Pierre Bordage : "Je suis un sillon qui a été tracé par des grands maîtres anciens"

Portrait de Pierre Bordage - LENSMAN, Michael Meniane
Portrait de Pierre Bordage - LENSMAN, Michael Meniane
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Référence majeure dans la littérature de science-fiction, à qui l’on doit notamment la “trilogie des prophéties” qui explore les religions et leurs dérives, Pierre Bordage est notre invité, à l’occasion des Utopiales, festival qui se poursuit jusqu’à dimanche à la Cité des Congrès de Nantes.

Avec
  • Pierre Bordage Auteur de science-fiction, grand prix de l’imaginaire 2018

Pierre Bordage, avant de devenir un inlassable inventeur de mondes imaginaires, a arpenté ceux des autres. Enfant, il lit l’Illiade allongé dans la paille de la ferme familiale, se passionne pour les mythes, puis cherchant à comprendre ce que quelques élans intérieurs lui soufflent, il intègre le petit séminaire. Là où il pensait trouver une ouverture à l’au-delà, il ne rencontre que les limites étroites d’un monde clos, refermé sur le dogme religieux.

Il lui faudra attendre ses vingt ans et la lecture des Chroniques Martiennes, de Ray Bradbury pour découvrir une voie possible vers la création d’imaginaires modernes. A cette même période, il s’essaie à l’écriture automatique ; une pratique qui lui permet d’avancer dans le récit comme on découvre un univers, au fil de la plume. C’est de cette manière qu’il écrit la trilogie des Guerriers du silence, qui lui vaudra d’être d’emblée reconnu comme l’un des maîtres de la science-fiction française dans les années 90. Scripteur acharné, Pierre Bordage a depuis fait paraître près de 70 ouvrages en tous genres ; des séries de SF (Rohel le Conquérant, Wang...), des novélisations (Atlantis, les fils du rayon d'or), des fantasy historiques (L'Enjomineur), des romans indépendants et des recueils de nouvelles, d’autres de contes...

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Ayant participé au regain de la littérature de science-fiction française, Pierre Bordage construit peu à peu une œuvre-monde foisonnante. Alors que se tient à Nantes le festival des Utopiales, dont Pierre Bordage fut le directeur durant les dix premières années, Arnaud Laporte s’entretient avec lui au sujet de ses univers.

La découverte du vertige de la science-fiction

Alors qu'il est enfant, Pierre Bordage découvre des contes et des mythes qui lui délivrent un sentiment de vertige. A défaut de la religion, c'est la science fiction qui lui donnera de nouveau cette sensation :

"Enfant, lorsque je lisais des contes, des mythologies, je me sentais immédiatement transporté dans un ailleurs. Cet effet, je l'ai ensuite retrouvé en première année d'université dans la science-fiction. On a l'impression d'être transporté immédiatement dans l'ailleurs. Et ça donne le vertige. Cet effet vertige, je l'ai toujours cherché, je l'ai toujours cultivé, aussi bien en tant que lecteur qu’en tant qu'auteur." Pierre Bordage

Pierre Bordage décrit un intérêt toujours vif pour les mythes et mythologies de tous les horizons. Un intérêt que l'on retrouve dans ses ouvrages :

" Dans mon écriture, je me suis nourri de mythologies diverses. Toute mythologie m'intéresse, aussi bien l'amérindienne que l'africaine, l'asiatique que l'européenne. Mon imaginaire est nourri de ces mythes comparés. Je pense que ma forme d'écriture, qui est entièrement libre et sans contrainte, est quelque part nourrie par l'écriture des mythes. " Pierre Bordage

Atteindre la transe dans l'écriture

A ses débuts en littérature, et en moins de dix ans, Pierre Bordage publie de très nombreux ouvrages comme la trilogie des Guerriers du silence, les quatorze volumes de Rohel le conquérant, Les Fables de l'Humpur, le cycle de Wang et Les derniers hommes. Au cours de l'entretien, il revient sur l'état dans lequel il était lorsqu'il écrivait à cette période :

"Quand je rentrais en écriture, j'arrivais dans mon bureau le matin après avoir emmené les enfants à l'école quand ils étaient petits. Je me mettais à l'écriture et puis voilà, je suis tombé dans la transe. Je ne contrôle rien. J'écris. J'écris ce qui arrive. Mes personnages agissent par eux-mêmes. Je les suis, tout simplement. Je les écoute. Ce sont eux qui m'emmènent visiter leur univers. Et je me rendais compte qu'il s'était passé 4 heures et que j'avais écrit 5-6 pages. Je n'avais pas vu le temps passer." Pierre Bordage

Le choix d'une écriture structurante

Au cours de l'entretien, Pierre Bordage, qui pratique l'écriture automatique, explique que ses personnages agissent par eux-mêmes. Il ne cherche pas à avoir de la maîtrise sur ce qui se passe dans le récit :

"Chez moi, c’est l’écriture qui structure. Je lui fais confiance pour structurer le récit parce que si je structure le récit moi-même, je vais me planter. J'ai essayé une fois. Je me suis dit : "Je ne suis pas plus idiot que les autres, c'est moi le patron, je décide de ce qui est bon pour mon personnage ou pas, je suis le dieu créateur." Et je me suis planté en 50 pages. Je l'ai fait sur un "Rohel" parce que ce n'était pas trop risqué. C'était des récits assez courts et je n'avais pas trop de temps à perdre à faire des expérimentations. Je me suis rendu compte que la structure m'avait tellement épuisé que ne serait-ce que de donner de la chair à cette structure ne me disait rien du tout. Je n'avais plus envie d'écrire du tout dans cet univers-là." Pierre Bordage

Plus d'informations sur ses actualités :

  • Wang, célèbre diptyque de Pierre Bordage va paraître aux  éditions l'Atalante dans un volume unique, rassemblant les deux romans Les Portes d’Occident et Les Aigles d’Orient, le 9 novembre 2023
  • En 2023, Pierre Bordage a fait paraître trois ouvrages, une nouvelle édition et deux parutions d’ouvrages inédits. En juin et août 2023, la série Rohel a paru en poche à L'Atatante ; en mai 2023, La porte des remparts sublimes a paru au Diable Vaubert et en octobre 2022, Contes des sages pas sages ont paru au Seuil.

Sons diffusés pendant l'émission :

  • Le choix musical de Pierre Bordage : “Frosty Morn” de Billy Strings
  • Frank Herbert dans l'émission "Le vif du sujet" sur France Culture en 1978.
  • Edgar Morin dans l'émission "Affaires culturelles" en décembre 2021.
  • Claude Lévi-Strauss sur France Culture en 1978.
  • Archive de Paul Virilio, urbaniste et essayiste, à propos du progrès au XXème siècle.

Le Son du Jour : aria final de la cantate 82 de Jean-Sébastien Bach, interprété par Christophe Prégardien et le Concert Lorrain

Le ténor allemand Christophe Prégardien et le concert lorrain présentent, dans un CD édité par le label Et’Cetera, les Cantates 56 et 82 de Jean-Sébastien Bach. Enregistré dans l'Église Saint-Pierre-et-Paul de Weimar, sous la direction du violoncelliste Stephan Schultz, cet enregistrement met à l’honneur ces deux cantates pour basse solo que sont « Ich will den Kreutchstap gerne tragen » (Je porterai volontiers la croix) et« Ich habe genouk » (J’en ai assez). Cette dernière, écrite pour la fête de Purification de la Vierge, évoque la rencontre entre le prophète Siméon et l’enfant Jésus. Ayant reconnu le Christ, Siméon peut mourir en paix : c’est le thème de l’aria final de la cantate, que nous vous proposons d’écouter.

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