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L'aura de Walter Benjamin

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Note sur "L'œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique"

Fait partie d'un numéro thématique : La peinture et son public
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Dans L'œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique, Walter Benjamin décrit les implications qu'aurait sur l'œuvre d'art l'apparition des moyens techniques de reproduction (c'est-à-dire, essentiellement, la photographie et le cinéma), en tant qu'ils comportent, par rapport aux moyens traditionnels (gravure, lithographie), des propriétés nouvelles susceptibles d'engendrer des transformations radicales. Ces propriétés sont principalement liées, d'une part, à la primauté de l'appareillage technique (avec la photographie, «pour la première fois, en ce qui concerne la reproduction des images, la main se trouve déchargée des tâches artistiques essentielles, lesquelles dorénavant furent réservées à l'œil fixé sur l'objectif», p. 173) ; d'autre part, à l'effet de massifi- cation, de multiplication des images ainsi produit («En multipliant les exemplaires, elles [les techniques de reproduction] substituent un phénomène de masse à un événement qui ne s'est produit qu'une fois», p. 176).

Les propriétés ainsi induites sont, selon Walter Benjamin, tout entières marquées par le négatif, le manque, la perte : manque d'« authenticité» («A la plus parfaite reproduction il manque toujours quelque chose : l'ici et le maintenant de l'œuvre d'art — l'unicité de sa présence au lieu où elle se trouve», p. 1 74 ; «l'ici et le maintenant de l'original constituent ce qu'on appelle son authenticité», p. 175) ; perte de la «tradition» («On pourrait dire, de façon générale, que les techniques de reproduction détachent l'objet reproduit du domaine de la tradition», p. 176) ; dégradation de la présence («ici et maintenant») en «actualité», justiciable de «n'importe quelle circonstance» («En permettant à l'objet reproduit de s'offrir à la vision ou à l'audition dans n'importe quelle circonstance, elles lui confèrent une actualité», p. 176) ; suppression de la distance et, par là même, risque de proximité, de promiscuité (la technique

Qui perd gagne

* In Poésie et Révolution, Paris, Denoël, 1971.

«permet surtout de rapprocher l'œuvre du spectateur ou de l'auditeur», p. 175) (1).

Ce qui donc, en résumé, se perd pour Walter Benjamin avec les techniques de reproduction, c'est ce qu'il appelle l'«aura» de l'œuvre d'art : son unicité, son authenticité, sa présence «ici et maintenant» (ou, en d'autres termes, son caractère sacré) : «II se peut que les conditions nouvelles ainsi créées par les techniques de reproduction laissent par ailleurs intact le contenu même de l'œuvre d'art, elles dévaluent de toute manière son ici et son maintenant» — «ce qui est ainsi ébranlé, c'est l'autorité de la chose» (p. 176).

Mais ce que l'argumentation de Walter Benjamin dissimule et met en évidence à la fois, c'est que les techniques de reproduction, avant de faire apparaître une perte de l'aura, sont la condition même de l'existence de cette aura : c'est, au moins en partie, parce que la photographie implique multiplication des images et des spectateurs, rapprochement de l'œuvre avec le public, perte d'authenticité de l'objet, que l'original a pu être perçu, en négatif, comme incarnation de l'unique, de la présence absolue (le concert vs le disque), de la distance maximum par rapport aux conditions réelles d'appropriation par la reproduction (2). Il est probable donc que l'invention de la photographie a fortement participé — parmi d'autres facteurs — à cette sacralisation de la peinture caractéristique de l'époque moderne. Et la prise de conscience des propriétés négatives de la photographie, relativement à la conception de l'œuvre d'art ainsi produite

1 —Cette distance de l'œuvre d'art n'est en fait que l'expression de son caractère sacré. Walter Benjamin le suggère lui-même, dans cette note où il suffit de remplacer «lointain» par «séparé» pour trouver une description du processus de sacralisation, de séparation symbolique (magique) : «En définissant l'aura comme 'l'unique apparition d'un lointain, si proche qu'elle puisse être', nous avons simplement transposé dans les catégories de l'espace et du temps la formule qui désigne la valeur cultuelle de l'œuvre d'art. Lointain s'oppose à proche. Ce qui est essentiellement lointain est l'inapprochable. En fait, la qualité principale d'une image servant au culte est d'être inapprochable. Par nature même, elle est toujours 'lointaine — si proche qu'elle puisse être'. On peut s'approcher de sa réalité matérielle, mais sans porter atteinte au caractère lointain qu'elle conserve une fois apparue» (note 1, pp. 179-180).

2— On peut faire l'hypothèse, par exemple, que c'est pour une part parce que l'image de la Joconde est mondialement diffusée que le public du Louvre est aussi «dévot» — et, peut-être, que c'est parce qu'il est si dévot qu'il y a une glace protégeant le tableau, le séparant de la foule ? Loin de faire perdre son aura au tableau, c'est la photographie qui contribue à la lui conférer.

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