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Peinture

Gaston Chaissac: Chroniques d’une incessante cueillette artistique

Le musée de l’abbaye de Sainte-Croix (MASC) aux Sables-d'Olonne, en Vendée, consacre jusqu’au 14 janvier une très belle et bouleversante rétrospective à l’œuvre de Gaston Chaissac. Grâce au récent prêt de la fille de cet artiste hors-norme, son travail coloré et rieur retrouve enfin un peu de lumière. Peintre marginal, voire marginalisé, Gaston Chaissac était bien un artiste érudit, perpétuel enthousiaste cueilleur d’idées dans la campagne vendéenne.

Les dessins de Gaston Chaissac sont à découvrir au MASC en Vendée.
Les dessins de Gaston Chaissac sont à découvrir au MASC en Vendée. ® Thomas Bourdeau / RFI
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Il en faut peu pour qu’une vie bascule dans l’art. C’est avec une émotion intacte qu’Annie Raison, la fille de Gaston Chaissac, parle de la trajectoire improbable de son père. « Papa a été amené à faire ce travail de proche en proche, en douceur, comme une évidence. A partir du moment où il a rencontré Otto Freundlich, il a compris qu’il pouvait organiser sa vie autour de quelque chose qu’il aimerait. » On est dans les années 1930, le jeune Gaston Chaissac, après avoir quitté une famille disloquée dans l’Yonne, trouve refuge, en raison de sa santé fragile, chez son frère à Paris. Espiègle, il va tout faire pour éviter un petit emploi à la cordonnerie familiale afin de s’épanouir dans l’atelier artistique des voisins du dessous, rue Henri-Barbusse. « Chez Otto et Jeanne Kosnick-Kloss, il y avait de la lumière toute la nuit ! C’étaient des artistes et mon père s’est réfugié là-bas. Otto vivait dans un dénuement total. Mon père a vu quelqu’un qui vivait dans la misère, mais qui réalisait des choses extraordinaires. »

Les cernes noirs qui bordurent de façon caractéristique les dessins de Gaston Chaissac.
Les cernes noirs qui bordurent de façon caractéristique les dessins de Gaston Chaissac. ® Thomas Bourdeau / RFI

« Un Picasso en sabots » selon Ouest-France

Otto Freundlich est un des peintres fondateurs de l’abstraction et du constructivisme. Il a côtoyé Picasso, Braque, Apollinaire… La majeure partie de son travail a été détruite par les nazis qui le considéraient comme « art dégénéré ». C’est lui et sa femme Jeanne qui ont motivé et guidé les premiers pas du jeune Gaston dans l’expression artistique. Une belle prise d’élan ! L’œuvre de Gaston Chaissac s’est ensuite élaborée au fil du temps et l’artiste est devenu une figure incontournable vendéenne quand il s’est installé en 1943 dans le département de la Vendée avec sa femme, Camille, institutrice. Le peintre a fait, à l’époque, les choux gras d’une presse qui tente de saisir sa personnalité : « un Picasso en sabots » selon Ouest-France, et déconcerte ses voisins vendéens épatés, voire interloqués par les créations de cet artiste. Quand on découvre dans le catalogue de l’exposition que les amis du poète anarchiste Antonin Artaud songeaient au domicile de Gaston Chaissac pour sa convalescence, on se dit que la Vendée ne s’en serait pas remise.

Chaissac Picasso
Chaissac Picasso ® Thomas Bourdeau / RFI

Le musée de l’abbaye de Sainte-Croix (MASC) consacre donc une très belle rétrospective à ce parcours d’artiste hors-norme. « L’exposition s’intitule Chroniques et elle permet de suivre le fil du travail de Gaston Chaissac. Ses œuvres, ce sont plutôt des ensembles : buvards, pastels, collages, les totems... Et ce qu’on a voulu, c’est remettre les choses dans l’ordre pour que le visiteur puisse démêler et voir comment tout cela résonne. Cela permet de comprendre plus en détail les différentes facettes de Gaston Chaissac » explique Gaëlle Rageot-Deshayes, conservatrice en chef du patrimoine au MASC.

Sa série à base d'échantillons de tapisserie est remarquable.
Sa série à base d'échantillons de tapisserie est remarquable. ® Thomas Bourdeau / RFI

« C’est un cueilleur. Il est autant écrivain que peintre ! »

Mais qu’a donc réalisé Gaston Chaissac ? « L’œuvre de Chaissac n’est pas facile à classer. Elle s’inscrit à côté de beaucoup de choses. Elle est assez unique. Il aimait parler de peinture rustique moderne, car il revendiquait un art des villages un peu contre l’art des préfectures. Ce qui le porte, c’est le matériau, la spontanéité, la trouvaille. C’est un cueilleur. Il est autant écrivain que peintre ! » Selon Annie Raison, fille de Gaston Chaissac, « la peinture est comme une illustration, un objet de séduction par rapport à l’écriture, son vrai goût c’est l’écriture. Il bouillonne ! » L’exposition au MASC se lit tout autant qu’elle se contemple. Chaissac est « l’homme aux 36 000 lettres, quatre lettres par jour ! » explique Gaëlle Rageot-Deshayes et d’ajouter : « il fait feu de tout bois, ce sont des trésors les œuvres qu’il a faites avec les objets qu’il va récupérer dans la campagne. Cela fait partie de ses stimulants : cette cueillette et ces trouvailles. »

Entretien avec Gaëlle Rageot-Deshayes à écouter en intégralité ci-dessous ▼

Un maladroit malentendu demeure : Gaston Chaissac n’est pas un artiste à ranger dans la catégorie art brut. « L’art brut c’est l’art qui ignore son nom, mais Chaissac sait très bien qu’il fait de l’art ! Il n’a juste pas d’idées préconçues, il ne prépare pas son travail avant de commencer. Souvent le matériau avec ses imperfections, ses caractéristiques, engagent la création », explique Gaëlle Rageot-Deshayes. Elle va même jusqu’à déterminer que depuis son premier dessin, sorte de matrice cellulaire, l’ensemble du travail de Gaston Chaissac se déploie comme par contagion, mimétisme artistique, pour devenir une œuvre originale qui n’aura cessé de croitre au gré des découvertes.

L'explication est à écouter ci-dessous ▼

« On l’a classé comme fou, comme naïf... »

En dotant exceptionnellement le MASC d’une centaine d'œuvres pour une dizaine d’années, Annie Raison tente de réhabiliter avec honnêteté et tendresse le travail de son père : « Mon but, c’est que papa sorte du mépris dans lequel on l’enferme. C’est quelqu’un qui a construit quelque chose d’original, mais on l’a classé comme fou, comme naïf, comme art brut, alors qu’on n’avait pas compris que c’était un travail unique. » Et de détailler la posture artistique de son père : « Papa ne laisse pas de trace, il est furtif. Il a toujours occupé des endroits mineurs, des coins de table. C’est un recyclage permanent… Il a été au rendez-vous avec sa clientèle dans les années 1950, ça lui a pris deux années et après il en a eu marre ! » dit-elle en riant. « Lui-même, par dérision, disait qu’il construisait ses tableaux comme on charge une brouette de fumier ! »

Entretien avec Annie Raison à écouter ci-dessous ▼

L’incessante cueillette de Gaston Chaissac demeure exemplaire

Car le monsieur est un original, voire un farceur. Il s’amusait à offrir des tableaux à des notables vendéens en sachant qu’ils n’allaient pas apprécier le don. Quelque temps après, dans une décharge, le « cadeau » était récupéré. Il est maintenant exposé au MASC parmi les autres pièces. En 2000, lors de l’exposition Chaissac au musée du Jeu de Paume à Paris, certaines familles vendéennes durent réellement se ronger les ongles. Car les œuvres de Gaston Chaissac sont depuis longtemps sorties de la décharge où certains avaient voulu les mettre et font les beaux jours des collectionneurs avertis du monde entier. On pouvait d’ailleurs lire dans le catalogue de l’époque un long texte en forme d’hommage de la part de l’artiste allemand George Baselitz. L’incessante cueillette de Gaston Chaissac demeure exemplaire, voire avant-gardiste, pour de nombreux artistes contemporains.

Abstrait tout en restant accessible.
Abstrait tout en restant accessible. ® Thomas Bourdeau / RFI

Sa peinture comme son écriture fait fi de la marge

Picasso avait, dans son tableau intitulé Composition au papillon, inséré un véritable papillon. André Breton fasciné par l’idée avait alors qualifié ce geste de hors-la-loi. On peut dire que Gaston Chaissac a constamment cherché à encadrer à sa façon tous les papillons qu’il pouvait attraper dans la campagne vendéenne. Et ce faisant, avec les moyens du bord, il faisait figure de hors-la-loi borderline qui souligne les dits bords et s’amuse devant les surprenantes figures qui en jaillissent. Sa peinture comme son écriture fait fi de la marge, envahit la surface du papier recto verso perturbant le haut comme le bas. L’envahissement des mots et phrases sur la feuille est comme une démangeaison : « ça bouillonne ! » décrit Annie Raison. Tout comme ça l’agace avec humour d’observer l’activité de l’église, de la mairie, de la vie des petites gens et des bourgeois des villages vendéens. L’œuvre de Gaston Chaissac correspond donc souvent à des chroniques rurales artistiques exposées avec justesse par le MASC. On s’amuserait, à l'heure qu'il est, de lire ou admirer quelques chroniques du cocasse Gaston Chaissac, agacé, non sans fou-rire, par cette Vendée qui radote sur son histoire et néglige ses plus belles facettes.

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Affichage publicitaire en guise d'avertissement de choix de vie. ® Thomas Bourdeau / RFI

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