Récit : Dalida, le crépuscule d’une diva

Au tournant des années 1980, la carrière de la chanteuse est largement derrière elle. Marquée par une vie personnelle émaillée de tragédies, elle va se réinventer en icône disco, en pasionaria mitterrandienne et bientôt, en grande actrice devant la caméra de Chahine. Las, se souvient Gérard Lefort pour « Vanity Fair », ce ne furent que les derniers éclats d’un destin dont la noirceur fascine toujours.
Dalida le crpuscule dune diva
Raymond Depardon / Magnum photos

Dalida était une grande dame mais une petite femme. Tous ceux qui l’ont côtoyée ou simplement rencontrée l’attestent et sa carte d’identité, qui fut visible à l’exposition « Dalida, une vie », à la mairie de Paris en 2007, le confirme : 1,68 m sur la pointe des pieds. D’où vient le sentiment physique inverse ? Sans doute de ses innombrables apparitions à la télé qui, comme le cinéma, cadre toujours « bigger than life ». Mais aussi de son allure, entre coiffure à la lionne et mâchoires carrées. Avec un visage aussi sculptural et une chevelure aussi prégnante, on ne peut imaginer qu’une stature d’importance. Le paradoxe, pourtant, n’est pas que physique, il est surtout moral : du début de sa carrière, au commencement des années 1950, jusqu’à sa disparition en mai 1987, Dalida n’a chanté qu’une seule et même chanson : celle de la vie à pleins poumons, de l’amour à fond, de la gaieté d’être heureuse. « Laissez-moi rêver », répétait-elle au refrain d’un de ses plus grands succès. Une rengaine à double détente : rêver sa vie quand la vie ne donne vraiment pas de quoi rêver. Mais les mantras ne suffisent plus à conjurer un sort qui s’acharne avec une opiniâtreté vicieuse : amants suicidés, amitiés défuntes ou trahies, abus d’anxiolytiques. En 1986, Dalida a 54 ans et le sentiment, déjà, de ne plus rien avoir à perdre. Cette année-là, elle croit enfin saisir la chance de se « refaire ». Comme à la roulette. Le cinéaste égyptien Youssef Chahine lui offre un rôle dans son nouveau film Le Sixième Jour. Elle y est Saddika, une grand-mère Courage qui veut sauver son petit-fils dans l’Égypte de 1947 ravagée par une épidémie de choléra.

Pour Dalida, les retrouvailles sont intenses, mais à plusieurs tranchants : née Yolanda Gigliotti le 17 janvier 1933 au Caire, dans une famille d’émigrés italiens d’origine calabraise, elle retrouve ses racines de « pied-noire égyptienne ». Mais les racines ont été arrachées et, lors d’une visite dans le quartier de son enfance, le faubourg de Choubra, les larmes coulent de ne rien reconnaître de l’appartement où elle est née et qu’elle partagea avec ses deux frères et ses parents – surtout son père adoré, Pietro, violoniste à l’opéra du Caire, disparu quand elle était gamine. Mais plus que le chagrin, ce qui remonte, ce sont les souvenirs de l’adolescence quand la jeune Yolanda, brune au regard charbonneux à la façon d’une Jane Russell orientale, rêvait de devenir actrice de cinéma. Ce ne fut pas le cas malgré son trophée de Miss Égypte en 1954 et quelques utilités dans des séries B dont les titres sont tout un programme : Le Masque de Toutankhamon et autres facéties pharaoniques. Sur les plateaux de son Hollywood-sur-le-Nil, elle croise Chahine (déjà !) et un jeune Michel Demitri****Chalhoub, bientôt célèbre sous le pseudonyme d’Omar Sharif. Mais pour Yolanda, la gloire cinématographique ne vient pas et en décembre 1954, elle s’envole pour Paris et la carrière que l’on sait.

C’est dire si pour Dalida, 32 ans plus tard, l’enjeu est de taille. À raison de quinze heures par jour pendant trois mois, le tournage du Sixième Jour, qui a lieu dans les studios du Caire et en extérieurs à Alexandrie, s’avère long et difficile. Bosseuse acharnée, Dalida s’y donne à corps perdu. Pour Chahine, non seulement elle apprend l’arabe égyptien afin de jouer en VO, mais elle accepte de se vieillir, de réduire son maquillage et surtout, de cacher sa fameuse crinière sous deux couches de voile noir.

Le Sixième Jour sort en salles en 1986 et le succès critique est fulgurant. Des Cahiers du cinéma à Libération, tout ce que la planète cinéphile compte d’aficionados sévères et parfois acariâtres s’incline devant l’excellence du film et surtout, devant la performance de son actrice principale. Sous la plume d’Isabelle Potel, critique à Libération, on peut lire : « À chaque plan, elle change d’âge, visage d’infante, de madone, icône... De dos, silhouette drapée de noir contemplant l’abîme comme dans un tableau de Böcklin. De face, sphinge au regard perçant défiant le temps. » Pour la promotion du Sixième Jour, Dalida, nouvelle amorosa du cinéma, court les plateaux de télévision et, de Poivre d’Arvor en Christophe Dechavanne, les dithyrambes pleuvent, le même avenir semble se dessiner : celui d’une actrice de qualité, promise aux grands rôles de la tragédie méditerranéenne, rejoignant ainsi quelques figures iconiques à fort tempérament, de l’italienne Anna Magnani aux grecques Irène Papas et Maria Callas. Mais là encore, la magie tourne au vinaigre. Dans les coulisses du succès, Dalida confie qu’elle a mal supporté de se voir prématurément vieille à l’écran et les directives de Chahine pendant le tournage n’en finissent plus de tinter à ses oreilles comme une prophétie lugubre : *« Tu vas me donner les blessures que la vie t’a faites. »*Le Sixième Jour, portrait d’une femme sacrifiée, réalisé, disait-elle, par « un voleur d’âme », peut aussi se regarder comme un biopic de la star au destin cerné de morts et assiégé de solitudes. Comme tout un chacun, Dalida voyageait avec les spectres du passé et les fantômes du présent. Mais au fil du temps, cette armée des ombres l’a peu à peu envahie jusqu’à la coloniser tout entière.

Trois dates clefs, comme des croix dans un cimetière. 27 janvier 1967 : le festival de la chanson de San Remo bat son plein. Dalida y participe parce qu’elle est déjà une star dont chaque disque se solde par des millions d’exemplaires vendus. Mais elle a surtout entrepris le voyage en Italie parce qu’elle est folle amoureuse du chanteur Luigi Tenco, beau brun ténébreux de 28 ans qui, lui aussi, participe au festival. Avant le spectacle retransmis en direct par la RAI, Luigi le traqueur avale un cocktail d’alcool et d’anxiolytiques censé le galvaniser. Quand il monte sur scène, c’est la catastrophe : il titube, chante à contretemps, balbutie les paroles de sa chanson intitulée – comme une voyance tragique – Ciao amore, ciao. Zéro plus que pointé. En fin de soirée, Luigi Tenco rentre à l’hôtel Savoy et, dans la chambre qu’il partage avec Dalida, il se tire une balle dans la tête. C’est Dalida qui découvre le cadavre de son amant peu après. Revenue à Paris, une horde de paparazzis à ses trousses, elle décide à son tour de mettre fin à ses jours. Elle loue une chambre dans un palace parisien et ingurgite une dose extrême de barbituriques. Une femme de chambre la découvre agonisante. Elle restera plusieurs jours dans le coma avant de se rétablir.

DALIDA RAYMOND DEPARDON/ MAGNUM PHOTO

RAYMOND DEPARDON/ MAGNUM PHOTO

(Photo Raymond Depardon / Magnum Photos)

11 septembre 1970 : dans son appartement du 7 rue d’Ankara, à Paris, Lucien Morisse se suicide par arme à feu à l’âge de 41 ans. Responsable de la programmation musicale d’Europe 1, il avait été à la fin des années 1950 le fiancé au long cours, puis le mari de Dalida qu’il avait épousée le 8 avril 1961, usant de sa position clef à Europe 1 pour exalter et jouer les pygmalions pour la carrière de la chanteuse. Dalida est de nouveau à terre et ne peut s’empêcher de voir le rapport entre la mort de Luigi et celle de son mentor, son « beau » Lucien. Si elle n’avait pas fait le lien, la presse à scandale s’en serait chargée à sa place, titrant, entre autres gracieuseté, « Dalida, la maudite ! »

21 octobre 1972 : Richard Chanfray entre dans la vie de Dalida. Play-boy interlope, beau gosse à la mode de l’époque comme une vague réminiscence de Gunter Sachs, le mari de Brigitte Bardot, apparemment jamais en retard d’une mythomanie, il se vit comme la réincarnation du comte de Saint-Germain, aventurier de la fin du XVIIIe siècle qui prétendait environ 3 000 ans d’âge et avait, à ce titre, très bien connu Jésus Christ dont il aurait été le conseiller média sur maints miracles. Il savait aussi fabriquer des diamants comme on rigole et, bien évidemment, se rendre invisible. Avec le comte de Saint-Germain réincarné en Richard Chanfray, Dalida est convaincue d’avoir trouvé la pierre philosophale qui transformera en or son existence de plomb. Leurs nombreuses apparitions publiques font sensation, le comte de Saint-Germain ne mégotant pas sur la cape en satin noir et le jabot en dentelle. À l’école, pour ne pas dire aux crochets, de sa fiancée, le comte va même enregistrer des disques, notamment, en duo avec elle*, Et de l’amour... de l’amour* en 1975. Le couple fait sourire dans les chaumières de la télé et ricaner sur la scène des cabarets. Fallait-il qu’elle soit amoureuse, ou éperdue, pour s’attacher à un tel paumé ! Leur liaison durera neuf ans jusqu’à la rupture en 1981. Mais deux ans plus tard, en juillet 1983, « l’immortel » se suicide à son tour et Dalida en conçoit une infinie tristesse qui lui fait déclarer : « Je commence à croire que je porte malheur aux hommes. »

Dalida Gente Luigi Tenco

Qui pourrait survivre à cette roulette russe truquée dont le barillet est comme chargé de toutes ses balles ? Dalida, oui ! Dalida, si ! Elle avance le malheur à la boutonnière et ses chansons, qui multiplient les disques d’or, pulvérisent les sommets du hit-parade mondial. S’empilant au fil du temps comme autant de gris-gris homéopathiques dans sa pharmacie sentimentale, ils en font une femme riche. Variétoche et parfois variétoc, Dalida a traversé à peu près toutes les phases de la chanson française : mambo, cha-cha-cha, twist (qu’elle prononçait délicieusement le « dviste »), yéyé et antiyéyé (à l’été 1962, Dalida triomphe avec Petit Gonzales)… En août 1970, c’est de nouveau le succès populaire avec Darla dirladada, coécrit par Boris Bergman, le futur parolier de Bashung. À l’automne de la même année, elle rencontre Léo Ferré sur un plateau de télévision. Dans la foulée, elle enregistre Avec le temps, chanson dite à texte qu’elle entend populariser. De fait, sa version fait un tabac. En 1973, c’est Il venait d'avoir 18 ans, écrite par Pascal Sevran, Serge Lebrail et Pascal Auriat. Le titre est le mieux vendu l’année suivante dans neuf pays, dont l’Allemagne où il atteint 3,5 millions d’exemplaires.

Toujours en 1973, duo surprise avec Alain Delon, un de ses anciens amants : Paroles, paroles devient lui aussi en quelques semaines numéro un en Europe puis au Japon. Le 15 janvier 1974, nouveau coup d’éclat : elle est sur la scène de l’Olympia et présente à la fin du récital une nouvelle chanson, Gigi l’Amoroso. Elle dure sept minutes trente. À la fois chanté, parlé et interprété comme un impromptu théâtral, ce titre reste son plus grand succès mondial.

MIMI L’Amoroso

À l’orée des années 1980, pour Dalida, tous les jeux semblent faits. Comme une flambeuse qui n’a plus rien à perdre, elle mise tout sur le double rouge : celui de la vague disco et celui, plus inattendu, de la politique. Dans le premier registre, c’est le coup de tonnerre de Laissez-moi danser (Monday, Tuesday), chanson devenue l’un des hymnes obsessionnels de l’été 1979 et qui sera l’acmé de son show « à l’américaine » au Palais des sports à Paris du 5 au 20 janvier 1980, sorte de glam rock revu et très corrigé par Las Vegas, avec douze changements de costumes en plumes et strass, une palanquée de danseurs et trente musiciens. Les dix-huit représentations font salle comble et Dalida se couronne disco queen à la française, mettant le feu aux discothèques où les premières notes de Monday, Tuesday jettent sur la piste tout ce que le nightclubbing d’alors compte de folles dingues : même les chauves miment la chorégraphie capillaire de l’idole. Consécration suprême, Dalida devient for ever and ever une icône gay dans un panthéon à facettes où elle rejoint, à équidistance, la blonde Marlène Dietrich et la noire Gloria Gaynor. Ce n’est pas faire preuve d’on ne sait quelle homophobie que de constater que, visible ou invisible, proche ou lointaine, Dalida est alors de plus en plus cernée par toute une théorie d’hommes à hommes et de garçons sensibles qui, du fond d’une misogynie larvée et le plus souvent inavouée car inavouable, préfèrent les femmes malheureuses aux filles épanouies. Mais, bien entendu, ça n’est pas aussi simple, grossier et rabat-joie. Pas besoin d’avoir révisé son Freud pour détecter que, du point de vue de bien des gays, cette tendresse pour la star malheureuse, qui peut s’avérer étouffante voire mortelle, est une aussi une identification à l’impossible femme qui est en eux. Telle madame Bovary, mère porteuse de bien des drama queen, le gay romantique autant que romanesque l’avouera désormais sans détour : Dalida, c’est moi ! Aujourd’hui encore, bien des anniversaires entre garçons se concluent par l’apparition d’un jeune homme perruqué de blond et moulé dans un fourreau doré qui entonne Mourir sur scène, « sous vos applaudissements » et avec force roulements de « r » : « Je voudrais mourir fusillée de lasers… »

Le rouge de la politique n’est pas moins brûlant et assassin. Au début des années 1970, on prête à Dalida plus qu’une aventure avec un certain François Mitterrand, à l’époque premier secrétaire du Parti socialiste, dont on dit qu’elle le surnomma, pour mémoire et par fidélité, « Mimi l’amoroso ». D’autres noms de la Mitterrandie vont se fédérer autour d’elle, participant régulièrement aux pasta parties de son hôtel particulier de la rue d’Orchampt sur la butte Montmartre : Pascal Sevran, son compagnon Dominique Lozach, avec qui Sevran créa à la télévision la célébrissime Chance aux chansons, le jeune provençal et très physique Max Guazzini, fan parmi les fans de Dalida, bientôt attaché de presse de la chanteuse et futur patron de NRJ, et bien entendu Orlando, le frère cadet de Dalida, à la fois secrétaire, producteur et chef de sa garde rapprochée. Mais aussi le journaliste Henri Chapier, alors grande plume du *Quotidien de Paris,*Jacques Attali, qu’elle sollicitera dans les années 1980 pour défendre les radios libres et, singulièrement, NRJ. Grimpée sur une camionnette, Dalida sera l’héroïne de la manifestation parisienne qui a rassemblé des dizaines de milliers de jeunes le 8 décembre 1984 pour défendre « la plus belle des radios ». À l’occasion, on croise aussi, rue Orchampt, l’historien Claude Manceron et surtout, au début des années 1980, un jeune élu du XVIIIe arrondissement (celui de Dalida), promis à un certain avenir politique : Bertrand Delanoë, qui deviendra un de ses plus sincères amis.

« Chez Dali »

Ce méli-mélo, c’est « la bande à Dali » en compagnie de qui, entre champagne et interminable parties de gin-rummy, défile un Tout-Paris follement gay et pas forcément de gauche, souvent escorté de jeunes et beaux garçons plus ou moins gigolos. Sa maison de Montmartre devient un genre de clandé. Nous sommes dans les années 1970 et l’homosexualité est encore un délit, au mieux un dérangement mental, qui exprime sa clandestinité dans certains jardins publics (entre autres ceux des Tuileries), une poignée de bars confidentiels ou encore, pour les plus rencardés, le 7 (au 7 de la rue Sainte-Anne, derrière la Comédie-Française), le petit restaurant-boîte de nuit de Fabrice Emaer qui allait bientôt inventer le Palace. À pas d’heure et surtout le dimanche, on passe « chez Dali », à la fois havre de liberté, voire de libertinage, cadre de fiestas mémorables, et asile pour les naufragés de la nuit. Elle est la « mamma » à qui on peut confier toutes ses peines, de cœur comme de cul, Dalida n’ayant apparemment ni froid aux yeux ni peur d’un langage cru. À un ami qui s’inquiétait qu’elle fréquente un type louche, elle répondit : « Qu’est-ce que tu veux, il me fait jouir. »

C’est dans cet intermonde que va naître la « vocation » socialiste de Dalida. Pas vraiment un engagement, plutôt une vieille tendresse pour Mimi l’amoroso et, par ricochet, pour le parti qu’il incarne. Jack Lang entre alors en scène. Engagé dès 1974 au côté de François Mitterrand, l’homme de théâtre devient le monsieur culture du PS et participe activement à la campagne pour la présidentielle de 1981. Il lui faut dénicher une personnalité culturelle qui symbolisera le renouveau. Moins confidentielle que Barbara (qui chantera plus tard L’Homme à la rose), Dalida fait amplement l’affaire, sa surface de popularité ratissant plus que large. Diva du disco, ­Dalida devient une sorte de Marianne rose et, début 1981, son salon devient un des PC de campagne des plus courus. Sa participation au triomphe de Mitterrand sera récompensée lors de l’investiture du nouveau président.

Dalida François Mitterrand Panthéon

AFP

(Photo AFP)

Le 21 mai 1981, lors de la fameuse cérémonie au Panthéon, Dalida est au premier rang de la foule des célébrités qui remontent la rue Soufflot, au bras de Gaston Defferre et en robe rose, cela va de soi. Mais comme une transpiration de la vie privée sur la vie publique, le mariage va très vite tourner au divorce. Même si, après son élection, François Mitterrand ne boude pas encore certains dîners mondains organisés par Pascal Sevran et dont Dalida est la reine, peu à peu, à l’exception notable de Bertrand Delanoë, les socialistes la boudent et les portes des palais de la République se referment ; l’ingratitude croît et le malaise s’installe, d’autant plus qu’une bonne partie de son public, du genre conservateur, n’a pas bien compris l’engagement « gauchiste » de son idole. La rupture sera consommée en avril 1983 quand, le temps d’une photo en couverture de Jours de France (le magazine hebdomadaire de Marcel Dassault), on voit Dalida sauter au cou de Jacques Chirac alors tout-puissant maire de Paris, ce qui fut interprété comme une trahison par bon nombre des sectateurs de Mitterrand, dont Roger Hanin, le beau-frère du président.

De remix en remix, les disques continuent à bien s’écouler, Dalida devient même la marraine enchantée de l’équipe de France de football pour la Coupe du monde de 1982 (« Allez la France / Et bonne chance / Pour le Mundial / Emmène-nous jusqu’aux étoiles ») et le fan-club est toujours sur la brèche à la moindre de ses apparitions, dont une sidérante publicité pour le désodorisant Wizard Sec, où Dalida, en fourreau lamé argent à la limite du sapin de Noël, spray dans une main et éventail dans l’autre, virevolte parmi les fastes néo-égyptiens d’une déco de Néfertiti sous acides, voire dans les invendus du mausolée de Mae West.

Au paradisco des stars foudroyées

En 1985, nouvelle stupeur : suite à une intervention de chirurgie ophtalmique destinée à corriger un strabisme de plus en plus convergeant, Dalida ne supporte les feux de la rampe que coiffée d’une sorte de casque intergalactique créé par le lunetier Alain Mikli et strassé par Swarovski. Même les thuriféraires de Star Trek restent sans voix.

Encensé par la critique, Le Sixième Jour aurait dû marquer le retour en grâce de Dalida. Mais après la pluie d’éloges, les propositions d’autres films tournent court et la perspective de retourner à la case chanson ressemble à une impasse. La fêlure invisible creuse un peu plus son sillon, l’étau de la dépression resserre son étreinte. Dans la nuit du 2 mai 1987, Dalida organise son ultime adieu. Elle congédie ses domestiques, ment à ses proches sur son emploi du temps de la soirée, s’allonge sur le lit de sa chambre dans l’hôtel particulier de la rue d’Orchampt et avale une dose mortelle de somnifères. Sur la table de nuit, on retrouvera un dernier message de sa main, lapidaire et implacable : « Pardonnez-moi. La vie m’est insupportable. » Dalida n’est pas morte comme elle l’avait chanté ; elle n’est pas morte sur scène. Par la porte étroite du suicide, elle vient de rejoindre le « paradisco » des stars foudroyées, comme pour donner une nouvelle consistance à une formule macabre mais pertinente que l’on doit à madame de Staël : « La gloire est le deuil éclatant du bonheur. »

Cet article a d'abord été publié dans le numéro de février 2016 de Vanity Fair France*.*
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