Chaque soir, le même rituel. En arrivant dans le studio de France Inter, alors que la nuit était déjà tombée, Macha Béranger installait sur son bureau, tout près de son micro, une lampe de chevet. Ainsi, avec cette lumière tamisée, elle disait « se sentir comme à la maison. » Une ambiance feutrée dont elle avait besoin pour se plonger dans les confidences des nombreux auditeurs qui la sollicitaient. De minuit à une heure du matin, parfois même jusqu’à trois heures, elle écoutait leurs petits problèmes et leurs grands questionnements. Tout le monde avait la parole dans Allô Macha, surtout les grands insomniaques et les tristes solitudes. À cette heure avancée, la Maison de la Radio était bien vide. Seule la voix suave, si reconnaissable, de Macha Béranger y résonnait. Dans la cabine, il y avait tout de même quelques techniciens, nécessaires à la bonne réalisation de l’émission, et un spectateur, inconditionnel et toujours attentif : Louis de Funès. « En 1982, j'animais une émission la nuit sur France Inter, avant celle de Macha Béranger. Et Louis de Funès, qui était amoureux d'elle, était là tous les soirs. Il s'installait dans la cabine avec les techniciens et vivait littéralement ce que Macha disait aux gens. Il grimaçait, commentait - on aurait dit un film - Macha lui lançait des regards complices : ils étaient en fusion ! », s’est récemment souvenu le critique musical Philippe Manœuvre dans les colonnes de L’Obs.
L’animatrice et l’acteur s’étaient justement rencontrés lors d’un cocktail organisé à la Maison de la Radio, en 1970. Elle a 29 ans et débute juste sa carrière. Il a 46 ans et est la plus grande star du cinéma français, connu dans le monde entier depuis La Grande Vadrouille. Le coup de foudre est immédiat, et une liaison se noue tout naturellement. Ils se retrouvent dès qu’ils le peuvent dans une suite de l'Hôtel Intercontinental, près de la place Vendôme, que l’acteur de La Folie des Grandeurs loue à l’année.
Elle le rejoint aussi parfois sur des tournages, comme en 1982, sur celui du Gendarme et des extraterrestres. « La production des Gendarmes leur avait même loué un studio pour qu'ils puissent “travailler”, selon la version officielle qui nous avait été livrée [...] Ils écrivaient donc à quatre mains le prochain épisode... Plaisanterie ! Tout le monde a très vite compris la situation, sauf Madame de Funès, qui était restée au Cellier dans le château familial », a écrit Michel Galabru, l'inoubliable adjudant Gerber de la saga, dans son autobiographie Les rôles de ma vie, parue en 2016. Un problème pourtant : Madame de Funès, l’épouse légitime, a pour habitude de débarquer à l’improviste sur les plateaux où travaille son mari. Louis de Funès demande donc à ce que quelques gardes du corps soient postés pour donner l’alerte, au cas où… « Il avait exigé que sa loge soit installée au rez-de-chaussée, de manière que, lorsque sa femme arriverait, sa maîtresse puisse sortir par la fenêtre. On ne saute pas du premier étage ! », plaisantait également Michel Galabru sur cette situation.
Si sa liaison avec Macha Béranger est connue par une partie de la profession, Louis de Funès tient tout de même à la garder discrète. Pour cause, il prévient sa jeune amante dès le début : jamais il n’acceptera de divorcer. Pas une deuxième fois ! En effet, en 1939, l’acteur s’était séparé de Germaine Carroyer, après seulement trois ans de mariage, avec laquelle il a eu un fils, Daniel. En 1943, il se remarie avec Jeanne Augustine Barthélemy, avec laquelle il a deux autres fils, Patrick et Olivier. De Funès tient tout particulièrement à cette harmonie familiale. Surtout, il ne veut pas entacher, auprès de son public, son image de bon mari, bon père de famille et bon catholique. L’amour qu’il porte à Macha Béranger le rend plus heureux que n’importe quel autre, mais la plupart de ses fans ne le comprendraient pas.
Au bout de quelques temps pourtant, Madame de Funès voit son mari s’éloigner d’elle. Sans lui dévoiler la vérité, elle tente de le retenir, l’accompagnant sur les plateaux puis le gardant à ses côtés dans leur château. Louis de Funès voit de moins en moins sa chère Macha. « Cet homme souffrait d'être séparé de Macha Béranger. Quelques mois plus tard seulement, un nouvel infarctus lui a été fatal », conclut Michel Galabru. Comme si un chagrin d’amour avait fini par le tuer… Une chose est sûre, l’animatrice et l’acteur se sont aimés jusqu’au décès de ce dernier, en 1983. Macha Béranger se remettra difficilement de cette tragédie, et c’est le cœur lourd qu’elle continuera d’écouter les confidences des auditeurs d’Allô Macha, jusqu’en 2006, trois ans seulement avant sa propre mort.
