Romain Gary, encore et toujours !

Romain Gary (1914-1980), lors du tournage du film, "La Route de Corinthe" réalisé par Claude Chabrol en mai 1967, Grèce. ©Getty - REPORTERS ASSOCIES/Gamma-Rapho via Getty Images
Romain Gary (1914-1980), lors du tournage du film, "La Route de Corinthe" réalisé par Claude Chabrol en mai 1967, Grèce. ©Getty - REPORTERS ASSOCIES/Gamma-Rapho via Getty Images
Romain Gary (1914-1980), lors du tournage du film, "La Route de Corinthe" réalisé par Claude Chabrol en mai 1967, Grèce. ©Getty - REPORTERS ASSOCIES/Gamma-Rapho via Getty Images
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Qui était Romain Gary ? Comment mettre de l’ordre dans la biographie "hors norme" de l'homme, diplomate, romancier, réalisateur aux innombrables métiers, aux multiples visages ?

Avec
  • Agata Tuszynska Écrivaine, romancière
  • Paul Audi Philosophe, enseignant, membre statutaire de l’équipe de recherches Philépol à l’Université Paris Descartes

Alain Finkielkraut reçoit l'écrivaine, Agata Tuszynska, qui vient de consacrer une biographie très personnelle à Romain Gary,  Le jongleur, et le philosophe, Paul Audi, essayiste, auteur de deux ouvrages déjà parus sur Gary, La fin de l’impossible et Je me suis toujours été un autre. Autour de la figure de Romain Gary (Vilna, 1914 - Paris, 1980), écrivain qui se vit deux fois recevoir le Prix Goncourt, mystificateur, "illusionniste qui jonglait avec les faits et les inventions", l'homme et l'œuvre sont encore et toujours fascinants.

"Prénom ? Roman, Romain, Romouchka, Émile. Nom de famille ? Kacew, de Kacew, Gari, Gary, Ajar, Sinibaldi, Bogat. Lieu de naissance : Wilno, Koursk, Moscou, steppes russes, en 1914, en mai, en décembre, dans l’après-midi…" Agata Tuszynska,  Le jongleur.

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D'où vient cette prédilection, chez nos invités, pour l'auteur de La promesse de l'aube ? Qu'est-ce qui leur a fait lui consacrer autant de temps ?

"La promesse de l'aube trônait sur la table de nuit de ma mère. Ma mère lisait ce livre plusieurs fois et pleurait. Je ne comprenais pas très bien pourquoi, mais finalement, j'ai compris, quand elle m'a dit, quand j'avais 18 ans, qu'elle était juive, elle-même, qu'elle était une petite fille du ghetto de Varsovie, et que moi aussi, j'étais juive. Elle ouvrait ses secrets tout à coup et je ne savais pas très bien quoi faire avec. Et puis j'ai écrit beaucoup de livres, entre autres Une histoire familiale de la peur qui est le livre sur mon identité assez complexe, polono-juive. Ensuite, j'ai beaucoup pensé à cela : ce que voulait dire l'identité juive pour moi. Romain Gary est apparu, réapparu encore une fois, et je me suis dit, il faut que je lui parle, il faut qu'on dialogue sur ces sujets-là. J'ai découvert plusieurs documents aux archives, à Vilnius. Il est né à Vilnius en 1914. Il y a les archives là-bas, les archives en polonais, en plus.  Alors, je me suis dit, il faut le sortir de là et il faut en parler," Agata Tuszynska,

"C'est un auteur qui ne s'est jamais trompé, toujours juste dans ses jugements" (P. Audi)

"J'ai lu très tardivement Romain Gary. C'est un pur hasard qui m'a conduit à ouvrir un jour  Clair de femme, C'est le premier livre que j'ai lu de Gary. Et j'en ai été tellement saisi et aussi bouleversé que, comme je fais d'habitude lorsque j'aime un auteur, je lis tout. Je me suis lancé dans cette aventure qui a fait qu'au fond, comme Romain Gary disait lui-même du Général de Gaulle qu'il était l'homme de sa vie, je me suis aperçu que Romain Garry était l'homme de ma vie aussi. Je me suis retrouvé en lui. Il y a une chose tout à fait extraordinaire avec Romain Garry de mon point de vue, c'est que c'est un auteur qui ne s'est jamais trompé. Je le trouve toujours juste dans ses jugements, audacieux dans son écriture, je le trouve particulièrement intelligent.Paul Audi

Romain Gary, le jongleur juif

"C'est très compliqué, Gary. Pour moi, c'est un jongleur. Il jongle avec le fil de son destin, avec les masques.  Il se cache toujours. Pour moi, il était juif parce que sa mère était juive et son père était juif. Il existait. Garry n'a pas beaucoup parlé de lui, il préférait dire qu'il était le fils d'un acteur russe, Ivan Mosjoukine. Ce n'était pas vrai, c'était encore une autre histoire qu'il racontait pour amuser ou pour jongler avec le public. Pourquoi racontait-il toutes ces histoires incroyables ? Est-ce qu'il ne le faisait pas pour se cacher du monde ? Sa judaïté pour moi était évidente, mais il n'en a pas parlé, il ne voulait pas en parler du tout". Agata Tuszynska

"La question de la judaïté, comme vous l'avez dit, est extrêmement compliquée. Elle est compliquée à la fois en raison de la psychologie propre de Romain Garry, mais aussi des circonstances dans lesquelles il a vécu sa vie. Arriver en France à 14 ans, et ne pas être tout de suite naturalisé - il ne l'a été que six ans plus tard - arriver en France dans un climat qui est celui que nous connaissons de l'entre-deux-guerres, ça marque un homme. En tout cas, ça marque un adolescent. Et à partir de là, la question de la naturalisation ou de la manière dont lui-même a vécu son identité française est extrêmement liée à la manière dont il a voulu affirmer ou ne pas affirmer sa judéité.  On ne peut pas parler de la judéité de manière abstraite, on ne peut en parler que dans le contexte qui était le sien dans la France d'alors et la manière dont il s'est construit non seulement en 'jonglant', mais aussi en slalomant entre les écueils, parce qu'il en a connu de très nombreux." Paul Audi

Émile Ajar : un autre écrivain est né avec cette tentative de Romain Gary de semer ses critiques

"Oui, c'est très intéressant parce qu'Émile Ajar n'avait pas le poids de son passé. Il n'était pas le fils d'une mère juive de Vilnius. Il n'était pas cet écrivain avec tout son passé, et c'est très important. C'était quelqu'un d'autre. Le livre qu'il a écrit,  La vie devant soi est un chef-d'œuvre, pour moi. Il y a beaucoup d'humour juif, beaucoup, beaucoup. L'humour juif qu'il a appris aussi, comme il disait, en Pologne, dans les cabarets des années 30 et aussi, en lisant  Antoni Slonimski,
un grand poète polonais juif. Pour moi, c'est assez évident que La promesse de l'aube et La vie devant soi ont été écrites par le même auteur : il y a l'humour, il y a le tandem maman-fils, madame Rosa et le petit Momo. Pour moi ça se voit."
 Agata Tuszynska

Cette mère à l'amour exorbitant

"Il n'est pas bon d'être aimé si jeune, si tôt. Ça vous donne de mauvaises habitudes. On croit que c'est arrivé. Avec l'amour maternel, la vie vous fait à l'aube une promesse qu'elle ne tient jamais. Après cela, chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison des comparaisons et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu" Romain Gary, La promesse de l'aube.

"C'est un amour exorbitant. Et donc l'idée, c'est de montrer ce qu'on peut faire avec quelque chose qui non seulement vous enveloppe au point de vous étouffer, mais qui vous trace un chemin de vie déjà. Il y a dans cette mère une sorte de puissance de prédestination qui est peut-être le plus grand malheur qui puisse arriver à un être humain : savoir qu'une vie est déjà tracée et qu'en quelque sorte, il n'y a pas à la forger soi-même, il n'y a pas à l'inventer tous les jours, il n'y a pas à même la retourner contre elle-même pour justement lui donner une autre forme, c'est quelque chose de terrible. Donc effectivement, il y a une mythification de cette puissance, mais il y a aussi, comme vous l'avez dit, il y a l'humour. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de portrait de la mère qui ne soit pas traversé par un humour absolument exceptionnel, où justement ce réel de la mère est désamorcé en permanence par la manière dont on va à la fois le vivre et le raconter.Paul Audi

"Gary, que l'on a accusé de ne parler que de lui-même, est quelqu'un qui, lorsqu'il parlait de lui, parlait surtout de sa mère" (P. Audi)

"C'est quand même une représentation extraordinaire du moi, puisque le moi est en quelque sorte ventriloqué par un autre. La mère est là, elle l'envahit, elle l'investit psychiquement, et en fait, elle parle à sa place. Donc Gary, que l'on a accusé d'être égocentré, d'être narcissique, de ne parler que de lui-même, est quelqu'un qui, lorsqu'il parlait de lui, parlait surtout de sa mère. Mais qu'est-ce que ça veut dire, justement ? Ça veut dire qu'il était lui-même décentré, il y avait un autre en lui. Et en fait, l'hommage qu'il rend à sa mère - parce que malgré cette présence envahissante, il n'a jamais cessé de rendre hommage à sa mère - rend hommage à l'autre en soi, à l'autre qui est en quelque sorte le souffle de sa vocation d'écrivain.Paul Audi

Du jour au lendemain

Sources bibliographiques

Une vie, une oeuvre
59 min

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