ROUSSEAU ET SES ÉDITEURS
— I —
Entre avril 1755 et décembre 1764, Rousseau publia ses plus importants écrits non-autobiographiques : le second Discours, la Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles (août 1758), La Nouvelle Héloïse (novembre 1761), Du contrat social (avril 1762), Emile (mai 1762), la Lettre à Christophe de Beaumont (mars 1763) et les Lettres écrites de la montagne. Chacun de ses livres eut un succès de scandale, provoquant d'innombrables rééditions et contrefaçons contemporaines, et éventuellement assurant une production dans la bibliographie rétrospective1. Marc-Michel Rey d'Amsterdam était son éditeur primaire. Genevois comme lui, Rey a très certainement rencontré l'écrivain à Genève en 1754, et dans les dix années qui suivirent Rey a publié la première édition de tous les livres précédemment mentionnés, sauf YÉmile. Quand le co-possesseur du manuscrit original de l'Emile, le libraire hollandais Jean Néaulme, fut choqué par ce qu'il trouva en ouvrant les pages du Livre III, c'est-à-dire la « profession de foi du vicaire savoyard », il vendit alors, rapidement, les droits de publication pour la Hollande à Rey2.
Rousseau et Rey marchandaient rarement sur le prix d'un manuscrit. L'écrivain ordinairement proposait un prix et l'éditeur le payait : 600 livres pour le deuxième Discours en 4 000 exemplaires ; 720 livres pour la Lettre à d'Alembert en 3 000 exemplaires ; 2 160 livres pour La Nouvelle Héloïse en
1. Par exemple, Théophile Dufour, Recherches bibliographiques sur les œuvres imprimées de J.-J. Rousseau (Paris, 1925) ; Jean Sénelier, Bibliographie générale des Œuvres de J.-J. Rousseau (Paris, 1950) ; B. Gagnebin, « Notices bibliographiques », Jean-Jacques Rousseau, Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau (Paris, éd. Pléiade, 1959-69), 4 vol. ; R.A. Leigh, « Rousseau, His and the Contrat social », Bulletin of the John Rylands Library of Manchester , LXVI, 2 (1984) : pp. 204-27 ; Leigh, Unsolved Problems in the Bibliography of J.-J. Rousseau (Cambridge, 1990) ; Jo- Ann E. McEachern, Bibliography of the Writings of Rousseau to 1800, vol. 2 : Emile, ou de l'éducation (Oxford, 1989).
2. Albert Schinz, Jean-Jacques Rousseau et le libraire Marc-Michel Rey : les relations (Genève, 1916) ; K.-R. Gallas, «Autour de Marc-Michel Rey et Rousseau», Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, XII (1926), 73-90 ; Max Fajn, « Marc-Michel Rey, Boekhandelaar op de Bloemark (Amsterdam), » Proceedings of the American Philosophical Society, CXVIII, 3 (1974) : 260-68 ; Jeroom Vercruysse, « Marc-Michel Rey, imprimeur philosophe ou philosophique », Werk- groep 18'eeuw Documentatieblad, XXXIV-XXXV (avril 1977), 93-121 ; Vercruysse, «Marc-Michel Rey et le livre philosophique », Liter aturgeschichte als geschichtlicher Auftrag : In Memoriam Werner Krauss, « Sitzungsberichte der Akademie der Wissenschaften der DDR. Gesellschaftswissens- chaften », (Berlin, 1978), pp. 149-56.
Revue d'histoire moderne et contemporaine, 40-1, janvier-mars 1993.
