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Jean-Paul Goude, l'allure une seconde nature

La silhouette de Desigual avec le chapeau en cannage coréen.
La silhouette de Desigual avec le chapeau en cannage coréen. © Jean-Paul Goude
Par Isabelle Léouffre , Mis à jour le

Cet ancien élève des Arts décoratifs de Paris est aujourd’hui directeur artistique d’une collection capsule pour Desigual, la marque espagnole de vêtements. Jean-Paul Goude ajoute ainsi une corde à son art tout en restant « un faiseur d’images ».

Dans son penthouse translucide du XIXe arrondissement, Jean-Paul Goude survole du regard les toits de la capitale. La modernité de sa maison rectangulaire, au bout d’un chemin de graviers blancs bordé de vigne vierge, tranche avec le vieux Paris. L’artiste reste avant-gardiste jusque dans les baies vitrées. Le peignoir blanc dans lequel il nous reçoit dissimule à peine son éternel accoutrement, pull rayé, pantacourt, chaussettes montantes et chaussures de cycliste. Œil vif, gestes larges, voix énergique, le temps n’a pas de prise sur ce jeune homme de 77 ans.

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« Je suis enfin capable de regarder en face avec sérénité le personnage de fiction que j’incarne aux yeux des autres ; c’est vrai, ce bonhomme frivole en culottes courtes et en maillot rayé, c’est bien moi. Cela dit, je suis beaucoup moins pittoresque et beaucoup plus carré qu’on peut le penser. »

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En 2011, l’artiste réalise un autoportrait
En 2011, l’artiste réalise un autoportrait où il dévoile avec humour sa méthode pour obtenir la silhouette idéale. © Jean-Paul Goude

Depuis toujours, la stylisation morphologique le passionne, à commencer par lui-même, point de départ de son œuvre. Un personnage issu des bandes dessinées de son enfance, comme « Tintin », « Spirou » ou « Les Pieds nickelés ». Inspiré par ses complexes physiques, « court sur pattes et mal foutu », c’est à New York, dans les années 1970, qu’il revendique dans le magazine « Esquire », dont il est le directeur artistique, l’insertion de talonnettes dans ses chaussures, d’épaulettes dans ses tee-shirts. Il fait également fabriquer un faux nombril pour remonter sa taille, ainsi que toute une batterie d’artifices improbables. Que ce soit par ces extensions sur lui-même ou en trafiquant les photos de ses compagnes – la Jamaïcaine Grace Jones , l’Algérienne Farida Khelfa, la Coréenne Karen Park –, il transforme les lignes, étire les cheveux, allonge les visages, se joue du corps humain, sa matière première. Ses fantaisies démesurées se changent en mode, et la rue le suit.

« Une version improbable de “Roméo et Juliette” avec Farida et Azzedine Alaïa, dont j’ai réalisé un petit film musical d’où cette photo est tirée. »
« Une version improbable de “Roméo et Juliette” avec Farida et Azzedine Alaïa, dont j’ai réalisé un petit film musical d’où cette photo est tirée. » © Jean-Paul Goude

Avec Desigual, il devient styliste pour une collection capsule. « Thomas Meyer, le patron de la griffe, m’a lancé un défi : “Toi qui nous critiques, as-tu déjà dessiné des vêtements ?” Il a touché un point sensible. A travers mes aventures publicitaires, je n’avais jamais créé de vêtements, mais des personnages habillés à ma manière. » Cette proposition marque ainsi un retour aux sources : « Quand j’avais 17 ans, je dessinais des tenues pour les filles dont je tombais amoureux. C’est dans mon ADN ! » Devenu grand, ses dessins prendront forme humaine. « J’avais commencé avec mes spectacles pour Grace Jones et mon défilé sur les Champs-Elysées lors du bicentenaire de la Révolution, en 1989 ; mais rien à voir avec la mode ! » Mieux, Desigual met en lumière la cohérence de son itinéraire. Il ajoute avec fougue : « Je ne veux pas que ma vie s’achève sans avoir une idée juste de qui je suis. »

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En septembre dernier, la fantaisie Goude a déferlé sur la fashion week de New York. Une armée de jeunes filles, en kimonos, chapeaux coréens, salopettes écossaises à tendance mangas ont littéralement dansé la mode, transformant le défilé classique en un ballet contemporain décalé. La capsule, en forme de consécration, a fait le buzz. Jean-Paul Goude a su mixer le style bohème chic de Desigual avec sa propre extravagance, née à Saint-Mandé, aux portes de Paris, en décembre 1940.
« Mes intérêts dans la vie sont le reflet de mon enfance. Le zoo de Vincennes, à 200 mètres de chez moi, les odeurs de litière, les rugissements la nuit ont nourri mes rêves d’aventures dans des contrées lointaines. Et l’ancien musée des Colonies, tout proche, les a accentués. » Il se souvient, à l’adolescence, de ses émois devant les femmes africaines, asiatiques et arabes, sculptées nues sur la façade. « C’est émouvant de voir que des artistes européens, émerveillés par la beauté des habitantes des pays qu’ils découvraient, aient sublimé leur coup de foudre à travers l’art. » Jean-Paul Goude, à sa manière, prolongera cet imaginaire exotique dans sa vie sentimentale.

« Ce visage rond, emblème de ma collection, représente Karen, mon épouse, jeune designer américaine d’origine coréenne et mère de deux de mes enfants. Elle est mon idéal féminin. »
« Ce visage rond, emblème de ma collection, représente Karen, mon épouse, jeune designer américaine d’origine coréenne et mère de deux de mes enfants. Elle est mon idéal féminin. » © Jean-Paul Goude

Donner du sens à son puzzle intime est ce qui l’anime. En mettant bout à bout les morceaux de son histoire familiale, il fait des découvertes : « Il y a cinq ans, avant de mourir, ma mère m’a raconté que mes grands-parents paternels avaient, au début du siècle dernier, un magasin de passementerie. Ruinés par la concurrence, ils en sont morts très jeunes, laissant mon père et son frère orphelins. Le magasin se situait face aux Galeries Lafayette. » Cent ans plus tard, comme une réparation du destin, leur petit-fils a affiché son univers graphique à travers ses publicités pour cette même enseigne, pendant quatorze ans !

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 Ma mère avait tout dansé : le ballet classique avec Massine, l’avant-garde avec José Limon

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Sans le savoir, Jean-Paul Goude a également marché sur les traces de son père, parti jeune à New York avec une chanteuse d’opérette française célébrissime dont il était l’amant. Le futur ingénieur chez IBM reviendra en France avec une danseuse américaine d’origine irlandaise. « Ma mère avait tout dansé : le ballet classique avec Massine, l’avant-garde avec José Limon. Arrivée à Paris, elle devient maman alors qu’éclate la guerre. Coupée de tout, elle ouvre une école de danse à Saint-Mandé. » Le jeune Jean-Paul refuse de participer à ses récitals de fin d’année : « La danse, c’est pour les filles », clamait-il alors avec l’arrogance de son âge. Mais la danse l’a rattrapé. Avec Desigual, sur le show de New York, Jean-Paul Goude est devenu chorégraphe d’un jour.

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