe $f\in \mathbb{Z}[t_1,\ldots,t_r]$ non nul tel que $$A\subset B:=\mathbb{Z}[t_1,\ldots,t_r][1/f].$$

On s'est ainsi ramené à $\Lambda < \mathrm{GL}_n\, B$. Par le même argument que dans la remarque suivant le cas de $\mathrm{GL}_n\,\mathbb{Z}$, on voit qu'il suffit de traiter le cas de $\Lambda = GL_n(B)$.

Cas de $\Lambda=GL_n(B)$

Le traitement de cas commence et termine de façon analogue à celui de $GL_n \mathbb{Z}$.

Soit $\gamma$ de torsion dans $\mathrm{GL}_n\, B$: comme $\gamma^m=1$ pour un certain $m>0$, toutes les valeurs propres $\lambda$ de $\gamma$ vérifient $\lambda^k=1$ et donc $\operatorname{tr}\gamma$ est un entier algébrique. D'autre part, c'est un élément de $B$ donc de $k=\mathbb{Q}(t_1,\ldots, t_r)$. Or les seuls éléments algébriques de $k$ sont les éléments de $\mathbb{Q}$. Donc $\operatorname{tr}\gamma\in\Z$. De plus, cette trace est somme de $n$ racines $k$-ièmes de l'unité et donc(*) $-n\leq\operatorname{tr}\gamma \leq n$ avec $\operatorname{tr}\gamma=n \iff \gamma=e$.

(*): Nous l'avons plus haut démontré dans $\mathbb{C}$, et cela l'implique dans tout corps de caractéristique nulle.

On choisit maintenant $x_1,\ldots,x_r\in\Z$ tels que $f(x_1,\ldots,x_r)\neq 0$, puis $p>2n$ tel que $f(x_1,\ldots,x_r)\not\equiv 0 \bmod p$. Il existe alors un morphisme $$B\overset{\Phi}{\longrightarrow}\mathbb{F}_p$$ qui consiste à substituer à $t_1,\ldots,t_r$ les classes modulo $p$ de $\bar x_1,\ldots,\bar x_r$.

Cela induit un morphisme $\mathrm{GL}_n\, B\to\mathrm{GL}_n\, \mathbb{F}_p$. Comme dans le cas de $\mathrm{GL}_n\,\mathbb{Z}$, la condition $p>2n$ implique que son noyau n'a aucun élément de torsion.