"L'Invasion des profanateurs de sépultures", histoire de suspicion collective

"L'Invasion des profanateurs de sépulture" de Don Siegel (1956) ©AFP - Allied Artists Pictures - Walter / Collection ChristopheL via AFP
"L'Invasion des profanateurs de sépulture" de Don Siegel (1956) ©AFP - Allied Artists Pictures - Walter / Collection ChristopheL via AFP
"L'Invasion des profanateurs de sépulture" de Don Siegel (1956) ©AFP - Allied Artists Pictures - Walter / Collection ChristopheL via AFP
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Les écrits de l'Américain Jack Finney dans les années 1950, en pleine Guerre froide, et la reparution du film de Don Siegel tiré de son roman paranoïaque "L'Invasion des profanateurs de sépultures" montrent qu'il n'est pas toujours prudent de faire confiance à son voisin...

Il y a presque 70 ans, entre novembre et décembre 1954, paraissait, dans le magazine américain Collier’s et sous le titre spectaculaire et tonitruant d’Invasion des profanateurs de sépulture, un roman qui est sans doute une des meilleures figuration littéraire de la Guerre Froide, avec son mélange de hantise paranoïaque et de suspicion collective, de regards en coin, de doigts pointés et de chasse à l’homme. Son auteur, le discret Jack Finney, auteur par ailleurs d’une cinquantaine de nouvelles et de romans où le polar et la romance le disputent au fantastique et à la SF, passa, comme tout le monde, l’essentiel de sa vie en Californie, dans la bourgade cossue de Mill Valley, capitale mondiale du sequoia.

Les Émois
2 min

Inquiétante étrangeté

Sorti sur les écrans en février 1956, tournée en 23 jours pour 400 000$ dans toute une série de localités californiennes, l’adaptation qu’en donna le cinéaste Don Siegel, dur-à-cuire d’Hollywood, futur auteur de Madigan, Dirty Harry et Qui a tué Charley Varrick ? est, là sans aucun doute, la quintessence de la série B "Guerre froide". 1h20, sans bavure ni temps mort, de noir et blanc haute intensité où, entre des scènes de rue et d’intérieur faussement bonasses et des gros plans hallucinés, se déroule une redoutable histoire qui s’énonce comme suit.

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Dans la petite bourgade californienne de Santa Mira, les demandes de consultations médicales s’accroissent puis décroissent de façon singulière, les nièces et les enfants trouvent à leur oncle et mère "une inquiétante étrangeté". Sans trop y croire, aidé de sa muse Becky, le docteur Miles Benell se met à enquêter sur cette singulière épidémie. Ce qu’il découvre le sidère : atterri sous forme de spores, des entités extraterrestres ont entrepris de supplanter l’humanité en lui substituant, à la faveur du sommeil, des clones insipides, d’aspect identique mais dépourvus du moindre affect. Des profanateurs d’identité qui usent, pour envahir le monde, de cosses géantes, secrètement dissimulées, où murissent, tels des fruits immondes, les clones d’humains. Enfin désillusionné, désormais seul, pourchassé et arrêté, Benell tente de convaincre les autorités. Long flash-back, le film de Siegel réussit le prodige de suinter d’inquiétude et de diffuser une angoisse de moins en moins sourde en se contentant de filmer le quotidien américain le plus prosaïque.

Aliens en col blanc

L’accomplissement du clonage ne se signalant par rien d’autre qu’une indifférence de badaud, rien ne permet d’identifier le monstre : la placidité devient l’indice possible du pire, le train-train quotidien signale que le mal est sans doute accompli. Faire de l’homme de la rue un monstre de l’espace, un alien en col blanc, de monsieur tout-le-monde un monsieur hors-monde : j’en ai rêvé, Siegel l’a fait. Il faudra attendre la fin apocalyptique pour le voile se lève enfin sur la contamination générale de la petite communauté.

Potemkine nous livre de ce classique de l’horreur grise une édition exemplaire d’où se détache une exégèse passionnante de la stratégie narrative de Siegel signée Jean-Baptiste Thoret. Autre parution à signaler, celles  des nouvelles de Jack Finney aux éditions du Bélial’, des récits où se déploie cette autre grande obsession de l’auteur que sont les perturbations temporelles et les dérégulations chronologiques. Jack Finney ou les mystère de Mill Valley...

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