Barthélémy Toguo : "J'interpelle et je continuerai d'interpeler parce que c'est mon rôle en tant qu'artiste"

Barthélémy Toguo - Zarachie Ngnogue
Barthélémy Toguo - Zarachie Ngnogue
Barthélémy Toguo - Zarachie Ngnogue
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A l'occasion de l'ouverture de l’exposition "Désir d’humanité : les univers de Barthélémy Toguo" à voir au musée du Quai Branly jusqu'au 5 décembre, l’artiste plasticien revenait en mai 2021, au micro d’Arnaud Laporte, sur sa pratique artistique, ses méthodes de travail et sources d’inspiration.

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A l’occasion de l’ouverture de l’exposition « Désir d’humanité : les univers de Barthélémy Toguo »   à voir au musée du Quai Branly jusqu'au 5 décembre, l’artiste et plasticien camerounais revenait, au micro d’Arnaud Laporte sur son parcours, sa démarche artistique et son univers sensible.

Une monographie signée Philippe Dagen et consacrée au travail de Barthélémy Toguo vient de paraître aux éditions Skira. Une autre exposition monographique a également ouvert au Centre d’Art de la Malmaison à Cannes, à visiter jusqu’au 14 novembre.  Une autre exposition démarrera le 9 septembre à la galerie Lelong & Co, à Paris.

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Sa formation artistique

Barthélémy Toguo est né au Cameron. Dès son plus jeune âge, il est fasciné par les grands peintres classiques comme Rubens, Titien, Goya et décide à 17 ans, de devenir artiste. En 1989, il s’installe donc en Côte d’Ivoire, pour étudier à l’Ecole nationale des Beaux-Arts d’Abidjan où il suit une formation classique. En 1992, il s’essaye à la sculpture sur bois : une découverte qui change radicalement son approche artistique. Il décide alors de poursuivre ses études à l’Ecole d’art de Grenoble où il expérimente, cherchant ses propres modes d’expression, par le biais de différents supports notamment la photographie, la vidéo et la performance. Il achève enfin ses études à la Kunstakademie de Düsseldorf, auprès de Klaus Rinke.

L’école de Grenoble était un école singulière en France, d’avant-garde. (…) C’était l’école où il fallait être. C’est ce qui m’a donné cette chance de découvrir et d’être en phase avec l’art contemporain. De découvrir ce que faisaient les Joseph Kosuth, les Kabakov. (…) Grenoble a complètement changé mon travail (…). L’école des Beaux-Arts de Grenoble m’a donné l’occasion de m’exploser, d’aller dans tous les sens, d’essayer plein de choses avec la vidéo, de sortir de l’école, d’aller ailleurs et de revenir, de tripoter d’autres choses. Et ça a été une chance pour moi de pouvoir être libre dans ma création.

Une figure de l’art contemporain

A partir de 1996, Barthélémy Toguo entame une série de performances, Transit(s) qui le font connaître. Il commence alors son ascension, exposant en 2000 à la Biennale de Lyon, en 2004 au Palais de Tokyo puis en 2005 au Centre Pompidou. En 2010, enfin, il est accueilli au sein de la Galerie Lelong. 

Un artiste ne doit pas se limiter dans la représentation de son travail. S’il faut utiliser d’autres connaissances comme les représentations scéniques, il ne faut pas hésiter. En 2000 par exemple, à la Halle Tony Garnier, je suis invité par Jean-Hubert Martin à montrer mon travail (…) et j’ai voulu utiliser cette capacité de metteur en scène pour parler de mon travail.

Sa production artistique se caractérise par sa très grande diversité. Barthélémy Toguo utilise en effet tous types de mediums, de matériaux et de techniques, et développe – d’un point de vue stylistique – une approche plus ou moins réaliste en fonction de ses travaux. Il réalise aussi des installations comme « Road to exile » (2008), « Strange Fruit » (2017) ou encore des fresques comme « Célébrations » (2017) située dans la station de métro Château Rouge à Paris. Il est notamment connu pour son travail de sculpture sur bois et pour ses aquarelles dont il utilise les couleurs douces et les dégradés subtils pour exprimer la violence et la souffrance. 

Il y a un travail psychologique et spirituel qui se fait d’abord, en amont, dans mon atelier où je me pose la question de savoir comment je dois exprimer une idée que j’ai. (…) Si je pense que c’est le dessin qui va me mener à mieux parler de mon sujet, je vais dans cette voie, (..) ou la sculpture, ou la performance ou la photographie : je fais le choix du matériau à ce moment-là et je me mets à travailler après. (...) C’est ça qui est important pour moi : qu’est-ce qu’on fait des outils que l’on a pour s’exprimer.

Le Petit Salon
13 min

Un artiste engagé

Sa production artistique témoigne d'un plaisir véritablement manuel à réaliser ses œuvres. Néanmoins, celles-ci sont porteuses de sens : sa démarche artistique prend en effet racine dans l’actualité et témoigne avec force des grands bouleversement de notre monde : les guerres, l’exil, les inégalités Nord-Sud et les épidémies sont donc autant de thématiques qu’il aborde, nous interrogeant ainsi sur notre humanité.

En 2015, lorsque j’étais à la Biennale de Venise, j’avais demandé aux habitants des banlieues et des quartiers difficiles de me donner des slogans qu’ils avaient envie qu’on puisse faire entendre au public. (…) C’est comme ça qu’on a eu des slogans comme "Black Lives Matter" ou "Bring Back Our Girls". Ces textes sont importants et je les utilise pour faire entendre la voix des autres.

Par ailleurs, Barthélémy Toguo a créé, construit et financé Bandjoun Station, un site culturel durable installé au Cameroun et inauguré en 2013. On y trouve un centre d’art qui vise à pallier au manque de politiques culturelles, accueillant de jeunes créateurs et chercheurs et abritant des salles d’exposition. Mais Bandjoun Station est aussi un projet agricole, avec des terres mises à la disposition des habitants, dans le but de promouvoir l’autosuffisance alimentaire.

Tout part de cette inspiration de la Villa Ki-Yi : je découvre en Côte d’Ivoire le travail de Werewere Liking, et je me dis qu’un jour il faudrait que je rentre au Cameroun pour mettre sur pied une résidence d’artistes. (…) Les Africains en exil doivent mettre leurs compétences au service de leur peuple. Moi j’ai des compétences dans le domaine de l’art alors je suis rentré au Cameroun et j’ai construit Bandjoun Station. C’est à l’Afrique de prendre son destin en main, et c’est à nous de construire l’Afrique dans les domaines agricole, éducatif, sanitaire, sportif, économique.

Sons diffusés pendant l'émission

  • Extrait du discours d’Albert Camus lors de sa réception du Prix Nobel en 1957.
  • "Stabat Mater Dolorosa", Francis Bebey, Dibiyé version deluxe (label Peewee Collection), 2021.
  • "Oshogbo", Un Touareg s’est marié à une Pigmée, Ki-Yi M’bock, Werewere Liking, Ray Lema (Harmonia Mundi), 1993.

Rediffusion de l'entretien du 26 mai 2021

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