« Napoléon » : le Waterloo de Ridley Scott ?

Les critiques d’une partie de la presse française sur le film « Napoléon » n’ont pas été du goût de son réalisateur Ridley Scott.

Les critiques d’une partie de la presse française sur le film « Napoléon » n’ont pas été du goût de son réalisateur Ridley Scott.  2023 APPLE

C’est un biopic à grand spectacle comme Ridley Scott sait les faire. Mais l’empereur français a-t-il eu raison du réalisateur de « Gladiator » ? Possible, si on en croit critiques et historiens.

A presque 86 ans, le réalisateur britannique Ridley Scott possède un curriculum vitæ de vétéran du cinéma. Il a exercé ses talents dans quasiment tous les genres depuis ses débuts, en 1977, avec « les Duellistes », et a su prouver qu’il était un metteur en scène tout-terrain. Il a signé plusieurs films mémorables qui, en plus de cartonner au box-office, lui ont également valu les louanges de la critique : « Alien, le 8e passager » (1979), « Blade Runner » (1982) ou encore le merveilleux « Thelma et Louise » (1991). Et si son goût pour les films historiques à grand spectacle n’est plus à prouver, le réalisateur de « Gladiator » et de « Kingdom of Heaven » a-t-il été pris à revers par un empereur français d’origine corse ? C’est bien possible, si l’on en croit les premiers avis sur son « Napoléon », sorti en salle ce mercredi, qui suscite a minima une certaine circonspection, aussi bien chez les critiques que chez les historiens.

Les Français font la moue…

Qu’en dit « l’Obs » tout d’abord ? Le 28e long-métrage de Ridley Scott est « un digest, aux ellipses parfois malheureuses ». On salue toutefois la représentation des champs de bataille, où « se mêlent une violence crue, un sens du détail et des mouvements de foule (sans effets spéciaux CGI visibles) d’une force spectaculaire ». Pour l’occasion, « Libération » sort un titre dont il a le secret : « Le crash de l’empereur », crash dans lequel il voit un biopic « bourrin » qui « n’offre aucun point de vue, ni sur l’homme, ni sur le mythe ». « GQ France », lui, le définit comme « profondément maladroit, artificiel et involontairement drôle ». « Le Point » pointe une vision « d’anti-français et pro-britannique ». « Le Figaro » écrit, quant à lui, qu’on aurait pu l’appeler « Barbie et Ken sous l’Empire ».

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Des commentaires que Ridley Scott semble assez peu apprécier. Vexé, il a réagi à chaud sur la « BBC » en lançant : « Les Français ne s’aiment même pas eux-mêmes. » Prenez ça, bande de Français réfractaires ! « Mais vous savez quoi ? Le public à qui j’ai montré mon film à Paris, il l’a adoré… », s’est-il empressé de rétorquer. Nananère…

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… la presse anglo-saxonne est mitigée

Lorsqu’on traverse l’Atlantique, les critiques ne semblent pas plus élogieuses que dans l’Hexagone. Le site web d’actualité américain consacré au cinéma indépendant IndieWire n’était pas préparé « à la façon dont le film humilie complètement » l’un des dirigeants les plus ambitieux de l’histoire. Le « Hollywood Reporter », qui salue « sa force, son atmosphère et ses combats solidement chorégraphiés », voit tout de même dans ce film « une tapisserie historique distendue, trop étirée pour rester convaincante, surtout lorsqu’elle se détourne du couple central ».

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Quid de ceux qui étaient les ennemis de Napoléon : l’Angleterre ? Etrangement, elle semble moins réfractaire au film. « The Guardian » décerne d’ailleurs cinq étoiles au dernier film du réalisateur. De son côté, le « Times » salue un « film historique magistral », aussi « divertissant que réaliste ». Au Royaume-Uni, pour assurer la promotion de son long-métrage, Sir Scott a été interrogé sur l’accueil peu enthousiaste que lui réserve la presse française. Mais il y a un léger hic du côté de « The Independent », qui n’hésite pas à caractériser le film de « plein de verve, de grand spectacle et de machisme », et où « les scènes de bataille sont prenantes, un retour à un genre de divertissement qui n’intéresse plus personne à Hollywood – enfin, à part Ridley Scott ».

Des historiens choqués

Si les critiques de cinéma sont parfois divisés, les spécialistes de l’Histoire, avec un grand H, sont unanimes : le film s’écarte allègrement de la vérité historique la plus élémentaire. Patrice Gueniffey, auteur d’une monumentale biographie sur l’empereur, déplore de voir le cinéaste déprécier systématiquement le personnage :

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« Il le rabaisse tellement qu’il donne à croire que Joséphine […] lui était supérieure, au point de conclure que, la prochaine fois, ce serait elle l’empereur. »

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Le réalisateur s’est chargé d’adresser quelques jolis mots à Dan Snow, historien anglais qui s’était permis de pointer les erreurs factuelles commises par le réalisateur. « Qu’il s’achète une vie », lui a-t-il lancé, exaspéré par ses commentaires. Quelques jours après, Ridley Scott a enfoncé le clou dans une interview accordée au « Times », où il a déclaré haut et fort : « Je n’ai pas eu besoin d’historiens pour réaliser mon épopée napoléonienne. »

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Dan Snow reviews the recently released trailer for #napoleon #historytok #historymovie

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Le réalisateur de « Christophe Colomb » et « Kingdom of Heaven », qui a l’habitude de s’attaquer à de grandes épopées historiques, revendique ainsi le droit de réinterpréter l’Histoire et de la dépeindre à sa façon. Quitte à s’éloigner de la vérité ? « Comme tous les faits historiques, tout cela a été rapporté par d’autres. Napoléon meurt, dix ans plus tard, quelqu’un écrit un livre, puis quelqu’un prend ce livre et en écrit un autre… Et donc, quatre cents ans plus tard, il y a beaucoup d’imagination dans tous ces livres d’histoire », répond Ridley Scott, droit dans ses bottes, dans le « Times ».

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Le réalisateur a ensuite expliqué ce qu’il dirait aux historiens s’ils remettaient en question les événements relatés dans le film : « Etiez-vous là ? Oh, je suppose que non. Alors comment le dire ? » De là à dire que voir un film de Ridley Scott revient à lire un livre d’histoire, il y a un pas… que nous ne franchirons pas.

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