[Reportage] Le Port de Tanger prend le large
Fraichement inauguré, Tanger Med 2 doit tripler la capacité en conteneurs du port marocain qui s’est imposé comme un passage obligé dans le détroit de Gibraltar.
Sur le terminal TC4, le premier à fonctionner sur le port de Tanger Med 2, l’activité humaine reste discrète. Les immenses portiques attendent les conteneurs à extraire d’un prochain navire. Surtout ces outils de manutention se déplacent sans présence humaine à bord pour les guider. Tout est dirigé depuis la tour de contrôle de l’opérateur danois APM Terminals (Maersk). Les employés manipulent les portiques depuis leur écran.
Pour un terminal dont la capacité atteint 5 millions de conteneurs de 20 pieds (EVP), avec un quai d’une longueur de deux kilomètres, les dernières technologies sont indispensables pour traiter autant de mouvements. Mais pas seulement. "Il permet de recruter des Marocains avec un plus haut niveau de qualification – ingénieur et technicien, se félicite Rachid Haouari, directeur central du port de Tanger Med 1&2.
Un investissement total de 2,7 milliards d’euros
L’opérateur danois a investi 1100 millions d’euros sur ce terminal qui est en phase de montée en puissance depuis quelques semaines. Le second terminal, TC3, entrera en service en 2020. Des engins de chantier s’affairent encore pour terminer les travaux, après il ne restera plus à l’opérateur Marsa Maroc qu’à installer portiques et bureaux sur ce terminal qui pourra recevoir 1 million d’EVP. Au total, Tanger Med 2 a nécessité un investissement public de 1,2 milliard d’euros essentiellement pour les infrastructures et 1,5 milliard pour les investissements privés.
Le port Tanger Med 2 va donner au premier port africain la capacité de rentrer dans le cercle restreint des 20 plus grands ports du monde. Avec ces deux nouveaux terminaux, sa capacité va atteindre dans les douze prochains mois 9 millions de conteneurs de 20 pieds (EVP). Soit un triplement de sa capacité. Les autorités du port prévoient d’atteindre les 9 millions de conteneurs autour de 2025.
Un port intégré qui crée de la richesse
Les Marocains sont très fiers de cette réussite industrielle, le port de Tanger, "fruit de la vision royale de SA Majesté le Roi Mohammed VI". Dans un discours en 2003, il avait exprimé le souhait de faire de Tanger Med un modèle de développement régional intégré. Une vision d’un Maroc totalement ancré dans l’espace euro-méditerranéen sur le détroit de Gibraltar et d’un réel pôle d’échange, entre les deux continents, mais aussi avec deux mers, la Méditerranée et l’Océan Atlantique.
Tanger est situé dans le détroit de Gibraltar, où passent 71 000 navires par an. A l’inverse du Pirée, le port grec en plein développement depuis son rachat par les Chinois, qui en ont fait la porte d’entrée pour inonder l’Europe avec leurs produits, "Tanger est un port intégré. L’intérêt est qu’il crée de la richesse, qu’il attire des trafics et remette en question les niveaux d’exigence de production, se réjouit Mehdi Tazi Riffi, directeur général du groupe Tanger Med. Le cercle vertueux initié il y a vingt ans a permis de hisser le Maroc au niveau international. C’est la deuxième région économique du Maroc derrière Casablanca et celle qui a le plus faible taux de chômage. Il y a eu un véritable rééquilibrage grâce à Tanger Med car le nord du Maroc a longtemps été délaissé."
D’ailleurs, le port de Tanger a été une véritable bouteille d’oxygène pour l’économie tangéroise. En une dizaine d’année, le Maroc est passé de la 83ème place à la 17ème place mondiale pour la connectivité maritime (indice CNUCED). Le premier port d’Afrique a rapproché le continent de l’Asie. "Avant, il fallait 45 jours pour relier l’Asie au Maroc en passant par les ports européens. Aujourd’hui, nous sommes passés à 20 jours, indique Rachid Houari, directeur central du port Tanger Med 1 et 2. Donc, le reste du continent africain est également gagnant, et nous récupérons du cash-flow et réduisons les coûts de transport."
Les 208 prendront le train jusqu’à Tanger
Le port a permis d’attirer des industriels aussi célèbres que Renault-Nissan, Delphi, Valeo, Mecachrome, Daher, Furukawa… 120 000 m2 d’entrepôts sont loués dans la zone franche logistique et le potentiel permettra de doubler ou tripler les activités dans les cinq années à venir.
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Même PSA, qui vient d’inaugurer à Kenitra une nouvelle usine le 20 juin dernier - où il produit la nouvelle 208 mais aussi des moteurs, une première au Maroc-, utilise le port pour importer des pièces et exporter ses voitures. Et le train à grande vitesse entre Tanger et Casablanca a libéré l’ancienne ligne ferroviaire, ce qui permettra de relier Kenitra au port de Tanger par le train. Sur le terminal roulier, ce sont aujourd’hui essentiellement des Dacia et Renault qui attendent d’embarquer sous un soleil de plomb.
Le port de Tanger génère 31 milliards d’euros de marchandises, dont 18 milliards d’import, et 13 milliards d’export, dont 8 milliards qui sortent de la zone de Tanger, qui regroupe aujourd’hui 912 entreprises avec 70 000 emplois, dont 5000 sur le port.
Avec le vrac et les voitures (479 321 véhicules neufs en 2018), l’import/export représente 30% de l’activité du port, et le reste est du transbordement. Pour les seuls conteneurs, le transbordement représente 90% du chiffre d‘affaires. 38% des conteneurs partent ou arrivent des autres ports africains. Le port est aussi reconnu pour sa productivité avec 33 mouvements par heure contre 29 en Europe. En Chine, elle atteint 40 mouvements par heure mais avec des conditions de travail qui ne sont pas comparables. A Tanger, un grutier bénéficie d’une heure de repos toutes les deux heures.
"Notre usine marocaine est une des meilleures du groupe"
"Quand on a décidé de s’intéresser à l’Afrique- un continent qui comptera 2,5 milliards d’habitants en 2050 – il fallait choisir une zone économique et politique stable, explique Jacques Fiorella, directeur général de Furukawa Electric Group, une entreprise nipponne qui produit des câbles de fibre optique et fut l’une des premières à s’installer à Tanger. Les infrastructures au Maroc sont bien développées et il existe un véritable potentiel de ressources humaines. Notre usine marocaine est une des meilleures du groupe au niveau de la qualité et des délais de livraisons. Mais le port de Tanger a aussi été l’élément déterminant. Il existe une importante connexion entre le port et la zone franche et Tanger Med est l’un des plus sécurisés au monde."
A Tanger Med 1, sur le terminal Eurogate les mouvements des portiques sur rail du chinois ZPMC, des portiques Kalmar sur pneus qui peuvent se déplacer dans quatre directions, des grues, des chariots de manutention ressemblent à un véritable ballet. A quai, deux porte-conteneurs sont déchargés, à l’extérieur du quai 30 000 conteneurs stockés pour une capacité de 48 000. Un quai de 812 mètres de long et de 18 mètres de profondeur qui peut accueillir les plus grands navires.
Le port de Tanger Med, qui a traité 3,4 millions de conteneurs en 2018, a laissé sur place les ports français qui stagnent – Haropa (Paris, Rouen, Le Havre) avec 3 millions d’EVP et Marseille avec 1,35 million. Il a dépassé sa capacité nominale de traitement de 15%. Il atteint la 45ème place au classement, quand le Havre est au-delà de la 60ème place et Marseille bien après la centième place… L’arrivée de Tanger Med 2 n’est sans doute pas une bonne nouvelle pour les ports du sud de l’Europe.
Olivier Cognasse, à Tanger (Maroc)