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Archéologie

Menhirs détruits à Carnac et colère des archéologues : pourquoi l'affaire ne fait que commencer

A Carnac, une quarantaine de menhirs ont été détruits pour les besoins d’un chantier. C’est peut-être un élément essentiel de notre patrimoine qui vient de disparaître. Explications avec Christian Obeltz, l'archéologue amateur qui a dénoncé le projet.

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Menhirs de Carnac (Bretagne)

Menhirs de Carnac (Bretagne)

Dominique Delfino / Biosphoto / Biosphoto via AFP
Menhirs de Carnac (Bretagne)
Menhirs détruits à Carnac et colère des archéologues : pourquoi l'affaire ne fait que commencer
Hervé Ratel
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Ça chauffe à Carnac ! Depuis que 38 menhirs ont été détruits pour laisser place à un Mr Bricolage, l'émotion est vive, parfois jusqu'à l'excès. Accusé d'être à l'origine de cette destruction patrimoniale, le maire de Carnac a été placé, ainsi que sa famille, sous protection policière le 9 juin 2023 après avoir subi insultes et menaces sur les réseaux sociaux. La construction du magasin a démarré début avril. Mais il faut attendre le 7 juin et un billet de blog de Christian Obeltz, archéologue amateur, sur le site de l'association Sites et Monuments pour que l'affaire prenne une ampleur nationale. "C'est en passant près de cette zone d'activité de Montauban voilà trois semaines que je me suis aperçu qu'en lieu et place d'un site archéologique, un grand magasin était en construction, témoigne-t-il. J'étais atterré."

Un alignement mégalithique potentiellement inédit

Pourtant, en 2015, l'expertise de cette zone menée par un archéologue de l'Inrap préconisait une fouille du site et se demandait si "un alignement mégalithique inédit" ne venait pas d'être découvert à Carnac. A l'époque, c'était un magasin Super U, qu'il était prévu de construire. Mais malgré les promesses du site, la fouille prescrite en 2015 n'aura pourtant jamais lieu et en 2022, le projet de construction repart de plus belle, avec un Mr Bricolage à la place du Super U initial.

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Pour la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Bretagne (DRAC) et selon un communiqué diffusé le 7 juin 2023 : "Du fait du caractère encore incertain et dans tous les cas non majeur des vestiges tels que révélés par le diagnostic, l'atteinte à un site ayant une valeur archéologique n'est pas établie." "Un communiqué expéditif en contradiction flagrante avec le diagnostic archéologique de 2015", dénonce Christian Obeltz, pour qui le chemin de Montauban recélait probablement une file de menhirs d'une importance majeure ! En effet, selon le diagnostic, "c'est donc un minimum de 38 monolithes qui sont identifiés sur le site mais il en existe sans doute d'autres dans la partie non débroussaillée."

"Des plaintes ont été déposées et plusieurs élus ont demandé l'ouverture d'une enquête"

Christian Obeltz remarque ironiquement qu'il était sûrement urgent de démarrer la construction de ce magasin avant qu'un dossier de candidature au Patrimoine Mondial de l'Unesco concernant 397 mégalithes répartis sur une trentaine de communes des rives de Carnac et du Morbihan ne soit remis fin septembre au ministère de la Culture et compromette ainsi la construction de l'enseigne. Pourtant, ce site aujourd'hui détruit était inscrit sur la liste indicative des sites retenus pour le classement à l'Unesco.

L'affaire n'en est qu'à ses débuts. "Des plaintes ont été déposées et plusieurs élus, de tous bords politiques, ont demandé l'ouverture d'une enquête devant cette hérésie, ce décalage total entre données scientifiques et décisions économiques." Une enquête a effectivement été ouverte par le parquet de Lorient. Christian Obeltz rappelle que la destruction, la dégradation ou la détérioration d'un patrimoine archéologique est punie de sept ans d'emprisonnement et de 100.000 euros d'amende selon le Code du patrimoine.

"Ces petits menhirs constituaient sans doute l'un des ensembles du genre le plus ancien de France"

Pour ce dernier : "la plupart des blocs du chemin de Montauban mesuraient à peine 1 mètre de haut. Ce qui signifie qu'ils étaient probablement très anciens s'il faut en croire l'historicité des menhirs de la région. Ces petits menhirs constituaient sans doute l'un des ensembles du genre le plus ancien de France, à en juger par les datations au Carbone 14 obtenus en 2010 lors de la fouille de la Z.A. de Montauban à 200 m. Une datation autour de 5480-5320 avant J.-C. laisse penser que les premiers constructeurs de mégalithes n'étaient pas les agriculteurs éleveurs du Néolithique mais les chasseurs-cueilleurs-pêcheurs du Mésolithique." Ce qui selon lui aurait constitué une révolution dans la perception de l'évolution des sociétés. Le seul autre site aussi ancien est le site turc de Gobekeli Tepe, classé au Patrimoine Mondial.

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En outre, depuis près de 150 ans, de nombreuses découvertes de haches en jade d'origine italienne furent signalés à côté de groupes de menhirs de la région, comme dans les communes de Quiberon ou de Sarzeau. Or, il s'agissait souvent de menhirs de petite taille, preuve que l'importance de ces sites n'a rien à voir avec nos critères actuels favorisant le gigantisme. "Le site du chemin de Montauban était donc véritablement susceptible de renfermer quelque chose d'exceptionnel", se désole l'archéologue. Malheureusement, nous n'en saurons jamais rien, les petits menhirs ont été broyés par les pelleteuses pour venir remblayer les abords du Mr Bricolage...

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