Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir - La Recherche n°905-906, daté juillet-août 2022.
L'année 2022 marque les 40 ans de la disparition de Philip K. Dick, immense écrivain américain qui a marqué d'une empreinte indélébile l'histoire de la science-fiction (SF). Quadragénaire aussi est le film "Blade Runner", sorti en 1982 et adapté du livre "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" signé Philip K. Dick ; la mort empêchera celui-ci de le voir terminé. Mais la faucheuse ne pourra rien contre l'aura de "PKD" : sa lecture, du point de vue des sciences, trouble par sa clairvoyance. Des réseaux sociaux au développement de l'intelligence artificielle (IA), il paraît avoir tout prévu des thèmes scientifiques et technologiques façonnant notre quotidien. Car loin d'une fresque à la "Star Wars", Philip K. Dick est l'auteur d'un imaginaire concret, consacré à la vie de tous les jours.
"Il est possible que la science-fiction de Dick ait eu un tel succès au cinéma parce qu'elle réussissait, justement, à dévoiler ce que deviennent les usages ordinaires dans les mondes futurs, là où d'autres romans mettaient plutôt l'accent sur des combats, des machines prodigieuses, des voyages dans l'espace ", écrit ainsi Irène Langlet, professeure de littérature à l'Université Gustave-Eiffel (Champs-sur-Marne), dans un essai disponible en ligne. Revue des fulgurances de Philip K. Dick, témoignant que l'auteur mort à 53 ans avait eu le temps d'imaginer le futur.
D'Ubik à Google
Cet article est extrait du mensuel Sciences et Avenir - La Recherche n°905-906, daté juillet-août 2022.
L'année 2022 marque les 40 ans de la disparition de Philip K. Dick, immense écrivain américain qui a marqué d'une empreinte indélébile l'histoire de la science-fiction (SF). Quadragénaire aussi est le film "Blade Runner", sorti en 1982 et adapté du livre "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" signé Philip K. Dick ; la mort empêchera celui-ci de le voir terminé. Mais la faucheuse ne pourra rien contre l'aura de "PKD" : sa lecture, du point de vue des sciences, trouble par sa clairvoyance. Des réseaux sociaux au développement de l'intelligence artificielle (IA), il paraît avoir tout prévu des thèmes scientifiques et technologiques façonnant notre quotidien. Car loin d'une fresque à la "Star Wars", Philip K. Dick est l'auteur d'un imaginaire concret, consacré à la vie de tous les jours.
"Il est possible que la science-fiction de Dick ait eu un tel succès au cinéma parce qu'elle réussissait, justement, à dévoiler ce que deviennent les usages ordinaires dans les mondes futurs, là où d'autres romans mettaient plutôt l'accent sur des combats, des machines prodigieuses, des voyages dans l'espace ", écrit ainsi Irène Langlet, professeure de littérature à l'Université Gustave-Eiffel (Champs-sur-Marne), dans un essai disponible en ligne. Revue des fulgurances de Philip K. Dick, témoignant que l'auteur mort à 53 ans avait eu le temps d'imaginer le futur.
D'Ubik à Google
Google… Comment faire sans ? Le mastodonte numérique sert à trouver des infos sur le Web, fait office de revue de presse, délivre les horaires de la prochaine séance de cinéma ou l'adresse de la pizzeria la plus proche. Il donne aussi dans la voiture autonome ou l'image satellite. Son cofondateur Larry Page finance même l'entreprise de technologie biomédicale Calico pour lutter contre le vieillissement ! Bref, Google sert à tout. Comme, avant lui, "Ubik". Voilà "le produit protéiforme destiné à calmer toutes les craintes et à satisfaire tous les désirs ", selon la formule du spécialiste de la SF Gérard Klein. Tour à tour dentifrice, police d'assurance ou sauce à salade, ce produit omniscient ("ubique" signifie "partout" en latin) donne son titre au chef-d'œuvre sorti en 1969.
Ce roman kaléidoscopique présente des "mondes imbriqués, dont l'enchevêtrement fait qu'on finit par ne plus savoir dans quel univers, réel ou virtuel, on évolue " explique Étienne Barillier, auteur du "Petit guide à trimballer de Philip K. Dick" (éditions Actu SF). "Ubik" illustre aussi la veine humoriste de l'écrivain américain quand le héros Joe Chip est en butte à l'hostilité des objets. Ainsi, sa porte d'entrée refuse - littéralement, étant dotée d'une IA - de s'ouvrir parce qu'il n'a plus de monnaie à verser dans la fente prévue à cet effet. On pense à l'Alexa d'Amazon et "cela anticipe aussi les micro-abonnements auxquels nous sommes habitués avec les applis de nos smartphones et les plateformes de vidéo à la demande ", reprend Étienne Barillier.
L'IA plus forte que l'humain
En apparence, rien ne permet de distinguer des êtres vivants les créatures artificielles du livre "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?" (1968). Imitant les animaux comme les humains, leur ressemblance est parfaite. Pour savoir si hommes ou femmes sont des machines, il faut leur faire passer un test du nom de Voight-Kampff : une adaptation de celui de Turing, imaginé en 1950 par le grand scientifique britannique pour détecter l'intelligence artificielle. Un demi-siècle avant que le thème ne s'impose dans les médias, Dick explore la question de "l'IA forte" aux capacités comparables à celle d'un cerveau humain. Une perspective qui parfois réjouit, souvent effraie, mais n'est pas encore à la portée des labos. Jusqu'à quand ?
La vie contrôlée par les algorithmes
En 2018, le livre "Homo deus" de l'historien israélien Yuval Noah Harari a connu un fort engouement médiatique. Parmi les thèses du livre qui brasse les grandes théories scientifiques du moment, le fait que "les organismes sont des algorithmes et [que] la vie se réduit à un traitement de données ". L'idée était illustrée dès 1960 dans "Les Marteaux de Vulcain", où la vie des individus est régulée par des algorithmes commandés par un superordinateur. "Si la "quincaillerie" est datée - la machine fonctionne avec des bandes magnétiques -, l'idée du contrôle de notre libre arbitre par la technologie demeure pertinente ", commente Étienne Barillier.
Les implants dans le cerveau
Le héros de "Total Recall" (1968, adapté au cinéma en 1990) ne peut pas se payer des vacances dépaysantes. Alors il se fait implanter le souvenir d'un séjour aventureux sur Mars. L'opération se passe mal et réveille une zone endormie de sa mémoire : il avait oublié son passé, réel, d'agent secret sur la planète Rouge ! Aujourd'hui, le thème des implants cérébraux n'est plus de la SF. À l'instar de ceux de Clinatec, à Grenoble, des scientifiques pensent en équiper des personnes paralysées pour contrôler par la pensée fauteuils roulants ou exosquelettes.
Avatars et métavers
Dans "Le Dieu venu du Centaure" (1965), des colons terriens sur une planète lointaine ont la nostalgie de la planète Bleue, qu'un réchauffement climatique a rendue invivable. Pour pallier ce manque, ils prennent des drogues dites de translation qui leur permettent, en jouant avec des poupées - sortes de Barbie et Ken -, de glisser dans un monde parallèle qui leur donne l'illusion d'être revenus sur Terre. "Le dispositif fait 'toc', mais c'est une préscience du métavers à une époque où ces questions n'étaient absolument pas explorées, même dans la SF où il faut attendre les auteurs du 'cyberpunk' dans les années 1980 pour voir le thème apparaître ", commente Étienne Barillier.
La police prédictive
La police de "Rapport minoritaire" (1956, le film "Minority Report" est sorti en 2002) consulte des espèces de devins, les precogs, qui prévoient des méfaits à venir et permettent l'arrestation des coupables avant qu'ils ne passent à l'acte. Une météo du crime, en somme. En 2010, la police de Los Angeles (États-Unis) avait lancé l'expérimentation du logiciel de police prédictive Predpol, dont l'usage a été interrompu au bout de dix ans, officiellement pour raisons budgétaires dans un contexte épidémique. Le programme était censé détecter les "points chauds" d'où devaient surgir criminels et délinquants, mais il semble ne pas avoir fait preuve d'une grande efficacité.
L'humain végétal
Dans la nouvelle "Les Joueurs de flûte" publiée en 1953, des militaires stationnent sur un astéroïde. Sous le soleil, dans la paresse, un soldat devient une plante. C'est le début d'une forme d'épidémie. Dans son livre "ABC Dick", l'essayiste Ariel Kyrou établit un frappant parallèle entre ce texte de Philip K. Dick et les analyses du philosophe Paul Virilio (1932-2018). "Ce penseur a travaillé sur l'influence de la technologie. Selon l'une de ses thèses, les écrans génèrent une sorte de photosynthèse : le canon à photon nous transforme en plante ", commente Ariel Kyrou. De quoi donner du grain à moudre aux contempteurs des écrans ; les autorités de santé rappellent d'ailleurs qu'il faut les interdire aux enfants de moins de 3 ans.