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Nino Ferrer, sa dernière interview

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Nino Ferrer, en septembre 1994 © CEDRIC PERRIN / BESTIMAGE
Clément Mathieu , Mis à jour le

Nino Ferrer s'est donné la mort il y a 25 ans, le 13 août 1998. Quelques semaines avant sa disparition, l'artiste donnait sa dernière interview à Paris Match. 

Trop souvent ramené à sa poignée de tubes malgré une discographie riche et audacieuse, il était le grand incompris de la chanson française.  Le 13 août 1998, Nino Ferrer, miné par la dépression depuis des années, se donnait la mort d'un coup de fusil. Le musicien avait donné sa toute dernière interview à Paris Match juste avant sa disparition.

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Voici la dernière interview de Nino Ferrer, tel que publiée dans Paris Match en 1998.

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Paris Match n°2570, 27 août 1998

Nino Ferrer, sa dernière interview

Depuis vingt ans, il avait claqué la porte du show-biz, et installé sa tribu dans le Quercy. Dernière rencontre avec un incompris qui a choisi un champ de blé pour quitter la terre. 

Le « Téléfon » ne sonnera plus. Le jeudi 13 août dernier, à 64 ans, Nino Ferrer a choisi de raccrocher définitivement en se tuant d’une balle de fusil près de La Taillade, sa propriété du Lot. De son vrai nom Agostino Ferrari, Nino, né le 15 août 1934 à Gênes, émigre en France en 1947 avec ses parents. « J’ai découvert ce qu’était le racisme en me colletant avec mes petits camarades. » Dès lors, et jusqu’à la fin, Nino se sentira un Martien parmi ses contemporains ? Adolescent, il veut être explorateur. Pour y parvenir, il décroche une licence d’ethnologie et une autre, d’archéologie préhistorique. Après quelques fouilles, il se trouve enfin : il sera chanteur. A partir de 1965 (l’année de « Mirza »), les succès s’enchaînent. Mais l’étiquette de yé-yé rigolo lui devient vite insupportable. Avec « La maison près de la fontaine », puis « Le Sud » (1 million d’exemplaires), il pense avoir sauvé son âme d’auteur-compositeur. Il revendique son indépendance et se ruine pour être son propre producteur. Dépressif, le chanteur-peintre a voulu, comme Van Gogh, partir tout seul dans un champ 

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La fin des années 60 est submergée par la grande vague des yé-yé. La jeunesse française demande à ses « idoles » du twist et du rire. Nino Ferrer, tout comme Antoine, forge sa célébrité grâce à son ton comique. En 1967, le maître de «Mirza» peut être content de lui. Dans son garage s'alignent les plus belles autos (Rolls, Aston Martin, Bugatti) et, dans son lit, s'allongent les plus jolies filles. « Le problème quand on est riche, confiera-t-il, amer, c'est qu'on attire les mouches. Et j'étais infesté de parasites...» Nino décide de se détacher du monde du spectacle. Ses succès des débuts pèsent sur lui « comme une chape de plomb ». Imposer un nouveau style le ruine. En 1976, il vend sa maison de Rueil-Malmaison et part s'installer à Saint-Cyprien, dans le Lot, avec sa femme, Kinou. Désormais, il préférera les pinceaux à la guitare. Ses toiles, inspirées du surréalisme, lui donnent la sérénité. Le décès, en juillet, de Mounette, sa mère, âgée de 87 ans, l'a profondément atteint. Jeudi dernier, l'artiste a décidé de quitter le monde des couleurs pour le noir de la mort.

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"S'il y a quelque chose après la vie. Vivement que ça arrive. Ça doit être fantastique"

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Paris Match. Quel regard portez-vous sur vos trente ans de carrière, sur votre parcours, sur vos choix ?
Nino Ferrer. J'ai découvert la musique quand j'étais adolescent. Cela a été une découverte merveilleuse qui a rempli ma vie de passion. J'ai eu envie de faire de la musique comme j'aurais eu envie de faire l'amour avec une femme. Je n'ai jamais rien calculé, je n'ai jamais fait de plan de carrière. J'ai continué ainsi, avec la plus grande naïveté. Du coup, j'ai pris des claques dans la gueule. J'arrivais avec un disque dont j'étais vraiment heureux et je le faisais écouter à des gens du show-business qui me regardaient comme s'ils ne comprenaient pas. Ils me demandaient : "C'est un disque ou c'est la maquette?" Déphasage complet, total. Or, ces morceaux- là, je les avais écrits sous le souffle de l'inspiration, transporté par quelque chose. Ce n'était pas des chansons fabriquées avec un dictionnaire de rimes et des corrections incessantes. Mais comme il m'est arrivé de faire quelques gros succès qui ont touché des centaines de millions de personnes, les maisons de disques - tout le show-business, d'ailleurs - voudraient que je copie mes tubes des années 60 ou que je refasse des titres comme "Le Sud". Ce qui les intéresse, c'est le fric. Et moi, je suis incapable de faire deux fois la même chose. 

Cela coûte-t-il cher de rester un homme libre ?
Cela coûte très cher. La plupart des portes se sont fermées. Je n'ai jamais réussi à trouver quelqu'un qui veuille me payer un clip correct. Mes disques, c'est très souvent du bricolage. "Blanat", par exemple, c'est le disque dont je sais, en tant qu'artiste, qu'il est de très loin le meilleur que j'ai fait, le plus puissant. Eh bien, il est sorti à l'état de maquette non mixée. Je n'avais plus de blé et je n'ai trouvé personne qui veuille payer le mixage. Je suis sans arrêt confronté à ce genre de problème. C'est très pénible. Alors, il y a des moments de découragement, d'amertume. Donner des concerts, être sur scène, communiquer avec le public, c'est génial... Mais il faut du blé pour la tournée, la promotion, la pub. Et il faut qu'un disque marche pour que la salle soit pleine, pour que ça rapporte de l'argent aux organisateurs, pour que les musiciens soient contents. Si vous n'offrez pas assez de travail aux musiciens, ils ne restent pas avec vous. C'est exactement ce qui s'est passé avec les nanas que j'avais sur scène et qui m'ont largué...

Vous dites souvent que, dans votre métier, vous vous sentez comme un Martien !
Complètement martien! Je n'ai pas un seul ami dans tout le show-business, je ne connais personne. Je fais ma musique, point.

Pourtant, vous appréciez des gens comme Little Bob ou Jacques Higelin.
Oui, mais je n'ai pas de relations amicales avec eux. C'est une question de caractère. Martien encore. Depuis plus de trente ans que je fais des disques, je me sens de plus en plus martien. Je n'ai aucune affinité avec ce milieu.

II y a quand même des purs, des artistes qui se sentent, comme vous, un peu martiens ? 
Certainement. Les deux que vous venez de citer en font partie. Little Bob, je l'ai rencontré une fois dans ma vie. J'ai été frappé par ce mec. Je l'ai suivi dans sa carrière. II y a aussi Paul Personne, un fantastique bluesman, un guitariste extraordinaire. Mais je ne peux pas dire que j'ai des relations amicales avec lui. Musicalement, c'est quelqu'un de bien, comme Higelin, qui est quelqu'un de très très bien.

Vous n'avez jamais eu envie de savoir si, humainement, ils sont en phase avec ce qu'ils vous font ressentir musicalement ?
Au départ, oui, parce que j'étais extrêmement naïf. Quand j'entendais quelqu'un qui me faisait planer, j'avais très envie de le connaître. Et je me suis aperçu que, quand on est sur scène, quand on a du succès, on devient un autre animal. On se met une carapace. Tout le monde, moi compris. En ce moment, avec vous, même si j'essaie d'être aussi sincère que possible, je ne peux pas être vraiment naturel, Le seul moment où je le suis vraiment, c'est avec ma tribu, dans ma maison, dans mon coin. On avale trop de couleuvres dans ce métier, on a trop de problèmes de conflits humains, de déceptions...

De trahisons ?
Oh oui, sans arrêt ! Quand je vois tous ces gens qui, après des années et des années de carrière, continuent de donner l'impression qu'ils sont toujours contents d'être dans la foule, dans toutes sortes de manifestations... Enfin, c'est peut-être leur caractère. En tout cas, ce n'est pas le mien. Je suis quelqu'un de solitaire, de sauvage. J'aime les relations vraies avec les gens, je n'aime pas le cinéma, les flonflons. Je les appréciais quand j'avais 25-30 ans parce que je ne connaissais pas le truc. Je me suis aperçu que faire du cinéma, c'est rigolo un temps mais que, dans le fond, c'est bidon.

Vous avez dit un jour que vous n'aviez plus envie de faire de la musique.
C'était par lassitude. Le plaisir, je le trouve sur scène et je sais que je continuerai. Je ne vais tout de même pas arrêter à cause de cette vermine de show-business, Ils ne m'auront pas, même si j'ai souvent des moments de désespoir. Je suis un vieux croûton, mais j'ai toujours la même passion.

II y a aussi la peinture
La musique me stresse parce qu'elle demande beaucoup d'énergie, des rapports constants avec toutes sortes de gens, des musiciens, des techniciens, des organisateurs... Avec la peinture, je me sens complètement différent. Je suis calme, paisible. Quand je prends le pinceau, je peins six à huit heures par jour. Ça me fatigue physiquement, mais ça me plonge dans un état de sérénité absolue.

Etes-vous optimiste ou pessimiste?
C'est très mélangé. Je suis très pessimiste par rapport au devenir de l'humanité. J'ai très peur de ce qui est en train de se passer depuis le début du siècle. L'évolution, je la vois difficilement se terminer autrement que dans une catastrophe totale et irrémédiable, avec le désastre écologique et la surpopulation, Tout cela ne m'empêche pas de trouver que la vie est merveilleuse, même si elle est remplie d'angoisses et de problèmes. Je sus un pessimiste joyeux.

Vous croyez en l'homme ?
Je trouve que la nature humaine, l'humanité, a quelque chose de merveilleux. Une sale race de bêtes malfaisantes capable, en même temps, de tellement d'élans de générosité, de passion, de désintéressement que c'est admirable. II y a des siècles, Guillaume le Taciturne a écrit : "II n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer." C'est fabuleux de pouvoir dire ça !

Est-ce parce que vous vous intéressez l'être humain que vous avez entamé des études d'ethnologie, d'histoire des religions et d'archéologie préhistorique?
Non, le choix n'était pas d'ordre métaphysique ! J'étais tombé très amoureux d'une jeune fille. J'ai vécu avec elle une aventure qui a duré un an. J'en ai fait une chanson qui a fait le tour du monde, "Un an d'amour". C'étaient les fragments d'un journal intime que j'avais simplement mis en musique. J'étais vraiment désespéré. D'abord, j'ai été tenté par le suicide, mais je ne l'ai pas fait. D'ailleurs, je ne suis pas d'une nature suicidaire, j'aime trop la vie. Après ça, j'ai voulu m'engager pour l'Indochine. Heureusement que je ne l'ai pas fait, parce que je ne suis pas non plus d'une nature militaire. Alors, je me suis dit : "Je vais devenir explorateur." Mes parents m'ont répondu : "D'accord, mais fais des études pour le devenir." J'ai pensé que l'ethnologie en Sorbonne était ce qui s'en rapprochait le plus. J'ai étudié l'ethnologie et j'ai découvert la préhistoire. J'ai surtout découvert M. André Leroi-Gourhan, qui a été mon professeur pendant plusieurs années et qui m'a donné l'amour de la préhistoire.

Avez-vous participé à des fouilles ?
Oui, à Arcy-sur-Cure et en Espagne, près de Santander. Ce fut une période très intense, mais ce n'était pas mon truc. Je n'ai pas l'esprit scientifique. II faut être trop méticuleux, trop raisonnable, trop ordonné. Or, je suis désordonné et je fonctionne par à-coups.

Par coups de coeur, par passion ?
Quand je suis branché sur quelque chose qui me passionne, je peux me défoncer 24 heures sur 24. Et il y a des périodes où je stagne, où je réfléchis. Je n'aurais jamais pu me lever tous les jours à la même heure et aller travailler dans un bureau.

En plein succès, à la fin des années 60, Nino profite avec ses parents et Claude, sa petite amie du moment, de sa propriété de Rueil-Malmaison. Ruiné, il finira par la vendre.
En plein succès, à la fin des années 60, Nino profite avec ses parents et Claude, sa petite amie du moment, de sa propriété de Rueil-Malmaison. Ruiné, il finira par la vendre. © Jean-Marie PERIER / PARIS MATCH

Vous êtes un artiste, avec tout ce que cela représente!
Oui, et heureusement que j'ai rencontré une forte femme qui a été capable de m'aider, d'assurer les arrières. Sans elle, je serais devenu clochard ou alcoolique!

Les femmes sont la grande affaire de votre vie ?
J'aime beaucoup les femmes. Blés sont fortes, raisonnables. Si le monde était gouverné par les femmes, ça se passerait sûrement moins mal. Parce que les hommes ont des testicules, ils fabriquent de la testostérone, ce qui les rend agressifs et méchants.

Le problème serait donc purement biologique ?
Ah oui III y a des tas de sociétés matriarcales qui fonctionnent parfaitement bien. Les femmes devraient s'impliquer davantage un peu partout. Dans ma vie personnelle et professionnelle, je suis émerveillé par leur capacité d'assumer les situations, de bosser, de calmer le jeu. Autant elles peuvent être chipies entre elles, autant elles sont capables d'affronter les grands problèmes de la vie. Où se situe le centre de gravité de votre vie ?
Dans l'amour, C'est vraiment la chose essentielle. Quand je parle d'amour, ce n'est pas seulement l'amour sentimental ou sexuel, c'est l'amour en général. Le fait d'aimer les gens, d'aimer les animaux, d'aimer, quoi ! D'aimer profondément, passionnément.

Le poids du temps vous pèse-t-il ?
Difficile de vous répondre en quelques mots. Aragon a écrit : "Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard." C'est vrai. Je dirai que je suis plus heureux en avançant dans la vie que je ne l'étais adolescent ou jeune homme, époque où j'étais plus torturé, plus désespéré. Mais j'ai aussi cette sensation d'avoir tellement peu de temps ! Et c'est un peu triste quelque part.

Croyez-vous à la réincarnation?
Je suis agnostique. Je n'arrive pas à avoir de conviction. Pourtant, j'ai été élevé dans une famille catholique pratiquante, une famille de gens vraiment bien contre lesquels je n'éprouvais pas le besoin de me révolter. A vrai dire, je ne sais pas quoi penser. Le temps et les matériaux à disposition ont fait que toutes les combinaisons chimiques possibles se sont produites une infinité de fois et que certaines conditions ont provoqué l'apparition de la vie. Cette explication me paraît logique, mais quand on essaie de regarder plus loin, on se demande pourquoi et comment c'est possible. Comment le hasard a-t-il pu réaliser pareille chose? Ne serions-nous pas plutôt des personnages dans un jeu vidéo programmé par quelqu'un ? Mais je trouve que le fait de vivre est merveilleux en soi. Quelle que soit la réponse, la vie est belle. Bon, s'il y a quelque chose après, c'est génial, vivement que ça arrive, parce que ce doit être fantastique ! Et s'il n'y a rien, eh bien, tant pis ! Pour l'honneur, pour l'honneur de la vie.

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