Dans son recueil En voyage, Victor Hugo décrit la place royale de Bordeaux, aujourd’hui appelée place de la Bourse, comme « la moitié de la place Vendôme posée au bord de l’eau ». Dessinée par l’architecte Jacques V Gabriel, et son fils Ange-Jacques, et construite entre 1731 et 1755, elle marque l’ouverture de Bordeaux sur le fleuve.
Une place royale
Construite au départ comme un écrin pour la statue du roi Louis XV, la place de la Bourse s’inscrit dans une longue lignée de places royales. La première en date est la place des Vosges, construite à Paris sous Henri IV en 1605. Sous Louis XIV, le concept se développe, d’abord à Paris avec la place des Victoires en 1685 et la place Louis Le Grand (place Vendôme) en 1686, puis dans les villes de province : Dijon, Pau, Lyon, Rennes… En créant des places royales, l’État souhaite embellir le décor urbain, symbolisant la paix monarchique et glorifiant le régime qui a mis fin aux troubles civils.
Il faut attendre une cinquantaine d’années pour que la ville de Bordeaux se dote elle aussi d’une place royale. Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les bourgeois bordelais acceptent encore difficilement leur défaite de 1653 face au roi Louis XIV. Ce n’est donc qu’en 1700 que l’intendant Boucher commence à préparer le terrain pour la construction d’une place royale au bord de la Garonne. Mais celui-ci rencontre la forte opposition des jurats de Bordeaux, qui émettent plusieurs critiques. Selon eux, la construction de cette place impliquerait l’installation d’un quai qui rétrécirait le lit du fleuve. De plus, l’abordage des navires serait plus difficile. La façade projetée engendrerait la démolition des échoppes déjà existantes, réduirait la place destinée au dépôt des marchandises et les maisons nouvelles risqueraient de servir d’entrepôts pour la contrebande. Boucher se heurte aussi à l’opposition du parlement bordelais.
Le conflit est résolu, en 1729, par le roi Louis XV qui envoie Jacques Gabriel, son architecte, à Bordeaux. Celui-ci dessine une place reliée au reste de la ville par deux grandes rues. Il propose trois variantes du projet de place aux jurats et rédige un mémoire qui répond à leurs critiques. Dès 1731, les ouvriers aménagent un quai en dessous duquel sont construites des cales pour les marchandises. En mai 1733, le plan de la place est terminé et les bâtiments commencent à sortir de terre. Gabriel fait d’abord construire les façades seules, comme des décors de théâtres, afin d’avoir un aperçu de l’aspect général de la place. À partir de 1735, le reste des bâtiments est construit.
Gabriel souhaite faire de la Place Royale son plus beau chef-d’œuvre, mais meurt en 1742, avant la fin de sa construction. Son fils Ange-Jacques prend la relève. Au même moment, le marquis de Tourny remplace Boucher dans ses fonctions d’intendant de Bordeaux. Ensemble, Ange-Jacques et Tourny dirigeront les travaux jusqu’à leur achèvement, en 1755. Alors que Jacques Gabriel s’était concentré principalement sur l’hôtel des Fermes, son fils perfectionne l’hôtel de la Bourse.
Une œuvre architecturale typique du XVIIIe siècle
La place se construit en demi-hexagone, encadrant un espace central. Elle est délimitée par l’hôtel des Fermes, où les marchands enregistrent les marchandises déchargées, l’hôtel de la Bourse, où le prix des marchandises est fixé, et un pavillon central. Les bâtiments, sur trois niveaux, abritent au départ de nombreuses boutiques et lieux de commerce. Au rez-de-chaussée se trouve la boutique ou l’espace commercial du marchand, l’entresol est occupé par un bureau et les commerçants habitent dans des appartements au premier étage. Le dernier étage est quant à lui réservé aux domestiques.
Dès ses premiers dessins, Jacques Gabriel songe à la construction et à l’ornementation de l’hôtel des Douanes. L’hôtel de la Bourse, dessiné plus tard, est rigoureusement similaire, ce qui donne à la place un aspect unifié. Les façades sont en pierre calcaire, décorées par Jacques Verberckt, Michiel van der Voort, Pierre Vernet et Claude-Clair Francin.
Sur les pavillons d’angle des deux bâtiments latéraux se trouvent deux frontons, soutenus par quatre colonnes d’ordre corinthien. Sous chaque fronton se trouvent deux rangées de fenêtres de tailles différentes. Les fenêtres centrales sont ornées de sculptures d’enfants. On retrouve ces éléments dans le pavillon central.
Les cinq frontons de la place sont sculptés par Michiel van der Voort et Claude-Clair Francin d’après des gravures de Jacques Verberckt. Chacun représente une allégorie et tous les sujets sont arrêtés par Gabriel. Sur l’hôtel des Fermes se trouvent Minerve protectrice des arts au nord et Mercure protégeant la Garonne à l’est. Sur le pavillon central, La libéralité répandant l’argent. Enfin, sur l’hôtel de la Bourse La grandeur des Princes est sculptée au sud et Neptune ouvrant le Commerce à l’est. Les deux autres frontons de l’hôtel de la Bourse Jonction de la Garonne et de la Dordogne et L’union de l’océan à la Méditerranée par la canalisation et les chemins de fer donnent quant à eux sur la place Jean Jaurès.
Un écrin pour la statue du roi Louis XV
« Il ne faut pas croire que la statue ait été faite pour orner la place. C’est la place qui fut faite pour accompagner la statue » rappelle Paul Courteault dans son livre La place royale de Bordeaux. À sa construction, la place doit accueillir en son centre une statue de Louis XV à cheval et doit même porter le nom du monarque.
Après avoir fait appel au sculpteur Coustou, Jacques Gabriel change d’avis et choisit Jean-Louis Lemoyne. Aidé de son fils, ce dernier dessine une statue en bronze du roi, à cheval sur un étalon. La statue est placée à six mètres du sol, sur un piédestal en marbre de Carrare décoré d’écussons aux armes royales et aux armes de la ville. Deux bas-reliefs ornent également le piédestal : l’un est sculpté d’après La bataille de Fontenoy de Charles Parrocel, l’autre d’après un tableau de la prise de Port-Mahon, probablement celui de Pierre Lenfant. Le piédestal est terminé en 1733. La statue quant à elle prend plus de temps à voir le jour, pour des raisons économiques. L’ensemble est inauguré le 19 août 1743.
Cette statue confère à la place un rôle politique important. Bien que ses façades restent telles quelles, son nom évolue avec les changements politiques. De place Royale, elle devient place de la Liberté pendant la Révolution, place Impériale sous Napoléon, puis à nouveau place Royale à la Restauration, pour enfin devenir la place de la Bourse, nom qu’elle conserve encore aujourd’hui.
La statue ne résistera pas à la Révolution. Conservée dans un premier temps « en faveur des arts », son symbolisme politique suscite de plus en plus de haine. Le 15 août 1792, le peuple vote sa destruction. Elle est d’abord placée dans un hangar, puis fondue pour servir de canons. Les seules traces qui en restent sont une gravure de Nicolas-Gabriel Dupuis et des modèles en bronze destinés à être envoyés au roi. Les révolutionnaires plantent au milieu de la place un arbre de la liberté qui survit trente ans.
En 1828, l’arbre est remplacé par une nouvelle fontaine, une colonne de marbre rose surmontée d’un chapiteau blanc, qui est ensuite déplacée en 1869 sur la place du palais de l’Ombrière. Elle est remplacée la même année par la statue des Trois Grâces, qui représente trois filles de Zeus : Aglaé, Euphrosyne et Thalie. Louis Visconti, architecte du tombeau de Napoléon, en fait le dessin et les sculpteurs Charles Gumery et Amédée Jouandot la mettent sur pied.
Symbole de Bordeaux dans le monde entier, la place de le Bourse n’a pas connu de profondes modifications. Ses façades ont été restaurées une première fois dans les années 1990. En 2018, une seconde restauration a démarré, qui durera jusqu’en 2022 et remettra à neuf l’hôtel de la Bourse. Un réaménagement des quais entre 2005 et 2006 a permis de repaver la place et de la rendre plus populaire avec l’installation du miroir d’eau conçu par Jean Max Llorca, Pierre Gangnet et Michel Corajoud. Cette œuvre attire les touristes et les locaux tout en donnant à la place un aspect moderne, en alternant brouillard et miroir d’eau.