Huit cas de bébés nés avec un bras incomplet ont été détectés à l'automne 2018 dans l'Ain, et 10 de plus encore non confirmés, sans que les autorités de santé ne puissent avancer d'explication. Que sait-on de ce type de malformation ? Sciences et Avenir fait le point.
1. Comment s'appelle ce type de malformations ?
L'agence Santé publique France parle d'"agénésie transverse des membres supérieurs (ATMS)", qu'elle définit comme étant "l’absence de formation d’une main, d’un avant-bras ou d’un bras au cours du développement de l’embryon". Mais dans le cas des malformations de bébés détectées dans l'Ain, la Bretagne et la Loire-Atlantique, "agénésie" ne serait pas tout à fait le bon terme, car il reste global et peu précis, selon des spécialistes. "La malformation qui est médiatisée et dont on a observé plusieurs cas dans des villages voisins, c'est ce qu'on appelle des "hémimélies transversales", il manque la moitié d'un des deux membres", précise à l'AFP le professeur Sylvie Manouvrier, qui dirige le centre de référence maladies rares du CHU de Lille. De manière générale, une agénésie est l’absence complète d’un organe suite à l'absence de son ébauche embryonnaire. L'hémimélie transversale est en effet une forme partielle d'agénésie, dans laquelle il manque seulement une moitié d'un des deux membres, par exemple un avant-bras.
2. Quelle est la fréquence de ces malformations ?
L'incidence des agénésies transverses de membres supérieurs est estimée en France à 1,7 cas pour 10.000 naissances, soit environ 150 cas par an. Des chiffres approximatifs, puisqu'ils sont déduits des 6 registres français couvrant seulement 19% du territoire. "C'est vrai qu'un registre ça coûte cher à maintenir, mais si on n'a pas de registre, c'est comme si on avait pas de thermomètre pour prendre la température", commente auprès de Sciences et Avenir le Pr Israël Nisand, président au Collège national des gynécologues-obstétriciens. "C'est difficile de remarquer une augmentation de l'incidence sans avoir recours à des registres de malformation", ajoute le Pr Manouvrier.
3. Quelles sont les causes potentielles de malformations des membres ?
On distingue ainsi plusieurs causes potentielles aux agénésies en général : la génétique, un agent infectieux (rubéole, toxoplasmose), physique (radiations ionisantes) ou médicamenteux (dépakine, thalidomide), métabolique (diabète gestationnel), toxique (syndrome d’alcoolisation fœtale), mécaniques (syndrome de la bride amniotique). "Plus de la moitié des malformations sont d’origine multifactorielle ou inconnue", d'après le Collège Français des Pathologistes. Mais dans le cas précis des ATMS, la cause est soit génétique (rarement), soit mécanique (brides amniotiques, anémies…), soit liée à l'exposition à un agent tératogène (toxique pour le fœtus). "La cause est a priori un défaut de vascularisation du bourgeon de membre", explique le Pr Manouvrier. "Une petite artériole qui se bouche ou subit un spasme" va empêcher la croissance normale du membre. "Qu'est-ce qui fait que cette petite artériole se bouche, est-ce qu'il y a des prédispositions aux thromboses, des facteurs toxiques, environnementaux ? C'est très mal cerné. On suspecte mais on n'a aucune certitude", ajoute-t-elle.
Selon un rapport sur les anomalies congénitales remis à Santé publique France, "il est établi que certains produits d'origine alimentaire, les médicaments, les substances à effet récréatif - dont l'alcool et le tabac - et les toxiques présents dans l'environnement ont un effet potentiellement délétère chez l'enfant à naître en cas d'exposition au cours de la grossesse". Les grossesses dans l'Ain ayant eu lieu en milieu rural, les pesticides sont montrés du doigt. "Les pesticides agissent comme des hormones, ce sont de fausses hormones qui viennent occuper les récepteurs aux hormones, ce qu'on appelle des exo-œstrogènes et nous savons que certaines maladies fœtales sont bien plus fréquentes si la mère est exposée à ces toxiques", relève le Pr Nisand.
4. Est-il possible que ces malformations ne se voient pas à l'échographie ?
Une grossesse sans facteur de risque potentiel est jalonnée de 3 échographies, une par trimestre. C'est au 2e trimestre (20 à 25 semaines) que l'objectif est de dépister certaines malformations. "Ces échographies de dépistage ne sont pas infaillibles et ne permettent pas de tout dépister", rappelle cependant l'Invs (aujourd'hui Santé Publique France), "considérer l’échographie comme un certificat de “normalité” est une représentation erronée, (…) toutes les anomalies ne sont pas reconnaissables à l’échographie, et aucun processus de dépistage ne peut identifier toutes les anomalies potentiellement reconnaissables", ajoute l'agence. En effet, "les performances théoriques de l'échographie sont minorées dans certaines situations liées à la paroi maternelle, à la position foetale ou au terme inapproprié de l'examen, ce qui peut entraîner une mauvaise appréciation de la réalité", conclut le Collège Français d'Échographie Fœtale.
L'échographie est en effet réalisée par l'émission de sons qui, en rebondissant sur le foetus, vont retourner à l'appareil et générer des nuages de points. Ces données vont alors dessiner des structures et être interprétées par l'échographiste. En plus des difficultés d'interprétation, le trajet du son peut lui-même être perturbé par le ventre de la mère. Ainsi, la masse graisseuse ou l'application d'une crème anti-vergetures dans les dix jours précédant l'examen bloque le passage du son et brouille l'échographie. "Les gens pensent que c'est une caméra, qu'on voit le bébé, mais non c'est une sorte de sonar de sous-marin", explique le Pr Guillaume Gorincour à sa classe de gynécologie obstétricale. "L'imagerie, ce ne sont que des images construites, il faut en avoir conscience", ajoute-t-il.
"A l'échographie, on voit environ 75% des malformations, toutes confondues", explique le Pr Nisand, "cela veut dire qu'il y a 25% des malformations qui sont là et qu'on ne voit pas !", explique-t-il. C'est ce qu'on appelle la "sensibilité" de la méthode. Pour les agénésies de membres, cette sensibilité passe même de 75 à 50%, d'après le Pr Nisand. "Si le bébé est couché sur son avant bras, même un très bon échographiste peut voir deux fois le même bras et penser voir les deux bras", explique-t-il. De même, "5% des malformations qu'on détecte, ce sont des faux positifs". C'est ce qu'on appelle la "spécificité" de la méthode. "En médecine, avoir une sensibilité et une spécificité de 100% est impossible", explique-t-il, précisant que ce qui s'en approche le plus est celle de l'agénésie du cerveau (ou anencéphalie), détectée dans 99% des cas à l'échographie.
5. Ce type de malformations peuvent-elles mener à un avortement thérapeutique ?
L'avortement peut avoir lieu sans avis médical dans les 12 premières semaines de grossesse. Passé ce délai, en cas de détection d'une anomalie, c'est un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN) qui aura pour mission d’aider les équipes médicales et les couples dans l’analyse, la prise de décision et le suivi de la grossesse. Selon le code de la santé publique, lorsqu’une anomalie fœtale détectée est considérée comme ayant une "forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité réputée comme incurable au moment du diagnostic", les CPDPN ont la charge de l’attester. Ceci rend alors possible, en cas de demande parentale, l’interruption médicale de grossesse (IMG). Dans le cas contraire, les CPDPN ont la charge de contribuer au suivi de la grossesse, à l’accouchement et à la prise en charge du nouveau-né dans les meilleures conditions de soins possibles. Lorsqu'un membre manque en dehors de toute autre anomalie, la décision dépendra du CPDPN, certains pouvant avancer que le bébé étant sain par ailleurs, l'avortement thérapeutique n'est pas indiqué.
INDEMNITES. La loi prévoit que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance", à moins que l'acte médical en lui-même n'ait provoqué le handicap.
Avec AFP