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GEORGIA BECHLIVANOU MOREAU LE SENS JURIDIQUE DE LA ...

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UNIVERSITE PARIS I - PANTHEON-SORBONNEU.F.R. 07 Etudes Internationales et EuropéennesN° attribué par la bibliothèqueTHESEPrésentée et soutenue publiquementpour obtenir le grade deDocteur en droit de l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)Par Georgia <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>le 4 juillet 2008<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE AUREGARD <strong>DE</strong> L’APPLICATION <strong>DE</strong>S DROITS <strong>DE</strong> L’HOMME DANS <strong>LA</strong>PRISONEtude comparative de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, du droitfrançais et du droit grecDirecteur de thèseMadame Geneviève GIUDICELLI-<strong>DE</strong><strong>LA</strong>GEProfesseur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>JURY<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Madame Geneviève GIUDICELLI-<strong>DE</strong><strong>LA</strong>GE (Présidente du jury)Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)Monsieur Théodore PAPATHEODOROUProfesseur à l’Université de PéloponnèseUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Madame Pierrette PONCE<strong>LA</strong> (rapporteur)Professeur à l’Université Paris X (Nanterre)Monsieur Jean-François RENUCCI (rapporteur)Professeur à l’Université de Nice Sophia-AntipolisMadame Eliette RUBI-CAVAGNAMaître de conférences à l’Université de Saint-Etienne


I<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>L’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), n’entend donner aucune approbation nidésapprobation aux opinions émises dans les thèses. Ces opinions devront être considéréescomme propres à leurs auteurs<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008I


IIRemerciements<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont permis de réaliser ce long et « cher » travail.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Mes parents. Je ne les remercierai jamais assez.Mon époux et mon fils pour leur soutien moral et matériel.Deux organismes grecs qui m’ont accordé des bourses et m’ont ainsi permis d’accomplir cetravail :-la Fondation Nationale des Bourses (IKY)- la Fondation Marangopoulos pour les droits de l’homme.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Enfin, mes remerciements vont également au professeur Mireille Delmas-Marty pour m’avoirinitié à la recherche universitaire et accompagné la réalisation de cette thèse. Ils vont aussi auprofesseur Geneviève Giudicelli-Delage pour m’avoir permis de mener à terme ce travail.


SOMMAIREIIIAREVIATIONSINTRODUCTIONPREMIERE PARTIEUNE PEINE A DIMENSION PHYSIQUE <strong>DE</strong>PASSANT <strong>LA</strong> PRIVATION <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> LIBERTE D’AL<strong>LE</strong>R ETVENIRTITRE I. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE AU REGARD <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> LIBERTE ETL’INTEGRITE PHYSIQUE SOUMIS A <strong>DE</strong>S <strong>DE</strong>ROGATIONSChapitre 1. Le sens déterminé par l’exercice du droit à la libertéSection 1. Le contrôle européen de la « légalité de la détention ultérieure »Section 2. Le contrôle national indirect de la légalité temporelle de la détentionChapitre 2. Le sens déterminé par l’exercice du droit à la vieSection 1. La garantie du droit à la vie au regard des obligations négativesSection 2. La garantie du droit à la vie au regard des obligations positivesTITRE II. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’INTERDICTION ABSOLUE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> TORTURE ET <strong>DE</strong>S PEINES OUTRAITEMENTS INHUMAINS OU <strong>DE</strong>GRADANTSParagraphe introductif. Sens et protection juridique de la dignitéChapitre 1. Application des interdits dans la garantie de l’intégrité physique et mentale des détenusSection 1. Les garanties contre tous types de violencesSection 2. Les garanties contre les conditions matérielles dégradantesSection 3. Les garanties contre les régimes de sécurité renforcéeSection 4. Les questions de la capacité à subir une détentionChapitre 3. Application des interdits dans la garantie de la santé des détenusSection 1. Les obligations positives visant à garantir des soins adéquatsSection 2. L’obligation des Etats de s’assurer de la compatibilité de l’état de santé avec la détentionSection 3. L’obligation des Etats de respecter le secret et le consentement médical<strong>DE</strong>UXIEME PARTIEUNE PEINE A DIMENSION MULTIP<strong>LE</strong> RESTRICTIVE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> LIBERTE AU <strong>SENS</strong> <strong>LA</strong>RGETITRE I. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> SPHERE <strong>DE</strong> VIE PRIVEEChapitre 1. Le sens déterminé par le respect de la vie privée en généralParagraphe introductif : Sens et protection de la vie privéeSection 1. La prison restrictive de la vie privée individuelleSection 2. La prison restrictive de la vie privée interindividuelleChapitre 2. Le sens déterminé par le respect de la vie familialeSection 1. Les restrictions dans la création d'une vie familialeSection 2. Les restrictions au maintien de la vie familiale<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...TITRE II. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE AU REGARD <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> VIEECONOMIQUEUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Chapitre 1. L’étendue de l’exercice des droits relatifs au travailSection 1. La soumission du détenu a une relation de travail particulièreSection 2. Les raisons sous-jacentes aux particularités du statut du détenu au travailChapitre 2. L’étendue de l’exercice des droits relatifs à la gestion des biensSection 1 Des restrictions privatives d’autonomie financièreSection 2. Des restrictions réduisant le détenu à un état de pauvreté égaleTITRE III. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> SPHERE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIEINTEL<strong>LE</strong>CTUEL<strong>LE</strong> ET CITOYENNEChapitre 1. L’exercice des droits à se former, s’informer et croireSection 1. Le droit à l’éducationSection 2. La liberté d’informationSection 3. La liberté religieuseChapitre 2. L’exercice des droits d’expressionSection 1. L’expression généraleSection 2. L’expression politique en particulier


IVABREVIATIONS/ ContreAJDAActualité juridique de droit administratifal.AlinéaAMMAssociation médicale mondialeAPAdministration pénitentiaireAPCArchives de politique pénaleArch. ph. dr. Archives de philosophie du droitart.ArticleBull. crim.Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation (Chambre criminelle)Bull. civ.Bulletin des arrêts de la Cour de Cassation (Chambres civiles)C. civ. Code civilC. déontol. Code de déontologieC. élect. Code électoralC. pénit. Code pénitentiaireC. sant. pub. Code de la santé publiqueC. séc. soc. Code de la sécurité socialeC. trav. Code du travailc. ContreC.pén.Code pénalCACour d’appelCass.Cour de cassationCass. ass. plén. Assemblée plénière de la Cour de cassationCass. civ.Chambre civile de la Cour de cassationCass. crim.Chambre criminelle de la Cour de cassationCCConseil constitutionnel (français)CCNEComité Consultatif National d’EthiqueCDPCComité européen pour les problèmes criminelsCEConseil d’EtatCEDHCour européenne des droits de l’HommeCESConseil économique et socialChChambreChron.ChroniqueCI<strong>DE</strong>Convention internationale des droits de l’enfantCirc.CirculaireCNCDHCommission nationale consultative des droits de l’hommeCNDSCommission nationale de déontologie de la sécuritéCommDHCommissaire aux droits de l’HommeConcl.ConclusionsConv. EDHConvention européenne des droits de l’hommeCPPCode de procédure pénaleCPTComité européen pour la prévention de la tortureCREDOCCentre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vieCRFTDCode des règles fondamentales pour le traitement des détenusDDécision (Commission européenne des droits de l’homme)D. DallozDAPDirection de l’administration pénitentiaireDCDécision du Conseil constitutionnel (français)Dir.Sous la directionDoctr.DoctrineEd.EditionFarapejAssociations Réflexion Action Prison et justiceFIDH Fédération Internationale des Droits de l'HommeFRAMAFAD Fédération régionale des maisons d'accueil des familles et amis de détenusGaz. Pal.Gazette du Palais<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


VGENEPIGroupement national d’enseignement aux personnes incarcéréesHCSPHaut Comité de la Santé PubliqueIbidIbidemIGAS/IGSJInspection générale des services judiciairesIHESILes cahiers de la sécurité intérieureInfraPlus loinINSEEInstitut National de la Statistique et des Études ÉconomiquesJAPJuge de l’application des peinesJCPJuris-classeur périodique (La semaine juridique)JOJournal officielLeb.LebonNOVNomiko Vima (La tribune, grec)Obs.ObservationsOFDTObservatoire français des drogues et des toxicomaniesOIPObservatoire internationale des prisonsOITOrganisation internationale du travailOMSOrganisation mondiale de la santéONUOrganisation des Nations-Uniesp. PageP.ex.Par exemplepréc.,PrécitéRRapport (Commission européenne des droits de l’homme)R.G.D.I..P,Revue Générale de Droit international publicR.I.E.J.Revue interdisciplinaire d'études juridiquesR.T.D.H.Revue trimestrielle des droits de l’hommeRDPCRevue de droit pénal et de criminologieRDSSRevue de droit sanitaire et socialRec.RecommandationsRèglem. Int. Règlement pénitentiaire intérieur (grec)Rép. pén. Dalloz Répertoire pénal DallozRes.RésolutionsRev. fr. dr.adm. Revue française de droit administratifRev. pénit.Revue pénitentiaire et de droit pénalRev. trim. Ddh Revue trimestrielle des droits de l’hommeRICPTRevue internationale de criminologie et de police techniqueRIDCRevue Internationale de Droit ComparéRIDPRevue internationale de droit pénalRPDPRevue pénitentiaire et droit pénalRSCRevue de science criminelle et de droit pénal comparéRUDHRevue universelle des droits de l’hommeS. Sireys. SuivantSect.SectionStéSociétéSupraPlus hautt. TomeTAtribunal administratifTAPTribunal de l’application des peinesTGITribunal de grande instanceTOSTo syntagma (La Constitution, grec)Vol.VolumeVIHVirus de l'Immunodéficience Humaine<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


1INTRODUCTION<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


Le droit pénal est la branche de droit qui connaît la mutation la plus significative. On peut direen effet que « la protection des droits de l'homme marque d'abord les limites du pouvoir de punir desEtats : le pouvoir d'incriminer, mais aussi les conditions des poursuites, de la condamnation, duchoix et de l'exécution de la peine » 8 . Parmi ces mutations, celle de la notion de peine est parmi lesplus marquantes. Ainsi que l’a démontré Christian Jacq 9 , la jurisprudence de la Cour dans le domainede la sanction pénale en général a constitué un apport important. Elle a redessiné l’espace de la« sanction pénale ». D’un côté, elle l’a limitée en interdisant un nombre de peines contraires à ladignité 10 . De l’autre, elle l’a élargie par l’intermédiaire de la notion d’« accusation en matièrepénale » qui détermine le champ d’application du droit au procès équitable (article 6 Conv. EDH).L’expression « matière pénale » a conduit à la mutation de la notion même de sanction pénale. Cellecia acquis un sens européen autonome ne coïncidant pas avec les sanctions pénales prévues par lesdroits pénaux internes. Elle peut couvrir des sanctions relevant d’autres branches du droit comme ledroit administratif, civil ou disciplinaire 11 . Comme l’a souligné Mireille Delmas-Marty, cela n'estcependant pas sans entraîner sinon « la perte, à tout le moins un affaiblissement de l'identité de lapeine 12 ».Les critères de définition de la « peine », ou "sanction pénale", sont précisés dans les arrêtsportant notamment sur la contrainte par corps, les confiscations et les amendes 13 . La Cour examineen premier lieu si la sanction, ou la mesure, a été prononcée à la suite d’une condamnation pour« infraction ». Elle examine ensuite la qualification de la sanction en droit interne, sa nature et sonbut, les procédures de son adoption et de son exécution ainsi que sa gravité. En application de cescritères, les sanctions ou mesures qui sont, jusqu'à présent, analysées comme des peines au sens del'article 7 et considérées comme déterminantes dans l'appréciation de la matière pénale au sens del'article 6, sont en premier lieu les privations de liberté à but répressif : « Dans une société attachée àla prééminence du droit, ressortissent à la matière pénale les privations de liberté susceptibles d'êtreinfligées à titre répressif, hormis celles qui par leur nature, leur durée ou leurs modalités d'exécution<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>8 M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Le Flou du droit, préc., p. 315 ; Ch. JACQ, L. PETTITI, « Les sanctions au sens dela Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme », APC, n° 7, préc., p. 176.9 C. JACQ, Vers un droit commun de la sanction. L'incidence de la Convention européenne de sauvegarde desdroits de l'homme, Thèse Paris XI, 1989.10 Les peines ou traitements inhumains ou dégradants (article 3) ; les travaux forcés (art. 4) ; les expulsionscollectives (Protocole n° 4) ; les expulsions individuelles comportant des risques sérieux d’exposer la personnedes risques pour sa vie ou à des traitements contraires à l’article 3, soit à des tortures ou des traitementsinhumains ou dégradants, soit à des risques pour sa santé ; les peines perpétuelles dans le cas des mineurs ;toutes les peines portant atteinte à l’intégrité physique, à la dignité et à la vie ; la peine de mort (protocolen° 6).11 La notion de matière pénale a fait l’objet d’étude du groupe de travail dont les résultats ont été publiés, en1987, dans la revue de science criminelle; « La matière pénale au sens de la Convention européenne des droitsde l'homme, flou du droit pénal », RSC, 1987, n° 4, pp. 819-862.12 M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Le Flou du droit, préc., pp. 15-22.13 « La notion de "peine" contenue dans l'article 7 § 1 possède une portée autonome. Pour rendre efficace laprotection offerte par cette disposition, la Cour demeure libre d'aller au-delà des apparences et d'apprécier ellemêmesi une mesure particulière s'analyse au fond en une "peine" au sens de cette clause », CEDH, Welch c.R.U, 9 fevr. 1995, Série A n° 307-A, § 27 ; CEDH, Jamil c. France, n° 15917/89, 8 juin 1995, A317-B, § 30 ;CEDH, T. c. R.U, [GC], n° 24724/94, 16 déc. 1999, Recueil 1999-IX.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083


4ne sauraient causer un préjudice important. Ainsi le veulent la gravité de l'enjeu, les traditions desEtats contractants et la valeur que la Convention attribue au respect de la liberté physique de lapersonne 14 . » Suivent les confiscations et les amendes lorsqu'elles présentent une gravité dépassant leprofit effectivement tiré de l'infraction et sont assorties d'une mesure coercitive telle que la menaced'une contrainte par corps 15 .L’influence de ce sens européen en droit interne est indéniable. Le Conseil constitutionnelfrançais parlait de « sanction ayant le caractère d’une punition » dans sa décision du 16 juillet 1987 àpropos du champ d’application du principe de nécessité des peines à des sanctions non prononcéespar les juridictions répressives 16 . En 2003, un colloque a été consacré à la « sanction à caractèrerépressif », et à la délimitation du champ qu’elle est susceptible de couvrir en droit français 17 .Le nouveau cadre de la question du sens de la peine privative de libertéMais la mutation de la sanction pénale n'est pas seulement due au changement des critères quila rendent identifiable en tant que telle au sens européen. Le changement des critères vise àrenforcer, lors des procès pénaux, la garantie des droits de la défense et le contrôle du choix de lapeine.L'application des droits de l'homme dans la prison, qui permet de contrôler les conditionsd’exécution de la peine privative de liberté, nous montre l'amorce d'une mutation encore plusprofonde de la peine (la peine privative de liberté étant « la seule peine spécifiquement pénale » 18 ) :son retour dans la rationalité juridique et donc la maîtrise de son sens par le droit. Car appliquer lesdroits de l'homme dans la prison, c'est instaurer le rôle dialectique du droit également dans lesrapports entre détenu et pouvoir ; c’est-à-dire son rôle de garant de l’équilibre entre la liberté del’individu et l’intérêt général 19 . Dès lors, l’application de ces droits dans la prison suppose lareconnaissance d’un espace de liberté pour le détenu que le pouvoir doit lui garantir ; reconnaissancequi, dans le cas des détenus condamnés, signifie que le raisonnement a dû porter sur le sens de leur<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...14 . CEDH, Engel et autre. c. Pays-Bas, 8 juin 1976, Série A, n° 22, § 82 ; CEDH, Campbell et Fell c. R.U, n os7819/77, 7878/77, 28 juin 1984, Série A, n° 80 ; CEDH, Jamil c. France, préc., § 32. Dans ce dernier arrêt,(arrêt Jamil), la Cour a qualifié de peine au sens de l'article 7 la contrainte par corps dont était assortie uneamende douanière. Elle a, à ce propos, déclaré : « Prononcé par la juridiction répressive et destinée à exercerun effet dissuasif, la sanction infligée pouvait aboutir à une privation de liberté de caractère repressif ; elleconstituait donc une peine au sens de l'article 7 par 1 de la Convention ».15 Dans l'arrêt Welch, précitée, que la Cour avait conclu à propos de la confiscation : « Eu égard à lacombinaison d'éléments répressifs, l'ordonnance de confiscation s'analyse comme une peine », CEDH, Welchc. R.U, préc., § 34.16 CC, Déc. n° 87-237 DC 30 déc. 1987 sur la loi de finances pour 1988.17 « La sanction », Colloque du 27 novembre 2003, Université Jean Moulin Lyon 3, Paris, éd. L’Harmattan,2007.18 M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Pour un droit commun, préc, p. 30.19 D. LOSCHAK, « Droit et non-droit dans les institutions totalitaires », in Le droit et l'institution totalitaire,Paris, PUF, 1981, pp. 174-177.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


5peine en tant que privation de liberté. Précisément, il a dû porter sur les limites de la liberté visée parleur peine et poser alors comme objectif principal la protection des détenus contre l’arbitraire, àsavoir contre le dépassement de ces limites. En effet, nous allons voir qu’un tel raisonnement a éténécessaire, non pour reconnaître en théorie les détenus comme sujets des droits de l’homme, maispour assurer l’exercice effectif de ces droits dans la prison.Ce raisonnement a impliqué la mutation de la peine dans la mesure où, de notioncriminologique et hors de l’emprise du droit car déterminée par les fonctions assignées à la peine etnotamment par celle de traiter les détenus et identifiée à la prison en tant que lieu de vie, la peinedevient une notion juridique : elle devient la « peine privative de liberté » et rentre dans la rationalitéjuridique et donc sous la maîtrise du droit.Cette mutation a été amorcée au début des années 1970 sous l’influence des droits del’homme. Elle a été formalisée au sein du Conseil de l’Europe, dans un premier temps, dans laRecommandation du Comité des Ministres relative aux Règles minima pour le traitement des détenus(1973). Ce texte limitait l’élément punitif à la privation de liberté : « L'emprisonnement, par laprivation de liberté, est une punition en tant que telle. Les conditions de détention et les régimespénitentiaires ne doivent donc pas aggraver la souffrance ainsi causée… 20 ». Cela a été réaffirmé etle rôle de la prison mieux déterminé par le Comité européen pour les problèmes criminels dans unrapport publié en 1986 qui consacre cette double rupture : d’une part, l’abandon du traitementcomme objectif de la peine au profit d’un sens de la peine limité à la privation de la liberté : « Ladétention devrait uniquement consister dans la privation de la liberté 21 » ; et, d’autre part, lalimitation du rôle de la prison à l’exécution de la peine privative de liberté : « Constatant l'insuccès etl'ambiguïté de la prison comme lieu de resocialisation, on préfère s'orienter vers un concept de prisoncomme lieu d'exécution de la peine privative de liberté 22 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), ne se prive pas de l’occasion derappeler cette limitation du sens punitif de la privation de liberté : « A cet égard, le principe généralselon lequel une personne est envoyée en prison à titre de sanction et que cette sanction doit êtrelimitée à la privation de liberté, peut utilement être rappelé 23 » Des droits nationaux, à l’instar du<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008droit grec, commencent à adopter ce principe : « Durant l’exécution de la peine, aucun autre droit desdétenus n’est restreint à part le droit à la liberté personnelle » (art. 4 § 1, C. pénit.). Nous verrons que laCour a reconnu cette limitation, implicitement, dès son premier arrêt en matière d’application des droits20 Cette limitation prévue par la règle n° 58, a été reprise par les Règles pénitentiaires européennes de 1987dans la Règle n° 64, et dans les Règles pénitentiaires européennes de 2006, dans la règle n°102. 2.21 Ces propos figurent dans le Rapport du Comité européen pour les problèmes criminels sur Les régimes desinstitutions pénitentiaires, Conseil de l'Europe, 1986, p. 5.22 Ibid., p. 10.23 CPT/Inf (2007) 45, Rapport de visite, Italie, du 22 octobre au 6 novembre 1995.


de l’homme à l’égard des personnes privées de leur liberté, l’arrêt de « vagabondage » rendu en 1972 24 .Mais c’est seulement à partir de 2002, dans l’arrêt Ploski 25 , qu’elle l’a reconnue de manière explicite.6Cette évolution de la position du Conseil de l’Europe reflète clairement l’émergence, d’unepart, d’un sens de la peine distinct du lieu de la prison : la peine est la privation de liberté ; la prisonn’est qu’un des lieux de son exécution. Elle reflète, d’autre part, l’émergence d’une nouvelleexigence en matière de droit de la peine : la limitation des effets matériels et juridiques de la prison àla seule privation de la liberté. Ceci implique, d’ailleurs, un deuxième affaiblissement de l’identité dela peine : si la privation de liberté doit avoir le même sens juridique à l’égard de tous les détenus, etque le rôle de la prison doit se limiter à la réalisation de ce sens, la privation de la liberté à titre pénalne présente rien de particulier par rapport à sa privation à titre préventif ou à d’autres titres. Il y a uneuniformisation du statut juridique de tous les détenus 26 .Cette évolution place en outre la protection de tous les détenus contre l’arbitraire au cœur dudroit pénitentiaire et du droit pénal et, de ce fait, rend central le rôle de la notion de privation deliberté. Si, au regard du droit pénal, le détenu n’est privé que de sa liberté, la notion de privation deliberté devient déterminante pour le statut juridique pénal mais aussi pour le statut pénitentiaire dudétenu. C’est elle qui doit arbitrer le nouvel équilibre des rapports créés entre le pouvoir et lespersonnes privées de leur liberté en posant comme principe la limitation de l’ingérence du pouvoir àla seule privation de la liberté. Mais ce rôle de la notion de privation de liberté fait naître une autrequestion cruciale : celle de la détermination de son propre sens et donc de ses propres limites. Pourpouvoir servir de référence protectrice contre l’arbitraire en posant des limites claires au pouvoir, ilfaut que la privation de liberté soit une notion au contenu précis. Cette précision revêt une dimensionet une importance particulières dans le cadre de la privation de liberté à titre de peine principale. Ledroit pénal est régi par le principe fondamental de légalité des peines. Il nous semble évident que ceprincipe implique plus qu’une délimitation, la définition juridique des peines, à savoir une définitionde leur contenu en termes clairs et précis 27 . Seule une telle définition de la privation de liberté est àmême d’imposer des limites au pouvoir dans ses relations avec les détenus. Nous pouvons alors direque ce retour demande une ré-interprétation du principe de légalité des peines.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200824 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp, c. Belgique, 18 juin 1971, Série A.25 CEDH, Ploski c.Pologne, n°26761/95, CEDH 2002-XI. Elle l’a depuis affirmé dans l’arrêt Hirst c.Royaume-Uni (n o 2) [GC], n o 74025/01, §§ 69 et 70, CEDH 2005-IX ; ou encore dans la décision Sotiropoulouc. Grèce (déc.), n° 40225/02, CEDH 2007-I.26 Succédant à celle qui a lieu entre les deux guerres mondiales visant à mettre en oeuvre un traitementindividualisé des détenus qui exigeait leur classification en catégories criminologiques, rendant caduque leurclassification en catégories juridiques, Voir aussi H. PHAN<strong>DE</strong>R, « Le problème d'unification des peineprivative de liberté », Recueil de doctrine en matière pénale et pénitentiaire, vol. 15, n°2-3, p. 238 et P.BOUZAT et J. PINATEL, Traité de droit pénal et de criminologie, Paris, Dalloz, 1970.27 M. MIAIL<strong>LE</strong>, « Le droit par l'image », Droit &Société, n°16, 1990 ; G. <strong>BECHLIVANOU</strong>, « Symbole etverbe au sein du droit. A propos des lieux fermés et de la notion de privation de liberté dans la jurisprudenceeuropéenne », in Présence du droit public et des droits de l'homme, Mélanges offerts à J. VELU, Bruxelles,Bruylant, 1992, pp. 1607-1625.


7Le principe de légalité des peines est une garantie fondamentale de la sécurité juridique maisaussi du droit à la sûreté 28 . Son but est de protéger la liberté individuelle contre l’arbitraire, dans lamesure où elle permet aux personnes de connaître à l’avance les interdits et les sanctions. Ceprincipe est consacré depuis la Déclaration française des droits de l’homme de 1789 (art. 7 29 ). Seul lerégime totalitaire nazi a abandonné ce principe afin de réprimer tout acte considéré par les jugescomme antisocial. Ainsi que le rappelle Bernard Bouloc, ils parlaient de « nullum crimen sinepeona » à la place de « nullum crimen, nulla peona sine lege » 30 . Ce dernier principe figureactuellement aussi bien dans les textes contemporains des droits de l’homme, comme ceux de laDéclaration universelle des droits de l’homme (art. 11 § 2 31 ) et de la Convention européenne desdroits de l’homme (art. 7 32 ), que dans les législations nationales 33 . Il est interprété par la doctrinecomme l’exigence que la nature et la durée des peines encourues et celles effectivement appliquéespour une infraction donnée soient prévues par une loi avant que l’infraction soit commise 34 . Or, nousestimons que l’intérêt de ce principe serait affaibli s’il n’était pas entendu dans le sens impliquantque la loi doit non seulement énoncer une peine et sa durée, mais aussi préciser son contenu entermes clairs, précis et exhaustifs. Autrement dit, passer d’une conception formelle de la légalité despeines à une conception également substantielle. Pour l’instant, le seul élément substantiel dansl’appréciation de la légalité est le respect de la proportionnalité à travers le principe de nécessité despeines. Principe qui, s’agissant des peines privatives de liberté, demeure toutefois lui aussi formel28 A côté des garanties du procès équitable, selon C.-A. COLLIARD, Libertés publiques, 8 e éd., Paris, Dalloz,Précis, 2005, pp.224 et s. ; J. ROBERT, J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés fondamentales, 7 e éd.,Paris, Montchrestien, pp. 268-27029 « Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formesqu'elle a prescrites. »30 B. BOULOC, Droit pénal général, 20 e éd., Dalloz, 2007, p. 137.31 « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui, au moment où elles ont été commises, neconstituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international. De même, il ne sera infligéaucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'acte délictueux a été commis. »32 « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, neconstituait pas une infraction d’après le droit national ou international ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...33 Article 7 § 1 de la Constitution grecque : « II ne peut y avoir de délit et aucune peine ne peut être prononcéesans qu'une loi, entrée en vigueur avant que l'acte n'ait été commis, n'en détermine ses éléments constitutifs. Enaucun cas n'est prononcée une peine plus lourde que celle prévue au moment où l'acte a été commis » ; et lepremier article du Code pénal grec et article 111-3 al.b du Code pénal français.34 « Il ne peut y avoir de peine qui n’ait été prévue et déterminée par la loi », « la peine doit être fixée avecprécision » ; « Le juge ne peut infliger une peine non prévue par la loi ou différente par sa nature et sa durée decelle prévue par la loi », G. STEFANI, G. <strong>LE</strong>VASSEUR, B. BOULOC, Droit pénal général, 18 e éd., Dalloz,2003, p. 101, pp. 133-138. Quant à la politique d’individualisation des peines, elle ne doit pas être vue commeune atteinte à ce principe. Comme le souligne, Caroline GAU-CABEE, il n’y pas de déclin de la légalité àcause de l’écart entre la peine encourue, prononcée et effectivement exécutée. Le pouvoir du juge demeure àtoutes ces phases encadré par la loi : toutes les modalités d’individualisation des peines et les conditions deleur application sont prévues par la loi. L’individualisation des peines doit être vu, comme le laisse entendre ladécision du Conseil constitutionnel, du 25 juillet 2005, comme « le corollaire du principe de nécessité et deproportionnalité des peines énoncé par l’article 8 de la Déclaration de 1789 », C. GAU-CABEE C., « Arbitrumjudicis, Jalons pour une histoire du principe de la légalité des peines », A propos de la sanction, Presses del’Université des sciences sociale de Toulouse, 2007, pp. 39-61. Voir dans le même sens, Th..PAPATHEODOROU, De l’individualisation des sanctions pénales et ses contraintes, Thèse, Université dePoitiers, 1992.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


8dès lors qu’il s’épuise dans la détermination de la durée de la peine prononcée ; il ne s’étend pas surla précision du contenu à savoir, de quelle(s) liberté(s) et dans quelle mesure la personne est-elleprécisément privée. Or, de même que le Conseil constitutionnel affirme dans ses décisions 35 qu’uneloi doit définir avec précision les éléments constitutifs d’une infraction en termes clairs et précis, lapeine doit être prévue en termes clairs, précis et exhaustifs (stricts), ne supportant aucune extensiondu contenu. Pour le moins, tel doit être le cas pour les peines dont le sens se prête à uneinterprétation et encore pour des peines qui portent atteinte à un droit fondamental.S’il y a des peines qui ne nécessitent pas une telle précision, comme par exemple la suspensionou le retrait du permis de chasse ou du permis de conduire, cela n’est pas le cas pour d’autres peines,dont la peine privative de liberté. Elle constitue par excellence une notion au contenu difficile àdéfinir alors qu’elle porte atteinte à un droit fondamental. « La liberté, c'est un de ces détestablesmots qui ont plus de valeur que de sens », a écrit Paul Valery 36 . « Il n'y a pas de mot qui ait reçu dessignifications des plus différentes... que celui de liberté », s'exclamait Montesquieu 37 . « La liberté estun mot redoutable » confirme Jean Rivero 38 . « Chacun l'entend à sa façon », constate GeorgesBurdeau 39 . Certes, des précisions sont apportées à la liberté dans le champ juridique. Mais elles noussemblent insuffisantes au regard du principe de légalité des peines. Au sein du droit, la liberté peutêtre entendue dans un sens large, comme l’ensemble des droits et libertés fondamentaux, (ceux quigarantissent la liberté-autonomie et la liberté-participation, selon Georges Burdeau 40 ), dans un sensmoins large, la liberté individuelle couvrant à la fois la liberté physique et la vie privée 41 , et dans unsens strict qui se limite à la liberté physique, celle d’aller et venir. Tous ces sens témoignent, aumoins, que cette notion prête à discussion et demande alors à être définie surtout lorsqu’elle faitl’objet de sanction pénale.A ce premier enjeu, lié à la difficulté de définir de manière précise la notion de liberté ellemême,s’en ajoute un second : celle de limiter les effets de l’emprisonnement au cadre légal de cettepeine. Force est de constater que l’incarcération s’accompagne de restrictions dépassant la seuleprivation de la liberté d’aller et venir. Certaines sont évidentes comme celles sur la vie privée,familiale et professionnelle : le détenu est séparé de sa famille, placé sous surveillance et privé del’emploi exercé avant sa mise en détention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200835 Comme dans sa décision n° 80-127 du 20 janvier 1981 sur la loi Sécurité et Liberté ou dans sa décision n°84-183 du 18 janvier 1985 sur la loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises.36 Regards sur le monde actuel, Fluctuations sur la liberté, Plon 1938, p. 49.37 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Paris, Flammarion, 1979, Chap. VI, XI.38 J. RIVERO, Libertés publiques et droits de l'homme, 9 e éd., Paris, PUF, Thémis, 2003, p.5.39 G. BUR<strong>DE</strong>AU, Traité des sciences politiques, t. VI, vol. 1, Paris, LGDJ, 2 ème éd., 1971, p. 7.40 G. BUR<strong>DE</strong>AU, Les libertés publiques, 4 e éd., Paris, LGDJ, 1972, pp. 8-12.41 Voir Infra, Chapitre sur le droit à la vie privée.


9Aussi, le principe de limitation de la peine privative de liberté à la liberté physique pose denouvelles questions pour le droit pénal et le droit pénitentiaire : la peine privative de liberté est-ellejuridiquement définie, et dans quelle mesure son contenu est-il respecté et peut-il l’être lors de sonexécution dans la prison ?L’état actuel de la définition de la peine privative de libertéAlors qu’il nous semble incontestable que l’apparition de droits de l’homme dans le paysagejuridique a entraîné la mutation du sens de la peine en notion juridique, nous estimons que celle-cin’a pas encore reçu une définition juridique. Certes l’apparition des droits de l’homme a donné lieu àdes réflexions sur le sens de la peine privative de liberté exécutée dans la prison et sur le statutjuridique du détenu. La thèse qui a dominé est celle d’un sens strict de la liberté. Celle-ci devrait êtreentendue au sens de la liberté physique, à savoir de la liberté d’aller et venir 42 . Mais il s’agit d’uneprécision et non d’une définition. Car la question demeure : qu’est-ce que signifie « liberté d’aller etvenir » et que signifie privation de la « liberté d’aller et venir » ? Au sein de la doctrine, et même dela jurisprudence de la Cour, les définitions que nous rencontrons sont celles de la liberté d’aller etvenir en tant que l’état d’une personne ni arrêtée ni détenue 43 . Les états d’arrestation et de détentionservent donc de définitions a contrario pour la liberté physique.Ce constat est révélateur de l’absence de définition juridique aussi bien de la « libertéphysique » que de la « privation de la liberté physique ». Il s’agit d’un renvoi à des images de l’étatd’une personne qui ne peut pas servir de définition juridique : celle-ci doit être claire, précise etexhaustive 44 . L’image renvoie à un flou sémantique 45 . Même si l’on admet que, faute d’unedéfinition plus précise, la délimitation de la peine privative de liberté dans le sens exclusif des droitset libertés autres que le droit à la liberté physique peut répondre aux exigences du principe de légalitédes peines, une autre question demeure : lors de son exécution dans la prison, cette peine est-ellelimitée et peut-elle l’être à la seule privation de la liberté d’aller et venir ?<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Les recherches menées tant sur le sens de la peine que sur l’application des droits de l’hommedans la prison, n’ont pas porté sur cette question. Nous constatons que, par exemple, en droitUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008français, la recherche du sens de la peine est encore largement centrée sur ses fonctions. En 1994, leConseil constitutionnel français s’est contenté d’affirmer que « l’exécution des peines privatives de42 G. GIUDICELLI-<strong>DE</strong><strong>LA</strong>GE et M. MASSE, « Rapport introductif », in La Condition juridique du détenu,Colloque de l'Institut de Sciences criminelles de Poitiers les 28 et 29 avril 1992, éd., Cujas, 1994 ; G.MATHIEU, Les droits de personnes incarcérées, Thèse, Université Aix-Marseille, 1993, p. 38.43 « Elle (la liberté individuelle) s'analyse très simplement comme l'état de l'homme qui n'est ni arrêté nidétenu, qui jouit donc de la possibilité d'aller et venir », C.-A. COLLIARD, Libertés publiques, 8 e éd., Paris,Dalloz, Précis, 2005, p.165 ; « Le mot liberté désigne l'absence d'arrestation et de détention », R 7050/75(Arrowsmith/RU), vol. 19, 1980, p. 5.44 M. MIAIL<strong>LE</strong>, Le droit par l'image, préc.45 U. ECO, Sémiotique et philosophie du langage, Paris, PUF, 1988, p. 213.


liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue non seulement pour protéger la société etassurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer sonéventuelle réinsertion 46 ». Il en est de même dans les travaux menés depuis lors, comme ceux de laCommission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) 47 ainsi que du texte de projet deréforme du droit pénitentiaire préparé en 2002, non soumis au Parlement 48 . Un sens donc quin’oblige pas la prison à s’organiser de manière à limiter ses effets à la privation de la libertéphysique. Même lorsque le débat est centré sur le sens de la peine au regard des droits de l’homme, ildévie rapidement sur celui des fonctions de la peine 49 . Alors que, soulignons-le, les fonctions de lapeine, en tout cas celle autour de laquelle la doctrine s’efforce de trouver et de réaliser un sens positifpour le détenu et la société, la réinsertion socio-profesionnelle du détenu, trouvent largement leurfondement au sein des droits de l’homme. En outre, bon nombre de ces droits garantissent les droitsciviques, civils et familiaux, des droits à formation, à l’éducation ou encore de la libertéd’expression. La question de leur protection peut alors être abordée dans le cadre d’une politique dedroit et non plus ou pas seulement dans le cadre d’une politique humaniste.Les travaux menés sur l’application de la Convention européenne des droits de l’homme dansla prison ont souligné la contribution des droits de l’homme à humaniser et à améliorer les conditionsde vie dans la prison, ainsi qu’à protéger les détenus contre l’arbitraire par la création d’un statutjuridique du détenu 50 . Mais ils n’ont pas suffisamment souligné cette importance dont s’accompagnela création d’un tel statut, la mutation même de la peine en concept juridique. Et ils n’ont pas placél’appréciation de l’application de la Convention dans la prison sous l’angle du respect du principe delégalité des peines.« Peine » et « prison » continuent à être confondues 51 . Les termes utilisés pour désigner lapeine privative de liberté en témoignent également. Le langage bascule facilement de l’expression<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>46 CC, Décision n° 93-334 DC 20 janvier 1994 sur la loi instituant une peine incompressible et relative aunouveau code pénal et à certaines dispositions de procédure pénale, JO du 6 janvier 1994, p. 1380.47 CNCDH, Réflexions sur le sens de la peine, Rapport d’étude, 2002 ; et Etude sur les droits de l’homme dansla prison, Rapport d’étude, 2004.48 Projet de loi sur la peine et le service public pénitentiaire, déposé en 2002, il reprend dans son Titre I, intituléDu sens de la peine, les mêmes termes que le conseil constitutionnel susmentionné. Son sens est déterminé parréférence aux fonctions de la peine.49 Exemple, un colloque qui s’est tenu à Poitiers en 2001, S. MENU, « Sens de la peine et droits de l’homme »,RPDP, n° 3, 2001, pp. 628-633.50 Voir notamment, E. RUBI-CAVAGNA, Le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droitsde l'homme et des libertés fondamentales par la France et l'Espagne concernant la protection de la personnedu détenu, Thèse, Université Montpellier I, 1995 ; M. VASSAL, Le statut des personnes incarcérées, Thèse,Université Aix-marseille,1995 ; G. MATHIEU, Les droits de personnes incarcérées, qui dresse un panoramades législations pénitentiaires de tous les pays membres de l'Union européenne, Thése, Université Aixmarseille,1993 ; Ahmed MOUSSA, Les droits de l’homme détenu, Thèse, Université Panthéon-Assas (ParisII), 2002.51 Une thèse intitulée « la prison comme sanction pénale » et qui contient une section titrée « L’influence desconditions de détention sur le sens de la prison », outre qu’elle sous-tend également la confusion entre sens dela prison et sens de la peine, se limite à décrire les conditions de la surpopulation carcérale, les soins et les<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200810


11« peine privative de liberté » au terme de « peine » et de ce dernier à celui de « peine de prison » ou« peine d’emprisonnement », comme si la peine n’était qu’une, la peine privative de liberté, etqu’elle équivalait à l’incarcération 52 . Au sein du droit français, nous constatons que l’expression« peine privative de liberté », alors qu’elle est systématiquement utilisée dans le Code de procédurepénale français, elle est, dans le code du droit pénal, prise comme l’équivalent aux expressions« peines de réclusion » et « peines d’emprisonnement » (art.131-1 et 131-3 C. pén.). Aucuneprécision ne figure concernant ces peines à part leur durée. Il est alors sous-entendu qu’il s’agit depeines privatives de liberté exécutées en principe dans la prison et que leur contenu matériel etjuridique est entendu comme l’équivalent du statut matériel et institutionnel du détenu 53 .Ces équivalences latentes sont contraires au principe de légalité des peines. D’abord au niveausémantique, le lieu de la prison, pas plus que les états d’arrestation ou de détention, ne peutconstituer une définition juridique. Car l’objet, le signifiant, dépasse le signifié, le concept. L’objetfonctionne comme un symbole et renvoie comme un flou sémantique 54 . Bentham ne s’émerveillait-ilpas de la capacité de la prison à symboliser toute idée de peine lorsqu’il écrivait que « le seul motprison rappelle toutes les idées pénales qui lui sont propres 55 » ? Ensuite, parce qu’au niveaupratique, un aperçu du rôle de la prison dans l’histoire de la peine en droit français nous permettra devoir que ces équivalences latentes datent du début de l’usage des prisons comme lieux d’exécutiondes peines privatives de liberté. Et un examen rapide des fonctions de la peine nous permet de voirque celles-ci ont légitimé la création d’un sens de la privation de liberté non défini, voire, qu’ellesont contribué à éloigner cette peine de la rationalité juridique. Les droits de l’homme ont permis demettre et d’inscrire la peine dans un cadre juridique rationnel. Cela est passé par la différenciation dusens de la peine privative de liberté à la fois avec le lieu de la prison et avec les fonctions de lapeine : la peine privative de liberté n’est pas la prison et le statut légal du condamné à cette peinen’est pas synonyme de son statut pénitentiaire.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008freins à la politique de la resocialisation des détenus, A. GADOT, La prison comme sanction pénale,Université Paris II, Pantheon –Assas, 2005.52 Par exemple, dans son Rapport « Réflexions sur le sens de la peine », adopté le 24 janvier 2002, la CNCDH(Commission nationale consultative des droits de l’homme) pose la question du sens des sanctions pénales etnotamment de la prison, et parle par la suite des peines de prison. JEANDIDIER W., Droit pénal général, 2eéd., Paris, Montcherstien, 1991.53 Peut –être la notion de peine privative de liberté commence-t-elle timidement à entrer dans le champ detravaux de la recherche pénale ? Un séminaire de philosophie pénale, organisé par l’institut de criminologie del’Université de Paris II a, en 2005-2006, porté sur la question de « la privation de liberté ». Si dans laprésentation de ce travail, le terme « prison » s’installe à partir de la deuxième partie, le terme « privation deliberté » est maintenu dans la première partie, Enfermement et sécurité pénale, Essai de philosophe pénale et decriminologie, V.6, Dalloz, 2007, (préface, J.-H. ROBERT, S. TZITZIS, G. BERNARD).54 U. ECO, Sémiotique et philosophie du langage, préc., p. 213.55 J. BENTHAM, Théorie des peines et des récompenses, 2 vols, Londres, B. Dulau, 1811, p. 148.


Le rôle historique de la prison dans la détermination du sens de la privation de liberté : l’exemplefrançais12Le droit français nous permet de constater que la confusion entre la peine privative de liberté etles établissements pénitentiaires destinés à son exécution date de la naissance des peines privativesde liberté, en 1791. C’est sous le terme de « peines privatives de liberté » qu’étaient regroupées, ausein du Code des prisons 56 , les condamnations aux fers 57 , à la réclusion 58 , à la gêne 59 , la détention 60 etl’emprisonnement 61 . Mais toutes ces peines consistaient en l’enfermement avec des degrés decontrainte différents dans des lieux appelés « prisons ». C’est sous le titre « Prisons pénales » quesont regroupés tous les lieux fermés destinés à l’exécution de ces peines. Christophe Moreau, dansses notes qui accompagnaient la présentation de la législation pénale depuis 1670 jusqu’en 1845,parle de la « peine de la prison » tout court 62 devenue la base principale du Code de l’Assembléeconstituante 63 . En effet, c’est bien de la naissance de la peine de prison dont il s’agit lors del’Assemblée Constituante : d’un usage essentiellement préventif et d’un usage pénal marginal sousl’Ancien régime 64 , elle est propulsée au centre du nouveau système pénal. La peine de prison futconsidérée comme étant à même de répondre à la nouvelle rationalité de la peine fixée par le nouvelordre juridico-politique issu de la Révolution française. Elle devrait être humaine, légale, strictementnécessaire et proportionnelle à la gravité de l'infraction 65 .L’équivalence de sens entre peines privatives de liberté et lieu des prisons date donc de lanaissance des peines privatives de liberté. Les seules précisions apportées par le législateur portentsur les degrés de la privation de liberté : boulet au pied attaché à une chaîne pour les maisons deforc ; isolement complet pour la peine de gêne ; emprisonnement en commun pour les peines dedétention et d’emprisonnement ; obligation ou pas des condamnés à travailler ; obligation ou pas de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>56 Code des prisons de 1670 à 1845, établi et annoté par <strong>MOREAU</strong>-CHRISTOPHE, Paris, Imprimerie de PaulDupont, 1845, pp. 8-9.57 Condamnation à traîner un boulet à un pied attaché à une chaîne de fers assortie de l’obligation d’exécuterdes travaux forcés au profit de l’Etat.58 Elle s’applique comme peine de substitution à la condamnation aux fers appliquée aux femmes et aux filles.59 Le condamné était enfermé seul, dans un lieu éclairé, sans fers ni liens, et sans communication aucune ni àl'intérieur de la prison ni avec l'extérieur. Il leur sera fourni du travail à leur choix.60 Enfermement en commun, travail de leur choix exercé individuellement ou en commun.61 Elle est une peine correctionnelle.62 Code des prisons de 1670 à 1845, préc., p. 17.63 Ibid., p. 17.64 Muyart de VOUG<strong>LA</strong>NS, Les lois criminelles de France dans leur ordre naturel, Dédiées au Roi, Paris, MDCCC LXXX, pp. 73-74 ; JOUSSE, Traité de justice criminelle de France, t. 1, 2, M DCCC LXX1, Paris, pp.81-84 ; G. AUBRY, La jurisprudence criminelle du châtelet de Paris sous le règne de Louis XVI, Paris, LGDJ,1971 ; A. PORTEAU-BITKER, « L'emprisonnement au moyen âge », Revue historique du droit français etétranger, 1968, t.2, p. 211 et s., et t. 3, p. 389 et s. ; R. GRAND, « La prison et la notion d'emprisonnement »,Revue historique, 1940.65 Article 8 de la Déclaration française des droits de l’homme : « « La Loi ne doit établir que des peinesstrictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguéeantérieurement au délit, et légalement appliquée » ; J.-G. PETIT, Ces peines obscures, La prison pénale enFrance 1780-1875, Paris, Fayard, 1990, p.72.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


13leur fournir du matériel de couchage, du pain et de l’eau 66 . Si bien que, comme l’a noté l’historienJacques-Guy Petit, la notion de « peines privatives de liberté » a constitué pour le pouvoir exécutifun cadre juridique vide qu’il fallait remplir 67 . Il revenait à ce pouvoir d’organiser le fonctionnementdes prisons et donc de remplir ces peines de sens. En effet les seules consignes données concernantles limites du pouvoir étaient de veiller à ce que la santé des détenus ne soit pas altérée et de lestraiter avec douceur et humanité 68 .Plus encore, durant les décennies qui ont suivi, aucun aménagement n’a été fait pour adapterles prisons à leur nouvelle fonction 69 . Un premier règlement uniforme concernant les prisonsdépartementales fut établi en 1819 70 . Mais il a fallu attendre 1839 pour que le premier règlementuniforme concernant l’organisation des maisons centrales voie le jour 71 ; et il a fallu attendre 1842pour que l’uniformisation de l’exercice du pouvoir disciplinaire dans ces maisons ait lieu 72 . Enfin, lepremier grand débat sur l’organisation des prisons, en tant que lieux d’exécution des peinesprivatives de liberté, a débuté en 1840. Les prisons ont donc dû, pendant cette période, fonctionnersans limites ni contôle juridiques. Cette situation n’était pas sans compromettre la réalisation de lanouvelle rationalité de la peine, y compris son humanisation. La prison ayant, sous l’Ancien régime,été décrite comme l’enfer 73 , l’humanisation des peines passait également par l’humanisation de celieu.. L’historien Jacques-Guy Petit rapporte que, « conçue comme un purgatoire, la prison réelle duXIX e siècle reste un enfer 74 ». Michelle Perrot se demande : « Où est donc la douceur des peines 75 ? »Encore aujourd’hui, l’humanisation des prisons demeure-t-elle un défi. Soulignons qu’elle est un desobjectifs principaux des Règles minima pour le traitement des détenus adoptées par l’ONU en 1955,mais aussi des Règles pénitentiaires européennes depuis 1973 jusqu’à aujourd’hui. Par ailleurs, lerespect des conditions humaines et non dégradantes dans les prisons, et dans tout lieu fermé, est66 Code des prisons de 1670 à 1845, préc.67 J.-G. PETIT, Ces peines obscures, préc., p. 491.68 Code des prisons de 1670 à 1845, préc., p.11.69 B. BOULOC, Pénologie, 3 e éd., Paris, Dalloz, Précis, 2005, p. 11. Voir aussi, M. SEY<strong>LE</strong>R, « L'illégitime »,RPDP, 1983, pp. 243-252.70 Le 25 décembre 1819, signé par le ministre Decazes, Code des prisons de 1670 à 1845, p. 79. Cet état de faitest également confirmé par Catherine Duprat : « Constituée en pièce maîtresse du nouveau appareil répressif,la prison des débuts du XIX e conservait cependant bien des traits de celle de l'Ancien Régime... Ce lieu depénitence et d'amendement qu'ils voulaient lieu public, leçon toujours offerte à la nation, les hommes de laRévolution ne l'ont jamais aménagé. C'est seulement le 25 décembre en 1819 qu'un règlement uniforme a étéétabli ». C. DUPRAT, « Punir et guérir », in L'impossible prison, (dir. M. PERROT), Paris, Seuil, 1980, pp.68-69.71 « Instruction et arrêté sur le nouveau régime disciplinaire des maisons centrales », 10 mai 1839, in Code desprisons de 1670 à 1845, préc., p. 242, signé par le Ministre GASPARIN.72 « Instruction sur l’organisation des prétoires de justice disciplinaire dans les maisons centrales », 8 juin1842, Code des prisons de 1670 à 1845, préc., pp. 381-387, signé par le ministre T. DUCHATEL.73 « Jetez les yeux sur ces tristes murailles... où l'on fait l'essai de tous les supplices avant le dernier. Approchezet si le bruit horrible des fers, des ténèbres effrayantes, des gémissements lourds et lointains, vous glaçant lecœur, ne vous font reculer d'effroi, entrez dans ce séjour de la douleur… », Discours sur l'administration de lajustice criminelle, prononcé par J.-B. BRISSOT <strong>DE</strong> WARVIL<strong>LE</strong> (avocat général), Théorie des loiscriminelles, 2 e éd., Paris 1836, t. II, pp. 142-143.74 J.-G. PETIT, Ces peines obscures, préc., p. 144 et pp. 544-545.75 M. PERROT (dir.) L'impossible prison, préc., pp. 59-63<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


l’objet exclusif de la Convention pour la prévention de la torture adoptée en 1995 par le Conseil del’Europe.14Quel fut alors le rôle de la notion de peines privatives de liberté qui était l’intitulé commun àl’ensemble de ces peines ? La privation de la liberté apparaît comme l’effet minimum des prisonsdestinées à l’exécution de toutes ces peines. Comme le prouvent les propos de certains Constituants,la décision de recourir à la prison à des fins pénales était guidée par la volonté d’en faire un lieusignifiant beaucoup plus qu’une simple privation de la liberté. Cette peine qui, d’après sesdéfenseurs, devrait être encore plus redoutable que la peine de mort, le serait par la durée et la duretédu spectacle offert par la prison : « Les peines effraient moins l’humanité par leur rigueurmomentanée que par leur durée…Le frein le plus propre à arrêter les crimes n’est donc pas tant lespectacle terrible, mais momentané, de la mort d’un scélérat, que l’exemple continuel d’un hommeprivé de sa liberté, transformé en quelque sorte en bête de somme… 76 ». Mais elle le serait égalementpar sa matérialité. Le sens de la punition résidait dans les privations multiples que la prison devraitajouter à la privation de la liberté 77 . Il résidait dans la nature même de la prison qui serait aussiredoutable, voire pire, que la peine de mort. En effet, si lors des premiers grands débats surl’organisation de la prison (1840-1848), ces « vertus » étaient reconnues seulement au cachot 78 ,Beccaria (le précurseur de l’adoption de la peine de prison, en France, en 1791), avait loué la « peinede prison » en général pour être encore plus efficace que la peine de mort. Alors que, selon Beccaria,la mort est un « moyen de se délivrer de la misère », la prison «… ne termine pas les maux ; elle lescommence » 79 . Ce « surplus punitif », comme l’a appelé Foucault, n’a jamais cessé d’être défendu 80 .Encore aujourd’hui on en trouve des traces au sein même des Règles minima pour le traitement desdétenus et des Règles pénitentiaires européennes. Certaines recommandations sur la limitation deseffets de la prison à des effets directs visent seulement les prévenus 81 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>76 J.-B., BRISSOT <strong>DE</strong> WARVIL<strong>LE</strong>, Théorie des lois criminelles, préc., p. 144.77 « Dès l'origine, la prison pénale n'est pas conçue comme une simple privation de liberté » affirme J. G. Petit,Ces peines obscures, préc., pp. 52-53. La répression, disait Duport, doit s'établir sur « un sentiment qui soitparmi les hommes, le plus fort, le plus constant, le plus général. C'est l'amour de la liberté... à la perte delaquelle on peut ajouter la privation de toutes les jouissances de la nature, peut seule devenir une peine réelle,répressive et durable, qui n'altère point les mœurs du peuple ». Le Pelletier allait dans le même sens : « Lapeine efficace doit être recherchée dans la privation multiple des jouissances dont la nature a placé le désirdans le cœur de l'homme », cités par Jacques-Guy Petit, Ces peines obscures, précité, pp. 52-53, p. 47.78 Le cachot : « Voilà la punition que nous vous proposons de substituer à la peine de mort… On prétend que lapeine de mort est la seule capable d'effrayer le crime. L'état que nous venons de décrire serait pire que la mort,si rien n'en adoucissait la rigueur », Revue pénitentiaire et des institutions préventives, Paris, 1843-1844, pp.174-175.79 BECCARIA, Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1979, p. 93.80 On le trouve, par exemple, chez les défenseurs des buts d'intimidation et d'exemplarité lors des débats sur laréforme pénitentiaire en France, entre 1840-1848 (l’emprisonnement pénal doit obéir à d’autres principes quel’emprisonnement préventif), Revue pénitentiaire et des instituions préventives, 1843-1844, p. 88.81 Les règles n° 84 à n° 95 au sein des Règles minima pour le traitement des détenus de l’ONU, 1955, la règlen° 99 au sein des Règles européennes pénitentiaires, 1987 ; et plusieurs règles au sein des Règles de 2006 :l’obligation de travailler est prohibée pour les prévenus mais pas pour les condamnés (règles 100. 1 et 105.2.) ;et le choix de disposer d’une cellule individuelle » (règle 96) et la possibilité de porter leurs vêtementspersonnels (règle 97.1), ne sont prévus que pour les prévenus.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


15Cependant des voix s’étaient élevées dès 1819 pour réclamer l’humanisation des prisons, etmême la limitation de leurs effets à la seule privation de la liberté. Cette année fut marquée par lacréation de La société royale dans le but d'apporter dans la prison « toutes les améliorations queréclament la religion, la morale et l'humanité 82 ». La même année, Michaux réclamait la limitationdes effets de la prison à la seule privation de liberté : « Pour que la privation de liberté ne soit sentieque comme la privation de ce droit, dépend des conditions de détention » 83 . En 1840, De laRochefoucault-Liancourt publiait un livre citant les propos du Bâtonnier Marie qui défendait lalimitation des effets de la prison à une simple privation de la liberté 84 . Mais les premiers débats surl’organisation de la prison montre que ce qui allait déterminer son organisation n’était pas larecherche des limites du pouvoir punitif imposé par le respect du cadre légal de la condamnation àune peine privative de liberté.Le rôle des fonctions de la peine dans la formation du sens de la peine : l’exemple françaisCe qui caractérise les débats sur l’organisation de la prison, qui ont duré entre 1840 et 1848,c’est la détermination des fonctions de la peine et du meilleur système pénitentiaire pour parvenir àleur réalisation. Il s’agissait des fonctions connues de l’Ancien régime, à savoir la rétribution,l'intimidation et la neutralisation, auxquelles venait s’ajouter une nouvelle, celle d’amendement. Cedébat opposait ainsi les défenseurs du système cellulaire (isolement complet de jour et de nuit etinterdiction aux détenus de se parler) à ceux du système en commun (isolement la nuit et activitéscommunes la journée) et plus largement, les défenseurs des fonctions répressives de la peine auxhumanistes et légalistes qui défendaient les limites de la punition posées par les droits de l’homme :« Le condamné a beau être un coupable, il conserve certains droits ; il a le droit de ne pas être mis,en quelque sorte, hors de l'humanité, car il reste un homme… je ne vous reconnais pas ce droit »,s’était indigné Sade 85 qui considérait le système cellulaire comme inhumain. « Choisir le mal, c'ests'exclure soi-même des droits de l'homme 86 » avait rétorqué Tocqueville. Ce dernier, avec lesdéfenseurs de la primauté des fonctions répressives de la peine, s’opposait à toute idée dereconnaissance de droits aux détenus, considérés comme un moyen d’adoucir la rigueur de la peine.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200882 Par ordonnance du Roi sur proposition de Decazes, ministre de l’intérieur, Code des prisons de 1670 à 1845,préc.83 Alph. MICHAUX, Réflexions d'un citoyen sur les prisons, Paris, 1819, p. 13.84 « Détenir un homme, c'est le priver de sa liberté, le séparer de la société, dont il a troublé l'ordre. La barrière,une fois élevée entre la société et le condamné, celui-ci dans les limites de la maison de détention, doit jouir deses droits naturels et de la somme de liberté compatible avec une sévère mais généreuse discipline », <strong>DE</strong> <strong>LA</strong>ROCHEFOUCAULT-LIANCOURT, Examen de la théorie et de la pratique du système pénitentiaire, Paris,1840, p. 464.85 Sade, Débats lors de la séance du 26 avril 1844, A. <strong>DE</strong> TOCQUEVIL<strong>LE</strong>, Oeuvres complètes, Ecrits sur lesystème pénitentiaire en France et à l'étranger, (présentées par Michelle Perrot), Paris, Gallimard, 1985, p. 43.86 A. <strong>DE</strong> TOCQUEVIL<strong>LE</strong>, Oeuvres complètes, préc., p. 43


Tocqueville s’en était également pris aux philanthropes à l’égard desquels il avait tenu des proposméprisants en les qualifiant, entre autres, d'« efféminés et de débiles 87 ».16C’est en raison, notamment du manque de moyens financiers que le régime cellulaire n’a pasété appliqué. Sa mise en place coûtait cher. Ce constat, en plus de celui de l’échec du traitement 88 ,peut permettre de soutenir que les fonctions et les buts de la peine n’ont pas, ou peu, influencél’organisation de la prison. Si l’on analyse le droit pénitentiaire, qui est un droit sui generis, sonorganisation est guidée par sa propre logique en tant qu’administration de service public ayantcomme mission principale la sécurité (Eric Pechillon 89 ) ou tout simplement par ses besoins pratiquesde gérer les détenus (Martine Herzog-Evans 90 ). Pour autant, l’influence de différentes thèses sur lesfonctions de la peine n’est pas négligeable. Elles ont permis de légitimer la création d’un droitpénitentiaire qui, comme l’a souligné Danièle Loschak 91 , ne tient du droit que son énoncé en langagejuridique et sa sanction par la contrainte. Dans la réalité, la règle juridique s'y « transforme en purinstrument de légitimité d'exercice du pouvoir étatique 92 . » Les règles assurent une « apparencelégaliste » comme l'a démontré Martine Herzog-Evans 93 . Que le droit soit ouvertement utilisé dans laprison comme instrument de pouvoir au service des fonctions de la peine est reconnu par certainspénalistes. Ainsi, Pierre Bouzat et Jean Pinatel reconnaissaient que le droit pénitentiaire devait,durant la période de la politique pénale dominée par la fonction intimidante de la peine, durcir lesconditions de vie des détenus, et durant celle de la prédominance de la politique du traitementpénitentiaire, contribuer à sa réalisation. Mais cette dernière a non seulement éloigné le droit de lapeine ; elle a éloigné la peine même de la rationalité juridique.En effet, la conception moderne du traitement des détenus 94 allait changer les fondementsmême du droit pénal. On est passé de la culpabilité à la dangerosité et du libre arbitre auconditionnement. L’homme ne serait pas totalement libre de ses actes 95 . Il serait déterminé par descauses biologiques, psychologiques et sociales. Dès lors, l'infraction est considérée comme un acte<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...87 Ibid., pp. 37-38.88 Les objectifs de la sanction pénale, (dir. A. Tsitsoura), Bruxelles, Bruyland, 1989.89 E PECHILLON, Sécurité et droit du service public pénitentiaire, These, Université de Rennes, 1998, publiéechez L.G.D.J., 1999.90M. HERZOG-EVANS, La gestion du comportement du détenu, (L'apparence légaliste du droitpénitentiaire), Thèse, Poitiers, 1994, publiée chez l’Harmattan, collection Logiques juridiques, 1998.91 D. LOSCHAK, « Droit et non droit, dans les institutions totalitaires », in Le droit et l'institution totalitaire,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Paris, PUF, 1981, pp. 176-177.92 Ibid. , pp. 170-183.93 M. HERZOG-EVANS, La gestion du comportement du détenu, préc.94 Tel qu’entendu après le développement des sciences anthropologiques, sociales et psychologique et lanaissance de l'Ecole positiviste (marquée avec la publication du livre L'huomo delinquente de Lombroso, en1876). On considère que c'est à partir de la fin du XIX e siècle, moment où le mouvement de défense sociale arejoint le mouvement scientifique, que l'idée du traitement pénitentiaire est née. Auparavant, le traitement étaitsimplement entendu dans le sens d'amendement laissé à l’œuvre des philanthropes, Méthodes modernes detraitement pénitentiaire, Rapport, Fondation internationale pénale et pénitentiaire, 1955, p. XVIIII.95 M. ANCEL, La défense sociale nouvelle, Paris, Cujas, 1981,p. 70.


antisocial et dangereux, « une expression de la personnalité de son auteur » 96 . Cette conception del'infraction allait se répercuter sur la conception de la peine : « Le rationnel dans l'organisation de laréaction sociale contre le crime cesse d'être juridique, il devient scientifique 97 » écrit Marc Ancel. Lapeine, conçue comme « une méthode de réadaptation sociale, s'est dissipée dans le traitementpsychiatrique, constate Foulek Ringelheim 98 . Si bien que les criminologues se sont accaparé le droitpénitentiaire aux dépens des juristes. Pierrette Poncela parle d'anti-légalisme incarné par lacriminologie 99 . Tandis que Jean-Hervé Syr évoque une conception très impérialiste de lacriminologie, celle-ci ayant absorbé le droit pénal 100 . Les propos de Salleilles confirment laconsidération du rôle du droit dans l'exécution de la peine privative de liberté comme étranger auxbuts de la peine : « La notion de justice n'a plus à intervenir. Il ne s'agit plus que de cure morale etd'hospitalisation 101 ». Cette conséquence n'est pas due seulement à l'impuissance des juristes devantles données anthropologiques, psychologiques et sociologiques 102 . Elle est également due au fait quele droit était vu comme une entrave au projet de réformer la personnalité du détenu. Car quel que soitle terme utilisé, amendement, rééducation, réadaptation, resocialisation ou réinsertion, le traitementsignifiait, jusqu’aux années 1980, « agir sur quelqu'un » 103 , « transformer la personnalité » 104 . Depuislors, la conception du traitement s’est modifiée. Comme cela est expliqué dans l’Exposé des Motifsrelatifs aux Règles pénitentiaires européennes de 1987, il doit dorénavant être entendu comme mise àla disposition des détenus de moyens de réinsertion sociale et professionnelle (notamment par letravail, la formation professionnelle, l’éducation physique et la préparation à la sortie).La période de la résistance de la conception de la peine et de la prison à l’application effective desdroits de l’hommeLa conception de la peine et le rôle joué par la prison jusqu’au début des années 1970s’opposaient au droit, y compris aux droits de l’homme. Cela malgré la consécration de ces derniers,après la seconde guerre mondiale, en tant que règles universelles et juridiques, et malgré lareconnaissance de l’ensemble des détenus comme sujets de ces droits de l’homme. Dès 1962 laCommission européenne des droits de l’homme 105 avait reconnu qu’une personne, même condamnée« en raison de crimes perpétrés au mépris des droits les plus élémentaires de la personne humaine,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...96 Ibid., p. 183.97 Ibid.98 F. RINGELHEIM, Criminologie et droits de l'homme, pp. 76-77.99 P. PONCE<strong>LA</strong>, Le droit pénal: au nom de la loi ou malgré la loi, Arch. de philo du droit, t. 25, 1980, Sirey,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008pp. 29 et s.100 J.-H SYR, Punir et réhabiliter, Paris, éd. Economica, 1990, p. 29.101 R SA<strong>LE</strong>IL<strong>LE</strong>S, L’individualisation de la peine, 2e éd., Paris, F. Alcan, 1909, p. 270.102 E. ROTHMAN, L'évolution de la pensé juridique sur le but de la sanction pénale, p. 163 s, in Recueild'études en hommage à M. Ancel, Aspects nouveaux de la pensée juridique, t. II, Paris, Pedone, 1975, pp. 168-169.103 J.-H SYR, Punir et réhabiliter, préc., p. 47.104 J. PINATEL, Chronique de criminologie, postulats et limites du traitement des délinquants en institution,RSC, 1977, p. 636.105 Instance qui examinait le bien-fondé des requêtes avant de les renvoyer devant la Cour, supprimée depuis1999.17


n'est point privée de la garantie des droits et libertés définis dans la Convention de sauvegarde desdroits de l'homme et des libertés fondamentales » 106 . La même année, le Comité des Ministres duConseil de l’Europe consolidait cette reconnaissance dans la Résolution (62)2 sur les droitsélectoraux, civils et sociaux du détenu : « Le seul fait de l’incarcération n'enlève pas au détenu lesdroits précités. » Toutefois, sur le plan pratique, on a assisté à une résistance de la prison au pointd’inverser le raisonnement sur leur application. C'était aux droits de l'homme de s'adapter auxexigences de la peine et de la prison, et non le contraire, et leur exercice devrait être compatible avecles buts de la peine et le fonctionnement de la prison. Parmi les doctrines développées autour durespect des droits de l'homme dans la prison 107 , celle qui a dominé son application effective est ladoctrine fondée sur le statut particulier du détenu. Le détenu en tant qu'homme était sujet des droitsde l'homme, mais son statut pénal et pénitentiaire le plaçait dans un statut particulier avec lepouvoir : un statut de sujétion et de dépendance qui s’opposait à l’exercice effectif de ces droits.Leur exercice pouvait compromettre l’ordre et la sécurité de la prison mais aussi les fonctions de lapeine, notamment le traitement 108 et la punition 109 . Si bien que, jusqu’au début des années 1970, lesdroits de l’homme n’ont pu jouer dans la prison qu’un rôle éthico-politique fondé sur l’humanisme etla dignité. Le Comité des ministres 110 mais aussi la Commission européenne des droits de l’hommeavaient adopté la thèse de l’exercice des droits de l’homme dans la prison à condition qu’il soitcompatible avec les buts de la peine et les besoins du fonctionnement de la prison.En effet, ainsi que l’ont démontré Philippe Pouget 111 et Christian Jacq 112 , l’application desdroits de l’homme dans la prison était longtemps restée sans effet significatif. La preuve en est que,106 D 1270/61 (Ilse Koch/RFA), 8.3.1962, Ann. 1962, p. 127 et s.107 Sur les courants de doctrine développés autour des droits des détenus sous l'influence des droits de l'hommeà partir des années 1970, voir la thèse de G. MATHIEU, Les droits des personnes incarcérées dans les pays dela CEE, Thèse Aix-marseille, 1993, notamment la partie introductive. Ces courants allaient de la défense durespect maximal des droits de l'homme jusqu'à leur négation totale.108 Pour sauvegarder « une véritable collaboration entre le condamné et le personnel pénitentiaire chargé de son<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>traitement... le détenu doit demeurer vis-à-vis de l'autorité pénitentiaire dans une certaine dépendance…»,J. DUPREEL, « Les droits des détenus », Revue de droit pénal et de criminologie, n° 1, 1957-58, pp. 163-178.Stanislas P<strong>LA</strong>WSKI soumet également l'exercice des droits de l'homme sous la condition de leur compatibilitéavec le traitement, dans son article « Les droits de l'homme dans le procès et l'exécution des peines », Revue<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...pénitentiaire, 1978, p. 215.109 « Les limites sont évidentes. On ne peut, sous prétexte d'atténuer les effets excessifs de la privation deliberté, supprimer toute différence entre la situation de l'auteur d'une infraction et celle des citoyensrespectueux de l'ordre social », J DUPREEL, « Les droits des détenus », préc., p. 176. pp. 163-178. La fonctionpunitive, malgré la domination du traitement, n’était pas disparue. Comme l’a souligné VAN <strong>DE</strong>RKERCHOVE, le traitement a en réalité contribué à étendre le champ de répression et de contrôle, « Culpabilitéet dangerosité », in Dangerosité et justice pénale, ambigüité d'une pratique, (dir. Ch. Debuyst), Masson, 1981.110 Dans la Résolution (62)2 sur les droits électoraux, civils et sociaux du détenu, on peut lire : « Leur exercicepeut cependant être limité lorsqu'il est incompatible avec les buts de la privation de liberté ou avec le maintiende l'ordre et de la sécurité dans les établissements pénitentiaires » (art. 3) « ou du traitement pénitentiaire »(art. 8, al. a). Dans les Règles pénitentiaires européennes, il est recommandé de respecter les contacts avecl'extérieur « sous réserve des impératifs du traitement des détenus, de la sécurité et du bon ordre del'établissement » (règle 43.1).111 Ph. POUGET dans sa thèse, L'inculpé détenu en droit français et la Convention européenne des droits del'homme, Bordeaux I, 1987.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200818


jusqu’en 1970, la Commission n’avait transmis à la Cour aucune requête en provenance de détenus.Elle les avait toutes rejetées comme étant mal-fondées. Dans un premier temps, les motifs de rejetétaient liés à l'absence dans la Convention d’une garantie expresse des droits invoqués par lesdétenus 113 . Par la suite les motifs étaient tirés tantôt des buts de la peine 114 , tantôt de la situationparticulière des détenus à cause de « leur subordination à l'administration de la prison » 115 , tantôt desnécessités propres à la prison (comme l'ordre intérieur des établissements pénitentiaires) 116 , tantôtdes motifs légitimes qui figurent dans le texte de la Convention européenne des droits de l’homme 117 ,tantôt de la notion de peine privative de liberté. La thèse qui dominait la jurisprudence de laCommission concernant cette dernière était qu’il y aurait une clause implicite dans la Convention quijustifierait la limitation de l'exercice des droits de l'homme à l'égard des détenus condamnés. Cettelimitation serait un élément inhérent à la peine. C'est cette thèse, dite des « limitations implicites »,qui se trouve derrière les expressions utilisées dans la jurisprudence européenne de cette période,telles que : « élément inhérent à son emprisonnement légal 118 », « restrictions inhérentes à l'état dedétention 119 », « élément inhérent à l'emprisonnement 120 », « conséquence inhérente à la notion dedétention 121 », « limitation inhérente à la punition de l'emprisonnement 122 . » Cette thèse sous-tendaiten outre que ces restrictions n’étaient pas considérées comme des ingérences. Par conséquent, ellesne nécessitaient pas une justification conforme au texte de la Convention c’est-à-dire : être prévuespar une loi, poursuivre un des buts prévus par la Convention, et être nécessaires dans une sociétédémocratique. La seule décision de condamnation à la peine privative de liberté suffisait pour lesjustifier 123 .Cette jurisprudence signifiait d’une part que la peine privative de liberté était entendue dans unsens large. D’ailleurs cela a été reconnu par la Commission dans l’affaire « Vagabondage » (1971).112 Ch. JACQ, Vers un droit commun de la sanction. L'incidence de la Convention européenne de sauvegardedes droits de l'homme, Thèse Paris XI, 1989.113 . D 424/58 (X/Belgique), Rec. 2 ; D 631/59 (X/RFA) Rec. 3.114 « Les buts de l'exécution d'une peine privative de liberté impliquent une limitation de certains droits etlibertés », D 1760/63 (X/Autriche), R. 20.115 «... Au vu de la situation des détenus qui sont subordonnés à l’administration pénitentiaire…», D 4984/71(X/RFA), Rec. 43, p. 28 ; D 3959/69, R. 35, p. 109.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...116 . D 892/62 (X, Y /RFA), Ann. 1961, p. 241.117 Par exemple, la prévention des crimes et la protection de l'ordre public 117 ; la protection de l'intérêt généralD 3914/69 (X/Belgique), Rec. 43 ; la protection de l'intérêt général, D 4984/71 (X/RFA), Rec. 4 ; lasauvegarde de l'ordre, de la sécurité et de la bonne administration, D 8166/78 (X, Y/Suisse), Rec. 13, p. 24 ; D8065/77 (X/RU), Rec. 14, p. 246.118 D 3717/68, X/Irlande, Rec. 31, p. 96 ; D 4445/70, /RFA, Rec. 37, p. 119 ; D 4351/70 (X/RFA), R. 36, p. 83.119 D 2795/66, (X/RFA), R. n° 30 (A propos du refus opposé à un détenu d'acheter des ouvrages juridiques) ; D4101/69 (X/RFA), Rec. 34, p. 38 ; 4144/69 (X/Luxembourg), Rec. 27, p. 27.120 . D. 3717/68, (X/Irlande), D. R. 31, p. 96 ; D 4144/691 (X/Luxembourg), Rec. 27, p. 27 ; D 4445/70Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008(X/RFA), R. 37, p. 119.121 D 4101/69 (X/RFA), R. 34, p. 38.122 D 2749/66 (De Courcy/R.U) Rec. 24, p. 93 ; D 2795/66 (X/RFA), Rec. 30 ; D 3717/68 (X/Irlande), Rec. 31,p. 96 ; D 4144/691 (X/Luxembourg), Rec. 27, p. 27.123« Toute ingérence accessoire aux libertés fondamentales n'avait pas besoin d'une base légale »,S. TRECHSEL, « Rapport sur les Droits de l'homme des personnes privées de liberté », 7e Colloqueinternational sur la Convention européenne des droits de l'homme, 30 mai-2 juin 1990, p. 4.19


20Cette instance avait admis que, dans le cadre de détenus condamnés, elle avait adopté la thèse selonlaquelle « le contrôle de la correspondance, tout comme d'ailleurs l'ingérence dans la vie privée etfamiliale, est une limitation inhérente à la détention, un élément inhérent à la notion même deprivation de liberté » 124 . D’autre part, cette jurisprudence sous-entendait que les termes « peine »,« prison » et « peine privative de liberté » désignaient la même notion, ce qui offrait à la prison unréservoir de légitimité illimitée de privation des droits de l'homme et donc de liberté. Elle la puisaittantôt en elle-même, tantôt dans la peine privative de liberté, tantôt dans la peine en général. Aussi,les droits de l’homme et le droit en général ne pourraient-ils assurer leur rôle protecteur dans laprison à l’égard des personnes détenues que par un changement, une mutation de la conception depeine qui devrait permettre une rupture de ce rapport.La mutation de la peine en notion juridiqueCette rupture passait par l’abandon du modèle de traitement pour revenir à la théorie classiquede la peine, à la théorie retributive qui accepte le but punitif de la peine 125 . Celle-ci serait la seulecapable de faire sortir la peine du domaine de la « force du préjugé » et du « passionnel » 126 pour lafaire entrer dans le domaine du rationnel. La peine ne pourrait être rationnelle, écrivait Paul Ricoeur,que si sa logique était ramenée dans une sphère de validité limitée qui, selon Hegel, est celle du« droit abstrait » ; « Le concept de la peine résulte de la négativité même du crime. Le concept de lapeine n'est autre chose que cette liaison nécessaire qui fait que le crime, comme volonté en soinégative, implique sa négation même, qui apparaît comme peine. C'est l'identité intérieure qui, dansl'existence extérieure, se réfléchit pour l'entendement comme égalité 127 . »Une identité qui se réfléchit en effet comme égalité à défaut d’être réelle. « Si l’idée derétribution suppose ainsi le respect d’une certaine forme d’équivalence entre deux maux (l’infractionet la peine), il faut évidemment admettre, à peine d’absurdité, que cette équivalence se situe à unniveau essentiellement symbolique 128 ». Elle se situe dans l’expression par la peine de la« réprobation publique » 129 . Une telle approche a toutefois le mérite de refléter les valeurs communesd’une société à défaut de pouvoir effectivement réparer le mal causé.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008124 CEDH, Wilde, Ooms et Versyp c.Belgique, n os 2832/66, 2835/66, 2899/66, 18 juin 1971, Série A n° 12, etSérie B, plaidoiries.125 A propos des fonctions de la peine, voir entre, M. CUSSON, Pouquoi punir ?, Dalloz, 1987 ; A.TSITSOURA (dir.), Les objectifs de la sanction pénale, Bruxelles, Bruyland, 1989.126 M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Les chemins de la répression, PUF, 1980.127 P. RICOEUR, Le mythe de la peine, Actes du colloque tenu à Rome le 7-12 janvier 1967, Ed. Montaigne,Rome, p. 30.128 F. TULKENS, Van de KERCHOVE, Introduction au droit pénal, Aspects juridiques et criminologiques,Bruxelles, éd. Story Scientia, 1991, p.315.129 Ibid.


Pour cela, il fallait donc revenir vers la théorie retributive corrigée par les exigences actuellesdes droits de l’homme. Aussi, fallait-il que la peine devienne un concept juridique à l'instar de celuide l'infraction telle que préconisée par Feuerbach : « Une infraction n'est pas un fait mais un conceptjuridique. L'essence d'une infraction n'est rien d'autre qu'une transgression d'un droit 130 ». La peine(sanction) ne devrait donc être que la privation d’un droit et la souffrance de la peine devrait selimiter à celle découlant de cette privation. Seule une telle conception de la peine serait susceptiblede poser des limites précises au pouvoir de punir et au pouvoir en général exercé lors de l’exécutionde la peine. De fait, cette limitation serait devenue une exigence juridique et non simplementhumaniste : « Pour que l'on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition deschoses, le pouvoir arrête le pouvoir » disait Montesquieu 131 . Dans nos sociétés hautementjudiciarisées et démocratiques, il n'y a que le droit qui puisse jouer ce rôle dialectique entre lepouvoir et l'individu 132 . C’est à cette condition que le droit pourrait entrer dans la prison pour jouerson véritable rôle et assurer en même temps la « fonction instauratrice du sujet par le droit 133 ». Unetelle conception de la peine avait été défendue, en Italie, dès 1840, par Gaetano Filangieri : « Lecrime est la violation d'un pacte, et la peine est la perte d'un droit 134 . »C’est la coïncidence entre le déclin de l’objectif du traitement des détenus 135 , la montée ducourant de la criminologie critique dénonçant la notion de « dangerosité » comme étant dangereuseelle-même (le but de traitement ayant comme finalité l'aliénation de l'homme par la recherche de sonconditionnement conformiste 136 ) et l’apparition du courant judiciaire, qui a contribué à cechangement. Ce dernier, inspiré par les droits de l'homme, est apparu à partir des années 1970 137 . Siles tenants du traitement ont pu voir dans les droits de l'homme non pas sa mise en cause maisl'assise même d'un droit des détenus au traitement 138 , les tenants du courant judiciaire y ont vu le<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>130 Cité par John VERVAE<strong>LE</strong>, « Les grandes théories de la peine aux XVIII e et XIX e siècles », in « La peine »,Recueil de la société Jean BODIN pour l'Histoire comparative des institutions, Bruxelles, De BoeckUniversité, 1989, p. 19.131 MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Flammarion, 1979, p. 293.132 H. MIKA and J. THOMAS, “The dialectics of prisonner litigation : reformist idealism or Social praxis ?”,in Social Justice, vol. 15, n° 1, 1988, p. 63.133 D. SA<strong>LA</strong>S, « Etat et droit pénal », in Droits, 1992.15, PUF, p. 90.134 Oeuvres de Gaetano Filangieri, traduits de l’italien, Paris J.P. Aillaud, 1840, 3 vol. t. 3, pp. 6-7.135 Des recherches évaluatives, entreprises au cours de la décennie soixante-dix, sont arrivées à la fameuseconclusion de nothing works, (John Eryl Hall) WILLIAMS, « Le changement de concept de la prison », in Lacriminologie ; bilan et perspectives, Mélanges offerts à Jean PINATEL, Paris, Pedone, 1980, p. 162 ; Lesobjectifs de la sanction pénale, (dir. A. Tsitsoura), préc., 1989, pp. 23-28.136 J.-H SYR, Punir et réhabiliter, préc., p. 53.137 Notamment en Scandinavie, en Angleterre, aux USA et au Canada, (Hall John Eryl WILLIAMS, Lechangement de concept de la prison, préc., p. 162, 169.138 J.-H SYR, Punir et réhabiliter, préc., p. 105. L'auteur fait référence à <strong>LA</strong>NREVIL<strong>LE</strong> P., « Les détenus etles droits de l'homme », Criminologie, 1976, vol. IX, p. 107 ; à PALMER J.W, Constitutionnal rights ofprisonners, Cincinnati, Anderson, 2e d. 1980, p. 81 ; et à A. REYNAUD., Les droits de l'homme dans laprison, Conseil de l'Europe, 1986. Voir aussi J. VERIN, « La recherche conduirait-elle à abandonner lapolitique criminelle de réinsertion sociale ? », in Mélanges offerts à Jean PINATEL, préc., pp. 61-72.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200821


contraire : un moyen de protéger les détenus contre l'ingérence des scientistes du comportement 139 .Mais cela demandait de recentrer la question de la punition autour de la liberté individuelle et durapport entre l'Etat et l'individu 140 . Cela impliquait la limitation du fondement de punir dans la loi 141 ,la reconnaissance de la responsabilité pénale sur le seul constat de la transgression d’une loi 142 et lalimitation du but de la peine dans le sanctionnement de la transgression : le fondement de punir étantlimité à la loi, la peine ne pourrait avoir d'autres buts que celui de sanctionner le manquement aurespect de la loi. Le retour au droit est nécessaire, disait Foucault, mais il suppose que nos sociétésadmettent qu'elles punissent 143 . En effet, pour ceux qui prônent le retour du droit dans la peine et leretour de celle-ci dans la rationalité juridique, la limitation du but de la peine à la punition estnécessaire. Seule la punition, au sens de sanction, est affaire de droit pénal, pas la guérison ; enessayant d'aller au-delà, on met en péril les valeurs fondamentales d'un pays démocratique 144 .Françoise Tulkens, juge à la Cour européenne des droits de l’homme, fixe le principe de ce quedevrait être la nouvelle rationalité du pouvoir de punir : « Le droit de punir est le pouvoir de punir del'Etat limité par le droit 145 . » Un principe auquel on doit ajouter que le droit positif doit lui-même êtrelimité par les droits de l'homme dont l’application « marque d'abord les limites du pouvoir de punirdes Etats 146 ».Certes comme le fait remarquer, Pierrette Poncela, on ne peut pas aujourd’hui prétendre qu’undes discours sur la « rationalité de la peine » soit plus vraie que les autres. Ils sont tous en partieseulement vrais ou faux et toutes les thèses sur la rationalité de la peine sont imbriquées. Toutefois,après avoir distingué les thèses de la « rationalité prospective de la peine 147 » et celles de sa« rationalité restitutive 148 » l’auteur nous met en garde contre les risques de la première qui tendactuellement à s’imposer. « La rationalité prospective porte en elle l’instrumentalisation du droit par<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>139 P. <strong>LE</strong>JINS, « Programmes non correctionnels pour condamnés criminels », in Mélanges PINATEL, préc., p.40.140 N. MORRIS et G. HAWKINGS, Letter to the president on crime control, University of Chicago press,1977, p. 68.141 « La valeur de la peine réside dans l'affirmation de la valeur défendue par la loi pénale, ainsi que laréaffirmation de la légalité et le respect de la loi », H. SUTHER<strong>LA</strong>D ET D. R. CRESSEY, Principes decriminologie, Paris, Cujas, 1966, p. 307.142 « Pour le juriste, les concepts de culpabilité et de faute n'impliquent rien d'autre, de la part de l'agent, qu'uneconnaissance ou conscience d'accomplir un acte interdit », Ch. <strong>DE</strong>PUYST, Les concepts criminologiques de laculpabilité, Annalles de l'université des sciences sociales de Toulouse, t. XXIV, 1976, p. 153.143 « Qu'appelle-t-on punir ? », entretien de M. Foucault par Foulek Ringelheim, in Punir mon beau souci,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081984, pp. 35-46.144 N. MORRIS et G. HAWKINGS, Letter to the president on crime control, University of Chicago press,1977., p. 68.145 F. TULKENS, « Des peines sans droit », In Journal des tribunaux, 22 octobre 1988, p. 583.146 M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Le Flou du droit, préc., p. 315.147 Elle est fondée sur la notion de dissuasion par l’intimidation ou la correction, l’exemple ou l’éducation, ouencore l’élimination temporaire, P. PONCE<strong>LA</strong>, Droit de la peine, 2 e éd., Paris, PUF, Themis, 2001, pp. 59-64.148 Elle est fondée sur les idées d’expiation, de rétribution et de réparation, Ibid., pp. 65-73.22


le pouvoir politique quel qu’il soit » et « les limites au pouvoir de punir, dans son étendue commedans ses modalités, sont difficilement formulables » 149 .23En tout cas, tel est le but recherché par l’application des droits de l’homme dans la prison. Lajurisprudence de la Cour européenne s’inscrit clairement dans le courant judiciaire. La Cour limitele fondement de punir dans la loi. La condamnation est une « déclaration de culpabilité, consécutiveà l'établissement légal d'une infraction » 150 . Quant à la peine, elle doit être déterminée par la gravitéde l'infraction et être proportionnelle à celle-ci. Pour les juges européens, seul le critère de gravité estun critère légal. La dangerosité est un critère opportuniste, étranger aux objectifs des droits del'homme 151 . Même si, nous verrons dans le cadre du droit à la liberté, le critère de dangerosité estpartie intégrante de leur raisonnement concernant les mesures d’individualisation de la peine.Mais le retour à la théorie classique de la peine et le recentrage sur la liberté individuelle, pouravoir été des conditions indispensables à la maîtrise du sens de la peine par le droit et donc à lalimitation du pouvoir de l’Etat, ne peuvent pas être suffisantes. Encore faut-il déterminer le sens dela liberté visée par la peine privative de liberté. Or, la liberté est une notion large qui demande ellemêmeà être définie afin de pouvoir poser des limites claires. Dès lors, le recentrage du sens de lapeine autour de la liberté pose à son tour de nouvelles questions sur les limites à respecter : la notionde privation de liberté est-elle définie, ou du moins délimitée ?« Une peine privative du droit à la liberté » au sein de la jurisprudence européenneLa jurisprudence européenne n’a pas, non plus, encore permis de définir la peine privative deliberté conformément au principe de légalité des peines. Elle a toutefois contribué à délimiter lechamp de cette peine en termes de privation des droits et libertés. D’une part, elle a délimité sonchamp par rapport à la liberté au sens large. Au sein de la Convention européenne des droits del’homme, cette peine ne vise que la liberté au sens de l’article 5 152 : « Il est bien établi que lesdétenus ne perdent pas leurs droits au regard de la Convention à la suite de leur condamnation, etqu’ils continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, àl’exception du droit à la liberté 153 ». D’autre part, elle a apporté une précision du sens de la liberté au<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008149 « Aujourd’hui encore, la plupart des controverses relatives à la peine portent sur sa plus ou moins utilité ouefficacité à assurer la préservation de l’ordre social devenu ‘la sécurité des personnes et des biens’, et surl’opportunité de telle ou telle peine en particulier », Ibid., p. 64. Van de Kerchove et Françoise Tulkens nedisent pas autre chose lorsqu’ils écrivent : « au droit pénal gardien des libertés se substitue le droit pénal del’ordre », F. TULKENS, V. de KERCHOVE, Introduction au droit pénal, Aspects juridiques etcriminologiques, Bruxelles, éd. Story Scientia, 1991, p. 294.150 CEDH, Guzzardi c. Italie, n° 7367/76, 6 nov. 1980, Série A n° 39, § 100.151 CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, n° 7906/77, 24 juin 1982, Série A n° 50, § 46.152 « Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivantset selon les voies légales : a. s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent « .153 CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], n o 74025/01, § 69, CEDH 2005-IX ; Sotiropoulou c. Grèce, n° 40225/02,CEDH 2007-I (décision) ; CEDH, Ploski c.Pologne, préc.


sein de cet article : « En proclamant le droit à la liberté, le premier paragraphe de l'article 5 vise laliberté individuelle dans son acception classique, c'est-à-dire la liberté physique de la personne 154 .24Il importe également de souligner que la Cour a tenté de donner une définition substantielle dusens de la privation de liberté physique à travers la notion d’état privatif de liberté à l’aide d’unnombre de critères dégagés au fil de sa jurisprudence. Il s’agit notamment de critères commel’étendue de l’espace de vie, la limitation et/ou la surveillance des communications, les autorisationsde déplacements. Cependant, si ces critères permettent de qualifier un état comme étant privatif deliberté, ils ne permettent pas de préciser le contenu de ce que devrait être un tel état. La notion d’étatprivatif de liberté permet certes d’appliquer les garanties du droit à la sûreté contre les décisionsprivatives de liberté, mais pas de limiter les effets de la privation de liberté. D’ailleurs, certains descritères retenus, comme la surveillance ou la limitation des contacts, sont inspirés de la prison oud’autres états de détention. Ils renvoient donc à des situations dépassant la privation de libertéphysique en s’étendant dans la sphère de la vie privée et, donc, de la liberté individuelle.Malgré cette limite, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme notammentà partir du début des années 1970, est précieuse pour deux raisons. La première réside dans le faitque la Cour a jeté de nouvelles bases qui ont signé la mutation de la peine vers sa conception commela privation d’un droit. C’est cette mutation qui a rendu possible l’application effective et nonillusoire des droits de l’homme dans la prison permettant, sinon de définir, au moins de délimiter lesens privatif de liberté. Dès les premiers arrêts rendus en la matière, cette instance a posé troisnouvelles bases. D’abord, comme nous l’avons souligné, elle a précisé que cette peine doit êtreentendue au sens de la liberté consacrée par l’article 5 de la Convention, c’est-à-dire au sens du droità la liberté physique, et doit être limitée à ce sens. Ensuite, elle a mis fin à la confusion entre le lieude la prison et la notion de peine privative de liberté en reconnaissant à ce lieu une légitimité dans lesrestrictions des droits de l’homme indépendante de la notion de peine privative de liberté. Enfin, ellea suivi, dans l’examen de l’application des droits de l’homme dans la prison, le même raisonnementqu’à l’extérieur.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008C’est dans l’arrêt Vagabondage (1971 155 ), qui ne concerne pas la privation de la liberté à desfins pénales mais l’internement des vagabonds, que la Cour a dissocié la question de la légalité dutitre de privation de liberté et celle de la justification des restrictions des autres droits garantis parcette Convention. Dans cette affaire, la question posée était de savoir si les immixtions dans la154 CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, n os 5100/71, 5101/71, 5102/71, 8 juin 1976, Série A n° 22§ 58.« L'article 5 (art. 5), en proclamant dans son paragraphe 1 (art. 5-1) le "droit à la liberté", vise la libertéphysique de la personne ; il a pour but d'assurer que nul n'en soit dépouillé de manière arbitraire », CEDH,Guzzardi c. Italie, préc., § 92. Voir CEDH, Amuur c. France, n° 9776/92, 25 juin 1996, Recueil 1996-III,§ 42 ; CEDH, Kurt c. Turquie, 25 mai 1998, Recueil 1998-III, § 23 ; CEDH, Filip c. Roumanie, n° 41124/02,CEDH 2006-XII, § 70.155 CEDH, Wilde, Ooms et Versyp c.Belgique, préc.


correspondance des personnes privées de leur liberté au motif de vagabondage étaient légales,légitimes et nécessaires dans une société démocratique alors que le titre de détention était illégal. LaCommission, conformément à sa jurisprudence constante qui consistait à fonder la légitimité detoutes les restrictions des droits de l’homme sur la légalité de la décision privative de liberté, avaitestimé que les immixtions en question étaient illégales et illégitimes. Mais la Cour a conclu dans lesens contraire. La violation de la Convention à cause de l’illégalité du titre de détention doit selimiter au seul droit visé par cette mesure à savoir le droit à la liberté tel qu’il est consacré parl’article 5 de la Convention. La prison peut légitimer la restriction de l’exercice d’autres droits del’homme pour des raisons liées à son organisation et à son fonctionnement en tant que lieu de viecollective. Par ce raisonnement, la Cour a opéré la double rupture : elle a rompu avec le sens large dela privation de liberté et avec la confusion de celle-ci avec le lieu de la prison. Si la prison peutjustifier les restrictions des droits de l’homme indépendamment de la légalité de la décision deprivation de liberté, cela signifie aussi qu’elle doit le faire de manière indépendante. La peineprivative de liberté ne doit plus fournir ni base légale, ni légitimité ni nécessité démocratique auxrestrictions des droits de l’homme à part au droit à la liberté au sens de l’article 5. Les restrictionsdes autres doivent être appréciées au regard des conditions requises pour chacun d’eux au sein de laConvention européenne des droits de l’homme.L’arrêt Golder (1975 156 ), le premier concernant les détenus condamnés, est venu confirmer cerevirement. La Cour a expressément mis fin à la théorie des « limitations implicites », consolidantainsi la limitation du sens de la liberté au champ de l’article 5 et sa distinction du lieu de la prison.Elle a exigé de justifier les restrictions dénoncées (en l’occurrence dans la correspondance)conformément à l’article 8 de la Convention, qui garantit le droit au respect de la correspondance,dans les circonstances du cas d’espèce et non par la notion de privation de liberté ni, de manièregénérale, par le lieu de la prison ou l’appartenance du requérant à la catégorie de détenus. L’arrêtSilver et autres (1983) 157 et l’arrêt Campbell et Fell (1984) 158 , ont consolidé ces nouvelles bases duraisonnement. C’est dans le dernier, qui posait la question de l’applicabilité du droit à un procèséquitable à l’intérieur de la prison lors des procès disciplinaires, que la Cour a formulé la phrase,devenue depuis symbolique : « La justice ne saurait s’arrêter à la porte des prisons 159 ». Phrase quipeut également être formulée de manière générale : les droits de l’homme ne sauraient s’arrêter aux<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008portes de la prison. Les restrictions des droits de l’homme doivent obéir aux mêmes impératifs qu’àl’extérieur ; elles doivent être légales, légitimes et nécessaires dans une société démocratique.25156 CEDH, Golder c. R.U, n° 4451/70, 21 fév. 1975, Série A n° 18.157 CEDH, Silver et autres c. R.U., n° 5947/72; 6205/73; 7052/75; 7061/75; 7107/75; 7113/75; 7136/75, 25mars 1983, Série A n°61.158 CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc.159 Ibid., § 69.


26La légalité 160 signifie que les restrictions des droits de l’homme doivent être prévues par untexte normatif. Ce texte peut ne pas être une loi au sens formel du terme. En effet la Cour entend leterme « loi » dans un sens européen autonome par rapport aux droits nationaux. Un sens quiprivilégie l’approche matérielle et non formelle 161 . Ce qui importe, c’est que le texte provienne d’uneautorité publique, qu’il soit clair et précis, c’est-à-dire qu’il énonce les règles en termes « précis » et« non vagues » 162 , qu’il soit « suffisamment accessible » aux destinataires 163 . Ainsi la Cour a jugéque les décrets constituent une base légale Elle a, en revanche nié une telle qualité, aux circulaires etinstructions : ces deux derniers types de documents n'ont pas de force contraignante et généralementne sont pas publiés pour répondre à l'exigence de l'accessibilité de la loi 164 .La légitimité signifie que les restrictions doivent poursuivre exclusivement un ou plusieursbuts prévus par la Convention et ses protocoles. Cela exclut alors aussi bien des motifs propres à laprison que des motifs liés aux fonctions de la peine. La détermination de ces dernières, ainsi que leuraccomplissement, doivent être compatibles avec la Convention et limités par les exigences de celleci.La nécessité démocratique signifie que les restrictions doivent être nécessaires dans unesociété démocratique. Cela n’est synonyme ni d’« indispensable » ou d’« absolument nécessaire », nide « raisonnable » ou « opportun » 165 . La nécessité démocratique se situe entre ces deux types denotions. Elle implique que les restrictions soient proportionnelles aux buts recherchés. C’estseulement dans cette dernière étape du raisonnement que la Cour reconnaît que la prison peut êtreprise en compte en tant que contexte spécial pouvant justifier des restrictions dans l’exercice desdroits de l’homme « plus amples » qu’à l’extérieur 166 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>160 Nous examinons ce critrère de manière plus détaillée lors de l’étude du droit au respect de la vie privée, quisera le premier droit de protection relative à être présenté (Infra, Partie 2, Titre 1, Chapitre 1).161 CEDH, Niebdala c. Pologne, n° 7915/95, CEDH 2000-VII, § 79. Aussi : « La Cour rappelle que les mots‘prévue par la loi’ signifient en premier lieu que la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne,qu'elle entend le terme ‘loi’ dans son acception matérielle plutôt que formelle, et qu'elle y a inclus des textes derang ‘interlégislatif’ édictés par les autorités compétentes en vertu d'un pouvoir normatif délégué », CEDH,Frerot c. France, préc., § 57.162 « Une norme doit être énoncée avec suffisamment de précision pour permettre au citoyen de régler saconduite, en s'entourant de conseils éclairés, et de prévoir à un degré raisonnable dans les circonstances de lacause, les conséquences d'un acte déterminé », CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 88.163 Leur destinataire « doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause,sur les normes juridiques applicables à un cas donné », Ibid., § 87.164 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 86, § 87 : Les circulaires ne sont rien de plus que des instructions deservice adressées, en vertu de son pouvoir hiérarchique, par une autorité administrative supérieure à des agentssubordonnés, a souligné la Cour dans l’arrêt Poltoratski c. Ukraine, préc., §§ 158-162 ; « Selon la Cour, on nesaurait voir dans un texte de cette nature, édicté en dehors de l'exercice d'un pouvoir normatif, la ‘loi’ àlaquelle renvoie l'article 8 de la Convention notamment », CEDH, Frerotc. France, préc., § 59.165 CEDH, Handside c. R.U, 7 déc. 1976, Série A n°24, § 287.166 CEDH, Golder, c. R.U., préc., §45.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


Quant à la notion de société démocratique, il convient de noter, d’une part qu’elle est entenduedans le sens précisé au fil de la jurisprudence européenne. Elle est entendue dans une approchenon seulement formelle, en se référant à la garantie des élections libres, mais aussi dans uneapproche substantielle en se référant aux éléments suivants. Un élément politique : lasociété démocratique est régie par une conception des rapports entre l’individu et l’Etat etentre les individus guidée par l’épanouissement maximal de chaque individu (dans la mesurede l’équilibre à respecter entre l'intérêt individuel et l'intérêt général ) et nécessitant aussibien l’abstention que l’intervention de l’Etat. Un élément sociétal : la société démocratiqueest caractérisée par un esprit d’ouverture, de pluralisme et de tolérance. Et un élémentjuridique : la prééminente du droit. L’organisation de l’Etat, de ses rapports avec lesindividus et des rapports entre les individus doit être régie par un système de droit dontl'objectif primordial est la garantie des droits de l'homme. Le droit doit notamment répondreaux exigences suivantes : accessibilité, clarté et prévisibilité de la loi ; impartialité et équitédu système judiciaire ; contenu de la loi conforme aux exigences des droits fondamentauxtels qu’ils sont conçus et appliqués au sein du Conseil de l’Europe. Il convient d’autre part, derelever qu’au sein de la jurisprudence européenne, la société démocratique sert d’un idéal deréférence 167 qui transcende le raisonnement sur l’interprétation et l’application des droits del’homme 168 . C’est elle qui guide l’ « interprétation fondatrice » de la Convention selon l’expressionde François Ost 169 , en opposition à l’ « interprétation effectuante ». La première est guidée par « leprojet interprétatif fondamental » 170 que les droits de l’homme se fixent, à savoir « le souci d'assurerla protection la plus large et la plus effective aux droits des individus » 171 , alors que la seconde secontente de s’approcher de ce but par une approche matérielle permettant de tenir compte descirconstances concrètes dans lesquelles les droits de l'homme doivent se faire respecter 172 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Toutefois, ces précisions quant au sens de la peine privative de liberté par rapport à la libertéau sens large et à la prison, ne permettent ni d’obtenir un sens précis de la privation de libertéUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008physique ni de limiter le statut juridique du condamné à la seule privation de la liberté de mouvementphysique. D’abord, parce que les droits de l’homme ne couvrent pas tous les aspects de la vie. Ces27167 « Il faut recevoir cette formule (la démocratie) dans sa globalité comme expression d'une aspiration, d'unmythe, comme représentation idéale de la démocratie dans l'imaginaire social », G. SOULIER, L'Europe,Paris, A.Collin, 1994, notamment pp. 146-147.168 Ph. VEG<strong>LE</strong>RIS, Valeur et signification de la clause "dans une société démocratique" dans la Conventioneuropéenne des droits de l'homme, R.D.H., 1968.169 F. OST, « Originalité des méthodes d'interprétation de la Cour européenne des droits de l'homme », inRaisonner la raison d'Etat, préc., p. 460.170 Ibid., p. 460.171 Ibid., pp. 445-446.172 Ibid.


28droits ne permettent donc pas, à l’exception du droit garanti par l’article 5, de limiter la peineprivative de liberté à la seule privation de la liberté physique : ces droits ne couvrent que les droits etles libertés fondamentaux. De surcroît, seules les violations les plus graves « tombent dans le filet »selon Robert Roth. 173 Ensuite, parce que la prison demeure largement déterminante pour le sens de laprivation de liberté. Quasiment l’ensemble des droits de l’homme subit dans la prison de nombreusesrestrictions « plus amples qu’à l’extérieur » qui, si elles ne peuvent plus être justifiées par la notionde peine, le sont par le fonctionnement de la prison en tant que situation matérielle. Enfin, dans lecadre de l’article 5 de la Convention, l’équivalence demeure entre contenu matériel de la peineprivative de liberté et lieu de la prison. Nous verrons que ce droit demeure inopérant dans le contrôlede la légalité substantielle, matérielle, de cette peine.Quelle est alors la contribution concrète de la Convention européenne des droits de l’homme àla définition du sens de la peine privative de liberté et à son respect lors de son exécution dans laprison ?La jurisprudence de la Cour, si elle ne définit pas la peine privative de liberté ni ne limite leseffets de la prison à la privation de la liberté d’aller et venir, elle est la seule à offrir la méthode et lemoyen qui permettent de mesurer le sens de cette peine et de le faire évoluer vers cet idéal : salimitation à la privation du droit à la liberté au sens de l’article 5 de la Convention. La jurisprudencede la Cour y parvient dans la mesure où la Convention est composée de droits communs aux détenuset aux personnes libres dont la somme constitue la liberté au sens large. Elle permet alors de poser cepostulat : si le principe qui régit le sens de la peine privative de liberté est sa limitation à la libertéphysique au sens de l’article 5, l’idéal consiste alors à garantir une application des droits de l’hommedans la prison identique à celle à l’extérieur. Leur application à l’extérieur peut être considéréecomme la référence de l’idéal (de son interprétation fondatrice) qui doit guider leur application dansla prison (son interprétation effectuante). Le contenu juridique de la peine privative de liberté peutalors être défini comme : la somme des restrictions dans l’exercice de l’ensemble des droits etlibertés fondamentaux dans la prison supplémentaires par rapport à l’extérieur et légitimées par ledroit.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le droit de la Convention européenne des droits de l’homme est alors le seul instrument quipuisse servir pour mesurer, et donc délimiter, ce contenu, y compris au sein du Conseil de l’Europe.Premièrement, parce que, comme nous venons de le souligner, il est le seul droit commun auxpersonnes détenues et aux personnes libres concernant, le respect de la liberté au sens large. Lesautres instruments du Conseil de l’Europe applicables en prison, outre le fait qu’ils ne couvrent pasl’ensemble des droits composant la liberté au sens large, sont élaborés spécifiquement pour la prison173 R. ROTH, Pratiques pénitentiaires et théorie sociale: l'exemple de la prison de Genève (1825-1862), Paris,Droz, 1981.


29ou pour tous les lieux fermés privatifs de liberté. Il en est ainsi des Règles pénitentiaires européennesadoptées par le Comité des Ministres et d’autres règles, adoptées sous forme de Recommandationsou de Résolutions par ce Comité 174 ou par l’Assemblée parlementaire, relatives aux prisons. Il en estde même de la Convention européenne pour la prévention de la torture (1987) ou encore du projetde la Charte pénitentiaire européenne 175 .A cela il faut ajouter que la Convention européenne des droits de l’homme est la seule àdisposer de la force juridique suffisante pour imposer cette limitation à la prison et, plusgénéralement, aux droits internes et les faire évoluer vers ce sens. A l’exception de la Constitutionpénitentiaire, (toujours en projet), les autres textes mentionnés constituent des règles éthiques etdéontologiques. Leur rôle consiste à améliorer les conditions de vie carcérales et à rapprocher lapolitique pénitentiaire au niveau européen par une action préventive. Ces instruments seront toutefoispris ponctuellement en compte dans la mesure où ils permettent de compléter la jurisprudence de laCour. La Convention pour la prévention de la torture sera tout particulièrement prise en compte pourune raison supplémentaire : la Cour se réfère de plus en plus aux rapports du CPT 176 , lorsqu’elle a àjuger des questions concernant des prisons ayant fait l’objet de visites de la part de cet organe. Celuiciexerce un contrôle préventif fondé sur des visites régulières ou ad hoc dans tout lieu privatif deliberté, suivies de la rédaction d’un rapport. Ces rapports ont, aux yeux de la Cour, de plus en plusune valeur de quasi-preuve des conditions matérielles et de l’organisation et du fonctionnement desprisons concernées.Contrairement à ces instruments du Conseil de l’Europe, la Convention pose des règlesobligatoires (art. 46). Leur respect est assuré par un contrôle juridictionnel. Outre le droit de recoursnational (art. 13) exercé devant les instances nationales, un recours européen (art. 34) peut êtreexercé directement devant la Cour (depuis la suppression de la Commission, le 31 octobre 1999). Cesystème de protection présente en effet une originalité qui le rend unique au niveau du droitinternational. Ainsi que le souligne Jean-François Renucci, « la protection des droits de l’homme enEurope a donné lieu à la mise en place de systèmes particulièrement développés 177 ». Ce qui a amenéCharles Zorgbibe à dire que « l’originalité de la Convention réside moins dans les droits garantis quedans la garantie des droits ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008174 En 2007, l’ensemble des instruments juridiques élaborés par le Comité des Ministres relatifs aux questionspénitentiaires (Règles pénitentiaires, recommandations ou résolutions), ont été consolidés dans une seuleédition, intitulée Compendium des conventions, recommandations et résolutions relatives aux questionspénitentiaires, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2007.175 Préparée par la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme de l’Assembléeparlementaire du Parlement européen et présentée devant cette Assemblée le 19 février 2004 par le RapporteurMichel HUNAULT, Voir le texte sur le site : http://assembly.coe.int/176 Organe pluridisciplinaire, composé de juristes, de médecins, de psychologues et de personnes appartenant àd'autres disciplines auquel est confiée l’application de cette Convention.177 J. F. RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, LGDJ, 2007, p. 9.


Outre les recours étatiques et collectifs, cette instance européenne peut être saisie directementpar toute personne qui s’estime lésée par la violation de ses droits fondamentaux de la part de toutEtat signataire de cette Convention. Peu importe l’identité et le lieu de sa résidence. La victime d’unetelle violation doit cependant donner auparavant l’occasion à l’Etat accusé de la réparer. Laprotection de la Convention de la part de la Cour est subsidiaire. Il revient en premier lieu auxautorités nationales de la faire respecter. L’instance de Strasbourg ne peut être saisie qu’aprèsépuisement des voies de recours internes, dans les six mois après la dernière décision définitive (art.35). Des exemptions sont pourtant prévues à la condition d’épuisement des voies de recours internes,en cas d'inexistence de tels recours ou d’incertitude quant à leur existence et leur accessibilité. Lesrecours doivent être suffisamment certains 178 , accessibles aux intéressés et efficaces tant en théoriequ'en pratique 179 . Un recours n'est pas certain ni accessible lorsque, par exemple, bien qu'il existe enthéorie, une catégorie de personnes est exclue de son exercice par la loi ou par une pratiquejurisprudentielle le déclarant systématiquement irrecevable 180 .Quant aux sanctions, la Cour peut, en vertu de l’article 46, prononcer une satisfactionéquitable 181 si le droit interne ne permet pas de redresser efficacement la violation constatée. Sessanctions sont obligatoires mais ne sont pas assorties de moyens d’exécution forcée. Leur exécutionest confiée au Comité des Ministres 182 , qui dispose d’un pouvoir politique. Ce Comité s’appuie surl’engagement mutuel pris par chaque Etat de respecter la Convention européenne des droits del’homme et les arrêts de la Cour. Son arme ultime est l’exclusion d’un Etat mais elle n’estpratiquement jamais utilisée 183 .Malgré l’absence des moyens d’exécution forcée des sanctions prononcées par la Cour, nousconstatons que les Etats respectent les arrêts de cette instance. Ils vont même jusqu’à dépasser les178 « Pour que puisse naître l'obligation d'exercer un recours, l'existence de ce dernier doit être suffisammentcertaine », CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc., § 61 ; voir aussi CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp, c.Belgique, préc., § 62 ; CEDH, Van Oosterwijc c. Belgique, n° 7654/76, 16 nov. 1980, Série A n° 40, § 54 ;CEDH, Deweer c. Belgique, n° 6903/75, 27 févr.1980, Série A n° 35, § 32 ; CEDH, Leander c. Suède,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...n° 9248/81, 26 mars 1987, Série A n°116.179 Voir entre autres, Ergi c. R..U., n° 23818/94, 28 juill. 1998, Recueil 1998-IV, § 105 ; CEDH, Demirtepe c.France, n° 34821/97, 21 déc. 1999, CEDH 1999-XII, § 22.180 . Par exemple, dans l'arrêt De Wilde, Ooms et Versyp, la Cour notait à propos d'une ordonnanced'internement prise par le juge de paix, qu'elle avait « constaté - sans qu'il soit même besoin d'examiner à cetendroit si un recours au Conseil d'Etat eût été de nature à parer aux griefs - que suivant l'opinion communeexistant en Belgique jusqu'en 1967, un recours au Conseil d'Etat contre les ordonnances du juge de paix passaitpour irrecevable », CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp, c. Belgique, préc., § 62. Il en est de même lorsqu'unrecours ne peut pas être exercé contre une catégorie de personnes, avis de la Commission joint à l'arrêt Leanderc. Suède, précité.181 C’est-à-dire condamner l’Etat à verser à la victime une somme d’argent pour le préjudice consécutif de laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008violation de la Convention.182 Le Comité des ministres (composé des Ministres des affaires étrangères des Etats membres du Conseil del’Europe) est l’un des deux organes du Conseil de l’Europe (l’autre est l’Assemblée parlementaire). Le Comitéadopte une résolution finale pour clore chaque affaire.183 Dans la seule affaire où cette sanction avait été envisagée, l’affaire « Grecque » (suite au Rapport de laCommission, 1970), à l’époque des colonels, elle n’a pas pu s’appliquer, le gouvernement de l’époque s’étantretiré du Conseil de l’Europe (la Grèce l’a de nouveau rejoint en 1974, avec le retour de la démocratie).30


31effets d’un arrêt au-delà des parties concernées. Ainsi que le révèle le document du Conseil del’Europe Effets des arrêts de la Cour, publié régulièrement sur le site du Conseil de l’Europe 184 ,nombre d’Etats ont déjà effectué des réformes législatives pour se conformer aux exigences de laConvention telles qu’elles sont précisées par la Cour dans l’ensemble de son œuvre jurisprudentielle.D’autres Etats, comme la France, ont également institué une procédure de réexamen d’une décisionpénale sanctionnée par la Cour (art. 626-1 CPP), si la satisfaction équitable est insuffisante pourmettre un terme aux conséquences dommageables de la violation de la Convention (art. 626-1CPP) 185 .Eléments de droit comparéPour ces raisons, le droit de la Convention européenne des droits de l’homme constitueindéniablement un moyen efficace pour limiter les effets de la prison à la liberté physique et préciserle sens juridique de la peine privative de liberté 186 . Cette évolution peut ou non aboutir à uneharmonisation européenne. « A supposer que l’harmonisation soit faisable, est-elle opportune, estellelégitime ? », s’interroge Catherine Giudicelli-Delage, en introduisant la réflexion sur« L’harmonisation des sanctions pénale en Europe ». Car la diversité qui caractérise les systèmesrépressifs européens tiennent « d’une vision plus ou moins culturelle 187 ». L’auteur prône, avecMireille Delmas-Marty, de se contenter d’adopter des principes directeurs déterminés par des critèresou indicateurs communs qui servira le rapprochement des droits nationaux autour des valeurscommunes tout en réservant une certaine place à leur diversité 188 .Notons toutefois que le droit pénitentiaire est la matière du droit, y compris du droit pénal, quia donné lieu à l’élaboration des normes et règles européennes communes la plus complète. Elle acommencé en 1962 par l’adoption de la part du Comité des Ministres de la Résolution relative sur la184<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>ww.coe.int/T/F/Droits_de_l'Homme/Execution/01_Introduction/01_Introduction.asp#TopOfPage. Voiraussi F. <strong>LA</strong>ZAUD, L’exécution par la France des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, t.1,Paris, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2006 ; Emm., <strong>DE</strong>CAUX., P.-H. IMPERT, L.-E. PETTITI, LaConvention européenne des droits de l'homme (dir.), Paris, Ecomomica, 1995.185 Instituée par la loi sur la présomption d’innocence n o 2000-516 du 15 juin 2000.186 Voir sur la politique pénale européenne en matière de sanctions alternatives à l’emprisonnement, P.PONCE<strong>LA</strong> et R. ROTH, La fabrication du droit des sanctions au Conseil de l’Europe, La documentationfrançaise, 2006.187 A propos d’une recherche inscrite dans le cadre plus large de l’harmonisation des incriminations,procédures et sanctions au sein de l’Union européenne, entamée par la protection des intérêts financierscommunautaires (Présentée dans le Rapport Corpus juris, 2001), et qui devrait s’étendre à des infractions lesplus graves (telles que le terrorisme, la lutte contre le trafic de drogues, la cybercriminalité, la traite des êtreshumains, la criminalité environnementale etc.), M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, C. GIUDICELLI-<strong>DE</strong><strong>LA</strong>GE, E.<strong>LA</strong>MBERT-AB<strong>DE</strong>LGAWAD, (dir.), L’harmonisation des sanctions pénales en Europe, Paris, Sté LégislationComparée, 2003, pp. 7-12.188 Ce que répond Mireille Delmas-Marty en conclusion de cette recherche : A vouloir imposer un cadreuniforme et rigide, on risque de saper plutôt l’état de droit que de le défendre. Il faut explorer la « margenationale » qui peut servir de rempart contre des risques d’une harmonisation mondiale de type sécuritaire,« Harmonisation des sanctions et valeurs communes : la recherche d’indicateurs de gravité et d’efficacité »,Ibid., pp. 583-590.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


Charte des droits électoraux, civils et sociaux du détenu. En 1973, ce même Comité a adopté lesRègles pénitentiaires qui contiennent des recommandations sur l’ensemble des aspects de la vie endétention. Celle-ci a été révisée à deux reprises, en 1987 et 2006. Entre temps, un nombre derecommandations et résolutions ont été adoptées visant l’organisation des questions précises de la vieen détention, telles que la santé (1998), l’éducation (1989) le travail (1975), la surpopulationcarcérale (1999) la gestion des détenus de longue peine (1976 et 2003), des détenus dangereux(1982). L’Assemblée parlementaire a également produit de tels textes, notamment laRecommandation sur les mères et bébés en prison (2000) et sur les conditions de détention (1995).Enfin, en 1987, le Conseil de l’Europe a adopté la Convection européenne pour la prévention de latorture assortie d’un organe de contrôle pour assurer son application effective. Cet organe, le CPT, a,au fil de ses rapports de visite des lieux privatifs de liberté, dégagé un nombre de normes concernantla prévention des mauvais traitements mises à jour périodiquement dans un rapport intitulé Lesnormes du CPT. Si, initialement, c’était une harmonisation a minima qui a été recherchée, comme lemontre le titre de la Recommandation de 1973, « Ensemble des règles minima pour le traitement desdétenus », le besoin a progressivement été ressenti de préciser les normes supranationales concernantcette matière de droit 189 . Celui-ci est régi par le principe selon lequel « tout ce qui n’est pasexpressément autorisé, est interdit » et, dans certains droits nationaux, comme le droit français, il estencore aujourd’hui laissé au pouvoir exécutif. D’où la volonté au niveau du Conseil de l’Europe,d’élaborer des règles plus ou moins précises suivant les aspects de la vie en détention.La Cour réserve toutefois une marge nationale en matière d’application des droits de l’homme,y compris dans la prison. Ainsi que nous le verrons, en dehors des valeurs à caractère absolument« in-dérogeable », telle que l’interdiction des mauvais traitements, de la peine de mort, del’esclavage ou des travaux forcés, cette instance laisse dans l’aménagement des droits à valeurrelative, « dérogeables », une place à la « marge nationale ». Celle-ci n’est toutefois pas illimitée.Elle est soumise au contrôle européen. Les Etats sont tenus de respecter un certain nombre de critèreseuropéens communs qui, eux, sont prévus dans le texte de la Convention : la légalité, la légitimitédes buts, la proportionnalité et la nécessité démocratique des restrictions. Le seul critère absolu établipar la Cour est la garantie, en toutes circonstances, de la substance, du « noyau dur », de chacun desdroits consacrés par la Convention 190 . La Cour fait en effet place à des facteurs économiques<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008concernant les droits à caractère social tels que l’éducation, mais aussi à des facteurs historiques,culturels ou encore religieux. Il en est ainsi dans l’exercice par exemple des droits politiques, des32189 Sur la contribution des Règles pénitentiaires et des autres normes européennes de « soft law » dansl’harmonisaion du droit pénitentiaire européen, voir les articles : P. PONCE<strong>LA</strong>, « L’harmonisaion des normespénitentiaires européennes », RSC, 2007-1, pp. 126-133 ; M. EU<strong>DE</strong>S, « La révision des règles pénitentiaireseuropéennes, les limites d’un droit commun des conditions de détention », Droits Fondamentaux, n° 6, 2006,in www.droits-fondamentaux.org.190 Pour une étude globale et approfondie du mode de l’exercice du contrôle européen, voir J. F. RENUCCI,Traité de droit européen des droits de l’homme, préc., pp. 738-751. Voir aussi,, entre autres travaux deFlorence MASSIAS, sa thèse de doctorat : Restrictions nécessaires dans une société démocratique et politiquecriminelle : le contrôle des deux Cours européennes, Université Paris XI, 1991.


droits relatifs à la vie privée et notamment concernant la sexualité, ou encore de la question del’euthanasie.33Dans la consécration ou pas d’une nouvelle norme européenne commune, la Cour se sert dudroit comparé comme critère d’interprétation de la Convention. Elle prend précisément comptel’existence ou pas d’un « dénominateur commun aux systèmes juridiques des Etats membres »concernant l’état de garantie de certains droits 191 . Si bien que le droit européen et le droit nationalévoluent par une interaction permanente. D’où l’intérêt du choix fait ici d’intégrer dans la présenteétude une dimension comparative avec les droits nationaux. A cet effet, deux droits positifs sontretenus : le droit grec et le droit français.Le choix du droit français nous a paru s’imposer pour des raisons historiques : la naissanceconcomitante des droits de l’homme et de la prison pénale. Elle nous permet de voir l’impact despremiers sur l’évolution de cette institution et, donc, sur la formation du sens de la peine privative deliberté. Nous avons vu que quelque temps après la naissance de cette peine, soit au début du XIX e uncertain nombre d’auteurs avaient plaidé pour l’extension de la protection des droits de l’hommejusque dans les prisons et même pour la limitation des conséquences de ces lieux à la seule privationde la liberté physique. Qu’en est-il aujourd’hui ?Ce qui marque d’abord le droit pénitentiaire français est que, à part en matièred’individualisation de la peine, il demeure hors de portée du législateur. Ensuite, alors que la Francea reconnu, depuis 1981, le recours individuel devant la Cour, ce droit national n’a toujours pasexpressément reconnu des droits aux détenus, y compris le droit de recours contre les atteintes auxdroits de l’homme. Cette reconnaissance est laissée à la jurisprudence. De manière générale, laConvention n’a pas provoqué de réformes globales du droit pénitentiaire français, en dépit d’unetentative en 2002. Cette tentative est actuellement renouvelée. Annoncée depuis l’automne 2007 etrepoussée à plusieurs reprises, la Garde de Sceaux a affirmé, le 19 mai 2008, que le projet de loipénitentiaire sera présenté pour un examen lors de la session parlementaire en cours 192 . Le droitfrançais n’est pas pour autant resté hermétique. Outre la juridictionnalisation des décisionsd’individualisation de la peine 193 , nous devons noter la suppression du travail obligatoire des détenus<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008(en 1987) ou encore la mise en place à titre expérimental des visites intimes permettant aux détenusd’entretenir une vie sexuelle avec leurs partenaires. Quant à la jurisprudence française, elle estmarquée par le revirement historique du Conseil d’Etat en matière de recours des détenus contre lesdécisions disciplinaires. Alors que la porte des juridictions administratives leur était totalement191 J. F. RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, préc., p. 750192 http://www.hemicycle.info/?p=1744.193 Commencée par la loi sur la présomption d’innocence, n° 200-516 du 15 juin 2000, elle est achevée par leslois n° 2004-204 du 9 mars 2004 et nº 2007-1198 du 10 août 2007.


fermée au motif que ces décisions constituaient des « mesures d’ordre intérieur 194 », le 17 février1995, le Conseil d’Etat a changé sa jurisprudence dans l’arrêt Marie. Il est même allé plus loin quene l’a demandé la Cour dans l’arrêt Campbell et Fell où elle avait reconnu cette possibilité auxdétenus. Le Conseil d’Etat en a fait la règle contre toutes les décisions disciplinaires de mise encellule (mitard), alors que la Cour les apprécie au cas par cas. Le droit français va, par ailleurs, plusloin en matière de droits à caractère social tels que l’accès à l’éducation, l’information, la protectionsociale, les soins, les accidents du travail. Alain Sériaux écrivait, en 1979, que « si l’on veutdécouvrir de véritables droits au profit des détenus, c’est vers la législation sociale qu’il faut setourner 195 ». En effet, ce droit national a devancé le droit conventionnel dans ce domaine. Cela estvalable en matière de politique sociale mais aussi en matière d’éducation et de formationprofessionnelle et, incontestablement, en matière de soins depuis la réforme de 1994 ayant rattaché lesystème de soins des détenus au système de santé public.Le droit grec, peu connu du reste de l’Europe 196 , ne manque pourtant pas d’intérêt. Il partageavec le droit pénitentiaire espagnol 197 , la spécificité d’être un droit qui a connu des développementsimportants après l’expérience d’une dictature. Ce facteur a joué un rôle déterminant tant pourl’ampleur que par la qualité des réformes législatives marquées par la réception en droit interne desnormes internationales dans le domaine des droits de l’homme. Ainsi, le droit pénitentiaire grec aconnu deux réformes globales depuis la chute de la dictature(1967-1974 198 ). Une première a eu lieuen 1989 199 par l’adoption d’un Code intitulé Code des règles fondamentales pour le traitement desdétenus, succédant à la loi pénitentiaire de 1967. Une seconde réforme a eu lieu en 1999, 200 parl’adoption du code actuel intitulé Code pénitentiaire. Ces deux réformes ont été guidées parl’adaptation du droit en matière d’exécution et d’application des peines aux évolutions des normesinternationales et européennes 201 . Leur principal apport est, d’une part, l’abandon du traitementcomme objectif de la peine au profit de celui de limitation de l'effet punitif à la privation de liberté :celle-ci est une peine en soi et non un moyen d’infliger des punitions supplémentaires ou de modifier<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...194 Voir entre autres, <strong>DE</strong> La BRETECHE Alain, <strong>LA</strong>RROPMET Christian, « Les mesures d'ordre intérieur etl'institution carcérale », Rev. Fr. Dr.Adm.0 (0) mai-juin 1984.195 A. SERIAUX, « Des intérêts légitimes sans protection juridique : les droits des détenus », RPDP, 1979, pp.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008453-476.196 Il mérite alors d’être signalé qu’il a actuellement trouvé place dans l’enseignement du droit pénitentiairecomparé dispensé en France dans le cadre du Master « Droit de l’exécution des peines et droits de l’homme »,à l’Université de Pau et Montesquieu-Bordeaux.197 E. RUBI-CAVAGNA, Le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme etdes libertés fondamentales par la France et l'Espagne concernant la protection de la personne du détenu,Thèse, Université Montpellier I, 1995.198 G. <strong>BECHLIVANOU</strong>., « Les ruses de la raison d’Etat : la Grèce », in Raisonner la raison d'Etat,(<strong>DE</strong>LMAS-MARTY M., dir.), Paris, PUF, 1989.199 Loi n°1850 de 1989.200 Loi n° 2776 de 1999.201 Pour une vison globale du système des peines en Grèce tant du point de vue historique que contemporain,voir N. KOURAKIS, Répression pénale, 4 e éd., Athènes, Sakkoulas, 2005.34


le comportement 202 . Le deuxième apport est l’extension de la reconnaissance des droits aux détenuset l’institution de droits de recours contre leurs violations, précisément contre un acte illégal ou unordre illégal, devant le tribunal d’application des peines. Un autre mécanisme original de protectiondes détenus constitue la mise en place dans chaque prison d’un comité pluridisciplinaire comportantdes personnes extérieures (entre autres, des psychologues et des professeurs de droit) veillant àl’individualisation et à l’exécution de la peine conformément aux lois grecques et au droitinternational. Ce droit national, outre une juridictionnalisation des mesures d’individualisation despeines, plus précoce que le droit français (certaines remontent en 1952 203 ), garantit le respect dusecret de la correspondance, le droit à un médecin de son choix, limite la sanction disciplinaire dumitard à 10 jours, ou encore prévoit la suspension de l’emprisonnement pour des motifs de santé oud’intégrité plus larges que le droit français. En général, le droit grec paraît être en avance en matièrede droits et de libertés individuelles classiques, par rapport au droit français qui, lui, l’est en matièrede droits sociaux.Leur comparaison avec le droit européen révèlera que le droit de la Convention est plusprotecteur concernant l’intégrité physique, le droit à la vie et l’interdiction des mauvais traitements,autrement dit en matière de droits à marge nationale réduite voire nulle. Les droits nationauxprésentent quant à eux des avancées plus importantes concernant des droits à caractère social et desdroits relatifs à la vie privée. Si bien que droits nationaux et droit de la Convention européenne desdroits de l’homme se trouvent dans un rapport d’interaction permanente. Une interaction qui est à lafois source d’harmonisation et d’évolution permanente du droit.Délimitation de l’objet de l’étudeNotre travail portera donc sur ces deux droits nationaux et sur la jurisprudence de la Courrelative à l’application de la Convention européenne des droits de l’homme à la fois dans la prison età l’extérieur. C’est notamment à travers cette comparaison, où la mesure devient sens, que nousdélimiterons le sens effectif de la peine privative de liberté exécutée dans la prison.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Nous tenterons précisément de saisir son sens à travers l’application des droits substantiels,c’est-à-dire ceux dont les détenus sont privés, en opposition avec les droits relatifs à la justice. Parmices derniers, seuls seront étudiés les droits au titre des articles 2, 3 et 5 de la Convention, car ils sontconstitutifs de la violation de droits substantiels garantis par ces articles. Nous ne retiendrons pas non35202 Ce but, évoqué dans le rapport introductif au Code des règles fondamentales pour le traitement des détenus(1989), a clairement été affirmé dans le Code pénitentiaire actuel (art. 4 § 1, C. pénit.). Le terme traitementn’ayant pas été explicité dans le corps du précédent Code, il a donné lieu à un nombre de critiques, VoirPAPATHEODOROU Th., « Le système pénitentiaire grec », Les systèmes pénitentiaires dans le monde, J.-P.CERE, C. –E., JAPIASSU, (dir.), Paris, Dalloz, 2007.203-222.203 Voir infra, Chapitre sur le droit à la liberté.


plus les droits qui ne contribuent pas à la détermination du champ privatif de liberté, comme le droità l’égalité entre époux ou l’interdiction des expulsions collectives.36Concrètement, nous tâcherons de saisir le sens de la peine privative de liberté par l’étude del’application des droits et libertés garantis par les articles 2 à 12 de la Convention (à l’exception del’article 6) et par ses Protocoles, soit, par l’étude des droits et libertés suivants : le droit à la vie (art.2), l’interdiction de la torture (art. 3), l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé (art. 3), le droità la liberté et à la sûreté (art. 5), le droit au respect de la vie privée et familiale (art. 8), le droit aurespect de la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 9), la liberté d’expression (art. 10),la liberté de réunion et d’association (art. 11), le droit au mariage (art. 12) ; le droit à la protection dela propriété, le droit à l’instruction et le droit à des élections libres garantis respectivement par lesarticles 1, 2 et 3 du Protocole additionnel.L’interdiction des discriminations (art. 14 et protocole n°12) et la légalité de la peine (art. 7) neferont pas l’objet d’une étude distincte. Ces articles trouvent une application transversale àl’ensemble des droits de l’homme. Le premier commande une application des droits de l’hommesans discrimination. Quant au respect de la légalité, telle que nous l’avons précisé dans le cadre de lapeine privative de liberté, il est l’objet même du présent travail. Il sera abordé de manière précisedans le cadre de l’article 5. L’abolition de la peine de mort (Protocole n° 6) sera abordée en mêmetemps que le droit à la vie (art. 2) ; et la liberté de circulation (art. 2, Protocole n° 4) sera traité enmême temps que le droit à la liberté (art. 5), étant considérée par la Cour comme un droit couvert parle premier.L’étude de l’application concrète de ces droits de l’homme dans la prison et à l’extérieurpermettra de cerner le sens de la peine privative de liberté à défaut de pouvoir le définir de manièreprécise. Limiter cette peine à la privation du seul droit à la liberté physique au sens de l’article 5 dela Convention nous servira de référence de l’idéal dans l’appréciation de l’application des droits del’homme dans la prison. Cette limitation implique de garantir les droits et libertés à l’égard despersonnes condamnées à cette peine de manière identique que pour les personnes libres. Elleimplique alors l’application du droit commun à l’égard des détenus. Tout écart doit être interprété<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008comme constitutif d’une privation de liberté supplémentaire à celle de la liberté au sens de l’article 5.La peine étant censée n’avoir qu’une seule conséquence physique, la privation de la liberté,nous tenterons, dans une première partie, de saisir si cette conséquence est limitée à la privation decette liberté ou si elle s’étend à d’autres dimensions de la vie physique de l’homme. Nous tâcheronsà travers l’étude de l’application dans la prison des dispositions de la Convention relatives à la libertéde mouvement, au droit à la vie et à l’interdiction de la torture et des peines ou traitementsdégradants ou inhumains. Lieu de privation de liberté d’aller et venir, la prison ne désigne-t-elle pas


également le seul lieu légal de vie pour les détenus dès lors que l’article 2 de la Convention autoriseen cas de tentative d’évasion le recours à l’usage de la force, y compris mortelle ?37La prison ne fait–elle pas courir d’autres risques physiques en raison de la promiscuité, quiest en soi source de tensions et de comportements violents, qui se trouvent forcément exaspérés parla nature contraignante de ce milieu clos ? La Cour ne reconnaît-elle pas que la prison entraîneinévitablement des conséquences sur l’intégrité physique de la personne 204 ? Et cette interrogation dePierrette Poncela : « Privative de libertés, dit-on. Même avec un pluriel est exact ? De fait, cettepeine est d’abord prise sur le corps 205 ». Il convient alors de saisir l’étendue de la dimensionphysique de cette peine et les limites que le respect des droits de l’homme cités devraient yapporter (Première Partie).En élargissant l’étude à l’ensemble des droits et libertés, nous constaterons que le sens de lapeine privative de liberté dépasse la dimension physique. Cette peine s’étend à tous les aspects de lavie de la personne et donc à la liberté au sens large. D’une part, elle s’étend à tous les droitsimpliquant la présence et la mobilité physique de la personne, comme le travail, la vie familiale, lavie associative, et en général, à tous les droits et libertés impliquant union, réunion et intimité.D’autre part, elle s’étend à l’exercice de l’ensemble des droits et libertés y compris à ceux sansrapport avec la condition physique de la personne. L’étude de la vie professionnelle et de la gestiondes biens montrera que cette peine atteint la personne en tant qu’acteur économique. Celle des droitspolitiques et civiques fera apparaître qu’elle l’atteint également en tant que citoyen. Tandis que cellede sa vie privée montrera que le contrôle de la personne s’étend à son mode de vie, aux relationsavec autrui, y compris intimes 206 . Ce sens « globalisant » du sens de la peine privative de liberté versun sens restrictif de la liberté au sens large, est ouvertement reconnu par la Cour mais mis sur lecompte de la prison. Celle-ci justifie des « ingérences plus amples à l'égard d'un détenu que d'unepersonne en liberté » 207 , en raison « des exigences normales et raisonnables de la détention ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Par ailleurs, l’étude des droits grec et français permettra de voir que le droit pénal, mais aussid’autres branches du droit, prévoient des restrictions attachées à cette peine sans lien avec sadimension physique. Le droit pénal prévoit des restrictions des droits civils, civiques etUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008professionnelles attachées à certaines condamnations automatiquement ou par décision du tribunal decondamnation. D’autres branches du droit élargissent les restrictions de telle nature en les attachant à204 « L’article 3 impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier soit détenu dans des conditions qui sontcompatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettentpas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffranceinhérent à la détention », CEDH, Ramirez Sanchez c.France, n° 59450/00, CEDH 2005-I, § 99.205 P. PONCE<strong>LA</strong>, Droit de la peine, préc., p. 88.206 « La privation de liberté consiste dans un confinement de l’individu incarcéré, sans possibilité d’organisersa vie, séparé des siens, de son milieu professionnel, etc. » , G. STEFANI, G. <strong>LE</strong>VASSEUR, B. BOULOC,Droit pénal général, 21 e éd., Dalloz, Paris, 2007, p. 464.207 CEDH, Golder, c. R.U., préc., § 45.


38toute condamnation pénale. Le droit civil prévoit, par exemple, des conséquences dans l’exercice del’autorité parentale et dans le divorce, le droit électoral dans l’exercice des droits électoraux 208 , ledroit commercial dans l’exercice de la profession de commerçant, le statut de fonctionnaire et denombreux statuts de plusieurs professions, dans les conditions d’accès aux professions concernées 209 .Ces restrictions sont des « restes » de la mort civile. L’étude de l’application des droits et libertés denature socio-économico-politique nous permettra alors de saisir le sens global de cette peine entermes de privation de liberté (Deuxième Partie).Cette étude montrera que le statut juridique de la personne condamnée à une peine privativede liberté est modelé par trois sources : la condamnation à la peine privative de liberté, la prison etles différentes branches de droit nationaux. Si bien que son statut est plus large que le statutpénitentiaire, celui-ci est plus large que le statut pénal et ce dernier est plus large que la privation dela liberté physique.Mais s’il convient de noter que les restrictions des droits de l’homme résident dans ces troissources, il sera surtout question ici du rôle de la prison dans la fabrication du sens de cette peine.C’est essentiellement le droit pénitentiaire qui modèle la peine privative de liberté. La prison est lamodalité de sa mise à exécution la plus extrême entraînant la privation de liberté la plus large allantjusqu’à aliéner sa nature en générant des conséquences corporelles. L’application des droits del’homme dans la prison montrera que l’organisation et le fonctionnement de cette institution n’a pasété guidée par l’objectif de limiter le contenu de la privation de liberté. C’est la Cour européenne quia clairement posé cet impératif en exigeant d’y respecter les droits de l’homme de manière« efficace » et « non théorique ou illusoire ». Cela signifie d’une part que, malgré les spécificités dela prison, seules des limitations à l’exercice des droits de l’homme conformes à la sociétédémocratique sont admises. Cela signifie d’autre part que, à cause de la spécificité de ce lieu, lesautorités pénitentiaires ont l’obligation de mettre en place des mesures et moyens nécessaires pour yassurer un exercice effectif des droits de l’homme.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La question posée par cet objectif est alors de savoir si, malgré ces limites et ces obligationsimposées par la Cour, et aussi longtemps que cette peine sera exécutée dans la prison, il est possibleUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de parvenir à cette adéquation entre contenu théorique et contenu concret de la peine requise par leprincipe de légalité des peines. A défaut, les limitations apportées aux droits de l’homme dans laprison respectent-elles au moins les limites compatibles avec la société démocratique ? En effet,celle-ci fixe une limite impérative dans les restrictions des droits de l’homme : la sauvegarde de lasubstance des droits de l'homme, c’est-à-dire que la nécessité démocratique ne peut jamais, y208 La loi électorale générale mais aussi les lois relatives aux élections aux conseils de prud’hommes, ou leslois des finances (par ex, en droit français, loi du 19 janvier 1995).209 G. STEFANI, G. <strong>LE</strong>VASSEUR, B. BOULOC, Droit pénal général, 17 e éd., Dalloz, 2000, pp. 46-47.


compris devant la menace terroriste ou l’état de guerre, l’emporter totalement sur le respectminimum des droits de l’homme.39D’où un intérêt parallèle du présent travail pour l’identité même de la société démocratique.Si les restrictions et dérogations justifiées par l’application des droits de l’homme dans la prison,sont non seulement plus amples mais aussi les plus extrêmes que l’on puisse justifier dans unesociété démocratique, cette institution représente alors un risque de mise à l’épreuve, en plus duprincipe de légalité de la peine privative de liberté, de la société démocratique entière. Aussi, laprison pose-t-elle la question de sa compatibilité avec la société démocratique elle-même : est-ce unepeine qui risque de « saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre » 210 ? Si l’on tientcompte des propos du président de la Cour européenne des droits de l'homme, en 1992, selonlesquels, « la qualité de notre société démocratique se mesure notamment -c'est là un lieu commun- àla manière dont elle traite les personnes internées ou détenues »211 , la prison constitue alors lafrontière entre la société démocratique et les sociétés non démocratiques. L’étude de l’applicationdes droits de l’homme dans la prison présente alors une importance dépassant le seul droit pénal etmême le domaine juridique : elle contribue à déterminer l’identité de la société démocratique endessinant ses frontières les plus ultimes.Une peine à dimension physique dépassant la privation de la liberté d’aller et venir (1 ère Partie)Une peine à dimension multiple restrictive de la liberté au sens large (2 ème Partie)<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008210 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, n° 5029/71, 6 sept. 1978, Série A n°28, § 49 (à propos du respect dusecret de la correspondance dans le cadre de la lutte contre le terrorisme).211 Allocution de Rolv RYSSDAL, conférence à la Faculté de droit de l'Université de Potsdam, 3-5 juin 1992,sur la protection des droits de l'homme en Europe, Conseil de l'Europe, Doc. Cour (92)173, p. 11.


40PREMIERE PARTIEUNE PEINE A DIMENSION PHYSIQUE <strong>DE</strong>PASSANT <strong>LA</strong> PRIVATION<strong>DE</strong> <strong>LA</strong> LIBERTE D’AL<strong>LE</strong>R ET VENIR<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


41Si en principe l’objet de la peine privative de liberté est la privation de la liberté physique ausens d’aller et venir, nous démontrerons au sein de cette première partie que jusqu’à un degré etindépendamment de la prison, c’est la notion même de privation de liberté qui implique l’extensiondes conséquences physiques vers le sens de contrôle physique total de la personne dans l’espace. Laprivation de liberté, étant entendue comme la contrainte de vivre dans un espace précis d’où lapersonne ne peut pas sortir sans autorisation préalable, elle implique la privation non seulement dudroit à la liberté d’aller et venir mais aussi du droit de vivre, sans autorisation, ailleurs que dans celieu. La tentative de la personne de s’en échapper et celle des forces de l’ordre de l’y ramener peuventautoriser des atteintes dans les droits de l’homme allant jusqu’à celle à la vie.Ces atteintes ne sont pas a priori contraires à la Convention. Le droit à la vie et le droit à laliberté ne sont pas absolus. Ils font partie de droits jouissant d’une garantie seulement renforcée. Ilspeuvent être soumis à certaines dérogations exhaustivement énumérées dans la Convention.En effet, la condamnation pénale fait partie des motifs de dérogation explicite de la garantiedes droits à la liberté et à la vie. L’article 5 § 1 al. a autorise la privation de liberté : « Toute personne adroit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans le cas suivant et selon lesvoies légales : a. s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ».L’article 2 prévoit que « la mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans lecas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire… b. pour effectuer unearrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Cependant aussi bien l’article 2 que l’article 5 comportent à côté des dérogations citées, desgaranties applicables aux personnes détenues y compris condamnées. Il importe alors de déterminerl’étendue du contrôle physique et les limites posées tant par le droit à la liberté que par le droit à la vie(Titre 1).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Dans un second temps, il sera question de la dimension physique de cette peine au regard desconséquences de la qualité des conditions de vie sur l’intégrité et la santé. En principe, contrairementaux deux premiers aspects de la vie physique, ces éléments de la vie de la personne jouissent d’uneprotection absolue au regard de l’article 3 de la Convention. Cette disposition interdit la torture et lespeines ou traitements inhumains ou dégradants en toutes circonstances et à l’égard de toute personne.La Cour réitère l’obligation des Etats d’assurer des conditions de détention compatibles avec le respectde la dignité humaine. Pourtant, cette instance a, devant l’évidence, dû admettre que la peine privative


42de liberté exécutée en prison affecte le bien-être de la personne : elle comporte des conséquencesnuisibles pour l’intégrité physique et la santé. Mais ces conséquences seraient, jusqu’à un certaindegré, compatibles avec cette interdiction, parce qu’inévitables en raison de la détention, et en général,en raison de la condamnation au pénal de la personne 212 .Aussi, malgré son caractère absolu, lors de l’étude de l’application de cette interdiction dans laprison, il sera également question des limites des atteintes que la peine privative de liberté peutapporter à l’intégrité et la santé de la personne. D’autant plus que la définition des notions contenuesdans l’article 3 est elle-même l’objet d’appréciation d’un seuil de gravité de certains types d’atteinte àla personne au regard des circonstances dans chaque cas d’espèce (Titre 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008212 Voir CEDH, Tyrer c. R.U., 25 avril 1978, Série A n° 26 ; CEDH, Costello- Roberts c. R..U., 25 mars 1993,Série A n°247-c.


43TITRE I<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE <strong>DE</strong>TERMINE AU REGARD <strong>DE</strong>L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> LIBERTE ET L’INTEGRITEPHYSIQUE SOUMIS A <strong>DE</strong>S <strong>DE</strong>ROGATIONSAu sein de ce premier titre, il sera question des limitations du contenu de la peine privative deliberté, d’un côté, par l’application du droit à la liberté, la sûreté et la circulation, et d’un autre côté,par l’application du droit à la vie.L’étude du premier droit peut paraître surprenante dans la délimitation du contenu de la peine,puisque c’est le seul droit dont la personne est « privé ». Pourtant l’étude de la jurisprudenceeuropéenne permettra de voir que, lui aussi, contribue à la détermination du sens de cette peine.Au fil de la jurisprudence européenne, est apparue la nécessité de contrôler, d’une part, lalégalité de la durée de la détention. Cette nécessité est apparue par la mise en évidence du caractèreévolutif de certaines condamnations appliquées dans certains droits nationaux. Ce caractère a alors faitapparaître que privation de liberté physique ne signifie pas privation de son corollaire, du droit à lasûreté. Dans le cas des détenus, celui-ci implique des garanties procédurales visant à s’assurer que lapersonne n’est pas, après un certain temps passé en détention, arbitrairement maintenue ou rappelée endétention. Car le caractère évolutif de cette peine fait naître la garantie que la personne détenue ne soitpas maintenue en prison plus longtemps que ne le justifie la condamnation initiale ni à êtreréincarcérée sans nouvel examen de la justification fondée sur sa condamnation.D’autre part, l’application de l’article 5 est liée à l’émergence au sein de la jurisprudenceeuropéenne d’une certaine approche matérielle de la légalité de la détention. Celle-ci est entendue ausens de la conformité du lieu et du régime de détention avec la nature et l’objectif de chaque type dedétention. Par exemple, la détention des mineurs, des personnes souffrant de problèmes mentaux, despersonnes handicapées, des toxicomanes et autres, peut demander la détention dans des établissementoffrant un régime approprié au regard de leurs besoins et buts spécifiques (Chapitre 1).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008L’étude du droit à la vie permettra, quant à lui, d’établir que, si l’article 2 prévoitexplicitement une dérogation à sa protection à cause de la condamnation pénale, au cas où la personnetendrait à se soustraire à sa condition physique, l’apport de la Cour dans la limitation des atteintes à lavie est considérable. Il consiste, d’une part, à la limitation du champ de la légitimité de ce motif enrequérant des conditions supplémentaires. Ni la tentative d’évasion, ni les besoins de maintenir l’ordreet la sécurité, ne peuvent limiter un recours à la force en écart significatif par rapport à l’extérieur,


44même si dans la prison les exigences de ces besoins sont plus élevées. Il consiste, d’une part, à la miseà la charge des autorités carcérales des obligations positives supplémentaires par rapport à l’extérieurpour assurer la sécurité des détenus contre la violence, mais aussi contre des conditions matérielles dela détention, y compris des accidents. Sa protection est par ailleurs assortie de garanties procéduralesaccrues par rapport à la majorité de droits et libertés consacrés par la Convention (Chapitre 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


45CHAPITRE 1. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’EXERCICE DU DROIT A <strong>LA</strong> LIBERTE« Le but de l'article 5 de la Convention, qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté, est degarantir que personne ne soit arbitrairement privé de sa liberté 213 . » Ce but est assuré, en premierlieu, par la précision des cas autorisés de recours à la privation de liberté (5 § 1) 214 et en second lieu,par les garanties qui doivent entourer la décision d'y recourir. Ces garanties sont les suivantes : Unetelle décision doit avoir lieu “ selon les voies légales ” (art. 5 § 1) ; Toute personne arrêtée a droit àêtre informée, dans le plus court délai, des raisons de son arrestation (art. 5 § 2) ; Toute personnearrêtée ou détenue, au titre de l'article 5 § 1 al.c., a droit à être aussitôt traduite devant un juge ou unautre magistrat (art. 5 § 3) ; Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a droitd'introduire un recours devant un tribunal pour contrôler la légalité de la détention (5 § 4) ; Enfin,toute personne victime d'une arrestation ou détention contraire aux dispositions de l'article 5 a droit àla réparation.La question du respect de ces garanties, dans le cas de la privation de liberté « aprèscondamnation par un tribunal compétent » prévue par l’article 5 § 1 al. a, ne devrait pas a priori êtreposée. Cette privation est considérée comme légale et régulière, au sens de l'article 5 § 1 al. a, dèslors que tous les recours ont été épuisés. Quant aux garanties prévues par les paragraphes 2 et 3 del'article 5, elles ne concernent pas non plus ce cas de privation de liberté. Celles-ci visentexpressément l'arrestation et la détention avant le jugement. Reste la garantie prévue par l'article5 § 4, dont dépend également celle de l'article 5 § 5.A priori, la question du respect de la garantie exigée par l'article 5 § 4, à savoir le droit derecours devant un tribunal, ne devrait pas non plus être posée. La privation de liberté après<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>213 CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 70 ; CEDH, Léger c. France, n° 19324/02, CEDH 2006-IV, § 64 ;CEDH, Hutchison Rei c. R. U, n° 50272/99, CEDH 2003-II, §51 ; CEDH, Amuur c. France, n° 9776/92, 25juin 1996, Recueil 1996-III, § 50 ; CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, 21 février 1990, Série A n o 170-A, § 22 ;CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 oct. 1979, Série A, n° 33, § 39, § 45 ; Bozano c. France, 18 déc. 1986,Série A n° 111, § 54 ; CEDH, Bouamar c. Belgique, 29 fév. 1988, Série A n° 129, § 47 ; CEDH, Engel et<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...autres c. Pays-Bas, préc., § 58.214 Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans le cas suivantUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008et selon les voies légales :a. s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;b. s'il a fait l'objet d'une arrestation ou d'une détention régulière pour insoumission à une ordonnance rendue,conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l'exécution d'une obligation prescrite par la loi ;c. s'il a été arrêté et détenu en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente, lorsqu'il y a des raisonsplausibles de soupçonner qu'il a commis une infraction ou qu'il y a des motifs raisonnables de croire à lanécessité de l'empêcher de commettre une infraction ou de s'enfuir après l'accomplissement de celle-ci ;d. s'il s'agit de la détention régulière d'un mineur décidée pour son éducation surveillée ou de sa détentionrégulière, afin de le traduire devant l'autorité compétente ;e. s'il s'agit de la détention régulière d'une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d'unaliéné, d'un alcoolique, d'un toxicomane ou d'un vagabond ;f. s'il s'agit de l'arrestation ou de la détention régulière d'une personne pour l'empêcher de pénétrerirrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d'expulsion ou d'extradition est en cours.


46condamnation est l'exemple type de privation qui a lieu conformément à cette disposition. Elle estdécidée par un « tribunal » qui a statué sur tous les points de légalité. C'est d'ailleurs ce qu'a affirméla Cour dans son arrêt dit de « vagabondage » où elle a élaboré la théorie de contrôle de légalité de ladécision incorporé à la décision initiale. De prime abord, le libellé de l'article 5 § 4 pourrait donnerà penser qu'il reconnaît au détenu « le droit de faire toujours contrôler par un tribunal la légalité d'unedécision antérieure qui l'a privé de sa liberté » ; mais « rien n'indique qu'il en aille ainsi quand unedécision est rendue par un tribunal statuant à l'issue d'une procédure judiciaire. Dans cette dernièrehypothèse, le contrôle voulu par l'article 5 § 4 se trouve incorporé à la décision 215 ». Mais en affinant,au fil de sa jurisprudence, l'interprétation de la disposition en question, cette instance fut amenée àlimiter le champ de validité de la théorie de contrôle de légalité incorporé.Le fait que la décision initiale de privation de liberté soit prise par un tribunal, n'exclut pas lanécessité d'un contrôle ultérieur de sa légalité. C’est dans ce sens que cette instance a statué dansl'affaire Van Droogenbroeck à propos de la légalité de la révocation d'une libération conditionnelledans le cadre de l'exécution d'une mesure de défense sociale. Cette révocation ayant été décidée parle ministre de la Justice conformément au droit belge, le requérant estimait qu’elle équivalait à unedécision privative de liberté, et que, de ce fait, elle devait faire l'objet d'un contrôle juridictionnel ausens de l'article 5 § 4. Le gouvernement défendeur y ayant opposé la thèse du contrôle de légalitéincorporé appliquée dans l'arrêt de “ vagabondage ”, la Cour y a apporté une précision qui futdéterminante pour l'application du droit à la liberté à l'égard des personnes privées légalement de leurliberté. Lors du contrôle de légalité incorporé, il faut faire la distinction entre décision initiale etdétention ultérieure : « Ce contrôle concerne uniquement la décision initiale privative de liberté, etnon la détention ultérieure, dans la mesure où des questions nouvelles de légalité la concernantsurgiraient après coup 216 ”. Et d'ajouter : “ On méconnaîtrait le but et l'objet de l'article 5, si l'oninterprétait le paragraphe 4 comme exemptant la détention de tout contrôle ultérieur de légalité pourpeu qu'un tribunal ait pris la décision initiale 217 ”.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...C’est cette double condition qui a rendu possible la mise en cause de la légalité de ladétention suite à une condamnation. D’une part, la distinction entre décision initiale et détentionultérieure, et d’autre part, la précision que la nature et le but d’une détention doivent être susceptiblesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de soulever dans le temps de nouvelles questions de légalité, non incorporées à la décision initiale 218 ,autrement dit, il doit s’agir d’une détention évolutive. Pour apprécier le caractère évolutif ou pasd’une détention, la Cour passe outre la classification de l'article 5 de la Convention, et privilégie lesobjectifs visés par la peine : “ Ce qui compte ici est la nature et la finalité de la détention en cause,215 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 71, § 76.216 Voir entre autres, CEDH, Thynne, Wilson et Gunnell c. R.U, 25 oct. 1990, Série A, n°190, § 68.217 CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 45 ; CEDH, X. c. R.U., 5 nov. 1981, Série A n° 46, § 52.218 Voir entre autres : CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 45 ; CEDH, Weeks c. R.U., 2 mars1987, Série A, n° 114, § 56.


47considérées à la lumière des objectifs du juge pénal, et non la classe à laquelle elle se rattache dans lesystème du § 1 de l’article 5 219 ”. Seule une telle approche, pragmatique et non formelle, est plus àmême de répondre à l'objectif fixé par la Cour : assurer la garantie réelle et efficace et non théoriqueet illusoire de l'ensemble des droits et libertés consacrés par la Convention. Cet objectif doit à plusforte raison guider l'application du droit à la liberté qui « revêt une trop grande importance dans unesociété démocratique au sens de la Convention 220 ».C'est effectivement l'adoption d'une telle approche qui a conduit la Cour à déclarersolennellement que “ l'article 5 vaut pour toute personne ; tout individu, en liberté ou détenu, a droità sa protection 221 ” et à confirmer l'applicabilité de l'article 5 § 4 à l'ensemble de cas de privation deliberté énumérés par l'article 5 § 1.Ainsi, de même que les autres droits consacrés par la Convention, le droit à la liberté resteactif durant l'exécution de la peine privative de liberté. Ce qui n'est pas sans impliquer lareconsidération du statut pénal du détenu, et par voie de conséquence, celle de la définition de lapeine privative de liberté et de la légalité de la détention. Cette peine ne serait pas entendue dans lesens de privation totale du droit à la liberté. Il se peut que les détenus, fussent-ils des condamnés,aient le droit d’invoquer le « droit au recours devant un tribunal tel qu'il est garanti par l'article5 § 4 » pour contrôler la « légalité de la détention ».Il importe donc de déterminer le champ d’applicabilité du droit à la liberté des condamnés etles garanties requises par la jurisprudence européenne (Section 1) avant d’établir dans quelle mesureles droits grec et français répondent à ces exigences européennes (Section 2).SECTION 1. <strong>LE</strong> CONTRO<strong>LE</strong> EUROPEEN <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> « <strong>LE</strong>GALITE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>DE</strong>TENTIONULTERIEURE »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...L'applicabilité du droit au contrôle de la légalité de la détention dans le cadre d'une privationde liberté après condamnation, est le fruit d'un raisonnement qui repose sur une définitioneuropéenne autonome de la notion de privation de liberté et de la légalité de la détention. Laprésentation préalable de leur définition (§ 1), nous permettra de cerner le champ d'applicabilité del'article 5 § 4 dans le cadre d’une détention après condamnation (§ 2), avant de procéder à l’examendes garanties procédurales requises par le droit au « recours devant un tribunal » (§ 3).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008219 CEDH, Thynne, Wilson et Gunnell c. R.U. , préc., § 69 ; CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 22 ;CEDH, Grava c. Italie, n°43522/98, CEDH 2003-VII, § 42.220 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 65 ; CEDH, H.L. c. R.U, n°45508/99, CEDH, 2004-X, § 90.221 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 40.


§ 1. La reconnaissance du droit au contrôle de la légalité de la détention après condamnation48Pour que le droit à la liberté soit applicable lors de l'exécution d'une condamnation privativede liberté, il faut d'abord pouvoir établir que la notion d'ingérence dans l'exercice de ce droit demeureconcevable.Or, c'est ce que les gouvernements mis en cause devant la Cour ont contesté à propos de larévocation de la libération conditionnelle : quel que soit le régime dans lequel s'exécute une décisionprivative de liberté, y compris en milieu libre, il doit être considéré comme relevant des modalités deson exécution ; par conséquent, on ne peut pas qualifier le refus d'octroyer la libérationconditionnelle, ou sa révocation, comme des immixtions dans l'exercice du droit à la liberté. Unepersonne qui bénéficie d'une telle mesure ne recouvre pas sa liberté pour que ces décisions soientanalysées comme étant déterminantes pour sa liberté. Or, la Cour a écarté ce raisonnement,considérant ne pas être liée, ni pour la définition nationale de la notion de privation de liberté, nipour celle de la légalité de la détention.Le droit à la liberté occupe une place trop importante dans une société démocratique pourécarter sa protection d’autres situations qui seraient en réalité privatives de liberté ou qui mettraienten jeu le passage d’un état privatif de liberté vers un état contraire et vice-versa 222 .Aussi la Cour a-t-elle estimé important de reconsidérer ces notions au sein de l’article 5 dela Convention. Ce qui l’a conduit à l’adoption d’un sens européen autonome aussi bien de la notionde « détention », qui ne serait pas limitée aux lieux fermés et aux durées de vie qualifiés de privatifsde liberté au sein des droits internes (A), que de la notion de « légalité de la détention » (B).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>A. Un droit fondé sur la notion européenne d’« état privatif de liberté »<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La Cour précise que « l'article 5, en proclamant dans son premier paragraphe, le "droit à laliberté", vise la liberté physique de la personne », cela s'est avéré insuffisant 223 . Cette instance a dûapporter une première précision en distinguant la liberté visée par l’article 5 de la Convention, deUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008celle visée par l'article 2 du Protocole n° 4, à savoir a liberté de circuler 224 : « entre privation et222 CEDH, Kurt c. Turquie, préc., § 123 ; CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 70.223 « L'article 5 (art. 5), en proclamant dans son paragraphe 1 (art. 5-1) le "droit à la liberté", vise la libertéphysique de la personne ; il a pour but d'assurer que nul n'en soit dépouillé de manière arbitraire », CEDH,Guzzardi c. Italie, 6 nov. 1980, Série A n° 39, § 92. Voir CEDH, Amuur c. France, préc., § 42 ; CEDH, Kurt c.Turquie, préc., § 123 ; CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 70.224 « L'article 5… ne concerne pas en principe les simples restrictions à la liberté de circuler qui, elles,obéissent à l'article 2 du Protocole n° 4 », CEDH, Guzzardi c. Italie, préc., § 92. Voir CEDH, Amuur c. France,préc., § 42.


49restriction de liberté, il n'y a qu'une différence de degré ou d'intensité, non de nature ou d'essence 225 .La privation de la liberté physique serait donc entendue au sens d’une atteinte à la liberté demouvement d’un degré dépassant celui d’atteinte à la liberté de circuler. Ce qui ne nous renseigneguère sur le contenu précis que la privation de liberté au sens de l’article 5 peut atteindre. Quant auxdroits internes, ils se contentent de désigner cette notion en se référant aux situations de l'hommemenotté, emprisonné et, en général, détenu dans des lieux fermés 226 .Or, comme nous l’avons souligné dans l’introduction générale de notre travail, cet état dedéfinition de la privation de liberté pose un problème au regard du principe de légalité des peinesdans la mesure où on l’entend dans un sens impliquant une définition en termes clairs et exhaustifsdu contenu des sanctions pénales. S’y ajoute un autre, au regard du but de l’article 5 de laConvention : la protection efficace des personnes contre toute forme de détention arbitraire. Onlimiterait de ce fait la portée de ce but si l’on cantonnait sa protection aux situations « classiques » deprivation de liberté visées par les détentions dans les droits internes.Pour atteindre ce but, la Cour a estimé qu’il faut partir de la situation concrète de lapersonne ; et pour savoir si une personne se trouve en état privatif de liberté, il faut tenir compte d’uncertain nombre de critères inspirés de la situation des personnes placées dans des lieux fermés maisnon limités à eux. En effet, en examinant la jurisprudence de la Cour, notamment l’arrêt Engel etautres et l’arrêt Guzzardi, nous constatons que la Cour préfère utiliser la notion d’état privatif deliberté qu’elle définit par une méthode d’approche qui lui est propre (1) et qui a rendu concevable lamise en jeu du droit à la liberté y compris dans la détention après condamnation (2).1. La définition européenne de l’état privatif de liberté<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>C’est en adoptant une approche matérielle (a) et évolutive (b) et en ayant recours à uncertain nombre de critères que la Cour détermine la présence ou pas d’un état privatif de liberté.a. Une approche matérielle<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008« Pour déterminer si un individu se trouve ‘privé de liberté’ au sens de l'article 5, il fautpartir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la225 CEDH, Guzzardi c. Italie, préc., § 92 ; CEDH, Amuur c. France, préc., § 42 ; CEDH, H.L. c. R.U, préc.,§ 89.226 Voir sur l'importance et l'étendue de cet apport, notre contribution “ Symbole et verbe au sein du droit. Apropos des lieux fermés et de la notion de privation de liberté dans la jurisprudence européenne ”, in Présencedu droit public et des droits de l'homme, Mélanges offerts à Jacques VELU, Bruxelles, Bruyland, 1992, pp.1607-1625.


50durée, les effets et les modalités d'exécution de la mesure considérée 227 ». Ce dernier critères'apprécie à son tour, par des sous-critères : l'étendue de l'espace vital, le degré d'intensité desurveillance, la possibilité de nouer des contacts sociaux, la menace des sanctions en casd'inobservation des règles imposées et la durée. C'est l'application isolée ou combinée de cescritères, car un seul peut suffire pour qualifier un état comme privatif de liberté, qui permetd'apprécier le degré de restriction de la liberté, qualificatif d'état privatif de liberté. Celui-ci,rappelons-le, doit atteindre un degré, qui soit distinctif des simples restrictions de liberté qui relèvent,elles, de la liberté de circuler au sens de l'article 2 du Protocole n° 4 de la Convention 228 .b. Une approche évolutiveC'est encore dans l'arrêt Guzzardi, que la Cour, a de surcroît affirmé, qu'en dehors desformes classiques, « il existe maintes autres formes de privation de liberté ; l'évolution des normesjuridiques et des idées tend à accroître la diversité » ; et que la Convention s'interprète à la lumière deconceptions prévalant de nos jours dans les Etats démocratiques 229 ».c. Un champ d’applicabilité de l’état privatif de liberté dépassant les lieux « classiques »d’enfermementL'adoption de cette méthode a déjà conduit à étendre le champ d'application du droit à laliberté. Outre la mesure d’assignation à résidence surveillée, la Cour a qualifié d'état privatif deliberté, une mesure d'éloignement sur une île accompagnée des restrictions propres aux lieuxprivatifs de liberté en tenant compte : de l’étendue d'espace de vie limitée ; de la surveillanceconstante ; des contacts avec le monde extérieur soumis aux mêmes modalités que ceux des détenusen prison ; de la répression des infractions disciplinaires par la mise aux arrêts ; et de la durée deseize mois 230 . Il conviendrait à cet égard, de noter que la Commission, en 1969, avait bien avant laCour, retenu cette qualification à propos de mesures similaires dans l'affaire « Grecque 231 ». Elle yavait qualifié de privation de liberté, l'assignation à résidence surveillée, mais aussi les mesuresd’éloignement avec interdiction de parler aux habitants, et obligation de se rendre deux fois par jourau commissariat pour signer un registre de présence.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008227 CEDH, Guzzardi c. Italie, préc., § 92 . Voir CEDH, Ashingdane c. R.U., 28 mai 1985, Série A n° 93, § 41 ;CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 59 ; CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 40 ; CEDH, Amuur c. France,préc., § 42 ; CEDH, H.L. c. R.U, préc., § 89.228 « L'article 5 en proclamant dans son paragraphe 1 le "droit à la liberté", vise la liberté physique de lapersonne ; il a pour but d'assurer que nul n'en soit dépouillé de manière arbitraire. En revanche, il ne concernepas en principe les simples restrictions à la liberté de circuler qui, elles, obéissent à l'article 2 du Protocole n°4 », CEDH, Guzzardi c. Italie, préc., § 92. Voir CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 59 ; Ashingdanec. R.U., préc., § 41 ; CEDH, Amuur c. France, préc., § 42 ; CEDH, H.L. c. R.U, préc., § 89.229 CEDH, Guzzardi c. Italie, préc., § 95 ; CEDH, Kurt c. Turquie, préc., § 123 ; Filip, préc., § 70.230 CEDH, Guzzardi c. Italie, préc., § 95.231 Reqs n°s 3321, 3322, 3323 et 3344/1967 (Danemark, Suède, Norvège et Pays-Bas/Grèce), Rapport rendupar la Commission, le 5 novembre 1969.


51La Cour a également été amenée à qualifier d’état privatif de liberté : des sanctionsdisciplinaires infligées à des militaires telle la mise aux arrêts au sein d’une caserne 232 , mais aussi lamise aux arrêts à domicile infligée à un garde civil par son supérieur 233 ; des mesures administrativesappliquées aux étrangers, tel le maintien prolongé dans une zone internationale d’un aéroport 234 ; ouencore le séjour dans un hôpital psychiatrique, y compris ouvert, dès lors qu’il est de fait de naturecontraignante. Tel peut être le cas lorsque, par exemple, la personne est obligée d’y rester, de limiterses contacts avec l’extérieur et de se soumettre à un traitement sous la menace de recourir à uninternement d’office 235 .La méthode de la Cour, matérielle et évolutive, a également conduit à étendre le sens de lanotion inverse : celle d'état non privatif de liberté. Elle a permis de qualifier d’état non privatif deliberté la vie ordinaire en caserne 236 , mais aussi la vie sous le régime de la libération conditionnelled'une personne condamnée. C'est cette dernière qualification qui nous importe ici. Elle signifie que ladistinction entre état privatif de liberté et non privatif de liberté, demeure opérationnelle au cours del'exécution d'une peine privative de liberté. Ce qui constitue la première condition de l'applicabilitéde l'article 5 § 4 dans le cadre d’une détention après condamnation.2. Le rôle de la notion d’état privatif de liberté dans le cadre d’une détention après condamnationPour pouvoir invoquer la protection de l’article 5 § 4 de la Convention dans le cadre del’exécution d’une peine privative de liberté, il faut que le passage d'un état de liberté vers un étatprivatif de liberté, et vice-versa, soit en jeu. A cet égard, c'est l'arrêt Weeks (1987) qui est le plusmarquant de la jurisprudence européenne. C'est le premier arrêt dans lequel la Cour a clairementaffirmé qu'elle ne s'arrêtait pas à la qualification formelle de la libération conditionnelle en droitinterne, mais qu'elle entendait adopter une approche matérielle. Certes, tout élargissement avant leterme légal de la peine, s'analyse en un « acte de clémence » et revêt un « caractère conditionnel »acquiesca-t-elle 237 . Toutefois la question de savoir si l'intéressé avait retrouvé sa « liberté au sens del'article 5 de la Convention, lors de sa libération conditionnelle, est une question de fait ; la réponsedépend des réalités du régime auquel on la soumet » ; or « les restrictions imposées à M. Weeks par<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008232 CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc.233 « En l'espèce, la Cour constate que le requérant a purgé la mise aux arrêts de six jours à son domicile et a,par conséquent, été privé de sa liberté au sens de l'article 5 de la Convention », CEDH, Dacosta Silva c.Espagne, n° 69966/01, CEDH 2006-XI.234 Si une telle mesure peut être justifiée, car « inévitable en vue de l'organisation matérielle du rapatriement del'étranger ou, si celui-ci a sollicité l'asile, pendant l'examen de la demande d'admission sur le territoire au titrede l'asile », elle risque de se transformer, lorsqu’elle se prolonge de manière excessive, de « simple restriction àla liberté » en « privation de liberté », même si ce maintien a lieu dans un hôtel et la personne est simplementinterdite d’entrée sur le sol d’un pays mais pas de sortie, CEDH, Amuur c. France, préc., § 43.235 « Concrètement, le requérant se trouvait sous une surveillance et un contrôle constants et n’était pas librede partir », CEDH, H.L. c. R.U, préc., § 91. Dès lors, il n’est pas décisif de savoir si le service était fermé à cléou susceptible de l’être, Ibid.236 CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 57, § 59.237 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 50.


52la loi, en dehors de la prison ne suffisent pas à empêcher de qualifier sa situation de "liberté" aux finsde l'article 5 ». Pour conclure que « bien que juridiquement la libération conditionnelle constitue unprivilège et non un droit », sa révocation s'analyse comme une décision de « passage d'un état deliberté véritable à un état de détention 238 ».Dans l'arrêt Droogenbroeck (1982) qui a précédé l'arrêt Weeks (1987), et portait égalementsur la conformité de la révocation de la libération conditionnelle à l'article 5 de la Convention, laCour ne s'était pas attardée à démontrer que la libération conditionnelle s'analysait comme un état deliberté. Mais il est à noter que le gouvernement n'avait pas contesté la qualification de sa révocationcomme une décision de privation de liberté. Ce qu’il contestait, c’était sa qualification comme unedécision nécessitant un nouveau contrôle de légalité. D'après ce gouvernement, la libérationconditionnelle constitue une simple modalité d'exécution de la mesure privative de liberté à laquellele requérant dans cette affaire était condamné. De ce fait, sa révocation ne saurait être de nature àdonner lieu à un nouveau contrôle de légalité : ce contrôle était incorporé à la décision initiale deprivation de liberté 239 .Ce dernier arrêt permet donc de voir (ainsi qu'il a été confirmé par les arrêts postérieurs), quela qualification du passage d’un lieu de détention au régime de la libération conditionnelle, commeun passage d'un état privatif de liberté vers un état de liberté, bien qu'elle soit la conditionindispensable pour l'application de l'article 5 § 4, elle n'est cependant pas suffisante. Si l'approchematérielle oblige à analyser une libération conditionnelle comme un état de liberté, quel que soit letype de condamnation (mesure ou peine) dans lequel elle a été accordée, en revanche, toute décisionrelative à son refus et à sa révocation, n'oblige pas les Etats à assurer un contrôle juridictionnel. Pourcela, il faut, de surcroît, estimer que de telles décisions soulèvent de nouvelles questions de légalitéde la détention, des questions non incorporées à la décision initiale. Et cela ne pourrait pas être le cassans l'élaboration également d'un sens européen autonome de la notion de légalité de la détention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...B. Un droit fondé sur un sens européen de “ légalité de la détention ”Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Précisons d'abord que, si l'expression « légalité de la détention » est utilisée seulement dansl'article 5 § 4, elle est entendue dans un sens dégagé par la prise en compte également des garantiesexigées au premier paragraphe de l'article 5 : le terme lawful ne change pas de sens en passant du238 Dès lors, « en le faisant réincarcérer en 1997, le ministre de l'Intérieur ordonna qu'il passât d'un état deliberté véritable, bien que constituant juridiquement un privilège et non un droit à un état de détention »,CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 40. Il faut donc rechercher si « la nouvelle privation de liberté » cadrait avecl'article 5, CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 50.239 La Cour avait estimé que le ministre en révoquant la libération conditionnelle « a bien ordonnéd'interner » ; et d'ajouter : « Au demeurant au-delà les apparences et le vocabulaire employé, il faut s'attacher àcerner la réalité », CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 37.


53premier au quatrième paragraphe de l’article 5, déclara la Cour à plusieurs reprises 240 . Toutefois,l'article 5 § 4 ne contenant pas d'éléments propres pour son appréciation, son sens est en faitdéterminé par les expressions privation de liberté selon les « voies légales » et « détentionrégulière » contenues dans l'article 5 § 1. Ainsi que l'a affirmé cette instance à propos du recoursprévu par l'article 5 § 4, « le recours interne disponible doit permettre de contrôler le respect desconditions à remplir pour qu'il y ait, au regard du premier paragraphe, "détention régulière" 241 ».En effet, c'est l'interprétation des expressions « voies légales » et « détention régulière »,(auxquelles la jurisprudence européenne renvoie conjointement 242 ) qui a donné lieu à un senseuropéen autonome de la notion de légalité de la détention dont la Cour se réserve le pouvoir decontrôler le respect 243 (1) et qui rend possible une conception évolutive de la détention (2). Ellecomporte, d’une part, la garantie du respect du droit interne de forme et de fond : l'expression« voies légales » est interprétée par la Cour comme renvoyant directement au respect du droit internede fond et de forme. « Ce terme impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait unebase légale en droit interne 244 ». Sa méconnaissance, dont la Cour se réserve le pouvoir decontrôle 245 , peut entraîner la violation de la Convention.240 La Cour a affirmé à propos de l'interprétation du terme “ régularité ”, contenu dans l'article 5 § 1, que laConvention renvoie pour l'essentiel à la législation nationale et consacre l'obligation de respecter les normes defond et de procédure ; mais elle exige, de surcroît, d'apprécier la conformité de toute privation de liberté auregard du but visé par l'article 5, la protection de l'individu contre l'arbitraire, Van Der Leer c. Pays-Bas,, préc.,§ 22 ; CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 39, § 45 ; Ashingdane c. R.U., préc., § 52 ; Bozano c. France,préc., § 54 ; CEDH, Brogan et autres c. R.U, n os 11209/84, 11234/84, 11266/84, 29 nov.1988, Série A 145-B ,§ 65 ; CEDH, Bouamar c. Belgique, préc., § 47 ; X c.R.U.,, préc., § 57 ; CEDH, E c. Norvège (Eriksen n°1), 29août 1990, Série A n° 181, § 49.241 CEDH, Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, § 54 ; CEDH, Ashingdane c. R.U., préc., § 52.242 Initialement, la Cour faisait la distinction entre les expressions voies légales et régularité. Elle estimait quela première renvoie pour l'essentiel au droit interne : une privation de liberté doit être décidée et exécutéeconformément aux normes de fond et de forme du droit interne. L'expression détention régulière, elle, dépassela conformité au droit interne : « Il faut que le droit interne se conforme lui-même à la Convention, y comprisles principes généraux énoncés ou impliqués par elle... », CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 45 (réf. àl'arrêt Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 68).On peut toutefois observer une évolution vers une fusion du sens de ces deux expressions : les deux participentà former le sens de légalité de la privation de liberté au sens de l'article 5. D'ailleurs, dès l'arrêt Winterwerp, la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Cour avait souligné à propos de l'expression régulière, qu' « un certain chevauchement existe entre lui etl'exigence générale énoncée au début de l'article 5 § 1, al.e : le respect des "voies légales" », CEDH,Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 39. De surcroît, elle avait réservé l'examen de certaines allégations soulevéesau regard de la régularité, à un examen conjoint au regard du “ problème, très voisin, de respect des voieslégales ”, CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 40.243 « La Cour a compétence pour rechercher si la procédure prescrite par le droit interne a été observée », dèslors que dans « les matières où la Convention renvoie directement au droit interne, la méconnaissance de cedroit entraîne celle de la Convention », CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 46 ; « Il incombe à la Cour derechercher s'il existe un lien suffisant, aux fins de l'article 5, entre ladite décision et la privation de liberté encause », CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 39.244 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 46 ; CEDH, Bizzotto c. Grèce, 15 nov. 1996, Recueil 1996-V, §31 ; CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 46 ; CEDH, Amuur c. France, préc., § 50 ; CEDH, Stafford c.R.U.,n° 46295/99, CEDH 2002-IV, § 63 ; CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 46 ; CEDH, Morsink c. Pays-Bas,n°48865/99, CEDH 2004-V, § 63 ; CEDH, Léger c. France, préc., § 64.245 Il incombe au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux tribunaux, d'interpréter et d'appliquerle droit interne. Toutefois, dès lors qu'au regard de l'article 5 § 1 l'inobservation du droit interne emporteviolation de la Convention, la Cour peut et doit exercer un certain contrôle pour rechercher si le droit interne abien été respecté, Filip, préc., § 55. Voir Pantea c. Roumanie, n o 33343/96, § 220, CEDH 2003-VI.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


541. Un sens européen autonomeD’après la jurisprudence européenne, pour qu’une détention soit légale et régulière, il fautqu’elle respecte un certain nombre de conditions. Elle comporte, d’autre part, la garantie par le droitinterne d’une protection de l’individu contre l’arbitraire conforme à l’article 5 de la Convention. LaCour se réserve le droit de contrôler également la qualité des droits internes. Ils doivent offrir lesgaranties requises par la prééminence du droit, notion inhérente à l’ensemble des articles de laConvention, ainsi que par le but de l’article 5 : la protection de l’individu contre l’arbitraire 246 : Une« détention arbitraire ne peut jamais passer pour régulière au regard du paragraphe 1 de l'article 5 dela Convention, indépendamment de sa compatibilité avec le droit interne 247 ».Cette dernière garantie implique les garanties suivantes. Elle implique la limitation durecours à la privation de liberté uniquement dans les cas autorisés par le premier paragraphe del’article 5 248 et leur interprétation étroite. Seule une telle interprétation cadre avec le but d’assurerque nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté 249 . Elle implique aussi le respect des garantiesprocédurales : « A la base de la phrase précitée se trouve la notion de procédure équitable etadéquate 250 ». Le contrôle dans un bref délai de la légalité de la décision initiale de privation deliberté. Lorsque le contrôle n’est pas incorporé dans la décision initiale, une personne arrêtée doitpouvoir faire contrôler la légalité dans un bref délai. Par exemple, un délai de cinq semaines peutentacher une détention d’irrégularité 251 . La protection européenne contre l’arbitraire implique enfinla garantie de l’existence d’un lien suffisant de causalité entre condamnation et détention. « Le mot“ après ” n'implique pas un simple ordre chronologique de succession entre “ condamnation ” et246 « Ce terme (‘voies légales’) impose, en premier lieu, que toute arrestation ou détention ait une base légaleen droit interne, mais concerne aussi la qualité de la loi ; il la veut compatible avec la prééminence du droit,notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention. De surcroît, toute privation de liberté doit êtreconforme au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire », CEDH, Léger c. France, préc., § 64.Voir aussi CEDH, Amuur c. France, préc., §50.247 CEDH, X. c. R.U., préc., § 43. Ou encore : « Telle que l'entend l'article 5, la non rupture du lien de légalité<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...d'une détention avec l'article 5 § 4, la légalité d'une arrestation ou détention s'apprécie pourtant sous l'angle nondu seul droit interne, mais aussi du texte de la Convention, des principes généraux qu'elle consacre et du butdes restrictions qu'autorise l'article 5 § 1 », CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 48. Voir CEDH,Stafford c.R.U., préc., §§ 63-64 ; CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 39, § 45 ; Bizzotto c. Grèce, préc.,§ 31 ; CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 46 ; Hutchiso Rei c. R.U., 50272/99, 20 février 2003, § 47 ; Morsink c.Pays-Bas, préc., § 64.248 Mais la privation de liberté peut avoir lieu pour un ou plusieurs motifs énumérés dans l’article 5 de laConvention : « La Cour réaffirme que l’article 5 § 1 de la Convention renferme une liste exhaustive des motifsautorisant la privation de liberté. Le fait qu’un motif soit applicable n’empêche toutefois pas nécessairementqu’un autre le soit aussi ; une détention peut, selon les circonstances, se justifier sous l’angle de plus d’unalinéa », Morsink c. Pays-Bas, préc., § 61. Voir CEDH, Eriksen c. Norvège (n°2), 27 mai 1997, Recueil 1997-III, § 76.249 Voir notamment : CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 22 ; Wassink c. Pays-Bas, 27 sept. 1990, SérieA n o 185-A, § 24 ; CEDH, Quinn c. France, n° 18580/91, 22 mars 1995, Série A n o 311, § 42 ; CEDH, GiuliaManzoni c. Italie, 1 er juillet 1997, Recueil 1997-III, § 25 ; CEDH, Grava c. Italie, préc., § 42.250 A savoir, l'idée que « toute mesure privative de liberté doit émaner d'une autorité qualifiée, être exécutée parune telle autorité et ne pas revêtir un caractère arbitraire », CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 45.251 CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 63.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


“ détention ” : la seconde doit résulter de la première, se produire “ à la suite et par suite ” ou “ envertu ” “ de celle-ci ”. En bref, il doit exister entre elles un lien de causalité suffisant 252 .55Ce sont surtout les précisions apportées à propos de ce lien de causalité qui a donné lieu àune définition européenne de la légalité ayant rendu concevable le contrôle ultérieur de la légalité dela détention, malgré le fait que la décision initiale soit conforme à la Convention. Le respect de celien doit être assuré tout au long de l'exécution d'une décision privative de liberté 253 au regard desmotifs et des buts d’une détention. Pour que ce lien soit respecté, encore faut-il s’assurer du respectdes conditions suivantes. Il faut s’assurer du lien entre les motifs et buts d’une condamnation et lelieu et régime de détention 254 . C’est à propos de certains types de détention, que la Cour exigequ’elles doivent avoir lieu dans des établissements de régime approprié. Ainsi, la détention à butthérapeutique, comme celle des personnes souffrant des troubles mentaux, doit avoir lieu dans un« hôpital », une « clinique » ou un autre « établissement approprié » 255 . Celle des mineurs, visantégalement un but éducatif, doit avoir lieu dans des institution, qui en même temps qu’elles assurentla sécurité, disposent des ressources suffisantes pour assurer l’éducation 256 . Cela dit, l’article 5n’exige pas d’assurer immédiatement le transfert vers un établissement thérapeutique ou éducatif 257 .Une phase transitoire de détention dans un établissement non approprié peut être justifiée 258 . Acondition qu’elle soit courte, à tout le moins qu’elle ne soit pas d’une durée telle qu'elle comprometles chances de traitement et/ou implique le risque de prolonger le maintien en détention. La détentiontransitoire peut être justifiée aussi bien par la condamnation initiale, si ses motifs sont en lien étroitavec ceux de la décision initiale, que par sa considération comme une détention préventive au sensde l'article 5§1 al.c. Dans ce dernier cas, elle est justifiée en tant que détention visant à empêcherqu'une personne ne commette de nouvelles infractions en attendant de la traduire devant untribunal 259 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...252 CEDH, Stafford c.R.U., préc., § 64. Voir CEDH, Bozano c. France, préc., § 53 ; CEDH, VanDroogenbroeck c. Belgique, préc., § 35, § 39 ; CEDH, Léger c. France, préc., § 71.253 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 39 ; CEDH, Ashingdane c. R.U., préc., § 44.254 CEDH, Bizzotto c. Grèce, préc., § 31 ; CEDH, Ashingdane c. R.U., préc., § 44 ; CEDH, Aerts c. Belgique,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008préc., § 46.255 CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 46; CEDH, Ashingdane c. R.U., préc., § 44.256 CEDH, Bouamar c. Belgique, préc., § 5 ; CEDH, D. G. c. Irlande, n°39474/98, CEDH 2002-V, § 9.257 « Ce serait manquer de réalisme et adopter une attitude trop rigide que d’escompter que les autorités veillentà ce qu’une place soit immédiatement disponible dans l’établissement TBS choisi », Morsink c.Pays-Bas,préc., § 67.258 Voir CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 48 ; CEDH, Morsink c. Pays-Bas, préc., § 65.259 La Cour a estimé que tel a, par exemple, été le cas dans l'affaire Eriksen c. Norvège (n° 2). Le prononcé dela mesure de sûreté (qualifiée de mesure sécuritaire en droit norvégien), était fondé sur “ la propension établieet prévisible du requérant à la violence ” (le requérant avait fait l'objet de plusieurs condamnations et desmesures de sûreté pour des actes commis chaque fois qu'il avait été libéré) et sur les difficultés prouvées par lesautorités de le libérer sous surveillance (vu son comportement agressif et son refus de se soumettre à desmoyens de surveillance), arrêt Eriksen c. Norvège (n°2), précité, § 86. Il en était de même dans l’affaireMorsink, précitée.


56A propos des problèmes matériels pour l’accueil dans un tel établissement, la Cour met à lacharge des Etats l’obligation de les identifier et les traiter à temps pour que la personne puisse y êtreadmise le moment prévu 260 . Seule la confrontation à une situation exceptionnelle et imprévue, peutjustifier de retards importants 261 . D’autre part, le lien de causalité implique la sauvegarde du lienentre les motifs de la décision initiale et la détention ultérieure. Il faut s'assurer, tout au long del'exécution d'une décision privative de liberté, qu'elle continue à être fondée sur les mêmes motifsque la décision initiale, et que sa poursuite soit nécessaire pour atteindre les buts fixés par cettedécision 262 .C'est notamment ce dernier élément de légalité de la détention qui a conduit à la justificationd'un contrôle ultérieur de la légalité de la détention, quel que soit le motif de la détention. Certainsbuts et motifs, changeants dans le temps, peuvent rendre une détention évolutive.2. Un sens européen évolutifLe respect de la légalité implique la nécessité de prendre en compte la dimension temporellede l'exécution d'une décision privative de liberté. De nouvelles questions de légalité peuvent naître,faisant encourir le risque d'une rupture du lien de légalité au fil du temps entre la décision initiale dela privation de liberté et la poursuite de son exécution. Le raisonnement de la Cour est le suivant. Ilse peut que « le lien entre les décisions de non-élargissement ou de re-internement et le jugement, ouarrêt initial se distende peu à peu avec l'écoulement du temps 263 » ; si bien qu' « une privation deliberté régulière à l'origine se mue en une privation de liberté arbitraire et, dès lors, incompatibleavec l'article 5 264 », lorsqu'un contrôle ultérieur de légalité n'est pas exercé 265 .Le caractère évolutif de la détention était apparu à la Cour comme une évidence, dans unpremier temps, à propos de l'internement des malades mentaux délinquants. Cette instance a estiméque le fait que la maladie mentale soit prise en compte par le tribunal qui ordonne l'internement,range cette privation de liberté dans une catégorie à part. Elle poursuit un but répressif mais aussi<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008260 CEDH, Morsink c. Pays-Bas, préc., § 68.261 A défaut, des retards, tels que celui de quinze mois dans l’admission d’une personne dans un centre ferméde défense sociale après l’expiration de la période punitive de condamnation ne peut passer pour acceptable,Morsink c. Pays-Bas, préc., § 69.262 « Telle que l'entend l'article 5, la non rupture du lien de légalité d'une détention avec l'article 5 § 4, lalégalité d'une arrestation ou détention s'apprécie pourtant sous l'angle non du seul droit interne, mais aussi dutexte de la Convention, des principes généraux qu'elle consacre et du but des restrictions qu'autorise l'article5 § 1 », CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 48.263 Ibid.264 Ibid., § 40 ; Voire CEDH, X c. R.U., n° 7215/75, 5 nov. 1981, Série A n° 46, § 43.265 Il se peut que des décisions ultérieures d'élargissement ou de ré-internement « se fondent sur des motifsétrangers aux objectifs du législateur et du juge ou sur une appréciation déraisonnable au regard de cesobjectifs », CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 40. Voir CEDH, X c. R.U.., préc., § 43 ; Thynne,Wilson et Gunnell c. R.U. , préc., § 68.


57thérapeutique 266 . C'est après avoir précisé les motifs qui doivent fonder une telle mesure (aliénation 267établie de manière probante et objective 268 , présentant un caractère ou une ampleur légitimantl'internement 269 et la persistance d’un tel trouble 270 ), les buts qu'elle doit poursuivre (traiter etprotéger l'aliéné contre lui-même mais aussi la société) et, après avoir relevé que la durée est, dedroit ou de fait, indéterminée 271 , que la Cour a estimé que ce type de détention est par nature decaractère évolutif exigeant alors un contrôle à des intervalles raisonnables 272 . Elle fait donc,inévitablement, naître de nouvelles questions de légalité, non incorporées à la décision initiale.Ainsi, à propos de l’internement des personnes souffrant de troubles mentaux, la Cour exiged’établir le concours cumulatif des trois conditions : l’aliénation de manière probante et objective ;l’ampleur des troubles légitimant l’internement ; et la persistance des troubles pour la prolongationde l’internement.Si les Etats mis en cause devant la Cour n'ont pas opposé une forte résistance à l'applicabilitéde l'article 5 § 4 dans ce type de privation de liberté, en revanche, tel fut le cas à propos del'extension de son application dans la privation de liberté exclusivement répressive. C'est justement àpropos de ce type de détention que cette instance a affirmé qu'elle ne s'arrêterait pas à la266 « Le simple fait que cette personne ait, avant sa détention, bénéficié d'un procès équitable ne doit pas lapriver de ses garanties ultérieures », CEDH, X c. R.U.., préc., § 52.267 A propos de la notion d'aliéné, la Cour a déclaré : « La Convention ne précise pas ce qu'il faut entendre paraliéné. Ce terme ne se prête pas à une interprétation définitive ; ...son sens ne cesse d'évoluer avec le progrès dela recherche psychiatrique, la souplesse croissante du traitement et les changements d'attitude de laCommunauté envers les maladies mentales, notamment dans la mesure où se répand une plus grandecompréhension des problèmes des patients », CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 37 ; CEDH, X c. R.U..,préc., § 51.268 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 39 ; CEDH, X c. R.U.., préc., § 41.269 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 39.270 « La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle un individu ne peut passer pour « aliéné » et<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement,son aliénation doit avoir été établie de manière probante au moyen d'une expertise médicale objective, que lepatient souffre d'un trouble mental réel ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleurlégitimant l'internement ; troisièmement, l'internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...pareil trouble », CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 56. Voir CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 39 ;CEDH, X c. R.U.., préc., § 41 ; CEDH, Johnson c. R.U., 24 oct. 1997, Recueil 1997-VII, § 60 ; CEDH,Varbanov c. Bulgarie, n o 31365/96, CEDH, 2000-X , § 45 ; CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 48 ; Kolanisc. R..U., n o 517/02, CEDH 2005-VI, § 67.271 « En vertu de l'article 5 § 4, un aliéné détenu dans un établissement psychiatrique pour une durée illimitéeou prolongée a donc en principe le droit, au moins en l'absence de contrôle judiciaire périodique etautomatique, d'introduire à des intervalles raisonnables... », CEDH, X c. R.U.., préc., § 52.272 « Par nature la privation de liberté dont il s'agit paraît appeler la possibilité de semblable contrôle à exercerà des intervalles raisonnables », avait souligné la Commission dans l'affaire Winterwerp. La Cour y aentièrement souscrit dans l’arrêt rendu dans cette affaire, CEDH, Winterwerp, préc., § 55. Dans un autre arrêt,cette dernière instance avait réaffirmé que « les éléments notamment médicaux sont de nature à changer avec letemps » ; dès lors, « la détention d'un aliéné forme une catégorie spécifique et soulève des problèmes propres ;en particulier, les motifs la justifiant à l'origine, peuvent cesser d'exister », CEDH, X c. R.U.., préc., § 52. Uncontrôle doit alors être exercé périodiquement pour s'assurer que les conditions de légalité de la détentiondemeurent remplies tout au long de la détention litigieuse, Ibid., § 49.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


58classification des types de détention au sein de l'article 5 273 . Pour la Cour, quel que soit le type deprivation de liberté, trois groupes de critères doivent déterminer si une privation de liberté même“ après condamnation par un tribunal compétent ” peut présenter un caractère évolutif exigeant alorsun contrôle de légalité ultérieur : les motifs de la détention (gravité de l'infraction et/ou dangerositédu délinquant) ; les buts de la détention (punition et/ou protection de la société eu égard à ladangerosité du délinquant) ; et le calcul de la durée de la détention (proportionnalité à la gravité del'infraction et/ou proportionnalité à l'appréciation de l'évolution du délinquant au regard de soncaractère dangereux et du risque pour la société).Soulignons cependant, que la combinaison de ces critères n'a pour l'instant donné lieu qu'àune application extrêmement limitée du droit au contrôle de la légalité de la détention aux détenuscondamnés à une peine privative de liberté.§ 2. Un champ limité d’applicabilité du contrôle de la légalité de la détentionL’étude de la jurisprudence européenne permet d’établir que l'objectif de la Cour n’est pasd’ériger en règle l'application de l'article 5 § 4 dans le cadre de l'exécution d'une condamnation à laprivation de liberté. Son application paraît comme une dérogation justifiée par les particularités queprésentent certains types de condamnations visées par l'article 5 § 1 alinéa a. Ce contrôle est limité àla légalité temporelle (A). De surcroît, la Cour n'a expressément reconnu un caractère évolutif qu'àtrès peu de types de condamnations qui se distinguent de la condamnation type visée par l'article5 § 1. Ce contrôle de la légalité matérielle, à savoir les conditions matérielles dans lesquelles unedétention se déroule, est encore plus limité. Ces conditions ne sont prises en compte quepartiellement, et uniquement dans les détentions à but thérapeutique (art. 5 § 1, al.e) ou éducatif(art. 5 § 1, al.d (B).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>A. Applicabilité du contrôle de la légalité temporelle limitée aux détentions évolutives<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...C’est seulement dans le cadre des détentions qualifiées par la Cour comme évolutives (1),que les décisions concernant certaines modalités d’exécution d’une condamnation (2) rendentUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008applicable le droit de contrôle de la légalité ultérieure de la détention.1. Application déterminée par la nature évolutive de la détention concernéeLa Cour n'applique le droit à la liberté, lors de l'exécution d'une condamnation à la privationde liberté, que lorsqu'il s'agit de condamnations de type évolutif. Expressément reconnu dans les273 CEDH, Thynne, Wilson et Gunnell c. R.U. , préc., § 69 ; CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc.,§ 46.


mesures privatives de liberté (a) et dans certaines peines particulières appliquées en droitbritannique (b), ce caractère pourrait être reconnu à tout type de détention (c).59a. Applicabilité reconnue dans l’exécution des mesures de sûretéC'est à propos de la mesure de mise à la disposition du gouvernement des récidivistes ou desdélinquants, qui est une mesure de défense sociale en droit belge, que la Cour a pour la première foisappliqué l'article 5 § 4 dans une détention après condamnation. Ce fut le cas dans l'arrêtDroogenbroeck 274 . Tenant compte des motifs sur lesquels le tribunal s'était appuyé pour prendre unetelle mesure, des buts qu'elle poursuivait et de sa durée, elle avait conclu au caractère évolutif decette mesure. A propos des motifs, cette instance a relevé que dans le prononcé des mesures dedéfense sociale, sont pris en compte, outre la gravité de l'infraction, la dangerosité sociale ducondamné et sa tendance persistante à la délinquance. Or, ces motifs sont “ contingents par essence,amenant à suivre le condamné dans l'évolution de sa personnalité comme de son comportement, afind'adapter son statut à un changement, favorable ou défavorable 275 ”. De surcroît, en tenant compte deces motifs, le but d’une telle mesure n'est pas uniquement répressif ; il est également préventif visantà protéger la société et à traiter les délinquants 276 . Quant à la durée, la Cour a observé que bienqu'une durée maximale soit fixée, cette mesure est en réalité indéterminée 277 .C’est en tenant compte de l'ensemble de ces critères que cette instance a conclu au caractèreévolutif de la mesure de mise à déposition du gouvernement : « Au moment où il statue, le juge nesaurait, par la force des choses, prévoir l'évolution future de l'intéressé 278 » ; celle-ci dépend de« circonstances diverses et changeantes par nature 279 ». Ce type de détention comporte alors le risquequ'au fil de son exécution, il y ait une rupture de lien de légalité avec la décision initiale 280 . Dès lors,conclut la Cour, l'exercice « d'un contrôle judiciaire ultérieur, et à des intervalles raisonnables, de lajustification de la privation de liberté » s'impose car « considérer cette justification comme acquise,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...274 CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 46.275 Ibid., § 47.276 « Il importe de ne pas perdre de vue les finalités de la loi de 1964 (de défense sociale en droit belge),protéger la société contre le danger que constituent les récidivistes et les délinquants d'habitude, mais aussidonner la possibilité de tenter leur amendement », Ibid., § 40. La Cour avait précisément retenu que« l'internement que peut entraîner la mise à la disposition du gouvernement se produit uniquement s'il y a lieuet lorsque la protection de la société l'exige » et qu'il « vise en même temps qu'à protéger la société, à fournir àl'exécutif l'occasion d'essayer d'amender les intéressés », Ibid., § 47.277 « En pratique, elle ouvre au Ministre de la Justice un crédit de privation de liberté... dont la durée effective,de zéro jour à dix ans, frappe par son indétermination relative et varie en principe selon les besoins dutraitement et les impératifs de la défense sociale », Ibid.278 Ibid., § 40.279 Le ministre de la Justice, auquel l'exécution de ces mesures est confiée, doit s'interroger “ sur la nécessité depriver ou de continuer à priver l'intéressé de sa liberté ou sur l'absence ou disparition de pareille nécessité en sefondant sur les notions évolutives telles que la tendance persistante à la délinquance et la dangerosité sociale ”,Ibid., § 47.280 Ibid.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


une fois pour toutes, au moment de la condamnation équivaudrait en quelque sorte à présumer que ladétention n'apportera aucun résultat utile 281 ».60C'est en suivant le même raisonnement dans l'arrêt Eriksen (n° 2) 282 , que la Cour a consolidél'applicabilité du droit au contrôle de la légalité de la détention lors de l’exécution d'une mesure desûreté. Il s'agissait en l'occurrence d’un internement sécuritaire prévu en droit norvégien pour descondamnés dangereux souffrant d'insuffisance mentale mais qui demeurent pénalementresponsables 283 .b. Applicabilité reconnue dans l’exécution des peines de type particulier en droit britanniqueAlors que dans l'arrêt Van Droogenbroeck, la Cour avait exclu l'hypothèse d'applicabilité del'article 5 § 4 dans le cadre d'une condamnation par un tribunal à une « peine d'emprisonnementjugée par lui appropriée 284 », elle est ultérieurement revenue sur cette position. Le but d'assurer auxdroits de l'homme une protection efficace et non illusoire, l'a amenée à abandonner tout critèreformel de classification des types de privation de liberté et à examiner, si parmi les peines, il y en aqui nécessitent un contrôle ultérieur de légalité. Elle a ainsi été amenée à appliquer l'article 5 § 4dans trois types de peine. Il s’agit de trois peines perpétuelles, toutes connues seulement du droitbritannique : les peines discrétionnaires perpétuelles, les peines pour la durée qui plaira à samajesté « during at Her Majesty's pleasure » 285 et les peines perpétuelles obligatoires.L’élément commun de ces trois peines est la composition de leur durée de deux périodes :une période dite tariff, qui correspond à l’élément de répression et de dissuasion de la peine, et unepériode de sécurité qui correspond à l’élément préventif de la peine. A l’issue de l’exécution de lapremière période, le maintien en détention doit être motivé par des motifs de dangerosité de lapersonne et de protection du public. Cela dit, la Cour a mis quinze ans pour reconnaître à toutes lestrois un caractère évolutif. Ce fut d’abord le cas des peines perpétuelles discrétionnaires (arrêt Weeks1987), puis des peines pour la durée qui plaira à sa majesté (arrêt Hussain, 1996), et enfin, des peinesperpétuelles obligatoires (arrêt Stafford, 2002).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Les peines perpétuelles discrétionnaires281 Ibid.282 CEDH, Eriksen c. Norvège (n°2), préc.283 Ibid.284 « Un tel système diffère fondamentalement de celui sur lequel la Cour n'a pas à se prononcer en l'occurrencela libération conditionnelle d'une personne condamnée par un tribunal à une peine d'emprisonnement jugée parlui approprié », CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 47.285 Curley c. R.U., n° 32340/96, CEDH 2000-III, § 32.


61En tenant compte des motifs, des buts et de leur durée, la Cour a estimé que ces peines « serangent dans une catégorie particulière 286 ». Premièrement, la Cour a relevé que, plus que la gravitéde l'infraction, ce qui motive le prononcé de ces peines c’est la dangerosité de son auteur 287 . Cela aété flagrant dans l’affaire Weeks. Le requérant, alors qu’il était âgé de dix-sept ans, avait pénétrédans un magasin d'animaux familiers, armé d'un pistolet de starter chargé à blanc, et volé 35 pences,pour rembourser à sa mère 3 £ ; il avait appelé lui-même la police pour se constituer prisonnier. Il aété condamné à une peine de durée indéterminée accompagnée seulement de la fixation de la duréeminimum du maintien en détention. Cette peine avait paru aux juges être la plus appropriée comptetenu du but recherché : soumettre le détenu à une “ mesure durable de sûreté destinée à protéger lepublic ” vu son jeune âge et l’instabilité de son caractère 288 . Or, pour la Cour, ces sanctionsprésentent plusieurs particularités.Outre la répression, ces peines visent également la protection de la société et le traitement ducondamné 289 . Leur durée est bien singulière. Elle est composée de deux périodes : une période fixe,dite « tarifée », correspondant à la gravité de l'infraction 290 , et une période indéterminée, ayantcomme objectif d'assurer que la personne puisse continuer à demeurer en détention après l'exécutionde la période tarifée, et ce jusqu'à la fin de sa vie, à moins qu'elle soit élargie par la mesure delibération conditionnelle. La décision de cette mesure dépend de l'évolution du caractère ducondamné. Celui-ci ne doit plus présenter de danger pour la société. La Cour a confirmé cettejurisprudence dans l’affaire Thynne, Wilson et Gunne : “ En sus de la nécessité d'une répression, lesjuridictions relevèrent donc, pour condamner les trois requérants à l'emprisonnement à vie, qu'ilssouffraient de troubles mentaux ou de la personnalité, étaient dangereux et avaient besoin d'untraitement ” 291 .286 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 56.287 En effet, la Cour a relevé qu'un des juges anglais avait motivé sa décision de la manière suivante : « Lescirconstances de l'infraction et les témoignages relatifs à sa personnalité et au caractère de l'accusé meconvainquent qu'il s'agit d'un jeune homme très dangereux. Une sanction de durée indéterminée me paraîtadéquate pour quelqu'un de cet âge, de cette personnalité et de ce caractère, enclin à un tel comportement. Il<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...appartiendra donc au Ministre de le libérer si les personnes chargées d'observer et d'examiner l'intéresséestiment que le temps l'a rendu raisonnable. Cela peut aller vite, ou au contraire ne pas se produire avantlongtemps... le Ministre pourra intervenir dans le cas et au moment où il jugera prudent de le faire », CEDH,Weeks c. R.U., préc., § 44.288 « Les magistrats qui statuèrent se reconnurent incapables de prévoir combien de temps persisteraient soninstabilité et ses troubles de personnalité. En substance, on plaça M. Weeks à la disposition du gouvernementparce qu'il avait besoin d'une surveillance continue en prison pour une durée imprévisible et, par voie deconséquence, d'un réexamen périodique servant à rechercher le traitement le plus adapté à son cas », arrêtWeeks c. R.U., préc., § 46.289 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 46. De même, dans l’arrêt Thynne, Wilson et Gunnell, cette instance avaitretenu : « En sus de la nécessité d'une répression, les juridictions relevèrent donc, pour condamner les troisrequérants à l'emprisonnement à vie, qu'ils souffraient de troubles mentaux ou de la personnalité, étaientdangereux et avaient besoin d'un traitement », CEDH, Thynne, Wilson et Gunnell c. R.U. , préc., § 72.290 « La jurisprudence anglaise le confirme ; elle définit le tarif comme la période d'incarcération estiméenécessaire pour répondre aux impératifs de la rétribution et de la dissuasion », CEDH, Thynne, Wilson etGunnell c. R.U. , préc., § 73.291 Le caractère évolutif d'une peine a été reconnu, jusqu'à présent, uniquement à propos des peines prévues parle droit anglais. La Cour l'a reconnu dans l'affaire Weeks et dans l'affaire Thynne, Wilson et Gunnell (bien queUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


62Le gouvernement anglais a contesté cette analyse des peines perpétuelles discrétionnaires enarguant qu' “ il est impossible de démêler ses composantes répressives et sécuritaires ”. Tout enreconnaissant pareille difficulté, la Cour a estimé que du moment où il est confié au Ministre le soinde déterminer quand l'intérêt public permet de relâcher le prisonnier 292 , ces peines comprennent unélément répressif et un élément de sécurité 293 . Elles sont donc de type particulier 294 : au fond, elles serapprochent des mesures de sûreté 295 . De même que ces dernières, ces peines sont de caractèreévolutif. Le motif dominant de leur prononcé est la dangerosité sociale de l'accusé et le risque derécidive. Estimant qu'il est impossible de dire quand ce risque s'éloignera, la peine indéterminéeparaît la plus appropriée parce qu'elle permet de suivre l'évolution du détenu afin qu'il ne reste privéde sa liberté plus longtemps qu'il est nécessaire pour la sécurité publique et que, inversement, il nesoit pas libéré tant qu'il présente un danger social 296 . Dès lors, ces peines étant évolutives, ellesimpliquent le risque qu'au fil de leur exécution, le lien de causalité entre la décision initiale et lemaintien en détention ou la réincarcération du condamné soit rompu rendant alors la détentionirrégulière aux fins de l'article 5 § 1 al.a 297 .La Cour a, par la suite, rangé dans les peines de type particulier également les peines dedétention pour la durée qu'il plaira à sa majesté « at during her majesty's pleasure”.Les peines pour la durée qu'il plaira à sa majesté « at during her majesty's pleasure »dans cette affaire, à la différence de l'affaire Weeks, la gravité des infractions commises ait été certaine). Lesrequérants étaient reconnus coupables de viol, tentative de viol, attentat à la pudeur sur des mineurs.292 Ibid., § 73.293 En effet, les juges anglais résument ainsi l'utilité de ce type de peines : « A n'en pas douter la raison d'êtred'une peine perpétuelle discrétionnaire consiste en ceci : dans des cas exceptionnels, les intérêts de la sécuritépublique ne sauraient se trouver suffisamment sauvegardés par le prononcé d'une peine à durée déterminée,même la plus longue possible - c'est-à-dire la peine, tarifée méritée à titre de châtiment et augmentée dans lamesure limitée où la jurisprudence autorise à le faire pour protéger le public ; il faut au contraire parer au<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...danger actuellement perçu de voir le détenu, après avoir purgé toute peine légale à durée fixe, rester une gravemenace pour la société s'il recouvre la liberté. On y parvient au moyen d'une peine perpétuelle permettant deprotéger le public en réévaluant le danger une fois expirée la période tarifée », Ibid., § 53.294 « Elles rangent la peine dans une catégorie spéciale et par conséquent la condamnation de l'intéressé diffèrepar là d'une peine perpétuelle infligée en raison de la gravité de l'infraction », CEDH, Weeks c. R.U., préc.,§46.295 Dans l'arrêt Weeks, elle avait déclaré : « La décision prise contre M. Weeks se compare à la mesureincriminée dans l'affaire Van Droogenbroeck - la mise d'un récidiviste ou d'un délinquant d'habitude à ladisposition du gouvernement belge - à ceci près qu'elle vaut pour la vie entière et non pour une période limitée.Le but légitime poursuivi - protection de la société et réinsertion des délinquants - et les effets sur lescondamnés sont essentiellement les mêmes dans les deux cas », Ibid., § 47.296 Dans l'arrêt Weeks, la Cour avait noté que les « éléments que les juridictions anglaises invoquèrentexpressément pour prescrire cette forme de privation de liberté peuvent, par leur nature même, évoluer à lalongue, tandis que la mesure restera en vigueur toute la vie de M. Weeks », CEDH, Weeks c. R.U., préc.,§§ 44- 46.297 « Si les décisions de non-élargissement ou de réintégration se fondaient sur les motifs inconciliables avecles objectifs du tribunal ayant prononcé la sentence, la détention du requérant perdrait son caractère régulieraux fins de l'article 5§1 al.a », CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 58.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


Ces peines sont prononcées uniquement à l’encontre des mineurs de moins de dix-huit ansconvaincus de meurtre. Bien que, contrairement aux peines précédentes, le prononcé d'une peineHMP soit obligatoire, la Cour a estimé qu'elle présente des caractéristiques similaires 298 . Elle a, àcette fin, tenu compte de la controverse en droit interne, à propos de son analyse, comme peine dedurée fixe ou de durée indéterminée. A l'appui de cette dernière, elle a invoqué les argumentssuivants. L'intitulé de cette peine : “ pour la durée qu'il plaira à sa majesté ” ; Le but préventif visépar la loi qui l'a instaurée 299 : la raison de l'institution de cette peine en droit anglais est d'éviter deprononcer une peine à perpétuité à des mineurs auteurs des crimes, tout en permettant de lesmaintenir en détention à vie, si les intérêts de la sécurité publique l'exigent, au vu de l'évaluation del'évolution de leur personnalité ; Et les motifs qui enferment un élément sécuritaire puisque cettepeine est également fondée sur la dangerosité de l'auteur et vise donc la protection de la société 300 .Or, la dangerosité sociale, élément évolutif en soi dans le temps, parce que fondée sur la personnalitéde la personne, l'est encore plus s’agissant des jeunes auteurs d’infractions. Le passage de l'âge jeuneà l'âge adulte implique en soi l'évolution de la personnalité vers la maturité : « Ne pas tenir comptedes modifications, qui interviennent inévitablement avec la maturité, signifierait que les jeunesdétenus seraient considérés comme privés de leur liberté pour le reste de leur existence ; ce qui, notaencore la Cour, pourrait poser des problèmes également au regard de l'article 3 de la Convention 301 ».Elle en a conclu que ce type de peines peut soulever des questions de légalité nouvelles 302 .Les peines perpétuelles obligatoiresLa peine perpétuelle obligatoire est appliquée en fonction uniquement de la gravité del’infraction : elle s’applique à tous les types d’homicide volontaire. Elle est instaurée par la loi de1965 pour remplacer la peine de mort supprimée par cette même loi -Murder (Abolition of DeathPenalty) Act 1965–.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La Cour a longtemps refusé de reconnaître à ce type de peine un caractère évolutif. Depuisl’arrêt Weeks (1987), elle n’avait pas cessé de comparer les peines perpétuelles discrétionnaires et lespeines HMP avec les peines perpétuelles obligatoires, pour ranger les deux premières dans la<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008298 Hussain c. R.U., n°21928/93, 21 février 1996, Recueil 1996-I.299 Ibid., §§ 23-24.300 Dans son rapport (R 21928/93, Abed Hussain/RU) 11.10.1994, §§ 50-54), la Commission avait mis l'accentsur les objectifs à la fois répressifs (rétribution imposée à cause de la gravité inhérente à l'infraction) etpréventifs (à cause du risque et de la dangerosité).301 Hussain c. R.U , préc., préc., § 53.302 « Le motif décisif pour le maintien en détention était, et continue d'être, sa dangerosité pour la société,élément susceptible d'évoluer avec le temps ; des questions nouvelles de légalité peuvent surgir au cours del'emprisonnement ; le requérant est alors en droit, en vertu de l'article 5 § 4, de saisir un tribunal compétentpour statuer, à des intervalles raisonnables sur la légalité de sa détention ”, Ibid., § 53. La Cour a consolidécette jurisprudence dans les arrêts suivants : Curley c. R.U., n° 32340/96, 28 mars 2000, §§32-35 ; CEDH,Oldham c. R.U., n° 36273/97, CEDH 2000-IX ; Hirst c. R.U. , n° 40787/9, 24 juillet 2001 ; CEDH, Benjaminet Wilson c. R.U., n°28212/95, CEDH 2002-IX.63


64catégorie des peines de type particulier. Dans l’arrêt Wynne (1994), elle avait expressément exclu lespeines perpétuelles obligatoires du champ d’application de l’article 5 § 4. Les raisons invoquées,pour justifier cette exclusion étaient, que ces peines étaient motivées uniquement par la gravité del’infraction 303 , que le but poursuivi était essentiellement répressif 304 et que la durée était déterminéepar la gravité de l’infraction et proportionnelle à celle-ci 305 .Mais dans l’arrêt suivant qu’elle a rendu en la matière, l’arrêt Stafford (2002), elle a marquéun revirement, en invoquant une application dynamique et évolutive de la Convention visant àassurer la protection des droits pratiques et effectifs et non théoriques ou illusoires ainsi qu’àaméliorer leur protection 306 , et tenant compte de l’évolution intervenue en matière de ces peines dansla législation et jurisprudence britanniques. Des réformes intervenues en Ecosse 307 et en l’Irlande duNord 308 ont aligné la situation juridique des condamnés à une peine perpétuelle obligatoire auxcondamnés à l’une des deux autres peines perpétuelles. Le rôle joué par le Ministre de l’Intérieurdans la fixation de la période punitive de ces peines est analysé comme l’équivalent du prononcé dela sentence, c’est-à-dire dans le même sens que dans les peines discrétionnaires 309 .Dès lors, plus rien ne distingue les peines perpétuelles obligatoires des deux types de peinesprécédents 310 , estima la Cour. Comme les deux autres, les peines perpétuelles obligatoires sontcomposées de deux périodes : l'une punitive et l'autre préventive 311 . A l’issue de la première, lemaintien en détention doit être motivé par des critères liés à la personnalité du condamné, à savoir ladangerosité et le risque qu’il présente pour le public 312 . Ces peines sont alors évolutives comme les303 Wynne c.R.U., n° 15484/89 18 juillet 1994, Série A294-A, § 35.304 Ibid.305 Ibid., § 51.306 Ibid., § 68.307 En Ecosse, la loi de 2001 sur le respect des droits consacrés par la Convention (Convention Rights, ScotlandAct 2001) dispose à présent que pour les peines perpétuelles obligatoires, le juge dont émane la sentence fixe la“ partie punitive ” de la sentence, au terme de laquelle la Commission de libération conditionnelle décide d'unéventuel élargissement sous condition. Le critère retenu pour déterminer si un détenu, peut ou non, être libéré,est identique à celui qui est appliqué aux personnes frappées d'une peine perpétuelle discrétionnaire enAngleterre et au Pays de Galles, à savoir la conviction de la Commission de libération conditionnelle que ledétenu ne présente plus un risque important de commettre des délits impliquant un danger pour la vie oul'intégrité physique d'autrui, ou de graves infractions à caractère sexuel.308 En Irlande du Nord, l'ordonnance applicable aux peines perpétuelles (Life Sentences, Northern Ireland,Order SI No. 2564) dispose que le juge du fond décide du tariff à appliquer aux détenus condamnés à une peineperpétuelle obligatoire, et que la libération au terme de la période punitive est décidée par les commissaires aucontrôle des peines perpétuelles (Life Sentence Review Commissioners) qui ont un statut et des fonctions trèssimilaires à ceux de la Commission de libération conditionnelle opérant en Angleterre et au Pays de Galles. Lecritère appliqué par les commissaires est celui de la protection du public contre tout “ grave préjudice ”, c'est-àdiretout dommage susceptible de découler de délits à caractère violent ou sexuel.309 CEDH, Stafford c.R.U., préc., § 77.310 Ibid., § 79.311 Ibid.312 Ibid., § 80.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


peines discrétionnaires et les peines HMP. Elles doivent par conséquent faire l’objet d’un contrôle delégalité de la détention à l’issue de la période punitive 313 .65Toutefois, le revirement de la jurisprudence de la Cour en matière de peines perpétuellesobligatoires en droit britannique dans l’arrêt Stafford ne permet pas de déduire l’extension del’application de l'article 5 § 4 dans l'ensemble des peines privatives de liberté. A moins de voir dansl’arrêt Léger une ouverture vers une telle reconnaissance, à tout le moins dans le cas de longuespeines.c. Vers la reconnaissance de l’applicabilité à tout type de détentionJusqu’à l’arrêt Léger (2006), il était clair que les détenus condamnés en Europe à une peineprivative de liberté, hormis les peines discrétionnaires et certaines peines perpétuelles au Royaume-Uni, n’avaient pas droit au contrôle juridictionnel de la légalité de leur détention dans le temps. LaCour l’avait clairement affirmé dans l’affaire Wynne :“ La peine obligatoire se range dans une autrecatégorie que la peine discrétionnaire en ce sens qu'elle est infligée automatiquement poursanctionner l'infraction d'assassinat, indépendamment de toute considération tenant à la dangerositédu délinquant 314 ”. Ces peines reposent exclusivement sur le motif de la gravité de l’infraction ; lapersonnalité de l’auteur n’entre pas en ligne de compte 315 . Quant à leur but, si la Cour avaitrelativisé l'exclusivité de ce but, en reconnaissant que l'on peut aussi voir dans les peines normalesun élément à la fois punitif et préventif, elle avait estimé que cela ne suffisait pas pour les rapprocherdes peines perpétuelles de durée indéterminée 316 . Leur but est essentiellement répressif 317 . Enfin,contrairement à la durée des peines perpétuelles discrétionnaires et des peines, qui est indéterminée(le terme de ces peines dépend de la cessation de la dangerosité que représente le condamné pour lasociété), la durée des peines ordinaires est fixe et proportionnelle à la gravité de l'infraction : « Leprincipe le plus important pour arrêter la longueur des peines perpétuelles de type normal est qu'elledoit refléter la gravité de l'infraction 318 » .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Ce raisonnement n’avait pas été mis en cause dans l’arrêt Stafford. Le raisonnement suividans ce dernier, visait à ranger les peines obligatoires dans les peines de type particulier et non àUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008313 Ibid., § 87.314 CEDH, Wynne c.R.U., préc., § 35.315 “ La peine obligatoire se range dans une autre catégorie que la peine discrétionnaire en ce sens qu'elle estinfligée automatiquement pour sanctionner l'infraction d'assassinat, indépendamment de toute considérationtenant à la dangerosité du délinquant ”, Ibid.316 Ibid.317 “ Les objectifs analysés plus haut de la peine perpétuelle discrétionnaire se distinguent des buts punitifs dela peine perpétuelle obligatoire ”, CEDH, Thynne, Wilson et Gunnell c. R.U. , préc., § 74.318 Ibid., § 51.


66étendre le droit à un contrôle de légalité à tous les condamnés à une peine privative de liberté. Eneffet, à côté des arguments en faveur du rapprochement de ces peines aux peines évolutives, la Coura souligné certaines différences avec les autres peines perpétuelles. D’abord, elle a estimé que lespeines perpétuelles obligatoires ne sont pas de vraies peines à perpétuité. Dans la réalité ellesn'imposent pas de sanctionner une personne par un emprisonnement à perpétuité, dès lors qu’àl’issue d’une certaine période, la personne concernée peut demander une mise en liberté 319 .Toutefois, l’arrêt Léger (2006) laisse entrevoir une possible évolution de la jurisprudencecorrélative vers la reconnaissance du caractère évolutif à toute condamnation, à tout le moins auxcondamnations de longue durée. Dans l’arrêt Léger, la Cour a, d’une part, rapproché les peinesassorties des périodes de sûreté appliquées en droit français des peines particulières susmentionnées.Les périodes de sûreté signifient que pendant leur durée, exécutée en première partie de la peine, toutélargissement est exclu. Ce qui, déclara-t-elle, est l’équivalent de la période tarifée des peines endroit britannique : « Bien que la peine du requérant ne fût assortie d’aucune période de sûreté,comparable au « tariff » anglais correspondant à l’élément punitif de la sentence, la Cour observeque d’autres éléments liés au ‘risque’ et à la ‘dangerosité’ ont justifié le maintien en détention durequérant 320 ». Elle a, d’autre part, reconnu un caractère évolutif à la peine perpétuelle en cause danscette affaire, alors qu’elle n’était pas accompagnée d’une telle période de sûreté. Cette instance arelevé qu’à l’issu d’un délai d’exécution de la peine en milieu fermé, la personne a droit dedemander une libération conditionnelle et que l’octroi de celle-ci est fondé sur l’appréciation de ladangerosité et du risque de récidive de l’intéressé. Or « l’élément de dangerosité peut, par sa nature,évoluer à la longue 321 », a-t-elle fait remarquer.Ainsi, alors que l’arrêt Wynne, la Cour avait estimé que le fait que des droits internes offrentdiverses possibilités permettant à la personne de ne pas passer le reste de sa vie en prison, n'altère pasla distinction entre les peines particulières et les peines ordinaires 322 , l’arrêt Léger permet de voir une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...319 En effet la Cour est revenue sur l’analyse faite de ces peines dans l’arrêt Wynne. La conclusion à laquelleelle était parvenue dans l'affaire Wynne, à savoir que la peine perpétuelle obligatoire constituait une sanction àperpétuité, ne peut plus passer pour refléter la situation réelle du détenu frappé de cette peine dans le systèmenational de justice pénale, CEDH, Wynne c.R.U., préc.320 CEDH, Léger c. France, préc., § 74.321 La Cour a, dans l’arrêt Léger, jugé que tel a été le cas (en examinant le respect de la légalité au sens del’article 5 § 1 a), d’une personne maintenue en détention pendant quarante et un ans, tout en reconnaissant qu’ils’agissait d’une durée jugée exceptionnellement longue, CEDH, Léger c. France, préc., § 76. « Précisément, enl’espèce, l’octroi de la libération conditionnelle au requérant accordé en 2005 est fondé sur le fait que soncomportement n’est plus un obstacle à sa libération et que le risque de récidive est devenu quasimentinexistant » ; « S’il est vrai que ces motivations accordent de la place à l’amendement du requérant, plus qu’àsa resocialisation, fondement de l’esprit de l’article 729 du CPP tel qu’issu de la loi du 15 juin 2000, la Courobserve qu’elles ne sont pas dénuées de lien avec la dangerosité du requérant que les juridictions se devaientd’apprécier », CEDH, Léger c. France, préc., § 75.322 “ Il n'en demeure pas moins que la peine obligatoire se range dans une autre catégorie que la peinediscrétionnaire en ce sens qu'elle est infligée automatiquement pour sanctionner l'infraction d'assassinat,indépendamment de toute considération tenant à la dangerosité du délinquant ”, CEDH, Wynne c.R.U., préc.,§ 35.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


67évolution. Il en découle que du moment où les droits nationaux prévoient l’octroi d’une mesured’élargissement après un certain temps d’exécution de la peine privative de liberté fondé surl’évaluation de la personnalité et le risque de récidive, l’article 5 peut être applicable.En tout cas, une telle évolution serait conforme à l’esprit des systèmes pénaux européens qui,quasiment tous, prévoient une durée à partir de laquelle un condamné à une peine privative de libertépeut demander à bénéficier d’une libération conditionnelle 323 . D’ailleurs, le droit français, mais aussile droit grec, en font partie. Les deux prévoient l’octroi de cette mesure fondé, essentiellement surl’évaluation de la personnalité de l’intéressé (de ses possibilités à se réinsérer et de sa dangerositépour la société).Mais pour l’instant, le champ d’applicabilité du droit au contrôle de la légalité de ladétention demeure encore limité. Ce qui confirme également l’examen des aspects précis del’exécution de la détention susceptibles d'être soumis à un tel contrôle.2. Application déterminée par la nature de la décision concernéeL’exercice du contrôle de légalité vise à garantir que le lien de causalité entre, d’une part, lesmotifs et les buts d’une décision privative de liberté et, d’autre part, la détention subsiste tout au longde la détention. Une personne ne doit pas se trouver privée de sa liberté pour des motifs autres queceux sur lesquels est fondée la décision initiale de la privation de liberté, ni d’en rester privée pluslongtemps qu'il n'est nécessaire au regard des buts poursuivis 324 .Aussi, des mesures doivent-elles être prévues, permettant l’élargissement anticipé d’uncondamné. Les décisions tant d’octroi, de refus, que de révocation de ces mesures doivent êtreentourées des garanties du contrôle requis par l’article 5 § 4. De ce fait, des mesures d’aménagementde peine, considérées jusqu’à un stade de la jurisprudence européenne comme des modalitésd’exécution de peine, et exclues alors du champ d’application de la Convention 325 , peuvent y entrerpar leur considération comme des mesures déterminantes pour la liberté de la personne.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Jusqu’à présent, un tel droit n’a toutefois été clairement reconnu qu’à la libérationconditionnelle et cela dans le cadre des peines considérées comme évolutives (a). En revanche, les323 SENAT, La libération conditionnelle, Étude de législation comparée n° 152, Service des études juridiques,novembre 2005.324 « L'existence des garanties revêt la plus grande importance pour que le report de la libération soit conformeau but de l'article 5 § 1 et en particulier qu'il n'ait pas une durée excessive », CEDH, Johnson c. R.U., 24 oct.1997, § 63.325 Ainsi la Commission estimait que « dans la Convention ne figure ni le droit à la libération conditionnelle nile droit à la remise d'une peine », D 4165/69 (X/RFA), D.R., 34. Considération qu’elle avait réitéré à propos durefus d'accorder la libération conditionnelle à un détenu souffrant du sida, D 22564/93 (Grice/R.U), D.R.77-B,14.4.94, p. 90.


68décisions relatives aux réductions de peine, qui pourtant contribuent indirectement à moduler ladurée de la détention, ne sont pas encore expressément reconnues comme déterminantes pour lalégalité de la détention (b). Enfin, il convient de souligner qu’un contrôle européen peut êtreindirectement exercé sur ces deux mesures, à savoir la libération conditionnelle et la réduction depeine. Il peut l’être par l’applicabilité de l’article 7 de la Convention dans le contrôle de nonrétroactivité des lois pénales ayant un impact sur l’application de ces mesures, ainsi que par lerespect du procès équitable (art. 6) lors du prononcé de certaines sanctions disciplinaires qui peuventavoir un impact sur les réductions de peine et/ou sur la libération conditionnelle (c).a. Contrôle de légalité requis du maintien en détention et de la réincarcération dans le cadre despeines évolutivesDès lors qu’une peine est de caractère évolutif, l’article 5 impose l’exercice d’un contrôle delégalité pour s’assurer que le lien entre, d'une part, les motifs et les buts de la décision initiale et,d'autre part, la continuité de la détention ou la révocation des mesures de mise en liberté, n’a pas étérompu avec le temps. La déclaration de la Cour à ce propos, dans l'arrêt Weeks, est parmi les plusillustratives : « Le rapport juridique formel entre la condamnation de M. Weeks en 1966, et saréincarcération dix ans plus tard, ne suffit pas à justifier la détention contestée au regard de l'article5 § 1, al.a. Le lien de causalité qu'exige cet alinéa, risquerait de se rompre à la longue, si une décisionde non-élargissement ou de réintégration n'arrivait à se fonder sur des motifs inconciliables avec lesobjectifs du tribunal dont émanait la sentence. En pareil cas, l'emprisonnement régulier à l'origine semuerait en une privation de liberté arbitraire et, dès lors, incompatible avec l'article 5 326 ».Il importe alors de déterminer sur quels aspects et à quel moment un contrôle juridictionneldoit être exercé.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Les aspects contrôlés<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Ce qui a été clairement établi c’est que le maintien en détention au bout d’un certain temps,d’une personne condamnée à une sanction évolutive, et la révocation d’une mesure d’élargissement,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008telle que la libération conditionnelle, doivent faire l’objet d’un contrôle de légalité de la détention ausens de l’article 5 §1, §4. Car les décisions corrélatives mettent en jeu le passage d'un état de libertévers un état privatif de liberté, et vice-versa.Le droit au contrôle juridictionnel de la réincarcération. Il a été le premier aspect à proposduquel, la cour a reconnu l’applicabilité de l’article 5 § 4 dans le cadre de l’exécution d’unedétention après condamnation. Cette reconnaissance a eu lieu, d’abord dans le cadre de l’exécution326 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 48.


69des mesures de défense sociale 327 et, ensuite, dans les peines discrétionnaires en droit britannique 328 .La révocation de la libération conditionnelle équivaut à une « nouvelle détention », avait-elle déclarédans l'arrêt Weeks, un des plus marquants de sa jurisprudence en la matière. Hormis le fait d'être lepremier à avoir donné lieu à l'applicabilité de ce droit également dans le cadre d'exécution d'unepeine privative de liberté, il est également le seul, rappelons-le, qui ait, jusqu'à présent, donné lieu àla qualification expresse de la vie sous régime de libération conditionnelle comme un état deliberté 329 .Le droit à un contrôle juridictionnel du maintien en détention. Ce contrôle, automatique ousur demande, de la justification du maintien en détention au bout d’un certain temps d’une personnecondamnée à une sanction évolutive, a été, pour la première fois appliqué dans l'arrêt Thynne, Wilsonet Gunnell 330 . La Cour avait déclaré que l'intéressé « doit pouvoir saisir un tribunal compétent pourstatuer sur l'existence ou l'absence d'un manquement à la légalité ; il doit en avoir la faculté pendantsa détention, à savoir un certain temps après le début de celle-ci, puis à des intervalles raisonnables,ainsi qu'au moment d'un ré-internement éventuel s'il se trouvait en liberté… 331 ».Concernant l’étendue du contrôle européen, cela dépend du modèle de la libérationconditionnelle. S’il est discrétionnaire, les autorités nationales disposent d’une grande marged’appréciation, y compris l’application des critères flous, sur lesquels la Cour n’entend pas exercerun contrôle 332 . En effet, dans l’arrêt Léger, la Cour a rejeté les griefs de l’illégalité du refusd’accorder une libération conditionnelle, estimant que cette décision relève de la marged’appréciation des juridictions internes saisies de cette demande, puisque la France applique lemodèle discrétionnaire de la libération conditionnelle.Les moments de l'exercice du contrôle<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Bien que la Cour ait précisé qu'un contrôle de légalité doit être exercé, « ....un certain tempsaprès le début de la détention, puis à des intervalles raisonnables, ainsi qu'au moment du ré-<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008327 CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc.328 CEDH, Weeks c. R.U., préc.329 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 40.330 La Cour a réitéré le principe que « les requérants avaient droit, en vertu de l'article 5 § 4, à saisir un tribunalcompétent pour statuer sur la légalité tant de leur maintien en détention, à des intervalles raisonnables, qued'une réincarcération éventuelle », CEDH, Thynne, Wilson et Gunnell c. R.U. , préc., § 76.331 CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 48 ; CEDH, Kurt c. Turquie, préc., § 123 ; CEDH,Varbanov c. Bulgarie, préc., § 58 », Kolanis c. R.U. , préc., § 80.332 A propos du critère d’absence de reconnaissance ou amendement : « A cet égard, la Cour observe d’embléequ’il n’y a pas un système unique de libération conditionnelle dans les Etats membres du Conseil de l’Europe.En France, la procédure de libération conditionnelle est dite discrétionnaire car elle exclut tout automatisme dela libération, elle comporte de ce fait le risque de se voir appliquer des critères d’octroi à une libérationconditionnelle un peu flous », CEDH, Léger c. France, préc., § 70.


internement... 333 », la détermination du moment de son exercice et de la périodicité ne manquent pasde demander à être précisées.70Le moment variable du premier contrôle de la légalité du maintien en détention. Ce momentn’est pas déterminé. A la lumière de la jurisprudence de la Cour, elle dépend du type decondamnation. Dans le cas des peines perpétuelles discrétionnaires et celles de détention HMP, lepremier contrôle doit être exercé, au plus tard, au moment de l'achèvement de la période punitive 334 .En revanche, tel peut ne pas être le cas, s'agissant de mesures de sûreté. S’agissant descondamnations assorties de telles mesures, comme c’est le cas des délinquants mentaux, unedétention transitoire peut être justifiée entre la fin de la période répressive et le transfert dans un lieuapproprié pour l’exécution de la mesure de sûreté. Les autorités nationales ne sont pas obligées, ni destatuer immédiatement après l’expiration de la phase répressive 335 , ni d’exécuter immédiatement untel transfert. Cela dit, la phase transitoire doit être courte et ne pas compromettre les chances detraitement, ni impliquer le risque de voir prolonger le maintien en détention. Toutefois, le délai dupremier contrôle dans les peines à perpétuité peut être très long. La Cour a justifié dans l’arrêt Léger,la durée de détention la plus longue qu’elle ait connue : quarante et un an. Tout en la qualifiantd’« exceptionnellement longue », elle a jugé qu’elle n’a pas constitué une violation de l’article 5 § 1al.a de la Convention 336 .Le « bref délai » après la réincarcération. La détermination de ce moment ne semble pasposer de difficultés. Ce contrôle, s'il n'a pas été exercé avant la réincarcération, doit l'être,conformément à l'article 5 § 4, dans un “ bref délai ” après celle-ci. Selon la jurisprudence de laCour, ne peuvent passer pour un délai bref au sens de l'article 5 § 4, ni un délai de cinq mois 337 , ni dedeux mois 338 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Les « intervalles raisonnables » du contrôle du maintien en détention. Cette exigence estégalement fondée sur le “ bref délai ” prévu par l’article 5 § 4 de la Convention. Selon la Cour, ladite<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...333 Ibid., § 58. Voir CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 48 ; CEDH, Kurt c. Turquie, préc., § 123,CEDH, Varbanov c. Bulgarie, préc., § 58 ; CEDH, Kolanis c. R.U. , préc., § 80.334 CEDH, Thynne, Wilson et Gunnell c. R.U. , préc., § 76.335 Le requérant s'était plaint d'illégalité de sa détention après l'expiration de la période de cinq ans fixée aumoment de sa condamnation (fondée à la fois sur les infractions commises et le risque de récidive). Maisconformément au droit norvégien, le tribunal d'arrondissement avait, sur demande du Procureur, ordonné laprolongation de sa détention à trois reprises, pour quelques semaines chaque fois. Son maintien en détentionfut ainsi prolongé pendant plus de deux mois et demi (entre le 25 février 1990 et le 15 mai 1990). Or, la Cour aestimé que le moment de rupture de légalité ne se situe pas forcément au moment de l'expiration de la périodefixée par la décision initiale de condamnation. Une période peut s'écouler entre la fin de celle-ci et le contrôlede la légalité de la poursuite de la détention, CEDH, Eriksen c. Norvège (n°2), préc., § 86.336 Cette instance a jugé qu’au regard de la marge d’appréciation que la Convention leur reconnaît…, lesmotivations antérieures des experts n’avaient pas été « déraisonnables » dès lors qu’ils « n’excluaient pas aveccertitude une dangerosité du requérant compte tenu de ses traits de caractère et de sa personnalité », CEDH,Léger c. France, préc., § 76.337 CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 36.338 CEDH, E c. Norvège (n°1), préc., §§ 65-67.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


expression implique non seulement que le tribunal compétent rende sa décision rapidement, maisaussi qu’un nouveau contrôle ait lieu à des “ intervalles raisonnables ” 339 . Cela dit, il est impossible àla Cour de fixer une durée maximale. Celle-ci dépend du type de détention et des circonstances dechaque cas d’espèce 340 . Notons que la périodicité des détentions relevant uniquement de l'article5 § 1 al.a, peut être plus espacée que celles relevant à la fois de l'article 5 § 1 al.a et al.e, à savoircelles des condamnés souffrant de troubles mentaux. Ainsi, s’agissant de détentions uniquementrépressives, la Cour a considéré comme non raisonnables des durées aussi bien de vingt et un mois 341que de deux ans 342 . En revanche, dans le cas des détentions poursuivant un but égalementthérapeutique, la jurisprudence de la Cour, permet de déduire que cette durée doit être inférieure à unan. Le traitement thérapeutique accentue l'effet du temps sur l'évolution de la personnalité ducondamné. Ainsi, alors qu’elle a jugé conformes à l’article 5 § 1 les intervalles de six mois avec lapossibilité de l’intéressé d’en faire la demande à tout moment (arrêt Silva Rocha 343 ), elle a condamnéles intervalles d’un examen annuel obligatoire sans donner la possibilité à l’intéressé de faire lademande d’un contrôle juridictionnelle entre temps (Johnson 344 ).A part la libération conditionnelle, qui permet l’examen du maintien ou pas d’une personneen détention, l'applicabilité de l'article 5 § 4 dans les autres mesures d’aménagement de peine,pourtant modulant la durée de la détention, n’est pas encore expressément requise.b. Contrôle non expressément requis dans les mesures modulant indirectement la durée de ladétentionEn examinent plus loin, le droit grec et le droit français, nous observerons qu’un nombre demesures d’aménagement des peines, autres que la libération conditionnelle, sont égalementdéterminantes pour la durée de la détention. Elles le sont en modulant soit la durée de lacondamnation, soit celle de l’accès à la libération conditionnelle. Tel est clairement le cas de lamesure de réduction de peine. Or, en l’état actuel de la jurisprudence européenne relative, parexemple, à la mesure des réductions de peine, il n’est pas encore certain que ces mesures doivent êtresoumises au contrôle juridictionnel de la légalité de la détention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200871339 CEDH, Hirst c. R.U. , préc., §§ 36-37 ; CEDH, Oldham c. R.U., préc., §§ 28-30 ; CEDH, Herczegfalvy c.Autriche, 24 sept. 1992, Série A n°242-B, § 75.340 CEDH, Hirst c. R.U. , préc., § 38. Voir CEDH, Oldham c. R.U., préc., § 31 ; CEDH, Sanchez-Reisse c.Suisse, 21 octobre 1986, Série A n o 107, § 55.341 CEDH, Hirst c. R.U. , préc., § 44 .342 CEDH, Oldham c. R.U., préc., § 37.343 Cet aspect fut examiné uniquement au regard de l'article 5 § 1. La Cour, ayant conclu à l'absence deviolation de ce paragraphe, n'a pas jugé utile de l'examiner également sous l'angle de l'article 5 § 4, CEDH,Silva Rocha c. Portugal, n° 18165/91, 15 nov. 1996, Recueil 1996-V, §§ 26-32.344 CEDH, Johnson c. R.U., préc., § 66.


72Cette mesure est, jusqu'à présent, analysée comme un privilège 345 . En comparant, à cepropos, la situation du détenu condamné à celle d'un soldat, la Commission avait déclaré : “La pertede remise de peine ne constitue pas une privation de liberté ; un détenu, contrairement à quelqu'uneffectuant son service militaire, est privé de sa liberté pour toute la durée de sa peine ; toute remisede peine pour bonne conduite est un simple privilège et la perte de celle-ci ne modifie en rien lajustification initiale de la détention 346 ”.Il convient pourtant de noter que la jurisprudence Grava (2003), qui reste à confirmer,permet de nuancer cette analyse. L’approche de la réduction de peine pourrait dépendre du caractèrediscrétionnaire ou pas de l’octroi de ces mesures. En l’absence de marge d’appréciation, le refus desautorités compétentes d’accorder ces mesures ou de les prendre en compte dans le calcul de la duréede la peine exécutée, serait considérée comme soulevant un problème de légalité de la peine au sensde l’article 5. En revanche, si l’octroi de ces mesures relève d’une décision des autorités basée surune appréciation discrétionnaire de la personne intéressée, le refus d’accorder ces mesures nesoulèverait pas des questions de légalité. Ce refus relèverait de la marge du pouvoir d’appréciationdes autorités nationales. En effet, dans l’affaire Grava, relative aux remises de peine dont le bénéficeest automatique et ne dépend pas d’une appréciation des autorités compétentes, la Cour a jugé àpropos de la privation qui a résulté d’un mauvais calcul des juridictions compétentes, qu’elle posaitun problème de légalité au sens de l’article 5 § 1, al.a de la Convention 347 .Toutefois, indépendamment du contrôle de légalité requis par l’article 5 § 4 de laConvention, la libération conditionnelle et la réduction de peine peuvent se trouver sous le contrôleeuropéen par le biais des articles 6 et 7.c. Contrôle européen de certaines mesures d’aménagement de peine par l’applicabilité des articles 6et 7 de la Convention<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La libération conditionnelle peut tomber sous le contrôle européen par la protection de la<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...légalité des peines consacrée par l’article 7 de la Convention, et la réduction des peines par lagarantie du procès équitable au sein de l’article 6 applicable à certaines sanctions disciplinaires quipeuvent porter atteindre au bénéfice de cette mesure.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008345 Selon la Commission, « la perte de remise de peine ne saurait être considérée comme une privation deliberté puisque la remise est considérée comme un privilège », D 8317/78 (McFeeley, Nugent, Hunter/Ru),D.R. 20, p. 45 et s. ; D 6224/73 (Kiss/RU), 16.12.1976, D.R. 7, p. 71.136 . D 6224/73, (Kiss/RU), préc., p. 71.347 En l’occurrence, cette privation résultait d’un mauvais calcul des juridictions compétentes : ce calculdépendait, en l'espèce, de la solution de questions juridiques complexes, concernant notamment la possibilitéd'additionner une condamnation à d’autres précédemment infligées au requérant, CEDH, Grava c. Italie, préc.,§§ 43-46.


Le bénéfice des réductions de peine des garanties du procès équitable par leur applicabilité dans leprocès disciplinaire pénitentiaire73Les réductions de peine peuvent bénéficier des garanties du procès équitable indirectement.Tel peut être le cas, si elles font l’objet d'une sanction directe ou indirecte pour des infractionsdisciplinaires commises par les détenus. Si tel est le cas, la Cour reconnaît que ces sanctionsprolongent la détention au-delà de la date espérée pour la mise en liberté. Elles peuvent alors êtreassimilées à des sanctions privatives de liberté. Si bien qu’elles font tomber le procès disciplinairedans le domaine d’application du procès équitable au sens de l’article 6 de la Convention.Ce qu’a jugé la Cour dans l’arrêt Campbell et Fell (1984 348 ) et confirmé dans l’arrêt Ezeh etConnors (2002). Pour parvenir à cette qualification, elle avait adopté une approche pragmatique etnon formelle. C'est-à-dire qu’elle ne s'est pas arrêtée à la “ distinction entre un droit et unprivilège ”, en affirmant qu'elle “ ne lui est pas d'un grand secours ”, et que “ la pratique observée encette matière importe davantage 349 ”. Dans la pratique, cette mesure a un impact réel sur la durée dela peine privative de liberté. Tout détenu a droit à en bénéficier. Si bien qu'à moins de perdre desjours de réduction de peine en raison de son comportement en détention, il sera élargi à la date qu'onlui indique au début de l'incarcération, suscitant ainsi en lui « l'expectative légitime de trouver saliberté avant la fin de la période d'emprisonnement à purger ». Dès lors, déclara la Cour, si la « peineinitiale d'emprisonnement reste la base légale de la détention et que rien n’est venu s'y ajouter, iln'empêche qu'en réalité la perte de remise aboutit à prolonger la détention 350 ». Cette conséquenceétant lourde pour la durée de la détention, en tout cas, tel a jugé cette instance, avoir été le cas dansces deux affaires, elle a conclu qu’elle doit être considérée comme pénale aux fins de la Convention.Car « en prolongeant la détention bien au-delà de ce qui eût été le cas sans elle, la sanction s'estapparentée à une privation de liberté même si juridiquement elle n'en constituait pas une 351 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En revanche, les décisions relatives à la libération conditionnelle sont, quant à elles, exclues,de l’applicabilité de l’article 6. Elles sont analysées comme « des décisions s'inscrivant dans laprocédure d'exécution de la décision initiale de condamnation du requérant » qui n’est pas couvertepar cet article 352 . Elles peuvent néanmoins tomber dans le champ d’application de l’article 7.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le bénéfice possible de la libération conditionnelle de l’applicabilité de la légalité des peines ausens de l’article 7 de la Convention348 CEDH, Campbell et Fell c. R.U, 28 juin 1984, Série A, n° 80.349 Ibid., préc., § 72 ; CEDH, Ezeh et Connors c. R.U, n os 39665/98 et 40086/98, CEDH 2002-VII, § 93.350CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc., § 72 ; CEDH, Ezeh et Connors c. R.U, préc., § 88.351CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc., § 72 ; CEDH, Ezeh et Connors c. R.U, préc., § 99.352 « L'article 6 de la Convention ne couvre pas la procédure d'exécution d'une peine infligée par un tribunalcompétent », D 27019/95 (Slimane KAID/France), 15.5.1996.


L'application de l'article 7, qui consacre le principe de non-rétroactivité en matière pénale,continue à être écartée par la jurisprudence européenne en matière d’aménagement des peines. Ceprincipe a été invoqué par un détenu condamné à perpétuité devant la Commission pour la perte de« chances raisonnables d'être admis au bénéfice de la liberté conditionnelle dans le délai escompté »,suite à une réforme de la politique en matière de la libération conditionnelle 353 . Une nouvelle loivenait de rallonger la durée minimale de la peine exécutée avant qu'une demande de mise en liberténe soit examinée. Cela a eu comme conséquence le report considérable de la libérationconditionnelle du requérant et son nouveau transfert dans une maison centrale alors qu'il étaitincarcéré dans un établissement de type ouvert, pour préparer sa sortie. Il reprochait alors à cettenouvelle législation d'avoir eu des effets rétroactifs sur sa condition pénale dès lors qu' « elle aaugmenté sa peine par rapport à celle qui lui était applicable au moment de la commission de soninfraction 354 ». La Commission avait rejeté cette analyse en estimant que « le changement de lapolitique en matière de libérations conditionnelles ne modifie en rien le fondement juridique de sadétention qui demeure sa condamnation à la réclusion à vie 355 ». Ces mesures ne concernent que lesmodalités d’exécution d’une peine.L’affaire Kafkaris, qui soulevait une question similaire, ayant été déclarée recevable par laCour en 2006, avait laissé prévoir une évolution de la jurisprudence européenne en la matière 356 .Mais l’arrêt de la Grande Chambre ne permet pas encore d’entrevoir une évolution dans ce sens 357 .En conclusion sur le contrôle de la légalité des mesures d’aménagement des peines, nouspouvons défendre l’idée que le raisonnement de la Cour développé à propos de l'examen de laréduction de peine au regard de l'article 6, nous semble pouvoir être utile à propos de l'examen decette mesure ainsi que de celle de la libération conditionnelle au regard également de l'article 5. Dansle raisonnement au sein de l’article 6 § 1, la Cour a passé outre la qualification formelle de laréduction de peine dans les droits internes optant pour une analyse pragmatique afin d'assurer audroit au procès équitable une protection réelle et efficace et non théorique et illusoire. On aurait alorspu s'attendre à ce qu'elle en fasse autant à propos de la protection du droit à la liberté. Ce qui luiaurait permis de considérer que les décisions relatives à l'octroi, au refus, au retrait ou à la révocationde ces mesures relèvent du champ de protection de ce dernier droit. Dans la pratique, leur<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200874353 D 11653/85 (Peter Hogben/RU), préc., p. 231.354 Ibid.355 Ibid.356 Condamné à perpétuité, ce requérant a vu sa peine devenir à durée indéterminée, alors que le règlementpénitentiaire, à l’époque de sa condamnation, prévoyait que les peines à perpétuité étaient entendues commedes peines de vingt ans maximum. C’est cette durée qui lui avait été notifiée au moment de son incarcérationsuite à sa condamnation. Mais entre temps, ce règlement avait été modifié, et cette limitation du tempsd’exécution des peines à perpétuité a été supprimée. De surcroît, cette suppression n’a pas été accompagnéedes dispositions garantissant la possibilité de demander une libération conditionnelle. Seule la mesure de grâceprésidentielle demeure possible, CEDH, Kafkaris c. Chypre, (déc.), préc.357 CEDH, Kafkaris c. Chypre, [GC], préc.


églementation est claire : tout détenu doit en bénéficier. Si bien que tout détenu est légitimementfondé à espérer qu'il sera mis en liberté avant le terme légal de sa peine par le biais de ces mesures.75D'autant que si l'on se réfère au critère qui détermine l'application de l'article 5 § 4 dans lecadre de l'exécution d'une peine privative de liberté, celui d'évolutivité de la détention, force est deconstater que les critères sur lesquels sont fondées les décisions relatives au bénéfice d'une réductionde peine ou d'une libération conditionnelle sont de nature à accorder un caractère évolutif à toutedétention. L'observation de la personnalité du condamné est au centre de ces décisions tout commedans le cadre d'exécution des peines et mesures auxquelles la Cour a reconnu un caractère évolutif.Ces décisions sont essentiellement fondées sur l'observation du comportement du détenu et surl'évaluation du risque de récidive et de son aptitude à mener une vie normale. Si la Cour refuse dereconnaître que les décisions relatives à la réduction de peine et surtout à la libération conditionnellesont déterminantes pour le respect du droit à la liberté dans l'ensemble des peines, non seulement elledéroge à l’un des principes qu'elle a adoptés dans l'interprétation de la Convention, à savoirl'adoption d'une approche pragmatique, mais encore, elle feint d'ignorer que le traitement del'ensemble des détenus condamnés est un objectif qui demeure largement valable dans la politiquepénitentiaire européenne. C'est donc ne pas accorder d'importance ou très peu, à ses effets, en yattachant aucun intérêt juridiquement protégé. Enfin, indépendamment de la politique de traitementdes détenus, ne pas tenir compte du temps dans l'exécution de l'ensemble des peines, c'est nier ce quiest propre à la vie : l'évolution.Pour l’instant, la déclaration de la Cour dans l'arrêt Weeks, à savoir qu'une personnecondamnée à la privation de liberté ne perd pas la protection du droit à la liberté, demeure limitée.D'autant qu’il s’y ajoute l’inapplication quasi-totale d’un contrôle juridictionnel des conditionsmatérielles d'exécution des peines.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>B. Application quasi-exclue dans le contrôle de la légalité matérielle de la détention<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Si l'élaboration d'un sens européen autonome des notions d'état privatif de liberté et delégalité de détention a permis au droit à la liberté de marquer une brèche dans le cadre de l'exécutionUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d'une mesure ou peine privative de liberté, son application s'arrête devant les conditions matériellesde la détention. Ce contrôle ne porte pour l’instant que sur le lien entre, d’une part, les motifs et lesbuts de la décision privative de liberté, et d’autre part, le lieu et le régime de détention, et est limité àdeux types de détention : à la détention à but éducatif (art. 5 § 1, al.d) et à la détention à butthérapeutique (art. 5§1, al. e). Les conditions matérielles de détention répressive, soit la majoritéécrasante, n'entrent pas en ligne de compte pour apprécier le caractère arbitraire de la privation deliberté, et donc la légalité de la détention (1). Or, nous estimons que cette limitation du champ


d'application du droit à la liberté n’est pas sans susciter de forts doutes sur le caractère renforcé de saprotection par rapport à la majorité des droits consacrés par la Convention (2).761. L'approche non-matérielle de la légalité de la détentionEn ce qui concerne l'applicabilité de l'article 5 dans le contrôle de l'organisation de la viedans les trois institutions fermées, la caserne, l'hôpital psychiatrique et la prison, la seule à propos delaquelle la Cour n'a pas émis de doutes, est la caserne.Partant du constat qu'à la différence de l'internement psychiatrique et de l'incarcération, « leservice militaire ne constitue point par lui-même une privation de liberté au regard de laConvention 358 », elle a estimé que, si la vie en caserne « entraîne en raison de ses impératifsspécifiques, d'assez amples limitations à la liberté de mouvement des membres des forces armées »,« des limitations ne pouvant être imposées aux civils » 359 , elles ne constituent cependant que desrestrictions à la liberté de circulation au sens de l'article 2 du Protocole n° 4 360 . Les conditions de viedans cette institution n'étant pas en elles-mêmes constitutives d'un état privatif de liberté, ladistinction entre privation de liberté et non-privation de liberté reste donc opérationnelle. Afind'établir cette distinction, la Cour se réfère à la notion de normalité des conditions de vie en caserne.« Les restrictions normales dont la vie en caserne s'accompagne ne tombent pas... sous le coup del'article 5 361 ». En revanche, les restrictions en « net écart » des conditions normales peuvent, quant àelles, être constitutives d'un état privatif de liberté. Tel peut, par exemple, être le cas de certainesmesures ou sanctions dont peuvent être frappés les militaires et soldats. Pour le savoir, la Cour tientcompte des critères suivants : la nature, la durée, les effets et les modalités d'exécution de la sanctionou mesure considérée 362 . Elle a ainsi jugé dans l'arrêt Engel et autres qu' « une sanction ou mesuredisciplinaire qui s'analyserait sans conteste comme une privation de liberté, si on l'appliquait à uncivil peut ne pas avoir un tel caractère si on l'inflige à un militaire ; elle n'échappe cependant pas àl'article 5 quand elle se traduit par des restrictions s'écartant nettement des conditions normales de lavie au sein des forces armées des Etats contractants 363 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La question de l'application de l'article 5 dans les hôpitaux psychiatriques et les prisons sepose en des termes bien différents. Ces deux institutions considérées comme étant des lieux de358 La Cour y a accordé une importance déterminante dans l'arrêt Engel et autres puisqu'elle a tenu compte quela caserne ne figure pas parmi les cas de privation de liberté autorisés par l'article 5 : « quand ils ont élaboré,puis, conclu la Convention, les Etats contractants possédaient dans leur très grande majorité des forces dedéfense », CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 57, § 59.359 Ibid, § 57, § 59.360 Ibid., § 58.361 Ibid.362 « Pour savoir s'il en est ainsi, il y a lieu de tenir compte d'un ensemble d'éléments tels que la nature, ladurée, les effets et les modalités d'exécution de la sanction ou mesure considérée », Ibid., § 59.363 Ibid.


privation de liberté, il n'y a pas de place pour la distinction entre état privatif de liberté et état deliberté dans leur enceinte. La Commission fut catégorique en s'exprimant à ce propos sur la prison :« Les conditions normales de la vie pénitentiaire représentent, contrairement aux conditionsnormales de la vie militaire, une privation de liberté, quelle que soit la liberté dont le prisonnier peutbénéficier dans le cadre de la prison 364 ». Or, si l'on ne peut qu'acquiescer à l'exclusion d'un tel motifdans l'application du droit à la liberté au sein d’une prison donnée, on peut se demander si le respectde ce droit n'est pas pour autant mis en jeu à propos de décisions quant au choix de la prison et durégime de la détention. Nous estimons que tel devrait être le cas dès lors que la notion de légalité dela détention au sens européen comporte des critères permettant d'élargir le champ de protection dudroit à la liberté : de la protection contre la décision de priver quelqu'un de sa liberté jusqu’à laprotection contre certaines conditions matérielles de son exécution. Il s'agit en particulier du critèrede respect du lien entre, d'une part, les motifs et les buts de la privation de liberté et, d'autre part, lelieu et le régime de détention. Or, ce critère a donné lieu à un certain contrôle de la légalité matériellede la détention, seulement dans des détentions à but mixte, à savoir à la fois pénal et éducatif outhérapeutique (a) distinctes donc de la détention uniquement pénale (b).a. Approche matérielle partielle de la légalité de la détention à but éducatif ou thérapeutiqueCe n’est que dans la détention à but éducatif (détention des mineurs), et la détention à butthérapeutique (détention des malades mentaux), que la Cour estime que la légalité implique lerespect du lien entre ces motifs et buts de la détention, et le lieu et régime de détention. Lespersonnes concernées peuvent alors faire prévaloir le droit à la liberté pour faire respecter cet aspectde légalité de leur détention.S'agissant de la détention à but éducatif (art. 5 § 1 d.), la Cour, après avoir réaffirmé que « larégularité implique aussi la conformité de la privation de liberté au but des restrictions que permetl'article 5 § 1 », a déclaré que ce type de détention doit avoir lieu dans « un milieu spécialisé (ouvertou fermé) qui jouisse de ressources suffisantes, correspondant à sa finalité 365 ». Ainsi, dans l'arrêtBouamar, elle avait conclu que « le placement d'un jeune homme dans une maison d'arrêt en régimed'isolement et sans assistance d'un personnel qualifié, ne saurait être considéré comme tendant à un<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008but éducatif quelconque 366 ». De même, dans l’arrêt D. G., de préciser que la détention des mineurs àbut éducatif doit avoir lieu dans des « institutions appropriées répondant aux exigences de sécurité etd’éducation » 367 : Si « éducation surveillée » n’est pas synonyme d’enseignement de type scolaire,77364 D 7754/77 (X/Suisse), 9 mai 1977, D.R. 11, p. 219.365 CEDH, Bouamar c. Belgique, préc., § 50.366 Ibid., § 52. (Bouamar c. Belgique, préc)367 CEDH, D.G. c. Irlande, n o 39474/98, CEDH 2002-III, § 79.


elle n’est pas non plus synonyme de placement dans une institution pénale, qui offre seulement lapossibilité d’une éducation (facultative), et où la personne est soumise à la discipline générale 368 .78Quant à la détention à but thérapeutique, alors qu'initialement la Cour avait catégoriquementécarté l'application de l'article 5 pour contrôler le traitement estimant que « le droit d'un patient à untraitement adapté à son état ne saurait se déduire en tant que tel de l'article 5 § 1 al.e) 369 », elle a, parla suite, affirmé que le respect de la légalité implique que l'internement doit avoir lieu dans unétablissement approprié du point de vue thérapeutique : « En principe, la "détention" d'une personneen tant que malade mentale ne sera "régulière", au regard de l'alinéa e du §1, que si elle se dérouledans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié 370 ». Cela dit, eu égard à sajurisprudence en la matière, force est de constater que, pour que la légalité de la détention soit miseen cause pour ce motif, il faut que les conditions matérielles soient telles qu'elles ne se distinguentguère des conditions de vie dans un simple lieu de détention. Ce que la Cour a rarement jugé avoirété le cas. La première fois fut, en 1998, dans l'arrêt Aerts. Le requérant a été détenu dans l'annexepsychiatrique d'une prison où les conditions de vie, y compris les soins médicaux, ne se distinguaientguère de ceux assurés à l'ensemble de la population carcérale de cette prison. La Cour avait estiméque les preuves apportées à ce propos « montrent à suffisance que l'annexe psychiatrique de la prisonen question ne pouvait pas être considérée comme un établissement approprié à la détentiond'aliénés : ces derniers n'y bénéficient ni d'un suivi médical ni d'un environnement thérapeutique 371 ».Si bien que « il y a eu rupture du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquellescelle-ci s'est déroulée 372 ». En 2002, cette instance confirmait cette jurisprudence s’agissant demaintien en détention ordinaire d’une personne qui devrait à l’expiration de la durée répressive de sasanction, être transférée dans un établissement approprié 373 .Ces arrêts ont, par ailleurs, établi que le droit au recours juridictionnel au sens de l'article5 § 4 doit être assuré non seulement lorsque le requérant réclame sa mise en liberté mais aussilorsqu'il réclame son transfert dans un autre établissement, un établissement approprié 374 . Toutefois,la garantie de ce droit est limitée dans la demande d’un transfert dans un “ lieu de détentionapproprié » ; elle n’implique pas la demande vers un « lieu de détention plus approprié ». Si, dansl'arrêt Aerts, le retard du transfert d'un établissement de détention ordinaire vers un hôpital<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008368 Ibid., § 81.369 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 51.370 Car il doit exister un certain lien entre, d'une part, le motif invoqué pour la privation de liberté autorisée et,de l'autre, le lieu et le régime de détention ”, CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 46. Voir Ashingdane c. R.U.,préc., § 44.371 CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 49.372 Ibid.373 CEDH, Morsink c. Pays-Bas, préc.374 « Le litige devant les juridictions belges ne se limitait pas à la question du transfert du requérant, maisportait en substance sur la légalité de la privation de liberté », CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 59. VoirCEDH, Morsink c. Pays-Bas, préc.


79psychiatrique, donc vers un établissement « approprié », a été considéré par la Cour comme unedétention arbitraire, tel n’a pas été le cas, dans l’arrêt Ashingdane. Dans ce dernier, le requérantmettait en cause le refus de son transfert d’un hôpital psychiatrique vers un autre plus approprié.En outre, s'agissant des détentions qui doivent avoir lieu dans un établissement approprié, lesimple constat qu'elles aient lieu dans un établissement inapproprié ne suffit pas pour les entacherd'arbitraire. Il faut de surcroît, tenir compte de leur durée. La détention dans un lieu inapproprié peut,comme pour la détention transitoire susmentionnée, être justifiée si elle a lieu à titre provisoire etqu'elle est de courte durée. En effet, c'est en tenant compte non seulement des conditions dedétention, mais également de la durée de celle-ci (neuf mois) que la Cour a conclu dans l'arrêt Aertsqu'« il y a eu rupture du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci s'estdéroulée 375 ».Si une certaine évolution vers la prise en compte des conditions matérielles dans ladétermination de la légalité de la détention est ainsi marquée dans la privation de liberté à butthérapeutique et à but éducatif, tel n'est guère le cas dans la privation de liberté à but répressif ousécuritaire.b. Absence totale d’une approche matérielle de la légalité de la détention pénaleLe critère de lien entre, d'une part, les motifs et les buts de privation de liberté et, d'autrepart, le lieu, le régime mais aussi les conditions matérielles de la détention, n'entre pas en ligne decompte dans le contrôle de la légalité. Quelles que soient les conditions matérielles dans lesquelles ladétention se déroule et les différences de régime entre deux établissements ou à l'intérieur d’unétablissement, elles sont qualifiées de simples modalités d'exécution de la privation de liberté.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Absence de contrôle du choix du type d’établissement<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Cela fut confirmé par la Cour dans l'arrêt Bizzotto. Le requérant se plaignait de la violationde l'article 5 § 1 de la Convention du fait qu'il a été incarcéré, dans une prison ordinaire, alors qu'enUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008tant que toxicomane, il devrait, conformément à la législation grecque, être incarcéré dans une prisonspécialisée, où il pourrait recevoir un traitement adéquat à son état de santé 376 . En effet, le tribunalavait, en application de la loi n°1729/1987, ordonné son “placement dans un établissementpénitentiaire approprié ou autre établissement hospitalier public pour qu'il soit soumis à une cure dedésintoxication”. Or, alors que le raisonnement de la Commission avait laissé entrevoir une évolution375 CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 49. Voir aussi, CEDH, Bouamar c. Belgique, préc., § 50 ; CEDH,Morsink c. Pays-Bas, précité, dans lequel il s’agissait d’une détention durant quinze mois dans un centre dedétention ordinaire malgré un ordre de confinement dans une clinique surveillée.376 D 22126/93, (Bizzotto/Grèce), 2.12.94.


80vers la mise en cause de la légalité de ce type de détention au motif du caractère inapproprié del'établissement dans lequel elle a lieu 377 , la Cour a coupé court à une telle expectative. Elle a analyséla loi en question comme ayant un « caractère humanitaire », en tout état de cause, comme ayant traitaux « modalités d'application des peines » qui n'entrent pas en ligne de compte pour déterminer lalégalité de la détention au regard de l'article 5 378 .Absence de contrôle des régimes d’exécution renforcés d’une détention pénaleDans la prison, quel que soit le régime d’exécution (ordinaire ou renforcé), ou le type desanction disciplinaire (y compris le mitard), ne s’analysent pas comme des situations mettant en jeula légalité de la détention. Il n’y aurait pas un régime de détention « ordinaire » qui, même si elleconstitue un état privatif de liberté, serait le seul à correspondre à la légalité de la détention pénale ;si bien que les régimes spéciaux ou les sanctions militaires mettraient en cause la légalité de ladétention.Ainsi, en ce qui concerne la question de l'isolement carcéral et des sanctions disciplinaires, lajurisprudence européenne est constante. Alors que, selon les allégations des détenus, il s'agirait des« peines supplémentaires et illégales parce que non prononcées par un tribunal 379 », pour lajurisprudence européenne, il s'agit d'une simple modification apportée aux conditions d'une détentionlégitime, au pire une aggravation 380 ». Elles ne peuvent donc relever que du champ de protection del'article 3 381 ou de l'article 8 de la Convention 382 . Toutefois, dans l’arrêt Bollan (2000), la Cour touten confirmant cette jurisprudence a laissé entendre qu’une évolution n’est pas exclue : « La Courn’exclut pas que des mesures adoptées dans une prison puissent dans des circonstancesexceptionnelles s’analyser en une atteinte au droit à la liberté 383 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>C’est seulement par le biais de la notion d’accusation en matière pénale que le prononcé decette sanction peut être entouré de garanties juridictionnelles de même valeur que celle dans l’article5 § 4. Il s’agit de garanties du procès équitable (art. 6 § 1). Cela est possible, non en raison de sa<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...377 R (Bizzotto/Grèce), 4 juillet 1995.378 Elle a précisément déclaré qu'elle « énonce de simples modalités d'application de la peine : or de tellesmodalités, si elles peuvent parfois tomber sous le coup de la Convention, notamment lorsqu'elles sontincompatibles avec l'article 3 de celle-ci, ne sauraient, en principe, influer sur la "régularité" d'une privation deliberté », CEDH, Bizzotto c. Grèce, préc., § 34.379 D 1392/62 (X/RFA), 14.7.1965, D.R. 17, p. 1 ; D 11691/85 (René Pelle/France), 10.10.86, D.R. 50, p. 264 ;D 20978/92 (J.U./France), 21.10.1993.380 « En conséquence, les mesures disciplinaires infligées au requérant qui purgeait une peine, ne sauraient êtreconsidérées comme constituant une privation de liberté, ces mesures ne représentent que des modificationsapportées aux conditions d'une détention légitime », D 7754/77 (X/Suisse), préc., p. 219.381 D 11691/85, (René PEllE/France), préc. ; D 20978/92 (J.U/France), préc.382 « La Commission estime que cet élément du concept de vie privée s'étend au domaine de la détention et quel'interdiction faite aux requérants d'entretenir des contacts avec d'autres, constitue donc, à cet égard, uneingérence dans l'exercice de leur droit à la vie privée », D 8317/78, (McFeeley/RU), 1980, D.R. 20, p. 45.383 CEDH, Bollan c. RU, n° 42117/98, CEDH 2000-VI.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


81nature et de son régime, mais en raison de son impact, sur la détermination de la durée de la peinepar le biais de son incidence sur la mesure des réductions de peine ou sur celle de la libérationconditionnelle. Cette incidence peut être soit systématique soit discrétionnaire. Rappelons que tel aestimé la Cour avoir été le cas dans l’arrêt Campbell et Fell à propos d’une telle sanction qui avaitété prise en compte défavorablement dans l’évaluation de la personnalité de l’intéressé. Accusé demutinerie, il a été sanctionné, entre autres, par la perte de cinq-cent soixante-dix jours de remise depeine 384 .Or, pour la Cour, la date de mise en liberté espérée à été prolongée de manière siconsidérable que cette « sanction s'est apparentée à une privation de liberté, même si juridiquementelle n'en constituait pas une 385 ». Elle doit alors passer pour pénale aux fins de la Convention.Absence de contrôle des conditions de vie en général dans une prisonLes conditions de vie matérielles de détention demeurent hors de la protection du droit à laliberté. Tant pour la Commission que pour la Cour, « les conditions de détention peuvent tombersous le coup de l'article 3 de la Convention, mais elles ne sont pas régies par les termes de l'article5 § 1 386 ». A ce propos, fait figure d'exception dans la jurisprudence européenne, la décision renduepar la Commission dans une affaire relative à la détention en vue d'extradition. Le détenu demandaitsa mise en liberté provisoire arguant l'incompatibilité de son état de santé avec la détention. Cetteinstance avait estimé que le requérant était en droit de demander « le contrôle de la légalité de ladétention au sens de l'article 5 § 4 de la Convention 387 ». Mais sa jurisprudence antérieure etpostérieure est marquée par le refus constant d'examiner sous l'angle de l'article 5 des griefs relatifsaussi bien à la santé 388 , qu'aux conditions sanitaires en général 389 ou au surpeuplement carcéral 390 . Laquestion des conditions matérielles comme celle de l’isolement sont examinées uniquement sousl’article 3 de la Convention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Nous estimons cependant que l'inapplication totale du droit à la liberté pour contrôler lesconditions de vie en prison ne manque pas de susciter certaines interrogations.2. Les interrogations<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008384 CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc, § 72.385 Ibid., §§ 71-72.386 D 7754/77 (X/Suisse), préc., p. 219 ; CEDH, Bizzotto c. Grèce, préc., § 34.387 D 9862/82 (Sanchez-Reisse/Suisse) 18.11.1983, D.R.34, p. 191.388 Dès lors qu’un médecin déclare le détenu apte à la détention, D D 4165/69 (X c/RFA) 25.5.1969, Rec. 34,p. 11 ; D 4280/69 (X c/Autriche), 13.7.1970, Rec. 35, p.161.389 R 6870/75, (Y/RU), 14.5.1977, DR 10, p. 37, § 178,§ 181.390 Ibid. § 177.


82Le fait que les conditions matérielles de l'exécution d'une décision ne fassent pas partie de lanotion de légalité de la détention, suscite une première interrogation : le but de l'article 5, qui estd’assurer une protection renforcée au droit à la liberté, ne commande-t-il pas l'adoption d'une légalitédans un sens également matériel ? (a). La deuxième interrogation concerne la légalité du sens del'article 7 : dans quelle mesure cette limitation de la protection de l’article 5 n'affecterait-elle pasl’efficacité de la protection du principe de légalité des peines consacré par l'article 7 de laConvention dès lors qu'en dépend la détermination du contenu de la peine privative de liberté (b).a. Au regard de la légalité de la détention au sens de l’article 5 de la ConventionAlors que l'article 5 vise à assurer au droit à la liberté une protection renforcée par rapport àla majorité des droits et libertés consacrés par la Convention, les limites constatées dans sonapplication nous permettent d'en douter. Pour que l'article 5 assure effectivement une protectionrenforcée, il devrait pouvoir permettre de contrôler non seulement la décision de priver quelqu'un desa liberté ou de le mettre en liberté, mais aussi de contrôler le contenu que cette ingérence puisserevêtir matériellement. Or, la protection assurée par cet article repose uniquement sur la limitationdes motifs et des buts pour lesquels la privation de la liberté peut être autorisée, ainsi qu'àl'application des garanties de procédure adaptées. Elle n'inclut pas la limitation de l'ampleur quel'ingérence dans l'exercice de ce droit puisse revêtir. Elle présente en cela une différence notable parrapport aux droits et libertés qui ne bénéficient que d'une protection relative.Concernant les ingérences dans l'exercice de ces derniers, nous allons voir qu’une limiteabsolue est posée : la sauvegarde de leur substance. Elle signifie que, quels que soient les motifs etles buts invoqués, une ingérence ne peut pas atteindre une ampleur telle qui serait l’équivalent d’uneprivation de leur exercice. Or, cette clé de sauvegarde est absente dans les ingérences à l'exercice dudroit à la liberté. Seul le critère de durée permet de contrôler le degré de ces ingérences et celauniquement lorsqu'il s'agit d'une détention évolutive. Certes, le terme “ privation ” de liberté prête àune interprétation qui signifie que c'est la privation, et non, seulement, la restriction de la liberté quiest autorisée. D'ailleurs, la Cour utilise cette distinction pour différencier le droit à la liberté du droità la liberté de circulation, en précisant que les simples restrictions ne constituent que des ingérences<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008dans l'exercice de cette dernière. Cependant, nous estimons que cela n'empêche pas d'utiliser le degrécomme référence également dans l'appréciation des atteintes dans l'exercice du droit à la liberté.Avec cette différence que ce degré ne serait pas qualificatif de l'état privatif de liberté mais del'illégalité matérielle de la détention.Il pourrait en être ainsi, si l'on appliquait à l'ensemble des détentions le critère de régime dedétention approprié et si l'on érigeait en référence de la légalité également la notion de conditionsnormales de vie en détention. D'autant que, d'une part, les droits nationaux offrent cette possibilité :


ils font la distinction entre détention en régime commun et détention en régimes spéciaux ou régimesde sécurité renforcée ; et ils tiennent compte lors du choix de l'établissement d'affectation desdétenus, de critères comme le sexe, l'âge, l'état de santé, ou la longueur de la peine. D'autre part,certains juges européens ont suggéré l'évolution de la jurisprudence européenne vers l'adoption d'unelégalité matérielle. Ce fut explicitement le cas à propos du traitement médical des malades mentaux.Du fait que le seuil minimum exigé pour qu'un agissement ou situation tombe sous le coup del'article 3 de la Convention est assez élevé, le juge Kierman avait proposé une approche matérielle dela notion de légalité. Celle-ci permettrait d’examiner la question du traitement, également au regardde l'article 5 : « Indépendamment du recours à l'article 3 de la Convention, dont la mise en oeuvreexige jusqu'à présent la réunion d'éléments d'une particulière gravité, le traitement médical subi ounon par un interné doit relever également, et en premier lieu, de l'article 5 391 ». Or, si comme nousvenons de le voir, un certain progrès est amorcé dans ce sens, dans le cadre de l'internement desmalades mentaux, ce n'est point le cas dans le cadre de la détention pénale.Rappelons cependant à ce propos, l'interrogation du juge Pettiti lors de son avis dissidentémis dans l'affaire Ashingdane : « En droit commun pénitentiaire, pourrait-on considérer qu'unedétention décidée judiciairement reste régulière si un détenu, au lieu d'être placé dans unétablissement pénitentiaire correspondant, suivant la loi interne, à la sanction prononcée, se trouveplacé dans un lieu de réclusion affecté aux peines de réclusion perpétuelle ou placé à l'intérieur de laprison et de façon permanente dans une cellule de punition ou de privation sensorielle ? ».Pourtant tel est encore le cas. Les conditions matérielles d'exécution de la peine privative deliberté n'affectent pas la légalité de la détention. Il faut attendre qu'elles aient atteint des effets asseznuisibles pour la santé ou l'intégrité physique, pour qu'elles tombent dans le champ de protection del’article 3 de la Convention. Or, l'application de l'article 5, non seulement permettrait de prévenir detels effets, mais aussi et certainement, de mieux garantir aux détenus le sentiment de justice. Laforme que l'exécution d'une peine privative de liberté peut prendre va du régime de semi-liberté àl'isolement carcéral, en passant par la détention en prison de type ouvert ou de type fermé, et par ladétention en régime commun, en régimes spéciaux ou en régimes de sécurité renforcée. On ne peutdonc pas nier que les décisions relatives au choix de ces régimes contribuent à déterminer le sens de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008la détention. Elles devraient alors être analysées comme déterminantes pour la légalité de ladétention afin qu'elles puissent faire l'objet d'un contrôle juridictionnel.83Cette extension du contrôle juridictionnel devrait être d'autant plus facilement intégrée dansles droits internes que, tout en contribuant au renforcement de la protection des détenus contrel'arbitraire, elle ne limite pas véritablement le pouvoir des Etats de recourir à la privation de liberté.En effet, le but de cette extension étant de contrôler l'aménagement des conditions d'exécution de la391 Ibid.


peine privative de liberté, son impact sur la légalité de la détention pourrait être limité. Elleentraînerait, ainsi que l'avaient souligné certains membres de la Commission dans l'affaireAshingdane, une illégalité partielle de la détention : « Il s'agirait du moins d'un cas d'illégalitépartielle d'un degré tel qu'il contreviendrait à la notion de légalité figurant à l'article 5 § 4 de laConvention 392 ». Si bien que le moyen d'y remédier ne sera pas nécessairement la mise en liberté dela personne mais simplement le réaménagement des conditions d'exécution de la peine, et l'extensiondu droit de réparation pour détention illégale fondé sur l'article 5 § 5 de la Convention 393 . L'arrêtAerts a ouvert la voie au droit à la réparation pour illégalité matérielle de la détention au motif qu'ellea eu lieu dans un établissement inapproprié, mais en application de l'article 6 § 1. Le requérant s'étaitégalement plaint de la violation du droit d'accès à un tribunal garanti par ce dernier article en raisondu refus d'aide juridictionnelle pour exercer un pourvoi contre la décision de rejet de sa demande detransfert vers un établissement approprié et d'indemnisation pour détention illégale. La Cour a estiméque le litige était de caractère civil dès lors qu'il portait sur la légalité de la privation de liberté etavait comme objet l'obtention d'une indemnité pour détention illégale 394 .L'approche matérielle de la légalité de la détention nous paraît d'autant plus impérative que,s’agissant de la privation de liberté à titre de peine, dépendent d’une telle approche outre l'efficacitéde la garantie du droit à la liberté, également le respect du principe fondamental du droit pénal : leprincipe de légalité des peines.b. Au regard du principe de légalité des peines au sens de l’article 7 de la ConventionL'objectif de ce principe étant de prémunir les individus contre l'arbitraire, au sens den'encourir que des peines prévues au moment de la commission d'une infraction, la question quesuscite la peine privative de liberté est la suivante : ce principe se contente-t-il de nommer une peineou exige-t-il également la précision de son contenu ? Il nous semble évident que ce principe n'a desens que lorsqu'on l’interprète comme exigeant également la définition substantielle des peines ;c'est-à-dire lorsque l'intitulé d'une peine correspond à un contenu précis, voire très précis. Car laprotection contre l'arbitraire ne peut être atteinte que lorsqu'on peut également dénoncer lesdépassements du contenu de la peine lors de son exécution. A ce propos, il est intéressant de citer<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008cette observation de la Commission européenne des droits de l'homme. Elle avait jugé pertinent derappeler qu'au cours des débats de la rédaction de l'article 9 du Pacte relatif aux droits civils et84392 Opinions dissidentes de Sampaio, Melchior et Weitzel, dans le rapport de la Commission sur l'affaireAshingdane c. R.U., précitée.393 Sur l'organisation de ce droit en droit français, voir entre autres, A. GIUDICELLI, « L'indemnisation despersonnes injustement détenues ou condamnées », La surpopulation carcérale, (Dir. Ph. Mary et Th.Papathéodorou), Bruyland, 1999, pp. 87-98.394 CEDH, Aerts c. Belgique, préc., §§ 57-60. L'applicabililté de l'article 6 § 1 dans les procédures de demandede réparation pour détention illégale fut confirmée dans l'arrêt Rushiti c. Autriche, (n° 28389/95, CEDH 2002-III.


85politiques, qui correspond à l'article 5 de la Convention, certains pays avaient remarqué que les mots« prévus par la loi » ne suffisaient pas à assurer la garantie contre les abus car “ n'importe queldictateur serait disposé à accepter un article ainsi conçu 395 ”. Nous considérons que cette observationest, à plus forte raison, pertinente dans la détermination du principe de légalité des peines.Or, pour l'instant, cette peine ne reçoit qu'une délimitation indirecte de son contenu : celleentraînée par la protection des autres droits protégés par la Convention. Mais il convient d'observerqu'il ne peut s'agir que d'une limitation négative par rapport à la liberté au sens large, et aucunementd'une définition qui réponde au but du principe de légalité des peines. De surcroît, les autres droits neconcernent qu'une partie de la liberté au sens large. Dès lors, dans le cas des personnes privées deliberté, on ne peut pas prétendre que tout ce qui n'est pas interdit par le jeu de protection de ces droitsest légal au regard du droit à la liberté. Les autres droits et libertés protégés ne couvrent qu'une partieinfime des aspects composant la vie carcérale. Enfin, ainsi que la doctrine l'a souligné, et nous leconstaterons tout au long de l’examen du respect des autres droits et libertés, l'application de laConvention ne protège les détenus que contre de graves violations des droits et libertés qu'elleconsacre. Cela a comme conséquence que « le point névralgique de la protection des droits desdétenus se déplace : il émane moins des atteintes “ lourdes ” aux libertés que des atteinteslégères 396 ».L'approche matérielle de la légalité de la détention ne peut certes pas remédier à cettedéfaillance intrinsèque de la notion même de liberté, notion par essence indéfinissable 397 . Pour lemoins, elle contribuerait à limiter la part d'arbitraire.Toutefois, le fait que, malgré l'application extrêmement limitée du droit à la liberté à l'égarddes détenus condamnés, ce droit demeure actif, et qu'une évolution vers son applicabilité dans les casdes peines privatives de liberté obligatoires n'est pas exclue, commande d'examiner les garantiesprocédurales de recours au sens de l'article 5 § 4 de la Convention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008395 R 6870/75,(Y/RU), préc., § 229 (réf: Procès verbaux des Nations-Unies, ECOSOC, Rapport de la5 ème session de la Commission des Droits de l'Homme, supplément n° 10, Lake success, mai-juin 1949, Doc.E/1371, pp. 31-33 (b) ).396 R. ROTH, « La judiciarisation de l'exécution des peines », in Présence et actualité de la Constitution dansl'ordre juridique, Helbing et Lichtenhahn, Faculté de Genève, 1991, pp. 301-322. Et R. RYSSDAL, Allocutionprononcée au cours de la conférence organisée par la Faculté de droit de l'Université de Potsdam,3-5 juin 1992, portant sur la protection des Droits de l'Homme en Europe, Conseil de l'Europe, Doc.Cour(92)173, p. 11.397 Voir à ce propos notre étude “ Symbole et verbe au sein du droit. A propos des lieux de détention et deslieux fermés et de la notion de privation de liberté dans la jurisprudence européenne ”, préc., pp. 1607-1625.


86§ 3 Les garanties procédurales du contrôle de la légalité de la détentionLa Cour réitère dans sa jurisprudence que quiconque est privé de liberté a droit à uncontrôle de la légalité de sa détention par un tribunal. Cette garantie est fondamentale pour atteindrel’objectif qui sous-tend l'article 5 de la Convention : la protection contre l'arbitraire 398 .Ce droit au recours consacré par l'article 5 § 4 présente cette particularité, par rapport auxdeux autres recours prévus par la Convention, à savoir le droit au procès équitable (art. 6 § 1) et ledroit de recours devant une instance nationale (art. 13) : il est spécialement prévu pour la protectiondu droit à la liberté 399 ; son objectif est d’assurer la protection de ce droit par l'application desgaranties de procédure adaptées 400 ; et il fait partie intégrante des conditions de sa protection. Celasignifie que la violation de ces garanties procédurales constitue une violation du droit à la liberté. Sibien que, contrairement aux deux autres recours, son application ne dépend pas de la conditionpréalable de “ la défendabilité du grief de la violation ” alléguée : “ Le bénéfice de la procédurevoulue par l'article 5 § 4 ne dépend pas de l'existence de bonnes et sérieuses raisons de nier lalégalité d'une détention. Il s'agit précisément du problème sur lequel doit statuer la juridictioninterne 401 ”.Avant de déterminer les garanties requises pour le respect de ce droit, notons d'abord, queles instances européennes partent du principe que la Convention n'impose pas aux Etats un systèmeprécis de contrôle de la légalité de la détention : “ Il n'entre pas dans les attributions de la Cour derechercher en quoi consisterait en la matière, le système de contrôle judiciaire le meilleur ou le plusadéquat, car différents moyens de s'acquitter de leurs engagements s'offrent au choix des Etatscontractants 402 ”. Elle n'en exige pas moins que le système adopté offre des garanties adaptées etefficaces. Des garanties qu'il n'est pas nécessaire, a encore précisé la Cour, d'observer à tous lesstades d'une procédure. C'est par l'examen des garanties offertes dans l'ensemble de la procédure quele respect de l'article 5 § 4 est apprécié : “ Dans des affaires antérieures, la Cour a reconnu lanécessité d'une vue globale du système en jeu devant elle car les lacunes d'une certaine procédurepeuvent être comblées par les garanties offertes par d'autres 403 ” .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008398 CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 64 ; CEDH, Kurt c. Turquie, préc., § 123 ; Filip, préc., § 70.399 « Il est clair que l'article 5 § 4 a pour objet d'assurer aux individus arrêtés ou détenus le droit à unevérification juridictionnelle de la légalité à la fois formelle et matérielle de la détention », CEDH, X c. R.U..,préc., § 55.400 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 78.401 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 66.402 CEDH, X c. R.U.., préc., § 53.403 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 69.


87Ces garanties imposent deux observations. Premièrement, elles peuvent être plus souplesque celles exigées par l'article 6 404 (à l'exception de celles concernant les délais 405 ), mais elles sontplus strictes que celles exigées par l'article 13 406 . Deuxièmement, il n'est pas nécessaire qu'ellessoient identiques dans chaque type de privation de liberté 407 . Elles dépendent, d'une part, de la naturede la privation de liberté - “ ses modalités peuvent varier d'un domaine à l'autre 408 ”, et d'autre part,de la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule 409 . Elles diffèrent, parexemple, selon qu'il s'agit d'une privation de liberté à titre pénal ou non 410 ; de sa durée fixe ouindéterminée 411 , de la gravité de l'enjeu (comme l'implication des conséquences déshonorantes 412 ) oude sa durée 413 . L'important est que la procédure appliquée revête un caractère judiciaire et donne àl'individu des garanties adaptées à la nature de la privation dont il est question 414 .Plus précisément, les garanties que le recours de contrôle de légalité prévu par l'article5 § 4 doit assurer dans son ensemble ont trait, d'une part, à l'accès à un tribunal (A), et d'autre part, àla procédure suivie devant le tribunal (B).A. L' « accès effectif » devant un « tribunal »La première garantie exigée par l'article 5 § 4 est l'accès devant une instance, « ...sansquoi, une personne ne jouira pas des garanties fondamentales de procédure appliquées en matière deprivation de liberté 415 ». Cette garantie est d'autant plus requise que, à la différence de l'article 6 § 1,404 « Les instances judiciaires relevant de l'article 5 § 4 peuvent ne pas être toujours accompagnées de garantiesidentiques à celles que l'article 6 § 1 prescrit pour les litiges civils et pénaux », CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 60 ; CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 68.405 « Les exigences de l'article 5 § 4 apparaissent à certains égards plus strictes que celles de l'article 6 § 1,notamment en matière de délai », CEDH, Golder c. R.U., préc., § 33.406 « La Cour a jugé que les requérants n'ont pas bénéficié d'un traitement conforme aux exigences de l'article5 § 4 ; dans cette mesure elle ne croit pas devoir rechercher s'il y a eu violation de l'article 13 », CEDH, DeWilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 95.407 « L'étendue des obligations que l'article 5 § 4 impose aux Etats contractants n'est pas forcément identique en<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>toutes circonstances, ni pour chaque type de privation de liberté », CEDH, X c. R.U., préc., § 52 ; CEDH, DeWilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 78 ; CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 61 ; CEDH, Bouamar c.Belgique, préc., § 60.408 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 53 ; CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 61.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...409 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 76 ; CEDH, Bouamar c. Belgique, préc., § 57 ;CEDH, Wintrerwerp c. Pays-Bas, préc., § 57 ; CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 47.410 La Cour, après avoir constaté que “ la nature de la privation de liberté ici ressemble à celle infligée par unejuridiction pénale ”, a conclu que “ la procédure applicable ne devait pas fournir de garanties sensiblementinférieures à celles qui existent en matière pénale dans les Etats membres du Conseil de l'Europe ”, CEDH, DeWilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 79.411 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 58, Voir aussi : D n° 4898/71 (X/Autriche), 2.4.1973, Rec. 43.412 Dans l'arrêt De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, il a été souligné que la mesure d'internement présentaitla gravité de l'enjeu d'une longue peine privative de liberté, assortie des conséquences déshonorantes, DeWilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 79.413 Ainsi dans l'arrêt Van Droogenbroeck, la Cour a accordé une importance à part au fait que l'intéressérisquait de subir une privation de liberté allant d'un jour à dix ans, CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique,préc., § 48.414 CEDH, Lanz c. Autriche, n°24430/94, CEDH 2002-I, § 42.415 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 60.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


88à propos duquel la Cour a dû se livrer à un long syllogisme juridique pour déduire qu'il consacreimplicitement l'accès au tribunal, dans l'article 5 § 4 cela est explicite : « Toute personne privée de saliberté par arrestation ou détention a le droit d'introduire un recours devant un tribunal afin qu'ilstatue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale ».Il ne suffit cependant pas que les droits internes prévoient un tel recours. Il faut que sonexercice donne effectivement accès devant une instance (1), précisément devant un tribunal au sensde l'article 5 § 4 (2).1. L'accès « effectif »Eu égard à la jurisprudence européenne, pour que l'accès devant un tribunal soit effectif, ilfaut que l'existence d'un recours soit suffisamment certaine (a), qu'il puisse être exercé à desintervalles raisonnables (b), rapidement (c) et qu'il puisse être fondé sur chacun des élémentsdéterminants pour la légalité de la détention au sens européen (d).a. Accès suffisamment certainIl ne suffit pas que la législation d'un pays prévoie le droit de recours devant un tribunalnational ; il faut de surcroît que son exercice soit suffisamment certain : “ Une voie de recours, ausens de l'article 5 § 4 de la Convention doit exister avec un degré suffisant de certitude pour fournir àl'individu concerné une protection appropriée contre une privation arbitraire de liberté 416 ”. Quant àla possibilité de l'intéressé de saisir lui-même un tribunal, elle est appréciée positivement par laCour 417 . Mais elle n'est pas obligatoire. Dans l'arrêt Weeks, la Cour a jugé que, bien qu'en droitanglais la Commission de libération conditionnelle ne puisse être saisie que par le ministre del'Intérieur, le fait qu'il y soit obligé si l'intéressé dépose des observations écrites, rend l'accès devantcette instance suffisamment certain 418 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...b. Accès à des intervalles raisonnablesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Dans les détentions de caractère évolutif, le droit au contrôle ultérieur de la légalité dumaintien en détention doit pouvoir être exercé dès que de « nouvelles questions de légalité sont416 CEDH, E. c. Norvège, 29 août 1990, Série A n o 181-A, § 60.417 CEDH, Silva Rocha c. Portugal, préc., § 30. Alors que tel ne fut pas le cas dans, par exemple, l'arrêtJohnson, où la Cour a constaté que l'intéressé était privé de toute possibilité de faire examiner la légalité de sadétention en dehors des examens annuels obligatoires, CEDH, Johnson c. R.U., préc., § 66.418 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 65.


susceptibles de se poser » 419 , et, par la suite, à des « intervalles raisonnables » 420 . En cas derévocation d’une libération conditionnelle, il doit avoir lieu dès le retour en prison 421 .89c. Accès rapideL'accès rapide est prévu à trois reprises par l'article 5 de la Convention. La personne arrêtéedoit être informée des raisons de son arrestation dans “ le plus court délai ” (art. 5 § 2) ; être“ aussitôt ” traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité (art. 5 § 3) ; et le tribunal saisi doitstatuer sur la légalité de la détention dans un “ bref délai ” (article 5 § 4). La rapidité d'accès devantle tribunal n’est pas expressément prévue par ce dernier paragraphe. Mais elle l'est implicitement.L'exigence que le tribunal statue dans un bref délai perdrait de son utilité si l'accès rapide n'était paségalement garanti 422 .d. Accès ouvrant un contrôle de l'ensemble des points de légalité au sens européenIl va de soi que, dès lors que le but de ce recours est qu'un tribunal puisse contrôler lalégalité de la détention au sens européen, son exercice doit pouvoir être fondé sur chacun deséléments qui déterminent ce sens. De cela dépendent non seulement l'accès effectif devant untribunal, mais aussi l'étendue des pouvoirs dont celui-ci doit disposer.2. Le « tribunal »En interprétant le terme “ tribunal ” prévu par l'article 5 § 4, la Cour a réitéré l'affirmationfaite à propos de ce même terme employé dans l'article 6. Par “ tribunal ” la Convention n'entend pas“ nécessairement une juridiction de type classique intégrée aux structures judiciaires du pays ” 423 . Enrevanche, l'autorité de recours doit avoir un caractère judiciaire. Ce caractère s'apprécie au regard despouvoirs et garanties de procédure qu'elle présente 424 : “ La Convention se sert du mot tribunal dans<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...419 CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 66.420 CEDH, Weeks c. R.U., § 58 ; CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 66, Voir : CEDH, Kurt c. Turquie,préc., § 123 ; CEDH, Varbanov c. Bulgarie, préc., § 58.421 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 58.422 « Le Délai Raisonnable en droit grec » (au sens des articles 5-3° et 6-1° de la Convention européenne desdroits de l'homme), Rev. trim. DH, Bruxelles, éd. Némésis, 1991.423 CEDH, Benjamin et Wilson c. R.U., préc., § 34. Ce terme sert à désigner des « organes présentant nonseulement des traits fondamentaux communs, au premier rang desquels se place l'indépendance par rapport àl'exécutif et aux parties (...), mais encore les garanties », « adaptées à la privation de liberté dont il s'agit »,soit : « d'une procédure judiciaire » dont les modalités peuvent varier d'un domaine à l'autre mais qui doiventinclure la compétence de « statuer » sur la « légalité » de la détention et d'ordonner la libération en cas dedétention illégale, CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 71. Voir CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 64 ;CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 61.424 Voir entre autres arrêts déjà cités, pour l'interprétation de l'article 5 § 4 les arrêts CEDH, X c. R.U. précité etWeeks c. R.U. précité, pour celle de l'article 6 § 1, l'es arrêts Campbell et Fell, précité, Engel et autres précité,et pour celle de l'article 13, l'arrêt Silver et autres, précité.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


90plusieurs de ses dispositions (art. 5 § 1, al.a, al.b, 5 § 4, 6 § 1) pour désigner l'un des élémentsconstitutifs des garanties accordées par les dispositions en cause. Il s'agit des divers organesprésentant non seulement des traits fondamentaux communs au premier rang desquels se placel'indépendance contre l'exécutif et aux parties, mais aussi les garanties d'une procédurejudiciaire 425 ”.Différentes instances peuvent alors passer pour un tribunal si elles présentent de tellesgaranties. La Cour a, par exemple, affirmé à propos des commissions de contrôle psychiatrique (dansle cas de l'internement des malades mentaux) et des commissions de libération conditionnelle (dansle cas des détenus condamnés), que “ rien n'empêche de considérer pareils organes spécialiséscomme des tribunaux au sens de l'article 5 § 4 s'ils jouissent de l'indépendance voulue et si leurprocédure s'entoure des garanties suffisantes, adaptées à la nature de la liberté en question 426 ”.En somme, les éléments déterminant le tribunal au sens de l'article 5 § 4 de la Conventionsont l'indépendance et l'impartialité (a), l'étendue de la compétence (b) et le pouvoir contraignant (c).a. Les critères d'indépendance et d'impartialitéPour qu'une instance soit considérée comme un tribunal au sens de la Convention, il fautqu'elle jouisse des garanties d'impartialité et d'indépendance par rapport au pouvoir exécutif et auxparties en cause 427 . Pour les apprécier, la Cour a recours à des critères organiques mais aussipsychologiques. Notons que si la Cour exige la garantie à la fois d'impartialité et d'indépendance,elle ne s'est pas livrée à une interprétation séparée de ces deux termes.Critères organiques<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Ni un militaire qui exerce son autorité au sein d’une hiérarchie et relève d’autres autoritéssupérieures 428 , ni un ministre 429 ne peuvent passer pour un tribunal indépendant. Mais, il peut aussine pas passer pour indépendant, un tribunal composé de juges. Pour cela, il doit jouir des garanties<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008425 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 78 ; CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 57 ;CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 47 ; CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 61 ; CEDH, Bouamar c.Belgique, préc., § 57, CEDH, Benjamin et Wilson c. R.U., préc., § 34 ; CEDH, Dacosta Silva c. Espagne, préc.,§ 44.426CEDH, X. c. R.U., préc., § 61 ; CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 61.427 CEDH, Neumeister c. Autriche, n° 1936/63, 27 juin 1968, Série A n°6, § 24.428 Le supérieur hiérarchique exerce son autorité dans la hiérarchie de la garde civile, relève d'autres autoritéssupérieures et ne jouit donc pas d'indépendance par rapport à elles. Par ailleurs, la procédure disciplinaire sedéroulant devant le supérieur hiérarchique, elle ne fournit pas non plus les garanties judiciaires requises parl'article 5 § 1 a). En conséquence, la mise aux arrêts subie par le requérant ne revêtait pas le caractère d'unedétention régulière « après condamnation par un tribunal compétent », CEDH, Dacosta Silva c. Espagne, préc.,§ 44.429 CEDH, Benjamin et Wilson c. R.U., préc., § 37 ; CEDH, Stafford c. R.U., préc., § 90.


91d'indépendance dans toutes les fonctions qu'il est susceptible d'exercer. Par exemple, s’il jouitexpressément d'une telle garantie uniquement dans l'exercice de ses fonctions juridictionnelles, sonindépendance peut être mise en doute s'il est amené à exercer des fonctions administratives 430 . Eneffet, la Cour a estimé à propos du juge de paix belge, exerçant aussi bien des fonctionsjuridictionnelles que des fonctions administratives, qu'il ne peut passer pour un tribunal : il ne jouitexpressément des garanties constitutionnelles d'indépendance qu'en tant que juge judiciaire 431 .En revanche, la Cour considère qu'il n'est pas indispensable que tous les membres d'untribunal jouissent des garanties d'indépendance. A propos du mode de désignation, elle a, dans l'arrêtWeeks, estimé que le fait que la Commission de libération conditionnelle comprend un psychiatre,“ ne prouve pas un défaut d'indépendance 432 ”. Elle a jugé dans le même sens à propos del'inamovibilité. Dans l'arrêt Engel et autres, elle n'a pas mis en cause l'indépendance de la Courmilitaire bien que deux de ses membres ne soient pas inamovibles 433 .Critères psychologiquesLe tribunal doit non seulement être impartial et indépendant mais aussi donner le sentimentaux justiciables qu'il l’est 434 . L'apparence d'indépendance est considérée comme étant à cet égardd'une importance déterminante 435 . Aussi le tribunal ne doit pas accomplir des fonctions qui l'amènentà entrer en contact avec une des parties en cause : “ Il échoit de noter sur ce point, avec legouvernement, que les tâches de la Commission ne la mettent pas en contact avec des fonctionnairesdes prisons ni avec le ministre de l’Intérieur de telle sorte qu'on puisse l'identifier avec ce dernier ouavec l'administration pénitentiaire ”, déclarait-elle dans l'arrêt Weeks 436 .Toujours est-il que bien qu'une instance réponde aux critères ci-dessus, son caractère detribunal au sens de l'article 5 § 4 n'est pas pour autant acquis. Pour cela, il faut également tenircompte de l'étendue de sa compétence et du pouvoir décisionnel dont elle dispose.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...b. Critère d'étendue de compétenceUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008430 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 77.431 Ibid.432 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 62.433 CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 68.434 Voir entre autres arrêts : Delcourt c. France, 17 janv. 1970, Série A n°11, § 31 ; Thorgeir Thorgeirson c.Islande, 25 juin 1992, Série A, n°239, § 51.435 « Reste à savoir si la Commission a aussi l'apparence d'indépendance, notamment pour les personnes dontelle examine la liberté », CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 62.436 Ibid.


92Pour que le recours organisé par les droits nationaux réponde à l'objectif de l'article 5 de laConvention, “ protéger l'individu contre l'arbitraire 437 ”, il faut que l'instance de recours soit habilitéeà contrôler tous les points jugés indispensables pour la légalité et la régularité de la détention 438sans aller jusqu’à substituer, sur l'ensemble des aspects de l'affaire, y compris des considérationsd'opportunité, sa propre appréciation à celle de l'autorité dont émane la décision 439 .En ce qui concerne la détermination des points jugés indispensables pour le contrôle de lalégalité, la première précision apportée par la Cour est que le tribunal doit disposer de la compétencepour contrôler aussi bien des points de fait que des points de droit. Par exemple, la Cour a jugé àpropos du Conseil d'Etat belge (devant lequel avait été exercé un recours contre une décisionadministrative d'internement d'un malade mental prise par un juge de paix), qu'il ne pouvait paspasser pour un tribunal aux fins de l'article 5 § 4. Sa compétence étant limitée au contrôle desquestions de droit, il ne pouvait pas se substituer au juge de paix dans l'appréciation des faits 440 . Ellea statué dans le même sens à propos du recours d'habeas corpus prévu en droit anglais. Ce recours nepouvant être exercé que pour des questions de “ conformité d'exercice du pouvoir discrétionnaireavec la loi ” à savoir, pour abus de pouvoir, mauvaise foi ou but illégitime 441 , la Cour a estimé qu’ilne permet pas à l'instance de recours de “ discuter les motifs ou le bien-fondé d'une décision 442 ”.L’absence de pouvoir d’examiner le bien-fondé d’une décision privative de liberté porte atteinte audroit de recours au sens de l’article 5 § 4 443 .La deuxième précision apportée concerne le pouvoir de contrôle de l'ensemble des pointsde fait et de droit jugés indispensables au regard de la légalité au sens européen. Le sens de lalégalité ayant été déterminé dans la section précédente, rappelons seulement que la Cour l'a interprétédans un sens qui dépasse le respect du droit interne 444 : il englobe le respect des principesfondamentaux de la Convention. Citons à titre d'exemple que, dans l'arrêt Weeks, elle a jugé qu'il estindispensable que l'instance de recours puisse exercer un contrôle suffisant sur la légalité du maintiendu requérant en détention (condamné à une peine discrétionnaire à vie), ainsi que la révocation de sa<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...437 CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 22.438 « Sans doute l'article 5 § 4, ne consacre-t-il pas le droit à un examen judiciaire d’une portée telle qu'ilhabiliterait le tribunal à substituer pour tous les aspects de la cause y compris les considérations d'opportunité,sa propre appréciation à celle de l'autorité dont émane la décision. Elle n'en veut pas moins un contrôle assezample pour s'étendre à chacune des conditions indispensables selon la Convention à la régularité et à la légalitéde la détention d'un individu », CEDH, X. c. R.U., préc. § 58. Voir CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 59 ; Hussainc. R.U., préc., § 57 ; CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 65 ; CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 73.439 CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 65 ; CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 73.440 Affaire De Wilde, Ooms et Versyp c.Belgique, Série B-10.441 X. c. R.U., préc., §§ 56-58.442 Ibid.443 CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 69, § 75.444 « Telle que l'entend l'article 5 § 4, la légalité d'une arrestation ou détention s'apprécie pourtant sous l'anglenon du seul droit interne, mais aussi du texte de la Convention, des principes généraux qu'elle consacre et dubut des restrictions qu'autorise l'article 5 § 1 », CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 57. Voir CEDH, Winterwerp c.Pays-Bas, préc., § 45 ; CEDH, Van Droogenbroeck c. Belgique, préc., § 48.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


93libération conditionnelle 445 . Dans l'arrêt Van Droongenbroek, elle a estimé qu'un tribunal devraitpouvoir contrôler si la décision du Ministre de la Justice de révoquer la libération conditionnelle(accordée dans le cadre de l'application d'une mesure de défense sociale conformément au droitbelge), répondait au but et à l'objet de la législation sur la défense sociale 446 .c. Critère de pouvoir décisionnelC'est le propre d'un tribunal de disposer, dans le domaine de sa compétence, d'un pouvoirdécisionnel contraignant. L'exigence d'un tel pouvoir est d'autant plus évidente au sein de l'article5 § 4, qu'il est expressément prévu dans la dernière phrase de son texte : “ Toute personne privée desa liberté a le droit d'introduire un recours devant un tribunal, afin qu'il statue sur la légalité de sadétention et ordonne sa libération si la détention est illégale ”. Ainsi, la Cour avait jugé à propos dela Commission de libération conditionnelle, telle qu’elle fonctionnait en droit britannique jusqu’en1997, et fonctionne encore dans le cadre des peines perpétuelles obligatoires, qu'elle ne pouvait paspasser pour un tribunal, faute de disposer de pouvoir contraignant 447 . Elle ne dispose, remarquait-elledans l'arrêt Weeks et l’arrêt Curley que de pouvoir consultatif auprès du Ministre de l'Intérieur 448 .Dans l'arrêt X 449 , c’est le constat d’absence de pouvoir décisionnel contraignant d’une autre instance,la commission de contrôle psychiatrique, qui l’a amené à ne pas procéder à l'examen du respect desgaranties procédurales : « Néanmoins, et à supposer que la Commission de contrôle psychiatriqueremplisse ces conditions (les garanties procédurales), il lui manque la compétence de statuer sur lalégalité de la détention et d'ordonner l'élargissement si cette dernière apparaît illégale ; elle nepossède que des attributions consultatives 450 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>445 Dans l'arrêt Weeks, il a été précisé que : l'illégalité s'entend de l'appréciation inexacte du droit qui régit lepouvoir de décision et non en particulier d'un manquement aux normes législatives pertinentes ; l'irrationalitévise une décision défiant à tel point la logique ou les principes moraux communément admis que nullepersonne censée n'aurait pu le perdre après avoir réfléchi au problème ; l'irrégularité procédurale consiste dansl'inobservation des règles exprès de procédure, un déni de la justice naturelle où un défaut d'équité procédurale,CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 69.446 CEDH, Ashingdane c. R.U., préc., § 52 ; CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 59 ; Van Droongenbroek, préc.,§ 49.447 Dans l'arrêt Weeks, la Commission de libération conditionnelle n'était pas considérée comme un tribunal ausens de l'article 5 § 4 à cause de l'absence de pouvoir décisionnel contraignant. Ses décisions revêtaient laforme de recommandations au ministre. Vu de tous les éléments recueillis, ce dernier peut ne pas suivrepareille recommandation, CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 64. Voir CEDH, Stafford c. R.U., préc., § 100.448 Dans l’arrêt Weeks précité (peine perpétuelle discrétionnaire) et l’arrêt Curley précité (peine HMP).Soulignons que depuis le Criminal Justice Act de 1991, le droit anglais a opéré une réforme en accordant unpouvoir décisionnel contraignant aux commissions de libération conditionnelle. Cette Commission est habilitéeà ordonner l'élargissement du détenu et le Ministre est alors tenu de mettre le détenu en liberté conditionnelle,R 15484/89 (Edward Wynne/R.U), 4 mai 1993, § 39. Cependant, le fait que la Cour ait, dans l'arrêt Hussain,réitéré la même appréciation à propos de cette Commission, nous laisse déduire que celle-ci continue à ne pasremplir toutes les garanties requises par la Convention, Hussain c. R.U., préc., § 58.449 CEDH, X. c. R.U., préc., § 61.450 Ibid., § 61. De même dans l’arrêt Benjamin et Wilson c. R.U., préc., §§ 35-36.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


94De même, lorsqu’une instance dispose le pouvoir d’examiner le bien-fondé d’une décisionprivative de liberté, mais refuse de le faire, le recours prive la personne du droit de faire contrôler lalégalité d’une détention 451 .Outre les garanties relatives à l'indépendance, l’impartialité, l’étendue de la compétence etle pouvoir décisionnel, un tribunal, pour être considéré comme tel au sens de l'article 5 § 4, doitégalement respecter certaines garanties de procédure considérées comme fondamentales.B. Les garanties fondamentales du procès équitableAlors que dans un premier temps, la Cour n'avait pas estimé que le terme « tribunal »devrait être interprété dans un sens comportant également le respect des garanties de procédure 452 ,elle a, ultérieurement, affirmé que « pour en constituer un, il doit offrir des garanties fondamentalesde procédure appliquées en matière de privation de liberté 453 ». Des garanties qui « peuvent varierd'un domaine à l'autre 454 » ; l'essentiel est que la procédure suivie, revête “ un caractère judiciaire etdonne à l'individu en cause des garanties adaptées à la nature particulière des circonstances dans uneaffaire donnée 455 ».C'est ainsi que, hormis les garanties expressément prévues par l'article 5, à savoirl'information de la personne des raisons de son arrestation (1) et la célérité du recours (2), la Cour ainclut les garanties élémentaires du « procès équitable » au sens de l'article 6 § 1 456 , à savoir cellesvisant à assurer la participation adéquate des parties à la procédure 457 (3).1. Droit à être informé des raisons de la privation de liberté<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Initialement, la Cour fondait cette garantie sur l'article 5 § 4 estimant qu'elle seraitimpliquée dans la notion de droit au recours qu'il consacre : “ La nécessité d'aviser l'intéressé desraisons de son ré-internement découle forcément du paragraphe 4 de l'article 5 : quiconque a le droitd'introduire un recours en vue d'une décision rapide sur la légalité de sa détention, ne saurait s'enprévaloir efficacement si on ne lui révèle pas dans le plus court délai, et à un degré suffisant, les faits<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008451 CEDH, Filip c. Roumanie, préc., § 77.452 « Ce terme implique seulement que l'autorité appelée à statuer doit avoir un caractère judiciaire, c'est-à-direêtre indépendante du pouvoir exécutif comme des parties en cause ; il ne se rapporte aucunement à laprocédure à suivre », CEDH, Neumeister c. Autriche, préc., § 24.453 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 76.454 Ibid., § 76, § 78. Voir aussi arrêt X. c. R.U., préc., § 53.455 CEDH, X. c. R.U., préc., § 53.456 Sans exiger que « les instances judiciaires relevant de l'article 5 § 4 s'accompagnent toujours des garantiesidentiques à celles que l'article 6 § 1 prescrit pour les litiges civils et pénaux », elle a affirmé que « certainséléments de la notion de procès équitable y trouvent application », CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc.,§ 60, § 45. Voir aussi D 4898/77 (X/Autriche), préc., p. 23.457 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 66.


95et les règles juridiques invoqués pour le priver de sa liberté 458 ”. Elle a, par la suite, estimé que lerespect de cette garantie s'impose par l'applicabilité du deuxième paragraphe de l'article 5 (quiprévoit expressément le droit pour toute personne arrêtée, à “ être informée des raisons de sonarrestation, dans une langue qu'elle comprend et dans un court délai ”) dans tous les cas de privationde liberté. Selon cette instance, ce paragraphe doit recevoir une interprétation autonome au sein de laConvention. Vu “ le lien étroit existant entre les paragraphes 2 et 4 de l'article 5 ” ainsi que “ l'objetet le but de l'article 5 à savoir la protection de toute personne contre les privations arbitraires deliberté ”, ladite garantie dépasserait le seul cadre pénal 459 : la violation de l'article 5 § 2 porteraitviolation également de l'article 5 § 4 460 .2. Droit à la célérité du recoursLa célérité du recours est indiscutable. L'article 5 § 4 prévoit expressément que le but durecours est qu'un tribunal “ statue à bref délai sur la légalité de la détention 461 ».La notion même de “ bref délai ” couvre une durée plus longue que la notion d'“ aussitôt ”contenue dans l'article 5 § 1 al.c 462 , mais plus courte que la notion de “ délai raisonnable ” qui figuredans l'article 6 § 1 463 . Quant aux points de départ et de fin de cette durée, ils se situent entre lasaisine d’un tribunal et la décision rendue 464 ; mais ils peuvent également inclure la durée entre ladécision prise et son exécution 465 .458 CEDH, X c.R.U., préc., § 66.459 Thèse soutenue en réponse à celle du gouvernement des Pays-Bas selon lequel l'application de l'article 5 § 2était limitée dans le cadre des arrestations pour accusation : le terme toute accusation contenu dans le textedudit paragraphe « ne formule pas une condition de son applicabilité mais désigne une éventualité », CEDH,Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 27, § 28.460 Ibid., § 33.461 « Le souci dominant que traduit cette disposition est bien celui d'une certaine célérité », CEDH, Filip c.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Roumanie, préc., § 79. Voir aussi, CEDH, E. c. Norvège, 29 août 1990, Série A n o 181-A, pp. 27-28, § 64, etCEDH, Delbec c. France, n o 43125/98, CEDH 2002-VI, § 33. « Dans le cadre de la procédure de contrôle, lestribunaux compétents doivent statuer ‘à bref délai’ » ; Quant à « la question de savoir si cette exigence estrespectée doit – comme pour le « délai raisonnable » des articles 5 § 3 et 6 § 1 – s’apprécier à la lumière des<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...circonstances de chaque affaire », CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 66. Voir aussi Sanchez-Reisse c.Suisse, préc., § 55 ; CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 35 ; CEDH, Musial c. Pologne [GC],n o 24557/94, CEDH 1999-II, § 43 ; CEDH, Laidin c. France, n o 43191/98, CEDH 2002-XI, § 28.462 CEDH, E c. Norvège (Eriksen n°1), préc., § 64.463 « Les exigences de l'article 5 § 4 apparaissent à certains égards plus strictes que celles de l'article 6 § 1,notamment en matière de délai », CEDH, Golder c. R.U., préc., § 33.464 CEDH, Filip c. Roumanie, préc., §§ 80-83. Par exemple, ont été jugées longues, les durées de huit semaines(E. c. Norvège, précité, §§ 63-67), mais aussi de cinq semaines (Laidin c. France, préc., §§ 27-30). Au sein dece dernier, la requérante avait allégué une violation de l’article 5 § 4 de la Convention en raison du délai quis’est écoulé entre la saisine du tribunal de sa demande de sortie immédiate et la date de sa première audience.465 A propos de non exécution d’une décision de mise en liberté d’une personne, pendant douze mois, parcequ’aucun psychiatre n'a accepté de suivre l'intéressée en dehors d’un lieu hospitalier, alors qu’il n’y avait pasde place, la Cour a déclaré : « La question à trancher est celle de savoir si… le maintien en détention del'intéressée après qu'elle eut rendu une décision de libération sous conditions, était conforme à la règle poséepar l'article 5 § 4 de la Convention », Kolanis c. R.U. , préc., § 79.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


96Dans tous les cas, l’appréciation de cette durée peut dépendre des circonstances de chaqueaffaire 466 . Et pour l’apprécier, cette instance applique les mêmes critères que pour l’appréciation du« délai raisonnable » au sens des articles 5 § 3 et 6 § 1 de la Convention 467 , et notamment lessuivants.Les circonstances particulières de l'affaire 468 . Par circonstances particulières, il fautentendre la complexité de chaque affaire, mais aussi le type de détention. La Cour a, par exemple,estimé à propos de l'internement psychiatrique, que “ les problèmes à résoudre par un tribunal...dépassent souvent en complexité ceux qu'il connaît, dans le cas d'une personne détenueconformément au paragraphe 1, al. c de l'article 5 469 ”.L'organisation des tribunaux. Saisie du retard d'une procédure dû, entre autres raisons, auxvacances des juges, la Cour a déclaré : « Il incombe aux autorités judiciaires d'adopter lesarrangements pratiques voulus même pendant les vacances, pour assurer un traitement diligent desquestions urgentes », tout en soulignant que « cela vaut en particulier lorsqu'il y va de la liberté d'unindividu 470 ».La durée de la rédaction de la décision. Le respect du droit à la liberté exige également larédaction rapide de la décision. Ainsi une durée de trois semaines ne répond pas à l'exigence de larapidité 471 . En application de ces critères, ont, par exemple, été considérés comme ne correspondantpas à un bref délai, des recours qui ont duré cinq mois 472 mais aussi deux mois 473 .La durée entre la décision et son exécution. Une durée de douze mois entre la décision delibérer une personne internée et son exécution en raison d’absence de lieu d’accueil approprié, aentaché d’arbitraire le maintien en détention pendant cette durée 474 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3. Droit à une participation adéquate à la procédureLa participation adéquate de l'intéressé à la décision de sa privation de liberté ou de sa mise<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008en liberté est “ l'une des principales protections inhérentes à une instance de caractère judiciaire au466 CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc.467 CEDH, Hutchison Rei c. R. U, préc., § 66.468 CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 36 ; E c. Norvège (Eriksen n°1), préc., § 64 ; CEDH, Filip c.Roumanie, préc., § 79.469 CEDH, E c. Norvège (Eriksen n°1), préc., § 64.470 Ibid., § 66.471 Ibid.472 CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 36.473 CEDH, E c. Norvège (Eriksen n°1), préc., § 67.474 CEDH, Kolanis c. R.U. , préc., § 79.


97regard de la Convention ”, déclara la Cour 475 . Dès lors, l'instance décisionnelle doit respectercertaines garanties sans lesquelles elle ne peut être considérée comme un tribunal. Il s'agitnotamment des garanties relatives au respect du contradictoire (a) et de l'égalité des armes (b).a. Respect du contradictoireLe respect du contradictoire, “ le noyau irréductible d'une procédure ” selon lajurisprudence européenne, implique les garanties suivantes : le droit de présenter ses moyens et decontredire ceux de la partie adverse ; le droit de participer personnellement devant l'instance et/ou dese faire représenter ; et le droit de connaître l'ensemble des éléments présentés en sa défaveur.Droit de présenter ses moyens de défense et de contredire ceux présentés en sa défaveur.Dans l'arrêt Winterwerp, la Cour a qualifié de « noyau irréductible d’une procédure » au sens del’article 5§4 le droit pour l'intéressé de présenter ses moyens et de contredire ceux invoqués enfaveur de sa détention 476 ”. Dans l'arrêt Hussain, elle a complété que le respect du contradictoireimplique la “ possibilité de citer et d'interroger des témoins 477 ”.Droit de participer personnellement devant une instance et/ou de se faire représenter.Selon la Cour, “ il faut que l'intéressé ait accès à un tribunal et l'occasion d'être entendu lui-même ou,au besoin, par une certaine forme de représentation, sans quoi il ne jouira pas des garanties deprocédure appliquées en matière de privation de liberté 478 ”. Le non respect de l'une ou de l'autre deces deux formes de participation de l'intéressé viole son droit de recours devant un tribunal 479 .Toutefois, il se peut que la participation personnelle de l'intéressé soit indispensable auquel cas lareprésentation par un avocat n'est alors pas suffisante. C'est dans ce sens que s'était prononcée laCommission, en appliquant le raisonnement suivi par la Cour à propos de l'article 6 § 1 et 6 § 3, al.c.de la Convention. Elle avait estimé qu'il peut en être ainsi lorsque « des traits de caractère et desattitudes de la personne peuvent être déterminants » pour la décision 480 , ainsi que, lorsque des“ points de fait qui vont être discutés ” exigent l'examen de témoins et une cross-examination 481 . LaCour a entériné ce raisonnement. Dans l'arrêt Hussain, elle a estimé que le “ caractère équitable de la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008475 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 66.476 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 57 et §§ 60-61.477 CEDH, Husssain c. R.U., préc., § 60.478 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 60.479 « En l'occurrence, le requérant ne fut jamais associé, en personne ou par le truchement d'un représentant,aux procédures qui conduisirent aux diverses autorisations d'internement décernés contre lui. On ne lerenseigna pas sur le déroulement ni sur les résultats ; les tribunaux ne l'entendirent pas et il n'eut pas l'occasionde plaider sa cause. Malgré quelques aspects judiciaires, la procédure suivie par le juge de paix et le tribunald'arrondissement ne lui ont pas assurés le droit d'introduire un recours devant un tribunal au sens du texte »,CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 61.480 R (Abed Hussain/RU), 11.10.1994, § 58 (réf : arrêt Kremzow, 21 sept. 1993, Série A n° 268-B, § 67).481 R (Abed Hussain/RU), préc.


98procédure peut valoir que l'intéressé assiste aux débats 482 ” ; et que tel est le cas lorsqu'elle impliquel' “ appréciation de la personnalité ”, comme la “ dangerosité ” d'un détenu candidat à la libérationconditionnelle 483 .Droit de connaître l'ensemble des éléments présentés en sa défaveur. Garantir laparticipation adéquate requiert, de surcroît, le droit pour l'intéressé de connaître l'ensemble deséléments présentés en sa défaveur. Dans l'arrêt Weeks, la Cour a conclu que la procédure suivie par laCommission de libération conditionnelle n'assure pas “ l'une des principales protections inhérentes àune instance de caractère judiciaire au regard de la Convention : la participation adéquate del'individu frappé par la décision litigieuse ” du fait que cette Commission “ n'est pas astreinte àrévéler tous les éléments défavorables en sa possession 484 ”.b. Respect de l'égalité des armesL'égalité des armes n'est pas une garantie exigée dans toutes les procédures et pour tous lestypes de privation de liberté. Effectivement, si dans l'arrêt Neumeister, la Cour avait déclaré que“ l'application du principe d'égalité des armes aux recours dirigés contre les détentions préventives...n'est pas justifiée 485 ”, elle a ultérieurement précisé, dans l'arrêt dit de vagabondage, qu'il pourrait“ ne pas en aller de même dans un contexte différent et dans une autre hypothèse régie, elle aussi, parl'article 5 § 4 486 ”. Ainsi, dans l’arrêt Grauzinis 487 et Lanz 488 , cette instance a affirmé que l’égalité desarmes (en l’occurrence entre le procureur de la République et la personne détenue) fait partie desgaranties d’une procédure judiciaire.L'article 5 est donc armé pour protéger efficacement le droit à la liberté, y compris dans lecas des détenus condamnés. Mais dans la réalité, son application à leur égard demeureraexceptionnelle tant que la Cour ne reconnaîtra pas un caractère évolutif à toute peine privative deliberté. Cette reconnaissance permettrait d'étendre le contrôle juridictionnel à toutes les décisions quidirectement ou indirectement déterminent la durée de la détention ainsi que son contenu matériel.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Ce faisant, il pourra renforcer le mouvement de la judiciarisation de l'exécution de la peineprivative de liberté déjà entamée dans les droits internes européens, à tout le moins au sein du droitfrançais et du droit grec concernant les modalités d’application des peines. Il est alors intéressant de482 CEDH, Hussain c.R.U., préc., § 59.483 Ibid., §§ 59-60.484 CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 66.485 CEDH, Neumeister c. Autriche, préc., § 24.486 CEDH, De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, préc., § 76.487 CEDH, Grauzinis c. Lituanie, n° 37975/97, CEDH 2000-X, § 33.488 CEDH, Lanz c. Autriche, préc., §§ 40-45.


voir rapidement quelles sont les mesures qui au sein de ces droits nationaux peuvent êtredéterminantes pour la durée de la détention et apprécier leur conformité aux exigences européennes.99SECTION 2. <strong>LE</strong> CONTRO<strong>LE</strong> NATIONAL INDIRECT <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>LE</strong>GALITE TEMPOREL<strong>LE</strong> <strong>DE</strong><strong>LA</strong> <strong>DE</strong>TENTIONC’est de manière implicite que les droits grec et français reconnaissent le caractère évolutifdes peines privatives de liberté. Cela découle par le droit de recours prévu devant une instancejuridictionnelle entouré des garanties élémentaires du procès équitable contre certaines mesuresd’individualisation des peines déterminantes pour la durée de la peine.Cette reconnaissance remonte même, dans les années ’50, avant l’avènement de lajurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière. « L'idée selon laquelle ilserait souhaitable de donner au pouvoir judiciaire un rôle au stade de l'exécution de la peine » avaitété soutenue par l'école positiviste italienne 489 ; et a commencé à être mise en œuvre seulement aprèsla Deuxième Guerre mondiale, dans la seconde moitié du XX e siècle 490 ; cette période fut unepériode marquée par l’humanisation du système répressif, et le souci de protéger les droits del'homme 491 (§ 1). A la juridictionnalisation de ces mesures d’individualisation des peines, il fautajouter l’apparition des garanties judiciaires dans un autre domaine d’activité pénitentiaire qui peutégalement déterminer la durée et la sévérité de la détention : l’activité disciplinaire. Cette apparition,tardive, seulement à la fin de XXe siècle, elle demeure insuffisante au regard des garanties du procèséquitable (§ 2).§ 1. Un contrôle résultant de la juridictionnalisation de certaines mesures d’aménagement despeinesLe droit grec a longtemps devancé le droit français dans le contrôle judiciaire des mesures<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>d’individualisation de la peine, précisément dans la suspension de la peine et dans la libérationconditionnelle. La juridictionnalisation précisément de cette dernière remonte en 1957 492 . Cette<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...mesure est analysée comme étant de nature à modifier la nature et la durée de la peine. Elle relèvedonc, suivant le critère de partage de compétence entre le juge administratif et le juge judiciaire, dela compétence de ce dernier. Selon l'article 565 du code de procédure pénale, il appartient au tribunalcorrectionnel du lieu de détention de connaître « tout doute ou différent relatif au caractèreexécutoire de la décision de condamnation, la nature et la durée de la peine ».Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008489 J. SACOTTE, « Le Contrôle juridictionnel de l'exécution des peines en droit positif comparé », APC n° 8, p.108.490 Ibid.491 Ibid.492 Loi n°3681/1957, JO, A, 65/24.4.1957.


100Le droit français, bien qu’ayant institué le juge de l’application des peines (JAP) dès1958 493 , il n’a véritablement juridictionnalisé cette mesure qu’en 2000, par la loi n o 2000-516 du 15juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. La loi du9 mars 2004 est venue compléter la juridictionnalisation des décisions du JAP et dépasser le droitgrec. Elle a élargi ce processus à toutes les mesures d’aménagement de peine, qui visentl’individualisation de l’application de la peine, en prévoyant des garanties procédurales aussi biendevant le JAP que devant le tribunal de l’application des peines (TAP) créé par cette dernière loi. LeJAP et le TAP sont considérés comme des juridictions de première instance en matière de mesuresd’application des peines 494 .Il convient alors de voir quelles mesures sont déterminantes pour la durée et/ou pour lecontenu de la peine et si leur réglementation est conforme au contrôle européen de légalité de ladétention, d’abord, en droit grec (A), et ensuite, en droit français (B).A. L’état de juridictionnalisation au sein du droit grecCe droit national accorde à la peine privative de liberté un caractère évolutif. Il l’accorde demanière explicite aux sanctions de durée indéterminée. Il s’agit de sanctions applicables auxrécidivistes d’habitude et aux délinquants d’habitude ou par profession.Les récidivistes d’habitude ou par profession, ce sont des personnes condamnées trois foispour délits ou crimes intentionnels, dont une fois à perpétuité. En cas de nouvelle condamnationsanctionnée d’une peine de perpétuité à temps, si le tribunal juge l’auteur dangereux pour l’ordrepublic, il peut lui infliger la « réclusion de durée indéterminée ». Cette sanction est proche de celles àdurée indéterminée qui existent en droit britannique. Elle signifie que seule la durée minimum dedétention est fixée. Son expiration est suivie d’une détention de sûreté. En l’occurrence, la périodefixe ne peut pas être inférieure aux deux tiers de la peine légale prévue (art. 90 §1 C. pén.). Dessanctions de durée indéterminée sont également prévues pour les délinquants d’habitude ou parprofession sans être en récidive légale s’ils ont commis des infractions punies d’une réclusion àtemps et présentent des risques pour la sécurité publique. Dans ces cas, l’article 92 du Code pénal<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008fixe la durée minimale de la peine à infliger : elle doit être la moitié de la peine maximale encourue(art. 92 C. pén.).493 J. SACOTTE, « Le Contrôle juridictionnel de l'exécution des peines en droit positif comparé », préc.494 Depuis la juridictionnalisation des mesures du JAP, on a assisté à la naissance d’un véritable droit del’application des peines, que certains auteurs distinguent du droit de l’exécution des peines, du droitpénitentiaire et du droit de la peine. Selon les précisions données par Martine HERZOG-EVANS,« l’application des peines est une subdivision du droit pénal, qui comprend le régime juridique de fond et deprocédure de l’individualisation des sanctions répressives après que leur mis à exécution ait été réalisée »,Droit de l’exécution des peines, Paris, Dalloz, 2007-2008. Selon cet auteur, le droit de l’exécution des peinesserait un droit mixte qui « englobe à la fois le droit pénitentiaire, le droit de l’application des peines, le droit dela mise à exécution des sentences pénales et le droit du service public pénitentiaire », ibid.


101Dans les deux cas, à l’expiration de cette durée, le tribunal correctionnel du lieu dedétention examine la possibilité de libérer la personne au regard de sa dangerosité pour la sûretépublique. En cas de refus, ce tribunal réexamine cette possibilité tous les trois ans d’office ou surdemande de l’intéressé (art. 91 § 1 C. Pén.). Toutefois, à la différence du droit britannique, la périodeindéterminée n’est pas à vie : la sanction prend fin au plus tard entre 15 et 20 ans 495 après l’exécutionde la partie fixe de la détention (art. 91 § 2 C. pén.).En dehors de ces cas, le droit grec accorde de manière implicite un caractère évolutif àtoute sanction privative de liberté. Un nombre de mesures d’aménagement de l’exécution de cettepeine 496 contribue à raccourcir le temps de la détention en se fondant sur l’évaluation de l’évolutionde la personnalité du condamné (1) dont il convient d’examiner les garanties de la procédure suiviepour leur application (2).1. Les mesures susceptibles de déterminer la légalité de la détentionOutre la libération conditionnelle, contribuent à la modulation de la durée de la détention,le calcul bénéfique (b), la semi-liberté (c) et les transferts (d). Mais seule la libération conditionnelleest juridictionnalisée (a).a. La libération conditionnelleDans le droit grec, il existe deux types de libération conditionnelle : la libérationconditionnelle ordinaire et la libération conditionnelle médicale.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La libération conditionnelle ordinaire est ouverte à tous les détenus. Son octroi estconditionné, d’abord, par l’exécution d’un délai de détention. Aux condamnés à la peined'emprisonnement (peine d'une durée de 10 jours à 5 ans), elle peut être accordée après l'exécutiondes deux cinquièmes de la peines ; aux condamnés à la réclusion à temps (peine de 5 à 20 ans), aprèsl'exécution des trois cinquièmes et aux condamnés à perpétuité, après l'exécution de vingt ans<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008(art. 105 § 1 C. pén.). S’agissant des condamnés âgés de plus de soixante-dix ans, les deux dernièresdurées sont respectivement réduites aux deux cinquièmes et à seize ans (art. 105 § 2 C. pén.). Enfin,les détenus condamnés à perpétuité plus d'une fois, peuvent en bénéficier après l'exécution de vingtcinqans de détention (art. 105 § 3 C. pén.). En cas de bénéficie du calcul bénéfique des jours dedétention, mesure que nous abordons ci-dessous, des seuils minima de détention effective sont fixés.495 Elle prend fin après quinze ans lorsque l’infraction commise est punie d’une peine privative de 10 ansmaximum, et après vingt ans pour les infractions punies plus lourdement (art. 92 § 2 C. pén.).496Pour les mesures de Semi-liberté, du TIG et de la libération conditionnelle, voir aussi Th.,PAPATHEODOROU, Le système pénitentiaire grec, préc.


102Les condamnés à des peines de réclusion à temps, doivent avoir exécuté le tiers de leur peine endétention et les condamnés à la réclusion à perpétuité doivent avoir exécuté seize ans (art. 105 § 6 C.pén.).Mais ce qui caractérise la libération conditionnelle en droit grec ce sont les facilitésaccordées afin de faire de son octroi la règle et du refus l’exception. Des réformes ont eu lieu en1994 et 1996 (loi n° 2207/94 et loi n°2408/1996) visant à alléger les conditions d’octroi de cettemesure et à garantir le principe de l’issue favorable de la demande. La « libération conditionnelledoit être accordée », sauf si le tribunal estime que la poursuite de la détention est « absolumentnécessaire pour éviter la commission de nouvelles infractions » (art. 106 § 1, C. pén.). Le refus doncne peut être motivé que par le risque de récidive. Et l’appréciation de ce risque ne peut être fondéeque sur un critère exclusif : le comportement du détenu lors de l'exécution de sa peine. Aussi lamarge d'appréciation des tribunaux est limitée à la détermination du contenu de ce critère qui doitêtre strictement et objectivement interprété. La jurisprudence a, par exemple, précisé que lacommission des infractions disciplinaires de faible gravité n'est pas indicative d'un caractèredangereux du détenu ou d'un criminel par habitude 497 .La libération conditionnelle médicale a été introduite en droit grec, en 1993. Il s’agit d’unelibération conditionnelle quasi d’office, fondée uniquement sur le motif de la maladie du VIH (Loi2172/93). Elle est donc indépendante de la durée de la condamnation et de la partie exécutée ainsique de l’appréciation de la personnalité et du comportement des intéressés. Réglementée par l’article105A du Code pénal, elle est accordée sur fondement d’un certificat médical, ordonné par le tribunalsur demande de l’intéressé, attestant que la personne est atteinte de cette maladie et non seulementcontaminée. Cette mesure n’est accordée qu’une seule fois. En cas donc de récidive, la personne n’ya plus droit.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>b. Le calcul bénéfique du temps de détentionA part la libération conditionnelle, les détenus en Grèce peuvent réduire leur temps de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008détention s’ils travaillent et, depuis le décret n°75/2005, s’ils suivent des programmes éducatifs, desformations professionnelles ou s’ils sont inscrits aux écoles de « deuxième chance » en vue d’undiplôme. Un jour de travail ou d’une autre activité, peut être compté pour un jour et demi ou deuxjours de détention. Les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans bénéficient automatiquementd’un tel calcul : un jour de détention est compté pour deux jours (art. 105 § 2, C. pén.).497 Cour d'appel de Patras, siégeant en chambre du conseil, ordonnance n°239/95, Armenopoulos, 1996, 1, pp.88-90 ; Cour d'appel de Patras, siégeant en chambre du conseil, ordonnance n° 102/1996, Armenopoulos, 1996,9, p.1158 et s.


103c. La semi-libertéMême si elle ne raccourcit pas explicitement la durée de la peine et ne met pas en jeu lepassage d’un état de liberté vers un état privatif de liberté et vice versa, c’est une mesure qui, d’unepart, change considérablement la nature de la peine. Elle permet aux bénéficiaires de séjourner horsla prison le temps du travail ou de la formation sans surveillance continue (art. 59-62 C. pénit.). Desurcroît, le séjour en prison se fait dans un établissement ou une partie de la prison caractérisé d’unrégime moins strict que la détention ordinaire. D’autre part, c’est une mesure qui détermine la duréede la détention ; directement, par le calcul bénéfique du temps de détention, et indirectement, parl’influence positive dans la décision de l’octroi de la libération conditionnelle.Il est prévu dans le Code pénitentiaire grec que cette mesure peut être accordée auxcondamnés à une peine d’emprisonnement (peine d'une durée de 10 jours à 5 ans), après l’exécutiondu 1/5 de la peine, aux condamnés à perpétuité à temps, après l’exécution de 2/5 avec un minimumde deux mois de détention, et aux condamnés à perpétuité à vie, deux ans avant le délai d’accès à lalibération conditionnelle (art. 60 §2 . C. pénit.).La semi-liberté est accordée sur appréciation, notamment, de la personnalité de l’intéresséfondée essentiellement sur son comportement pendant la détention (60 § 3 C. pénit.). Dès lors,comme la libération conditionnelle, cette mesure s’appuie sur une conception évolutive du tempspénal au regard des objectifs visés par la peine : la punition mais aussi la protection de la société et laprévention de la récidive. Seulement cette mesure n’est pas encore effectivement appliquée parmaque d’infrastructures. Des centres de semi-liberté n’ont pas encore été créés et des parties desétablissements pénitentiaires n’ont pas été aménagés à cet effet.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>A part ces mesures, une autre peut être déterminante pour la légalité matérielle de ladétention mais aussi indirectement pour la légalité temporelle : les transferts des détenus.d. Les transferts<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le choix de l’établissement de détention peut être déterminant à la fois pour le contenu dela peine et pour la durée en raison des éléments suivants : la qualité de la vie quotidienne de chaqueprison ; la position géographique du lieu de détention, puisqu’elle conditionne la possibilitéd’entretenir les liens familiaux et affectifs avec l’extérieur (à cause de la distance et du coût desvisites) ; le type et le régime de l’établissement, dès lors qu’en dépendent les possibilités de travail,d’éducation et de formation, et donc, indirectement, la durée de la détention. Ces activités constituentle critère déterminant dans l’octroi des mesures permettant de raccourcir le temps en détention. Celaest, comme nous venons le voir, incontestable dans le calcul bénéfique du temps de détention. Enfin,


104l’existence des soins appropriés ou des programmes de désintoxication peut également influencer ladurée de la détention. Tel est le cas, lorsque les soins ou la désintoxication constituent des conditionspréalables pour la sortie de la prison par le bénéfice d’une libération conditionnelle ou d’unesuspension de l’exécution de la peine.Malgré cette importance pour la liberté, l’application de ces mesures, à l’exception de lalibération conditionnelle, n’est pas entourée de garanties suffisantes.2. Les garanties procéduralesSeule la procédure de la libération conditionnelle est aménagée de manière qui puisse êtreconsidérée comme conformes aux garanties du contrôle juridictionnel au sens de l’article 5 § 4 (a).Le calcul bénéfique du temps de détention (b), les transferts (c) et la semi-liberté (d) et relèvent de lacompétence des autorités non juridictionnelles.a. La libération conditionnelleL’octroi de cette mesure et son retrait relèvent du tribunal correctionnel du lieu dedétention statuant en conseil et suivant une procédure respectant les garanties élémentaires du procèséquitable 498 .Ce tribunal doit être saisi un mois avant la date libérable, de la part de la direction del’établissement de détention. Celle-ci peut émettre un avis défavorable soumis auprès du tribunal parle Procureur (at. 110 § 2, C.pén.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le détenu doit être obligatoirement convoqué dix jours avant l'audience (art. 110 § 1 C.pén.). Il doit pouvoir comparaître personnellement ou être représenté par un avocat (art 110 § 1 C.pén.). La comparution personnelle est jugée utile afin que le tribunal puisse former sa propre opinionsur la personnalité du détenu.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La décision du refus doit, comme nous l’avons évoqué, être « spécialement motivée », demanière circonstanciée et uniquement pour un seul motif : le risque de récidive.La révocation de la libération conditionnelle appartient au même tribunal (art. 110 § 3 C.pén.). C’est en cas d'urgence, que le procureur de la République peut ordonner l'arrestationprovisoire du détenu. Cette décision est immédiatement soumise devant le tribunal compétent. Quant498 Notamment : délais pour préparer la défense, présence au tribunal, tribunal impartial, recours en appel etpourvoi en cassation (art. 110 C. pén.).


105aux motifs de la révocation, celle-ci ne peut avoir lieu que par commission d’une nouvelle infractionintentionnelle ayant entraîné une condamnation à une peine privative de liberté supérieure à six mois.Enfin, le délai de probation peut durer jusqu’à trois ans et, s’agissant de condamnations à perpétuité,jusqu’à dix ans.b. Le calcul bénéfiqueCe calcul est effectué par une commission spéciale : la « Commission du calcul bénéfiquedes jours de travail des détenus 499 ». C’est cette même Commission qui peut procéder à son retrait enpartie ou en totalité, si le détenu est ultérieurement sanctionné pour certaines infractionsintentionnelles et graves. Les décisions de cette commission sont irrévocables alors que rien n’estprévu pour les droits de la défense des intéressés et aucun recours juridictionnel n’est ouvert. Letribunal correctionnel, statuant en conseil, qui est compétent en matière d’octroi et de révocation deslibérations conditionnelles, a décliné sa compétence pour connaître les recours contre les décisionsde la commission précitée. Il estime qu'il s'agit d'un litige ne relevant pas de ceux pour lesquelsl'article 565 du code de procédure pénale 500 donne compétence au tribunal correctionnel : « Ceslitiges sont dirigés contre des actes d'un organe administratif relatifs au service interne desprisons 501 ».c. Les transfertsIls relèvent de la compétence exclusive de la commission centrale des transferts (art. 9 C.pénit.). Cette commission, prévue par un décret présidentiel de 1991 502 , a été créée en 2000, au seindu Ministère de la Justice 503 . Elle est constituée du secrétaire général du Ministère de la Justice, entant que président, d’un substitut près la Cour d’appel et du président du conseil scientifique centraldes prisons. Aucune autre précision n’est donnée quant à la procédure et aux droits de la défense,alors qu’elle statue de manière irrévocable. Il est seulement prévu que les détenus ont la possibilitéd’en faire la demande pour des raisons, entre autres, personnelles, familiales, de travail oud’éducation (art. 73, al.1 C. pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008499 Voir infra, Chapitre sur le droit au travail.500 Selon lequel il appartient au tribunal correctionnel du lieu de détention de connaître « tout doute ou différentrelatif au caractère exécutoire de la décision de condamnation, la nature et la durée de la peine ».501 Trib. Correctionnel d'Athènes, 11 juill.. 1983, n° 11724, Poinika Chronika, 1983, p. 651.502 N° 141/1991 de 30.4.1991, JO, A’ 58/12.4.1991.503 Suite à deux lois, la loi n° 2298/95 et la loi 2408/96, et deux décisions ministérielles, n° 31224 du 7.3.2000et n° 57582 du 12.5.2000.


106d. La semi-libertéElle est accordée par la Commission de discipline avec droit de recours devant le TAP,dans les dix jours (art. 60 § 3 C. pénit.). Cette commission est composée du Procureur chargé del’inspection de l’établissement, du directeur de l’établissement et de l’assistant social avec la plusgrande ancienneté (art. 70 § 1 C. pénit.). Or, alors que cette instance ne peut passer pourindépendante, rien n’est précisé concernant la procédure devant le TAP.B. L’état de juridictionnalisation au sein du droit françaisLa considération du temps pénal comme évolutif est également implicitement reconnu endroit français. D’une part, en raison des périodes de sûreté, dont peuvent être assorties certainespeines. Ces périodes signifient que pendant leur durée aucune mesure d’aménagement ne peut êtreaccordée. Cela assimile alors ces peines à celles du droit anglais qualifiées par la Cour commeévolutives dès lors qu’elles comportent une période fixe, punitive, suivie d’une période imprécise,évolutive. D’autre part, l’ensemble des peines en droit français peuvent être considérées commeévolutives eu égard à la réglementation des mesures d’aménagement des peines. Celle-ci estexpressément justifiée dans le Code de procédure pénale par l'évolution de la personnalité et de lasituation du condamné : « A cette fin, les peines peuvent être aménagées en cours d'exécution pourtenir compte de l'évolution de la personnalité et de la situation du condamné. L'individualisation despeines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la libertéet éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire » (art. 707 CPP).La Cour a, dans l’arrêt Léger, confirmé un tel caractère des peines en droit français, et donctoutes les peines, sont évolutives : « Bien que la peine du requérant ne fût assortie d’aucune périodede sûreté, comparable au « tariff » anglais correspondant à l’élément punitif de la sentence, la Courobserve que d’autres éléments liés au ‘risque’ et à la ‘dangerosité’ ont justifié le maintien endétention du requérant 504 ». Après un certain délai d’application, et surtout dans les longues peines,un contrôle juridictionnel doit avoir lieu pour établir la pertinence de ces critères : « L’élément dedangerosité peut, par sa nature, évoluer à la longue 505 ». Et tel, a jugé la Cour, avoir été le cas dans<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008cette affaire : « En l’espèce, l’octroi de la libération conditionnelle au requérant accordé en 2005 estfondé sur le fait que son comportement n’est plus un obstacle à sa libération et que le risque derécidive est devenu quasiment inexistant 506 ».504 CEDH, Léger c. France, préc., § 74.505 Ibid., § 75. Voir CEDH, Weeks c. R.U., préc., § 16.506 CEDH, Léger c. France, préc., § 75.


En effet, plusieurs mesures permettent de réduire la durée de la détention et déterminer lecontenu de cette peine. Il convient alors d’examiner leurs conditions de fond (1) et de forme (2).1071. Les mesures susceptibles de déterminer la légalité de la détentionPeuvent être déterminantes pour la légalité de la détention en droit français : les réductionsde peine (a), la libération conditionnelle (b), le placement sous surveillance électronique (c), la semiliberté(d), et les transferts (e).a. Les réductions de peineA la place du calcul bénéfique, connu du droit grec, ce sont les réductions de peine qui, endroit français, permettent de raccourcir définitivement le temps de détention. L’importance de cettemesure a encore été accentuée depuis l’instauration d’un deuxième type de réductions de peine quidouble le nombre de jours dont peut bénéficier un détenu par une telle mesure. Aux réductions depeine discrétionnaires, la loi du 9 mars 2004 507 a ajouté les réductions de peine automatiques 508 . Auregard du régime de ces dernières (art. 721 à 721-3 CPP), il est certain que cette mesure estdéterminante pour la durée de la peine privative de liberté. Aucune condition n’est émise pour enbénéficier. Les réductions automatiques sont calculées dès le début de la détention d’une personne :le greffe de la prison doit informer le détenu de la date prévisible de sa libération compte tenu desréductions de peine dont il peut bénéficier 509 . Le principe est que tout détenu en bénéficie trois moisla première année, deux mois les années suivantes, et en cas d’une détention inférieure à un an, septjours par mois (art. 721 CPP).Les réductions de peine supplémentaires du même nombre de jours, sont accordées surl’appréciation du JAP fondée sur le critère de manifestation des efforts sérieux de réadaptationsociale. Ce critère est notamment apprécié par les sous-critères suivants : le passage avec succès unexamen scolaire, universitaire ou professionnel traduisant l'acquisition de connaissances nouvelles ;la justification de progrès réels dans le cadre d'un enseignement ou d'une formation ; le suivi d’une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008507 Loi nº 2004-204 du 9 mars 2004 et Loi nº 2005-1549 du 12 décembre 2005.508 Un crédit de réduction de peine est accordé de trois mois maximum pendant la première année et deux moisau cours des années suivantes ou 7 jours par semaine pour les peines inférieures à un an (art. 721 CPP). Cesdurées peuvent être augmentées par le bénéfice d’une réduction de peine supplémentaire du même nombre dejours que la précédente en faveur des condamnés qui manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale(art 721-1 CPP). Ces crédits de réduction des peines ne sont définitivement acquis que si le juge del’application des peines ne les a pas retirés en cas de mauvaise conduite (art. 721 CPP).509 « Lors de sa mise sous écrou, le condamné est informé par le greffe de la date prévisible de libérationcompte tenu de la réduction de peine prévue par le premier alinéa, des possibilités de retrait, en cas demauvaise conduite ou de commission d'une nouvelle infraction après sa libération, de tout ou partie de cetteréduction. Cette information lui est à nouveau communiquée au moment de sa libération » (art. 721 al. 6 CPP).


thérapie destinée à limiter les risques de récidive ou, encore, l’effort d'indemniser les victimes 510 (art.721-1 CPP)108En revanche, deux types de réductions de peine peuvent être retirés, en jours, par le JAP 511 .Cette décision, ainsi que celle d’octroi de réductions de peine discrétionnaires devraient alors êtreentourées des garanties requises par le contrôle de légalité de la détention puisqu’elles peuventempêcher une personne de réduire le temps de la détention. Par ailleurs, la décision du retrait peut,depuis la loi de mars 2004, avoir lieu après la mise en liberté de l’intéressé entraînant ainsil’incarcération pour purger les jours de peine restant au moment de la mise en liberté. Cela estpossible en cas de nouvelle condamnation à une peine privative de liberté pour un crime ou un délitcommis par le condamné après sa libération pendant une période égale à la durée des réductions depeine automatiques 512 . Cette conséquence diminue alors la différence de cette mesure avec celle de lalibération conditionnelle quant au caractère définitif de la mise en liberté après la sortie de la prison.b. La libération conditionnelleEn droit français, un seul type de libération conditionnelle est prévu (art. 729 CPP). Il estfondé sur les mêmes critères que les réductions de peine discrétionnaires : les efforts sérieux deréadaptation 513 . Mais son octroi est soumis à des délais d’exécution de la peine. Pour en bénéficier, ilfaut avoir exécuté la moitié de la peine (art. 729 CPP). Les condamnés à la réclusion criminelle àperpétuité peuvent prétendre à une libération conditionnelle au terme de quinze années de détention(art. 729 CPP). Des exceptions sont pour autant prévues par le rallongement de ces durées. D’unepart, les récidivistes ne peuvent en faire la demande qu’après l’exécution de deux tiers (art. 729CPP), et, s’ils sont condamnés à perpétuité, au terme de vingt années de détention. D’autre part,comme nous l’avons mentionné, les personnes condamnées à une peine assortie d’une période desûreté, en sont exclues durant cette période 514 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...510 Loi nº 2004-204 du 9 mars 2004, Loi nº 2005-1549 du 12 décembre 2005 et Loi nº 2007-1198 du 10 août2007.511 « En cas de mauvaise conduite du condamné en détention, le juge de l'application des peines peut être saisipar le chef d'établissement ou sur réquisitions du procureur de la République aux fins de retrait, à hauteur detrois mois maximum par an et de sept jours par mois, de cette réduction de peine. Sa décision est prise dans lesconditions prévues à l'article 712-5 » (art. 721, al. 3 CPP).512 C’est la juridiction de jugement qui peut ordonner le retrait de tout ou partie de cette réduction de peine et lamise à exécution de l'emprisonnement correspondant, qui n'est pas confondu avec celui résultant de la nouvellecondamnation, introduite, (art. 721, al. 5 CPP).513 « La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Lescondamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d'une libérationconditionnelle s'ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu'ils justifient soitde l'exercice d'une activité professionnelle, soit de l'assiduité à un enseignement ou à une formationprofessionnelle ou encore d'un stage ou d'un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leurparticipation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts envue d'indemniser leurs victimes », (art. 729, al. 1 CPP).514 « En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ousupérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peutUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


109La libération conditionnelle, qui est une forme de liberté sous probation, peut être révoquéeen cas d’inobservation des conditions fixées lors de son octroi, en cas de nouvelle condamnation, etmême pour inconduite notoire (art. 733 CPP) qui est un critère imprécis n’assurant pas une garantieefficace pour la liberté ainsi retrouvée de la personne.Quant au temps d’épreuve, seules des limites maximales sont fixées. Ce temps peut durerun an de plus que le temps restant de la condamnation. En revanche, comme en droit grec, il ne peutdépasser, même pour les condamnés à perpétuité, plus de dix ans (art. 732).c. Le placement sous surveillance électronique (723-7 à 723-14)Nous pouvons dire que c’est une forme aggravée de la libération conditionnelle. Alors quedans le cadre de cette dernière c’est le statut d’homme libre qui domine, sauf quelques restrictionsdans la liberté de circulation d’une région à l’autre et vers l’étranger, ainsi que l’obligation de seprésenter régulièrement aux convocation du juge de l’application des peines par l’intermédiaire desSPIP, dans celui de surveillance électronique c’est la privation de liberté qui domine. La personnen’a pas le droit de circuler, sauf autorisation expresse du juge de l’application des peines ; desurcroît, elle est soumise à une surveillance permanente. Cette mesure est en effet plus proche del’assignation à résidence.En effet, le placement sous surveillance électronique consiste en la surveillance à distancede la présence ou de l'absence de la personne dans un lieu de vie désigné, à l’extérieur de la prison,au moyen d’un émetteur fixe ou mobile (le bracelet électronique) (art. 723-8 CPP). Le placé soussurveillance électronique est interdit de s'absenter de ce lieu sauf pour se rendre dans des endroitsautorisés par le JAP et pour les périodes fixées, notamment pour se rendre au travail, au lieud’enseignement ou d’une formation ou stage suivis par l’intéressé, pour participer à la vie de familleou pour des besoins de soins médicaux (art. 132-26-2 c. pénal). Cette mesure peut égalementcomporter pour le condamné l'obligation de répondre aux convocations du juge de l'application des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008bénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de lapeine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle », (art.132-23, al.1, C.pén.). « La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s'il s'agit d'unecondamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans », (art. 132-23, al.2, C. pén.). La période desûreté peut aussi être prononcée par le tribunal dans tous les cas de condamnation à une peine supérieure à cinqans. Dans ces cas, la durée de cette période de sûreté ne peut excéder les deux tiers de la peine prononcée ouvingt-deux ans en cas de condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, (art. 132-23, al.3, C. pén.). Enfin,la Cour d’assisses peut porter la période de sûreté à trente ans pour certaines infractions (art. 221-3, 221-4C.pén.).


peines (art. 132-26-2 C. pén.). Toutefois, les personnes chargées de cette surveillance 515 ne peuventpénétrer au domicile de la personne à des fins de contrôle sans l'accord de celle-ci (723-9 CPP).110Cette mesure est applicable seulement à des détentions de durée inférieure à un an : àsavoir aux personnes condamnées à une peine inférieure à un an et aux personnes dont le reliquat dela peine à exécuter est inférieur à un an (723-7 CPP).Elle peut être retirée, pour inobservation des interdictions ou obligations prévues, pournouvelle condamnation mais aussi pour inconduite notoire, ainsi qu’à la demande du condamné (art.733 CPP).d. La semi-liberté et le placement à l’extérieurLa semi-liberté consiste, en alternance entre vie en détention et vie hors de la détention. Lapersonne séjourne à l’extérieur le temps nécessaire pour travailler suivre un stage, participer à la viede famille ou un traitement ; elle regagne la prison en soirée et/ou enfin de la semaine (art. 132-26al.1, C. pén.). Le placement à l’extérieur permet au condamné d'être employé au dehors d'unétablissement pénitentiaire à des travaux contrôlés par l'administration pénitentiaire (132-26 al.2, C.pén. et art 723 CPP).Ces régimes peuvent être accordés soit par la juridiction du jugement (132-25 al.1 C.pénal) 516 , soit par le JAP (723-1 CPP) 517 . Dans les deux cas, comme la mesure de placement soussurveillance, elle concerne des détentions d’un an maximum. Cette durée peut être celle de lacondamnation (132-25 al.1 C. pén.) ou celle de la peine restant à exécuter (723-1 CPP). Notons que,depuis le décret du 16 novembre 2007, le JAP peut demander une « synthèse socio-éducative » ducondamné détenu, établie par le service pénitentiaire d'insertion et de probation, ainsi qu’une« expertise psychiatrique ou psychologique » de l'intéressé, pour évaluer sa dangerosité, notammentsi celui-ci a été condamné pour crime (art. D49-24 CPP 518 ).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008515 Cette surveillance se fait par des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ou une personne de droitprivé habilitée (art. 723-9 CPP).516 « Lorsque la juridiction de jugement prononce une peine égale ou inférieure à un an d'emprisonnement, ellepeut décider à l'égard du condamné qui justifie, soit de l'exercice d'une activité professionnelle, soit de sonassiduité à un enseignement ou une formation professionnelle ou encore d'un stage ou d'un emploi temporaireen vue de son insertion sociale, soit de sa participation essentielle à la vie de sa famille, soit de la nécessité desubir un traitement médical, que la peine d'emprisonnement sera exécutée sous le régime de la semi-liberté ».517 « Le juge de l'application des peines peut prévoir que la peine s'exécutera sous le régime de la semi-libertésoit lorsqu’il reste à subir par le condamné une ou plusieurs peines privatives de liberté dont la durée totalen’excède pas un an, soit lorsque le condamné a été admis au bénéfice de la libération conditionnelle, sous lacondition d'avoir été soumis à titre probatoire au régime de la semi-liberté », (art. 723-1 CPP).518 Décret nº 2007-1627 du 16 novembre 2007.


111Ces deux mesures sont alors importantes aussi bien pour la légalité matérielle de ladétention en raison des conditions de détention, que pour la légalité temporelle, par leur influence surla durée de la détention.L’influence sur la nature de la peine est incontestable. Leur octroi donne droit à la vie enalternance entre détention et milieu libre et à l’affectation de la personne dans des lieux de détention(les centres de semi-liberté ou quartiers de semi-liberté) qui comportent un régime moins strict que ladétention ordinaire. Leur régime est essentiellement orienté vers la réinsertion sociale et à lapréparation à la sortie des condamnés (art. D72-1. CPP) 519 . Les personnes peuvent bénéficier depermission de sortir les samedis, dimanches et jours fériés ou chômés (art. D143-1 CPP). Elles sontdispensées de la constitution du pécule de libération (article D121-1 CPP) ; et elles sont autorisées àdétenir une somme d'argent leur permettant d'effectuer en dehors de l'établissement les dépensesnécessaires et, notamment, de payer les repas pris à l'extérieur, d'utiliser des moyens de transport etde faire face à des frais médicaux éventuels (art. D 112 CPP).L’influence de la semi-liberté, comme de celle de placement à l’extérieur ou soussurveillance électronique, sur la durée de la détention, bien qu’indirecte, est égalementincontestable. Le bénéfice et le succès de ces mesures peut être une condition préalable pour obtenirune libération conditionnelle (art. 723-1 CPP, et D535-1 CPP). Le bénéficie de la semi-liberté estune condition obligatoire pour l’obtention d’une libération conditionnelle s’agissant des condamnés àdes peines assorties d’une période de sûreté supérieures à quinze ans : la personne doit avoir étéplacée entre un et trois ans sous le régime de la semi-liberté 520 .Ces mesures peuvent être suspendues pour inobservation des obligations imposées àl’intéressé (art. 712-18 CPP) 521 ou retirées pour cette même raison ainsi que pour mauvaise conduite(art. 723-2 CPP).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008519 « Les centres de semi-liberté et quartiers de semi-liberté ainsi que les centres pour peines aménagées et lesquartiers pour peines aménagées comportent un régime essentiellement orienté vers la réinsertion sociale et à lapréparation à la sortie des condamnés », (art. D72-1 CPP).520 « En cas de condamnation assortie d'une période de sûreté d'une durée supérieure à quinze ans, aucunelibération conditionnelle ne pourra être accordée avant que le condamné ait été placé pendant une périoded'un an à trois ans sous le régime de la semi-liberté. La semi-liberté est alors ordonnée par le tribunal del'application des peines dans les conditions prévues par l'article 712-7, sauf si la peine restant à subir par lecondamné est inférieure à trois ans », (art. 720-5 CPP).521 Le juge de l'application des peines peut, après avis du procureur de la République, ordonner la suspensionde la mesure (art. 712-18 CPP). Il peut également le faire après l’expiration de la mesure s’il a été saisi à cettefin au plus tard dans un délai d'un mois après l’expiration de la mesure pour des faits commis pendant la duréede la mesure (art. 712-20 CPP).


112e. Les transfertsLes décisions d’affectation et de changement d’affectation sont prises par le ministre de laJustice ou par le directeur interrégional des services pénitentiaires (art. D80 à D82-4 CPP 522 ). Le jugede l'application des peines est seulement consulté.Le ministre de la Justice dispose d'une compétence d'affectation générale des condamnés,dans toutes les catégories d'établissements, et exclusive dans les cas suivants : les affectations dansles maisons centrales, l'affectation des condamnés à des peines supérieures à dix ans ou dont la duréede l'incarcération restant à subir est supérieure à cinq ans ; l'affectation des condamnés pour des actesde terrorisme ainsi que des condamnés inscrits au répertoire des détenus particulièrement signalés(art. D80 CPP). Le directeur interrégional des services pénitentiaires est compétent pourdécider toutes les autres affectations. Il peut déléguer une partie de sa compétence aux directeurs desétablissements pénitentiaires (art. D80 CPP).Les décisions de changement d'affectation appartiennent à ces deux autorités suivant lesmêmes critères à l’exception de celle du ministre de la Justice, déterminée par la durée restantd’exécution d’une peine : il est compétent lorsque cette durée est de trois ans maximum.Les changements d'affectation peuvent être demandés par le condamné, mais aussi par lechef de l'établissement dans lequel il exécute sa peine (D82 CPP), sans autre forme de procédureprévue dans le Code de procédure pénale que la motivation des demandes et la consultation préalabledes JAP. Aucun texte ne prévoit les motifs pour lesquels le détenu est fondé de demander cechangement ni de préciser les motifs de refus, ni de prévoir des moyens de défense pour l’examend’une telle demande. Alors que le lieu d’affectation influence aussi bien la nature de la peine que ladurée de la détention notamment pour les raisons suivantes. La distance géographique, puisqu’endépend le maintien des relations affectives et familiales. La différence de régime de chaqueétablissement, notamment entre les maisons d’arrêt et les autres établissements, en particulier, lescentres de détention et les centres pour peines aménagées. Le régime de ces deux derniers typesd’établissement est également orienté vers la réinsertion. Ils comportent, contrairement aux maisons<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d’arrêt, un régime en commun pendant le jour et non d’encellulement individuel en continu ;l’organisation systématique d’activités préparant activement la réinsertion ; un accès à despermissions de sortir plus favorable tant pour les délais d’accès que par leur durée. Par exemple, lescondamnés incarcérés dans les centres de détention peuvent bénéficier des permissions de sortiraprès le tiers d’exécution de leur peine dont la durée peut être portée à cinq jours, et une fois par an,à dix jours (art. D146 CPP). Les condamnés dans les « centres pour peines aménagées » peuvent enbénéficier sans condition de délai (art. D 146-1 CPP). Or, le JAP ne peut pas accorder ce type de522 Dernières mises à jour par le Décret nº 2007-749 du 9 mai 200 et le Décret nº 2007-931 du 15 mai 2007.


permission à des condamnés détenus dans les maisons d’arrêt sans encourir le risque de leurannulation de la part de la Cour de cassation 523 .113Pourtant ces décisions, jusqu’au 14 décembre 2007, n’étaient susceptibles d’aucun recours.C’est seulement à cette date que le Conseil d’Etat français a reconnu qu’elles peuvent avoir uneimportante suffisante pour la nature de la peine en raison des différences substantielles qui puissentexister entre deux régimes de détention pour accepter qu’un contrôle juridictionnel soit exercé devantles juridictions administratives 524 . Tel, a-t-il jugé être le cas, entre le régime d’un établissement pourpeines et une maison d’arrêt. Dès lors qu’il s’agit d’une décision de transfert du premier vers lesecond, cette décision « entraîne incontestablement un durcissement des conditions de détention » ;elle doit, par conséquent, être soumise au contrôle du juge administratif. En revanche, tel n’est pas lecas, d’un transfert dans le sens inverse ni entre deux établissements de même nature sauf s’il met encause des libertés et des droits fondamentaux 525 .2. Les garanties procéduralesDepuis la juridictionnalisation des décisions du JAP, un pas significatif est marqué vers lerespect des exigences européennes. Les décisions relatives aux mesures d’aménagement de peinesont prises par une juridiction indépendante suivant une procédure qui est contradictoire etrespectueuse des droits de la défense.La première phase de juridictionnalisation a eu lieu par la loi n o 2000-516 du 15 juin 2000renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes. Elle concernaittoutes les décisions relevant de la compétence du JAP sauf les mesures de permissions de sortir,d'autorisation de sortie sous escorte et des réductions de peine.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Auparavant, le statut du JAP était hybride. Magistrat du point de vue organique 526 , le statutd'autorité juridictionnelle ne lui était pour autant pas reconnu sans équivoque du fait qu’il étaitchargé des fonctions à la fois judiciaires et administratives, et ses décisions étaient qualifiées de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008523 . Crim. 8 mars 1990, Bull. crim. n°112 ; et Crim. 1er avril 1998, Bull. crim., n°126, notes sous l'article D 146du Code de procédure pénale de 2000.524 Faisant application de ces critères, l’Assemblée du contentieux a, dans une première affaire (Garde dessceaux, ministre de la Justice c/ M. Boussouar, n° 290730), estimé qu’une décision de changementd’affectation d’un détenu, d’un établissement pour peines à une maison d’arrêt, constituait bien un acteadministratif susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, compte tenu des différencessubstantielles qui distinguent ces deux régimes de détention. Par conséquent, un changement d’affectation d’unétablissement pour peines à une maison d’arrêt entraîne incontestablement un durcissement des conditions dedétention.Cette décision doit alors pouvoir être soumises au contrôle du juge administratif, http://www.conseiletat.fr/ce/jurispd/index_ac_ld0741.shtml.525 Ibid.526 Conformément à l'article D115 CPP du Code de procédure pénale, il s'agit d'un magistrat du TGI chargé ducontrôle de l'application des peines dans les établissements pénitentiaires situés dans le ressort de ce tribunal.


114« mesures d'administration judiciaire » (selon l’ancien article 733-1 du CPP). Le Conseilconstitutionnel avait approuvé ce statut : « Aucun principe non plus qu'aucune valeurconstitutionnelle n'exclut que les modalités d'exécution des peines privatives de liberté soientdécidées par des autorités autres que des juridictions 527 ».Or, ainsi que l'avait fait observer Pierre Couvrat, cela constituait une situation paradoxale 528ayant eu comme résultat l’incertitude et, en fait, le déni du contrôle juridictionnel des décisions duJAP. A propos d'un même type de décisions de ce magistrat, certains tribunaux administratifss'estimaient compétents 529 , en appliquant les critères dégagés par le tribunal des conflits dans l'affaireFargeaud d'Epied 530 , d’autres, la majorité, pas. Les juridictions administratives refusaient deconnaître les recours contre des mesures en matière d'aménagement de la peine, qu'elles soientdécidées par le JAP ou par le ministre de la Justice. Il en était ainsi en matière de libérationconditionnelle 531 , de réduction de peine 532 , de semi-liberté 533 ou de permissions de sortir 534 . Ellesestimaient que ce type de mesures modifiait la nature et les limites de la peine. Elles relèveraientalors plutôt de l’article 710 du Code de procédure pénale qui prévoit le recours pour des griefscorrélatifs devant la chambre d'accusation. Mais le juge judiciaire faisait de cet article un usageexceptionnel en matière d'individualisation des peines 535 .527 CC, Décision n° n° 86-214 DC, 3 sept. 1986, sur la loi relative à l'application des peines qui portait sur la loimodifiant certaines dispositions du Code de procédure pénale en matière d'exécution des peines privatives deliberté.528 P. COUVRAT, « Les Recours contre les décisions du JAP », RSC, 1985, p. 140.529 TA Montpellier 10 juil. 1981, à propos du recours pour excès de pouvoir d'une décision du JAP accordantune libération conditionnelle.530 C'est dans cet arrêt Fargeaud d'Epied, du 22 février 1960, que les critères de partage de la compétence entreces deux ordres furent précisés : le juge administratif serait compétent pour les questions intéressant « lefonctionnement administratif du service pénitentiaire » ; celles intéressant la « détermination de la nature et deslimites de la peine » relèveraient de la compétence du juge judiciaire.531 TA Bordeaux, 13 juil. 1982, Delavault. Il fut suivi par le Conseil d'Etat qui avait confirmé le refus de sa<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...compétence tant pour l'octroi que pour la révocation de la libération conditionnelle qu'elle soit décidée par leJAP ou par le ministre de la Justice : « La décision par laquelle le JAP ou le ministre de la Justice accorde à uncondamné une libération conditionnelle ou la révoque, totalement ou partiellement, ne se rattache pas aufonctionnement administratif du service pénitentiaire, mais constitue une mesure qui modifie les limites de lapeine », CE sect, 4 nov. 1994, Korber, JCP, 1995.II.22421-22422.532 « La décision par laquelle le JAP accorde la réduction d'une peine privative de liberté n'est pas une simplemodalité du traitement pénitentiaire, mais constitue une mesure modifiant les limites de la peine », CE, 9 nov.1990, Théron, D 1191, 390, note Plouvin. Jurisprudence consolidée dans l'affaire Druelle, CE 18 mars 1998,citée par J.-P. CERE, « Prospective sur la répartition juridictionnelle des compétences en droit de l'exécutiondes peines », RSC (4) oct.-déc., 1999, p. 874 et s. (note n°74). Voir aussi, TA Nantes, 10 août 1984, Jay ; TABordeaux, 18 juill. 1996, Beltran ; TA Strasbourg, 20 févr. 1998, Rizzuti II ; CA Nancy, 25 juin 1998,Mouillard, citées par Martine Herzog-Evans et Jean- Paul Céré, « La discipline pénitentiaire : naissance d'unejurisprudence », D 1999, n°44, p. 515.533 TA Besançon, 7 fév. 1970. Ce tribunal s'était déclaré incompétent pour connaître un grief portant sur leUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008retrait d'un régime de semi-liberté.534 TA Limoges, 17 déc. 1998, Lanne, (cité par J.-P. CERE, Prospective sur la répartition ..., préc., note n°74).535 Voir à propos de l'ensemble des recours juridictionnels des détenus, l'article de Jean- Paul CERE,« Prospective sur la répartition juridictionnelle des compétences en droit de l'exécution des peines », préc.


115C'est en s'inspirant de cette dernière jurisprudence administrative que la loi du 15 juin 2000est venue clarifier les règles de répartition de compétence entre les deux ordres juridictionnels. Laloi du 9 mars 2004, portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (entrée envigueur le 1 er janvier 2005), a parachevé le processus. Elle a juridictionnalisé l’ensemble desdécisions relatives aux modalités de l’application des peines, complété les droits de la défense,systématisé le recours en appel et consacré les JAP, mais aussi les TAP, comme des juridictions depremière instance 536 . Les TAP ont une compétence en trois matières : la libération conditionnellepour des condamnations à des peines supérieures à dix ans ou dont la durée restant à subir estsupérieure à trois ans (art. 730 CPP) 537 ; la suspension de peine qui ne relève pas de la compétencedu juge de l'application des peines et le relèvement de la période de sûreté (art. 712-7 CPP).Depuis lors, l’octroi ou le refus, l’ajournement, la modification, le retrait ou la révocation,de ce type de mesures décidés par le JAP ou le TAP, sont régis par un ensemble de règlesprocédurales communes régies par les articles 707 à 712-20 du Code de procédure pénale.Ces instances sont saisies soit d’office, soit sur la demande du condamné soit surréquisitions du procureur de la République (art. 712-4 al. 1 et 712-7 al. 1 CPP).Quant à la procédure, la plupart de ces mesures 538 sont rendues, après avis du représentantde l'administration pénitentiaire, dans le respect des droits de la défense. Elles sont rendues après undébat contradictoire (sauf si l’intéressé donne son accord pour s’en passer), tenu en chambre duconseil, au cours duquel le juge de l'application des peines entend les réquisitions du ministère publicet les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat. Ces règles sontprévues aussi bien pour les décisions du JAP (art. 712-6 al. 2) que pour celles du TAP ( art. 712-7al.2 CPP).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Ce débat peut être précédé d’une instruction. Les juridictions de l'application des peinespeuvent diligenter des auditions, enquêtes, expertises, réquisitions, ou autres mesures utiles. Lesenquêtes peuvent porter, le cas échéant, sur les conséquences des mesures d'individualisation de lapeine au regard de la situation de la victime (art. 712-16 CPP).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008536 « Le juge de l'application des peines et le tribunal de l'application des peines constituent les juridictions del'application des peines du premier degré qui sont chargées, dans les conditions prévues par la loi, de fixer lesprincipales modalités de l'exécution des peines privatives de liberté ou de certaines peines restrictives deliberté, en orientant et en contrôlant les conditions de leur application », (art. 712-1 CPP).537 « Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d'une durée inférieure ou égale à dix ans, ou que,quelle que soit la peine initialement prononcée, la durée de détention restant à subir est inférieure ou égale àtrois ans, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l'application des peines selon les modalitésprévues par l'article 712-6.Dans les autres cas, la libération conditionnelle est accordée par le tribunal de l'application des peines selonles modalités prévues par l'article 712-7 », (art. 730 CPP).538 Les jugements concernant les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement etsuspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle.


116Les décisions, ordonnances ou jugements, du JAP (712-4 al. 1 CPP) et du TAP (art. 712-7al. 1 CPP) sont motivées.Leurs décisions peuvent être attaquées par la voie de l'appel soit de la part du condamnésoit de la part du procureur de la République (art. 712-11 CPP). L’appel est exercé, suivant le type demesure concernée, devant la chambre de l'application des peines de la cour d'appel 539 , soit devant leprésident de cette chambre 540 . La chambre de l'application des peines de la cour d'appel est composéed'un président de chambre et de deux conseillers 541 .Enfin, il existe une troisième voie de recours : les décisions en appel peuvent faire l’objetd’un pouvoir en cassation (art. 712-15 CPP) .En ce qui concerne spécialement les réductions de peine, entrées dans le champ dedécisions susceptibles d’un recours juridictionnel, par la loi du 9 mars 2005, les instances de recourspour contester le calcul diffèrent suivant la nature des réductions de peine. Le recours contre le calculdes réductions automatiques s’exerce devant le tribunal correctionnel ou la chambre de l’instructionqui a prononcé la condamnation, (art. 710 CPP) 542 . Le recours contre le calcul des réductions depeine discrétionnaires s’exerce devant la chambre de l'application des peines de la Cour d'appel (art.1.2 de la circulaire de 7 avril 2005).En revanche, les décisions de retrait, étant toutes prises par le JAP, quel que soit le type desréductions de peine, suivent les règles de recours communes. Elles peuvent être attaquées par la voiede l’appel devant la chambre de l'application des peines de la Cour d'appel (art. 3.2.4. de la circulaire7 avril 2005).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008539 Il s’agit de l’appel concernant les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement etsuspension des peines, de placement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle ainsi que lesmesures concernant le relèvement de la période de sûreté, la libération conditionnelle ou la suspension de peinequi ne relèvent pas de la compétence du juge de l'application des peines (art. 712-13 CPP).540 Sont portées devant le président, les ordonnances du JAP concernant les réductions de peine, lesautorisations de sortir sous escortes et les permissions de sortir ainsi que les décisions modifiant ou refusant demodifier les mesures de placement à l'extérieur, de semi-liberté, de fractionnement et suspension des peines, deplacement sous surveillance électronique et de libération conditionnelle (art. 712-12 CPP).541 Pour les jugements visés par l’article 712-7 (à savoir les mesures concernant le relèvement de la période desûreté, la libération conditionnelle ou la suspension de peine qui ne relèvent pas de la compétence du juge del'application des peines), la chambre comporte dans sa composition également d'un responsable d'uneassociation de réinsertion des condamnés et d'un responsable d'une association d'aide aux victimes (art. 712-13,al. 2 CPP).542 Voir aussi P. PONCE<strong>LA</strong>, « Chronique de l’exécution des peines », RSC, 2007-2, p. 350-363.


117Quant à l'intervalle pour un nouvel examen des demandes à bénéficier des mesuresd’individualisation de la peine, il est d’un an 543 . Toutefois, les intervalles peuvent être très longs. Lachambre de recours, si elle rend une décision négative (pour une des mesures mentionnées auxarticles 712-6 ou 712-7) peut fixer un délai pendant lequel toute nouvelle demande tendant à l'octroide la même mesure sera irrecevable. Les seules limites émises sont que ce délai ne peut excéder ni letiers du temps de détention restant à subir ni trois années (712-13, al. 3 CPP).En revanche, le délai bref de contrôle de légalité est respecté dans le cadre d’un éventuelretrait d’une mesure de semi-liberté, de placement extérieur ou de placement sous surveillanceélectronique (art. 712-18 CPP), ainsi que dans la révocation de la libération conditionnelle (art. 712-19 CPP). Ces décisions peuvent avoir lieu même après l’expiration de ces mesures, si le JAP ou leTAP en ont été saisi dans un délai d’un mois après leur expiration pour des conduites qui ont eu lieupendant la durée de ces mesures 544 . Le contrôle de légalité doit avoir lieu dans un délai de quinzejours suivant l'incarcération du condamné qui résulte d’une suspension provisoire prise par le juge del'application des peines (art. 712-19 545 et 712-11 CPP). Enfin, si le JAP rend une décision favorableau condamné, le délai de jugement peut être rallongé de deux mois par l’exercice éventuel d’unrecours de la part du procureur.Ces garanties sont-elles pour autant conformes à la Convention ?Si les règles de procédure sont en théorie conformes à l’article 5 §1 et §4 de laConvention 546 , la conformité des règles de fond reste à prouver. Outre le caractère flou de certainscritères, comme l’inconduite notoire, des critères supplémentaires sont ajoutés par la jurisprudencerendant l’accès à ces mesures plus incertain et difficile. Ainsi, le critère de reconnaissance des fautesest pris en compte dans l’appréciation des « efforts sérieux de réadaptation sociale », alors qu’il n’estprévu nulle part dans les lois et les Décrets. Pourtant, il empêche la personne qui n’a pas avoué<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...543 Pour la libération conditionnelle : « Pour l'application du présent article, la situation de chaque condamnéest examinée au moins une fois par an, lorsque les conditions de délai prévues à l'article 729 sont remplies »,(art. 730 CPP). Pour l’octroi d’une permission de sortir, d'une autorisation de sortir sous escorte ou d'uneréduction de peine supplémentaire, c’est le président de la chambre de l'application des peines de la courd'appel qui peut, par une décision motivée, décider que le condamné n'est pas recevable à déposer unedemande similaire pendant un délai d'un an (art. D49-41-2 CPP).544 « La violation par le condamné des obligations auxquelles il est astreint, commise pendant la duréed'exécution d'une des mesures, y compris de sursis avec mise à l'épreuve ou obligation d'accomplir un travaild'intérêt général, mentionnées aux articles 712-6 et 712-7 peut donner lieu à la révocation ou au retrait de lamesure après la date d'expiration de celle-ci lorsque le juge ou la juridiction de l'application des peinescompétent a été saisi ou s'est saisi à cette fin au plus tard dans un délai d'un mois après cette date » (art. 712-20CPP).545 « A défaut de la tenue du débat contradictoire prévu par l'article 712-6 dans un délai de quinze jours suivantl'incarcération du condamné, celui-ci est remis en liberté s'il n'est pas détenu pour une autre cause. Ce délai estporté à un mois lorsque le débat contradictoire doit se faire devant le tribunal de l'application des peines enapplication des dispositions de l'article 712-7 » (art. 712-9 CPP).546 La procédure dans libération conditionnelle a été jugé par la Cour comme offrant des « garanties judiciairesadéquates » conformes aux textes européens, CEDH, Léger c. France, préc., §§ 64-77.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


118l’infraction, ou qui réclame son innocence, de bénéficier des mesures citées. Tel a été le cas, dansl’affaire Léger. Or la Cour a justifié ce critère 547 , comme elle a justifié l’ensemble de sous-critèrescités dans l’appréciation d’« efforts sérieux de réadaptation sociale » au titre de la marge nationale,tout en jugeant que certains peuvent être flous 548 .Pour obtenir une libération conditionnelle, il faut de surcroît, apporter la preuve del’existence d’un logement ainsi que d’une promesse d’un contrat de travail. Ces critères auraient duêtre assouplis au regard de la recommandation du Conseil de l’Europe concernant la libérationconditionnelle (2003) 549 qui tient compte de problèmes de logement et de chômage que connaîtactuellement l’Europe : « L'absence de possibilité d'emploi au moment de la libération ne devrait pasconstituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Des efforts devraient êtredéployés pour trouver d'autres formes d'activité. Le fait de ne pas disposer d'un logement permanentne devrait pas non plus constituer un motif de refus ou de report de la libération conditionnelle. Ilconviendrait plutôt de trouver une solution provisoire d'hébergement. (règle n° 19).Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur l’efficacité de la juridictionnalisation de cesmesures en faveur des intéressés. Les garanties procédurales n’ont pas entraîné une augmentation dunombre accordé de ces mesures. Ainsi, le taux d’octroi de la libération conditionnelle, non seulementne s’est pas amélioré (seulement 5% de libérations conditionnelles ont été accordées en 2006), maisil a décliné constamment depuis sa juridictionnalisation : en 2001, le taux était de 12% 550 .Concernant les autres mesures, au 1 er novembre 2007, selon le ministère de la Justice, 4 831personnes écrouées bénéficiaient d’un aménagement de peine. Précisément, 800 personnesbénéficiaient d’une mesure de placement à l’extérieur, 1 724 d’une mesure de semi-liberté et 2 307d’un placement sous bracelet électronique 551 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La juridictionnalisation ne constitue pas non plus une garantie contre des longues durées dedétention. Ce qu'a montré l’affaire Léger, concernant un détenu en France ayant passée quarante etun ans en prison avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008547 « L’absence d’amendement de sa part, à cause de non reconnaissance des actes, peut entrer dans l’examendes ‘efforts sérieux de réadaptation sociale’ tel que prévu par l’article 729 précité. Dès lors, il n’est pas sanslien avec l’évolution de la personnalité du requérant et relève de l’interprétation qu’ont fait les autoritésnationales de cette disposition », CEDH, Léger c. France, préc., § 69.548 « En France, la procédure de libération conditionnelle est dite discrétionnaire car elle exclut toutautomatisme de la libération, elle comporte de ce fait le risque de se voir appliquer des critères d’octroi à unelibération conditionnelle un peu flous », CEDH, Léger c. France, préc., § 70.549 Rec(2003)22 du Comité des Ministres aux Etats membres concernant la libération conditionnelle.550 12 %, en 2001 ; 9 %, en 2002 ; 8 %, en 2003 ; 8%, en 2004 ; et 6%, en 2005, et 5% en 2006, Chiffres citésdans le rapport du Sénat sur le Projet de loi de finances pour 2008 : Justice-Administration pénitentiaire,www.senat.fr/rap/a07-096-4/a07-096-45.html. Voir aussi, Statistiques trimestrielles de la population prise encharge en milieu fermé, Direction de l’administration pénitentiaire, Bureau des études, de la prospective et desméthodes.551 www.presse.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10095&ssrubrique=10234&article=13726.


119Mais outre, les mesures d’aménagement de peine, les sanctions disciplinaires peuventégalement influencer le contenu mais aussi la durée de la détention. Il reste encore à examiner saréglementation au sein des droits nationaux ici comparés.§ 2. Un contrôle par ricochet résultant de l’application du procès équitable dans la justicedisciplinaire pénitentiaireC’est par ricochet que la justice disciplinaire pénitentiaire peut influencer le droit à laliberté d’une personne détenue. Rappelons que, eu égard à la jurisprudence européenne dans l’arrêtCampbell et Fell et dans l’arrêt Ezeh et Connors. Certaines sanctions disciplinaires peuvent êtreassimilées à des sanctions privatives de liberté. Cela est possible par leurs effets défavorables sur lapossibilité de bénéficier de mesures permettant de mettre fin à la détention, soit définitivement (parle système de réduction de peine), soit en exécutant la dernière partie de la peine en milieu libre (parexemple sous le régime de libération conditionnelle). Il peut alors être exigé, pour observer laprotection contre l’arbitraire, que ces sanctions soient prononcées à l’issue d’une procédurerespectant les règles élémentaires du procès équitable. Il en est ainsi, notamment, de la sanction demise en cellule. C’est la sanction la plus lourde tant par sa nature, puisqu’il s’agit d’une sorted’isolement disciplinaire, que par ses effets négatifs dans l’application des mesures modulant ladurée de la détention. Aussi, convient-il de présenter rapidement les garanties élémentaires exigéespar le procès équitable (A) avant de se pencher sur le champ de leur applicabilité dans les droits grecet français et sur la conformité de ceux-ci aux garanties européennes (B).A. La reconnaissance européenne de l’application du procès équitableC’est grâce au sens européen autonome de la notion de « matière pénale » que la Cour a pufaire entrer les sanctions disciplinaires pénitentiaires dans le champ d’application du droit au procèséquitable. « La notion d'accusation pénale revêt un sens autonome ne coïncidant pas avec lescatégories juridiques des droits internes » 552 . Cette autonomie du sens repose sur l’adoption d’uneapproche matérielle et non formelle de l’interprétation de certaines notions juridiques. Cette méthodeest jugée la plus apte à servir le but de la Convention européenne des droits de l’homme : la garantieeffective et non théorique des droits de l’homme. Cela l’oblige, estime la Cour, à regarder au-delàdes apparences et des qualifications juridiques dans les droits internes 553 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008552 « La notion d'accusation en matière pénale revêt cependant un caractère autonome ; elle doit s'entendre ausens de la Convention », Deweer, préc., § 42. Voir aussi, entre autres arrêts : Köning, c. RFA, 28 juin 1978,Série A, n°27, § 88 ; CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 81 ; CEDH, E.L., R.L. et J.O.-L., c. Suisse,29 août 1997, Recueil 1997-V, § 44.553 Voir le travail du Groupe de recherche, Droits de l’homme et Logiques juridiques : « La matière pénale ausens de la Convention européenne des droits de l'homme, flou du droit pénal », RSC, 1987, n° 4, pp. 819-862.


C’est cet objectif et cette approche qui ont permis à la Cour de qualifier certainesaccusations, disciplinaires selon les droits pénitentiaires, d’accusations en matière pénale au sens dela Convention. Cela a eu lieu pour la première fois dans l’arrêt Campbell et Fell (1984). Tout entenant compte des particularités de l'espace carcéral, cette instance, après avoir affirmé « n'ignorer nile régime disciplinaire carcéral spécial, ni la nécessité de réprimer la mauvaise conduite des détenusavec toute la promptitude possible et la nécessité de sanctions sur mesure, ni le désir des autoritéspénitentiaires de garder la haute main sur la discipline dans leurs établissements 554 », elle a déclaré :« La garantie d'un procès équitable, but de l'article 6, figure parmi les principes fondamentaux detoute société démocratique au sens de la Convention. Comme le montre l'arrêt Golder, la justice nesaurait s'arrêter à la porte des prisons et rien, dans les cas appropriés, ne permet de priver lesdétenus de la protection de l'article 6 555 ». Cette jurisprudence fut consolidé dans l’arrêt Ezeh etConnors (2002).Un détenu a donc droit de faire valoir la garantie d'un procès équitable lorsqu'il est accuséd'infractions à la discipline pénitentiaire, si ces accusations peuvent passer pour « pénales » au regardde la Convention. Aussi, convient-il de présenter les garanties requises par le procès équitable ausens de l’article 6 de la Convention.Le procès équitable requiert, entre autres, le respect des garanties suivantes.L’indépendance et l’impartialité du tribunal 556 : elles sont appréciées au regard de l’indépendance àl'égard, aussi bien du pouvoir exécutif, que des parties ; du mode et de la durée de désignation de sesmembres ainsi que de l’inamovibilité des juges 557 . La présomption d’innocence. La notificationrapide de l’acte d’accusation, si nécessaire, traduite. Les facilités nécessaires pour la préparationde la défense. Celles-ci comprennent notamment : le droit de disposer d’un délai suffisant pour lapréparation de la défense 558 ; le droit de se défendre personnellement et/ou par un avocat librementchoisi ; la confidentialité des échanges avec l’avocat et sa consultation préalable au procès et entemps utile 559 ; ou encore la possibilité d'obtenir l'aide juridictionnelle en cas d'insuffisance des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...554 « Elle n'ignore pas que dans le contexte carcéral des raisons pratiques et politiques militent pour un régimedisciplinaire spécial, par exemple des considérations de sécurité, l'intérêt de l'ordre, la nécessité de réprimer lamauvaise conduite des détenus avec toute la promptitude possible, l'existence de sanctions sur mesure dont lesjuridictions de droit commun peuvent ne pas disposer et le désir des autorités pénitentiaires de garder la hautemain sur la discipline dans leurs établissements », Campbell et Fell c. R.U, préc., préc., § 69.555 Ibid.556 Dont l’interprétation est dominée par le principe de la confiance que les juridictions doivent inspirer auxjusticiables dans une société démocratique, Piersack c.Belgique, 1 oct. 1982, Série A n° 53, § 30 ; CEDH,Sander c. R.U., n°34129/96, CEDH 2000-V, § 22.557 Voir entre autres arrêts : CEDH, Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, Série A n°13 § 97; CEDH, Stramekc. Autriche du 22 oct. 1984, Série A, n°84, § 42 ; CEDH, Findlay c. R.U., 25 février 1997, Recueil 1997-I,§§ 73-78 ; CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc., préc., § 81.558 La veille de l'audience, peut passer pour suffisant (arrêt Campbell et Fell c. R.U, préc., §§ 97-98), mais pasune heure avant la séance (CEDH, Twalib c. Grèce, n° 24294/94, 9 juin 1998, Recueil 1998-IV).559 « Un avocat ne saurait guère assister son client au sens de l'art. 6 § 3 al.c sans consultation préalable »,Campbell et Fell c. R.U, préc., §§ 97-98.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008120


essources pour rémunérer un avocat 560 . L’égalité des armes 561 . Un véritable débat contradictoire 562 .Celui-ci requiert : la comparution personnelle et/ou la représentation par un avocat 563 ; lacommunication de tous les moyens présentés au juge et la possibilité de les discuter et de lescontredire de manière concrète et effective 564 , y compris d'interroger les témoins, au moins, au stadede l'instruction 565 et de recourir à des expertises 566 . La publication du procès. C’est la garantie quicontribue le plus directement à assurer la confiance des justiciables en la justice 567 , en permettant decontrôler la manière dont elle est exercée 568 . Il peut suffire que le contenu du jugement soitaccessible au public 569 . En revanche, un manquement devant les juridictions de fond ne peut pas êtrecomblé par la publicité du procès devant une instance qui connaît uniquement des questions dedroit 570 . La motivation de la décision. Son étendue peut varier selon la nature de la décision et lescirconstances de chaque espèce 571 . La rapidité de la procédure. Cette garantie, qui s’étend jusqu’àl’exécution d’une décision 572 , est consacrée par la Convention en termes de « délai raisonnable » etvise « à empêcher que le justiciable ne soit en proie à l'inévitable angoisse qui résulte des retardsdans le jugement de sa cause » 573 .560 Twalib c. Grèce, préc., § 63.561 Cette garantie implique « l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sacause - y compris ses preuves - dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantagepar rapport à son adversaire », CEDH, Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 oct. 1993, Série A n°274, § 33 ;CEDH, Nideröst-Huber c. Suisse, n° 18990/91, Recueil 1997-I, § 23 ; CEDH, Foucher c. France, n°22209/93,18 mars 1997, Recueil 1997-II ,§ 34.562 « L'un des éléments d'une procédure équitable au sens de l'article 6 § 1 est le caractère contradictoire decelle-ci », CEDH, Mantovanelli c. France, n° 21497/93, 18 mars 1997, Recueil 1997-II, § 33.563 Feldbrugge c. Pays-Bas, 29 mai 1986, Série A n°99, 30 août 1990, §§ 42-44.564CEDH, Mantovanelli c. France, § 33. Voir aussi, CEDH, Vermeulen c. Belgique, n° 19075/91,20 févr. 1996, Recueil 1996-I, § 33 ; R 23043/93 (Slimane Kaid/France), préc., § 121 ; CEDH, Ruiz-Mateos c.Espagne, 23 juin 1993, Série A n° 262, § 63 ; CEDH, Brandstetter, 28 août 1991, Série A n° 211, § 67 ;CEDH, Slimane-Kaïd c. France, n°29507/95, CEDH 2000-I.565 « Les droits de la défense sont restreints de manière incompatible avec les garanties de l'article 6 lorsqu'unecondamnation se fonde uniquement ou d'une façon déterminante sur des dispositions d'un témoin que l'accusén'a eu la possibilité d'interroger ou de faire interroger ni au stade de l'instruction ni pendant les débats »,CEDH, Saidi c. France, 20 sept. 1993, Série A n°261-C, § 44. Voir aussi l’arrêt A. M. c. Italie, n° 37019/97, 14déc. 1999.566 CEDH, Mantovanelli c. France, préc., § 34 ; CEDH, Pélissier et Sassi c. France, n°25444/94, 25 mars<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1999, Recueil 1999-II, § 4.567 CEDH, Axen c. R.F.A, 8 déc. 1983, Série A n°72, § 25 ; CEDH, Sutter c. Suisse, n° 8209/78, Série A, n°74,§ 26 ; CEDH, Pretto c. Italie, 8 déc. 1983, Série A n°71, § 21 ; CEDH, Gautrin et autres, préc., § 42.568 Le but de cette garantie est de « permettre le contrôle du pouvoir judiciaire par le public afin d'assurer ledroit à un procès équitable », CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc., § 91 ; arrêt Gautrin et autres, préc., § 42.569 CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc., § 91. Il peut, par exemple, suffire le dépôt du jugement au greffe dutribunal et accessible au public (CEDH, Pretto c. Italie, 8 déc. 1983, Série A, n°71) ou sa publication dans unrecueil officiel peut satisfaire aux exigences de la publicité (CEDH, Axen c. R.F.A, 8 déc. 1983, Série A, n°72).570 « La haute juridiction ne connaît pas le fond des affaires de sorte que de nombreux aspects des contestationsrelatives aux droits et obligations de caractère civil échappent à son contrôle. Pour de tels aspects, quiexigeaient en l'espèce, il n'y a eu ni débats publics ni décision rendue en public comme le veut l'art. 6 § 1 »,CEDH, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, 23 juin 1981, Série A n°43, § 60.571 CEDH, Higgins et autres c. France, n°20124/92, 19 févr. 1998, Recueil 1998-I, § 42.572 La phase de l'exécution est considérée comme partie intégrante du procès : si bien que la durée de sonexécution est prise en compte dans l'appréciation du délai raisonnable : CEDH, Dewicka c Pologne,n° 38670/97, 4 févr. 2000 ; CEDH, Comingersoli S.A. c. Portugal, n°35382/97, CEDH 2000-IV.573 R. ERGEC ET J. VELU, « La notion du délai raisonnable dans les articles 5 et 6 de la CEDH », Rev. Tr.DH, n° spécial janv. 1991, p. 159.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008121


Soulignons à propos de l’application de ces garanties du procès équitable dans la prisonceci. Alors que son applicabilité a été reconnue seulement en 1984, et demeure limitée dans le cadrede la sanction de mise en cellule disciplinaire (arrêt Campbell et Fell et arrêt Ezeh et Connors), ladoctrine spécialisée sur les questions pénitentiaires réclame cette garantie depuis la fin du XIXesiècle et sans limitation. Elle remonte au Congrès pénitentiaire international tenu à Paris, en 1895consacré spécialement à l'organisation de la procédure disciplinaire pénitentiaire. Estimant que cetteprocédure était loin de satisfaire aux exigences, même minimales, de la justice, c'est en se référantaux arguments du fondateur du prétoire disciplinaire en France, T. Duchâtel, qu’un congressiste, M.Fournier avait proposé de garantir un véritable procès équitable. Il défendait, déjà à l'époque, deuxaspects forts d'un tel procès : le tribunal indépendant et la publicité de l'audience du prétoire. SelonM. Fournier, « le tribunal ne saurait être constitué par le directeur de la prison, soit tout seul, soitavec adjonction d'assesseurs qui n'ont qu'une voix consultative. Si un directeur est investi de cesfonctions de juge unique, voyez à quels abus nous pouvons arriver. Supposons un pays -il n'est certespas invraisemblable de supposer- où la punition qui doit être appliquée à telle infraction donnée n'apas été indiquée par l'administration supérieure ; voilà donc un directeur qui réunira entre ses mainsle pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif ; est-il admissible ? 574 ». Ilpréconisait alors la création d'un tribunal disciplinaire, composé de hauts fonctionnaires de l'ordrejudiciaire et de l'ordre administratif, devant lequel le directeur viendrait comme ministère public pourrequérir, dans l'intérêt de la discipline, l'application de la punition encourue par le détenu etdemander qu'elle soit prononcée 575 . Il défendait également, au nom de l'équité, le caractère public del'audience du prétoire. Ce principe, ayant déjà été défendu par T. Duchâtel en 1842 576 , M. Fournierprécisait qu'il entendait par publicité « celle résultant de la présence de plusieurs fonctionnaires del'établissement et d'un certain nombre de prisonniers 577 ».Or, à l’heure actuelle, la justice équitable ne s’est pas encore généralisée en prison, ni auniveau européen, ni au niveau national. Les droits nationaux grec et français, ont noté des progrèsnotables en matière disciplinaire, mais les garanties offertes ne sont toujours pas adéquates au regardde l’enjeu pour la liberté que certaines sanctions peuvent représenter.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008122574 FOURNIER, Congrès pénitentiaire international de Paris, 1895, p. 289.575 Ibid., p. 290.576 « La justice disciplinaire doit être rendue publiquement parce que s'il est à désirer que les détenus punisavouent leurs fautes, il est plus important encore que les témoins de leurs explications reconnaissent l'équitédes punitions infligées. C'est ainsi que se forme et se fortifie dans la prison cette confiance entière dans lajustice et l'impartialité du directeur, sans laquelle tout ascendant moral de l'administration sur les condamnésest impossible », T. Duchatel, Code des prisons de 1670 à 1845, préc., p. 384.577 « Je n'insiste pas car il me semble que sur ce point de la publicité de l'audience du prétoire disciplinaire nousdevons être tous d'accord. Par publicité, il va de soi que je n'entends que celle résultant de la présence deplusieurs fonctionnaires de l'établissement et d'un certain nombre de prisonniers », FOURNIER, Congrèspénitentiaire international de Paris, préc., p. 293.


123B. L’état d’application du procès équitable au sein des droits nationauxIl convient de mesurer l’impact sur les mesures d’individualisation de la peine que lessanctions disciplinaires peuvent avoir (1), avant d’examiner si en l’état actuel des garanties, lesprocédures disciplinaires appliquées au sein de ces deux droits nationaux peuvent passer pouréquitables (2).1. L’impact indirect de la sanction de mise en cellule sur la durée de la détentionEn droit grec, les sanctions disciplinaires ont incontestablement un impact sur la libérationconditionnelle, sur la semi-liberté mais aussi sur le calcul bénéfique du temps de détention (a). Endroit français, elles peuvent en avoir sur les mesures de la libération conditionnelle et les réductionsde peine (b).a. Au sein du droit grecAu moins trois dispositions du Code pénitentiaire grec témoignent de l’impact de cessanctions sur la durée de la détention : celle relative à la libération conditionnelle et au calculbénéfique des jours mais aussi celle sur le régime de semi-liberté. Si pour l’octroi de ce dernier, il estsimplement prévu que la personnalité et le comportement de l’intéressé pendant sa détention,peuvent être pris en compte (art. 60 §3 C.pénit.), dans l’octroi de la libération conditionnelle et ducalcul bénéfique, il est expressément prévu que les sanctions disciplinaires sont prises en comptedans l’évaluation de la personnalité du détenu (art. 69 §§ 2-4 du C. pénit.).Leur influence sur la libération conditionnelle est toutefois limitée par deux lois n° 2207/94et i n° 2408/1996 ayant comme objectif d’inciter les tribunaux à en faire la règle et non l’exception.En effet, comme nous l’avons évoqué, les tribunaux ont, dés le début des années ’80, limitél'influence des sanctions en excluant les sanctions légères : « Des sanctions disciplinaires légèresn'excluent pas la bonne conduite » du futur détenu libéré 578 , à moins qu'elles n'aient été fréquentes 579 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>b. Au sein du droit français<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En droit français, le rôle des sanctions disciplinaires sur la durée de la détention est évidentpar leur impact aussi bien sur la réduction de peine et la libération conditionnelle, que sur la mesurede semi-liberté.578 Trib. correct. Patras, 166/1982, Sympliroma nomologhias, 1982, p. 190.579 Trib. Correct. Corfou, 87/1981, Poinika chronika, 1982, p. 188.


Dans le cadre de la réduction de peine, leur impact est clair. D’abord, l’octroi desréductions de peine supplémentaires 580 , qui relève de la compétence du JAP, est fondé sur la bonneconduite du détenu (art. 721-1 CPP) 581 . Ensuite, le retrait de cette mesure comme le retrait de laréduction de peine automatique (art. 721 CPP), est fondé sur la mauvaise conduite 582 . Or, cetteconduite est, entre autres, appréciée par la commission ou non, d’infractions disciplinaires. En effet,si le JAP dispose d'une marge d'appréciation dans les conséquences à attacher aux sanctionsdisciplinaires prononcées contre un détenu, il est de pratique constante que la sanction de mise encellule entraîne la perte automatique des jours de réduction de peine déjà accordés. Ainsi que l'avaitconfirmé le gouvernement français, à l'occasion des affaires examinées par la Commissioneuropéenne, un jour de cette sanction entraîne un jour et demi de perte de réduction de peine. Lessanctions pour évasion ou tentative d'évasion entraînent, quant à elles, quasi-automatiquement, leretrait total ou partiel de la réduction de peine accordée durant l'année précédente, ainsi que ladiminution des réductions de peine durant l'année en cours ou encore le refus total d'en accorder.Quant aux effets des sanctions sur la liberté conditionnelle, si l’expression « bonneconduite », disparue depuis les lois du 17 juillet 1970 et du 29 décembre 1972, est actuellementremplacée par celle des « efforts sérieux de réadaptation sociale » 583 , en réalité, comme l’a relevé laCour dans l’affaire Léger, cette dernière implique bien l’appréciation de la bonne conduite. Dès lors,il n’est pas exclu que ces deux pays se trouvent confrontés à la question du respect du procèséquitable dans le cadre de leurs procédures disciplinaires pénitentiaires.2. La procédure appliquée dans le cadre de la sanction de mise en celluleTant le droit grec, que le droit français, prévoient un nombre de garanties lors du recours àdes sanctions disciplinaires, à tout le moins à la plus lourde parmi elles : la mise en celluledisciplinaire. Sont-elles conformes aux exigences citées de la Convention ? Pour le savoir, il faut<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...580 A côté de ce type de réduction, il existe les réductions de peine automatiques prévues par l’article 721 duCode de procédure pénale auxquelles le détenu a droit indépendamment de sa conduite en prison.581 Une réduction supplémentaire de la peine peut être accordée aux condamnés qui manifestent des effortssérieux de réadaptation sociale, notamment en passant avec succès un examen scolaire, universitaire ouprofessionnel traduisant l'acquisition de connaissances nouvelles, en justifiant de progrès réels dans le cadred'un enseignement ou d'une formation, en suivant une thérapie destinée à limiter les risques de récidive ou ens'efforçant d'indemniser leurs victimes », (721-1 al.1 CPP).582 « En cas de mauvaise conduite du condamné en détention, le juge de l'application des peines peut être saisipar le chef d'établissement ou sur réquisitions du procureur de la République aux fins de retrait, à hauteur detrois mois maximum par an et de sept jours par mois, de cette réduction de peine. Sa décision est prise dans lesconditions prévues à l'article 712-5 », (art. 721, al. 3 CPP).583 « La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnés et à la prévention de la récidive. Lescondamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d'une libérationconditionnelle s'ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale, notamment lorsqu'ils justifient soitde l'exercice d'une activité professionnelle, soit de l'assiduité à un enseignement ou à une formationprofessionnelle ou encore d'un stage ou d'un emploi temporaire en vue de leur insertion sociale, soit de leurparticipation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir un traitement, soit de leurs efforts envue d'indemniser leurs victimes » (art. 729 al.1 CPP).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008124


125tenir compte à la fois de la procédure disciplinaire pénitentiaire et les recours. La Cour admet lacomplémentarité de différentes étapes de procédure : les lacunes à un niveau de procédure peuventêtre comblées à un autre. Encore faut-il que les recours puissent être exercés devant des instancesimpartiales et indépendantes, qui observent les règles élémentaires de procédure équitable et quidisposent d'un pouvoir de contrôle assez ample qui comprend l'ensemble des points de fait et de droitainsi que d'un pouvoir de sanction et de réparation efficace 584 . C'est en ayant à l'esprit ces élémentsqu'il convient d'apprécier si les garanties assurées en droit grec, au sein duquel cette sanction peutdurer jusqu’à 10 jours (a) et en droit français, au sein duquel elle peut durer jusqu’à 45 jours (b), sontsatisfaisantes au regard des exigences du procès équitable.a. Au sein du droit grecLa procédure concernant les sanctions disciplinaires s’est progressivement améliorée endroit grec, notamment depuis les deux dernières lois pénitentiaires de 1989 et 1999. Elle demeuretoutefois insatisfaisante au regard du procès équitable. Prévues essentiellement dans les articles 70 et71 du Code pénitentiaire, les règles de procédure contre les infractions disciplinaires, ne permettentd'assurer que partiellement les garanties élémentaires d'un tel procès, tant devant le prétoire que dansle cadre du recours.Les poursuites devant le prétoireLe premier inconvénient de la procédure à ce niveau consiste dans la nature même del’instance de décision. La Commission de discipline qui siège dans chaque établissement ne peutpasser pour une instance ni indépendante ni impartiale. Composée des trois membres, seul sonprésident jouit de ces garanties. Il s’agit du Procureur chargé de l’inspection de l’établissement. Lesdeux autres membres, qui disposent également d’un pouvoir de décision, sont le directeur del’établissement et l’assistant social avec la plus grande ancienneté ou de leurs délégués légaux. (art.70 § 1). Si bien que, quelles que soient les règles de procédure, le procès devant le prétoire ne peutpas passer pour équitable.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008D’ailleurs, les règles de procédure ne répondent que partiellement à celles du procèséquitable. Les poursuites sont déclenchées par un rapport écrit soumis par un surveillant à laCommission, au plus tard dans les dix jours après la commission de l’infraction (71 § 1 C. pénit.). Le584 « La Cour rappelle que même lorsque l'article 6 § 1 se trouve à appliquer, l'attribution du soin de statuer surdes infractions disciplinaires à des juridictions ordinales n'enfreint pas en soi la Convention. Toutefois, celle-cicommande alors, au moins l'un des systèmes suivants : ou bien lesdites juridictions remplissent elles-mêmesles exigences de l'article 6 § 1, ou bien elles n'y répondent pas mais subissent le contrôle ultérieur d'un organejudiciaire de pleine juridiction présentant, lui, les garanties de cet article », CEDH, Gautrin et autres c.France, 20 mai 1985, Recueil 1998-III, § 57.


126détenu est immédiatement informé des accusations par une convocation et invité à préparer sadéfense (art. 71 § 2). Il dispose de cinq jours (art. 71 § 3 C. pénit.). En ce qui concerne les droits dela défense, le détenu se défend en personne, il a droit de citer des témoins, dont le nombre peut êtrelimité par la commission de discipline (art. 71 § 3, C. pénit.) et il a droit de se faire assister par uninterprète s’il ne maîtrise pas la langue grecque (art. 71 § 2 C. pénit.). La décision doit être motivéede manière circonstanciée (art. 71§ 5 C. pénit.) et notifiée dans les cinq jours (art. 71 § 5 C. pénit.).A la lumière de l'ensemble de ces garanties, le respect très partiel du procès équitable estalors sans équivoque : la défense par un avocat n'est toujours pas assurée ; les moyens de preuve sontlimités aux témoins ; et la publicité du procès n'est pas assurée ni par l’accès du public au prétoire nipar son accès au verdict, les décisions disciplinaires pénitentiaires n’étant pas publiées. Dès lors, desrecours susceptibles de remédier à ces lacunes doivent être prévus.Les recoursComme en droit français, jusqu’à la jurisprudence Marie (1995), les juridictionsadministratives grecques refusent leur compétence en matière de recours des détenus contre dessanctions disciplinaires, y compris contre celle de la mise en cellule. Mais leur refus n’est pas fondésur le même motif que les juridictions françaises, à savoir la considération des sanctionsdisciplinaires comme des « mesures d’ordre intérieur ». A savoir des mesures considérées comme defaible importance, qui ne méritent donc pas d’être portées devant un tribunal suivant le principe de lamaxime de minimis non curat praetor. Selon Jean Carbonnier, il s'agit d'une maximed'administration de la justice qui consiste à « dénier aux affaires de peu d'importance tout accès à lajustice et, non pas simplement de les faire renvoyer à une juridiction inférieure ou de les priver d'unevoie de recours 585 ». La jurisprudence administrative grecque connaît également cet argument. Lamesure d’ordre intérieur est définie comme une décision privée de caractère exécutoire 586n'entraînant pas de conséquences légales extérieures à un service public 587 . Concernant le servicepublic pénitentiaire, le juge administratif a fait une application quasi générale. Il considère toutes lesmesures prises par l'administration pénitentiaire comme des mesures d'ordre intérieur.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais, s’agissant des recours des détenus contre les décisions disciplinaires, le rejet par lejuge administratif grec a été fondé sur le critère de partage de sa compétence avec celle du jugejudiciaire en matière pénitentiaire. Ce critère est également similaire de celui en droit français. Selon585 J. CARBONNIER, Flexible droit, préc., pp. 64-65 ; R. CHAPUS, Droit administratif général, 2e éd., préc.,p. 565.586 P.-D. DAGTOGLOU, Droit de procédure administrative, préc., pp. 380-385.587 Arrêt du Conseil d’Etat n°1486/1950 relatif à une décision de transfert d'un détenu ; et arrêt n°2714/79relatif au port de l’uniforme par des écoliers, mentionnées dans la revue La Constitution, 1980, t. 6, p. 9 ; VoirP.-D. DAGTOGLOU, Droit de procédure administrative, préc., pp. 380-385.


127l'article 565 du code de procédure pénale, il appartient au tribunal correctionnel du lieu de détentionde connaître « tout doute ou différent relatif au caractère exécutoire de la décision de condamnation,la nature et la durée de la peine ».Or, le juge administratif grec l’a interprété dans un sens en faveur de la compétence du jugejudiciaire. Ainsi, le Conseil d’Etat grec a décliné sa compétence en estimant que les décisionsdisciplinaires de mise en cellule « concernent les modalités, les conditions et la durée d'exécution dela peine privative de liberté prononcée par les juridictions pénales ; qu'étant ainsi étroitement liées àl'exécution d'une décision pénale, elles ne sont pas recevables pour un contrôle d'annulation auprèsdu Conseil d'Etat 588 ». Un raisonnement qui au fond correspond à celui suivi par la Cour dansl’affaire Campbell et Fell et dans celle d’Ezeh et Connors à propos de ce type de sanctionsdisciplinaires.Sauf que cette jurisprudence n’a donné lieu à aucun accès devant le juge judiciaire. Devantce déni de justice, le législateur grec a fait un choix différent de celui en France. Il a institué unrecours devant une juridiction chargée spécialement du contrôle de l’exécution et de l’application despeines : le TAP. En effet, depuis la réforme du droit pénitentiaire (Loi n°1851/1989), les détenusdisposent d'une voie de recours contre la sanction de mise en cellule individuelle. Il est exercé devantle TAP (art. 70 § 2 C. pénit.). Il peut être exercé dans les cinq jours après la notification de ladécision (art. 71 § 7 C. pénit.), sans effet suspensif sauf décision contraire de la Commission dediscipline. La décision du TAP est irrévocable.Cependant, rien d’autre n’est prévu, ni sur le caractère de la procédure ni sur le pouvoir decontrôle et de réparation. Ce qui permet de douter de l’efficacité du recours devant lui. Il estseulement prévu que le ministre de la Justice et la Commission de discipline peuvent sur recourshiérarchique, suspendre, interrompre ou gracier cette sanction pour deux motifs précis : pourpréserver la vie et la santé en cas de danger grave, ou pour récompenser le détenu pour un acteméritant (art. 71 § 10 C. pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>b. Au sein du droit français<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Si des progrès y sont également notés depuis la réforme du droit disciplinaire pénitentiaire,par le Décret du 2 avril 1996, des lacunes subsistent dans la procédure devant le prétoire et qui,même depuis l’arrêt Marie (1996), ne sont pas comblées lors du recours juridictionnel administratif.Les poursuites devant le prétoire588 CE., n°1359/1970.


128Concernant d’abord, les instances disciplinaires, de même qu’en droit grec, elles ne sont niindépendantes ni impartiales. Le seul changement opéré, en 1996, est sa composition. Alorsqu’auparavant, le chef d'établissement siégeait seul, depuis ce décret, il siège au sein de laCommission de discipline, mais il est toujours seul à décider. Cette Commission comprendégalement deux membres du personnel de surveillance désignés par le chef d'établissement mais ilsn'ont qu'une voix consultative ( art. D 250 al.1 et al.2, CPP).Dès lors, en cas de poursuites disciplinaires qui, au regard de la Convention, sontsusceptibles d'être qualifiées de poursuites pénales, le procès disciplinaire ne peut être conforme ni àl'article 6 ni à l'article 13 de la Convention, quelles que soient les règles de procédure.D’autant plus que les règles de procédure sont également défaillantes au regard desexigences européennes.Le déclenchement de la procédure se fait par la soumission au chef d'établissement d'un« compte-rendu d'incident », dans les plus brefs délais, par l'agent présent lors de l'incident ouinformé de ce dernier. Un rapport est, par la suite, établi par un membre du personnel decommandement, du personnel de surveillance, ou par un premier surveillant major et adressé au chefd'établissement. Ce rapport comporte tout élément d'information utile sur les circonstances des faitsreprochés au détenu et la personnalité de celui-ci (art. D 250-1, al.1 CPP).L’accusé est convoqué par écrit, comportant l'exposé des faits qui lui sont reprochés etindiquant le délai dont il dispose pour préparer sa défense. Cependant ce délai est très court :seulement trois heures minimum avant le prétoire (art. D 250-2 CPP).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Quant au déroulement de l’audience, le détenu présente ses explications écrites ouorales soit en personne (art. D 250-4, al.1 CPP), soit, depuis la loi nº 2000-321 du 12 avril 2000 589 ,par un avocat ou un mandataire 590 . Pour l’assistance d’un avocat, le détenu peut recevoir l’aidejuridictionnelle. En revanche, il n'est par précisé que le détenu puisse citer des témoins, niévidemment que le chef d'établissement doive les entendre. Enfin, l’assistance d'un interprète n’est<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008prévue que « dans la mesure du possible » (art. D 250-4 al. 3 CPP). La décision sur la sanctiondisciplinaire est prononcée en présence du détenu, et lui est notifiée par écrit, sans délai (art. D 250-4al.4). Elle doit être motivée et indiquer les droits de recours.589 Loi nº 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec lesadministrations, rendue applicable en prison par une circulaire du Garde des Sceaux, n° NOR JUS E 00 40 087C du 31 octobre 2000.590 Notons que, alors que la loi ne prévoit aucune formalité particulière, la circulaire NOR JUS E 00 40 087 Cdu 31 octobre 2000 exige la mise en place des listes des mandataires agréés par les directeurs régionauxfondées sur des critères visant à exclure nombre des personnes et à retirer facilement l’agrément pour desmotifs de manquement aux règles relatives à la sécurité et au bon ordre de la prison.


129Dès lors, à part la présence de l’avocat au prétoire, comme en droit grec, plusieursdéfaillances caractérisent cette procédure. L'égalité des armes n'est pas assurée puisqu’il n’est pasaccordé au détenu le droit de citer des témoins à décharge ni de demander une contre-enquête.L'assistance d'un interprète n'est pas obligatoire 591 . Le délai de la préparation de la défense, de troisheures, est très court. Cela signifie non seulement que le détenu maîtrise bien le français, mais encorequ'il est en mesure de décrypter les textes de droit et assez rapidement pour pouvoir consulter leCode de procédure pénale, les circulaires de son application, le règlement intérieur et les instructionsdu chef d'établissement, et qu'il puisse en faire synthèse. Même un avocat a besoin d'au moins troisheures pour préparer correctement une défense. Or le délai de trois heures ne garantit ni la présenceeffective, ni la défense efficace de l’avocat. D’autant qu’il faut y ajouter l’absence de règles dedéroulement de la procédure au prétoire. Aussi la place et l’importance de l’avocat sont celles que lesdirecteurs des prisons veulent bien lui accorder. Enfin, la publicité, garantie défendue depuis 1842par T. Duchatel, n'est toujours pas respectée lors de l'audience au prétoire ni lors du prononcé de lasanction. Il est simplement prévu, en droit français, que les sanctions disciplinaires soient inscritessur un registre tenu en prison. Mais ce registre n'est accessible qu'aux autorités judiciaires etadministratives (art. D 250-6, al.3 CPP).Les recoursDeux recours sont possibles en droit français : un hiérarchique et un juridictionnel. Lerecours hiérarchique est un préalable obligatoire, pour exercer le second. Le détenu qui entendcontester la sanction disciplinaire doit, tout d’abord, la déférer au directeur interrégional des servicespénitentiaire, dans un délai de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision. Cedernier dispose d'un délai pour répondre par décision motivée (art. D250-5 CPP). C’est suite à sadécision, ou son silence qui vaut rejet, que l’intéressé peut exercer un recours juridictionnel.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Quant au recours juridictionnel, il est reconnu par voie jurisprudentielle, depuis 1995.Précisément, ce fut le Conseil d'Etat qui a, dans l'arrêt Marie du 17 février 1995, déclaré recevable larequête d'un détenu dirigée contre la sanction de mise en cellule de discipline qui lui avait étéUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008infligée pour avoir commis l'infraction de « réclamation injustifiée ayant déjà fait l'objet d'unedécision de rejet » (art. D. 262 CPP). Le requérant s'était rendu coupable de cette infraction pouravoir adressé une lettre au chef du service de l'inspection générale des affaires sociales, afin de seplaindre du fonctionnement du service médical de l'établissement. Il s'était plaint précisément de ne591 Signalons à ce propos que, si les règles pénitentiaires européennes la recommandent seulement en termes defaculté -« dans la mesure où cela est nécessaire et réalisable, le détenu doit être autorisé à présenter sa défensepar l'intermédiaire d'un interprète » (Règle 59-e)-, la jurisprudence européenne, elle, l'exige dans le procèséquitable.


pas parvenir à se faire prodiguer des soins dentaires, alors qu'il souffrait d'une fracture de deuxincisives depuis son arrestation.130Le Conseil d'Etat, dans l'arrêt rendu dans cette affaire, a dû écarter l'argument classique del'irrecevabilité de ce type de grief à savoir, leur caractère de mesure d'ordre intérieur. En suivant lesconclusions du commissaire du gouvernement, Patrick Frydman 592 , il a déclaré recevable ce recoursen considérant qu'il s'agissait bien d'une « décision faisant grief » et qui, par conséquent, ne relevaitpas de la catégorie des mesures d'ordre intérieur.Il est important de faire remarquer que, dans le raisonnement suivi par le Conseil d'Etat,c'est la considération de la sanction de mise en cellule disciplinaire en soi, à savoir telle que sonexécution est prévue par les Décrets relatifs au fonctionnement des prisons, qui lui confère lecaractère de « décision faisant grief ». Cette instance a précisément pris en considération lesdispositions suivantes qui régissent l'application de cette sanction depuis le décret du 1996 : « Lapunition de cellule consiste dans le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu'ildoit occuper seul ; elle emporte pendant toute sa durée la privation d'achats en cantine ... ainsi que laprivation des visites et de toutes les activités (art. D 251-3, al.1 CPP). De surcroît, en vertu del'article 721 du Code de procédure pénale, tel qu’il était rédigé à l’époque, les réductions de peine,qui sont accordées aux condamnés détenus uniquement « s'ils ont donné des preuves suffisantes debonne conduite », pouvaient être retirées « en cas de mauvaise conduite du condamné en détention ».Au vu de ces considérations, le Conseil d'Etat avait estimé qu' « eu égard à la nature et la gravité decette mesure, la punition de cellule constitue une décision faisant grief susceptible d'être déférée aujuge de l'excès de pouvoir ».Comme on devait s'y attendre, les autres juridictions administratives ont suivi la voieouverte par le Conseil d'Etat par l'arrêt Marie 593 . Mais comme on devait également s’y attendre, vu leraisonnement du Conseil d'Etat dans l'arrêt susmentionné, le droit de recours contentieux est réservéà la seule sanction de mise en cellule disciplinaire. Toutes les autres continuent à être qualifiées demesures d'ordre intérieur. De ce fait, elles ne peuvent donner lieu qu’à des recours hiérarchiquesauprès du directeur régional, et ensuite, auprès du ministre de la Justice. Recours dont l'efficacité fut<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008niée même par le commissaire du gouvernement dans l'affaire Marie : « Il n'aboutit guère en pratiqueà un véritable réexamen du dossier 594 ». Pourtant, parmi les autres sanctions, certaines ne sont passans poser de questions au regard de la Convention. Nombre de celles prévues par l'article 251 et251-1 du Code de procédure pénale, peuvent être analysées comme des ingérences dans l'exercicedes droits protégés par la Convention : la suppression de l'accès au parloir sans dispositif de592 CE, Marie, concl. P. Frydman, RFD adm., 1995, p. 335 et s.593 Pour leur recensement, comportant des décisions pour la plupart non publiées, voir M. HERZOG-EVANSet J.-P CERE, La discipline pénitentiaire : naissance d'une jurisprudence, préc. pp. 509-516.594 CE, Marie, concl. P. Frydman, RFD adm., 1995, p. 335 et s.


131séparation jusqu'à quatre mois peut être analysée comme une ingérence dans le droit au respect desliens privés et familiaux ; la privation de la radio et de la télévision pour une durée d'un mois, toutcomme la privation jusqu'à un mois d'activités culturelles et de formation, peut être regardée commeune ingérence dans l’exercice de la liberté d'expression et d'information ; et le déclassement d'unemploi, comme ingérence dans les moyens de subsistance, et donc dans le respect des biens.Ce qui est certain, c'est que les détenus en France disposent d’un droit de recours contre lasanction disciplinaire de mise en cellule qui est susceptible d’entraîner la perte des réductions depeine et/ou retarder ou empêcher l’accès à la libération conditionnelle. Le droit français s’est ainsimis à l’abri d’une éventuelle évolution de la jurisprudence européenne qui procède à un examen decas par cas, mais qui pourrait être amené à qualifier l’application d’une telle sanction commeapparentée à une sanction privative de liberté. La Commission européenne qui avait été saisie desrequêtes corrélatives des détenus en France, n’avait pas condamné cette sanction, ni au regard del’article 5, ni au regard des articles 6 ou 13 de la Convention. Examinée sous l’article 5, et fidèle àl’exclusion d’un raisonnement fondé sur le respect du droit à la liberté à l'intérieur de la prison, laCommission avait, dans l’affaire Pelle, jugé que « la mise en cellule de punition ne représente pasune privation supplémentaire de liberté mais une aggravation des conditions de détention 595 ». Quantà son examen sous l’article 6, alors que la sanction de mise en cellule disciplinaire peut, en droitfrançais, aller jusqu'à quarante-cinq jours et entraîner au total soixante-sept jours et demi de perte deréduction de peine 596 , la Commission n’avait pas estimé que les sanctions concrètes dont elle avaitété saisie, étaient de « nature et de degré de sévérité, tels qu'ils sont susceptibles de faire releverl'infraction sanctionnée de la matière pénale au sens de l'article 6 § 1 de la Convention 597 ». Elle avaitjugé ainsi, à propos d'une sanction de douze jours entraînant dix-huit jours de perte de remise depeine 598 , mais aussi à propos d'une sanction de trente et un jours et même de quarante-cinq jours etdemi 599 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Cela dit, au regard de la jurisprudence Campbell et Fell, et Ezeh et Connors, une tellequalification n’est pas exclue de la part de la Cour. Il importe alors de voir si dans une telleperspective, le recours juridictionnel peut, quant à lui, compenser les défaillances constatées dans leprocès disciplinaire pénitentiaire.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Les garanties du droit de recours exercé devant le juge administratif en droit français.595 D 11691/85, (Pelle/France), 10.10.1986, D.R.50, p. 263 ; D 20978/92 (J.U/France).596 Le gouvernement français avait, dans l’affaire Pelle, admis que selon la pratique répandue, un jour de miseen cellule de punition entraîne un jour et demi de perte de remise de peine, D 11691/85, (Pelle/France), préc.,pp. 263-265.597 Ibid. Voir D 20978/92 (J.U/France), préc.598 Ibid.599 Ibid.


132Pour déterminer si ce recours peut combler les lacunes observées dans la procédure devantle prétoire, encore faut-il établir qu’il respecte les garanties du procès équitable. C’est dire qu’ils’exerce devant un tribunal, indépendant, qui applique une procédure équitable, et dispose d’unpouvoir de contrôle suffisant.Concernant la première garantie, en théorie, toutes les juridictions administrativesprésentent les garanties d'indépendance et d'impartialité. La doctrine souligne que, si dans le passé,on a pu douter de l'indépendance et de l'impartialité de la justice administrative, aujourd'hui, « pluspersonne ne soutient que l'existence même de cette juridiction constitue un privilège pourl'administration aboutissant à la favoriser par l'application à elle-même ou à ses agents d'un régimed'exception 600 ».Il en est de même concernant les règles de procédure. Débat contradictoire, droits de ladéfense et publicité, ces garanties élémentaires du procès équitable sont en principe assurées au seindu procès administratif. Le contradictoire est assuré par la notification de la requête, et les mémoiresen défense (art. R 779-5 C. adm.). Les droits de la défense sont, eux, assurés par la défensepersonnelle ou par un avocat (R611 et s. C. adm.). Quant à la publicité, il est expressément prévu queles audiences et le prononcé des juridictions administratives (tribunaux et cours d'appel) soientpubliques (R R222-13 C. adm., et R741-2 C. adm.).Quant au pouvoir de contrôle et de redressement de la violation alléguée, « le procès faitpendant longtemps à l'administration est clos ». Il n'est plus contesté aujourd'hui que le contrôleexercé par les tribunaux administratifs soit un contrôle efficace 601 ». Mais pour pouvoir souscrire àcette affirmation, il faut encore s'assurer de la conformité de son efficacité au regard des critèreseuropéens, du recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention. Nous rappelons, qu'il est exigéque l'instance de recours doit disposer d'une compétence de pleine juridiction 602 : elle doit pouvoirexercer un contrôle sur l'ensemble des points, de fait et de droit (ce dernier doit également impliquerle contrôle de conformité des règles appliquées à la Convention), ainsi que sur la proportionnalité. Ilest aussi exigé qu'elle soit investie d'un pouvoir de sanction efficace à savoir, d'un pouvoircontraignant et réparateur de la violation alléguée.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Or, en droit français, l’efficacité du contrôle exercé de la part des juridictionsadministratives, est déterminée par le type de recours exercé. Le recours en annulation est un recours600 J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l'homme et libertés fondamentales, 7e éd., Paris, Montchrestien,1999, p. 183.601 Ibid., p.174.602 Voir entre autres, CEDH,Gradinger c. Autriche, 23 oct. 1995, Série A n°328-C, §§ 42-44 ; CEDH,Schmautzer c. Autriche, 23 oct. 1995, Série A n° 328-A, §§ 34-37 ; CEDH, Pfarmeier c. Autriche, 23 oct.1995, Série A n°329-C, §§ 38-41.


133de légalité. Et s'agissant des domaines où l'administration dispose d'un pouvoir discrétionnaire, ildonne lieu à un contrôle restreint. Ce contrôle ne peut porter au mieux que sur l'erreur manifested'appréciation qui ne comporte qu'un seul aspect substantiel de légalité : la proportionnalité entre lagravité de l'acte reproché à un administré et la mesure prise à son encontre. C'est une telle étendue decontrôle que les juges administratifs se sont attribué en matière de sanction de mise en cellule 603 .Aussi, le recours administratif ne donne-t-il pas lieu à un nouveau jugement de l'affaire surtous les points de fait et de droit. Le juge de légalité ne peut pas se prononcer sur l'opportunité despoursuites. Il ne peut pas substituer sa propre appréciation et qualification des faits à celle desautorités administratives pour réformer la sanction. Il ne peut que l'annuler ou la confirmer. Bref, ilne donne pas lieu à un procès qui respecte les garanties de l'accusé d'une infraction pénale. D'autantque la comparution personnelle du détenu et l'interrogation des témoins à charge et à décharge, dansdes conditions d'égalité avec l'administration pénitentiaire n'est pas obligatoire.Au vu de l'examen des garanties les plus complètes que ces deux droits pénitentiairesnationaux puissent assurer aux détenus accusés d'une infraction disciplinaire, mais susceptible d'êtrequalifiée de pénale, il résulte que celles-ci demeurent bien en deçà des garanties du procès équitable.La procédure disciplinaire est lacunaire et le juge administratif n’est pas à même d’assurer lacomplémentarité requise. Il convient toutefois d'ajouter que la jurisprudence européenne, elle-même,ne va pas très loin. La Cour, par les critères et le raisonnement appliqués, a certes ouvert une brèchepour faire entrer la justice dans la prison, mais pas encore pour y régner, comme le montre la rarejurisprudence positive en la matière soit seulement deux arrêts (Campbell et Fell et dans celle d’Ezehet Connors). Si bien que la réalisation des vœux exprimés lors du congrès pénitentiaire internationaltenu à Paris, en 1895, pour y assurer la garantie systématique d'une justice « irréprochable » dans lesprisons, sont encore loin d'être réalisés.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>A cette limitation, s’ajoute l’autolimitation de la Cour en matière de contrôle de légalitétemporelle. Tout en qualifiant la durée de 41 ans de détention de « durée exceptionnellementlongue » 604 , cette instance n’a pas fixé une période maximale de la détention au-delà de laquelle unepersonne doit bénéficier d’une libération conditionnelle au titre du droit à la liberté. Elle demande<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008seulement un contrôle juridictionnel pour examiner la possibilité d’accorder une telle mesure sansnon plus fixer un délai maximum. Elle examine cette question au cas par cas et en fonction de lalégislation et pratique de chaque droit national.Or, il importe de souligner que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a, dans saRecommandation Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle, recommandé à tous les Etats603 M. HERZOG-EVANS et J.-P CERE, « La discipline pénitentiaire : naissance d'une jurisprudence », préc.604 CEDH, Léger c. France, préc., § 76.


de considérer toutes les peines comme évolutives, à savoir comme comportant une phase punitive(fixe) et une évolutive (variable). Selon ce texte, les Etats doivent prévoir des dates minimales aprèslesquelles tout détenu doit pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle 605 . Ils doivent alorsengager la procédure nécessaire pour que la libération conditionnelle puisse être rendue dès que ledétenu a purgé cette période minimale requise (règle 17), et cela conformément à la prééminence dudroit. En cas de décision négative une nouvelle date devrait être fixée en vue du réexamen de lademande (règle 21). Quant aux critères, ils devraient être clairs et explicites (règle 18). L’absence delogement et de travail permanents ne devraient pas être un obstacle à l’attribution de cette mesure(19). Enfin, cette recommandation contient un véritable code de procédure de la libérationconditionnelle dans le chapitre VIII. Les condamnés devraient avoir le droit : d'être entendus enpersonne et de se faire assister (art. 32) ; de bénéficier de l’égalité des armes et d’une décisionmotivée (art. 32) ; de bénéficier d’un recours auprès d'une instance de décision, supérieure,indépendante, et disposant du pouvoir de contrôler à la fois le fond de la décision et les garantiesprocédurales (art. 33).Dès lors, la Cour devrait s’inspirer aussi bien de cette Recommandation du Conseil del’Europe, que de la pratique de presque tous les pays européens. La libération conditionnelle est unemesure appliquée par quasiment tous les pays de l’Europe, et fondée sur l'appréciation de lapersonnalité et du risque de récidive 606 . Par ailleurs, le contrôle juridictionnel devrait être étendu àtoutes les autres mesures d’aménagement de peine qui directement ou indirectement influencent letemps de la détention ainsi que la nature de la peine (comme la semi-liberté, le placement àl’extérieur, mais aussi les transferts).Au vu de la jurisprudence européenne et des droits nationaux, nous pouvons dire que laconsidération du temps pénal comme évolutif est en train d’être acquise. La Cour, après l’avoirreconnu dans le cadre des peines appliquées en droit britannique, composées d’une durée dedétention fixe et d’une durée indéterminée, et exprimé, dans l’arrêt Léger, la même considérationpour les peines assorties d’une période de sûreté en droit français, l’a étendu, dans ce dernier arrêt àtoutes les peines dont la durée du maintien en détention dépend des critères de « risque » et de« dangerosité » 607 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008134605 « Au commencement de l'exécution de leur peine, les détenus devraient connaître le moment où la libérationconditionnelle pourra leur être accordée du fait d'avoir purgé une période minimale (définie en termes absoluset/ou par référence à une proportion de la peine) et les critères utilisés pour déterminer s'ils peuvent bénéficierd'une libération conditionnelle (système de libération discrétionnaire) ou bien, le moment où celle-ci leur seraaccordée de droit du fait d'avoir purgé une période fixe définie en termes absolus et/ou par référence à uneproportion de la peine (système de libération d'office) », Principe 5.606 Etude sur la libération conditionnelle dans les États membres du Conseil de l’Europe, menée dans le cadredu Projet de Recommandation Rec(2003)XX, concernant la libération conditionnelle, Rapport final d’activités,cdpc\docs2003\cdpc (2003) 09.607 « Bien que la peine du requérant ne fût assortie d’aucune période de sûreté, comparable au ‘tariff’ anglaiscorrespondant à l’élément punitif de la sentence, la Cour observe que d’autres éléments liés au ‘risque’ et à la‘dangerosité’ ont justifié le maintien en détention du requérant », CEDH, Léger c. France, préc., § 74 ;


135Le Comité des Ministres, dans la Recommandation de 2003 sur la libération conditionnelleprécitée, reconnaît explicitement un tel caractère à toutes les peines privatives de liberté, et les droitsnationaux, ici comparés, le reconnaissent implicitement. La peine vise outre la répression del’infraction, également la protection de la société. Le but est alors de préparer la personne à sortirsans récidiver, si bien que l’évolution de la personnalité est prise en compte parmi les critèresd’octroi des mesures permettant, soit d’écourter le temps de détention (libération conditionnel,réduction de peine ou calcul bénéfique), soit de passer à un régime allégé d’exécution de la peineprivative de liberté (comme celui de semi-liberté ou de placement à l’extérieur).Enfin, à l’autolimitation de la Cour dans l’étendue de son contrôle de légalité temporelle, ilfaut ajouter son autolimitation dans le contrôle de la légalité matérielle de la détention. Ellen’applique ce contrôle que dans les choix des lieux et régimes des détentions mixtes à savoir desdétentions qui poursuivent un but à la fois pénal et thérapeutique ou éducatif. Alors qu’elle aurait puen faire autant dans le cadre de la détention pénale ordinaire, à tout le moins lors des choix entre desrégimes de détention sensiblement différents par rapport à la détention ordinaire : notamment lors duchoix d’un régime de semi-liberté, d’isolement carcéral, ou d’autre régime de sécurité renforcée. Or,pour l’instant la seule garantie contre ces mesures est, nous le verrons plus loin, celle résultant del’article 3 de la Convention.De manière générale, le droit à la liberté pourrait dans les cas des détenus, par le biais dudroit à la légalité de la détention, être considéré comme lex generalis par rapport aux autresdispositions de la Convention. Cette notion contient la potentialité de faire entrer dans la légalité dela peine privative de liberté des aspects qui échappent pour l'instant à la protection de la Conventionalors qu’ils sont considérés comme importants par les détenus.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le droit à la liberté pourrait alors être celui qui contribuerait le plus à modifier le sens de lapeine privative de liberté et le statut du détenu. Mais ce droit n'a, peut-être, pas encore fait l'objetd'une interprétation qui lui permette de déployer toute la potentialité de sa protection à l'égard despersonnes privées de liberté.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008*Pour l’instant ce rôle revient aux autres droits de l’homme y compris pour déterminer ledegré d’emprise sur le corps que la peine privative de liberté peut impliquer afin d’assurer le contrôle« L’élément de dangerosité peut, par sa nature, évoluer à la longue (arrêt Weeks précité, § 16). Précisément, enl’espèce, l’octroi de la libération conditionnelle au requérant accordé en 2005 est fondé sur le fait que soncomportement n’est plus un obstacle à sa libération et que le risque de récidive est devenu quasimentinexistant », CEDH, Léger c. France, préc., § 75.


136physique de la personne. Ce rôle revient au respect du droit à la vie. Si une des dispositions del’article 2 de la Convention qui consacre ce droit permet d’y voir une extension du contenu de cettepeine, les garanties telles qu’elles sont interprétées par la Cour posent des limites claires.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


137CHAPITRE 2. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’EXERCICE DU DROIT A <strong>LA</strong> VIESelon les instances européennes, le droit à la vie consacré par l'article 2 de la Conventionconstitue, avec la dignité humaine telle qu’elle est protégée par l’article 3, « l'une des valeursfondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l'Europe 1 ». Sans la garantie dece droit, « la jouissance de quelconque des droits et libertés, garantis par la Convention, seraitillusoire 2 ».S’il est une valeur fondamentale, le droit à la vie ne jouit pas, contrairement à la dignitéhumaine, d’une protection absolue. Ce droit est « dérogeable ». Toutefois, il jouit d'une protectionrenforcée par rapport à la majorité des autres droits et libertés garantis par la Convention.Premièrement, la protection du droit à la vie échappe à la dérogation générale prévue parl'article 15 de la Convention, dans la protection des droits et libertés en « temps de guerre ou d'autredanger public menaçant la vie de la nation ». Cette dérogation ne s'applique pas à l'article 2, sauf encas de décès résultant d’« actes licites de la guerre ».Deuxièmement, l'article 2 énumère limitativement les cas dans lesquels les Etats peuventjustifier le recours à la force. Cet article est rédigé comme suit :1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconqueintentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où ledélit est puni de cette peine par la loi.2. La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans le cas où ellerésulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :a. pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;b. pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrementdétenue ;c. pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La première remarque relative à ces dérogations, concerne la peine de mort. Le fait que leProtocole n°6 (28 avril 1983) additionnel à la Convention, qui abolit la peine de mort à l'exception de1 Voir, parmi d’autres arrêts : CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, n°25052/9,4 9 oct. 1997, Recueil1997-VI, § 171 ; CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], nº 50385/99, CEDH 2004-XII, § 56 ; Velikova c. Bulgarie,n o 41488/98, CEDH 2000-VI, § 68 ; CEDH, Salman c. Turquie [GC], n o 21986/93, CEDH 2000-VII, § 97 ;CEDH, Örak c. Turquie, n° 31889/96, CEDH 2002-II, § 66 ; CEDH, Tanli c. Turquie, n o 26129/95, CEDH2001-IV, §139 ; CEDH, Troubnikov c. Russie, n o 49790/99, CEDH 2005-VII, § 67 ; CEDH, Anguelova c.Bulgarie, 38361/97, CEDH 2002-VI, §109 ; CEDH, Khachiev et Akaïeva c. Russie, n os 57942/00 et 57945/00,CEDH 2005-II, § 170 ; CEDH, Yüksel Erdoan et autres c. Turquie, n°57049/00, CEDH, 2007-II, § 84.2 CEDH, McCann et autres c. R.U, 27 sept. 1995, Série A n°324, §§ 149-150 ; CEDH, Pretty c. R.U.,nº 2346/02, CEDH 2002-IV, § 37.


138temps de guerre ou de danger imminent, et le protocole n°13, qui abolit la peine de mort en toutescirconstances ayant été signé, le premier par tous les pays, et le second par tous, à l’exceptiond’Arménie, Azerbaïdjan et de la Russie, nous pouvons estimer que cette peine est pratiquementabolie en Europe. Notons qu’en France la peine de mort a été abolie le 9 octobre 1981 et que, depuisle 24 février 2007, cette interdiction est inscrite dans la Constitution, à l'article 66-1. Celui-ci disposeque « nul ne peut être condamné à la peine de mort ». C’est la même année, le 10 octobre 2007, quela France a également ratifié le Protocole 13 à la Convention européenne des Droits de l’Homme,abolissant la peine de mort en toutes circonstances. La Grèce, bien qu’aucune peine de mort n’ait étéexécutée depuis 1974, elle a signé le protocole n°6 à la Convention le 2 mai 1983 et l’a ratifiéseulement le 8 septembre 1998. En revanche, elle a devancé la France dans l’adoption du Protocole13 à la Convention en le ratifiant le 1 er février 2005.La seconde remarque concerne les autres dérogations. Même en soumettant le recours à laforce à la condition d’avoir été rendu « absolument nécessaire » et non à la simple condition denécessité démocratique requise pour les restrictions à l’exercice des droits consacrés par les articles 8à 11 de la Convention, ces dérogations, à part celle de la défense des personnes, pose cette questionfondamentale : la justice et le maintien de l'ordre sont-ils des biens supérieurs au respect de la vie ?Danièle Mayer écrivait à l'occasion de l'abolition de la peine de mort par le protocole n° 6 à laConvention : « Même sous un régime démocratique, le pouvoir des autorités chargées de juger enmatière répressive au nom de l'Etat est trop forte pour que l'on puisse y inclure le droit de décider dela mort » 3 . Or, nous estimons que malgré l'abolition de la peine de mort, la question de lacompatibilité du sacrifice de la vie avec l'ordre démocratique se pose toujours. Car, à la lecture del’article 2, même si les juges n'ont plus le pouvoir de prononcer la peine de mort, les besoins de lajustice et du maintien de l’ordre peuvent justifier la privation de la vie.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La troisième dérogation prévue par l’article 2, « empêcher l'évasion d'une personnerégulièrement détenue », permet non seulement de poser cette question mais aussi celle des limiteslégales de la peine privative de liberté. Cette dérogation est clairement liée au statut pénal desdétenus. L’usage de la force potentiellement mortelle est autorisé lorsque le détenu tend à sesoustraire à son obligation fondamentale : vivre dans le périmètre de vie qui est assigné. Dès lors, si<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008cette dérogation signifie que les Etats ont le droit de l’empêcher à ce prix, y compris par la mort,celle-ci paraît alors comme le prolongement implicite légal de sa peine. Nous ne sommes donc plusdans la détermination du contenu de cette peine en termes de degré des limitations des libertés. Nousassistons à un glissement, à une mutation, de la nature même de la peine : de peine privative deliberté en peine privative de la vie. La réponse dépend pour beaucoup de la question de savoir si leseul but d’empêcher une évasion suffit pour légitimer le recours à la force.3 D. MAYER, « Le principe du respect par l'Etat du droit à la vie de ses citoyens doit-il être inconditionnel ? »,RSC, n° 1, 1986, pp. 55-60.


139Par ailleurs le statut pénitentiaire du détenu ne contribuerait-il pas, lui aussi, d’étendre lechamp de légitimité des atteintes à la vie ? La réponse dépend des questions de savoir si lesexigences de la sécurité et de l’ordre dans la prison étendent le champ d’autorisation du recours à laforce et si la prison génère des conditions de vie matérielles et sanitaires comportant des risquespour l’intégrité physique de la personne.C’est en étudiant l’application concrète de l’usage du recours à la force en cas de tentatived’évasion et, de manière générale, en comparant l’interprétation de l'article 2 lors de son applicationà l’extérieur et dans la prison au regard de l’ensemble des dérogations, que nous pouvons obtenir desréponses à ces interrogations. Mais elle dépend aussi de la comparaison de l’application du droit à lavie au regard également des obligations positives qui incombent aux Etats au titre de l’article 2 de laConvention. Au fil de la jurisprudence européenne, il a été établi que la protection européenne dudroit à la vie ne se limite pas à l’obligation négative d’éviter de donner la mort. Elle comporte aussides obligations positives consistant, d’une part, en des mesures préventives visant à empêcher que lamort intervienne par omission ou négligence et, d’autre part, en des mesures répressives visant àmener une enquête effective en cas d’atteinte à ce droit. En effet, outre les obligations négatives qui,avec les obligations positives préventives constituent la protection substantielle du droit à la vie, laCour a jugé que l’article 2 implique, à l’instar des articles 8 et 3, un volet procédural. Il impliqueprécisément l’obligation de mener une enquête effective dans tous les cas susceptibles d’engager laresponsabilité de l’Etat 4 . C’est alors en comparant l’application du droit à la vie en général, d’unepart, et dans la prison, d’autre part, au regard des obligations négatives et ensuite au regard desobligations positives que nous pourrons déterminer l’égalité ou pas des détenus avec les personneslibres devant la mort et de mesurer en même temps l’extension des conséquences, sinon légales, dumoins légitimes de sa condamnation. Mais il conviendrait au préalable de déterminer le terme de« vie » et donc le champ d’application de l’article 2.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Définition de la « vie » et détermination du champ d’applicabilité du droit à la vieUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le terme « vie » a donné lieu à un certain nombre de précisons dans la jurisprudenceeuropéenne qui ont contribué à déterminer le champ de l’application de l’article 2 de la Convention.Ce qui n’a pas prêté à discussion, c’est que le terme « vie » est entendu dans le sensuniquement physique. Le but de cet article est de protéger la vie contre la mort et non d'assurer une4 Voir McCann et autres c. R.U., 27 sept. 1995, Série A n°324, § 161 ; CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC],CEDH, 2004-XI, § 91 ; CEDH, Irfan Bilgin c.Turquie, n° 25659/94, CEDH, 2001-VII, § 142 ; CEDH,Finucane c. R.U., préc., § 67.


certaine qualité de vie 5 . La qualité de la vie trouve une protection au sein de l'article 8 de laConvention, en tant qu’aspect du droit au respect de la vie privée et du domicile.140Nous n’allons pas nous attarder sur la délimitation temporelle de la protection du droit à lavie, à savoir le commencement et la fin. Celle-ci n’est pas déterminant dans le cadre de notre étude.En revanche, d’autres précisions apportées par la Cour le sont, à commencer par celle del’applicabilité de l’article 2 aux disparitions des personnes. La Cour l’a, depuis l’arrêt Ertak (2000 6 ),tranchée positivement en précisant que cela « dépend de l’ensemble des circonstances de l’affaire, etnotamment de l’existence de preuves circonstancielles suffisantes, fondées sur des élémentsmatériels, permettant de conclure au niveau de preuve requis que le détenu doit être présumé mortpendant sa détention 7 ». Pour appliquer l’article 2, cette instance tient compte de : témoignagesconcernant les conditions de la disparition, les témoignages et autres moyens de preuve concernantle sort du disparu et la durée de la disparition combinés avec l’absence d’explications plausibles dela part des autorités et avec l’absence d’enquête demandée par ses proches. Fondée sur ces critères,la Cour a retenu la violation de l’article 2 dans de nombreuses affaires mettant en cause desdisparitions suspectes en Turquie 8 .La deuxième précision concerne l’applicabilité de l’article 2 dans les cas de mise endanger. Lors de sa jurisprudence initiale, la Commission estimait qu’un Etat ne peut être reconnuresponsable pour la violation de l'article 2 que si la mort est effectivement intervenue. C'est sur cemotif qu’elle avait, par exemple, écarté la violation de l'article 2 à propos du refus d'accorder lagratuité des soins à des personnes souffrant d'une invalidité grave 9 ou à propos des coups de feu tiréssur une personne et l'ayant blessée gravement 10 . Critiquée par la doctrine 11 , cette instance avait, danssa jurisprudence postérieure, laissé entendre que l’article 2 pourrait être appliqué même en l’absence5 F. SUDRE, « Les obligations positives dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme », Rev. trim.dr. h., 1995, p. 363 s.6 CEDH, Ertak c. Turquie, n o 20764/92, 9 mai 2000, CEDH, 2000-V.7 CEDH, Irfan Bilgin c.Turquie, préc. ; CEDH, Çakıcı c. Turquie [GC], n° 23657/94, Recueil 1999-IV; CEDH,Timurta c. Turquie, n° 23531/94, CEDH 2000-VI ; CEDH, Akdeniz et autres c.Turquie, n° 23954/94, CEDH2001-V.8 CEDH, Ertak c. Turquie, préc., § 131 ; CEDH, Akdeniz et autres c.Turquie, préc. ; CEDH, Irfan Bilginc.Turquie, préc. ; CEDH, Tepe c. Turquie, n° 27244/95, CEDH 2003-V ; CEDH, Nuray Sen c. Turquie, nº25354/94, CEDH 2004-III ; CEDH, Ipek c. Turquie, nº 25760/94, CEDH 2004-II ; CEDH, Tahsin Acar c.Turquie [GC], n° 26307/95, CEDH 20004-IV ; CEDH, Tekdag c.Turquie, n° 27699/95, CEDH 20004-I ;CEDH, Tanı et autres c. Turquie, n o 65899/01, CEDH 2005-VIII ; CEDH, Timurta c.Turquie, préc. Et pourla disparition des Tchétchènes : CEDH, Magomadov et Magomadov c. Russie, n o 68004/01, CEDH 2007-VII ;CEDH, Alikhadzhiyeva c. Russie, n o 68007/01, CEDH, 2007-VII.9 Certes la notion de mise en danger de la vie, on la trouve dans une affaire datée de 1976, à propos du refusd'accorder à une personne souffrant d'une malformation grave du larynx l'empêchant de se nourrirnormalement, une carte médicale lui donnant accès à des soins médicaux gratuits. Mais, d'une part, enl'absence d'effet mortel, cette affaire avait été examinée sous l'application hypothétique de l'article 2 ; d'autrepart, l'intérêt avait été porté sur la question de savoir si cet article impose aux Etats des obligations positives engénéral, D 6839/74 (X/Irlande), 4.10.76, D.R. 7, p. 78.10 La blessure par coup de fusil ne relève pas du droit à la vie ; l'article 2 assure seulement une protectioncontre le fait d'infliger la mort, D 28955/95 (Laghina de Matos/Portugal), 7.4.97, D.R. 89, p. 98.11 J VELU J., ERGEC R., La Convention européenne des droits de l'homme, préc., pp. 187-189 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


141de résultat mortel 12 . En tout cas, c’est sur cette hypothèse que la Commission avait saisi la Cour del’affaire L.C.B. 13 . Le requérant, qui souffrait de leucémie, suite à sa participation durant son servicemilitaire à des programmes de tests nucléaires, mettait en cause la responsabilité du gouvernementbritannique pour absence d’information sur les dangers que représentent les essais nucléaires sur lavie des personnes qui y ont participé ainsi que sur celle de leurs enfants susceptibles de contracterdes maladies mortelles. Pour la Cour, l’applicabilité de l’article 2 dans le cas d’espèce allait de soipuisqu’elle n’a soulevé aucune question corrélative 14 .Cette extension de l’application de l’article 2 a, depuis lors, été confirmée à propos de touteactivité, publique ou non, susceptible de mettre en jeu le droit à la vie : les activités dangereuses(comme les activités à caractère industriel dangereuses par nature, telle que l’exploitation des sites destockage des déchets 15 ) mais aussi les accidents du travail 16 , l’usage de la force potentiellementmeurtrière (comme les tirs des armes à feu en direction d’une personne (volontairement 17 ouaccidentellement en raison de mauvaise maîtrise de l’arme par le policier 18 ), mais pas le fait de « tirerdans l’air 19 , les défaillances dans le domaine de la santé publique (dans l’information concernant lesrisques des maladies pouvant entraîner la mort 20 , l’hospitalisation 21 , la qualité des soins 22 ),l’obligation de surveillance des personnes placées sous la responsabilité des autorités (tel que leservice militaire 23 , ou la prison 24 ), et les sévices corporels dans des circonstances exceptionnelles(ces derniers griefs sont en principe examinés sous l’article 3 25 ).Une autre précision importante apportée par la jurisprudence concerne la nature desobligations des Etats. Outre celles négatives, la protection du droit à la vie implique également desobligations positives. Dès 1983, la Commission avait reconnu que la première phrase du premierparagraphe de l'article 2, selon laquelle « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi »,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>12 D 20648/92 ( J.A/France), 1.9.1993.13 R 23413/94 (L.C.B/R.U), 26.11.1996.14 CEDH, L.C.B. c. R.U, 9 juin 1998, Recueil 1998-III.15 CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc.16 S’agissant d’un accident mortel survenu dans un chantier, la Cour a déclaré : « L’absence d’uneresponsabilité directe de l’Etat dans la mort d’une personne n’exclut pas l’application de l’article 2. En<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...astreignant l’Etat à prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sajuridiction, l’article 2 § 1 impose à celui-ci le devoir d’assurer le droit à la vie en mettant en place unelégislation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur unmécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations », CEDH, PereiraHenriques c. Luxembourg, n° 60255/00, CEDH, 2006-V, § 56.17 CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc.18 CEDH, Karagiannopoulos c. Grèce, n o 27850/03, CEDH 2007-VI.19 CEDH, Zelilof c. Grèce, n o 17060/03, CEDH 2007-V, §§ 35-37.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200820 CEDH, L.C.B. c. R.U., préc.21 Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], n o 32967/96, CEDH 2002-I, § 49.22 Comme la mort d’un détenu par hémorragie due à des insuffisances des soins reçus lors de sonhospitalisation, CEDH, Tarariyeva c. Russie, n°4353/03, CEDH, 2006-XII.23 CEDH, Ataman c. Turquie, n o 46252/99, CEDH, 2006-IV.24 CEDH, Keenan c. R..U., n° 27229/95, CEDH 2001-III, § 90.25 CEDH Berktay c. Turquie, CEDH 2001-III, § 154.


142impose à l'Etat une obligation plus large que le reste du texte dudit article : elle « enjoint à l'Etat nonseulement de s'abstenir de donner la mort «intentionnellement» mais aussi de prendre les mesuresnécessaires à la protection de la vie » 26 . Cette interprétation fut confirmée par la Cour dans l'arrêtL.C.B. : « La première phrase de l'article 2 §1 astreint les Etats non seulement de s'abstenir deprovoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi de prendre des mesures nécessairesà la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction 27 ». Des mesures préventives tantlégislatives que pratiques 28 et qui concernent tant des atteintes à la vie de la part des autorités, que dela part des tierces personnes 29 , y compris dans la sphère de la vie privée 30 .C’est en tenant compte de ces précisions, que nous allons déterminer la garantie du droit à lavie assurée aux détenus au niveau européen et national au regard, d’abord de l’obligation négative, àsavoir l’obligation d’abstenir de donner la mort (Section 1) et, ensuite des obligations positives desEtats : le contexte carcéral et la dépendance des détenus à l’Etat créent des obligationssupplémentaires à leur égard (Section 2).SECTION 1. <strong>LA</strong> GARANTIE DU DROIT A <strong>LA</strong> VIE AU REGARD <strong>DE</strong>S OBLIGATIONSNEGATIVESC’est en comparant l’application de l’obligation d’abstenir de donner la mort àl’extérieur (§ 1) et dans la prison (§ 2), que nous tenterons déterminer si les limites que le droit à lavie apporte dans le contrôle physique recherché par la peine privative de liberté sont les mêmes qu’àl’extérieur ou si cette peine et/ou la prison justifient des restrictions plus amples. Dans ce dernier cas,cette peine revêtirait un contenu qui constitue un dépassement substantiel de son sens : on passe del’atteinte à la liberté physique à l’atteinte à la vie. Cette peine ne peut être épargnée d’une tellecritique que si les atteintes à la vie des détenus sont justifiées par les mêmes motifs et dans la mêmeampleur qu’à l’extérieur.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200826 D 9348/81 (X/R.U), 28.02.83, D.R. 32, p. 190 ; D 22998/93 (Danini/Italie), 14.10.96, D.R. 87, p. 24 ;D 26561/95 (H. Rebai/France) préc ; D 7154/75 (Association x/R.U) D.R. 14, p. 31.27 CEDH, L.C.B. c. R.U., préc., (réf. Guerra et autres c. Italie, 19 févr. 1998, § 58).28 Voir entre autres, Pretty c. R.U., préc., §38 ; CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc., § 71 ; CEDH, Paul etAudrey Edwards c. R.U., n° 46477/99, CEDH 2002-III ; CEDH, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], préc., § 48.29 « L’article 2 de la Convention peut, dans certaines circonstances bien définies, mettre à la charge desautorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individudont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui », avait déclaré la Cour à propos de la mort dupère d’un lycéen qui fut tué par un de ses enseignants, CEDH, Osman c. R.U., 28 oct. 1998, Recueil 1998-VIII,§ 115.30 Ainsi, l’article 2 s’applique également dans le cadre d’une tuerie familiale : le père qui tue ses enfants alorsque la mère avait averti la police d’une telle menace, CEDH, Kontrová c. Slovaquie, n°7510/04, CEDH 2007-V.


143§ 1. Application généraleLes obligations négatives concernent, d’une part, la peine de mort, et d’autre part, lerecours à la force.Bien que la peine de mort soit pratiquement abolie en Europe (les trois pays qui n’ont pasencore ratifié le protocole n° 6 ne la mettent pas à exécution), nous pouvons brièvement souligner enquoi consiste la protection de l’article 2. Ainsi que l’a résumé la Cour dans l’arrêt Öcalan 31 , elleconsiste en la protection contre les peines de mort arbitraires. La peine de mort doit être prévue parune loi au sens de la Convention à savoir une loi « accessible » et « prévisible ». Mais aussi êtreprononcée par un tribunal « indépendant » et « impartial » et à l’issue d’un procès équitable au sensdu « respect des normes d’équité les plus strictes et les plus rigoureuses qui doivent être observéesdans la procédure pénale, tant en première instance qu’en appel » 32 . A cette garantie de l’article 2, ilconvient d’ajouter celle requise par l’article 3 : l’application de la peine de mort doit avoir lieu,autant que cela puisse se faire, dans le respect de la dignité humaine 33 .Les autres obligations négatives concernent le recours à la force. Une des premièresprécisions apportées par la jurisprudence européenne est que la protection de la vie ne se limite pas àla protection contre la « mort intentionnellement infligée » mais s’étend aux « situations où lerecours à la force peut aboutir à la mort, comme conséquence non prévue du recours à la force » 34 .C’est à cette conclusion que la Commission avait aboutie après des décisions critiquées par les jugesminoritaires dans lesquelles elle avait écarté la violation de l’article 2 sur le constat que la mortn'était pas infligée intentionnellement sans avoir examiné la nécessité de la force utilisée 35 . Cettelecture a été confirmée par la Cour avec cette précision : « Les exceptions définies au paragraphe 2s'appliquent non seulement au fait de donner intentionnellement la mort, mais aussi aux situationsdans lesquelles il est permis d'avoir recours à la force, ce qui peut conduire à donner la mortinvolontairement ». Car le recours à la force doit être rendu "absolument nécessaire" pour atteindreun des objectifs mentionnés aux alinéas a), b) et c) 36 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La Cour a, depuis lors, maintes fois réitéré cette déclaration 37 et précisé les garantiesrequises pour assurer une protection efficace au droit à la vie en application de l’article 2 §2 de la31 CEDH, Öcalan c.Turquie [GC], n° 46221/99, CEDH 2005-V.32 Ibid., § 166.33 CEDH, Soering c. R.U., n° 14038/88, 7 juillet 1989, Série A n°161.34 D 7154/75 (Association X/R.U), D.R. 14, P. 31 ; D 10044/82 (Stewart/R.U), 10.7.1984, p. 16.35 D 2758/66 (X/Belgique), 21.3.1969, Ann. 12, p. 174 ; R 16988/90 (Diaz Ruano/Espagne), 31.08.1993.36 CEDH, McCann et autres c. R.U., préc., § 148.37 Voir entre autres arrêts : CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, préc., § 171 ; CEDH, Ergi c. R..U.,n° 23818/94, 28 juill.1998, Recueil 1998-IV, § 79 ; CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], nº 43577/98 et43579/98, CEDH 2005-VII, § 94 ; CEDH, Tanli c. Turquie, préc., § 140 ; CEDH, Örak c. Turquie, préc., § 97 ;


144Convention. Cette disposition requiert, d’une part, une interprétation étroite des cas autorisés derecours à la force et, d’autre part, une appréciation très stricte du critère de nécessité 38 . La Cour aprécisé que le terme « absolument nécessaire » de l’article 2 § 2 doit être entendu dans le sens plusstrict que celui de « nécessaire dans une société démocratique » contenu dans les paragraphes 2 desarticles 8-11 de la Convention : « Tout usage de la force doit être rendu absolument nécessaire c’està-direêtre strictement proportionné aux circonstances 39 . »Quant à la nature de la force, outre l’usage des armes à feu, l’article 2 vise toute sorte deviolence physique 40 , y compris l’usage d’un panneau publicitaire 41 ou encore la force à main nue sielle a été meurtrière ou aurait pu l’être eu égard aux effets physiques sur une personne. Il vise aussitout moyen utilisé dans le cadre d’une opération de rétablissement de l’ordre, comme l’usage d’unvéhicule blindé de transport des troupes pour disperser une émeute et ayant provoqué la mort d’unmanifestant 42 .Il convient alors, d'abord, de délimiter le champ d'autorisation du recours à la force (A) et,ensuite, de déterminer le critère de « nécessité absolue » de la force effectivement employée (B).A. Le champ d'autorisation du recours à la forceLa jurisprudence européenne ne permet pas de cerner la définition de toutes les notionsdéterminant le champ d'autorisation du recours à la force.L'arrestation régulière n’a pas donné lieu à des interrogations concernant sa définition. Ils’agit bien d’une arrestation régulière, l’arrestation d’un évadé, y compris d’une prison militaire 43 ,des personnes prises en flagrant délit 44 , des personnes suspectées de s’apprêter à commettre uneinfraction pénale 45 , des personnes détentrices des armes à feu dans un lieu public (en l’occurrence uncafé 46 ), l’arrestation d’une personne barricadée dans sa maison, qui venait d’agresser un chauffeur de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008CEDH, Halit Çelebi c. Turquie, n°54182/00, CEDH, 2006-V, § 46 ; CEDH, Yüksel Erdoan et autres c.Turquie, préc., § 86.38 CEDH, McCann et autres c. R.U., préc., § 148 ; CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, préc., § 171.39 Voir entre parmi d’autres : CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc., § 94 ; CEDH, Tanli c.Turquie, préc., § 139 ; CEDH, Orak c. Turquie, 14 février 2002, CEDH 2002-II, §67 ; CEDH, Halit Çelebi c.Turquie, préc., § 46 ; Yüksel Erdoan et autres c. Turquie , préc., § 86.40 Anguelova c. Bulgarie, préc. ; CEDH, Velikova c. Bulgarie, préc. ; CEDH, McShane c. R.U., n° 43290/98,CEDH 2002-V.41 CEDH, McShane c. R.U., préc.42 CEDH, McShane c. R.U., préc.43 CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc.44 D 11257/84 (W. et M. Wolfgram/Allemagne), 6.10.86 D.R. 49, pp. 213-220.45 CEDH, McShane c. R.U., préc.46 CEDH, Yüksel Erdoan et autres c. Turquie, préc.


taxi et qui était armée 47 , mais aussi d’un automobiliste ayant une conduite dangereuse dans uncentre-ville 48 .145La tentative d’évasion n’a pas non plus donné lieu à une définition. Seule sa réalité a étémise en doute par la Cour dans deux affaires. Dans l’affaire Orak 49 , dans laquelle le gouvernementturc soutenait que deux personnes en garde à vue, menottées aux poignets et les yeux bandés, avaienttenté de s’évader en agressant les policiers qui se seraient alors trouvés en situation de légitimedéfense. Et dans l’affaire Ognyanova et Choban 50 , dans laquelle le gouvernement bulgare soutenaitque la victime avait tenté de s’évader du commissariat. Il est hautement improbable qu’elle ait essayéde s’enfuir, a estimé la Cour, étant donné que la fenêtre se trouvait à plus de neuf mètres du sol,qu’elle était recouverte de ciment et de grilles métalliques, et que la victime était menottée 51 .En revanche la défense des personnes a donné lieu à quelques précisions. L’on peut d'oreset déjà affirmer, au vu de la rédaction de l'article 2 §2 al. a de la Convention, que le sens européen dela notion de « défense des personnes » couvre un champ moins large que les notions de « légitimedéfense » et d'« état de nécessité » utilisées dans les droits nationaux grec et français. Au sein de cesderniers, ces deux notions couvrent, outre la défense des personnes, la défense des biens 52 . Alors que,au sens européen, la notion de défense se limite à celle des personnes : à la défense des personnesdirectement menacées (par exemple, la défense d’un policier face à une personne qui pointait unearme contre lui 53 , à la défense des coéquipiers des policiers 54 ), ainsi qu’à la défense des tiercespersonnes (comme celle des clients d’un café à cause de la présence des personnes armées 55 , despiétons et des automobilistes contre un automobiliste ayant une conduite dangereuse 56 , ou d’unotage 57 ). Avec cette précision faite par certains membres de la Commission : la légitimité ne peut pasêtre retenue lorsqu’il est établi que les policiers ont une part de responsabilité dans la création d’unesituation de risque physique 58 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200847 CEDH, Huohvanainen c. Finlande, n°57389/00, CEDH 2007-III.48 CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc.49 CEDH, Orak c. Turquie, préc.50 CEDH, Ognyanova et Choban c. Bulgarie, n°46317/99, CEDH, 2006-II.51 Ibid., § 100.52 Articles 122-5-122-7 du Code pénal français, et articles 22, 25 et 32 du Code pénal grec.53 CEDH, Bubbins c. R.U., n° 50196/99, CEDH 2005-III ; CEDH, Yüksel Erdoan et autres c. Turquie, préc.,§ 100.54 Devant, par exemple, une personne qui durant l’interrogatoire saisit l’arme et tire sur un des policiers, sescoéquipiers, en ripostant, sont en légitime défense, R 16988/90 (Antonio Diaz Ruano/Espagne), 31 août 1993.55 CEDH, Yüksel Erdoan et autres c. Turquie , préc., § 95.56 CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc.57 CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, préc.58 R 16988/90 (Diaz Ruano/Espagne), 31 août 1993.


En ce qui concerne les termes émeute et insurrection 59 , ils n'ont pas non plus fait l'objetd'une définition complète au sein de la jurisprudence européenne. La Commission a seulementprécisé, dans l'affaire Stewart 60 , qu'en raison des différences d'interprétation dans les droitsnationaux, il faut entendre ce terme au sein de la Convention dans un sens autonome. Cette instances'était contentée d'affirmer que, dans le cas d'espèce, il s'agissait bien d'une émeute : « Uneassemblée de cent cinquante personnes jetant des projectiles sur une patrouille de soldats, au pointque ceux-ci risquaient d'être gravement blessés, doit être considéré, quel que soit le critère appliqué,comme une émeute » 61 . En tenant compte d’autres affaires, en particulier de l'arrêt de la Cour dansl'affaire Güleç concernant la mort d'une personne lors de l'intervention des forces de l'ordre pourdisperser une manifestation importante et violente, vu les dégâts matériels et les blessures de certainsgendarmes, nous pouvons définir l’émeute au sens de l'article 2 de la Convention, comme la réunionou manifestation sur la voie publique d'un nombre de personnes important, se livrant à des actescomportant des dangers pour la vie ou pour l'intégrité physique des forces de l'ordre ou d'autrui.On peut alors déduire que le terme « insurrection » doit être réservé à des situations d'unegravité encore plus grande concernant, tant la dimension collective que la menace. Il doitcorrespondre à ce qu'on appelle en langage commun un soulèvement populaire (art. 412-3 C. pén.).Dès lors, c'est le terme d'« émeute » qui risque d'être invoqué plus fréquemment dans les requêtesdevant la Cour européenne des droits de l'homme, et donc de poser des questions de conformité de ladéfinition nationale avec la définition européenne.Le terme « émeute » ne figure pas dans les droits grec et français. On doit alors sedemander quelles notions prévues par ces deux droits peut-il couvrir. Nous estimons que, en raisonde la dimension collective qu'implique l'émeute, les seules situations qu'elle puisse couvrir, en droitfrançais, sont les « rassemblements » et les « manifestations » sur la voie publique correspondant àl'infraction pénale d'« attroupement » (art. R 431-1 C. pén.), à condition qu'elles soientaccompagnées de violences sur les personnes ou les biens. Le Code pénal grec est silencieux surl'utilisation de la force pour disperser un attroupement. Mais du fait qu'il prévoit, outre l'infractiond'attroupement, également celle de perturbation de la paix publique par l'attroupement des personnesqui se livrent à des actes de violences contre des personnes ou des biens (art. 189), on peut estimer<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008que le recours à la force ne doit être autorisé que dans le cadre de cette dernière infraction.14659 Pour Jacques VELU et Rucen ERGEC, les termes « émeute » et « insurrection » désignent une situation qui,si elle n'était pas matée, pourrait causer aux personnes et aux biens un préjudice exceptionnel, J VELU J.,ERGEC R., La Convention européenne des droits de l'homme, préc., p. 189.60 D 10044/82 (Stewart/.R.U), 10.7.1984, D.R. 39, p. 183.61 Ibid.


147En droit français, l'attroupement est défini comme « tout rassemblement de personnes surla voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l'ordre public » (art. 431-3, C. pén. 62 ).Bien que ni la nature ni le degré du trouble à l'ordre ne soient précisés, on doit déduire quel'« attroupement » non accompagné de violences ne peut pas être qualifié d’émeute et justifier à cetitre l'usage de la force mortelle. D'abord, parce que la jurisprudence européenne laisse déduire quela violence présentant un danger pour l'intégrité physique est un élément constitutif de la notionmême d'émeute. Et, ensuite, parce que l'interprétation de la condition générale émise par le deuxièmeparagraphe de l’article 2 de la Convention, à savoir « la nécessité absolue du recours à la force »,implique un danger physique dans tous les cas de recours à la force.La Cour a inclus dans les situations justifiant le recours à la force, la répression des conflitsarmés à l’intérieur d’un pays, comme celui en Turquie avec les résistants du PKK 63 ou, en Russieavec les tchétchènes 64 .En tout cas, le cadre juridique doit déterminer les cas de recours à la force et contenir leséléments d’appréciation de la nécessité d’y recourir dans chaque situation concrète 65 .B. La « nécessité absolue » de la force utiliséeCour et Commission ont affirmé que la valeur renforcée du droit à la vie et le terme« absolument nécessaire » qui figure dans l’article 2 imposent d'interpréter la nécessité au sein del'article 2 dans un sens plus « strict et impérieux » que celui contenu dans les dispositions consacrantles droits de protection relative (articles 8 à 11 de la Convention) 66 .Il convient de souligner au préalable que les dispositions des droits nationaux qui prévoientla proportionnalité de l'usage de la force en termes moins stricts que la Convention, comme ceux de« nécessaire » ou même de « raisonnablement nécessaire » ne sont pas forcément contraires à l'article2 67 . Il suffit que les juridictions nationales aient cherché à établir la notion de nécessitéconformément à l'article 2 de la Convention. A défaut, il revient à la Cour de procéder à une telleappréciation 68 . A la lumière de la jurisprudence européenne, le critère de « nécessité absolue »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200862 A noter que les articles R 431-1 et R 431-2 2 du Code pénal autorisent l'usage des armes pour disperser unattroupement sans autre précision de ce terme laissant déduire qu'ils n'exigent pas un danger physique.63 CEDH, Özkan Ahmet et autres c. Turquie, n° 21689/9, CEDH 2004-IV ; CEDH, imek et autres c. Turquie,préc.64 CEDH, Khashiyev et Akayeva c. Russie, n° 57942 et nº 57945/00, CEDH 2005-II.65 Ibid. Voir CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc.66 CEDH, Ergi c. R..U., préc., § 79 ; Voir CEDH, McCann et autres c. R.U., préc., § 149 ; CEDH, Andronikouet Constantinou c. Chypre, préc., § 171 ; CEDH, Örak c. Turquie, préc., § 67 ; CEDH Berktay c. Turquie,préc., § 152 ; CEDH, Yüksel Erdoan et autres c. Turquie, préc.67 McCann et autres c. R.U., préc., §§ 151-15568 Ibid., §170.


148implique qu’il ne faut pas tenir compte uniquement de l'existence d'une des situations expressémentvisées par l'article 2 de la Convention, mais aussi du danger qu'elles représentent pour l'intégrité et lavie humaine (1) ainsi que de la nature et de l'ampleur de la force employée face aux victimes 69 (2).1. Le critère de danger pour l'intégrité ou la vieLa rédaction de l'article 2 a pu laisser entendre qu'en dehors de la défense d'une personne,le recours à la force dans les autres buts mentionnés par ce même article n'implique pas l'existenced'un danger pour l'intégrité ou la vie d'autrui 70 . Si tel était le cas, l'énumération des autres buts seraitprivée d'intérêt dès lors qu'elle ferait double emploi avec la défense des personnes prévue dans lepremier alinéa de l'article 2 §2, avait souligné la doctrine 71 . Or, au vu de l'évolution de lajurisprudence européenne, cette condition supplémentaire est d'application générale : elle est exigéedans tous les cas de recours à la force. La jurisprudence de la Commission l’avait laissé entendre 72 .Et la jurisprudence de la Cour est venue le confirmer. La présence d’un danger physique dans lalégitimité et la nécessité du recours à la force mortelle est exigée aussi bien lors d'une arrestation 73que lors de la dispersion d'une manifestation 74 . Ainsi, la Cour a affirmé, à propos d’une arrestation,que « le but légitime d’effectuer une arrestation régulière ne peut justifier de mettre en danger desvies humaines qu’en cas de nécessité absolue… même s’il peut résulter une impossibilité d’arrêterun fugitif 75 ou un automobiliste ayant une conduite dangereuse 76 . Un tel danger n’existe pas lorsquela personne n’est pas soupçonnée d’avoir commis une infraction violente et n’est pas armée, à plusforte raison, lorsqu’elle ne représente aucune menace pour la vie ou l’intégrité physique d’autrui 77 .En revanche, un tel danger existe lorsque, par exemple, la personne à arrêter pointe son arme contreles policiers 78 , menace de son arme son otage 79 , est fortement soupçonnée de préparer une infraction69 D 10044/82 (Stewart/.R.U), préc., p. 182 ; D 11257/84 (W. et M. Wolfgram/Allemagne), 6.10.86 D.R. 49.70 E. Rubi-Cavagna, Le respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et deslibertés fondamentales par la France et l'Espagne concernant la protection de la personne du détenu, préc.,p. 242.71 J VELU J., ERGEC R., La Convention européenne des droits de l'homme, préc., pp.188-189 ; G.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...GUIL<strong>LA</strong>UME, « Article 2 », in PETTITI L.-E., <strong>DE</strong>CAUX Em. et IMPERT P.-H. (dir.) La Conventioneuropéenne des droits de l'homme, préc.72 Lorsqu’elle affirmait à propos de la mort d'une personne lors de la tentative de son arrestation en flagrantdélit (précisément lors du braquage d'une banque par plusieurs personnes ayant fait exploser une grenade àmain en direction des policiers) que « le recours à la force s'est rendu absolument nécessaire tant pour assurerl'autodéfense des policiers que pour effectuer une arrestation régulière », D 11257/84 (W. et M.Wolfgram/Allemagne), 6.10.86, D.R. 49, pp. 213-220. Ou lorsque, à propos de la mort d'une personne durantune manifestation, qualifiée « émeute », la Commission avait jugé nécessaire de préciser que le recours à laforce mortelle poursuivait des buts légitimes : rétablir l'ordre et défendre les personnes contre le dangerphysique dès lors que des manifestants étaient armés de pierres et de bouteilles et lançaient des projectiles,D 10044/82 (Stewart/R.U), D.R. 39, 10.7.1984, p. 162.73 CEDH, McCann et autres c. R.U., préc. ; CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc. ; CEDH,Makaratzis c. Grèce [GC], préc ; CEDH, Yüksel Erdoan et autres c. Turquie , préc.74 CEDH, Güleç c. Turquie, 27 juillet 1998, Recueil 1998-IV ; CEDH, Bubbins c .R.U. , préc., § 77.75 CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc., § 95.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200876 CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc.§ 65.77 CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc., § 95.78 CEDH, Bubbins c .R.U. , préc.


grave, en l’occurrence un attentat 80 ou est en train de sortir armée d’un lieu assiégé après avoir refuséde se rendre 81 .149Quant au caractère du danger, a priori, il doit s’agir d’un danger réel et imminent menaçantdes vies 82 . Mais il peut également s’agir d’une très haute probabilité de l'existence d'un dangerimminent, précisa la Cour dans l’arrêt McCann et autres, déjà cité. Cette probabilité peut être fondéesur « une conviction honnête pour des raisons valables à l'époque des événements mais qui serévèlent ensuite erronés » 83 . Car affirmer le contraire, « imposerait aux Etats et à ses agents chargésde l'application des lois, une charge irréaliste qui risquerait de s'exercer aux dépens de leur vie et decelle d'autrui » 84 .2. Le critère de proportionnalité rigoureuse entre le danger et l’usage de la forceOutre l’existence d’un des cas autorisés, du recours à la force et d’un danger physique, laCour estime que l’exigence d’une « nécessité absolue » requiert que la nature et le degré de la forceutilisée soient rigoureusement proportionnés à la gravité du danger présent 85 .La plupart des garanties exigées pour apprécier le respect de la nécessité absolue ont étédégagées à propos des opérations collectives des forces de l’ordre. Mais à part la nécessité de lespréparer, les contrôler et les conduire de sorte à réduire au minimum le risque pour la vie (b), lesautres garanties requises sont valables pour tous les cas de recours à la force (a). Elles consistent àassurer que les agents de maintien de l’ordre soient en mesure d’apprécier l’existence d’un danger etde sa gravité et d’utiliser la force de manière à réduire au minimum les risques pour la vie etl’intégrité physique tant des personnes visées que des tierces personnes. Le but est de neutraliser lerisque par d’autres moyens possibles et de réserver le recours à la force potentiellement mortelle enultime recours. Ces garanties sont précisément les suivantes.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...a. Les sous-critères communs à tout usage de la force de la part des forces de l’ordreUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008L’existence d’un encadrement légal du recours à la force. Il doit exister en droit interne uncadre juridique approprié (légal et administratif) qui définit les circonstances limitées dans lesquelles79 CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, préc.80 CEDH, McCann et autres c. R.U., préc..81 CEDH, Huohvanainen c. Finlande, préc.82 Comme, par exemple, dans l’affaire Bubbins c .R.U. , précitée, ou dans l’affaire Antonio Diaz Ruano,précitée.83 CEDH, McCann et autres c. R.U., préc., §200.84 Ibid. § 200. Voir CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, préc., §192 ; CEDH, Huohvanainen c.Finlande, préc.85 CEDH, McCann et autres c. R.U., préc., § 194.


les représentants de l'application des lois peuvent recourir à la force et faire usage d'armes à feu 86 ,compte tenu des normes internationales en la matière, en particulier celles des « Principes desNations unies sur le recours à la force 87 ". Ces textes doivent être accessibles, et donc publiés, etdoivent contenir des garanties claires visant à empêcher que la mort soit infligée de manièrearbitraire 88 . Ils doivent notamment subordonner le recours aux armes à feu à une appréciationminutieuse de la situation et, surtout, à une évaluation de la menace qu'elle représente 89 . Aussi, il y ades manquements aux exigences de l’article 2 de la Convention, lorsque de tels textes sontinexistants (arrêt Isayeva), mais aussi lorsqu’ils sont obsolètes ou incomplets (arrêt Makaratzis 90 ) ouencore lorsqu’ils ne contiennent pas de garanties suffisantes afin de réduire le risque pour la vie. Parexemple, un texte qui prévoit simplement que les policiers puissent tirer sur tout fugitif qui ne serend pas immédiatement après une sommation et un tir de semonce, est considéré par la Cour commene contenant pas des garanties suffisantes contre la privation de la vie de manière arbitraire 91 .Formation appropriée, juridique et pratique, des forces de l’ordre. Les agents du maintiende l’ordre doivent, d’une part, avoir connaissance du cadre légal qui régit l’usage de la force et êtresensibilisés à la prééminence du respect de la vie humaine en tant que valeur fondamentale. Ilsdoivent avoir, d’autre part, reçu une formation d’entraînement au maniement des armes et à lagestion des situations de crise afin de pouvoir apprécier la gravité du risque et contrôler l’usage de laforce 92 . Ainsi, il faut s’exercer à éviter de créer des situations à risque comme de s’approcher de la86 Le fait que le « Gouvernement n’ait invoqué les dispositions d’aucune loi interne régissant l’usage de laforce par des agents de l’Etat dans de telles situations, est lui aussi directement pertinent pour lesconsidérations de la Cour quant à la proportionnalité de la réponse des forces armées à l’attaque qu’elles disentavoir subie », CEDH, Isayeva c. Russie, n° 57950/00, CEDH 2005-II ; CEDH, Halit Çelebi c. Turquie, préc.,§§ 45-47 ; CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc.87 Le principe 9 des « Principes des Nations unies sur le recours à la force » (adoptés le 7 septembre 1990)énonce : « Les responsables de l'application des lois ne doivent pas faire usage d'armes à feu contre despersonnes, sauf en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort oude blessure grave, ou pour prévenir une infraction particulièrement grave mettant sérieusement en danger desvies humaines, ou pour procéder à l'arrestation d'une personne présentant un tel risque et résistant à leurautorité, ou l'empêcher de s'échapper, et seulement lorsque des mesures moins extrêmes sont insuffisantes pouratteindre ces objectifs. Quoi qu'il en soit, ils ne recourront intentionnellement à l'usage meurtrier d'armes à feu<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...que si cela est absolument inévitable pour protéger des vies humaines ».88 CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc., § 99.89 Ibid., §§ 96-97. Voir CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc.90 Tout en reconnaissant la nécessité de recourir à la force pour arrêter un automobiliste dangereux qui a pris laforme d’une opération policière collective spontanée, la Cour a jugé que l’encadrement légal n’était pasadéquat et effectif pour parer l’arbitraire et l’abus de force. La réglementation de l’usage des armes neprévoyait pas l’organisation des opérations policières collectives ni un contrôle central de l’opération, CEDH,Makaratzis c. Grèce [GC], préc. La Grèce a, en 2004, remédié à ce manquement par la mise en vigueur le 24juillet 2003 de la loi n° 3169/2003. Intitulée « Port et usage d’armes à feu par les policiers, formation despoliciers à l’usage des armes à feu et autres dispositions », elle abroge en son article 8 la loi no 29/1943. Parailleurs, en avril 2004, le « Livret des droits de l’homme à l’usage de la police » élaboré par le Centre desNations unies pour les droits de l’homme a été traduit en grec en vue de sa diffusion auprès des policiers grecs.91 CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc., §§ 99-100.92 Ainsi, dans l’arrêt imek et autres, précité, la Cour a jugé que les policiers qui étaient de service lors desincidents ont pu agir avec une grande autonomie et, sous la pression des événements et dans la panique, ontpris des décisions qu’ils n’auraient probablement pas prises s’ils avaient bénéficié d’une formation etd’instructions adéquates. Alors que dans l’affaire Bubbins c. R.U., précitée, cette instance a jugé qu’il existe endroit britannique un cadre légal qui offre des garanties adaptées et effectives et, dans le cas litigieux, lesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008150


victime la main tendue et armée de sorte que la personne visée puisse toucher la main et ainsiprovoquer un tir involontaire fatal 93 .151La décision du recours à la force ne doit avoir lieu qu'en ultime recours. A cette fin, la Courexamine si toutes les alternatives à l'usage de la force ont été étudiées et si leur écart a été justifié.Par exemple, dans l'affaire McCann et autres 94 où les victimes, soupçonnées d'être entrées àGibraltar pour préparer une action terroriste 95 , ont toutes été tuées lors d'une intervention planifiée, laCour a reproché aux autorités nationales de ne pas les avoir arrêtées à temps. Elle a estimé qu'ellesauraient pu être arrêtées à la frontière, avant donc d'avoir pu commencer à mettre en oeuvre leuraction terroriste et créer un danger justifiant l'usage de la force mortelle 96 . En revanche, dans l'affaireAndronikou et Constantinou, dite affaire de « querelle des amoureux », où l'intervention des forcesde l'ordre pour sauver la vie d'une personne menacée par son fiancé s'est soldée par la mort ducouple, la Cour a tenu compte, en faveur des autorités chypriotes, du fait d'avoir épuisé la possibilitéde dénouer cette situation avec le dialogue 97 . De même, dans l’affaire Huohvanainen, la Cour aretenu en faveur des forces de l’ordre le fait qu’elles avaient tenté de négocier avec une personnearmée et barricadée dans sa maison et qu’elles avaient utilisé de fumigènes pour la faire sortir sanssuccès, avant de recourir à l’usage de leurs armes 98Ne tirer pour tuer qu’en cas de nécessité absolue. La Cour estime que la préparation desforces d'intervention doit être faite selon le principe de ne tirer pour tuer que si cela s'avèreabsolument nécessaire pour leur propre défense ou celle d'autrui. Autrement, elles doivent viser àblesser seulement une personne ou, par exemple, à immobiliser une voiture. Ainsi, dans l'affaireMcCann et autres, la Cour avait reproché aux autorités britanniques d'avoir donné l'ordre aux agentsd'intervention de tirer jusqu'à ce que mort s'ensuive 99 et que ceux-ci avaient continué à tirer alorsqu'une des victimes était déjà au sol touchée par plusieurs balles 100 . Dans l’affaire Makaratzis, elle aretenu à l’encontre des policiers grecs leurs tirs sur le conducteur alors qu’ils n’auraient du viser qu’àimmobiliser la voiture. Et dans l’affaire Nachova et autres, elle avait reproché aux policiers bulgaresd’avoir tiré sur des fugitifs qui ne présentaient aucun danger. Alors que dans l'affaire Adronikou etConstantinou la Cour avait retenu en faveur des autorités chypriotes que des instructions avaient été<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008policiers qui ayant participé à l’incident litigieux, avaient été entraînés au maniement des armes à feu et leursmouvements et actes étaient soumis au contrôle et surveillance des policiers expérimentés.93 CEDH, Celniku c. Grèce, n o 21449/04, CEDH 2007-V.94 CEDH, McCann et autres c. R.U., préc.95 Ces personnes étaient soupçonnées d'avoir placé une bombe dans leur voiture avec un système dedéclenchement prêt à être activé à tout moment et de n'importe quel lieu de Gibraltar, CEDH, McCann etautres c. R.U., préc.96 Ibid., §§ 202-205.97 CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, préc. ; CEDH, McCann et autres c. R.U., préc., §§ 181-183.98 CEDH, Huohvanainen c. Finlande, préc.99 CEDH, McCann et autres c. R.U., préc., § 212.100 Selon la Cour, « leur acte réflexe sur ce point vital n'a pas été accompli avec toutes les précautions dans lemaniement des armes à feu que l'on est en droit d'attendre de responsables de l'application des lois dans unesociété démocratique même lorsqu'il s'agit de dangereux terroristes », Ibid., § 199, § 212.


152données de ne tirer que si la vie de la fiancée ou des forces d'intervention étaient en danger 101 et que,effectivement, l'usage des armes n'a eu lieu qu'en ultime recours, après les coups tirés par le fiancé 102 .Dans l’affaire Huohvanainen, la Cour a estimé qu’il n’y a aucune raison de douter que les policiersont raisonnablement pensé qu’il était nécessaire d’ouvrir le feu pour protéger leurs collègues : ilsn’ont tiré que lorsqu’ils ont vu la victime apparaître armée à la porte 103 .Protéger la vie des tierces personnes. Même lorsque la mort d’une tierce personne a eu lieude manière accidentelle, et même lorsqu’elle a résulté de la force utilisée par la ou les personne(s)poursuivie(s), la responsabilité de l’Etat peut être engagée s’il est établi que les forces de l’ordren’ont pas suffisamment pris en compte le danger que leur intervention pourrait présenter pour lestierces personnes 104 .Utiliser des moyens de force de nature appropriée. La nature de la force peut aussi êtredéterminante dans l'appréciation du respect de la « nécessité absolue ». Ainsi, à propos de l'usage desblindés pour réprimer une manifestation au cours de laquelle un lycéen fut tué alors qu'il rentrait del'école chez-lui, ce qui a pesé lourd dans le jugement de violation de l’article 2, c’est la nature de laforce utilisée. Celle-ci n’était pas absolument nécessaire 105 . Il est incompréhensible, avait souligné laCour, pour une zone soumise à l'état d'urgence, que « les gendarmes aient employé une arme trèspuissante car ils ne disposaient apparemment ni de matraques et boucliers ni de canons à eau, ni deballes en caoutchouc ou de gaz lacrymogènes » 106 . Cette instance est parvenue à la même conclusion,dans affaire imek et autres, estimant incompatible avec la stricte proportionnalité exigée parl’article 2 l’usage des tanks pour disperser une manifestation 107 , et dans l’affaire Isayeva à propos del’usage des bombes aériennes pour combattre des résistants armés près des zones habitées 108 . DansScavuzzo (2006), la Cour a pris en compte la mise en garde par le milieu médical contre une méthodeutilisée pour effectuer une arrestation : « l’arrestation au moyen de l’immobilisation de la personne<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...101 CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, préc., §§ 185-186.102 Ibid., §§ 191-193.103 CEDH, Huohvanainen c. Finlande, préc.104 Ainsi dans l'arrêt Ergi, qui portait sur la mort d'une tierce personne tuée lors d'une embuscade, près d'unvillage, mise en place par les forces de l'ordre contre des militants du PKK, le gouvernement turc avait tenté dedégager sa responsabilité en soutenant qu'il n'était pas certain que la victime eût été tuée par des tirs des forcesde l'ordre. Or la Cour a estimé que « la responsabilité de l'Etat n'est pas uniquement engagée dans les cas oùdes preuves significatives montrent que des tirs mal dirigés d'agents de l'Etat ont provoqué la mort d'un civil ;elle peut aussi l'être lorsque lesdits agents n'ont pas, en choisissant les moyens et méthodes à employer pourmener une opération de sécurité contre un groupe d'opposants, pris toutes les précautions en leur pouvoir pouréviter de provoquer accidentellement la mort des civils, ou à tout le moins de réduire ce risque, ‘auminimum’ », CEDH, Ergi c. R..U., préc., § 79.105 CEDH, Gûlec c. Turquie, préc., § 73.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008106 Ibid., §§ 71-72.107 Dans l’arrêt Simsec et autres, précité, la Cour a jugé inacceptable que les forces de l’ordre, qui savaient quela situation était tendue dans les quartiers où ils sont intervenus avec des tanks faisant dix sept victimes, nedisposaient pas des équipements nécessaires (gaz lacrymogène, balles en plastique, canons à eau, etc.).108 CEDH, Isayeva c. Russie, préc.


par terre, allongée sur le ventre, avec pose de menottes aux mains et pieds 109 ». Tel fut, en tout cas, lesort d’une personne (toxicomane et en état d’excitation) lors de son arrestation. Mais la Cour aestimé que, pour engager la responsabilité internationale de l’Etat défendeur, encore faut-il que lesagents aient « raisonnablement pu se rendre compte que la victime se trouvait dans un état devulnérabilité exigeant un degré de précaution élevé dans le choix des techniques d’arrestation‘usuelles’ » 110 . En revanche tel a été le cas, dans l’affaire Saoud c. France (2007). Alors que lapersonne a été entravée aux mains et aux pieds, et ne présentait plus de danger pour autrui, elle a étémaintenue immobilisé au sol, face contre terre, et est morte par arrêt cardiaque en raison d'uneasphyxie lente, dite « posturale » ou « positionnelle ». La Cour a, à cette occasion fait remarquer quecette forme d'immobilisation est identifiée par la CPT 111 comme « hautement dangereuse pour lavie », et a invité l’Etat français à prendre une directive précise concernant le recours à ce type detechnique d'immobilisation 112 .b. Les sous-critères supplémentaires dans le cadre des opérations planifiéesS’agissant des opérations policières ou militaires planifiées, la Cour exige des garantiessupplémentaires. Elle exige que l’opération soit « préparée », « contrôlée » et « exécutée » avec lesprécautions nécessaires afin de réduire au maximum les risques de donner la mort 113 . Il doit y avoirun commandement central, des règles claires concernant l’usage de la force et des moyens de forcede nature variée. Il faut avoir préparé et conduit l'opération de manière à protéger la vie des tiers etdes civils 114 .L’obligation de préparation. Une intervention collective peut ne pas être préparée 115 .Toutefois, tel doit être le cas notamment pour des interventions dans des zones de conflit (arrêtIsayeva) ou de tension permanente, pour réprimer une émeute ou une manifestation (arrêt Simsec),mais aussi pour toute intervention lorsque les forces de l’ordre ont été préalablement informées de la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...109 CEDH, Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, n°41773/98, CEDH, 2006-II.110 Ibid.. Voir pour cette question dans un autre contexte, CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 61.111 Selon le CPT, le maintien de l'étranger dans une telle position, qui plus est avec du personnel d'escorteapposant son poids sur diverses parties du corps (pression sur la cage thoracique, genoux dans les reins,blocage de la nuque) après qu'il se soit débattu, présente un risque d'asphyxie posturale.112 CEDH, Saoud c. France, n o 9375/02, CEDH, 2007-X, §§ 101-102.113 « Reconnaissant l'importance de cette disposition (art. 2) dans une société démocratique, la Cour doit, pourse former une opinion, examiner de façon extrêmement attentive les cas où l'on inflige la mort, notammentlorsque l'on fait un usage délibéré de la force meurtrière, et prendre en considération non seulement les actesdes agents de l'Etat ayant eu recours à la force mais également l'ensemble des circonstances de l'affaire,notamment la préparation et le contrôle des actes en question », Ergi c. R..U., préc., §79. Voir McCann etautres c. R.U., préc. ; CEDH, Isayeva c. Russie, préc. ; CEDH, Yüksel Erdoan et autres c. Turquie , préc. ;CEDH, Huohvanainen c. Finlande, préc.114 Le gouvernement défendeur ne savait pas qui avait participé à l'opération, dans quelles circonstances lesforces de l'ordre avaient ouvert le feu ni quelles mesures avaient été prises une fois que l'affrontement avaitgagné en ampleur pour réduire les risques, CEDH, Ergi c. R..U., préc., § 80.115 Dans l’affaire Makaratzis (précitée), la Cour a considéré qu’il est concevable qu’une poursuite (enl’occurrence d’un automobiliste dangereux) commencée par un policier devienne collective.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008153


154nécessité d’intervenir pour effectuer une arrestation (arrêt McCan et autres, Celniku 116 ), pour libérerun otage (arrêt Andronikou 117 ), pour arrêter une personne barricadée dans un lieu fermé, armée, etqui tire vers les policiers (arrêt Huohvanainen) 118 , ou pour maîtriser un événement collectif quitombe dans le champ de l’article 2 de la Convention, telle que la mutinerie dans une prison quitombe dans le cadre d’insurrection dès lors qu’il ne s’agit pas d’une « insurrection généraliséesoudaine ayant évolué de manière inattendue » (Gömi et autres c. Turquie 119 Kurnaz et autres c.Turquie 120 . Dans de tels cas, les forces de l’ordre doivent avoir conçu des plans d’intervention etdoivent les exécuter avec les précautions nécessaires afin de limiter la mise en danger de la viehumaine.Les exigences de la préparation et de la conduite des opérations. Concernant lecommandement central, la Cour a précisé qu'il faut informer les forces d'intervention de l'éventuellemarge d'erreur sur la certitude de l'existence d'un danger physique afin d'éviter le recoursautomatique à la force mortelle 121 . En cas d’un tel usage, il faut viser à neutraliser le risque, et non àtuer la personne (sauf en cas de légitime défense) 122 . Par exemple, dans l'arrêt Ergi, qui portait sur lamort d'une tierce personne tuée lors d'une embuscade, près d'un village, tentée par les forces del'ordre contre des militants du PKK, la Cour a estimé que, lors de la préparation de l’intervention,« des précautions suffisantes n'ont pas été prises pour épargner la vie de la population civile 123 »notamment en raison du choix du lieu de l’embuscade (près d’une zone habilitée) et de la nature dela force utilisé (des blindés). Ces deux motifs se trouvent également parmi les défaillances de laRussie, au regard de l’article 2 de la Convention, lors d’une attaque aérienne, contre des combattantstchétchènes, menée dans une zone habitée (arrêt Isayeva).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...116 CEDH, Celniku c. Grèce, préc.117 CEDH, Andronikou et Constantinou c. Chypre, préc.118 CEDH, Huohvanainen c. Finlande, préc.119 CEDH, Gömi et autres c. Turquie, n° 35962/97, CEDH 2006-XII.120 CEDH, Kurnaz et autres c. Turquie, n° 36672/97, CEDH 2007-VII.121 C’est ce que la Cour a reproché aux autorités dans l’affaire McCann et autres à propos de la mort desterroristes présumés : le commandant de l'opération ayant eu donné l’ordre aux forces d'intervention de tirer aumoindre signe suspect de la part des victimes, alors que la menace, à savoir l’introduction à Gibraltar d’unevoiture piégée d'une bombe télécommandée que chacun des suspects pourrait déclencher de n'importe quelendroit de Gibraltar, n’était que probable, CEDH, McCann et autres c. R.U., préc., §186 et §§ 206-211.122 CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc. ; CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc. ; CEDH,McCann et autres c. R.U., préc.123 La Cour a reproché aux autorités turques l'emplacement de l'embuscade à la proximité d'un village, et le faitque les responsables de l'intervention n’avaient pas envisagé toutes les hypothèses de la trajectoire des tirscroisés avec les militants du PKK, et notamment celle où ces derniers viendraient d'un endroit tel que desvillageois risquaient de se trouver dans le champ des tirs, CEDH, Ergi c. R..U., préc., § 81.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


155Afin de diminuer au minimum les risques de mort, d'autres précautions peuvent êtreexigées, comme celle d’intervenir le jour plutôt que la nuit 124 ou d’évacuer les civils à défaut depouvoir intervenir dans une zone de conflit loin d’une zone habitée 125 .C’est au regard de l’ensemble de ces garanties requises dans le cadre des obligationsnégatives des Etats que nous allons étudier leur application à l’égard des détenus tant au sein de lajurisprudence européenne qu’au sein des droits nationaux, grec et français.§ 2. Application à l’égard des détenusSi le principe est de garantir la protection de la vie des détenus, force est de constater,d’abord, que l’article 2 de la Convention contient deux dérogations supplémentaires par rapport aureste de la population, l’une explicite et l’autre implicite : l’usage de la force est autorisé pourempêcher une évasion et pour effectuer une arrestation régulière. Ce qui n’est pas sans nousinterpeller sur l’égalité des détenus devant le droit à la vie et, par conséquent, sur le contenu légal dela peine privative de liberté, puisque leur statut juridique (pénal) peut justifier des conséquencesdébordant sur le droit à la vie. La réponse dépend de l’interprétation faite par la Cour de cette doubledérogation ainsi que de la législation des droits nationaux relative à cette question (A). De même, lajurisprudence de la Cour et la réglementation nationale relative aux autres dérogations prévues parl’article 2 de la Convention à l’interdiction de recours à la force, permettent de répondre à la questionde savoir si le statut pénitentiaire ne contribue pas également à légitimer une extension du champ derecours à la force (B).A. Amoindrissement de la protection en raison du statut pénalL’article 2 de la Convention dans son deuxième paragraphe alinéa b, prévoit que « la mort<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'unrecours à la force rendu absolument nécessaire : …b) pour effectuer une arrestation régulière oupour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ». Cet usage de la force qui est fondésur le respect des obligations imposées par la peine et non sur les nécessités du fonctionnement de laprison, n’est pas sans nous interroger sur sa légitimité. Certes empêcher une personne condamnée àla privation de liberté, y compris par l’usage de la force de quitter le lieu d’exécution de sa peine etde l’y ramener, est une conséquence logique de la peine privative de liberté entendue dans le sensstrict de privation de liberté de circulation. La question qui se pose est de savoir jusqu’où cet usagede la force peut aller. Plus précisément, le seul but de faire respecter cette obligation imposée par<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008124 Par exemple, dans l'arrêt Adronikou et Constantinou (précité), certains juges ont, dans leur avis dissident,soulevé la question de savoir si l'intervention nocturne et donc dans l'obscurité n'a pas contribué à amoindrir lamaîtrise de la force utilisée.125 CEDH, Isayeva c. Russie, préc.


156cette peine peut-il justifier la mise en danger de l’intégrité physique et de la vie de la personne 126 ?Dans ce cas, ne s’agirait–il pas d’un dépassement du contenu légal de cette peine, passant de laprivation de la liberté à l’autorisation d’infliger la mort ?La réponse dépend de l’interprétation et de l’application concrète de cette doubledérogation tant par la Cour (1) que par les droits nationaux (2). Nous estimons que le seul but dedéjouer une tentative d’évasion et de capturer un évadé ne suffisent pas à justifier l’usage de la forcemortelle. Il s’agit bien d’un dépassement du cadre légal de la peine privative de liberté. Cette peinene peut pas muer en peine de mort. Les moyens de son exécution ne peuvent pas aller jusqu’à inclurela mort.1. Les exigences européennesCette double dérogation ne peut être conforme au principe de légalité des peines et àl’esprit de la Convention en général que si elle obéit à l’interprétation appliquée par la Cour dans lesautres cas de recours à la force autorisés, telle que nous venons de la présenter. C’est-à-dire, si ellerespecte le critère de « nécessité absolue » apprécié non seulement par le but poursuivi (empêcherune évasion et arrêter l’évadé) mais aussi par d’autres critères et notamment par celui d’assurer laprotection de l’intégrité physique et de la vie d’autrui.Autrement dit, il faut que le détenu lors de son évasion ou lors de son arrestation présenteun danger physique (immédiat et réel) pour les personnes habilitées à l’arrêter ou pour des tiercespersonnes. Il faut, de surcroît, qu’un nombre de précautions soit pris pour éviter autant que faire cepeut que l’usage de la force soit mortelle, telles que : n’utiliser des armes à feu que si cela estnécessaire pour protéger la vie et l’intégrité d’autrui ; ne tirer qu’en dernier recours (utiliser desmoyens moins dangereux), viser à immobiliser et non à tuer.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La Cour n’a eu l’occasion de se prononcer qu’à propos de l’arrestation de deux personnesévadées d’une prison militaire 127 . Elle a clairement affirmé que l’usage de la force ne peut êtrejustifié que s’il répond à l’ensemble des conditions requises par l’article 2 telles qu’elles sontprécisées à propos du recours à la force pour d’autres motifs, à savoir l’existence d’un dangerphysique, le respect de la stricte proportionnalité ainsi que de toutes les autres précautions pourréduire au minimum les risques pour la vie et l’intégrité.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Nous estimons que compte tenu de l’évolution de l’interprétation générale faite dudeuxième paragraphe de l’article 2, seule l’application de la même interprétation également à l’égard126 D’autant plus que la tentation de s’évader est tout à fait naturelle pour l’homme en captivité.127 CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc.


157des détenus est conforme à la Convention et au principe de légalité des peines. A ce propos, il estintéressant de citer l’avis émis par des Procureurs grecs près la Cour de cassation, en 1996, sur laquestion de savoir si en cas de tentative d'évasion et d'arrestation d'un évadé il peut être fait usagedes armes. Selon cet avis, ces deux situations ne peuvent justifier, en elles-mêmes, l'usage desarmes 128 . Leur raisonnement est, à juste titre, fondé sur la valeur fondamentale du droit à la vie maisaussi sur les limites de la légalité de la peine privative de liberté. En rappelant que donner la mort estcontraire à l’ordre juridique grec, tant à sa Constitution qui consacre le droit à la vie de manièreabsolue (art. 5 §2 et 7 §3) qu'à la loi 2207/1994 qui a aboli la peine de mort, ils estiment qu'il« serait paradoxal » d'une part, d'interdire la peine de mort même pour les crimes les plus répugnants,et d'autre part, de l'autoriser en cas de tentative d'évasion ou d'arrestation d'une personne évadée.D'autant plus, poursuivent-ils, que l'évasion constitue un délit punissable d'un an de privation deliberté (art 173 C. Pén.), et ce, indépendamment de la nature et de la gravité du délit ou du crimepour lesquels les détenus sont condamnés.Le recours à l'usage des armes, précise cet avis, doit être régi par les dispositions du droitpénal relatives à des situations de légitime défense et de l'état de nécessité. C’est-à-dire qu'il ne peuty avoir recours à la force que si cela est rendu « nécessaire par la nature de l'agression ou du dangerencouru pour la vie ou la propriété de la victime ou d'autrui, et si ce danger est actuel et non évitablepar d'autres moyens ». Sont cités à titre indicatif, les tentatives d'évasion accompagnées de prised'otages ou de violences exercées sur les codétenus, sur les visiteurs ou sur le personnel pénitentiaire.Dès lors, seules les tentatives d'évasion accompagnées de violences dangereuses pour la vieou l'intégrité d'autrui devraient justifier le recours à la force susceptible d'être mortelle et toujoursdans le respect de nécessité et de proportionnalité exigées par l'article 2. Autrement, il doit être faituniquement usage des moyens ne comportant pas de risques pour la vie ou l'intégrité des détenus.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2. L’application nationaleAu regard de cette conclusion, les droits grec et français sont incompatibles avec la<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Convention et le principe de légalité des peines. La seule tentative d'évasion a toujours justifié lerecours à la force et, au besoin, à la force mortelle. Le droit français prévoit l'usage desarmes lorsque « des détenus invités à s'arrêter par des appels répétés de ‘halte’ faits à haute voixcherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraints de s'arrêterque par l'usage des armes » (art. D 283-6 al.4 CPP). En droit grec, la tentative d'évasion justifieégalement le recours à l’armée. Son usage fait l’objet d’une loi spécialement votée pour lasurveillance extérieure des prisons, des hôpitaux pénitentiaires et de tous les transferts des détenus128 Avis des Procureurs de la Cour de Cassation, n° 1802/96, 13.11.1996, Poinika chronika (Chroniquespénales), MST, pp. 1523-1526.


158(n° 2721/1999). Elle prévoit (article 50 §1) que le personnel de garde à l’extérieur des lieux dedétention ou d’hospitalisation peut faire usage des armes à feu : au moment d’une tentative des’évader avec violence y compris contre du matériel, mais aussi lorsque des détenus sont en train demonter sur les murs extérieurs de la prison, et lorsque, après avoir réussi à passer la mur, n’obéissentpas à la sommation « halte ou je tire ». Ce personnel peut également utiliser la force armée pendantune tentative d’évasion lors d’un transfèrement, ainsi que pendant les poursuites pour arrêter unévadé. Toutefois, dans le troisième paragraphe de cette loi, il est précisé que, avant de recourir auxarmes, ce personnel doit utiliser d’autres moyens : des conseils, des menaces, des jets d’eau àpression, gaz, des tirs en l’air. Ce corps de « service de surveillance extérieur des lieux de détention »a les mêmes pouvoirs que la police, mais il dépend du Ministère de la Justice.pénitentiaire.Le champ de recours à la force à l’égard des détenus s’élargit encore par leur statutB. Amoindrissement de la protection en raison du statut pénitentiaireLa dépendance des détenus vis-à-vis des autorités pénitentiaires, qui les rend vulnérables,mais aussi la conception de l’ordre et de la sécurité dans les prisons contribuent à ce que le statutpénitentiaire des détenus amoindrisse la protection de leur vie et de leur intégrité. En effet, si lajurisprudence européenne insiste sur la vulnérabilité des détenus, ce qui devrait rendre encore plusstrictes les exigences de l’article 2 (1), les exemples du droit grec et du droit français montrent qu’iln’en est encore rien : au contraire, les nécessités d’ordre et de sécurité de la prison étendent le champd’autorisation de recours à la force (2).1. Les exigences européennes<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La jurisprudence de la Cour rendue depuis le début des années 2000 tend à renforcer laprotection du droit à la vie des détenus. En reconnaissant qu’ils se trouvent dans une situation de« vulnérabilité » et de « fragilité », et « entièrement sous le contrôle des autorités », la Cour souligneque « les obligations des Etats contractants prennent une dimension particulière ». Cette affirmationest faite concernant tant les obligations positives 129 que les obligations négatives 130 des Etats.Toutefois, concernant ces dernières, la Cour n’a pas eu l’occasion de se pencher sur la déterminationdes motifs de recours à la force ni sur l’appréciation de sa nécessité. Les griefs examinés portaienttous sur les défaillances de l’enquête suite à des décès de personnes en garde à vue pour lesquelles<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008129 CEDH, Slimani c. France, n°57671/00, CEDH, 2004-VII, § 27 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U.,préc., § 56 ; CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 91 ; CEDH, Younger c. R..U., (déc.), n° 57420/00, CEDH 2003-I ;Troubnikov c. Russie, préc., § 68.130 CEDH, Orak c. Turquie, préc., § 68 ; CEDH, Tanli c. Turquie, préc., § 41 ; CEDH, Anguelova c. Bulgarie,préc., § 110.


les preuves recueillies par la Cour permettaient de conclure qu’elles ont été victimes d’usage deviolence.159Seule une décision de la Commission, rendue en 1993 dans l’affaire J. A. dirigée contre laFrance 131 , portait sur la légitimité du motif invoqué (désobéissance) passive à un ordre ou uncommandement et participation à un incident collectif) et sur la nature de la force utilisée àl’encontre d’un détenu victime des coups et blessures (par l’usage des matraques). Le requérants'était plaint d'avoir été frappé par trois surveillants à l'aide de matraques dans une cellule où il avaitété amené après sa participation à un incident opposant un codétenu à des surveillants, ce qui luiavait causé une incapacité de travail de trois semaines. Les auteurs des coups s'étaient défendus enarguant que le recours à cette force avait été rendu nécessaire par le refus de la victime d'obeïr àl'ordre de l'autorité légitime de se retirer du lieu de l'incident et de se rendre au quartier disciplinaire.Or, le Tribunal correctionnel de Cayenne, et ensuite la Cour d'appel de Fort-de-France, ont écarté cetargument, estimant que c'était l'ordre du premier surveillant de donner des coups de matraque quiétait entaché d'illégalité dès lors que l'intéressé n'avait opposé aucune résistance pour se rendre auquartier disciplinaire ; et que s'agissant de comportements fautifs des détenus, comme celui departiciper à un incident collectif, des procédures étaient prévues pour les sanctionner. Cesjuridictions, tout en retenant comme circonstances atténuantes le fait que les surveillants exercentleur profession dans des conditions difficiles et que les défendeurs « faisaient l'objet de bonsrenseignements », ont retenu leur culpabilité pour coups et blessures volontaires avec armes.On déduit de cette affaire que la désobéissance passive des détenus à un ordre ou uncommandement et leur participation à un incident collectif ne suffisent pas à justifier le recours auxarmes. Et l’on doit déduire de la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation générale del’article 2, que pour cela il faut encore que le comportement des détenus présente un danger physiqueet d’une certaine ampleur pour autrui.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A la lumière de cette décision, et surtout de la jurisprudence générale de la Cour relative à lanécessité de recours à la force, ainsi que de la vulnérabilité des détenus, nous allons voir si laréglementation de l’usage de la force à l’encontre des détenus en droit grec et français respecte lesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008exigences de la Convention européenne des droits de l’homme et si donc ils n’ajoutent pas desdérogations qui diminuent encore la protection de leur vie.131 D 20648/92 (J.A/France), 1.9.1993.


1602. L’application nationaleL’obligation de protéger tant leur vie que leur intégrité est indéniable, tant en droit françaisqu’en droit grec. La jurisprudence européenne est seulement venue renforcer les obligations quipèsent sur les Etats en cette matière.Les droits grec et français sont marqués par une évolution visant à réduire les risques demort des détenus pour des raisons de maintien d'ordre et de sécurité dans la prison. Parmi lesprécautions prises, notons d'abord l'interdiction faite au personnel de porter des armes dans le lieu dedétention. Cette interdiction, implicite en droit grec et expressément prévue par le droit français (art.D. 218, CPP 132 et art. D. 267, al.2, CPP 133 ), est dictée par le souci de diminuer les risques de mort parle recours aux armes par réflexe. Notons ensuite que ces deux droits nationaux soumettent l'usage dela force dans l'enceinte de la prison à des conditions visant à limiter le recours à la force ainsi queson ampleur. Ils émettent comme principe la limitation de l'ampleur de la force à la mesurestrictement nécessaire (D 283-5 al.2. CPP 134 et art. 65 §2 C. pénit.), délimitent le champd'autorisation de recours à la force et déterminent, dans une certaine mesure, la nature de la force àutiliser.La question est de savoir si ces précautions, telles que nous allons les préciser pour le droitfrançais et le droit grec, répondent à la limitation de l’usage de la force dans le cadre fixé par l’article2§2 de la CEDH telle qu’elle est interprétée par la Cour. Rappelons que, outre l’évasion etl’arrestation, déjà abordées, seuls deux autres cas justifient le recours à la force : la défense despersonnes contre la violence illégale et la répression d’une émeute ou d’une insurrection. De surcroît,le recours à la force doit être rendu « absolument nécessaire». Rappelons aussi que par « force »,l’article 2 entend non seulement les armes à feu mais aussi toute force pouvant s'avérer mortelle.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>a. Au sein du droit françaisLe droit français distingue trois types de recours à la force, prévus pour certains motifs et<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...soumis à des conditions propres à chacun.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008132 « Dans les locaux de la détention, les agents ne sont porteurs d'aucune arme, hors le cas exceptionnel prévuà l'article D267. Les surveillants assurant un service de garde en dehors des bâtiments de détention sont armésdans les conditions fixées par une instruction de service ».133 « Les agents en service dans les locaux de détention ne doivent pas être armés, à moins d'ordre exprèsdonné, dans des circonstances exceptionnelles et pour une intervention strictement définie, par le chef del'établissement. »134 « Le personnel de l'administration pénitentiaire ne doit utiliser la force envers les détenus qu'en cas delégitime défense, de tentative d'évasion ou de résistance par la violence ou par inertie physique aux ordresdonnés. Lorsqu'il y recourt, il ne peut le faire qu'en se limitant à ce qui est strictement nécessaire. »


Le recours aux armes. Le droit pénitentiaire français soumet le recours aux armes àl'autorisation expresse du chef d'établissement et précise qu'elle doit être donnée pour uneintervention strictement définie par ce dernier (art. D 267 al. 2). De plus, il limite le pouvoirdiscrétionnaire de celui-ci en indiquant, dans l'article D 283-6 du Code de procédure pénale, les casdans lesquels il peut donner une telle autorisation. Outre la tentative d'évasion, y figurent : lesviolences ou voies de faits exercées contre le personnel ; les menaces à l'encontre du personnel pardes individus armés ; la défense des établissements pénitentiaires et des postes ou des personnes quileur sont confiés ; et une résistance telle qu'elle ne puisse être vaincue que par l’usage des armes. Lechef d'établissement peut également faire appel à la police si la « gravité ou l'ampleur d'un incidentsurvenu ou redouté » sont telles que l'incident ne puisse pas être maîtrisé par les moyens dontdispose le personnel (art. D 266 al.2 CPP). Notons à ce propos, la mise en place, en 2003, des ERIS.Il s’agit d’un corps de force spécial. Sa particularité consiste au port des cagoules lors de sonintervention, ce qui, comme l’a souligné le CPT, implique des risques d’impunité en casd’allégations en raison de difficultés d’identifier les auteurs 135 .Le recours à d'autres moyens de force. Il est prévu pour les cas de résistance par la violenceet d'inertie physique aux ordres et il est soumis au respect de la limitation à la « stricte nécessité » (D283-5 al.2 CPP 136 ). A défaut de précisions sur la nature de la force, et du fait que les cas où le recoursà la force armée soient précisés par les dispositions susmentionnées (art. D 267 et D 283-6 CPP), onpeut déduire que l’on doit entendre ici la force à main nue, l’usage des matraques, les gazlacrymogènes et d'autres moyens 137 . En effet, l'usage de tels moyens par le personnel est prévu par lacirculaire du 16 février 1984 qui réglemente l'accès du personnel à l'endroit où ils sont déposés afinque celui-ci n'y ait pas recours facilement. Seuls les gradés et le chef d'établissement ont les clés etpeuvent décider d'en faire usage 138 . A ces moyens de force, il convient de mentionner le bâillon, quine devrait plus être pratiqué suite aux remarques du CPT 139 , ainsi que les Täser : des pistolets àimpulsion électrique qui sont en train d’être expérimentés dans certaines prisons. Cela suscite lacrainte d’une partie du personnel pénitentiaire, qu perçoit les Täser comme une arme, de dégradationdes relations avec les détenus 140 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Les moyens de contention. A part l'enfermement dans une cellule spéciale prévu pour les casoù un détenu use de menaces, des injures ou des violences ou il commet une infraction à ladiscipline, le droit français se contente d'énoncer que les détenus peuvent également, en cas de fureur161135 CPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, du 27 septembre au 9 octobre, § 218.136 « Lorsqu'il (le personnel) y recourt, il ne peut le faire qu'en se limitant à ce qui est strictement nécessaire. »137 Sur l'usage de la force dans les droits français et espagnol, malgré l’absence de précision des moyens, usageest fait des lacrymogènes, des bâtons, des menottes ou des camisoles, E. RUBI-CAVAGNA, Le respect de laConvention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par la France etl'Espagne concernant la protection de la personne du détenu, préc., pp. 241-252.138 Citée par Martine HERZOG-EVANS, La gestion du comportement du détenu, préc., p. 527.139 CPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, préc., § 171.140 Ibid., § 170


162ou de violence grave, être soumis à d'autres moyens de coercition sans les préciser (art. 726 CPP etD 283-3 CPP). Le recours à leur usage ne peut avoir lieu que sur ordre du chef d'établissement s'ilestime « n'être autre possibilité de maîtriser un détenu, de l'empêcher de causer des dommages ou deporter atteinte à lui-même ou à autrui... » (art. D 283-3 al.2 CPP).Nous constatons donc que le droit français dépasse largement le cadre de l’article 2 de laConvention. Son usage est prévu pour des motifs supplémentaires à ceux limitativement prévus parl’article 2 qui, de surcroît, n’impliquent aucun danger physique pour les personnes. Tel est nettementle cas de cas de menaces, de résistance non violente ou encore de l’inertie physique.b. Au sein du droit grecToutes les mesures d’ordre et de sécurité sont réglementées par l’article 65 du Codepénitentiaire. Cet article distingue deux types de mesures : les mesures d’ordre et les mesures desécurité.Les mesures d’ordre (art. 65 §2)Il s’agit, en fait, de moyens de contention : menottes, enfermement dans une celluled’isolement et toute autre mesure jugée nécessaire pour « sauvegarder et rétablir l’ordre ».C’est seulement dans les cas d’actes de détenus mettant en danger la vie, l’intégrité, lasanté et la liberté des codétenus ou du personnel, que ces mesures peuvent être également décidéespar le directeur de l'établissement ou son représentant. Dans ces cas, elles doivent être validées dansles 24 (vingt-quatre) heures par le conseil de la prison auquel appartient normalement cette décision.Ce qui permet de déduire que le Conseil de la prison peut décider leur usage pour des motifs<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>supplémentaires.Ces mesures peuvent être appliquées par le personnel de garde des lieux de détention mais<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...aussi par le personnel de la garde extérieure.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Les mesures de sécurité (art. 65 §1)Elles sont prévues en cas de désobéissance collective, mutinerie et désobéissance à unordre légal, notamment le refus de regagner les cellules ainsi que les violences physiques contre lespersonnes.


163En ce qui concerne la nature de ces moyens, ce texte précise seulement que l’usage de laforce armée est réservé à la police qui peut décider de la nature de la force la plus appropriée àutiliser et que l’usage des armes à feu est réservé dans le cadre de la mutinerie.La décision de faire appel à la police appartient au procureur de la République ou à sonsubstitut (elle est écrite et, si urgent, orale suivie de la confirmation écrite). En cas d’urgence, ladécision peut être prise par le directeur de la prison ou son représentant, qui en informe le Procureur.Ce dernier peut annuler cette décision.Le Code pénitentiaire laisse la réglementation des détails du port d’armes par le personnelet la gestion des mutineries, des évasions et de désobéissance individuelle et collective au règlementintérieur (65 §4). Ce qui est fort regrettable compte tenu de la gravité de ces décisions et de la gravitéde la mesure du port d’armes par le personnel pour la vie et l’intégrité des détenus. Rappelons que leCode précédent (1989) interdisait le port d’armes par le personnel de garde. Seul le personnel desurveillance des miradors y était autorisé. Une loi votée en 1996 (n° 2408/96) prévoyait que l’usagedes armes et en général la gestion de tels incidents devrait faire l’objet d’un règlement qui sera prispar décision commune des ministres de la Justice et de l'Ordre public. En attendant, le personnel degarde continue à ne pas porter pas des armes. Il ne peut utiliser que le bâton et les menottes pourfaire face au type d’incidents susmentionnés.Aussi constatons-nous que le droit pénitentiaire grec élargit, lui aussi, le champd’autorisation du recours à la force. Son usage est, par exemple, autorisé pour des motifs de dangerpour la liberté d’autrui et même pour les motifs de désobéissance qui peut être passive.De manière générale, l’exemple de la réglementation de l'usage de la force dans la prisonpar les droits grec et français montre que le statut pénitentiaire du détenu contribue à élargir le champde légitimité du recours à la force en comparaison avec les exigences de l'article 2 de la Convention.Tout d'abord, la notion de défense ne se limite pas à la défense de l’intégrité physique des personnes.Elle comprend également la défense des établissements et des postes (droit français) et la protectionde la santé et de la liberté d’autrui (droit grec). Ensuite, concernant le maintien de l'ordre, l’article 2<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de la Convention ne prévoit que la répression d’une émeute ou d’une insurrection. Seule donc la« mutinerie », qui en langage courant désigne les mouvements collectifs de protestation et derevendication dans les prisons, peut être couverte par le terme d’émeute. En termes juridiques, tanten droit grec qu’en droit français, la mutinerie ne peut correspondre qu’aux expressions« désobéissance» ou « résistance » pourvu qu’elles soient collectives et accompagnées de violencesphysiques mettant en danger l’intégrité physique d’autrui. Cependant, nous constatons que ces deuxdroits pénitentiaires autorisent le recours à la force pour toute forme de rébellion, y compris denature passive et individuelle. Ils l’autorisent pour tout refus d'exécution d'un ordre légal (art. 65


164§§ 1, 4 C. pénit., et D 283-5 CPP), y compris par inertie physique, alors que même le droit commungrec et français exige que la rébellion soit accompagnée de « voies de fait ». Ce qui étendincontestablement le champ de légitimation de recours à la force, et d’autant plus largement que ledétenu se trouve constamment face à face avec le personnel et est susceptible de recevoir des ordresà tout moment et ce pour la moindre raison concernant le « bon fonctionnement » de la prison.L’étude de l’application générale de l’article 2 permet d’affirmer qu’aucune des dérogationsà la protection du droit à la vie mentionnées dans l’article 2§2 de la Convention ne constitue uneraison suffisante pour justifier le recours à la force qui peut s’avérer mortelle. Le concours d’uneautre condition est requise : l’existence d’un danger physique pour les personnes présentes sur leslieux. Ce qui permet de répondre à notre interrogation concernant l’extension implicite du contenulégal, en tout cas « légitimable », de la peine privative de liberté vers une peine physique : laConvention ne justifie pas le recours à une telle force uniquement pour empêcher une évasion. Il fautque cette tentative se déroule dans des circonstances présentant un danger physique immédiat pourdes personnes présentes sur les lieux.De même, l’ordre et la sécurité dans les prisons ne peuvent constituer des raisons justifiant lerecours à la force que si les comportements des détenus mettent en danger l’intégrité physique desautres personnes.SECTION 2. <strong>LA</strong> GARANTIE DU DROIT A <strong>LA</strong> VIE AU REGARD <strong>DE</strong>S OBLIGATIONSPOSITIVESAu fil de la jurisprudence européenne, il est établi que, outre la protection contre la mortrésultant de l’usage de la force, l’article 2 de la Convention implique, eu égard à son premierparagraphe, l’obligation positive pour les Etats de prendre toutes les mesures préventives nécessairesà la protection de la vie des personnes 141 . Il implique aussi, ajouta la Cour, des obligationsprocédurales, notamment celle de mener une enquête effective sur la mort ou la mise en danger de lapersonne. Celles-ci constituent le volet procédural de la protection requise par l’article 2. Nousprésenterons l’ensemble de ces garanties, d’abord au sein de la jurisprudence européenne (§1) et,ensuite, au sein des droits nationaux (§2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§1. La garantie européenne141 CEDH, Pretty c. R..U., préc., § 37 ; CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc., § 71 ; CEDH, Nachova etautres c. Bulgarie [GC], préc., § 93, CEDH 2005-VII ; CEDH, Keenan c. R.U., préc. ; Kilinc et autres c.Turquie, n o 40145/98, CEDH, 2005-VI ; CEDH, Taïs c. France, n°39922/03, CEDH, 2006-VI, § 96.


165C’est en recherchant à déterminer l’égalité des détenus devant le droit à la vie que nousprocéderons à la comparaison de l’application des obligations positives en examinant leurapplication générale (A), et ensuite, à l’égard des détenus (B)A. Application généraleCes obligations comportant des mesures à la fois préventives (1) et répressives (2), nous lesprésenterons successivement.1. Les obligations préventivesL’obligation de prendre des mesures positives préventives comprend certes celle, générale, desEtats, de mettre en place une législation pénale concrète et dissuadant de commettre des atteintescontre la personne en s'appuyant sur un mécanisme d'application conçu pour en prévenir, réprimer etsanctionner les violations 142 . Mais elle va au-delà. Elle comprend également l’obligation de prendredes mesures normatives et/ou pratiques supplémentaires eu égard à la nature des risques àprévenir 143 . Toutefois, la Cour a souligné qu’il s’agit d’une obligation de moyens, et non derésultat 144 , et que l’article 2 ne saurait garantir à toute personne un niveau absolu de sécurité 145 . Ceque l’article 2 exige, c’est que ces moyens soient suffisants et adéquats. Leur caractère adéquat estapprécié différemment suivant qu’il s’agisse d'une situation de risque commune (a) oupersonnelle (b).a. Les obligations contre des risques communsIl est évident que le caractère adéquat des mesures à prendre pour protéger la vie ne s’appréciepas de la même manière en temps de paix et en temps de trouble. Le terrorisme 146 , mais aussi lesémeutes ou les insurrections, par exemple, justifient et exigent de renforcer les mesures de sécurité<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...142 CEDH, Pretty c. R..U., préc., § 38 ; CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc., § 93 ; CEDH,Osman c. R.U., préc., §115 ; CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc.§ 58.143 Elle rappelle en outre que, si l'article 2 de la Convention peut, dans certaines circonstances bien définies,mettre à la charge des autorités l'obligation positive de prendre préventivement des mesures d'ordre pratiquepour protéger l'individu contre autrui ou, dans certaines circonstances particulières, contre lui-même, il fautinterpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif,sans perdre de vue, notamment, l'imprévisibilité du comportement humain et les choix opérationnels à faire enmatière de priorités et de ressources, CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 90 ; CEDH, A.A. et autres c. Turquie, n o30015/96, CEDH, 2004-VII, §§ 44-45 ; CEDH, Pretty c. R.U., préc., § 38 ; CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC],préc.§ 70 ; CEDH, Bone c. France, (déc.) n° 69869/01, CEDH 2005-III ; CEDH, Ataman c. Turquie, préc.,§ 54 ; CEDH, Taïs c. France, préc., § 97.144 CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc., § 160.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008145 CEDH, Bone c. France, (déc.), préc.146 « La Commission ne saurait dire que le Royaume-Uni était tenu, aux termes de la Convention, de protégerle frère de la requérante par des mesures autres que celles prises effectivement par les autorités pour protéger lavie des habitants d'Irlande contre les attentats terroristes », D 9348/81 (X/R.U), préc., p. 210 ; D 9837/82(M/R.U), 4.3.86, D.R. 47, p. 27.


des personnes. En temps de paix également, les exigences varient suivant qu'il s'agit d'un temps devie ordinaire ou d'un temps de déroulement d'événements collectifs publics (des manifestationspolitiques, culturelles, sportives, etc.). Cela dit, il est difficile d’établir une action ou une omissionprécise des Etats défendeurs en cette matière 147 ». Parmi les rares arrêts qui ont retenu laresponsabilité de l’Etat, citons l’arrêt Pasa et Erkan Epol contre la Turquie. La responsabilité decelle-ci a été retenue pour manquement à son obligation positive de prendre toutes les mesuresnécessaires pour éviter la mise en danger de la vie d'autrui à propos du minage d’un terrain depâturage. Alors que ce terrain était régulièrement utilisé comme pâturage d'élevage par un village oùde jeunes enfants font quotidiennement paître les animaux, et en l'entourant uniquement de deuxrangées de fils barbelés suffisamment écartés pour ne pas en empêcher l'accès par des enfants, lesautorités n'ont pas pris les mesures de sécurité nécessaires pour éloigner tout risque de danger demort et de blessure. L’information orale et écrite des villageois sur ce danger n’était pas suffisante,jugea la Cour 148 .En revanche, cette obligation se précise concernant la sécurité de certains lieux de vie et/oud’activité collective (comme la caserne 149 , les navires 150 ,, les lieux de travail à l’instar des chantiersde construction 151 , et forcément la prison, l’école ou l’hôpital). Ces lieux demandent uneréglementation spéciale. Il en est de même de l’activité de tout un secteur comme celui de la santé : ilexiste à la charge de l'Etat une obligation positive d'adopter et de respecter une réglementation deprotection des citoyens dans le domaine de la santé publique 152 . Elle se précise plus concernant leshôpitaux. La Cour estime que « les obligations positives énoncées ci-dessus impliquent la mise enplace par l'Etat d'un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu'ils soient publics ou privés,l'adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades 153 ». Enfin, la Cour aaffirmé que, concernant le domaine spécifique des activités dangereuses industrielles, telles quel’exploitation des sites de traitement des déchets 154 ou les essais nucléaires 155 , une place singulièredoit être réservée à une réglementation adaptée aux particularités de l’activité en jeu, notamment auniveau des risques qui pourraient en résulter pour la vie humaine. Elle doit régir « l’autorisation, lamise en place, l’exploitation, la sécurité et le contrôle afférents à l’activité » et à « imposer à toutepersonne concernée par celle-ci l’adoption de mesures d’ordre pratique propres à assurer laprotection effective des citoyens dont la vie risque d’être exposée aux dangers inhérents au domaine<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008166147 D 9348/81 (X/R.U), préc., p. 210 ; D 9360/81 (W/Irlande du Nord), 28.2.1983, D.R. 32, p. 211.148 CEDH, Pasa et Erkan Epol c. Turquie, n°51358/99, CEDH, 2006-XII.149 CEDH, Ataman c. Turquie ,préc.150 CEDH, Leray et autres c. France (déc.) n°44617/98, CEDH 2001-I.151 CEDH, Pereira Henriques c. Luxembourg, préc.152 CEDH, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], préc.; CEDH, Vo c. France [GC], n°53924/00, CEDH, 2004-VII,§ 89.153 CEDH, Calvelli et Ciglio c. Italie, et Vo c. France, préc.154 CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc.155 CEDH, L.C.B. c. R.U., préc.


167en cause 156 ». En revanche, la Cour n’a pas retenu la responsabilité des éventuels risques qui peuventcomporter certaines mesures de la politique pénale de la réinsertion des détenus, comme l’octroid’une permission de sortir ou de régime de semi-liberté dès lors que leur octroi est soumis à uneappréciation préalable de leur dangerosité 157 .b. Les obligations contre des risques personnelsL'obligation positive des Etats peut aller jusqu’à la prise de mesures individualisées.L’importance de cette obligation réside dans la détermination de la notion de « mise en danger » etdes « obligations préventives » des Etats qu'elle implique.Jusqu'à l'affaire L.C.B, susmentionnée, l'application faite de cette notion par la Commissionétait restrictive tant à cause de la détermination de son sens qu’à cause de la soumission del'application de l'article 2 à la condition d’un résultat mortel. Cette instance réservait l’application decette notion à l’exigence d’un « danger grave » et « présent ou imminent ». Elle avait seulementapporté certaines précisions concernant les obligations de porter secours 158 . Concernant l’applicationde la notion de mise en danger à des situations de « risque prévisible », l’évolution de lajurisprudence européenne fut tardive. C'est seulement à l'occasion d'une affaire examinée en 1996 159 .qu'elle a, pour la première fois, appliqué la notion de danger prévisible pour apprécier les obligationspositives préventives des Etats 160 . C'était plus précisément dans le cadre d'une affaire concernant lamort d'une personne, victime de la mise en exécution de menaces exprimées par son ex-fiancésouffrant de troubles mentaux. La Commission, ayant relevé que l'auteur de ce meurtre n'avaitexprimé de telles menaces qu'une seule fois durant les six ans suivant la séparation du couple, en aconclu que « les circonstances en l'espèce n'étaient pas de nature à rendre prévisibles ce meurtre oudes risques concrets et imminents pour la vie de la fille du requérant 161 ». Il n'en reste pas moins que,si la Commission a étendu la responsabilité des Etats à l’omission d’écarter un danger prévisible<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>156 CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc.157 Le risque pour autrui (en l’occurrence la mort d’une personne) doit résulter du manquement des autoritésnationales à faire « tout ce que l'on pouvait raisonnablement attendre d'elles pour empêcher la matérialisationd'un risque certain et immédiat pour la vie, dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance » et noncomme dans le cas présent, d’un danger pesant sur la vie des membres de la société en général et non d'un oude plusieurs individus déterminés, CEDH, Mastromateo c. Italie, n°37703/97, CEDH, 2002-X, § 74.158 D 11590/85 (A. Hughes/R.U), 18.7.86, D.R. 48, p. 262.159 Auparavant, comme le montre l’affaire D 9837/82 (M/R.U), à propos de l’omission du gouvernementbritannique de prendre des mesures pour préserver la vie de la victime mari, assassiné par des militants del'IRA, alors qu'elle avait fait l'objet de menaces bien concrètes, la Commission avait conclu que la victime nes'était pas trouvée dans une situation de danger nécessitant de prendre des mesures supplémentaires au-delà desmesures générales prises en Irlande du Nord pour faire face au terrorisme, D 9837/82 (M/R.U), 4.2.86,D.R. 47, p 27.160 La Commission a estimé que « les circonstances de l'espèce n'étaient pas de nature à rendre prévisibles lemeurtre ou des risques concrets et imminents pour la vie de la fille du requérant », D 22998/93 (Danini/Italie),préc.161 La Commission a estimé que dans de tels cas, il faut prendre en compte les intérêts des uns et des autres :« Une certaine prudence en ce domaine est justifiée par la nécessité d'éviter tout abus ou erreur qui pourraitméconnaître les droits du malade mental à sa dignité et au respect de sa vie privée », Ibid.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


pour la vie, l'importance de cette extension risquait de demeurer limitée tant qu'elle soumettaitl'application de l'article 2 à la condition qu'un tel risque ait été suivi d'un résultat mortel.168Il a fallu attendre l'affaire L.C.B. (1996), pour voir le début d'une évolution significativedans l'application de l'article 2. D'abord, parce que c'est la première fois que cette instance a saisi laCour pour statuer sur la violation de l'article 2 pour mise en danger d'une personne n'ayant pasentraîné la mort. En l'occurrence pour mise en danger de la vie par la contraction d'une maladiemortelle, la leucémie. Dans cette affaire, la requérante, estimant que la maladie dont elle souffraitdepuis son plus jeune âge était due à l'irradiation à laquelle son père avait été exposé lors de saparticipation à des essais nucléaires durant son service militaire. Elle mettait en cause laresponsabilité des autorités pour ne pas avoir informé ses parents qu'une telle irradiation comportaitun risque, pour les enfants à naître, d'être atteints d'une telle maladie. Or, la Cour a seulementcherché à établir si le père de la requérante avait été effectivement exposé à des doses d'irradiationdangereuses, même de manière non délibérée et si un lien de causalité avait existé entre la leucémiedes enfants et son irradiation 162 .Depuis lors, la responsabilité des Etats peut également être fondée sur la prévisibilité durisque. Afin d’éviter d’imposer aux autorités un fardeau insupportable ou excessif, la Cour limite lanotion de prévisibilité du risque aux cas où les autorités « savaient » ou « devraient savoir » qu’il y aun risque « réel et imminent » menaçant la vie d’une personne déterminée 163 . Si tel est le cas, lesautorités doivent « prendre les mesures qui, d'un point de vue raisonnable, peuvent être considéréescomme aptes à pallier ce risque 164 . » Si bien que toute menace présumée contre la vie n'oblige pas lesautorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir laréalisation 165 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Comment la Cour apprécie-t-elle le caractère adéquat des mesures préventives ? Selon cetteinstance, la Convention ne met pas à la charge des Etats une obligation de résultat mais seulementune obligation des moyens 166 . De surcroît, le choix leur appartient : « L'article 2 ne saurait êtreinterprété comme imposant à l'Etat l'obligation d'accorder une protection de cette nature... », avaitestimé la Commission à propos du refus d'assurer une garde du corps à une victime 167 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008162 Or, à l'examen des rapports des experts qui lui ont été présentés, elle a conclu ne pas avoir été convaincuede l'existence d'un tel lien : « On aurait pu exiger pareille mesure s'il était apparu à l'époque vraisemblable quepareille irradiation de son père était susceptible d'entraîner des risques réels pour la santé de la requérante »,CEDH, L.C.B. c. R.U., préc., § 34, §§ 38-39.163 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R..U., préc., § 55 ; Voir CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 90 ; CEDH,Younger c. R..U., (déc.), préc. ; Troublikov, préc., § 69.164 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 55.165 Ibid., § 55. Voir CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 90 ; CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc. ; CEDH,Troubnikov c. Russie, préc., § 69.166 CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 70. Voir CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 92 ; CEDH, Paul et AudreyEdwards c. R..U., préc., § 55.167 D 9348/81 (X/R.U), préc.


169Toutefois, si le choix des moyens appartient aux Etats, la Cour dispose du pouvoird’apprécier leur caractère adéquat en fonction de leur efficacité pour les victimes mais également enfonction de l’exigence de garantir les droits et libertés d’autrui. Aussi, si la prévention des risques decontracter des maladies mortelles exige indiscutablement une information préalable 168 , et laprévention de l’intégrité physique et de la vie exige que les Etats assurent à toutes les personnes dessoins qu’ils se sont engagés à offrir à l'ensemble de la population 169 , en revanche, il n’exige pasforcement l'internement ou l'obligation de soins d’une personne souffrant de troubles mentaux. Dansce dernier cas, il faut tenir compte également des droits et libertés de la personne considérée commedangereuse : « Une certaine prudence en ce domaine est justifiée par la nécessité d'éviter tout abus ouerreur qui pourrait méconnaître les droits du malade mental à sa dignité et au respect de sa vieprivée 170 ». De même, dit la Cour à propos du suicide des détenus, la prévention d’un tel acte ne vapas jusqu’à justifier des mesures qui anéantissement la vie privée 171 . De même la protection de la vieet de l’intégrité ne va pas jusqu’à interdire la mise en application d’une politique de réinsertion desdétenus impliquant des mesures de sortie de la prison non contrôlées dès lors que l’autorisation a étéprécédée d’une appréciation de la dangerosité du bénéficiaire 172 .Toutefois, concernant des personnes vivant dans des lieux de vie collective et placées sous laresponsabilité des autorités, si leur vie privée doit être protégée, leur sécurité aussi. Les Etats ontindiscutablement une obligation de surveillance et de soins. Ainsi, à propos de la caserne, la Cour adéclaré que ces obligations sont d’autant plus évidentes que les personnes en question ont accès auxarmes 173 . Comme elles le sont également pour les lieux de garde à vue, surtout s’agissant despersonnes perturbées et se plaignant de problèmes de santé 174 . Ainsi, le fait de ne pas aller voir unepersonne qui appelait à l’aide toute la nuit, malade du Sida, en état de faiblesse et d’excitation, qui aété retrouvée morte le matin dans ses excréments, engage indubitablement la responsabilité de l’Etat.Une surveillance et des soins rapides s’imposent dans de tels cas, déclara la Cour(Taïs 175 ). Et deconfirmer que cette obligation s’étend à tout lieu privatif de liberté, les autorités étant responsablesde l’intégrité physique et de la vie des personnes qui y vivent : « L’obligation de protéger la vie des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...168 CEDH, L.C.B. c. R.U, préc.169 CEDH, Nitecki c. Pologne (déc.), n° 65653/01, CEDH, 2002-III.170 C’est ce qu’avait estimé la Commission dans l’affaire Danini (n° 22998/93, décision 14.10.96, D.R. 87, p.3), confirmé par la Cour, entre autres, dans l’arrêt Keenan précité, et dans la décision Younger précitée.171 Younger c. R.U., n° 57420/00 (déc.), CEDH, 2003-I.172 Cette politique avait été dénoncée à propos du meurtre d’une personne par des détenus en permission desortir qui venaient de braquer une banque et de récupérer de force la voiture de la victime pour s’enfuir,CEDH, Mastromateo c. Italie, préc., § 74.173 « A la lumière de l’obligation positive de l’Etat de prendre préventivement des mesures d’ordre pratiquepour protéger tout individu dont la vie est menacée, on peut s’attendre à ce que l’Etat prévoyant une obligationd’effectuer le service militaire, ce qui implique le port d’arme, fasse preuve d’une diligence particulière etprévoie un traitement adapté aux conditions militaires pour des soldats présentant des troubles d’ordrepsychologique », CEDH, Ataman c. Turquie, préc., § 61.174 CEDH, Taïs c. France, préc., § 101.175 Ibid.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


personnes détenues implique également de leur dispenser avec diligence les soins médicaux à mêmede prévenir une issue fatale 176 ».170Outre la surveillance et les soins, la protection efficace du droit à la vie exige, s’agissant despersonnes sous la responsabilité des autorités, la communication du dossier médical entre lesresponsables et une appréciation adéquate de l’existence des problèmes psychologiques qui puissentêtre dangereux pour l’intégrité de la personne elle-même et celle des autres 177 .2. Les obligations procéduralesSelon la jurisprudence européenne, en raison de la nature et de la valeur du droit à la vie, saprotection serait inefficace, si elle n'imposait pas aux Etats l'obligation également de contrôler aposteriori, au moyen d'une enquête efficace, le caractère justifié d'une atteinte à la vie ou l'efficacitédes mesures positives préventives. Aussi la protection du droit à la vie implique-t-elle également unvolet procédural dont l’inobservation peut constituer une violation de ce droit 178 (a). Les exigences dece volet dépassent l’obligation de mener une enquête effective pour s’étendre à l’ensemble derecours qui doivent être ouverts en droit interne et européen : les Etats doivent être dotés d’unsystème pénal propre à avoir un effet dissuasif pour assurer la prévention efficace de la vie et del’intégrité (b).a. Obligation de mener une enquête effectiveC'est sur la première phrase de l'article 2, selon laquelle « le droit de toute personne à la vie seraprotégé par la loi », que la Commission, et ensuite la Cour, se sont fondées pour affirmer que cetarticle impose également aux Etats une obligation procédurale, celle de mener une enquêteeffective 179 . Il est en effet de la jurisprudence constante européenne d'affirmer que « l'obligation deprotéger le droit à la vie qu'impose cette disposition, combinée avec le devoir général incombant àl'Etat en vertu de l'article 1 de la Convention de reconnaître à toute personne relevant de sajuridiction, les droits et libertés définis dans la Convention implique et exige de mener une forme<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008176 CEDH, Anguelova c. Bulgarie, préc., § 130 ; CEDH, Taïs c. France, préc., § 98.177 Ainsi dans l’affaire Ataman, à propos dus suicide d’un soldat, souffrant de troubles psychologiques graves,la Cour a reproché aux soignants d’avoir omis de faire parvenir un certificat aux supérieurs de la victime ainsique la négligence de ces derniers, ayant toutefois été avisés de l’état de santé du jeune appelé, d’en tenircompte et de ne pas lui fournir une arme, (CEDH, Ataman c. Turquie, préc., § 60). La Cour a également retenul’omission de communiquer le dossier médical et le manque d’une appréciation adéquate des dangers que l’étatde santé mentale présentait pour la vie de la victime, dans des affaires de suicide des détenus (Keenan c. R..U.,n° 27229/95, CEDH 2001-III) et d’agression des codétenus (Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 61).178 Voir entre autres : CEDH, Finucane c. R.U., préc., § 67 ; CEDH, Khachiev et Akaïeva c. Russie, préc.,§§ 177-178 ; CEDH, Kanlibas c. Turquie, n°2444/96, CEDH, 2005-XII, § 59 ; CEDH, Taïs c. France, préc.,§§ 86-105.179 CEDH, Kaya Mehmet c.Turquie, préc., § 87 ; CEDH, Finucane c. R.U., préc. ; CEDH, Öneryildiz c.Turquie [GC], préc. ; Avar c. Turquie, n o 25657/94, CEDH-2001-VII ; Örak c. Turquie, préc. ; CEDH,Akdeniz et autres c.Turquie, préc. ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc.


171d'enquête efficace lorsque le recours à la force, notamment par des agents de l'Etat, a entraîné mortd'homme 180 » ou a simplement mis en péril la vie 181 , ainsi que lorsque ces deux atteintes à la vie sontdues à l'omission de prendre des mesures positives préventives 182 . Cette obligation pèse égalementdans les cas de disparitions suspectes laissant présumer la mort de la personne 183 , et certainementdans tous les cas où la mort est intervenue lors d’une garde à vue 184 , dans une prison 185 ou dans unecaserne 186 puisque les autorités sont responsables de la protection de ces personnes. De manièregénérale, a souligné la Cour dans l’arrêt Ataman, « le simple fait que les autorités soient informéesdu décès donnerait ipso facto naissance à l’obligation, découlant de l’article 2, de mener une enquêteeffective sur les circonstances dans lesquelles il s’est produit 187 ».Notons que cette obligation avait été dégagée par la Commission suite à l'avis dissidentémis dans l'affaire Antonio Diaz Ruano 188 par certains de ses membres. Ceux-ci avaient estimé que,compte tenu de la valeur en jeu, la vie d'une personne, il fallait pouvoir également conclure à laviolation de l'article 2 lorsque les gouvernements défendeurs n'apportaient pas suffisamment lapreuve de la légitimité d'un décès (intervenue en l’occurrence lors d’un interrogatoire) 189 .En effet, le renforcement de la garantie du droit à la vie réside moins dans l'affirmation del'obligation de mener une enquête (puisque toutes les législations européennes prévoient cetteobligation), que dans les précisions apportées concernant la notion d'enquête effective. Partant duprincipe qui régit l'interprétation de l'ensemble des droits de l'homme consacrés par la Convention, àsavoir la garantie d’un respect effectif et non illusoire des droits de l'homme, la jurisprudenceeuropéenne affirme que l'article 2 exige de mener une enquête qui soit efficace tant en droit qu'enpratique. A la lumière de la jurisprudence européenne rendue jusqu'à présent, « l’enquête effective »implique l’obligation de mener une enquête officielle, prompte et rapide, indépendante et impartiale,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>180 McCann et autres c. R..U., préc., § 161. Voir CEDH, Kaya Mehmet c.Turquie, préc., §§ 79-92 ; CEDH,Güleç c. Turquie, préc., § 77 ; CEDH, Irfan Bilgin c.Turquie, préc., § 142 ; CEDH, Finucane c. R.U., préc.,§ 67 ; CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc., § 110 ; CEDH, Taïs c. France, préc., § 105 ; CEDH,Ataman c. Turquie, préc., § 63.181 CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc., § 65.182 « Les obligations positives… impliquent également l'obligation d'instaurer un système judiciaire efficace etindépendant permettant d'établir la cause du décès d'un individu se trouvant sous la responsabilité deprofessionnels de la santé, tant ceux agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans desstructures privées, et le cas échéant d'obliger ceux-ci à répondre de leurs actes », CEDH, Calvelli et Ciglio c.Italie [GC], préc. ; CEDH, CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc. ; Voir D 23412/94 (Taylor, Crampton,Gibson et King/RU), préc., p. 127 s. ; CEDH, Powell c. R.U., n o 45305/99, CEDH 2000-V ; CEDH, Erikson c.Italie, n o 37900/97, 26 oct. 1999 ; CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 89.183 CEDH, Çakıcı c. Turquie [GC], §§ 85-87 ; CEDH, Ertak c. Turquie, préc. ; CEDH, CEDH, Akdeniz etautres c. Turquie, préc. ; CEDH, Ipek c. Turquie, préc.184 CEDH, Örak c. Turquie, préc. ; CEDH, Taïs c. France, préc.185 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc.186 CEDH, Ataman c. Turquie, préc., § 64.187 Ibid.188 R 16988/90 (Antonio Diaz Ruano/Espagne), 31.08.1993.189 Ibid.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


complète et approfondie, publique et avec la participation des victimes et propre à mener àl'identification et à la punition des responsables 190 .172Obligation de mener une enquête officielle, prompte et rapideBien qu'en théorie l'obligation de mener une enquête sur la mort d'une personne soit consacrée parles législations européennes, certaines précisions apportées par la jurisprudence européennerenforcent incontestablement l’effectivité de cette obligation. Premièrement, une telle obligation pèseaux Etats, même si la victime n'a pas porté plainte. Déclencher une enquête ne saurait dépendre del’initiative des proches de la victime de porter plainte 191 . Le simple fait que les autorités soientinformées d’un décès suspect 192 ou pas, donnerait ipso facto naissance à l’obligation, découlant del’article 2, de mener une enquête effective sur les circonstances dans lesquelles il s’est produit 193 . LaCour a encore précisé que cette obligation leur incombe, même si la mort n'est pas provoquée par desagents de l'Etat 194 , même si la légitimité de la mort ne prête a priori pas à doutes (dans ce cas,doivent être assurées au moins les « formalités minimales » de l'enquête 195 ), et même pendant despériodes de troubles : « Ni la fréquence de violents conflits armés ni le grand nombre de victimesn'ont d'incidence sur l'obligation découlant de l'article 2 d'effectuer une enquête efficace etindépendante sur les décès survenus lors d'affrontements avec les forces de l'ordre ... » 196 . Elle pèseégalement lorsque la mort est provoquée par des manquements aux obligations positives préventivesdes Etats 197 . Une telle obligation naît à plus forte raison par la mort des personnes lors d’une garde àvue ainsi que dans tous les lieux de détention, ces personnes étant placées sous la protection desautorités 198 .190 « En somme, le système judiciaire exigé par l’article 2 doit comporter un mécanisme d’enquête officielle,indépendant et impartial, répondant à certains critères d’effectivité et propre à assurer la répression pénale desatteintes à la vie du fait d’une activité dangereuse, si et dans la mesure où, les résultats des investigationsjustifient pareille répression », CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc. ; CEDH, Güleç c. Turquie, préc. ;CEDH, Hugh Jordan c. R.U., n o 24746/94, CEDH 2001-V, §§ 105-109 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c.R.U., préc., §§ 69-73 ; « L’enquête doit notamment être complète, impartiale et approfondie », CEDH, Taïs c.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...France, préc., § 105.191 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc. Voir CEDH, lhan c. Turquie [GC], n o 22277/93, CEDH,2000-VII, § 63 ; CEDH, Finucane c. R.U., préc. ; CEDH, Orak c. Turquie, préc. ; CEDH, Nachova et autres c.Bulgarie [GC], préc. ; CEDH, Slimani c. France, préc.192 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc. Voir CEDH, lhan c. Turquie [GC], préc., § 63 ; CEDH,Finucane c. R.U., préc. ; CEDH, Orak c. Turquie, préc. ; CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie [GC], préc.193 CEDH, Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, préc., § 75 ; CEDH, Ataman c. Turquie, préc., § 64.194 CEDH, Ergi c. Turquie, préc., § 82 ; CEDH, Ataman c. Turquie, préc.195 CEDH, Kaya c. Turquie, préc., § 88. Dans l’arrêt Gûlec, la Cour a relevé que le procès-verbal dressé par lagendarmerie montre que la manifestation était organisée par le PKK, que des membres de celles-ci arméesétaient infiltrés ; et que le décès était dû à des coups de feu tirés par ces derniers, (Gûleç c. Turquie, préc., §79).Dans l’affaire Ergi, cette instance avait été frappée par l’importance déterminante accordée par le procureurchargé de l'enquête à la conclusion du rapport rédigé par la gendarmerie qui affirmait que la sœur du requérantavait été tuée par des tirs du PKK. (Ergi c. Turquie, préc., §83).196 CEDH, Ergi c. . Turquie., préc., § 85 ; CEDH, Gûleç c. . Turquie, préc., § 81.197 D 23412/94 (Taylor, Crampton, Gibson et King/RU), préc., p. 127 s. ; CEDH, Troubnikov c. Russie, préc.198 CEDH, Slimani c. France, préc., § 29, § 49 ; CEDH, Velikova c. Bulgarie, préc., § 80 ; CEDH, Tanli c.Turquie, préc., § 141 ; CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 89 ; CEDH, Taïs c. France, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


173En revanche, les obligations procédurales des Etats ne vont pas jusqu’à engager des procéduresciviles visant à obtenir des dommages et intérêts et, le cas échéant, la réparation du préjudice moral.Celles-ci relèvent de l’initiative des requérants 199 .Pour que l’obligation de mener une enquête soit une garantie efficace, il faut encore quel’ouverture de l’enquête soit prompte et rapide La promptitude dans ce contexte est exigée pourassurer à la fois l’efficacité de l’enquête (recueil et préservation des preuves) et la confiance dupublic dans l’état de droit 200 , en évitant toute apparence de complicité ou de tolérance relativement àdes actes illégaux 201 . Ainsi, une enquête qui débute deux ans seulement après le signalement d’unedisparition suspecte n’est pas une enquête prompte 202 et une enquête qui dure dix ans, avec des actesd’instruction tels que l’expertise médicale ou l’audition des témoins qui ont eu lieu seulement aprèstrois et quatre ans respectivement 203 est loin d’être rapide. Or la célérité, ajoute la Cour, nonseulement est déterminante pour l’efficacité de l’enquête car il y a une érosion avec l’écoulement dutemps, de la qualité et de la quantité des preuves 204 , la collecte des preuves devenant hasardeuse 205 ,mais elle permet aussi d’éviter de faire perdurer l’épreuve que traversent les membres de lafamille 206 .Enquête indépendante et impartiale« Quant aux agents chargés de l’enquête, l’effectivité requiert en premier lieu que les personnesresponsables de la conduite de l’enquête soient indépendantes de celles éventuellement impliquéesdans le décès : elles doivent, d’une part, ne pas leur être subordonnées d’un point de vue hiérarchiqueou institutionnel et, d’autre part, être indépendantes en pratique », réitère la Cour 207 .199 CEDH, Hugh Jordan c. R.U., préc., § 141 ; CEDH, McShane c. R.U., § 125 ; CEDH, Scavuzzo-Hager etautres c. Suisse, préc. §79.200 « S'il peut arriver que des obstacles ou difficultés empêchent une enquête de progresser dans une situationparticulière, il reste que la prompte ouverture d'une enquête par les autorités lorsqu'il a été fait usage de la forcemeurtrière peut, d'une manière générale, être considérée comme capitale pour maintenir la confiance du publicet son adhésion à l'état de droit et pour prévenir toute apparence de tolérance d'actes illégaux ou de collusiondans leur perpétration », CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc. § 72 ; CEDH, Hugh Jordan c. R.U.,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...préc., §108, §§ 136-140 ; CEDH, Finucane c. R.U., préc. ; CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc. ; CEDH,McShane c. R.U. ; CEDH, Taïs c. France, préc.201 CEDH, Finucane c. R.U., préc. ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc. ; CEDH, Makaratzis c.Grèce [GC], préc. ; CEDH, Yaa c. Turquie, 2 sept. 1998, Recueil 1998-VI, §§ 102-104 ; CEDH, Cakıcı c.Turquie [GC], n°23657/94, § 80, § 87, § 106, Recueil 1999-IV ; CEDH, Kaya Mehmet c.Turquie, préc.,§§ 106-107.202 CEDH, Timurta c.Turquie, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008203 CEDH, Taïs c. France, préc.204 CEDH, Tournikov c.Russie,, préc., § 92 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 86.205 CEDH, Slimani c. France, préc., § 32.206 CEDH, Taïs c. France, préc.207 CEDH, Finucane c. R.U., préc. ; CEDH, Güleç c. Turquie, préc., §§ 81-82 ; CEDH, Ergi c. R..U., préc., §§83-84 ; CEDH, Our c. Turquie [GC], n° 21594/93, Recueil 1999-III, §§ 91-92 ; CEDH, Hugh Jordan c. R.U.,préc., § 120 ; CEDH, Anguelova c. Bulgarie, préc., §138 ; CEDH, Slimani c. France, préc., § 32 ; CEDH, Paulet Audrey Edwards c. R.U., préc., § 70 ; CEDH, Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, préc., § 78.


174En effet, l’enquête indépendante est définie tant du point de vue institutionnel que du point de vueconcret. Cela signifie qu'elle doit être menée par une personne qui n'est ni un supérieur hiérarchiquede la personne mise en cause, ni n'appartient au même corps d'ordre que cette dernière 208 . Ainsi, uneenquête menée à l’encontre des policiers par des instructeurs nommés par le préfet 209 , par un conseilcomposé du préfet et des représentants locaux de l'exécutif 210 , une enquête sur la mort d’un détenumenée par le directeur de la prison 211 , n’est pas une enquête indépendante. Comme peut, dans lapratique, ne pas l’être l’enquête menée par le Parquet. Tel fut le cas, estima la Cour, dans l’arrêtErgi, puisque le procureur s’était contenté de la version des faits fournie par les gendarmes, sanschercher d’autres moyens de preuve 212 .Enquête complète et approfondieNous regroupons sous ce terme l’ensemble d’actes requis pour l’obtention des preuves visant àassurer que l’enquête soit menée de manière à permettre d’établir les causes du décès, à identifier lesauteurs, à déterminer leur responsabilité et à les sanctionner 213 . Il s’agit notamment du recueil desrelevés de police technique et scientifique, de la visite des lieux pour relever des empreintes et autrespreuves 214 , du recueil des témoignages oculaires 215 , et auditifs 216 , de la reconstitution des faits 217 ,d’une autopsie (fournissant un descriptif complet et précis des lésions subies par la victime ainsiqu'une analyse objective des constatations cliniques, en particulier de la cause du décès) 218 , desanalyses médico-légales 219 en général, des expertises (pour déterminer, par exemple, le type desballes tirées ainsi qu’évaluer la distance des tirs) 220 , le recensement de l’ensemble des militairesayant participé à un affrontement 221 ou des policiers ayant participé à une opération policière 222 , ouencore, dans le cas d’un suicide, la recherche pour s’assurer de la communication du dossier médical208 CEDH, Güleç c. Turquie, préc. ; CEDH, Ipek c. Turquie, préc.209 Nommés par le préfet, les deux instructeurs étaient officiers de la gendarmerie et supérieurs hiérarchiquesdes gendarmes dont ils devaient évaluer les actes, CEDH, Güleç c. Turquie, préc., § 76.210 Ibid.211 CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 90.212 CEDH, Ergi c. R..U., préc., §§ 83-84.213 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc. ; CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc. ; CEDH, Nachovaet autres c. Bulgarie [GC], préc. ; CEDH, Ataman c. Turquie, préc., §§ 63-65.214 Ibid.215 CEDH, Irfan Bilgin c.Turquie, préc. , § 144 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 79 ; CEDH,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Ataman c. Turquie, préc., § 65.216 CEDH, Taïs c. France, préc.217 CEDH, Gülec c. Turquie, préc. ; § 79.218 CEDH, Tanli c.Turquie, préc., § 149 ; CEDH, Anguelova c. Bulgarie, préc., § 139 ; CEDH, Ataman c.Turquie, préc., § 65;219 Rien n’a été fait pour déterminer l’heure exacte de la mort et il n’a été procédé à aucune analyse des tracessur le corps pour rechercher s’il y avait auparavant eu mauvais traitements, CEDH, Avar c. Turquie, préc. ;CEDH, Velikova c. Bulgarie, préc.., § 79 ; CEDH, Tanli c. Turquie, préc., § 150.220 CEDH, Kaya Mehmet c.Turquie, préc., §§ 88-92 ; CEDH, Gülec c. Turquie, préc., § 79 ; CEDH,Makaratzis c. Grèce [GC], préc.221 CEDH, Kanlibas c. Turquie, préc., § 49.222 CEDH, Makaratzis c. Grèce [GC], préc., § 70 ; CEDH, Huohvanainen c. Finlande, préc.


et de sa prise en compte par les autorités responsables de la protection de certaines personnes (tellesque les autorités médicales ou militaires 223 , pénitentiaires ou policières 224 ).175Enquête publique et participation des victimesLa confiance du public et son adhésion à l'état de droit requièrent que l’enquête ou sesrésultats soient portés au contrôle du public 225 . Le degré requis de ce contrôle peut varier d'unesituation à l'autre. Toutefois, les proches de la victime doivent être associés à la procédure « danstoute la mesure nécessaire à la protection de leurs intérêts légitimes » 226 . Ils doivent avoir accès audossier et être tenus informés de l'évolution de l'enquête 227 . Ils doivent également être entendus 228 .La communication de la version définitive du rapport de l’enquête ne satisfait pas à cette exigence siles proches ont été tenus à l’écart tout au long de l’instruction 229 .Pour être efficace, une enquête doit satisfaire à l’ensemble de ces aspects. La carence del’enquête sur plusieurs points 230 , mais aussi sur un seul 231 , rend l’enquête inefficace et viole, parconséquent, l’article 2 232 .Enquête propre à mener à l'identification et à la punition des responsablesQuant aux résultats de l’enquête, il n’est pas requis d’aboutir nécessairement aux résultatsescomptés par les victimes. Mener une enquête efficace est une obligation de moyens et non derésultats 233 . Certes, les articles 2 et 13 de la Convention font peser sur les Etats contractantsd'effectuer une enquête propre à mener à l'identification et à la punition des responsables 234 .223 CEDH, Ataman c. Turquie, préc., § 68.224 CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc.225 « Il doit y avoir un élément suffisant de contrôle public de l'enquête ou de ses résultats pour garantir que lesresponsables aient à rendre des comptes, tant en pratique qu'en théorie », CEDH, Paul et Audrey Edwards c.R.U., préc.226 CEDH, Finucane c. R.U., préc. ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc.; CEDH, Anguelova c.Bulgarie, préc., § 140.227 En conclusion, l’enquête n’était pas approfondie ni indépendante et n’avait pas permis au requérant d’yparticiper, CEDH, Güleç c. Turquie, préc., § 82 ; CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 93 ; CEDH, Slimane-Kaïd c. France, § 32 ; CEDH, Kanlibas c. Turquie, préc., § 50.228 CEDH, Kanlibas c. Turquie, préc., § 50 ; CEDH, Taïs c. France, préc.229 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 84 ; CEDH, Slimani c. France, préc., §§ 44-46.230 CEDH, Hugh Jordan c. R.U., préc. ; CEDH, McKerr c. R.U., n° 28883/95, CEDH, 2001-III ; CEDH,Shanaghan c. R.U., n° 37715/97, 4 mai 2001 ; CEDH, Kelly et autres c. R.U., n° 30054/96, CEDH 2001-V ;CEDH, Finucane c. R.U., préc. ; CEDH, McShane c. R.U., préc.231 Par exemple, la promptitude, CEDH, Avar c. Turquie, préc.232 CEDH, Kelly et autres c. R.U., préc. ; CEDH, Anguelova c. Bulgarie, préc., § 139 ; CEDH ; CEDH,Makaratzis c. Grèce [GC], préc. ; CEDH, Fatma Kaçar c. Turquie, n° 35838/97, CEDH 2005-VII.233 CEDH, Finucane c. R.U., n° 29178/95, CEDH, 2003-VII ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc. ;CEDH, Salman c. Turquie [GC], préc. ; CEDH, Güleç c. Turquie, préc. ; CEDH, Scavuzzo-Hager et autres c.Suisse, préc., § 76 ; CEDH, Ataman c. Turquie, préc., § 65.234 CEDH, Ataman c. Turquie, préc.,§ 76. Voir CEDH, Avar c. Turquie, préc., § 429 ; CEDH, Anguelova c.Bulgarie, préc., § 161.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


176Autrement, cette garantie « pourrait être rendue illusoire si, pour les griefs formulés sur le terrain deces articles, un requérant devait être censé avoir exercé une action ne pouvant déboucher que surl'octroi d'une indemnité 235 ». Toutefois, si tel doit être le cas, s’agissant de recours à la force par desagents de la force publique 236 , la Cour n’en fait pas la règle pour tout type d’atteinte à la vie : « Il nefaut nullement déduire de ce qui précède que l’article 2 peut impliquer le droit pour un requérant defaire poursuivre ou condamner au pénal des tiers ou une obligation de résultat supposant que toutepoursuite doit se solder par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine déterminée » 237 .Ainsi, dans les atteintes par manquement à l’obligation positive de prendre des mesures préventivespour préserver la vie, telles que les négligences médicales, la Cour estime que les recours etsanctions civiles (le versement de dommages-intérêts et la publication de l'arrêt) ainsi que lessanctions disciplinaires peuvent suffire 238 .En revanche, l’enquête menée ne doit pas compromettre l’effectivité exigée par l’article 13de la Convention concernant les recours que les victimes peuvent exercer tant au niveau nationalqu’au niveau supranational.b. Les obligations supplémentaires lors de l’exercice des recoursL’efficacité de la protection procédurale va au-delà de celle de mener une enquêteeffective. Elle implique la mise en place d’un système judiciaire efficace 239 . C’est donc toute laprocédure, jusqu’au jugement, qui est soumise aux impératifs de la protection de la vie exigée parl’article 2 240 .En effet, la Cour a établi que les exigences procédurales de l'article 2 influencentcertainement l’interprétation du droit à l’exercice d’un recours effectif garanti par l’article 13 de laCour. Cela ne signifie pas que la violation de l’obligation de mener une enquête au titre de l’article 2constitue automatiquement une violation de l’article 13, bien que la jurisprudence antérieure de la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008235 CEDH, Khachiev et Akaïeva c. Russie, préc., § 121.236 « Même si la Convention ne garantit pas en tant que tel le droit à l'ouverture de poursuites pénales contredes tiers, la Cour a maintes fois affirmé que le système judiciaire efficace exigé par l'article 2 peut comporter,et dans certaines circonstances doit même comporter, un mécanisme de répression pénale », CEDH, Calvelli etCiglio c. Italie [GC], préc. Voir CEDH, Kaya Mehmet c.Turquie, préc., § 85.237 CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc., § 86.238 Ainsi, « dans le contexte spécifique des négligences médicales, pareille obligation peut être remplie aussi,par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seulou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d'établir la responsabilité desmédecins en cause et, le cas échéant, d'obtenir l'application de toute sanction civile appropriée, tels leversement de dommages-intérêts et la publication de l'arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également êtreenvisagées », CEDH, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], préc.239 CEDH, Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, préc.240 CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc. ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc.


177Cour ait pu laisser entendre une telle connexité 241 . La violation de ce dernier dépend desconséquences que les manquements aux exigences procédurales de l’article 2 ont eu sur l’exerciced’un recours effectif prévu par l’article 13, tel qu’il est interprété dans le cadre des griefs d’atteintesà la vie 242 et au sein duquel il reçoit une interprétation plus stricte, comme dans le cas des atteintescontre l’article 3 de la Convention. Ainsi, tel peut être le cas lorsque le recours débouche sur unclassement sans suite pour faute de preuves suffisantes 243 , sur un acquittement 244 ou s’il nepermettrait pas d’établir les responsabilités et donc de conduire à la réparation du préjudice 245 .Par ailleurs, les conséquences des manquements aux obligations procédurales de l’article 2peuvent s’étendre au droit au procès équitable garanti par l’article 6 §1, s’il est établi que cesmanquements ont empêché les victimes d’exercer efficacement les recours en réparation. De telsrecours portent sur la détermination des droits de caractère civil au sens de cet article 6 246 .Il reste à souligner que l'obligation des Etats de mener une enquête est renforcée parl'éventualité d'un renversement de la charge de la preuve dans le cadre d'un recours européen.L'enquête menée par les autorités nationales devrait conduire à établir les faits de manière à enlevertout doute raisonnable sur la justification de la privation de la vie. La Cour rappelle que, pourapprécier les preuves, elle se sert du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » 247 .Une telle preuve peut résulter d’un faisceau d’indices ou de présomptions non réfutés, suffisammentgraves, précis et concordants. Le comportement des parties lors de la recherche de preuves entreégalement en ligne de compte 248 . Au cas où un doute raisonnable persiste auprès des instanceseuropéennes à l'issue de leur propre enquête, la violation de l'article 2 peut être retenue si l'Etat encause n'est pas en mesure d'apporter des preuves convaincantes pour se décharger de saresponsabilité 249 . Il en est de même lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour unelarge part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes privées de leurliberté. Toute blessure et tout décès survenus pendant la détention d’une personne qui, au moment de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>241 « Il est vrai que la Cour a parfois constaté une violation de l’article 13 dans des affaires portant sur desallégations d’homicide illégal perpétré par des agents des forces de l’ordre ou avec leur connivence au motifque les autorités n’avaient pas mené d’enquête approfondie et effective propre à conduire à l’identification et àla punition des responsables (Kaya, précité, pp. 330-331, §107). Il y a toutefois lieu de noter que ces affaires,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...qui avaient pour origine le conflit qui sévissait dans le Sud-est de la Turquie dans les années 1990, étaientmarquées par l’absence de telles enquêtes sur les griefs des requérants relatifs à l’homicide illégal d’un prochepar des agents des forces de l’ordre ou à son décès dans des circonstances suspectes… », CEDH, Öneryildiz c.Turquie [GC], préc.242 CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008243 CEDH, Velikova c. Bulgarie, préc., § 89.244 CEDH, Tanli c. Turquie, préc., § 153.245 CEDH, Öneryildiz c. Turquie [GC], préc., § 148.246 « La Cour relève que nul ne conteste que l'article 6 § 1 de la Convention s'applique aux actions civiles enréparation engagées par la proche famille d'une personne tuée par des agents de l’Etat », CEDH, Kaya Mehmetc.Turquie, préc., § 104.247 CEDH, Irfan Bilgin c.Turquie, préc., § 122 ; CEDH, Ipek c. Turquie, préc., § 109.248 CEDH, Irfan Bilgin c.Turquie, préc., § 122 ; CEDH, Ipek c. Turquie, préc., § 109 ; CEDH, Irlande c. R.U.,18 janvier 1978, Série A n o 25, § 161 ; CEDH, Chypre c. Turquie [GC], n o 25781/94, CEDH, 2001-IV.249 CEDH, Ergi c. R..U., préc., §81.


178son incarcération, était en bonne santé, donnent lieu à de fortes présomptions de fait. Dans ce cadre,la charge de la preuve pèse sur les autorités : celles-ci doivent fournir une explication satisfaisanteet convaincante : « Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sontconnus exclusivement des autorités, comme ce peut-être le cas lorsqu'il y a détention, toute blessureou tout décès survenus pendant la période où la victime se trouvait sous le contrôle des autoritésdonne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de considérer que la charge de lapreuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante 250 . »B. Application à l’égard des détenusLe principe de vulnérabilité des détenus, adopté par la Cour dans l’appréciation desobligations des Etats à protéger la vie, devrait prendre une dimension toute particulière à l’égard desobligations positives 251 . D’abord parce que les détenus sont confinés dans un espace de vieentièrement organisé et contrôlé par les autorités publiques. Et ensuite parce que la prison estgénératrice de risques supplémentaires pour l’intégrité physique. Non parce que les détenus sont plusdangereux que les personnes en liberté, mais parce que la prison est, en tant que contexte de vie,créatrice de tels risques. L’enfermement en soi, la promiscuité forcée, les multiples frustrations dontles détenus font l'objet et leur état de contrainte permanent créent une tension ambiante augmentantl'agressivité des personnes. En général, le mode d'organisation de la vie en prison fragilise le pouvoirde défense des détenus. Ils ne peuvent ni détenir des objets pour se défendre pour peu que les objetssoient considérés comme dangereux, ni, n'étant pas maîtres de leur mouvement et de l'organisationde leur vie dans la prison, éviter les contacts avec certains codétenus. Ils n'ont même pas le choix descompagnons de cellule. Aussi, en cas de danger menaçant la prison et notamment la cellulelorsqu'elle est fermée de l'extérieur, les détenus sont-ils, de fait, pris en otages dès lors qu'ils setrouvent dans l'impossibilité matérielle d'échapper au danger.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En effet, la vulnérabilité des détenus est mise en avant par la jurisprudence européennedans la détermination des obligations positives des Etats. La Cour estime que « les obligations desEtats contractants prennent une dimension particulière à l'égard des détenus, ceux-ci se trouvantentièrement sous le contrôle des autorités : vu leur vulnérabilité, les autorités ont le devoir de lesprotéger 252 » ; ils doivent « déployer les plus grands efforts pour veiller à ce que tous les détenus se<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008250 CEDH, Khashiyev et Akayeva c. Russie, préc., § 133 ; Voir Salman c. Turquie [GC], préc., § 100 ; CEDH,Çakıcı c. Turquie [GC], préc., § 85 ; CEDH, Ertak c. Turquie, préc., § 32 ; CEDH, Timurta c. Turquie, préc.251 CEDH, Slimani c. France, § 27 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 56 ; CEDH, Keenan c.R.U., préc., § 91 ; CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc. ; CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 68.252 CEDH, Slimani c. France, préc., § 7 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R..U., préc., § 56 ; CEDH,Keenan c. R.U., préc., § 91 ; CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc. ; CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 68 ;CEDH, Orak c. Turquie, préc., § 68 ; CEDH, Tanli c. Turquie, préc., § 141 ; CEDH, Anguelova c. Bulgarie,préc., § 110 ; CEDH, Taïs c. France, préc., § 84.


179trouvent dans un environnement carcéral sûr… 253 ». La spécificité de la prison requiert en effet lamise en place d’une réglementation. Les obligations générales comportent autant la mise en placed’une législation régissant l’organisation de la vie en détention (1) que la répression de saviolation (2).1. Les obligations préventivesAu-delà des obligations générales 254 ., les autorités doivent encore prendre des mesuresindividualisées, d’ordre pratique, appropriées 255 , propres à leur contexte 256 .Ces obligations ne signifient pas forcément que les moyens dans leur ensemble doivent êtreplus stricts qu’à l’extérieur : comme à l’extérieur, l’obligation de prendre des mesures plus strictesdépend des circonstances 257 . Leur appréciation ne doit pas être guidée par le « risque zéro » pour lavie des détenus. Un tel objectif risque, d’une part, d’imposer aux autorités pénitentiaires un fardeauinsupportable ou excessif 258 , et d’autre part, de porter atteinte aux droits et libertés aussi bien de lapersonne à protéger que des autres détenus 259 . Aussi « toute menace présumée contre la vie n’obligepas les autorités, au regard de la Convention, à prendre des mesures concrètes pour en prévenir laréalisation 260 ». Pour qu’il y ait obligation positive, il doit être établi que les autorités « savaient » ou« auraient dû savoir » qu’un individu donné était « menacé de manière réelle et immédiate dans sa253 CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc.254 « Cela implique de la part de l'Etat le devoir primordial d'assurer le droit à la vie en mettant en place unelégislation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s'appuyant sur unmécanisme d'application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations », CEDH, Keenan c.R.U., préc., § 89 ; Voir CEDH, Osman c. R.U., préc., § 115 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc.,§ 54.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...255 « Cela peut aussi vouloir dire, dans certaines circonstances, mettre à la charge des autorités l'obligationpositive de prendre préventivement des mesures d'ordre pratique pour protéger l'individu dont la vie estmenacée par les agissements criminels d'autrui », Ibid.256 « L'article 2 de la Convention peut en effet, dans certaines circonstances bien définies, mettre à la chargedes autorités l'obligation positive de prendre préventivement des mesures d'ordre pratique pour protégerl'individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d'autrui », CEDH, Paul et Audrey Edwards c.R.U., préc., § 54.257 « Quant à savoir s'il faut prendre des mesures plus strictes à l'égard d'un détenu et s'il est raisonnable de lesappliquer, cela dépend des circonstances de l'affaire », CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 92, Voir CEDH,Troublickov c.Russie, préc., § 70 ; CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc.258 CEDH, Keenan c. R.U., préc. ; CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc. ; CEDH, Taïs c. France, préc.,§ 97 ;CEDH, Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, préc., § 66 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 55.259 « De même, les autorités pénitentiaires doivent s'acquitter de leurs tâches de manière compatible avec lesdroits et libertés de l'individu concerné. Des mesures et précautions générales peuvent être prises afin dediminuer les risques d'automutilation sans empiéter sur l'autonomie individuelle », CEDH, Keenan c. R.U.,préc., § 92.260 CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 90 ; CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc. ; CEDH, Taïs c. France, préc.,§ 97 ; CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 55.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


vie 261 ». C’est sous cette condition que naît l’obligation pour les autorités de prendre, dans le cadrede leurs pouvoirs, les mesures qui, d’un ‘point de vue raisonnable’, auraient pu pallier ce risque 262 ».180Le critère du caractère adéquat de ces mesures est donc le caractère raisonnable, compte tenudes circonstances de l’affaire. En tout état de cause, il ne s’agit pas d’une obligation de résultat maisde moyens. La Cour n’exige pas la prise des mesures pour parer à tout risque. L’exigence de sécuriténe peut pas être le risque zéro. D’abord, parce qu’il s’agit d’un fardeau disproportionné en raison del’imprévisibilité du comportement humain et de la difficulté matérielle d’exercer une telle police 263 .Ensuite, parce qu’une telle police exigerait des mesures qui empiètent sur les autres droits et libertés,et notamment priverait le détenu de toute autonomie 264 .Rappelons que l’obligation des autorités compétentes de garantir la sécurité des détenusimplique des obligations de moyens de nature à la fois générale et individuelle, d’ordre réglementairemais aussi d’ordre pratique. Au-delà des obligations générales, les autorités doivent encore prendredes mesures individualisées, d’ordre pratique, appropriées 265 , précisément « aptes à pallier un risquedonné 266 ». Rappelons aussi que la Cour fonde la responsabilité des Etats sur l’existence d’un risqueprévisible. Cela signifie que leur responsabilité est engagée quand les autorités pénitentiairesconnaissaient pertinemment l’existence d’un tel risque, mais aussi lorsqu’elles « auraient dû » laconnaître.En tenant compte de ces considérations, la Cour a eu l’occasion de préciser les obligations quiincombent aux autorités pénitentiaires et, le cas échéant, aux autorités médicales et aux forces del’ordre en matière notamment de soins (a), de prévention de suicide (b) et de comportements des codétenus(c).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>a. La protection contre des défaillances en matière de soins<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Cette obligation peut comporter aussi bien des mesures contre les risques de contagion d’unemenace mortelle que des risques contre des soins inadéquats.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008261 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 5. Voir CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 90 ; CEDH,Younger c. R..U., (déc.), préc. ; CEDH, Troublikov c.R.U., préc., § 69 ; CEDH, Taïs c. France, préc., § 97 ;CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R..U., préc., § 55.262 Ibid.263 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R..U., préc., § 55.264 CEDH, Troublikov c. Russie, préc., § 70. Voir CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc. ; CEDH, Keenan c.R.U., préc., § 92.265 CEDH, Osman c. R.U., préc., § 115 ; CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 89 ; CEDH, Paul et Audrey Edwardsc. R.U., préc., § 54.266 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R..U., préc., § 55, § 57, § 61.


181Au sein de la jurisprudence européenne, la santé constitue l'un des aspects de la vie desdétenus qui pourrait être le mieux protégé dès lors que trois articles concourent à sa protection :l'article 2, mais aussi l'article 3, qui interdit les traitements inhumains ou dégradants, et l'article 8, ausein duquel la santé fait partie de la notion de la vie privée. Les trois imposent aux Etats l'obligationpositive d'assurer des soins médicaux. Et, quel que soit l'article applicable, la responsabilité des Etatsest jugée au regard d'un critère commun, celui de soins adéquats. Critère qui couvre aussi bien laqualité des soins que la rapidité de leur administration.La protection de la santé étant traitée dans le troisième chapitre de cette partie, nous nouslimiterons ici à l'examen des aspects susceptibles de soulever des questions au regard des obligationspositives exigées par le respect du droit à la vie. Nous estimons que la propagation des maladiesmortelles ayant ou pas entraîné la mort fait partie des aspects susceptible de soulever de tellesquestions. Les autorités doivent prendre des mesures pour empêcher qu’un détenu soit contaminé parune maladie mortelle transmissible. Cet objectif comporte une obligation d’effectuer des dépistagesde tous les entrants en prison, mais aussi périodiquement tout au long de la détention. Cetteobligation peut, en cas de détection d’une telle maladie, impliquer la prise de mesuresprophylactiques pour les co-détenus : éviter le co-cellulage, mettre à la disposition des occupants dela même cellule des moyens sanitaires appropriés et assurer des conditions d’hygiène empêchant lapropagation de la maladie ; éviter des activités communes 267 .En même temps, il faut veiller à ce que les droits de la personne contaminée soient respectés.La préservation de la santé et de la vie ne doit pas servir de motif pour justifier des mesures deségrégation excessives. Concernant en particulier la prévention du VIH, du fait qu'il ne se transmetpas par simple contact physique mais seulement par le sang ou les rapports sexuels, le Comité desMinistres du Conseil de l'Europe a, dans sa Recommandation n° R(93)6, incité les Etats à éviterautant que possible de séparer les détenus atteints de cette maladie. Il leur a précisémentrecommandé de n'appliquer cette mesure qu'aux détenus qui manifestent des violences à caractèresexuel ou font preuve d'un comportement générateur de risques à l'égard des autres détenus ou dupersonnel 268 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008L’obligation de protéger la vie des détenus comporte aussi l’obligation d’assurer des soinsadéquats. Elle signifie que les autorités doivent assurer des soins, de surcroît de qualité adéquate 269et rapides 270 .267 Ces obligations exigées pour la protection de la société et de prévention de traitements inhumains oudégradants, comme nous le verrons dans le chapitre suivant, sont a fortiori exigées pour la protectionégalement de la vie, CEDH, Kalachnikov c. Russie, nº 47095/99, CEDH, 2002-VII ; CEDH, Khokhlich c.Ukraine, n°41707/98, CEDH, 2003-IV ; CEDH, Melnik c. Ukraine, 72286/01 , CEDH 2006-III, §§ 105-106.268 Conseil de l'Europe, Comité des ministres, Recommandation n° R(93)6, relative au contrôle des maladiestransmissibles et notamment du sida, et les problèmes connexes de santé en prison, adoptée le 18 octobre 1993.269 CEDH, Taïs c. France, préc., § 87.


182Cette obligation pèse sur les autorités pénitentiaires ainsi que sur les autorités médicales, nonseulement lorsqu’elles connaissent, mais encore lorsqu’elles devraient connaître l’existence d’unrisque fatal en raison de l’état de santé d’une personne détenue.En effet, pèse indiscutablement l’obligation de porter secours à une personne qui estmanifestement en danger. Prévue par les droits nationaux, la jurisprudence européenne n’a fait que laconfirmer et préciser qu’elle implique l’obligation d’appel des secours rapidement. La Commission ajugé que cela avait été le cas dans l’affaire Rebai 271 , et la Cour dans l’affaire Scavuzzo 272 , mais pasdans l’affaire Anguelova. Dans cette dernière, la Cour avait estimé que le retard à fournir del’assistance médicale peut constituer une violation du droit à la vie et que tel est certainement le caslorsque ce manquement fut fatal 273 . En revanche, cette obligation n’implique pas pour les forces del’ordre, et donc pour le personnel pénitentiaire, de procéder à la réanimation : une réanimation est ungeste compliqué pour des non-spécialistes et présente un taux de succès très limité, a-t-elledéclaré 274 .Lorsque les autorités pénitentiaires ou médicales devraient savoir l’existence d’un risquecritique pour la santé et la vie de la personne, peuvent également peser une obligation de surveillancestricte ou une hospitalisation rapide. Ainsi, dans l’affaire McClinchey et autres, où une détenue estmorte au bout d’une semaine de détention à cause d’une déshydratation aiguë due à son sevrage sec,la Cour a retenu la responsabilité des autorités pénitentiaires, estimant qu’elles « auraient dû savoir »qu’elle encourait un risque prévisible. Devant le doute, (perte de poids importante et quotidienne,vomissements, collapsus, maux de tête et d’estomac), elles auraient dû la surveiller constamment, ycompris le week-end, et autoriser son hospitalisation à temps 275 . Dans l’affaire Tarariyeva, ce sontles autorités médicales qui ont failli à leurs obligations. Tout en sachant le risque prévisible mortel del’état de santé d’un détenu qui venait de se faire opérer pour perforation d’un ulcère duodénal etd’une péritonite, et présentait des complications post-opératoires, les autorités l’ont autorisé à quitter<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008270 « L’obligation de protéger la vie des personnes détenues implique également de leur dispenser avecdiligence les soins médicaux à même de prévenir une issue fatale », Anguelova c. Bulgarie, préc., § 130. VoirCEDH, Taïs c. France, préc., § 98.271 Relative à la mort de deux détenus à la suite d'un incendie déclenché dans leur cellule. Cette instance avaitestimé que les surveillants avaient accompli leurs devoir de secours en sortant les détenus de leur cellule et enalertant rapidement les pompiers, D 26561/95 (Rebai/France), préc., p. 72.272 « Rappelant que les deux agents ont immédiatement appelé l’ambulance et placé P. en position latérale desécurité, elle doute qu’on puisse raisonnablement attendre dans de telles situations que des fonctionnairesappartenant aux forces de l’ordre prennent d’autres mesures», CEDH, Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse,préc., § 68.273 CEDH, Anguelova c. Bulgarie, préc., § 129.274 CEDH, Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, préc., § 68.275 CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., n° 50390/99, CEDH, 2003-IV, § 57.


l’hôpital, de surcroît, dans des conditions de transfert inadaptées pour un trajet de plus de deuxheures. Cette personne est décédée quelques jours plus tard par hémorragie interne 276 .183Enfin, un devoir de surveillance et de soins adéquats peut être également né en raison d’un étatd’ébriété accompagné d’un état d’excitation et de perturbation manifeste. Ce qui n’a pas pu échapperaux policiers compte tenu des évènements ayant conduit la victime dans une cellule de« dégrisement », souligna la Cour dans l’affaire Taïs 277 . La Cour a, en effet, reconnu la responsabilitépour défaut de soins. Cette affaire portait sur la mort d’une personne, malade du sida, dans sa cellulede garde à vue, durant la nuit, alors qu’elle aurait crié toute la nuit, et ce jusqu’à quelques instantsavant sa mort. Ses cris ayant été interprétés comme liés à son état d’excitation et dus à sonalcoolémie, et non comme des cris de souffrance ou d’appels au secours, le surveillant n’est pas entrédans la cellule pour évaluer l’état de la victime ni n’a appelé un médecin. La personne a été trouvée,le matin, morte dans ses excréments et son vomi. Alors que, suivant les experts, si elle avait étésoignée, elle ne serait pas morte 278 . Ce comportement des autorités est incompréhensible, souligna laCour, d’autant plus que l’arrestation de cette personne a eu lieu, non seulement pour protéger l’ordre,mais aussi pour la protéger elle-même. Il résulte du raisonnement de la Cour dans cette affaire que,s’agissant des mesures coercitives prises dans le propre intérêt d’une personne (telle que la cellule dedégrisement des alcooliques), mais qui peut également être aussi le cas, s’agissant de placement encellule d’isolement ou de discipline dans les prisons, ces mesures doivent être accompagnées desmesures de contrôle et de soins appropriés 279 .Les personnes souffrant de troubles mentaux ou simplement en état psychologique fragile oufragilisé par la détention appellent des obligations supplémentaires. Ces personnes présentent un plusgrand risque de suicide.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>b. La prévention du suicide<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La responsabilité des autorités pénitentiaires peut également être engagée lorsque la mort est lerésultat, non seulement du comportement d’autrui, mais aussi d’un acte autodestructeur, enparticulier du suicide. Un tel acte peut être dû à des troubles mentaux mais aussi à un état mentalUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008276 CEDH, Tarariyeva c. Russie, préc., § 88.277 La personne arrêtée à cause de son état d’ébriété et de son excitation. Il peut alors, estime la Cour, s’agir de« facteur aggravants qui renforcent encore l’obligation de justifier le traitement qui a été infligé à P. Taïs lorsde sa détention », CEDH, Taïs c. France, préc.,§ 89, et § 101.278 La Cour rappelle que, selon les trois premiers rapports d’expertise, la mort serait due à une hémorragiefaisant suite à la fissure de la rate. Mais le rapport de contre-expertise indiquait que les lésions présentéesn’étaient pas fatalement mortelles si elles avaient été diagnostiquées à temps dans un autre contexte. La Courest d’avis qu’au vu de l’état de santé de P. Taïs dès son entrée au commissariat, et des longues heures quisuivirent, les policiers auraient au moins dû appeler un médecin pour s’assurer de l’évolution de son état desanté », CEDH, Taïs c. France, préc.,§ 102.279 Ibid.


184fragile ou fragilisé par la détention. En effet la Cour, comme le CPT, ont établi un certain nombre degaranties que les Etats doivent assurer pour prévenir, autant que faire se peut, le suicide des détenus,qui est nettement supérieur à ce qui existe à l’extérieur. Il est en effet devenu un lieu commun deparler de sur-suicidité dans le milieu carcéral. Dans la décision Younger, la Cour a reconnu la« fragilité des détenus » et s’était dite « prête à admettre de manière générale que le risque de suicideest plus élevé parmi ceux-ci qu'au sein du reste de la population ». Mais elle a refusé de mettre encause la détention en elle-même. Elle a déclaré ne pas être prête à reconnaître « qu'il existe pourchaque détenu un risque réel et immédiat de suicide du simple fait qu'il se trouve incarcéré » 280 . Lessuicides dans les prisons, comme à l’extérieur, sont des actes rares, a-t-elle souligné dans cetteaffaire.Les Etats ont seulement l’obligation, s’agissant des détenus présentant une fragilité psychiqueou des troubles mentaux, de prendre des mesures particulières, sans pour autant les soumettre à uneobligation de risque zéro de suicide. Cela, d’une part, créerait un « fardeau excessif » pour lesadministrations pénitentiaires, et, d’autre part, il serait attentatoire aux libertés des détenus, dès lorsqu’il impliquerait des « restrictions potentiellement inutiles et inappropriées sur la liberté desdétenus » 281 . Les autorités pénitentiaires ont seulement une obligation de prendre des mesures« raisonnables » pour prévenir un suicide 282 .Les mesures raisonnables doivent comprendre, d’une part, des moyens de détection d’un risquede suicide. Elles impliquent précisément une détection des états fragiles lors de l’entrée en prison parl’examen psychologique approfondi de tous les arrivants et, à plus forte raison, des détenus signaléscomme fragiles et susceptibles d’attenter à leur vie 283 . Elles impliquent également unecommunication du dossier médical de la part des autorités responsables de la détention précédente dela personne, à savoir de la garde à vue et/ou de la détention provisoire, ainsi que des professionnelsde la santé. Le secret médical ne saurait s’opposer à cette nécessité de communication des donnéesmédicales 284 . Pour l’appréciation du risque suicidaire d’un individu, doivent être pris en compte lestentatives précédentes de suicide ou d’automutilation mais aussi des troubles comportementaux.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Les mesures raisonnables comprennent, d’autre part, les moyens de prévention du passage àl’acte. Ceux-ci consistent, suivant la jurisprudence de la Cour, le CPT et le droit français 285 , en laprise en charge psychologique de la personne détectée comme potentiellement suicidaireimmédiatement après son écrou ; en la surveillance physique et l’empêchement d’accéder à des280 CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc.281 Ibid. ; Voir CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 70.282 CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 69.283 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 61.284 Ibid.285 Rapport de mission Jean-Louis Terra pour la prévention du suicide des personnes détenues, 10 décembre2003 ; <strong>DE</strong>HEUR<strong>LE</strong>S-MONTMAYER Lisa, « Le suicide en milieu carcéral », Mémoire, IEP Grenoble, 2004.


185moyens techniques de suicide ; en la mise à la disposition des moyens d’alerte (sonnerie d’alarmedans la cellule, rondes, etc.). Une attention particulière doit être portée dans le recours à dessanctions disciplinaires (Keenan c. R.U. 286 ,) ou à des régimes d’isolement (Ensslin, Baader,Raspe/RFA 287 ) qui sont sources de stress supplémentaire. Quant au recours à l’encellulementcommun pour assurer la surveillance, il n’est pas obligatoire. Voire, il peut engager la responsabilitédes autorités pénitentiaires si le comportement suicidaire de la personne comporte des risques pour lavie de ses co-détenus.L’application faite de ces obligations par la Cour laisse pourtant une grande marged’appréciation aux autorités nationales. En effet, c’est seulement lorsque les troubles mentauxatteignent le niveau de « maladie mentale 288 », de surcroît, aiguë, qu’ils sont de nature à permettre dediagnostiquer un « risque sérieux de se suicider ou de s’automutiler » déclarait la Cour dans l’arrêtTroubnikov 289 . Jusqu’à présent, elle n’a jamais encore retenu la violation de l’article 2 à cause dusuicide d’un détenu ayant estimé, soit que les autorités « ne savaient pas » ou « n’auraient pas pusavoir » 290 qu’il existe un risque prévisible de suicide ; soit qu’elles savaient mais avaient pris lesmesures qu’on peut raisonnablement attendre 291 .Ainsi, l’état d’ébriété d’un détenu de personnalité perturbée et présentant des troublescomportementaux durant sa détention, associé à la mise en cellule disciplinaire, n’ont pas été jugéssuffisants pour établir la responsabilité de l’administration pénitentiaire. Bien que la Cour ait estiméque l’association de ces trois facteurs aurait dû être considérée comme présentant des risques, elle aconclu que l’administration pénitentiaire n’a commis qu’une faute de simple négligence ayant rendupossible la consommation d’alcool par ce détenu 292 . De même, la Cour a exonéré de touteresponsabilité l’Etat à propos du suicide d’un détenu toxicomane qui était en rupture de drogue àcause de son arrestation et qui avait exprimé son envie de se suicider lorsqu’il a appris sa<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...286 CEDH, Keenan c. R..U., n° 27229/95, CEDH 2001-III.287 D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin, Baader, Raspe/RFA), DR 14, p. 64 et s .288 CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., §73.289 Ibid., §§ 75-76.290 Ibid. Voir CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc.291 A propos du suicide d’une personne détenue qui souffrait de troubles du comportement, elle avait manifestéune tendance à attenter à son intégrité physique et avait séjourné à l’hôpital psychiatrique, la Cour a estimé queles autorités savaient qu’en raison de son état mental, l’intéressé mettait sa vie en péril même si par intervalleselle se comportait normalement en apparence. Mais à propos de son suicide suite à sa condamnation à vingthuitjours d’emprisonnement supplémentaires pour voies de fait et de placement en quartier d’isolement, cetteinstance a jugé que les autorités ayant, durant la détention, placé la victime à l’hôpital pénitentiaire ainsi quesous surveillance lorsque des tendances suicidaires se manifestaient et l’ayant, durant sa sanction disciplinaire,soumise sous contrôle médical quotidien, elles ont pris les mesures raisonnables. L’argument selon lequel ellesauraient dû prévoir un surcroît de tension qui résulterait de la sanction disciplinaire relève de la spéculation. Enrevanche, la Cour a retenu la violation de l’article 3, CEDH, Keenan c. R.U., préc.292 CEDH, Troublikov c. Russie, préc. § 77. Cette personne avait profité de sa permission de sortir à l’occasiond’un événement sportif pour consommer de l’alcool, ce qui lui a valu la sanction de mise en celluledisciplinaire.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


condamnation, sur le motif qu’il avait « l’air calme et rationnel ». Cette apparence ne permettrait pasde conclure à un risque de suicide « raisonnablement prévisible, estima la Cour » 293 .186La jurisprudence de la Commission avait, elle, laissé entendre une évolution de lajurisprudence européenne vers l'extension de la responsabilité des autorités compétentes aux cas desuicide dus aux causes psychologiques nées de l’attitude du personnel 294 mais aussi des conditions dela détention notamment celles de régimes spéciaux comme l’isolement carcéral 295 . Mais lajurisprudence de la Cour, comme permet de le voir l’arrêt Keenan, préfère examiner de tels griefssous l’angle de l’article 3.c. La protection contre des comportements des codétenusUne obligation générale d’anticipation, de surveillance et de secours contre des violences de lapart des co-détenus pèse également sur les Etats. Il peut s’agir de violences physiques délibérémentexercées contre les co-détenus mais aussi des conséquences indirectes par le choix des moyens desuicide, comme le suicide par incendie (affaire Rebai c. France).La prévention de ces risques requiert la mise en place de moyens généraux tels quel’installation d’une sonnette d’alarme dans chaque cellule accessible et en état de marche enpermanence. Mais elle peut aussi requérir des mesures supplémentaires individualisées, lorsque ledanger est prévisible, à savoir lorsque « les autorités ‘savaient’ ou ‘devaient savoir’ qu'un individudéterminé était menacé de manière réelle et immédiate dans sa vie par des actes criminels d'un tierset qu'elles n'ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures qui, d'un point de vueraisonnable, pouvaient être considérées comme « aptes à pallier ce risque 296 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Ces mesures impliquent, d’une part, une obligation de communication des informationsconcernant un détenu dangereux qui incombe à toute la chaîne des autorités en contact avec lapersonne écrouée : la police, les autorités pénitentiaires et les professionnels de la médecine. Lesinformations doivent être portées à l'attention des autorités carcérales, en particulier à celles chargéesde décider s'il y avait lieu de placer l'intéressé au centre de santé ou en cellule ordinaire avec lesautres détenus 297 . Les mesures raisonnables impliquent, d’autre part, l’obligation d’un « examenmédical de filtrage », au moment de l’écrou, sérieux et profond, propre à détecter les détenus<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008293 CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc.294 Il s’agissait du suicide à l’issue d’une garde à vue, préc.295 « Notamment lorsque l'isolement du détenu systématiquement organisé et maintenu a pu inéluctablement lepousser à attenter à ses jours », D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin, Baader, Raspe/RFA), préc., pp. 86-87.296 CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 55.297 Ibid., § 61.


187dangereux pour autrui ou pour eux-mêmes 298 , effectué par des personnes compétentes. Ellesimpliquent, d’autre part, des moyens techniques : pas d’encellulement commun, installationd’alarmes dans chaque cellule en état de marche, des rondes régulières, et des rondes rapprochées encas de risque prévisible (Edwards 299 ).En effet, tout en soulignant qu’il faut concilier la protection des droits à la vie et à l'intégritédes personnes menacées avec la protection des droits des personnes dangereuses, la Cour a estiméque cela peut impliquer d’éviter de placer un détenu dangereux dans une cellule commune ou dans lemême lieu de travail que les détenus envers lesquels il a manifesté de l’agressivité. En général, il fautdiminuer les occasions de leur rencontre ou assurer une surveillance plus étroite lorsque lesrencontres sont inévitables.Constituent des éléments de prévisibilité de tels risques, d’après la Cour, le passé pénal (déjàarrêté ou condamné pour des actes violents), l’état de santé mentale, mais aussi le comportementgénéral durant la détention et à l’égard de personnes précises. Ainsi, dans l’arrêt Edwards 300 , la Coura retenu la responsabilité du gouvernement britannique du fait qu’un détenu à propos duquel lesautorités « auraient dû savoir » qu’il était dangereux, à cause de son passé pénal et son état de santémental, a été placé en cellule commune et a tué son codétenu. En revanche, les tendances suicidairesd'un détenu ne suffisent pas, en elles-mêmes, à considérer un détenu comme dangereux pour autrui.Dans l'affaire Rebai dirigée contre la France 301 , la Commission avait estimé qu'« il ne saurait êtretenu pour acquis que l'intéressé, certes suicidaire, était dangereux pour autrui 302 ». Alors même que letribunal administratif de Nice avait estimé que le détenu à l’origine de l’incendie aurait dû êtreconsidéré comme dangereux dès lors qu'il avait été condamné pour violences et voies de fait avecarme, il s'était auto-mutilé durant sa détention et avait tenté de se suicider dans sa cellule parpendaison. Mais cette décision avait été infirmée par la Cour d'appel administrative de Lyon.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...298 « Pour la Cour il est évident que l'examen de filtrage des nouveaux arrivants dans une prison doit servir àidentifier effectivement les prisonniers qui, tant pour leur propre bien-être que pour le bien-être des autresdétenus, doivent faire l'objet d'une surveillance médicale. Les lacunes constatées dans les informations fourniesau personnel chargé de la mise sous écrou des prisonniers sont en l'espèce venues s'ajouter à la nature brève etsuperficielle de l'examen effectué par l'assistant médical chargé du filtrage des nouveaux arrivants, lequel,d'après le rapport de la commission d'enquête, n'avait pas reçu une formation suffisante et dû agir en l'absenced'un médecin, à qui il aurait dû pouvoir s'adresser en cas de difficulté ou de doute », Ibid., § 62.299 « Ainsi, alors qu'il était manifestement préférable de faire admettre Christopher Edwards soit à l'hôpital, soitau centre de santé de la prison, on lui fit courir un risque vital en introduisant dans sa cellule un détenudangereusement instable, et ce sont les fautes commises à cet égard qui revêtent le plus d'importance pour lesquestions soulevées par la présente espèce. Dans le même ordre d'idées, si la Cour déplore que le boutond'appel situé dans la cellule, et qui aurait dû constituer une protection, était défectueux, elle considère que lesautorités, compte tenu des informations dont elles disposaient à l'époque, auraient dû commencer par ne pasplacer Richard Linford dans la même cellule que Christopher Edwards », Ibid., § 63.300 La victime avait été piétinée et frappée à mort. L’auteur ne cessait de répéter qu'il était possédé par desesprits malveillants et des démons. Au moment de l'agression, il souffrait de troubles mentaux aigus.301 D 26561/95 (Rebai/France), préc., p. 81.302 Ibid.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


188Quant aux menaces proférées, lorsqu’elles ont lieu en milieu libre, la jurisprudenceeuropéenne a estimé que le respect des libertés de l’auteur de telles menaces doit également êtreprise en compte. Jusqu’à présent, elle n’a retenu la responsabilité que dans des cas de menacesexprimées physiquement 303 . Mais cet élément pourrait revêtir en détention une valeur plusimportante du fait de la promiscuité des détenus et de l’absence de maîtrise du choix de leur espacede vie et de leurs fréquentations. Leur protection est entièrement entre les mains des autoritéspénitentiaires.2. Les obligations procéduralesLes exigences de l’obligation de mener une enquête étant présentées dans l’application del’article 2 à l’égard de toute personne, nous soulignerons ici seulement les aspects qui dans le cas despersonnes détenues reçoivent une interprétation renforcée.Tout d’abord, l’affirmation par la Cour que « les obligations des Etats contractantsprennent une dimension particulière à l’égard des détenus, ceux-ci se trouvant entièrement sous lecontrôle des autorités 304 », et donc « sous la responsabilité des autorités lorsqu’il y a eu décèsapparemment dû à un suicide 305 », se traduit à propos des obligations d’enquête plus strictes àl’égard d’une personne détenue, notamment si la personne décède 306 .Une première conséquence de cette exigence est que toute blessure ou décès en prison,comme dans tout lieu privatif de liberté, crée l’obligation pour les autorités de mener ipso facto uneenquête d’office, dès que l’affaire est portée à leur attention : elles ne sauraient laisser aux prochesl’initiative de déposer plainte ou d’assumer une procédure d’enquête 307 . « D’une manière générale, leseul fait qu’un individu décède dans des conditions suspectes alors qu’il est privé de sa liberté est denature à poser une question quant au respect par l’Etat de son obligation de protéger le droit à la viede cette personne 308 . »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Une deuxième conséquence concerne la charge de la preuve. Selon la Cour, toute blessure etdécès en prison, créent de « fortes présomptions de responsabilité », si la personne était au momentUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008303 CEDH, Kontrová c. Slovaquie, préc.304 Voir entre autres, CEDH, Slimani c. France, § 27.305 CEDH, Troubnikov c. Russie, préc., § 89.306 CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 91 ; CEDH, Younger c. R..U., (déc.), préc. ; CEDH, Troubnikov c. Russie,préc., §89 ; CEDH, Tanli c. Turquie, préc., §141.307 « Par ailleurs, le simple fait que les autorités aient été informées du décès en garde à vue d’A.O. donnaitipso facto naissance à l’obligation, découlant de l’article 2, de mener une enquête effective sur lescirconstances dans lesquelles il s’était produit », CEDH, Orak c. Turquie, préc., § 82 ; CEDH, Slimani c.France, préc., § 29, § 47 ; CEDH, Velikova c. Bulgarie, préc., § 70.308 CEDH, H.Y. et HÜ. Y c. Turquie, n o 40262/98, CEDH, 2005-X, § 104. Voir CEDH, Taïs c. France, préc.,§ 83.


189de son placement en détention en bonne santé. Dès lors, la charge de la preuve incombe auxautorités. Etant seules à connaître les événements, il leur incombe de fournir une explicationplausible de l’origine des blessures ou du décès 309 .Enfin, quant à l’étendue de l’enquête, elle doit englober la recherche des éventuellesresponsabilités des autorités au regard des obligations préventives, y compris dans des cas desuicide 310 . Dans ce cas, a précisé la Cour, l’enquête implique nécessairement d’établir, d’abord, lescauses de la mort afin d’exclure la cause d’un accident ou d’un homicide. Et, une fois le suicideétabli, d’examiner si les autorités responsables ont failli dans leur obligation de le prévenir 311 .C’est au regard de ces précisions concernant les exigences européennes positives tantpréventives que répressives que nous allons présenter celles prévues par le droit grec et le droitfrançais.§2. La garantie nationaleL'obligation positive des Etats de garantir la vie et l'intégrité des détenus est indéniable. Il estmême à noter que dans l'histoire de la prison c'est la première garantie qui est assurée aux détenusavant même que la prison ne soit instituée en peine. Jousse rapportait qu'une telle limite a été fixéedès 1665, par un arrêt rendu par la Tournelle (chambre criminelle du Parlement de Paris 312 , ayantcondamné un geôlier à être pendu pour avoir laissé mourir un prisonnier sans l'avoir assisté, quoiqu'ileût entendu ses cris 313 .Actuellement, outre la réglementation spéciale concernant l’usage de la force à l’encontre desdétenus, et la responsabilité pénale conformément aux règles du droit commun pénal des auteursd’une infraction pénale à l’encontre d’un détenu, les droits nationaux reconnaissent également laresponsabilité de l'Etat. Ils la reconnaissent aussi bien pour des fautes commises par ses agents dès<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...309 « Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement desautorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure ou décèssurvenu pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité deconsidérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante etconvaincante », CEDH, Velikova c. Bulgarie, préc., § 70. « Du seul fait qu’une personne décède dans descomptions suspectes alors qu’il est privé de sa liberté est de nature à poser une question quant au respect parl’Etat de son obligation de protéger le droit à la vie de cette personne » ; « La Cour considère que lorsqu’unindividu placé en garde à vue en bonne santé peut trouver la mort, il incombe à l’Etat de fournir uneexplication plausible des responsables au titre de l’article 2 de la Convention », CEDH Anguelova c. Bulgarie,préc., § 111, Voir CEDH, Slimani c. France, préc., § 27 ; CEDH Taïs c. France, préc.310 CEDH Troubnikov c. Russie, préc., § 90.311 Ibid., § 89.312 Créée en 1515, elle était chargée des affaires de grande criminalité entraînant la peine de mort, lacondamnation aux galères ou le bannissement.313 . JOUSSE, Traité de la justice de France, t. 2, préc., p. 242.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


190lors qu'elles sont considérées comme non détachables de fautes de service 314fonctionnement défectueux de la prison en tant que service public.que pourLa faute personnelle détachable du service est sanctionnée par les tribunaux judiciaires suivantles règles de responsabilité civile de droit commun. Cette faute consiste en des agissements gravescaractérisés, soit par des violences et brutalités inadmissibles, soit par des faits révélant l'intention denuire et une malveillance délibérée 315 .Mais ce qui nous intéresse dans l'état actuel des droits pénitentiaires, c'est de déterminer laresponsabilité des Etats au-delà de celle de réprimer les infractions sanctionnant les personnesphysiques. Plus précisément, il nous intéresse de savoir si la prison est considérée comme un lieucréant l'obligation de prendre des mesures supplémentaires pour protéger l'intégrité des détenus; desmesures qui soient adaptées à ce contexte.Cela ne fait aucun doute : tous les droits nationaux prévoient une réglementation pénitentiaire.Institue-t-elle pour autant des obligations positives renforcées ? C’est à quoi nous essaierons derépondre en examinant d’abord le cadre juridique de la responsabilité de l’Etat qui régit lefonctionnement de la prison (A) avant de préciser quel type d’atteinte ou de mise en danger fontl’objet de protections préventives (B) et d’évaluer l’efficacité de leur système d’enquête (C).A. Le régime de responsabilité de l’EtatIl est certain qu'une meilleure protection est assurée lorsque la responsabilité est engagéemême pour une faute sans gravité particulière, voire pour simple prise de risque. Il est certain aussique la considération d'un lieu comme créateur de risques supplémentaires devrait contribuer àdiminuer la gravité de la faute requise. Comme nous l'avons vu à propos de l'examen de lajurisprudence européenne, la responsabilité des autorités nationales croît à mesure que les risquesaugmentent pour la vie et l'intégrité des personnes. Tel n’est pas encore clairement le cas ni en droitfrançais (1) ni en droit grec (2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. Droit français<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Longtemps, seule la faute de service pourrait engager la responsabilité de l'administration.Cette faute est souvent définie comme le « fonctionnement défectueux du service ». Mais certainsauteurs préfèrent la définir par la somme des fautes retenue par la jurisprudence comme constituant314 S. PETIT, La responsabilité pénale des agents, Berger-Levrault, Coll. Gestion publique, Paris, 1997, pp.85-88.315 . J. MORAND-<strong>DE</strong>VIL<strong>LE</strong>R, Cours de droit administratif, 9 e éd., Paris, Montchrestien, 2005, p. 757.


une faute de service : le défaut de surveillance et de contrôle, le défaut d'entretien, l'imprudence, lamaladresse, ainsi que des omissions, abstention, inertie, retards ou renseignements inexacts 316 .191En principe, la responsabilité de l'administration pour faute peut être engagée pour une fautesimple. Cependant, dans certains cas, notamment lorsque les conditions du fonctionnement d'unservice sont difficiles, on exige une faute qualifiée, dite faute lourde.Ainsi la considération qui domine l'appréciation de la responsabilité de l'administrationpénitentiaire est la difficulté de sa mission plaidant pour l'exigence d'une faute lourde dans ladétermination de sa responsabilité. Si bien que la responsabilité est plus restreinte par rapport à celled'autres services publics Ont, par exemple pu constituer une telle faute, le défaut de surveillance,l'erreur de placement ou d'affectation, des insuffisances ou des retards de soins, des secours tardifsou défaillants, sous la condition supplémentaire que de tels actes ou omissions aient rendu l'incidentprévisible 317 .Il convient néanmoins de souligner d’une part que, suivant l'origine du dommage causé, lafaute requise peut être atténuée. Tel est le cas lorsqu'il s'agit de l'inobservation des normes desécurité des locaux, auquel cas une faute simple peut suffire 318 . D’autre part, la jurisprudence seraitmarquée par une évolution vers une reconnaissance également de la responsabilité pour risquespécial 319 .Quant aux accidents de travail, ils obéissent à un régime de responsabilité à part.2. Droit grec<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le droit grec prévoit également, concernant le fonctionnement des services publics, le recoursen indemnisation lorsque la responsabilité civile de l'Etat peut être engagée. Ce recours relève de lacompétence du tribunal administratif 320 et fait l'objet du recours en indemnisation. L'objet de cerecours, qui n'a pas d'effet suspensif, n'est pas l'annulation d'une décision ou d'un acte, mais laréparation d'un préjudice matériel et/ou moral. Pour cela, il faut que le requérant reproche à<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008316 . Ibid..317 . J. <strong>MOREAU</strong>, « La responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement des établissements pénitentiaires »,in Mélanges en l'honneur du doyen P. Bouzat, Pedone, 1980, pp. 205-216. F. MO<strong>DE</strong>RNE, « La responsabilitédes services pénitentiaires à raison des dommages subis par les détenus », R.P.D.P, 1979, pp. 575-582 ; et J.MORAND-<strong>DE</strong>VIL<strong>LE</strong>R, Cours de droit administratif, préc.318 Ibid. Voir P. PONCE<strong>LA</strong>, « La responsabilité du service public pénitentiaire à l’égard des usagers détenus »,Chronique de l’exécution des peines, RSC, Janv.-mars 2000.319 Voir la chronique de Pierrette PONCE<strong>LA</strong>, « Chronique de l’exécution des peines : Choixde jurisprudence », RSC, 2007-2.320 . P.-D., DAGTOGLOU, Droit de procédure, Sakkoulas, Athènes, 1994, pp. 484, 488. Article 105 de la loiintroductive du Code civil.


192l'administration un acte, agissement ou omission illégal de ses agents, commis à l'occasion del'exercice de leurs fonctions, non justifié par le but légitime d'intérêt général, et ayant entraîné unpréjudice matériel ou moral qui soit personnel, direct et certain. Il doit, de surcroît, prouverl'existence d'un rapport de cause à effet entre les faits reprochés et leurs conséquences 321 .Aussi, si la responsabilité de l'administration pénitentiaire peut, contrairement au droitfrançais, être engagée même sans faute des agents, lorsque l'acte ou omission a eu lieu durantl'exécution de leurs fonctions, le recours en indemnisation n'est-il toutefois pas ouvert pour touteatteinte à un intérêt légal. Il est limité dans les cas où la loi civile, pénale ou administrative prévoitexpressément un droit d'indemnisation. Tel est certainement le cas lorsqu'il s'agit des atteintes à lavie, à l'intégrité physique, à la santé ou à l'honneur. Notons à ce propos que, s'agissant précisémentde la responsabilité pour des actes de torture ou des atteintes à la dignité prévus par le Code pénal,l'article 137D du Code pénal prévoit, dans son quatrième paragraphe, que l'agent et l'administrationsont solidairement responsables.Bien que nous ne disposions pas de jurisprudence relative à l'exercice de ce recours par lesdétenus, nous estimons que a priori ils ne sont pas exclus du droit de l'exercer. Selon la doctrinegrecque, le respect de la légalité est un principe si fondamental de l'Etat de droit que es actes del'administration ne peuvent se soustraire à l'obligation de le respecter. Dès lors, tous les actes ouomissions illégaux qui ont lieu en prison engagent la responsabilité civile de l'Etat et doivent alorsdonner lieu à un recours en indemnisation.Mais à la lumière de la jurisprudence relative à l'interprétation générale de l'article 2 de laConvention, on peut d'ores et déjà souligner que quel que soit le fondement sur lequel laresponsabilité de l’Etat peut être retenue pour dysfonctionnement de la prison, leur responsabilité autitre de cet article se détermine au regard du critère commun, celui de manquement à l'obligation deprendre des mesures adéquates. Cette appréciation est fondée sur la nature du danger, la gravité dudanger ainsi que sur l'ensemble des circonstances. Dans cette appréciation, la prison doit être priseen compte comme un contexte de vie qui accroît les difficultés du travail des agents de l’Etat, maisaussi comme un contexte qui augmente les responsabilités des autorités. Celles-ci sont responsables<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de leur garde et de leur protection, et la prison expose les détenus à des risques supplémentaires parrapport à l’extérieur.C’est alors en tenant compte de ces critères que nous examinerons les mesures préventivesprévues en droit français et en droit grec en matière de respect du droit à la vie des personnesdétenues.321 . Ibid., pp. 482-493.


193B. Le champ d’application du régime de responsabilité de l’EtatNous examinerons successivement les mesures concernant les conditions matérielles (1), lessoins médicaux (2), les violences des codétenus (3) et le suicide (4). Soulignons qu’à défaut de toutejurisprudence corrélative publiée en droit grec, c’est essentiellement le droit français qui nous servirad'exemple de droit national dans la comparaison avec le droit de la Convention.1. Les défaillances en matière d’organisation matérielleLes droit grec et français contiennent un certain nombre de dispositions visant à assurer desconditions de détention et de travail qui ne mettent en danger ni la vie ni la santé des détenus. Cesconditions sont essentiellement présentées sous l’article 3, car même lorsqu’elles ne vont pas jusqu’àporter atteinte à la vie, elles peuvent porter atteinte à la dignité. Aussi nous limiterons-nous ici à laprésentation des garanties qui peuvent relever uniquement de l’article 2 de la Convention. Cesgaranties concernent aussi bien les accidents du travail et les problèmes de sécurité de l’ensemble desactivités et des locaux de détention, que la transmission des maladies mortelles, les défauts de soinsou les manquements à l’obligation de porter secours.Concernant d’abord les accidents du travail, en droit français, la protection contre eux remonteà 1949 322 . Actuellement, l'article D 109 du Code de procédure pénale prévoit que les normes desécurité contre les accidents du travail doivent répondre à celles prévues par les dispositionslégislatives et réglementaires de droit commun relatives à l'hygiène et à la sécurité des travailleurs.Le contentieux relatif à la réparation des accidents et aux maladies professionnelles relève de lacompétence des juridictions communes. Il obéit cependant, selon l'article D 110 du Code deprocédure pénale, à un régime spécial établi par le décret n° 49-1585 du 10 décembre 1949 qui aétendu aux détenus le bénéfice des prestations de sécurité sociale. En effet, d'après la jurisprudence,si une faute est commise par l'administration pénitentiaire, la responsabilité de cette dernière estengagée pour la part du préjudice non réparée par les prestations sociales ; mais, en cas de travailexécuté pour le compte d'un concessionnaire, elle peut exercer une action récursoire contre cedernier 323 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le droit grec a soumis depuis 1989 les accidents du travail au régime juridique commun dudroit du travail (art. 47 C. pénit.).322 Décret n 49-1585 du 10 décembre 1949, pris pour l'application de la loi n° 46-2426 du 30 octobre 1946.323 F. MO<strong>DE</strong>RNE, « La responsabilité des services pénitentiaires à raison des dommages subis par lesdétenus », préc., p. 578 ; J. <strong>MOREAU</strong>, « La responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement desétablissements pénitentiaires », préc., p. 211.


194Mais la responsabilité de l’Etat peut être engagée pour des accidents et incidents d’autresnatures, pour lesquels l’administration pénitentiaire a une obligation de sécurité matérielle ouobligation de surveillance. Ainsi les manquements aux prescriptions de sécurité des locaux et desinstallations, dès lors qu’ils ont provoqué un accident, peuvent l’engager pour faute simple 324 . C’étaitmême le premier type de responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement des établissementspénitentiaires rapporté par J. Moreau. Ce fut dans l’affaire Serveau dans laquelle le Conseil d’Etat aretenu la responsabilité de l’administration pénitentiaire pour préjudice subi par un détenu en raisondes omissions de normes de sécurité des locaux (mauvais entretien des locaux ou desinstallations) 325 . Depuis lors, la jurisprudence française a étendu la responsabilité de l’Etat pourd’autres dysfonctionnements, fondée soit sur une faute lourde soit sur une faute simple.2. Les défaillances en matière de soins médicauxLa responsabilité de cette administration peut également être engagée en matière de soinsmédicaux. Elle peut l’être pour défaut de surveillance et de soins. Ainsi, le Conseil d’Etat avaitretenu la responsabilité pour faute lourde du service pénitentiaire dans le décès d'un détenu trouvémort dans sa cellule de sécurité où il était placé par les autorités pénitentiaires en raison de son étatagité. Ayant relevé que deux surveillants avaient aperçu le détenu au sol la veille de son décès ets'étaient contentés de le placer sur son matelas, cette juridiction a estimé que « ce comportementrévèle une faute lourde du service pénitentiaire compte tenu des affections psychiques que présentaitce détenu et pour lesquelles il faisait l'objet d'une surveillance et de soins particuliers de la part duservice médico-psychologique de l'établissement » 326 . Outre l’absence des soins, il y a lesinsuffisances 327 . ou les retards 328 . Depuis le rattachement du système des soins français au service desanté publique, en 1994, la responsabilité des autorités médicales peut également être retenue, desurcroît, pour faute simple 329 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>324 J. <strong>MOREAU</strong>, « La responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement des établissements pénitentiaires »,préc., p. 216.325 CE, 16 mais 1944, Serveau, Rec. p. 153, cité par J. <strong>MOREAU</strong>, « La responsabilité de l'Etat à raison dufonctionnement des établissements pénitentiaires », préc., p. 216.326 CE, Deville, 16 nov. 1988, Lebon,. (Ce tribunal a accordé à titre de réparation du préjudice moral subi lasomme de 25 000 F).327 Le tribunal administratif de Caen a retenu la responsabilité pour soins non appropriés à un détenu grévistede la faim, TA Caen 4 avr. 1995, Castel, (cité par J.-P. CERE, « Prospectives sur la répartitionjuridictionnelle... », préc., note n°59).328 . Le Conseil d'Etat avait retenu la responsabilité de l'Etat du fait que de tels retards avaient provoqué chez undétenu une incapacité permanente de 60% résultant de l'aggravation de ses blessures. Cette instance avaitconstaté que le médecin du camp de rétention avait établi, le 2 février 1945, que l'état de ce détenu nécessitaitl'intervention d'un spécialiste faute de quoi sa vie serait en danger. Or un spécialiste n'est intervenu que le 8mars 1945, CE, 25 janv. 1952, Vacqué, Leb., p. 60. Cette instance a ultérieurement consolidé cettejurisprudence : CE, 6 juil. 1960, Ribot, Leb., p. 1124 ; CE, 22 juill. 1963, veuve Letendue, Leb., p. 778.329 « Depuis la loi du 18 janvier 1994, la santé ne relève plus de la responsabilité de l’administrationpénitentiaire. L’organisation et la mise en œuvre des soins et de la prévention sanitaire incombent aujourd’huiaux personnels hospitaliers et peuvent engager la responsabilité du ministère des Affaires sociales. C’est doncun régime de faute simple qui s’appliquera dans les affaires mettant en cause, non seulement l’organisation des<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


195La transmission d’une maladie contagieuse devrait également engager la responsabilité desautorités pénitentiaires et médicales si elle est due à des défaillances dans la mise en place desmesures préventives. Tant le droit grec que le droit français prévoient de telles dispositions. Parmiles mesures non contestées, figurent : l’information des personnes des risques de contamination detelles maladies et des moyens de les prévenir (art. 29, § 4 C. pénit. grec, et D384 CPP français); lesdépistages (ainsi en droit français, le dépistage pour tuberculose est obligatoire au moment del’entrée en prison conformément à l’article D384-1 CPP) ; le suivi régulier de la santé ; ou encoredes mesures visant à éviter ou à diminuer les contacts avec les codétenus. Le risque de contagiondoit, par exemple, être pris en compte lors de l'affectation d'un détenu porteur d'une maladiecontagieuse mortelle ou grave dans une cellule commune, à un poste de travail ou lors del'organisation des activités communes. Ainsi, le droit grec prévoit la détention dans une unité à partdes personnes souffrant de maladies contagieuses (art. 30 § 5 et 65 § 3, C. pénit.). Dès lors, si ledétenu parvient à établir qu’il a été contaminé par défaut de respect de ces dispositions aussi bien dela part des autorités pénitentiaires que des autorités médicales, la responsabilité de l’Etat peut êtreretenue.Soulignons simplement pour la prévention de la contagion du sida que la mise en place dedeux mesures importantes peut se heurter à des interdits. Il s’agit, d’une part, de la stérilisation desseringues dans la prévention de la transmission par le sang de cette maladie, notamment chez lestoxicomanes. Cette mesure est contraire à l’interdiction de consommation des drogues.L'administration pénitentiaire française se rendrait complice d'« incitation à l'usage de drogues » 330 . Ace propos, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a pris position dans la Recommandationn° R(93)6. Tout en soulignant qu'il faut prévenir l'introduction de drogues et de matériel d'injectionen prison de manière clandestine, il a suggéré que leur prévention ne doit pas empêcher de mettre encause l'évolution qui consiste à mieux intégrer l'institution pénitentiaire dans son environnementsocial et économique. A cet effet, il a recommandé aux Etats d'informer les détenus de la nécessité dedésinfecter le matériel d'injection et de leur permettre d'avoir recours à un matériel à usage unique. Ils’agit d’autre part, de l'usage de préservatif pour la prévention de la transmission du sida par voiesexuelle. L'administration pénitentiaire pourrait également invoquer une contradiction entre l'usagede ce moyen et le règlement pénitentiaire qui interdit les rapports sexuels des détenus. Elle pourraitalors estimer qu'elle se rendrait complice d'incitation à enfreindre son propre règlement. Toujoursest-il que les autorités pénitentiaires se montrent moins réticentes à la mise à la dispositions desdétenus des préservatifs : plusieurs pays européens ont déjà pris cette mesure 331 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008services médicaux, mais aussi les fautes commises par le personnel des UCSA », P. PONCE<strong>LA</strong> « Laresponsabilité du service public pénitentiaire à l’égard de ses usagers détenus », préc.330 . P. DARBEDA, « Les Prisons face au Sida : vers des normes européennes », RSC, 1990-1994, p. 199 et s.331 . Conformément aux circulaires du 17 mai 1989 et du 8 décembre 1994.


196On peut enfin se demander si la protection de la vie des détenus malades du sida ne devrait pasaller jusqu'à l'exigence de mesures encore plus radicales. La complexité du traitement de cettemaladie et la nécessité de mener une vie sans stress ne devraient-ils pas conduire à considérer lemaintien en détention comme incompatible avec l'état de santé dès lors que la détention met la viedes détenus en danger et, en tout cas, raccourcit leur espérance de vie ?Pour l’instant, seule la Grèce prévoit la mesure de libération conditionnelle pour les détenusmalades de Sida 332 . En France, il faut qu’elle entre dans la catégorie de toute maladie dont l’état degravité devient incompatible avec la vie en détention pour que le détenu puisse bénéficier d’unesuspension de peine.Quant aux besoins vitaux élémentaires, les Etats ont à plus forte raison l'obligation d'assureraux détenus les besoins vitaux élémentaires: les nourrir et les protéger du froid et de la chaleur. Carsi, à l'extérieur, une telle obligation relève des droits sociaux (ne pouvant donc pas être revendiquésjuridiquement), dans la prison, elle fait partie des obligations positives des Etats imposées aussi bienpar la garantie des droits à l'intégrité physique et à la vie que par l'interdiction des traitementsinhumains ou dégradants. Mais concernant l'accomplissement effectif de ces obligations, outre qu'ilest peu probable qu'en l'état actuel de l'organisation des prisons en Europe, un détenu puisse mouririnvolontairement de faim, de froid ou encore de chaleur (comme ce fut le cas dans le siècle passé 333 ),si cela se produisait, cela soulèverait probablement un problème, non seulement au regard du droit àla vie mais aussi au regard de l'interdiction des traitements inhumains ou dégradants (article 3). Amoins qu'il s'agisse de manquements aux normes de la sécurité alimentaire ou dedysfonctionnements des éventuelles installations de chauffage ou de climatisation.Le respect de la vie et de l'intégrité physique implique également l'obligation pourl'administration pénitentiaire de prendre des mesures adéquates pour diminuer les risques de violenceexercées par des comportements hetero-agressifs mais aussi auto-agressifs des détenus.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3. Les défaillances en matière de violences des codétenusUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La protection contre des comportements agressifs des codétenus nécessite des mesures à la foisgénérales et individualisées.Parmi les mesures générales, on doit ranger toutes les dispositions des droits nationauxrelatives à l'affectation des détenus dans les prisons. Leur affectation selon les critères d'âge332 Voir supra, Chapitre sur la Liberté.333 J.-G. PETIT, Ces peines obscures, préc., pp. 341-344.


197(séparation des mineurs des majeurs) 334 , de sexe (séparation des femmes des hommes 335 ) ou degravité de la condamnation (prisons pour les courtes peines et prisons pour les longues peines),contribue indéniablement à limiter les risques pour leur intégrité physique et leur vie.En droit français, il est certain que le non-respect de telles mesures peut engager laresponsabilité de l'administration pénitentiaire pour défaut de surveillance ou erreur de placement 336 .Ce qui fut déjà le cas s’agissant d’erreur d'appréciation de la dangerosité d'un détenu. Pour cetteappréciation, c’est le comportement de la personne antérieurement à sa détention mais surtout durantcelle-ci qui est pris en compte. Le comportement antérieur à la détention est pris en compte au débutde l'incarcération. Par la suite, sa dangerosité s'apprécie au vu de son comportement habituel dans lelieu de détention. L'observation peut conduire à une évaluation contraire à celle du diagnostic fait aumoment de l'incarcération. Ainsi, la responsabilité de l'administration pénitentiaire a été écartée dansle meurtre d'un détenu commis, lors d'une réunion collective, par un codétenu admis au régimeprogressif, sur le motif que l'observation de près de l'évolution du comportement de l'auteur dumeurtre ne décelait pas un défaut de surveillance ou une erreur de placement 337 .En revanche, c’est une telle erreur qu'a retenue le tribunal administratif de Rouen, le 3 février1999, à propos des violences physiques et sexuelles commises par deux détenus sur le troisièmecodétenu de cellule. Le fait que l'un de deux auteurs était signalé comme dangereux, et queprécédemment un autre codétenu était trouvé inanimé dans cette cellule, a été retenu comme deséléments rendant le danger prévisible 338 . La responsabilité pour faute lourde a également été retenueà propos de la mort d'un détenu lors d'un incendie dans la cellule, provoqué par un codétenu qui avaitété signalé à l'administration pénitentiaire comme particulièrement dangereux pour avoir manifestéun comportement agressif à l'encontre de ses codétenus 339 . Il en a été de même dans le cas duplacement en cellule commune d’une personne (de 26 ans, incarcérée pour la première fois) battue àmort par son codétenu qui attendait de passer aux assises pour « actes de torture et de barbarie » surl'un de ses précédents compagnons de cellule (9 septembre 2005) 340 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...334 En droit français, art. D516 CPP, et en droit grec, art. 12 C. pénit..335 En droit français, D248 CPP, et en droit grec, 13 et 14 C. pénit336 F. MO<strong>DE</strong>RNE, « La responsabilité des services pénitentiaires à raison des dommages subis par lesdétenus », préc., p. 577 ; J. <strong>MOREAU</strong>, « La responsabilité de l'Etat à raison du fonctionnement desétablissements pénitentiaires », préc., p. 211.337 CE, Garde de Sceaux c. Picard, 5 février 1971 ; CE, Remery, 26 mai 1978, Rec. 1978, p. 322.338 TA Rouen 3 févr. 1999, M.C., Petites affiches, 18 févr., 2000, n°35, p.16, commentaires Claire Marliac-Negrier.339 Le Conseil d'Etat a estimé que « l'administration pénitentiaire avait commis une grave négligence ens'abstenant de prendre des mesures particulières de surveillance qui s'imposaient à l'égard de ce détenu en vuede prévenir les initiatives dangereuses qu'il pouvait prendre notamment pendant la nuit », CE., ConsortsWachter, 26 mai 1978, p. 222.340 L'administration pénitentiaire a reconnu avoir commis une faute en plaçant ce délinquant sans passé carcéraldans la cellule d'un homme dangereux. Dans le cadre d'un accord amiable, elle propose de verser 10 000 àchacun de ses trois frères. Cette affaire a été commentée sous le titre « Combien vaut la vie d’un homme ? »,Libération, 10.09.2005.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


198Quant aux tendances suicidaires d'un détenu, elles ne semblent pas suffire pour le considérercomme dangereux pour autrui comme l’a montré l’affaire Rebai portée devant la Commission contrela France 341 à propos de la mort de deux détenus lors de l'incendie de leur cellule. La Cour d'appeladministrative de Lyon n’avait pas estimé que le fait que l’auteur était suicidaire le rendait dangereuxpour autrui 342 . Alors que, selon le tribunal administratif de Nice, le détenu à l’origine de l’incendieaurait dû être considéré comme dangereux dès lors qu'il avait été condamné pour violences et voiesde fait avec arme, il s'était auto-mutilé durant sa détention et avait tenté de se suicider dans sa cellulepar pendaison.En ce qui concerne les menaces proférées, les juridictions françaises n'ont pas eu à seprononcer. Mais nous estimons, compte tenu de la jurisprudence européenne relative à l'applicationde l'article 2, et de la législation pénale des droits grec et français, que de telles menaces doiventégalement constituer un critère d'appréciation de la dangerosité des détenus, du moins lorsqu'il s'agitde menaces proférées de manière répétée.4. Les défaillances en matière de prévention du suicideC’est depuis 1973 que la responsabilité de l’administration pénitentiaire pour le suicide d’undétenu a été retenue. Ce fut dans l’affaire Zanzi, pour faute lourde due au défaut d'administrer untraitement médical prescrit par les médecins à l’égard d’un détenu placé en observation au centremédico-psychologique de la prison (Zanzi, 1973) 343 . Elle a depuis été retenue pour le même défautcombiné avec le défaut de surveillance, du fait que la personne avait été placée en celluled’isolement (1981 344 ), pour le simple défaut de surveillance d’une personne faisant l’objet des soinsmédico-psychologiques (1988 345 ), mais aussi d’une personne ayant des tendances suicidaires sanssouffrir de troubles mentaux (2001). A propos de ce dernier cas, le Conseil d’Etat a précisé que la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...341 D 26561/95 (Rebai/France), préc., p. 81.342 Ibid.343 Le Conseil d'Etat a estimé que le fait que ce détenu, placé en observation au centre médico-psychologiquede la Santé, ait été laissé sans traitement particulier pendant plusieurs semaines, alors qu'il avait fait destentatives dans le passé « a constitué de la part des services médicaux une faute lourde de nature à engager laresponsabilisé de l'Etat », CE, 14 nov. 1973, Zanzi, Leb, p.645. (indemnité du préjudice 30 000 F).344 Par un arrêt du 13 décembre 1981, le Conseil d’Etat a considéré que le suicide d’un jeune détenutoxicomane, survenu douze jours après son incarcération, n’avait été rendu possible qu’en raison du défautd’exécution du traitement prescrit par le médecin psychiatre ajoutant ; par conséquent, « pareille négligence,alors surtout que ce détenu avait été placé en cellule d’isolement, échappant ainsi à un contrôle constantnotamment de la part de ses compagnons » était constitutive d’une faute lourde de nature à engager laresponsabilité de l’Etat.345 Par un arrêt du 16 novembre 1988, le Conseil d’Etat a retenu la responsabilité de l’Etat à raison du suicided’un détenu qui faisait l’objet d’une surveillance et de soins particuliers de la part du service médicopsychologiquede l’établissement ; il avait été laissé seul dans sa cellule de sécurité où des surveillantsl’avaient trouvé inanimé à même le sol, sans que ces derniers ne prennent de mesure de surveillancecomplémentaire ni n’avisent de ces circonstances leurs supérieurs hiérarchiques ou le service médical.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


surveillance ne se limite pas au placement de la personne en cellule double mais qu’elle doitcomporter également la mise en place des rondes et contre-rondes 346 .199Nous pouvons noter une évolution dans l’évolution du fondement de la responsabilité poursuicide vers une responsabilité pour risque prévisible. En 2003, le Conseil d’Etat l’a retenue, dansl’affaire Karima, pour manquement à l’obligation de notifier « dans les délais les plus brefs »l'ordonnance prolongeant une détention 347 . Il a jugé que cela peut générer un état psychiquesusceptible de rendre un suicide prévisible. Ce qui fut le cas de cette victime. Cette omission dupersonnel l’avait mis hors de lui et, malgré ses protestations « véhémentes » à la prolongation de sadétention, le personnel n’a pas pris la peine de vérifier son état pénal ni de le surveiller vu son étatpsychique, commettant ainsi des « fautes imputables au service pénitentiaire » 348 .Encore faut-il que les proches de la victime puissent établir que les autorités pénitentiairesauraient dû la surveiller. Ainsi, le 19 octobre 2005, la Chambre d’instruction de la Cour d’appel deVersailles a rendu un non-lieu dans une affaire de poursuites pénales contre la directrice d’unemaison d’arrêt pour le suicide d’un détenu. Celui-ci, qui avait un profil dépressif et suivait àl’extérieur un traitement antidépresseur et anxiolytique, s’était suicidé quelques jours après sonincarcération suite à l’interruption de son traitement médical faute de visite médicale au moment deson écrou. La Chambre a fondé son ordonnance de non-lieu sur l’absence, à l’époque des faits, del’obligation de procéder à un examen des arrivants dans les 24 heures (comme c’est le cas depuis laCirculaire du 29 mai 1998), et à l’absence de l’information de la directrice sur les antécédentsmédicaux de la victime en raison du secret médical. La Chambre a souligné que la directrice n’étaitpas informée de son état et que de toute manière « il est constant » que les directeurs des prisons et lepersonnel administratif n’ont pas accès au dossier médical en raison du « secret médical » (art.D. 375 CPP).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Signalons, par rapport aux défaillances dans cette dernière affaire, qu’elles sont contraires à lajurisprudence de la Cour qui exige un examen médical au moment de l’écrou (pour décider le lieu del’affectation et la nécessité de prise en charge immédiate des détenus dangereux pour autrui ou poureux-mêmes) ainsi que la communication du dossier médical entre autorités pénitentiaires etmédicales, à laquelle le secret médical ne peut pas s’opposer 349 . Aussi, même le délai de 24 heuresprévu dans la Circulaire française de 1998 en cas d’écrou durant le week-end, ne peut-il être justifié<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008346 Par une décision du 5 décembre 2001, le tribunal administratif de Rouen a retenu la responsabilité de l’Etatà la suite du suicide d’un détenu, survenu huit jours après son incarcération ; l’administration pénitentiaire,informée de ses tendances suicidaires, l’avait placé en cellule double mais n’a pas pris de mesures desurveillance appropriées à son état, notamment la mise en place de rondes et contre-rondes.347 Conformément aux prescriptions de l'article 183 du code de procédure pénale.348 Conseil d'Etat, 23 mai 2003, Karima, (n°244663).349 C’est ce que laisse déduire le raisonnement suivi par la Cour dans l’arrêt Paul et Audrey Edwards c. R.U.,précité, § 61.


200eu égard à cet impératif de sécurité des personnes. La moitié des suicides se produirait dans lapremière journée, et un quart dans la première heure 350 . Toutefois, le constat des manquements fait,en 2005 par des professionnels de la santé dans les prisons françaises est que, malgré les circulairesde 1998 et 2002 concernant la prévention de suicides et prévoyant l’examen des arrivants 351 , peu dedétenus sont examinés à ce moment crucial du temps de la détention 352 . Ce qui mesure l’étendue dela défaillance à l’obligation de « devoir savoir » le risque d’un suicide.C. L’obligation de mener une enquêteTant le droit grec que le droit français appliquent en prison le régime de responsabilité pénaledu droit commun pour atteinte à la vie des détenus quel qu’en soit l’auteur. Ce régime prévoit uneenquête d’office quels que soient le lieu et la cause apparente de la mort, tant en droit grec 353 qu’endroit français 354 . En théorie, le système d’enquête prévu, répond aux exigences européennes : « Iln'est donc pas douteux que l'information pour ‘recherche des causes de la mort’ est, en principe, une‘enquête officielle’ susceptible de mener à l'identification et à la punition des responsables », avaitconsenti la Cour dans l’arrêt Slimani 355 concernant le droit français sur la mort d’une personnedétenue dans un centre de rétention pour étrangers. Elle a toutefois rappelé que, concernant la mortdes personnes privées de leur liberté, cette obligation positive prend une dimension particulière enraison de leur vulnérabilité 356 , surtout si les détenus décèdent dans des conditions suspectes 357 .Pour ce qui est de l’enquête pénale en droit français dans le contexte carcéral, le seul point derenforcement consiste dans la pratique systématique d’une autopsie. Pour le reste, la procédure estidentique à celle menée à l’extérieur. Mais la Cour a, au moins à deux reprises, condamné l’enquêtepénale menée en France sur la mort des personnes privées de leur liberté : dans l’affaire Slimani,susmentionnée, et dans l’affaire Taïs pour la mort dans une cellule de dégrisement (cellule dans leslocaux de police pour personnes arrêtées en état d’ivresse et dangereuses pour elles-mêmes et/oupour l’ordre public). Dans la première affaire, la Cour avait critiqué l’accès insuffisant des victimes à<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...350 B. <strong>LA</strong>FORET, Site www. santé-prison.org.351 JUSE9840034C du 29 mai 1998 et JUSE0240075c du 24 avril 2002.352 M. VEL<strong>LA</strong>, « Intervention du médecin auprès des personnes en garde à vue », in Congrès national deUCSA, Rapport, Lyon, juin 2005.353 Le procureur déclenche les poursuites pénales lorsqu’il a été informé par la commission d’une infractionpénale (art. 43.CPP grec).354 « En cas de découverte d'un cadavre, qu'il s'agisse ou non d'une mort violente, mais si la cause en estinconnue ou suspecte, l'officier de police judiciaire qui en est avisé informe immédiatement le procureur de laRépublique, se transporte sans délai sur les lieux et procède aux premières constatations », (art. 74, al.1 CPP).355 CEDH, Slimani c. France, préc., § 44.356 Les obligations des Etats contractants prennent une dimension particulière à l'égard des détenus, ceux-ci setrouvant entièrement sous le contrôle des autorités : vu leur vulnérabilité, les autorités ont le devoir de lesprotéger », CEDH, Slimani c. France, préc., § 27.357 « Selon la Cour, il en va de même dans tous les cas où un détenu décède dans des conditions suspectes : une« enquête officielle et effective » de nature à permettre d'établir les causes de la mort et d'identifier leséventuels responsables de celle-ci et d'aboutir à leur punition doit, d'office, être conduite », CEDH, Slimanic.France, préc., §30.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


201l’enquête : « Une telle enquête ne saurait être qualifiée d'‘effective’ que si, notamment, les prochesde la victime sont impliqués dans la procédure de manière propre à permettre la sauvegarde de leursintérêts légitimes ». Et de confirmer l’importance de cette exigence dans la mort des personnes qui setrouvaient entre les mains des autorités 358 .En effet, jusqu’aux faits survenus dans cette affaire, la victime ne pouvait accéder au dossierd’enquête que si elle se constituait partie civile. Or, la Cour a estimé que exiger que les proches dudéfunt déposent une plainte avec constitution de partie civile pour pouvoir être impliqués dans laprocédure d'enquête contredirait ces principes. « Dès lors qu'elles ont connaissance d'un décèsintervenu dans des conditions suspectes, les autorités doivent, d'office, mener une enquête à laquelleles proches du défunt doivent, d'office également, être associés 359 ».Alors que cette affaire était pendante devant la Cour, une réforme a eu lieu en 2002, permettantaux membres de la famille ou aux proches de la personne décédée ou disparue de se constituer partiecivile à titre incident 360 . Des lois votées en 2004 361 et 2007 362 ont encore amélioré cet accès desvictimes pour des enquêtes sur des infractions impliquant des atteintes à la personne. Le juged'instruction avise tous les six mois la partie civile de l'état d'avancement de l'information. De plus, sila partie civile le demande, l'information relative à l'évolution de la procédure prévue par le présentarticle intervient tous les quatre mois, et la partie civile est convoquée et entendue à cette fin par lejuge d'instruction 363 . Le juge d'instruction donne connaissance des conclusions des experts auxparties et à leurs avocats. Il leur donne également connaissance, s'il y a lieu, des conclusions desrapports (art. 167 CPP).Au delà de cette garantie, la victime peut être assistée d'un avocat, lequel peut obtenir copiedes pièces de la procédure (article 114 du code de procédure pénal). Et elle peut demander au juged'instruction d'ordonner toutes mesures utiles (art. 81 CPP) ; de procéder à l’audition des témoins, àune confrontation ou à un transport sur les lieux ; d'ordonner la production par une autre partie d'unepièce utile à l'information (art. 82-1 CPP) ou une expertise, un complément d'expertise ou unecontre-expertise (art. 156 et 167 CPP).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008358 « Elle estime qu'il doit en aller ainsi dès lorsqu'une personne décède entre les mains d'autorités », CEDH,Slimani c.France, préc., §32 Voir CEDH, Paul et Audrey Edwards c. R.U., préc., § 73.359 CEDH, Slimani c. France, préc., §47.360 « Les membres de la famille ou les proches de la personne décédée ou disparue peuvent se constituer partiecivile à titre incident », Inséré dans le code de procédure pénale par la loi n o 2002-1138 du 9 septembre 2002,JO, 10 septembre 2002.361 Loi nº 2004-204 du 9 mars 2004, JO, 10 mars 2004.362 Loi nº 2007-297 du 5 mars 2007, JO, 7 mars 2007.363 « En matière criminelle, lorsqu'il s'agit d'un délit contre les personnes prévu par le livre II du code pénal oulorsqu'il s'agit d'un délit contre les biens prévu par le livre III du même code et accompagné d'atteintes à lapersonne, le juge d'instruction avise tous les six mois la partie civile de l'état d'avancement de l'information »,(art. 90-1 CPP).


Toutefois l’affaire Taïs, jugée en juin 2007, a permis de révéler la persistance des défaillancesqui violent le droit à la vie. Dans cette affaire, la France a été condamnée pour enquête inefficacedans le cadre de la mort d’une personne en garde à vue en raison, entre autres, de l’impuissance desvictimes d’exiger des actes d’instruction. Cette enquête avait duré dix ans. Alors que, rappela laCour, mener l’enquête dans de « brefs délais » est considéré comme une mesure « essentielle pourpréserver la confiance du public dans le principe de la légalité et pour éviter toute apparence decomplicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux ». De surcroît, la Cour a retenu que lacontre-expertise a été rendue trois ans après les faits 364 ; que le juge d’instruction n’a entendu luimêmeles policiers que quatre ans après les faits 365 . En plus de ces manquements, la Cour a critiquéle fait que le juge a refusé aux victimes la reconstitution des faits. Alors que « à l’évidence, unereconstitution aurait pu permettre d’établir avec plus de certitude l’origine de la lésion spléniqueayant entraîné la mort de P. Taïs à partir du moment où il est devenu évident que les violencesétaient survenues au cours de la détention 366 ».Le refus d’effectuer une contre-autopsie est systématique en droit français. C’est en partant dece constat que le Sénat avait recommandé, dès 2000, qu’une demande de contre-autopsie devraitsystématiquement être satisfaite. Il avait souligné à propos du suicide : « Confrontée à un drame, elle(la victime) peut être amenée à " douter " de la réalité du suicide, ce qui nuit profondément à l'imagede l'administration 367 ».Enfin, on peut se demander si le droit français ne pose toujours pas de problème deconformité avec l’article 2 de la Convention. La réforme intervenue entre-temps donne la possibilitéaux proches de la victime de se constituer partie civile « à titre incident » dans le cadre d’uneinformation ouverte par le parquet si la personne est décédée, mais pas si la personne est simplementblessée 368 . Par ailleurs, toujours à propos de la publicité de l’enquête, l’IGAS/IGSJ avait relevé, dansun Rapport rendu en 2001 369 , un problème de transparence regrettable, surtout dans des cas desuicide : les conclusions des analyses d’autopsie et toxicologiques sont confidentielles en raison dusecret d’instruction et d’enquête (art. 11 CPP), ce qui ne permet pas au personnel pénitentiaire et auxsoignants d’analyser les causes et d’en tirer les leçons pour améliorer la prévention du suicide.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En droit grec, le seul point de renforcement concernant l’enquête pour atteinte à la vie desdétenus est constitué par le rôle attribué au Procureur de la République. Etant chargé du contrôle202364 CEDH, Taïs c. France, préc.,§ 106.365 Ibid., § 107.366 Ibid., § 108.367 SENAT, Prisons : une humiliation pour la République, Rapport n° 449, 1999-2000.368 Inséré dans le code de procédure pénale par la loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 (journal officiel du 10septembre 2002), l'article 80-4, al. 2 du code de procédure pénale est rédigé comme il suit : « (...) Les membresde la famille ou les proches de la personne décédée ou disparue peuvent se constituer partie civile à titreincident ».369 IGAS/IGSJ, L’organisation des soins aux détenus, Rapport, juin 2001.


203d’exécution des peines, il doit se rendre à la prison au moins une fois par semaine. Pendant cesvisites hebdomadaires, il reçoit en audition tous les détenus qui en font la demande et enregistre leurséventuelles plaintes (art. 572 CPP grec). Nous ne disposons pas de jurisprudence ni nationale nieuropéenne permettant d’évaluer l’efficacité de l’enquête pénale en Grèce dans ce contexte, à partl’affaire Peers, dans laquelle la Commission avait jugé comme effectifs les recours existant en droitgrec contre des mauvaises conditions de détention 370 .Au terme de cet examen de la garantie du droit à la vie dans les droits français et grec auregard de l’article 2 de la Convention, à part des défaillances dans les enquêtes pénales, nouspouvons constater que ces droits nationaux se montrent plus protecteurs que ne le demande la Courdans les obligations positives, en tout cas en matière de responsabilité de l’Etat pour omission,négligences, faute de service. Certes la responsabilité est limitée à celle pour faute. Et certainsauteurs se sont interrogés sur la possibilité d'étendre sa responsabilité en adoptant la théorie de laprésomption de la responsabilité ou la théorie du risque 371 en raison de la situation particulière dudétenu (n'ayant pas la même possibilité de se soustraire à un danger qu'une personne libre). Mais ilspréfèrent l'appréciation au cas par cas en application d'un critère unique, mais assez souple pourcouvrir tous les cas de figure, celui de « faute de nature à engager la responsabilité del’administration pénitentiaire » 372 . Ce qui est en conformité avec la CEDH dans son applicationactuelle. Au sein de celle-ci, la responsabilité des Etats est appréciée dans chaque cas d'espèce enapplication du critère unique, celui de manquement à l'obligation de prendre des « mesuresadéquates » afin d’écarter les dangers pour la vie et l'intégrité physique.En revanche, ces deux droits nationaux sont défaillants au regard des obligations négatives.Rappelons que l’application générale, l’objectif d’empêcher les évasions et d’assurer l’ordre et lasécurité dans les prisons, ne peut pas suffire à justifier l’usage de la force. Son usage ne peut êtrelégitime qu’en présence d’un danger physique. Il doit, de surcroît, être proportionnel à ce danger etremplir les autres précautions exigées par la Cour visant à limiter au minimum le risque pour la vieou l’intégrité des personnes visées. Or ces deux droits nationaux seraient en infraction. Empêcher lesévasions et arrêter une personne évadée ne peuvent justifier l’usage de la force mortelle. De ce fait, ily a acceptation implicite que le contenu légitime de la peine privative de liberté puisse aller jusqu’à<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008donner la mort si la personne tend à s’échapper de son application.Enfin, tant l’étude de ces droits nationaux que celui des cas portés devant la Cour montre quela prison génère des risques supplémentaires par rapport à l’extérieur aussi bien à cause de370 D 28524/95 (Peers/Grèce), 21.5.1998.371 F. MO<strong>DE</strong>RNE, « La responsabilité des services pénitentiaires à raison des dommages subis par lesdétenus », préc., p. 578 ; P. PONCE<strong>LA</strong>, « La responsabilité du service public pénitentiaire à l’égard de sesusagers détenus », préc.372 F. MO<strong>DE</strong>RNE, « La responsabilité des services pénitentiaires … », préc., pp. 578-579.


l’élargissement du champ de recours à la force, qu’à cause des conditions de vie tant matériellesqu’organisationnels qui constituent des facteurs supplémentaires de risque pour la vie.204*Dès lors, l’état actuel de l’organisation matérielle de la vie en prison et la réglementation del’usage de la force dans les droits grecs et français, montre que cette peine porte en germe le risquede sa mutation vers une peine physique. L’étude de l’application dans la prison de l’interdiction despeines et traitements inhumains ou dégradants et a fortiori de la torture permet d’établir si cettemutation trouve toutefois des limites claires et absolues dans ces interdits.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


205TITRE II. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’INTERDICTION ABSOLUE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong>TORTURE ET <strong>DE</strong>S PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU <strong>DE</strong>GRADANTSAvec l’examen de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains oudégradants, nous passons à la question de la compatibilité de la peine privative de liberté avec lavaleur fondamentale des droits de l’homme : la dignité. Tous les droits de l'homme sont inspirés parla dignité, souligne la Cour européenne des droits de l'homme 883 . On parle même de « principematriciel », de « socle des droits fondamentaux », voire « leur raison d’être » 884 .En effet c'est au nom de la dignité qu'est proclamée la Déclaration universelle des droits del'homme. Son Préambule s’ouvre avec cette phrase : « Considérant que la reconnaissance de ladignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénablesconstitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. » Au lendemain desatrocités commises durant la deuxième guerre mondiale, la dignité est devenue une « exigenceéthique suprême » 885 ne tolérant aucune considération opposable à son respect. Il ne peut y avoird'opposition entre moi et autrui, entre le respect d’un homme et l’intérêt général. « La présence duvisage - l'infini de l’autre - est dénuement, présence du tiers (c'est-à-dire de toute l'humanité qui nousregarde) et commandement qui commande de commander » ; « Le tiers me regarde dans les yeuxd'autrui... l'épiphanie du visage comme visage, ouvre l'humanité 886 », nous enseigne le philosophe,Emmanuel Levinas.Mais si la dignité constitue le fondement des droits de l’homme et de la liberté au sens large,cette dernière constitue, à son tour, la condition indispensable pour assurer le respect de la dignité :« Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme », disait Rousseau 887 . Sans liberté, lapersonne est privée de la condition indispensable, l'autonomie, pour construire son identité en tantqu'être de raison capable d’autodétermination.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Ayant à l’esprit cette importance de la dignité et de son lien intrinsèque à la liberté, nousentrons dans l’opposition, a priori, frontale entre le respect de la dignité de la personne et la peineprivative de liberté. Beccaria disait à propos de la torture : « Il est absurde qu'on veuille ainsi laver883 CEDH, Soering c. R.U., préc., §§ 87-88.884 Voir à ce propos les citations de Jean-Fransçois Renucci dans son ouvrage Traité de droit européen desdroits de l’homme, précité, p.1..885 M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Pour un droit commun, Paris, Seuil, 1994, p. 178.886 E. <strong>LE</strong>VINAS, Totalité et infini, Paris, Le livre de poche, 1990, pp. 234-235.887 J.I. ROUSSEAU, Du contrat social, livre I, ch. IV, 2 e éd., Garnier Flammarion, 1762, pp. 45-46.


206l'infamie par l'infamie même 888 . » Effectivement la privation de liberté était considérée dans lesdémocraties anciennes comme une peine indigne pour les citoyens, les hommes libres 889 . PourSocrate, mourir était plus digne pour l'homme que d'être privé de liberté : «... La réclusion ?Pourquoi vivrais-je en prison, esclave des gens qui seraient tour à tour préposés à ma garde desOnze ? 890 . »La Cour elle-même, admet que cette peine comporte des aspects d’humiliation voir desouffrance mais qui seraient jusqu’à un degré compatibles avec le respect de la dignité : « Lasouffrance ou l'humiliation doivent aller au-delà de ce que comporte inévitablement une formedonnée de traitement ou de peine légitime 891 . » Or si Tocqueville, tout en lui reconnaissant de telseffets, les justifiait au XIXe siècle, en tant que partie intégrante de la souffrance de cette peine 892 ,aujourd’hui, sous l’ère des droits de l’homme devenus des normes de droit positif, de tels effets sontembarrassants.Comment alors la Cour, gardienne suprême du respect de ces droits, concilie-t-elle privationde liberté et respect de la dignité ? Cette question se pose même si la dignité est entendue dans unsens délimité au sein de l’ensemble des droits de l’homme. Car ainsi que l’a fort bien souligné Jean-Fransçois Renucci, si « la notion de dignité a toujours irrigué la philosophie des droits de l’homme »,elle « possède une certaine autonomie juridique par rapport aux droits fondamentaux » 893 . Avant d’yrépondre, il conviendrait de cerner le sens juridique de la notion de dignité et de présenter lesexigences européennes de sa protection (Paragraphe introductif).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>888 « La prétendue nécessité de purger l'infamie est encore un des motifs absurdes de l'usage des tortures. Unhomme déclaré infâme par les lois devient-il pur, parce qu'il avoue son crime tandis qu'on lui brise les os ? Ladouleur, qui est une sensation, peut-elle détruire l'infamie, qui est une combinaison morale ? La torture est-elleun creuset, et l'infamie un corps mixte qui vienne y déposer tout ce qu'il a d'impur ? », BECCARIA, Des délitset des peines, Paris, Flammarion, 1979, p. 77.889 A. MELLOR, La Torture : son histoire, son abolition, sa récupération au XX e siècle, Paris, 1949, pp. 43-45et 52-53.890 P<strong>LA</strong>TON, Oeuvres complètes, t.1, Apologie de Socrate, Paris, Les Belles Lettres, 1920, p. 166.891 CEDH, T. c. R.U, [GC], préc., § 69. V° CEDH, Costello-Roberts c.R.U., préc. ; CEDH, Kudla c.Pologne[GC], préc., §§ 92-94 ; CEDH, Ilacu et autres c. Moldavie et Russie [GC], n° 48787/99, CEDH-2004-VIII ;CEDH, Kalashnikov c. Russie, préc., § 95 ; CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], n° 59450/00, CEDH2006-VII, § 119 ; CEDH, Popov c. Russie, n° 26853/04, CEDH 2006-VII, § 208 ; CEDH, Kadiis c. Lettonie(n° 2), n o 62393/00, CEDH 2006-V, § 56.892 « …Si dans les prisons les chances de longévité ne sont pas très inférieures à ce qu'elles eussent été pour lesmêmes hommes en liberté, le but raisonnable est atteint. L'humanité est satisfaite », Voir infra, le chapitre surles soins.893 J. F. RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’homme, LGDJ, 2007, p.2. Voir aussi, Ch.GIRARD, S. HENNETTE-VAUCHEZ (dir.), La dignité de la personne humaine : recherche sur un processusde judiciarisation, PUF, 2005.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


207PARAGRAPHE INTRODUCTIF : <strong>SENS</strong> ET PROTECTION <strong>JURIDIQUE</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> DIGNITEIl importe dans un premier temps, de souligner sur un plan universel, les difficultés de définirjuridiquement cette notion et la subsistance des doctrines contestant sa considération comme unevaleur absolue (A), avant de présenter sa définition européenne (B) et le système européen de saprotection (C) ainsi que les principes qui régissent son respect à l’égard des personnes détenues (D).A. Observations liminaires sur la définition de la dignité et sur sa valeur absolueIl est vain de chercher une définition de la dignité en termes positifs. Comme l'écrit MireilleDelmas-Marty, la dignité est un bien « si précieux, qu'on n'ose pas le nommer, sinon parl'interdit 894 ». En effet, le droit témoigne de cette impuissance du langage. Si tous les droits del'homme sont inspirés par la dignité 895 , ce mot est souvent omis de leurs textes. Néanmoins uneconception de la dignité comme expression d'une valeur suprême est consacrée sous formed'interdits : l'interdiction de la torture, des traitements cruels, inhumains ou dégradants et des peinescruelles, inhumaines ou dégradantes. Ces actes sont en effet prohibés de manière absolue par laDéclaration universelle des droits de l'homme (art. 5), la Convention européenne des droits del'homme (art. 3), la Déclaration sur la protection des personnes contre la torture et autres peines outraitements inhumains ou dégradants (9 décembre 1975), la Convention des Nations Unies contre latorture et autres peines inhumaines ou dégradantes (10 décembre 1984), la Convention européennepour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (26 novembre1987), et le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines outraitements cruels, inhumains ou dégradants (18 décembre 2002), qui est en cours de ratification.Pourtant, même sous forme d'interdits, la définition de la dignité n'est pas aisée. Il estsymptomatique à cet égard qu'un consensus n'ait été trouvé au niveau international qu'autour del'interdit le plus grave, la torture, et cela seulement en 1984. La Déclaration sur la protection despersonnes contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants (1975) avaitsimplement précisé que « la torture constitue une forme aggravée et délibérée de peines ou detraitements cruels, inhumains ou dégradants » (art. 1 §1) 896 . Il a fallu attendre la Convention contre latorture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, adoptée par l'ONU le 10 décembre1984, pour qu'une définition soit donnée : « Aux fins de la présente Convention, le terme torturedésigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sontintentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tiercepersonne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008894 M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Pour un droit commun, préc., p. 177.895 CEDH, Soering c. R.U., préc., §§ 87-88.896 ONU, Doc. A/10403, point 74, 1975.


208commis, ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur une tiercepersonne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit,lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publiqueou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentementexpress ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement desanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnés par elles » (art. 1).A l'origine de l'incorporation de l'élément psychique dans cette définition de la torture setrouve le Comité suisse contre la torture, créé en 1977. Son fondateur estimait que « l'atrocité de latorture ne résidait pas tant dans la souffrance physique insupportable, que dans l'avilissement del'homme qui vient de trahir ses amis, sa foi, la cause pour laquelle il se bat, qui en vient à se renierlui-même 897 ». Néanmoins, cette définition attire également des critiques. Ainsi, le professeurMaxime Tardu, constatant combien les notions de « tortures » et de « traitements inhumains etdégradants » sont fondées sur la souffrance, suggère de repenser cette conception traditionnelle :« Héritée de l'inquisition médiévale, elle ignore les techniques modernes électroniques etpsychologiques de contrôle des esprits qui dépersonnalisent la victime sans qu'elle ressente aucunedouleur » 898 ».Peut-être la définition donnée par the American Association for the Advancement of Sciencerépond-elle mieux à cette exigence. Selon cette Association, la torture peut être physique (coupsprolongés, chocs électriques, brûlures de cigarettes, suspensions, étouffement par submersion dansl'eau, stationnements debout prolongés...), psychologique (comme les simulations d'exécutionsdoivent être considérés comme des tortures psychologiques) et psycho-pharmaceutique (incluantnotamment les overdoses de drogues psychotropes ou de produits toxiques qui provoquent dessouffrances aiguës, des lésions internes, de la désorientation, de l'anxiété ou d'autresperturbations 899 ).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A la lumière de ces définitions et remarques, nous pouvons dire que les atteintes quitombent dans le champ juridique de protection de la dignité sont des actes de souffrance physique oupsychique, des actes de simple humiliation, ainsi que l'usage des procédés de toute nature visant àanéantir ou à manipuler la personnalité.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008897 F. <strong>DE</strong> VARGAS, « Présentation de la Convention européenne pour la prévention de la torture », Annales dela Fondation Marangopoulos pour les Droits de l'Homme, Athènes, 1991, pp. 225-237.898 M. TARDU, « Les Nations-Unies contre la torture : vers l'option zéro », Annales de la FondationMarangopoulos pour les Droits de l'Homme, Athènes, 1991, pp. 216-224. Voir le texte de cette Conventiondans la Feuille d'information de l’ONU, n° 20, mai-oct. 1986.899 American Association for the Advancement of Science, The Breaking of Bodies and Minds: torture,psychiatric abuse, and the health professions, STOVER E (dir); NIGHTINGA<strong>LE</strong> EO (dir), Etats-Unis,Freeman and Co., 1985, p. 6.


209Mais la dignité ainsi délimitée jouit-elle de la protection absolue ?De toutes les valeurs des sociétés démocratiques, il ne fait pas de doute que la préservationde la dignité de l'homme contre les atteintes les plus graves, au premier rang desquelles se trouve latorture, est la plus fondamentale. Rappelons que dans les démocraties antiques (d'Athènes et deRome) la torture était interdite de manière absolue à l'égard des citoyens. Alec Mellor affirmequ'aucune justification n'autorisait la soumission d'un citoyen à la torture même devant un périlnational imminent, même lorsque « le danger était aux portes de Rome 900 ». Lors des travauxpréparatoires de la Convention européenne des droits de l'homme, un des membres chargés de sapréparation, Cocks, avait proposé l'amendement suivant : « Mieux vaudrait encore voir périr lasociété que laisser subsister de tels vestiges de barbarie » ; « la défense de la torture doit êtreabsolue ; elle ne peut être tolérée quel que soit le but : arracher des aveux, sauver la vie et mêmepour assurer la sécurité de l'Etat 901 ». Cet amendement n'avait pas été retenu pour ne pas modifierl'équilibre de la Convention en soulignant l'importance particulière d'une de ses dispositions.Toutefois, à travers la jurisprudence relative à l'application de l'article 3, la Cour a clairementreconnu une telle importance à l’interdiction de la torture mais aussi à l'interdiction des traitementsinhumains ou dégradants. Elle a maintes fois réitéré : « L'article 3 de la Convention consacre l'unedes valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, et à ce tire, prohibe en termes absolus latorture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants. L'article 3 ne prévoit aucune exceptionà cette valeur fondamentale, et d'après l'article 15, il ne souffre nulle dérogation, même en cas dedanger public menaçant la vie de la nation ou de soupçon, aussi bien fondé soit-il », « même dans lescirconstances les plus difficiles, telle la lutte contre le terrorisme et le crime organisé », et « quelsque soient les agissements de la victime » 902 , y compris des actes terroristes 903 . La Conventioneuropéenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants,signée au sein du Conseil de l’Europe le 26 novembre 1987, est venue renforcer l’efficacité de cetinterdit absolu. Des droits nationaux reconnaissent à la dignité le caractère de valeur absolue, àl’instar du droit grec qui assortit l’interdiction de tout atteinte à la dignité de l’exclusion de toutjustification, y compris celle de l’obéissance à un ordre hiérarchique (art. 137D §1, C. pén.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...900 A. MELLOR, La Torture : son histoire, son abolition, sa récupération au XX e siècle, préc. Cet auteurrapporte que la torture en Grèce et à Rome était interdite de manière absolue à l'égard uniquement despersonnes qui avaient le titre de citoyen. Aucune justification n'autorisait la soumission d'un citoyen à la torturemême devant un péril national imminent : même lorsque « le danger était aux portes de Rome », voirnotamment pp. 43-45, et 52-53.901 Conseil de l'Europe, Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne de droits de l'homme,vol. III, Débats du 2 février-10 mars 1950, pp. 13-15.902 CEDH, Aydın c. Turquie, n°23178/94, 25 septembre 1997, Recueil 1997-VI, § 81. V° CEDH, Aksoy c.Turquie, n° 21987/93, 18 déc. 1996, Recueil 1996-VI, § 62 ; CEDH, Selmouni c. France [GC], n o 25803/94,CEDH 1999-V, § 95 ; CEDH, Chahal c. R.U, n°22414/93, 15 nov. 1996, Recueil 1996-V, § 79 ; CEDH,Assenov et autres c. Bulgarie, n° 24760/94, 28 oct. 1998, Recueil 1998-VIII, § 93 ; CEDH, Labita c. Italie[GC], n°26772/95, CEDH 2000-IV, § 119 ; CEDH, Pantea c. Roumanie, n° 33343/96, CEDH 2003-VI, § 190 ;CEDH, Ramirez Sanchez c.France, préc., §§ 95-96 ; CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, n° 58438/00,CEDH 2004-XI, § 120.903 CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


210Cela dit, même limitée à l'interdiction de ces traitements, la dignité n'a pas encore gagné sontitre de noblesse de valeur absolue. Premièrement, parce qu'une telle valeur a du mal à fairel'unanimité dans la société internationale mais aussi européenne. Certains auteurs soutiennent que laquestion de son usage doit être arbitrée par l'application du principe utilitariste : « La torture peut êtreune activité morale, si elle produit plus de bien que de mal 904 ». C'est-à-dire si elle permet de sauverla vie des innocents ou l'ordre établi. Tel est également l'argument de Brian Crozier 905 , qui citecomme exemples réussis d'application de la torture, en France, aux terroristes et opposants politiquesalgériens (1957), en Turquie, contre l'Armée de libération du peuple turc (1971) ou, en Uruguaycontre les Tupamaros (1972) 906 .Une telle conception semble être encore admise dans certains pays, y compris ceux qui seréclament de la démocratie. Ainsi, selon un rapport qu'Amnesty International publiait en 1994, tel estle cas d'Israël 907 . Le 7 mai 1997, à l’issue de l’examen d’un rapport qui lui avait été soumis parIsraël, le Comité contre la Torture des Nations Unies jugeait que les « méthodes interrogatoires »utilisées étaient constitutives de « tortures » au sens de l’article 1er de la Convention de l’ONUcontre la Torture 908 . Bien que la Cour suprême israélienne ait, en 1999, interdit la torture, unemission d'enquête internationale, qui s’était déroulée du 17 au 22 février 2003, a conclu que lesforces de sécurité israéliennes continuaient à pratiquer de mauvais traitements ainsi que la torture etque ces faits se déroulaient dans une impunité voulue et assumée par le gouvernement israélien 909 .Les Etats-Unis ont également franchi le pas dans le contexte de la « guerre » contre leterrorisme depuis les attentats du « 11 septembre » en recourant à un double stratagème pour éviterles problèmes au regard de leur système juridique : d’une part, en délocalisant les lieux de détentionarbitraire et de torture hors des lieux d’application des lois américaines (comme le Guantanamo) ;d’autre part, en redéfinissant la notion de torture : celle-ci ne comprendrait pas le supplices denoyade ni d’autres « techniques d'interrogatoire poussées» et non précisées. Selon le juristeaméricain néoconservateur, Alberto Gonzáles, ce terme désignerait les seuls actes ‘affectantirrémédiablement l’intégrité physique des prisonniers’. En deçà de ce seuil, tout supplice est<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008904 American Association for the Advancement of Science, The Breaking of Bodies and Minds…, préc., p. 6.905 B. CROZIER, A theory of Conflict, N.Y, éd. Scribuer, 1975, cité par l'American Association for theAdvancement of Science, The Breaking of Bodies and Minds, préc., p.37.906 « L'usage de méthodes impitoyables d'interrogatoires rapides et efficaces, a permis de contrôler les activitésqui avaient terrorisé beaucoup des citoyens », Ibid.907 « Under constant medical supervision : Torture, Ill-treatement and professionals in Israel and the occupiedterritories », Compte rendu de ce rapport dans le Monde diplomatique, n° 514, janv. 1997, p. 8.908 Elles incluaient les secousses violentes, les privations de sommeil pendant des périodes prolongées, lespositions douloureuses prolongées, l'isolement cellulaire, le port de cagoules, les privations sensorielles, ainsique la soumission des prévenus à une musique assourdissante pendant un temps prolongé, l’usage de menaceset notamment les menaces de mort, et l’utilisation d’air froid pour glacer les victimes.909 FIDH, Les Prisonniers palestiniens en Israël : conditions inhumaines des détenus politiques, Rapport n°365, juillet 2003.


211légal 910 ». Le gouvernement américain en place depuis la guerre en Afghanistan, après avoir nié lapratique 911 et discuté de la définition de la torture, se réserve le droit de recourir aux méthodes citéescontre un « ennemi combattant illégal », si le but est de prévenir un danger imminent 912 .Même dans les pays membres du Conseil de l’Europe, le recours à la torture n’est pas encoreéradiqué malgré l’interdiction officielle absolue de ce traitement. Ainsi la Cour a condamné pour desactes de torture la Turquie 913 , mais aussi la Russie 914 , la Roumanie 915 , et même la France 916 .Mais il ne faut peut-être pas s'étonner de la survivance de telles positions sur l'usage de latorture 917 . Que peuvent bien peser à peine cinquante ans d'interdiction absolue de la torture, devantune pratique enracinée dans la mentalité humaine par un usage vieux de plus de vingt-cinq siècles decivilisation ? La torture était déjà utilisée bien avant l’ère chrétienne, y compris dans des citésdémocratiques. Si elle était interdite envers des citoyens, en revanche, elle était autorisée envers lesesclaves et de ceux qui n’avaient pas le titre de citoyen 918 . A cet égard les résultats d'une étudemenée en France, en 1991, sur la perception des droits de l'homme dans la société contemporaine 919 ,sont significatifs. Les auteurs ont pu observer que même les personnes qui, s'exprimant de manièreabstraite sur la torture, la condamnaient de manière catégorique, nuançaient leurs propos dès quel'exemple du terroriste menaçant la vie des innocents était cité. Les résultats de cette étude qualitativeont été confirmés lors d'un sondage réalisé le 26 et le 27 septembre 2000, en France. A la question de910 Le monde Diplomatique, Décembre 2005, Igancio RAMONET.911 Pourtant une note, envoyée au Pentagone au printemps 2003 tentait d'établir une ligne de conduite pour lesmilitaires chargés d'interroger ces suspects, faisant valoir que ces derniers n'étaient pas tenus de respecter leslois américaines et internationales interdisant les traitements cruels en raison de l'autorité conférée au présidentaméricain en temps de guerre, « En 2003, le Pentagone autorisait la torture sur les talibans et les membres d'Al-Qaida », Le Monde, 2/4/2008.912 Libération, 6/2/2008913 CEDH , Aksoy c. Turquie, préc. ; CEDH , Aydın c. Turquie, préc. ; CEDH , Dikme c. Turquie, n o 20869/92,CEDH 2000-VIII ; CEDH, Bati et autres c. Turquie, n os 33097/96 et 57834/00, CEDH 2004-IX ; CEDH ,Mammadov c. Azerbaïdjan, n° 34445/04, CEDH, 2007-I.913 CEDH, Aksoy c. Turquie, préc. ; CEDH , Aydın c. Turquie, préc. ; CEDH, Dikme c. Turquie, préc. ; CEDH,Cafer Kurt c. Turquie, n o 56365/00, CEDH 2007-VII ; CEDH, Fazıl Ahmet Tamer et autres c. Turquie,n°19028/02, CEDH 2007- VII.914 CEDH, Cheydaïev c. Russie, n°65859/01, CEDH 2006-XII ; CEDH, Chitayev c.Russie, n°59334/00, CEDH2007-I.915 CEDH, Bursus c. Roumanie, n°42066/98, CEDH 2004-X, § 93.916 CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 101917 Concernant l'évolution de l'usage de la torture, d'instrument de droit vers un instrument de l'Etat et lamutation de son sens juridique en Europe depuis le XIIe siècle jusqu'à aujourd'hui, voir L. CUYON, La Notionjuridique de torture en Europe (XIIe-XXe siècles), Thèse, Paris I, 1994. Sur son usage durant le Moyen Age,voir entre autres, <strong>DE</strong> ROUSSEAU <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> COMBE, Matières criminelles, 4ème partie, notamment p. 418 et s.918 Son usage en Grèce antique dans la procédure criminelle est rapporté par Aristophane dans Les Grenouilles.Dans cette oeuvre « Xanthias énumère les tortures que l'on pratiquait alors. Pour la question, on attachait sur lechevalet, on suspendait, on donnait les étrivières, on écorchait vif, on torturait, on versait du vinaigre dans lesnarines, on chargeait de briques », cité par Desmarze, Les Pénalités anciennes, Paris, 1866, p. 12.919 « La perception des Droits de l'homme dans la société contemporaine: projet d'enquête à partir de lajurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme »,M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, W. DOISE,R. <strong>LE</strong>NOIR, A. PERCHERON avec la collaboration de G. <strong>BECHLIVANOU</strong>, S. DUCHESNE etC. PEYREFITTE in Archives de politique criminelle n°11, 1989, pp.35-58.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


212savoir si la torture est acceptable dans certains cas, alors que sur le principe les personnes interrogéesont massivement répondu non, dès que la qualité de la victime est intervenue, en particulier les« dealers » et les poseurs des bombes, une personne sur quatre a répondu qu'elle pourrait êtrejustifiée. Précisément 34% ont jugé acceptable que des policiers envoient des décharges électriquespour faire avouer une personne soupçonnée d'avoir posé une bombe 920 .Pourtant l'innocence n'étant pas un critère déterminant de l'humanité de l'homme, elle ne peutpas constituer un critère justifiant une protection différente des hommes contre des actes de tortureou des traitements inhumains ou dégradants. Pour le moins, tel ne peut pas être le cas dans unesociété démocratique qui s’est engagée à assurer la protection des droits de l'homme de manièreégale et sans discrimination aucune. Parmi les valeurs d'une telle société, l'interdiction de la torture,des traitements inhumains ou dégradants est une valeur supérieure à la vie, y compris celle desinnocents. Le fait de porter atteinte à cette valeur équivaut à s'humilier soi-même et entraînerl'humiliation de toute l'humanité.Il en est de même de l’argument relatif au maintien de l'ordre établi. L'ordre d'une sociétédémocratique ne peut pas être défendu par n'importe quel moyen, y compris contre les menaces lesplus graves comme le terrorisme. Ainsi que l'a remarquablement souligné Gérard Soulier, « ce seraitplutôt dans la réponse au terrorisme que dans le terrorisme lui-même que se situerait véritablement lamenace pour la démocratie 921 ». Car « il est de l'essence même de la démocratie que tout ne soit paspossible pour le pouvoir 922 ».D'ailleurs, que le respect de certaines limites soit impératif dans une société démocratique, aupoint que l'Etat ne puisse en être affranchi, est affirmé dans l'arrêt Klass et autres. Alors qu'il nes'agissait que de l’ingérence dans le secret de la correspondance, la Cour avait déclaré qu’une loirisque « de saper, voire de détruire, la démocratie au motif de la défendre 923 ». Cette affirmation estalors à plus forte raison valable pour la protection des valeurs de protection absolue au premier rangdesquelles figure incontestablement la protection contre la torture et les traitements ou peinesinhumains ou dégradants et qui, comme nous l’avons souligné, ne souffre d’aucune dérogation mêmeen cas de danger public menaçant la vie de la nation.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008920 Sondage effectué par Amnesty internationale dans le cadre de la campagne mondiale contre la torture, 18octobre 2000 - 10 décembre 2001, avec la collaboration du journal le Monde, disponible auprès duDépartement Communication d'Amnesty-France.921 G. SOULIER, « Lutte contre le terrorisme », in Raisonner la raison d'Etat, Paris, PUF, 1989, pp. 30-31.922 « La Convention a-t-elle prévue que ces limites peuvent être reculées, voire franchies dans certains cas.L'Etat ne peut pas tout faire pour autant : pour lui aussi il y a toujours des limites. De décision en décision, laCour expertise le territoire fluctuant qui se situe entre ces deux limites, celles qui sont imposées aux droits desindividus, celles qui sont imposées au droit de l'Etat », Ibid., p. 32.923 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, n° 5029/71, 6 sept. 1978, Série A n° 28, § 49.


213En effet, malgré ces controverses, il ne fait aucun doute que, au sein du droit européenconventionnel et national, la dignité est reconnue comme une valeur absolue. La question ne portepas tant sur le caractère absolu de sa protection que sur les difficultés de tracer avec précision lescontours de cette notion ainsi que sur l’efficacité du système de sa protection. Ce que montreral’examen du système juridique garantissant sa protection au plan européen ainsi que l’examen qui vasuivre de son application dans la prison.B. La définition européenneC’est par l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradantsque la Convention délimite le sens du droit à la dignité susceptible de bénéficier d’une protectionjuridique (1). Les droits nationaux ont préféré, pour le droit français, de se référer aux textessupranationaux corrélatifs, et pour le droit grec de recourir à une énumération précise des actesperpétrés contre la dignité humaine et pénalement sanctionnés (2).1. La définition établie par la CourLes textes européens ne contiennent aucune définition de la dignité. La Conventioneuropéenne des droits de l'homme se contente d'énoncer, dans son article 3, l'interdiction de latorture et des traitements ou des peines inhumains ou dégradants. Il en est de même du terme de« mauvais traitements » employé par la Convention européenne pour la prévention de la torture (26juin 1987). C’est au moyen de l’application d’un nombre de critères établis par la Cour européenneque le sens des interdits prévus dans l’article 3 est délimité. Celui de mauvais traitements, estdélimité à travers les rapports annuels du CPT.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Ce que nous constaterons c’est que, si ces deux organes du Conseil de l’Europe se réfèrentl’un à l’autre, leurs définitions des traitements interdits ne coïncident pas. Celle du CPT a descontours plus larges, ce qui peut s’expliquer par la nature et le domaine de son intervention. Organepréventif et ne disposant pas de moyens contraignants, il est de son devoir, d’anticiper le pluslargement possible les situations susceptibles de porter atteinte à la dignité. De surcroît, son champ<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d’intervention est limité aux lieux privatifs de liberté, à propos desquels nous verrons, que la Courreconnaît qu’ils constituent un facteur de vulnérabilité des personnes et dont elle tient compte dansl’appréciation des atteintes à la dignité. Aussi, nous nous référions à la notion de mauvais traitementsappliquée par le CPT de manière ponctuelle à propos des actes dont l’appréciation diffère de celle dela Cour. Ce qui interviendra lors de l’examen de l’application de l’article 3 de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme dans la prison.


214La méthode propre à la CourLa méthode utilisée dans l’élaboration de la jurisprudence européenne corrélative, tout entémoignant de la difficulté de définir la dignité en termes positifs, offre les moyens d’identifier lesatteintes. En effet, en conjuguant la présentation de cette méthode et le recensement des actes ouomissions susceptibles de constituer de telles atteintes au sein de cette jurisprudence nous pouvonssaisir l’étendue du champ couvert par la notion de dignité au sens de l’article 3 de la Convention.La méthode suivie par la Cour dans la définition des interdits de l'article 3 est caractériséepar les éléments suivants : l’exigence d’un seuil minimum de gravité pour que les faits litigieuxconstituent un traitement prohibé par l'article 3 924 ; une appréciation relative du seuil de gravité 925ayant recours à un nombre de critères d’appréciation 926 ; la référence à un seuil de gravité gradué quiest qualificatif des trois interdits de l’article 3 : la torture, les traitements inhumains et les traitementsdégradants 927 ; et le caractère évolutif de l’appréciation des seuils de gravité 928 .Mais il est à noter que contrairement aux textes internationaux susmentionnés, au centre dela définition de ces interdits se trouve non la torture mais les traitements inhumains. La torture estdéfinie comme étant une forme de traitements plus grave que les traitements inhumains, et lestraitements dégradants comme des traitements moins graves que ces derniers.Les traitements dégradants sont ceux qui présentent le minimum de gravité requis pourconstituer une violation de l'article 3. Ils sont définis comme des traitements « de nature à susciterchez une personne des sentiments de peur, d'angoisse et d'infériorité propres à les humilier, à lesavilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale 929 ». La Cour a précisé le rôle dedeux autres critères : le caractère public des traitements et l’intention des auteurs. Concernant le<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>924 CEDH, A. c. R.U, n°25599/94, 23 sept. 1998, Recueil 1998-VI, § 20 ; CEDH, Caloc c. France, n°33951/96,CEDH 2000-VII, § 84 ; CEDH, Assenov et autres c. Bulgarie, préc., § 94 ; CEDH, Labita c. Italie, préc.,§ 120 ; CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 80 ; CEDH, Iwanczuk c. Pologne, n° 25196/94, CEDH 2001-XI,§ 50 ; CEDH, Karaleviius c Lithuanie, n°53254/99, CEDH 2005-IV, § 33 ; CEDH, Matencio c. France,n°58749/00, CEDH 2004-I, § 75.925 Celle-ci dépend de l’application d’un nombre de critères ainsi que de l’ensemble de circonstances danschaque cas concret, Ibid.926 La plupart figurent dans la définition de la torture donnée par la Convention des Nations Unies de 1984, quela Cour apprécie le seuil de gravité d’une atteinte au sein de l’article 3 de la Convention. Il s’agit notamment,du contexte, de la nature des actes, de la fonction de l'auteur, de la relation avec la victime, du caractèredélibéré, des buts recherchés, de l'état physique de la victime (état de santé, âge, sexe), de la durée et des effets,CEDH, A. c. R.U., préc., § 20 ; CEDH, Costello- Roberts, 25 mars 1993, Série A n°247-c, § 30 ; CEDH, Calocc. France, préc., § 84 ; CEDH, Tekin c. Turquie, n° 22496/93, 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, § 52, § 53.927 CEDH, Irlande du Nord, 18 janv. 1978, Série A n°25, § 167 ; CEDH, Aydın c. Turquie, préc., § 82.928 « Compte tenu de ce que la Convention est un instrument visant à interpréter, à la lumière des conditions devie actuelles », Voir rentre autres, CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 101 ; CEDH, Dikme c. Turquie,préc., § 92 ; CEDH, Bursus c. Roumanie , préc., § 93.929 CEDH, Irlande du Nord c. R.U., 18 janvier 1978, Série A n o 25, § 167 ; CEDH, Selmouni c. France [GC],préc., § 98 ; CEDH, T. c. R.U, [GC], préc., § 69 ; CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 120 ; CEDH, RamirezSanchez c.France, préc., § 97; CEDH, Pretty c. R.U., préc., § 52.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


215premier, alors qu’il faisait partie de la définition donnée par la Commission dans l'affaire grecque 930 ,la Cour a précisé que s'il convient d'en tenir compte, l'absence de caractère public n'empêche pas dequalifier un traitement de dégradant : « Il peut fort bien suffire que la victime soit humiliée à sespropres yeux, même si elle ne l'est pas à ceux d'autrui 931 ». Il en est de même de l’intention de nuiredes auteurs. Son absence ne suffit pas à écarter la violation de l’article 3 932 .Les traitements inhumains. Ils sont, au fil du temps, devenus synonymes de « mauvaistraitements » 933 . Ce sont des traitements qui présentent un degré de gravité plus élevé que lestraitements dégradants. On passe du domaine du sentiment à celui de la souffrance. Soulignonsd'abord que la définition de cette notion a évolué depuis l'affaire « grecque ». Dans le rapport que laCommission avait rendu sur cette affaire (1970), elle avait estimé qu'elle « couvre pour le moins untraitement qui provoque volontairement de graves souffrances mentales ou physiques, qui, enl'espèce ne peut se justifier 934 ». Dans l’arrêt d’Irlande du Nord (1978) la Cour a exclu la justifiabilitéet étendu la définition en incluant parmi les conséquences, les troubles psychiques aigus 935 . Depuisl'arrêt Selmouni (1999), le seuil de souffrances et de troubles physiques et psychiques est abaissé. Lecaractère « aigu » des souffrances est qualificatif de la torture. C’est le caractère « vif » dessouffrances qui est qualificatif de traitements inhumains 936 . Sont inhumains, les traitements« appliqués avec préméditation pendant des heures et provoquant sinon de véritables lésions, dumoins de vives souffrances physiques et morales ». Elle a depuis lors précisé que la qualification demauvais traitements peut être également le simple constat des « lésions corporelles » résultant d’unusage de force disproportionné, non rendu nécessaire par le comportement de la personne 937 .La torture. Elle est définie comme étant « généralement une forme aggravée destraitements inhumains 938 ». D'après la Cour, la « Convention, en distinguant la torture des traitementsinhumains ou dégradants, a voulu par le premier de ces termes, marquer d'une spéciale infamie lestraitements inhumains délibérés provoquant de fort graves et cruelles souffrances 939 ». Depuis l'arrêtSelmouni, on peut qualifier la torture comme des traitements ayant atteint un seuil de gravité<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...930 « S'il humilie quelqu'un grossièrement devant autrui ou le pousse à agir contre sa volonté ou saconscience », Affaire grecque, Rapport, 1ère partie, vol. II, 1970, p.1.931 CEDH, Tyrer c. R.U., 25 avril 1978, Série A n° 26, § 32 ; CEDH, Raninen c. Finlande, n° 20972/92, 16déc. 1997, Recueil 1997-VIII, § 55 ; CEDH, Iwanczuk c. Pologne, préc., § 51.932 CEDH, Iwanczuk c. Pologne, préc., § 52 ; CEDH, Price c. R.U., § 24 ; CEDH, Matencio c. France, préc.,§ 75 ; CEDH, Fedotov c. Russie, n° 5140/02, CEDH 2005-X, § 62 ; CEDH, Valasinas c. Lithuanie,n° 44558/98, CEDH 2001-VII.933 CEDH, Pretty c. R.U., préc., § 52.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008934 Affaire grecque, Rapport, préc., p.1.935 CEDH, Irlande du Nord c. R.U., préc., § 167.936 CEDH, T. c. R.U, [GC], préc., § 69 ; CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 120 ; CEDH, Kudla c. Pologne[GC], n°30210/96, CEDH 2000-X, § 92 ; CEDH, Ramirez Sanchez c.France, préc., § 97 ; Erdoçan Yagiz c.Turquie, n°27473/02, CEDH 2007-III, § 36.937 CEDH, Soner et autres c. Turquie, n° 40986/98, CEDH 2006-IV, § 45938 Affaire grecque, Rapport, préc., p.1.939 CEDH, Irlande du Nord c. R.U., préc., § 167 ; CEDH, Aksoy c. Turquie, préc., § 63 ; CEDH, Aydın c.Turquie, préc., § 82 ; CEDH, Dikme c. Turquie, préc., §§ 94-96.


216« aigu ». Ce terme désigne des souffrances « fort graves et cruelles 940 » ou « particulièrement graveset cruelles 941 », des « douleurs et des souffrances aigues » 942 ou « intenses » 943 . L'appréciation ducaractère « aigu » est, à l'instar du « minimum de gravité », relatif par essence 944 . Il est apprécié àl'aide de critères tels que la nature du traitement, l'intensité de la douleur, la répétition, la durée, lecaractère délibéré, le but et les effets et, parfois, l’âge, le sexe, l’état de la santé de la victime oul’état de grossesse 945 .Enfin, il arrive que la Cour applique l'article 3 sans donner une qualification précise auxfaits litigieux. Dans ces cas, il ne peut s'agir que de traitements inhumains et/ou dégradants 946 .L’analyse de la jurisprudence de la Cour montre que l’adoption de l’approche évolutive dela définition des interdits européens permet d’élargir le champ couvert par les atteintes à la dignité ausens de la Convention.Des seuils évolutifs et extensifs du champ des trois interditsEn examinant l’application concrète de ces trois définitions, nous observons qu’au fil de lajurisprudence européenne, le champ qu’elles couvrent s’est étendu progressivement grâce àl’adoption d’une méthode de définition évolutive qui a conduit à une révision de l’importance decertains critères.Appréciation évolutive. « Compte tenu de l'importance fondamentale de l'article 3 dans lesystème de la Convention, la Cour doit se réserver une souplesse suffisante pour traiter del'application de cet article dans les autres situations susceptibles de se présenter… 947 », déclare laCour. Si bien que « certains actes qualifiés autrefois de "traitements inhumains et dégradants", et nonde "torture", pourraient recevoir une qualification différente à l'avenir 948 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...940 CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 96.941 CEDH, Dikme c. Turquie, préc., § 93 ; CEDH, Bati et autres c. Turquie, préc., §§ 120-124 ; CEDH, Bursusc. Roumanie, préc., §§ 93-94.942 CEDH, Cafer Kurt c. Turquie, préc.943 CEDH, Chitayev c.Russie, préc.944 CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 100 ; CEDH, Bati et autres c. Turquie, préc., § 120.945 CEDH, Bati et autres c. Turquie, préc., § 120. Dans l’affaire Cheydaïev, la Cour après avoir constaté que lavictime a été soumise à des actes de nature à inspirer à la victime des sentiments de peur, d’angoisse etd’infériorité propres à l’humilier et à l’avilir, voire à briser sa résistance physique et morale et que ces actes ontété commis intentionnellement, elle a conclu, en tenant compte également de la durée du traitement (durant lesquatre jours), de ses effets physiques et mentaux (battu par cinq policiers qui voulaient lui faire avouer), dusexe, de l’âge (âgée de 20 ans) et de l’état de santé, que la victime à été soumise à des actes de torture, CEDH,Cheydaïev c. Russie, préc.946 CEDH, A. c. R..U., préc., § 21 ; V° CEDH, Z. et autres c. RU [GC], 29392/95, CEDH 2001-V.947 CEDH, D. c. R.U., n° 30240/96, 2 mai 1997, Recueil 1997-III, § 49.948 Voir entre autres, CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 101 ; CEDH, Dikme c. Turquie, préc., § 92 ;CEDH, Bursus c. Roumanie, préc., § 93.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


217La vulnérabilité de la victime. Il s’agit notamment des enfants et de toutes les personnesprivées de leur liberté. C’est d’abord à propos des enfants, et précisément dans l’arrêt Tyrer, que lajurisprudence européenne a marqué cette évolution. La Cour y a déclaré que commettre des actes deviolence physique ou morale, même sans gravité particulière, à l'encontre d'une personne en état dedépendance physique vis-à-vis des autorités revenait à traiter l'homme comme un objet 949 . Elle a, parla suite, élargi cette approche aux personnes privées de leur liberté. Ce fut dans l'arrêt Tomasi, àpropos des faits survenus lors de l'arrestation du requérant et durant sa garde à vue : « Pourrelativement légères qu'elles puissent paraître, les lésions survenues représenteraient desmanifestations de l'usage de la force physique sur une personne privée de liberté et donc en étatd'infériorité ; pareil traitement revêtirait un caractère à la fois inhumain et dégradant 950 ». L’usage dela force à l’encontre d’une personne privée de sa liberté doit être rendue absolument nécessaire par lecomportement de cette personne 951 . A ce propos, il est regrettable que la Cour ait parfois recours àl'expression de « force rendue nécessaire » 952 et non « absolument nécessaire ».L’affaiblissement de l’importance de certains critères. L’abaissement du seuil de gravitéminimum et graduel est également dû à la révision à la baisse de l’importance de certains crières.- Les auteurs. Non seulement des agents de l'Etat, mais toute personne peut être auteur demauvais traitements 953 . Il peut s'agir de personnes ayant une autorité telles que les enseignants d'uneécole 954 . A cette occasion, sont également renforcées les obligations positives qui pèsent sur les Etatsen matière de prévention de mauvais traitements. En se référant aux articles 19 et 37 de laConvention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant, cette instance a déclaré que « lesenfants et autres personnes vulnérables ont droit à la protection de l'Etat, sous la forme d'uneprévention efficace, les mettant à l'abri de formes aussi graves d'atteinte à l'intégrité de lapersonne 955 ». Enfin, les auteurs peuvent être des personnes privées organisées en bande, comme ungroupe de narcotrafiquants 956 , ou pas 957 . La limitation de son application à des agissements<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>949 CEDH, Tyrer c. R.U., préc., § 33.950 CEDH, Tomasi c. France, n°12850/87, 27 août 1992, Série A, n°241-A, § 131. V° Herczegfalvy, 24 sept.1992, Série A, n° 242-B ; CEDH, Tekin c. Turquie, préc.951 « Lorsqu'un individu se trouve privé de sa liberté, l'utilisation à son égard de la force physique alors qu'elle<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...n'est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitueen principe une violation du droit garanti par l'article 3 de la Convention », CEDH, Tekin c. Turquie, préc.,§ 53 ; CEDH, Assenov et autres c. Bulgarie, préc., § 94 ; CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 99 ;CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 120 ; CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 113.952 CEDH, Caloc c. France, préc., § 84. V° CEDH, CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 120 ; CEDH, PanteaUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008c. Roumanie, préc., § 180.953 R 21592/93 (A.Sur/Turquie), 3.9.96, § 48.954 Dans l'arrêt Costello-Roberts, l'auteur était le directeur d'une école privée. Il peut s’agir de parents d'enfants.L'article 3 combiné avec l'article 1 de la Convention impose l'obligation aux Etats de prendre des mesurespropres à empêcher que les personnes relevant de leur juridiction ne soient soumises à des tortures ou à despeines inhumaines ou dégradantes même administrées par des particuliers, CEDH, Caloc c. France, préc.,§ 89. V° CEDH, H.L.R. c. France, n° 24573/94, 29 avril 1997, Recueil 1997-III, § 40 ; CEDH, A. c. R.U.,préc., § 21.955 CEDH, Z. et autres c. RU [GC], préc.956 CEDH, H.L.R. c. France, préc., § 40.


218intentionnels et engageant directement la responsabilité d'un Etat irait à l'encontre du caractèreabsolu de la protection de l'article 3 958 .- Les buts. S’ils demeurent déterminants dans la qualification de la torture 959 et sont pris encompte dans la qualification de traitements inhumains ou dégradants (par exemple dans le port demenottes 960 ), ils peuvent n'avoir aucune incidence dans la qualification des traitements dégradants.Selon la Cour, « s'il convient de prendre en compte la question de savoir si le but du traitement étaitd'humilier ou de rabaisser la victime, l'absence d'un tel but ne saurait exclure de façon définitive leconstat de violation de l'article 3 961 ».- L’intention de nuire. Si pour qualifier la torture ce critère est toujours requis 962 , il ne l’estplus pour les autres interdits. Le traitement inhumain ou dégradant peut être retenu en l'absenced'agissements intentionnels 963 à l’instar de mauvaises conditions de détention dues au manquementde ressources économiques d’un pays 964 .- Les effets. Ils peuvent être légers, voire absents. L’importance de ce critère s’estnotamment affaiblie s’agissant de traitements infligés à des personnes vulnérables. Si une personnese trouvant en état d'infériorité subit des violences provoquant des lésions physiques, même légères,ces traitements peuvent alors passer pour inhumains 965 . S’agissant des enfants, la Cour a estimé quemême en l'absence de toute lésion constatée, l'article 3 peut être violé par l'usage de la force957 « Combinée avec l’article 3, l’obligation que l’article 1 de la Convention impose aux Hautes Partiescontractantes de garantir à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés consacrés par laConvention leur commande de prendre des mesures propres à empêcher que lesdites personnes ne soientsoumises à des mauvais traitements, même administrés par des particuliers », CEDH, A. c. R.U., préc., § 22 .V° CEDH, Z et autres c. R..U.,[GC], n o 29392/95, §§ 73-75, CEDH 2001-V ; CEDH, E. et autres c. R..U., n o33218/96, CEDH-2002 ; CEDH, M.C. c. Bulgarie, n°39272/98, CEDH, 2003-XII, § 149.958 CEDH, D. c. R.U., préc., § 49.959 « Pareilles violences n’auraient pu être infligées qu’intentionnellement afin d’extorquer des aveux ou desrenseignements. Considérées à la lumière des critères établis en la matière, elles ne peuvent que mériter laqualification de ‘torture’ », CEDH, Fazıl Ahmet Tamer et autres c. Turquie, préc., § 84. V° Aussi, CEDH,Aksoy c. Turquie, préc., § 64 ; CEDH, Aydın c. Turquie, préc., §§ 83-84 et 86 ; Selmouni c. France [GC], préc.,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...§ 105 ; CEDH, Batı et autres c. Turquie, préc., §§ 116-123, et, en dernier lieu, CEDH, Türkmen c. Turquie, n o43124/98, CEDH 2006-XII, § 49 ; CEDH, Chitayev c.Russie, préc., § 158.960 La Cour examine dans l'appréciation du traitement « dégradant » si « le but était d'humilier et de rabaisser lapersonne, et si considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de celui-ci d'une manièreincompatible avec l'article 3 », CEDH, Raninen c. Finlande, préc., § 55. V° CEDH, Albert et Le compte c.Belgique, 10 févr. 1983, Série A n° 58, § 22 ; CEDH, Erdoçan Yagiz c. Turquie, préc.961 CEDH, Peers c. Grèce, n° 28524/95, CEDH 2001-IV, § 74 ; CEDH, T. c. R.U., préc., § 69 ; CEDH,Raninen c. Finlande, préc., § 55 ; CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 120 ; CEDH, Iwanczuk c. Pologne,préc., § 52 ; CEDH, Price c. R.U., préc., § 24 ; CEDH, Matencio c. France, préc., § 75 ; CEDH, Fedotov c.Russie, préc., § 62 ; CEDH, Valasinas c. Lithuanie, n° 44558/98, CEDH 2001-VII ; CEDH, Poltoratski c.Ukraine, n o 38812/97, CEDH 2003-IV, § 146 ; CEDH, Kalashnikov c. Russie, préc., § 195.962 En faisant la distinction entre la torture et les traitements inhumains ou dégradants, les rédacteurs de l’article3 de la Convention ont voulu exprimer l’importance particulière qu’ils accordent au fait que des traitementssoient infligés dans le but délibéré de provoquer des souffrances graves et cruelles, CEDH, Mammadovc.Azerbaïdjan, préc., § 68.963 CEDH, D. c. R. U., préc., § 49.964 CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc., § 148.965 CEDH, Tomasi c. France, préc., § 131.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


219physique, y compris lorsque le but est légal. Dans ce cas, elle peut être qualifiée de traitementdégradant 966 .- Le lieu public. Il n’est plus un critère déterminant. Le fait que certains traitements aientlieu en milieu clos, et non en place publique, ne leur enlève pas leur caractère dégradant. « Il peutfort bien suffire que la victime soit humiliée à ses propres yeux, même si elle ne l'est pas à ceuxd'autrui 967 ».En revanche, dans la qualification de la torture et des traitements inhumains, les critèresd'effets, des buts et d’intention demeurent déterminants 968 .C’est le recensement de la nature des traitements qui, combinée aux critères jugéscontraires à l’article 3 de la Convention tels qu’ils viennent d’être présentés, nous permet de saisirconcrètement le champ couvert par la notion de dignité au sens de cet article.Les traitements susceptibles de relever de la définition européenne des atteintes à la dignitéOutre les violences physiques commises par un agent de l’Etat qui suffit à déclencherl’examen de sa conformité à l’article 3, nombre d’autres actes ou manquements sont progressivemententrés dans le champ de la protection de l’article 3 de la Convention.Les violences physiques. Si la nature de certains actes ne laisse place à aucune justification dès lorsqu’elle présume le caractère délibéré et les buts d'humiliation, de peur et de souffrance au pointd’être qualifiés de torture lorsqu’ils sont commis lors d’un interrogatoire (jusqu'à présent, ont été966 Ce qui fut le cas dans deux affaires où la Cour a eu à juger des sanctions disciplinaires scolaires en droitbritannique : dans l'arrêt Tyrer à propos des coups de verge (en l'occurrence trois coups) à un élève, à titre desanction scolaire, alors qu'il était tenu immobilisé par des agents de l'autorité publique : « Quoique le requérantn'ait pas subi de lésions physiques graves ou durables, son châtiment, consistant à le traiter en objet aux mainsde la puissance publique, a porté atteinte à ce dont la protection figure précisément parmi les buts principaux<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...de l'article 3 : la dignité et l'intégrité physique de la personne. On ne saurait davantage exclure que la peine aitentraîné des séquelles psychologiques néfastes, CEDH, Tyrer c. R.U., préc., § 33. Et dans l'arrêt Costello-Roberts, s’agissant des sanctions disciplinaires consistant à frapper les élèves de trois coups de chaussure degymnastique à semelle de caoutchouc (dans l'affaire examinée, l'enfant était âgé de 7 ans). Bien que lerequérant n'ait fourni « aucune preuve d'effets graves ou durables du traitement dénoncé », la Cour a déclaré :« Une peine qui n'entraîne pas de telles séquelles peut tomber sous l'emprise de l'article 3 » ; « ce qui estimportant, c'est l'ensemble des circonstances dans lesquelles cette sanction est exécutée », CEDH, Costello-Roberts c. R..U., préc., § 32.967 CEDH, Tyrer c. R.U., préc., § 32 ; CEDH, Raninen c. Finlande, préc., § 55 ; CEDH, Iwanczuk c. Pologne,préc., § 51 ; CEDH, Wieser c. Autriche, n°2293/03, CEDH 2007-II.968 En plus du caractère odieux et humiliant des autres traitements, c’est la gravité des effets et les buts. Lestraitements en cause ont provoqué des « douleurs et des souffrances aiguës et revêtent un caractèreparticulièrement grave et cruel ». Ils doivent, par conséquent, être regardés comme des actes de torture au sensde l'article 3, CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., §§ 99-103. V° CEDH, Aksoy c. Turquie, préc., § 64 ;CEDH, Aydın c. Turquie, préc., §§ 83-84 et 86 ; CEDH, Dikme c. Turquie, préc., §§ 94-96 ; CEDH, Bursus c.Roumanie, préc., §§93 ; CEDH, Bati et autres c. Turquie, préc., §§ 120-124. Il en de même de la qualificationdes traitements inhumains : Voir entre autres, CEDH, Biyan c. Turquie, n°56363/00, CEDH 2005-V, §§38-46 ;CEDH, Rivas c. France, n° 59584/00, CEDH 2004-IV, §§ 38-42.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


220qualifiés de torture, la pendaison palestinienne 969 , la falagga 970 et le viol 971 ), tout usage de force n’estpas condamnable. Cela dépend de la nature de la violence, des buts recherchés, mais aussi d’autreséléments. L’usage de la force peut être justifié par le comportement de la victime à condition qu’elleait visé à la maîtriser et qu’elle ait été proportionnée à la résistance, mieux encore, qu’elle ait étérendue absolument ou strictement nécessaire. Ainsi, la résistance d’une personne lors de sonarrestation peut justifier l’usage de la force 972 .L’état de privation de liberté réduit encore le seuil de justification de l’usage de la force. Ainsi,l’usage de la force à l’encontre de personnes menottées de la part des policiers, de surcroît, très bienentraînés, est difficilement justifiable 973 , pas plus que la nature de certaines violences à l’encontredes personnes en garde à vue, telles que les coups aux parties génitales 974 ou une longue blessure surle dos 975 .Partant du principe que l'interprétation de l’article 3 doit rester souple, donc évolutive, pourpermettre son application à d'autres situations qui risquent de se présenter 976 , la jurisprudenceeuropéenne a fait entrer dans son champ d’interdictions nombre d’autres actes ou omissions.969 Dans l’arrêt Aksoy, la Cour a pris en compte : le caractère douloureux, le caractère prémédité dès lors que« sa réalisation exigeait une dose de préparation et d'entraînement », et le but d’obtenir des aveux et desinformations, puisqu’il était infligé lors d'un interrogatoire. Pour conclure que « ce traitement est d'une naturetellement grave et cruelle que l'on ne peut le qualifier que de torture, CEDH, Aksoy c. Turquie, préc., § 64. Ellea confirmé cette appréciation dans les arrêts Cafer Kurt c. Turquie, précité, et Fazıl Ahmet Tamer et autres c.Turquie, précité.970 Ou « falaka ». Les preuves de son application devraient suffire pour conclure à la violation de l'article 3.C’est dans l’arrêt Mammadov (2007) qu’elle a reconnu, en se référant aux Normes du CPT et à la Conventionde l’ONU contre la torture de 1987 que, par sa nature, cet acte constitue une torture, dès lors qu’il implique unepréparation et, donc, une volonté délibérée à provoquer des souffrances, CEDH, Mammadov c.Azerbaïdjan,préc., §§ 66-70.971 « Le viol d'un détenu par un agent de l'Etat doit être considéré comme une forme particulièrement grave et<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>odieuse de mauvais traitements, compte tenu de la facilité avec laquelle l'agresseur peut abuser de lavulnérabilité de sa victime et de sa fragilité », CEDH, Aydın c. Turquie, n°23178/94, 25 septembre 1997,Recueil 1997-VI , § 83. V° CEDH, Stubbings et autres c. R.U, n° 22083/93, 22095/93, 22 oct. 1996, Recueil1996-IV, § 64 ; CEDH, X et Y c. Pays Bas, 26 mars 1985, Série A n°91, § 27.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...972 Exemples de justification de l’usage de force proportionnée à la résistance de la victime durant la garde àvue ou l'arrestation : CEDH, Caloc c. France, préc., §§ 100-101 ; CEDH, Altay c. Turquie, n° 22279/93,CEDH, 2001-V, § 54. Mais tel ne peut être le cas lorsque le nombre et l’importance des blessures sont telsqu’il est impossible de conclure au caractère « strictement nécessaire » du recours à la force dans le butd’arrêter une personne, notamment celles ayant entraîné des arrêts maladie de 6 à 10 jours (CEDH, R. L. et M.J.D., c. France, n° 44568/98, CEDH 2004-V. V° CEDH, Zelilof c. Grèce, préc., §§ 50-52), et, à plus forteraison, celui ayant entraîné une double fracture de la mâchoire et une contusion faciale (CEDH, Rehbockc. Slovénie, n o 29462/95, CEDH, 2000-XII, § 76).973 Cela se passait dans l’enceinte du palais de justice et en présence du public y compris les proches desvictimes, CEDH, Sahin et autres c. Turquie, n° 53147/99, CEDH 2005-II, §§ 43-55.974 CEDH, Rivas c. France, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008975 CEDH, Biyan c. Turquie, préc.976 « Compte tenu de l'importance fondamentale de l'article 3 dans le système de la Convention, la Cour doit seréserver une souplesse suffisante pour traiter de l'application de cet article dans les autres situationssusceptibles de se présenter…», CEDH, D. c. R. U., préc., §. 49.


221Le viol commis par toute personne et les attouchements sexuels des enfants. « Les sévicessexuels constituent incontestablement un type odieux de méfaits qui fragilisent les victimes… » 977 .L’esclavage, la servitude et le travail forcé ou obligatoire constituent des formes gravesd’atteinte à la dignité. « La Cour estime qu’avec les articles 2 et 3, l’article 4 de la Conventionconsacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil del’Europe 978 ». Mais compte tenu de leur importance, elles font l’objet d’une protection autonomesous l’article 4 de la Convention 979 .Le racisme et la violence raciste. La violence raciale constitue une atteinte particulière à ladignité humaine que la société démocratique doit vigoureusement combattre, en particulier lorsqueles auteurs sont des représentants des Etats 980 .Le manque de respect aux morts. La Cour a accepté d’examiner sous l’article 3 les griefsrelatifs à l’absence d’enquête concernant la mutilation post mortem d’une personne (mutilation desoreilles) 981 .Les expulsions et extraditions. A part l’interdiction des expulsions collectives 982 , ces mesuresne constituent pas, en elles-mêmes, des traitements prohibés par l'article 3 ni, d'ailleurs, par aucuneautre disposition de la Convention. A priori, les Etats sont libres de contrôler l'entrée, le séjour etl'éloignement de non-nationaux 983 . Toutefois, certaines conditions peuvent rendre ces mesuresinhumaines et/ou dégradantes. Il peut en être ainsi, d'une part, par les conditions d'exécution de cesmesures, et d'autre part, par les risques encourus au pays de destination lorsqu'il y a des « motifssérieux et avérés » de croire que l'intéressé, si on l'expulse vers le pays de destination, y courra un« risque réel » d'être soumis à des traitements contraires à l'article 3 984 . Ces risques peuvent être lessuivants : le risque de subir certaines peines soit en raison de leur nature, comme la lapidation et la977 CEDH, Stubbings et autres c. R.U, préc., § 64 ; V° CEDH, X et Y c. Pays Bas, 26 mars 1985, Série A n°91,§ 27 ; CEDH, E. et autres c. Royaume-Uni, n°33218/96, CEDH 2002-XI ; CEDH, M.C. c. Bulgarie, préc.,§ 127.978 CEDH, Siliadin c. France, n o 73316/01, CEDH 2005-VII, § 82.979 Ibid. §§ 123, 126-129. Souligons à propos de la prostitution que la Cour, tout en la considérant comme une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>atteinte à la dignité de la personne, elle ne condamne pas les pays qui prelèvent des cotisations sur les revenus despersonnes qui se prostituent. Ainsi, l’URSSAF, caisse française des cotisations des professions indépendantes,selon laquelle la prostitution est « une prestation de service rémunérée qui relève de la notion d'activitééconomique, CEDH, Tremblay c. France, n°37194/02, CEDH, 2007-II.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...980 « La violence raciale constitue une atteinte particulière à la dignité humaine et, compte tenu de sesconséquences dangereuses, elle exige une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités.C'est pourquoi celles-ci doivent recourir à tous les moyens dont elles disposent pour combattre le racisme et laviolence raciste, en renforçant ainsi la conception que la démocratie a de la société, y percevant la diversité nonpas comme une menace mais comme une richesse », CEDH, Nachova et autres c. Bulgarie, [GC], préc.,§ 145 ; CEDH, Bekos et Koutropoulos c. Grèce, n°15250/02, CEDH 2005-XII, § 63.981 Violation de l’article 3 sous le volet procédural, CEDH, Kanlibas c. Turquie, préc., §§ 56-70.982Par l’article 4 du Protocle n°4 à la Convention européenne des droits de l’homme : « Les expulsionsUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008collectives d'étrangers sont interdites ».983 V° CEDH, Ahmed c. Autrice, n° 25964/94, 17 déc. 1996, Recueil 1996-VI, § 38 ; CEDH, D. c. R.U., préc.,§ 46 ; CEDH, Chahal, c. R.U, préc., § 73 ; CEDH, H.L.R. c. France, préc., § 33.984 CEDH, Ahmed c. Autrice, préc., § 39. V° CEDH, Soering c.R.U, préc., §§ 90-91 ; CEDH, Cruz Varas etautres c. Suède, n° 15576/89, 20 mars 1991, Série A n° 201, §§ 69-70 ; CEDH, Vilvarajah et autres c. R.U.,n os 13163/87, 13164/87, 13165/87, 30 oct. 1991, Série A n° 215, § 103 ; CEDH, Chahal c. R.U, préc., §§ 73-74 ; CEDH, H.L.R. c. France, préc., § 34.


222flagellation 985 , soit en raison des conditions de leur exécution, comme vivre dans « le couloir de lamort » en attendant l'exécution de la peine de mort aux Etats-Unis 986 ; le risque de s'exposer à despersécutions mettant en danger la vie ou l'intégrité physique ou morale 987 , en particulier lesopposants politiques 988 , le risque d'être privé des soins adéquats 989 , mais seulement pour desmaladies graves et incurables 990 .Le déroulement des procès ou l’absence de procès ou d’enquête. Dans un arrêt rendu en1999, la Cour, s’exprimant à propos du jeune âge des enfants (de onze ans) jugés devant unejuridiction pénale pour adultes et en public, avait déclaré que les modalités dans lesquelles sedéroulent les procès peuvent également porter atteinte à la dignité de la personne au point de violerl'article 3 991 . En 2007, la Cour a retenu que peut également constituer un traitement inhumain oudégradant, le fait de ne pas mener une enquête et /ou de ne pas répondre aux demandes d’informationde la part des proches des personnes disparues après leur arrestation par la police 992 ainsi que leclassement sans suite de l’affaire sans motivation ou avec une motivation non convaincante 993 .Les peines. La nature de certaines peines et/ou les modalités de leur exécution peuvent êtrecontraires à l'article 3. La nature des peines. Ni le caractère violent de l'infraction 994 ni les objectifsde la peine 995 , ne sauraient justifier l'application des peines dégradantes, affirma la Cour à propos dessanctions scolaires consistant à donner un certain nombre de coups aux postérieurs des écoliers auRoyaume-Uni. Pour l’instant, sont considérées comme des peines inhumaines ou dégradantes, lalapidation et la flagellation 996 ainsi que toutes les peines corporelles. Les modalités d'exécution de985 A propos de l’expulsion de la Turquie vers l'Iran d'une femme risquant la mort par lapidation et flagellationpour avoir eu une relation adultère avec un homme marié, CEDH, Jabari c. Turquie, n°40035/98, CEDH 2000-VI.986 CEDH, Soering c. R.U, préc.987 Ainsi un trafiquant de drogues expulsé vers un pays où des bandes organisées de trafic sont en guerre etl'Etat étant impuissant à y mettre fin, CEDH, H.L.R, c. France, préc.988 Pour apprécier un tel risque, il faut tenir compte de la situation générale qui règne dans le pays visé et de lasituation personnelle : ainsi à propos de l’expulsion d’un militant sikh (arrêt Chahal c. R.U, préc., § 106) oul’expulsion d’un ressortissant espagnol basque, membre de l’organisation séparatiste basque Euskadi taAskatasuna (ETA) (Luis Iruretagoyena c.France, n° 32829/96, décision de la commission, 12.1.1998). Voir surce sujet l’article de Syméon KARAGIANNIS, « Expulsion des étrangers et mauvais traitements imputables àl’Etat de destination ou à des particuliers. Vers une évolution de la jurisprudence européenne », Rev. trim. dr.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...h., 1999, pp. 33 et s.989 CEDH, D. c. R.U., préc.,§ 49.990 Dans l’arrêt D. c. R.U., précité, la violation a été retenue parce que la Cour a estimé qu’il s’agissait de« circonstances très exceptionnelles ». Un malade du sida en phase finale qui, à son retour à son pays d'origine,serait privé de soins médicaux adéquats, mais aussi de soutien moral familial et social, et vivrait dans desconditions sanitaires néfastes pour sa santé. Dès lors, son expulsion risquait d'écourter la durée de sa vie et del'exposer à un risque réel de mourir dans des circonstances particulièrement douloureuses.991 Cette question fut abordée dans les arrêts T. c. R.U, [GC], précité, et V. c. R.U., [GC], n° 24888/94, CEDH1999-IX : les accusés (qui avaient tué un petit enfant), étaient âgés au moment des faits de 10 ans et, aumoment du procès, de 11 ans.992 CEDH, Alikhadzhiyeva c. Russie, préc.993 CEDH, Macovei et autres c. Roumanie, n o 5048/02, CEDH 2007-VI.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008994 CEDH, Tyrer c. R.U., préc., § 34.995 Quant à leur conviction selon laquelle le châtiment judiciaire corporel effraie les délinquants, la Cour asouligné qu'une peine ne perd pas son caractère dégradant par cela seul qu'elle constitue un moyen efficace dedissuasion ou de lutte contre la délinquance : « Le recours à des peines contraires à l'article 3 n'est jamaisadmissible, quels que soient leurs effets dissuasifs », Ibid., § 31.996 CEDH, Jabari c. Turquie, préc.


223certaines peines. Des peines, compatibles en elles-mêmes avec l'article 3, peuvent cependant, lors deleur application, constituer des peines inhumaines ou dégradantes. Ainsi que nous allons le voir dansla section suivante, la peine privative de liberté peut le devenir en raison des conditions de sonexécution, sa durée, ou l'état physique et l'état de santé de la personne.2. La définition de la dignité au sein des droits nationauxAu sein du droit grec (a) et du droit français (b), la dignité est reconnue comme un principe àvaleur constitutionnelle et plusieurs dispositions légales sont prévues pour lui assurer une garantieefficace.a. En droit grecDepuis la chute de la dictature, la Constitution grecque consacre la « valeur humaine »comme un des principes fondamentaux de l'ordre constitutionnel 997 et proclame que « les tortures ettous les sévices corporels, tout atteinte à la santé ou contrainte psychologique, ainsi que toute autreatteinte à la dignité humaine sont interdits et punis conformément à la loi » (art. 7 §2). Cesdispositions sont restées intactes dans le texte révisé de la Constitution 1975/1986/2001.Pourtant en ce qui concerne la mise en œuvre de sa protection, c'est seulement en 1984, soitdix ans après la Constitution de 1974, que le législateur grec a légiféré en cette matière. Ce fut par levote de la loi 1500/1984 insérée dans douze dispositions du Code pénal (art. 137A à 137D). Cette loimontre un effort certain pour assurer à la dignité la garantie la plus large possible puisqu’elle dépassela définition de la torture donnée cette même année par la Convention contre la torture et autrespeines ou traitements inhumains ou dégradants, adoptée par l'ONU le 10 décembre 1984. En effet,pour ce qui est de la définition de la torture, celle-ci est entendue dans le sens souhaité par desauteurs déjà cités, à savoir qu’elle doit tenir compte de l'évolution des moyens techniques. Estconsidérée comme torture la « provocation méthodique de souffrance physique aiguë oud'épuisement physique dangereux pour la santé, ou toute souffrance psychique capable d'entraînerdes lésions psychiques graves, ainsi que tout usage illicite de substances chimiques, narcotiques ou<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d'autres moyens physiques ou techniques dans le but de briser la volonté de la victime » (137A §2 C.pén.). L'article 137A §1 du Code pénal précise le cadre d'application de cette notion. Les agissementsmentionnés sont punis lorsqu'ils sont commis par des personnes chargées d'une fonction publique,sur une personne se trouvant sous leur dépendance, dans les buts suivants : a) arracher à elle-mêmeou à une tierce personne un aveu, une déposition, une information ou une déclaration de négation oud'abdication d'une idéologie politique ou autre ; b) punir ; c) intimider cette personne ou une tierce997 « Le respect et la protection de la valeur humaine constituent l'obligation primordiale de la République »,(art. 2,§ 2).


224personne. La torture est punie de la réclusion, à savoir d’une privation de liberté de 5 à 20 ans(art. 137A §1), et plus sévèrement, jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité, en cas decirconstances aggravantes 998 .La répression des atteintes contre la dignité ne se limite pas à la torture. Le Code pénalprohibe d'autres atteintes qui n'entrent pas dans la notion de torture, mais qui sont commises dans lescirconstances précitées prévues par son article 137A §1. Il s'agit de dommages corporels, de l'atteinteà la santé, d'exercice de violence illégale physique ou psychique et de toute autre atteinte à la dignitéhumaine (notamment l'usage de détecteur de vérité, l'isolement prolongé, l'atteinte grave à lapudeur). Ces atteintes sont sanctionnées par la peine privative de liberté de trois ans minimum (art.137A §3 C. pén.) 999 .D'autres dispositions du Code pénal renforcent la protection de la dignité. D'abord, celle del'article 137D §1 consacre le caractère absolu de ces interdits en excluant toute justification, ycompris l'obéissance à l'ordre d'un supérieur hiérarchique : « Jamais, ni la nécessité, ni l'ordre d'unsupérieur hiérarchique » n'excluent le caractère illicite des actes contraires à la dignité. Ensuite, ladisposition de l'article 137D §3 relative à la prescription de ces actes prévoit qu'au cas où de telsactes seraient commis durant l'usurpation de pouvoir, leur prescription commence après lerétablissement du pouvoir légal. Enfin, celle de l'article 137D §4 prévoit la responsabilité solidaire del'Etat et de l'auteur dans la réparation et l'indemnisation du préjudice matériel et moral.b. En droit françaisEn droit français, l’année 1994 a marqué un tournant dans la protection de la dignité. C’esten 1994 que le Conseil des sages lui a reconnu une valeur constitutionnelle par sa décision n° 94-343et 344 DC, 27 juillet 1994 à propos des lois sur la bioéthique 1000 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...C'est au cours de cette même année qu’une protection pénale lui a été assurée, avecprécisément l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal le 1er mars 1994. Outre la répression de laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008998 Constituent des circonstances aggravantes des actes de torture, selon l'article 137B § 1, lorsque : a) ils onteu lieu de manière systématique par l'usage, notamment, de moyens ou de méthodes tels que les coups à laplante des pieds (falagga), les électrochocs, les simulations d'exécution ou les substances psychotropes ; b) ilsont entraîné une lésion corporelle grave de la victime ; c) l'auteur les appliquait par habitude ou l'auteur étaitdangereux ; d) la personne qui les a ordonné agissait en sa qualité de supérieur. Selon l'article 137B § 3,lorsque ces actes ont provoqué la mort de la victime, la peine est celle de privation de liberté à perpétuité.999 . Sur l'analyse de la protection pénale de la dignité humaine dans le droit grec, voir K.-E.KONSTANTINIDIS, Droit pénal et dignité humaine, Athènes, Sakkoulas, 1987.1000 Voir sur la protection constitutionnelle et pénale de la dignité en France, M. DANTI-JUAN, « La notion dedignité humaine en droit pénal », in Questions contemporaines de science criminelle, Travaux de l'institut desciences criminelles de Poitiers, éd. Cujas, 1996-16, pp. 99-1110


225torture et actes de barbarie (art. 222-1 à 222-6 C. pén.) 1001 , ce Code regroupe sous le chapitre intituléDes atteintes à la dignité de la personne, la discrimination (art. 225-1 à 225-4), le proxénétisme(art. 225-5 à 225-12), les conditions de travail et d'hébergement contre la dignité (art. 225-13 à 225-16), le bizutage (225-16-1 à 225-16-3) et les atteintes au respect dû aux morts (art. 225-17).Ce Code n'a pas assorti la répression de la torture et des actes de barbarie d'unedéfinition 1002 . Il prévoit seulement que « le fait de soumettre une personne à des tortures ou des actesde barbarie est puni de quinze ans de réclusion criminelle » (art. 222-1) ; ce fait est puni plussévèrement, jusqu'à la réclusion criminelle à perpétuité en cas de circonstances aggravantes (art. 222-2 à 222-6) 1003 . La tâche de la définir a été laissée à la circulaire du 14 mai 1993. Celle-ci définit latorture en se référant à la Convention des Nations Unies de 1984 comme « tout acte par lequel unedouleur ou des souffrances aiguës, physiques, psychiques ou mentales, sont intentionnellementinfligées à une personne ». Mais à la différence de cette Convention, la circulaire française élargit lechamp de répression puisqu'il ne le limite ni aux actes commis uniquement par les agents publics, nià ceux commis pour certains motifs 1004 .Enfin, une disposition de la loi du 27 juillet 1994 relative au respect du corps humain,insérée dans le Code civil, permet à ce dernier d’étendre la protection à toutes les atteintes à ladignité : « La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci etgarantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie 1005 . »Si l’on s’en tient à ces textes, les droits français et grec disposent théoriquement desmoyens nécessaires pour répondre dans une large mesure aux interdits du Conseil de l’Europenotamment grâce à leur référence au terme « dignité ». A condition que la législation et lajurisprudence suivent l’évolution européenne tant en matière d’interprétation de l’article 3 de laConvection qu’en matière de protection. Celle-ci, nous allons voir, requiert des garanties pénales<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>renforcées ainsi que des garanties dépassant le domaine pénal.L’article 3 de la Convention implique l’obligation non seulement de s’abstenir de porteratteinte à la dignité de la personne mais aussi, dans certains domaines, d’intervenir pour anticiper oucesser une telle atteinte.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081001 Auparavant, elle ne constituait qu'une circonstance aggravante de certains crimes : l'assassinat (art. 303 C.pén), le viol (art. 333-1 C. pén.), et la séquestration (art. 344 c. pén).1002 Ce qui n'a pas manqué de susciter des critiques. Voir P. Couvrat, Livre II. Les Infractions contre lespersonnes dans le nouveau Code pénal, RSC, 1993, p.447.1003 Au sein du Code pénal français, constitue une circonstance aggravante la qualité de la personne surlaquelle de tels actes ont été commis (désignées par l'article 222-3). S'ils ont précédé, accompagné ou suivi uncrime, ils entraînent la peine de réclusion criminelle à perpétuité (art. 222-2) ; et s'ils ont entraîné unemutilation et une infirmité permanente, ils sont punis de trente ans de réclusion (art. 222-5).1004 Code pénal, Paris, Litec, 1994, pp. 397-398.1005 . Loi n°94-653 du 29 juillet 1994, JO du 30 juillet 1994/11056.


226Nous constatons donc que la méthode d’interprétation de l’article 3 adoptée par la Cour,permet de renforcer la garantie contre les atteintes à la dignité les plus graves en élargissant le champde type de traitement et en abaissant le seuil de gravité qualificatif des traitements dégradants.Toutefois, l’efficacité de son renforcement est également tributaire du mécanisme de protectioncontre de telles atteintes.C. Le mécanisme européen de protection renforcéeLe système européen de protection de la dignité repose sur un double mécanisme : lemécanisme juridictionnel de la Convention qui vise à protéger toute personne et engage laresponsabilité de l’Etat indépendamment de l’identité de l’auteur de la violation de l’article 3 (1) ; etle mécanisme préventif assuré par le CPT (Comité européen pour la prévention de la torture) mis enplace par la Convention européenne contre la torture, réservé aux personnes privées de leurliberté (2). Ce mécanisme européen de protection contre les mauvais traitements est, de plus, efficaceau niveau supranational. L’ONU, s’inspirant du CPT européen, a mis en place, le 22 juin 2006, unmécanisme de contrôle préventif international (par la création d’un Sous-comité au comité contre latorture des Nations unies) et national. Ce mécanisme a été créé par le Protocole facultatif à laConvention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(adopté le 18 décembre 2002). La France l’a signé le 16 Septembre 2005, mais ne l’a pas encoreratifié. Elle a toutefois déjà créé une instance nationale de contrôle, le contrôleur général des prisons(Décret n°2008-246 du 12 mars 2008 pris conformément à la loi du 30 octobre 2007) et saratification est en cours. La Grèce n’a pas encore signé ce Protocole. Le contrôle s’exerceactuellement : par les procureurs de la République désignées pour assurer cette tâche (les seuls àavoir droit et l’obligation de s’y rendre régulièrement et de recevoir les plaintes) ; des commissionsparlementaires constituées ad hoc ; la Commission nationale consultative des droits de l’homme(créée en 1998), et le défenseur du citoyen (crée en 1998). Ces deux dernières instances ne peuventaccéder dans les locaux de détention que sur autorisation. Notons que le CPT a, dans son rapport surla dernière visite en Grèce, recommandé au gouvernement grec d’accorder à l’Ombudsman(défenseur du citoyen), la liberté de visite de ces lieux 1006 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081. Le mécanisme répressif renforcé par la CourAu fil de sa jurisprudence, la Cour, guidée par le but d’assurer une garantie efficace àl’interdiction des traitements inhumains ou dégradants et de la torture, a dégagé un nombre de1006 CPT/Inf (2008) 3, Rapport de visite, Grèce, du 20 au 27 février 2007. Le site de Ombudsman grec :http://www.synigoros.gr.


227garanties supplémentaires à celles de l’article 13 prévues pour tous les cas de violation des droitsgarantis par la Convention. Elle a, en premier lieur, dégagé des obligations préventives des Etats autitre de l’article 3 (a). Elle a, en second lieu, dégagé des obligations procédurales adaptées à la naturede ce droit aussi bien au titre de l’article 3 que des articles 13 et 34 de la Convention qui garantissentrespectivement le droit de recours interne effectif et le recours européen (b).a. Les obligations préventives au titre de l’article 3La Cour estime que comme l’article 2, l’article 3 comporte également des obligationspositives préventives. Combiné à l'article 1 de la Convention, il impose aux Hautes Partiescontractantes de prendre des mesures propres à empêcher qu’une personne soit soumise à de mauvaistraitements, même administrés par des particuliers 1007 . Ces mesures doivent toujours comprendre desmesures de nature pénale, mais aussi dans certains cas, de nature non pénale.Les obligations préventives pénalesSelon la Cour, seule une législation criminelle peut assurer une prévention efficace,nécessaire en ce domaine : la protection du droit civil est insuffisante pour des griefs relevant del’article 3 1008 . Cela implique des incriminations et des sanctions dissuasives quels que soient lesauteurs (représentants de l’Etat, instituteurs, médecins, employés, parents, et en général, toutepersonne) et leur application effective.Des incriminations et sanctions efficaces. Dans l’affaire Siliadin, par exemple, concernantla répression de l’esclavage et de la servitude domestique 1009 , le manquement reproché à l’Etatfrançais était l’absence d’incrimination propre à assurer une telle efficacité. Après avoir conclu quel’article 4 implique, à l’instar des articles 2 et 3, l’obligation positive d’adopter des dispositions enmatière pénale qui sanctionnent les pratiques visées par l’article 4 et de les appliquer en pratique 1010 ,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1007 CEDH, A. c. R.U., préc., § 22 ; CEDH, Z et autres c. R.U., [GC], n o 29392/95, CEDH 2001-V, §§ 73-75 ;et CEDH, E. et autres c. Royaume-Uni, n o 33218/96, CEDH, 2002-XI ; CEDH, M.C. c. Bulgarie, préc., § 149.1008 « Les Etats ont l'obligation positive, inhérente aux articles 3 et 8 de la Convention, d'adopter desdispositions en matière pénale », CEDH, M.C. c. Bulgarie, préc., § 153 ; CEDH, X et Y c. Pays, Bas, préc.,§ 27.1009 La requérante, âgée de 15 ans et sept mois, a été envoyée par ses parents en France chez des membres de safamille pour travailler et étudier, mais elle a été leur domestique non rémunérée ; son passeport lui avait étéconfisqué ; elle travaillait dès 7 h 30 jusqu’à 22h30 ; elle dormait sur un matelas posé à même le sol, CEDH,Siliadin c. France, préc.1010 « … la Cour estime que limiter le respect de l’article 4 de la Convention aux seuls agissements directs desautorités de l’Etat irait à l’encontre des instruments internationaux spécifiquement consacrés à ce problème etreviendrait à vider celui-ci de sa substance. Dès lors, il découle nécessairement de cette disposition desobligations positives pour les Gouvernements, au même titre que pour l’article 3 par exemple, d’adopter desdispositions en matière pénale qui sanctionnent les pratiques visées par l’article 4 et de les appliquer enpratique », CEDH, Siliadin c. France, préc., § 89. Voir M.C. c. Bulgarie, précité, § 153.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


228la Cour a jugé que les infractions existantes en droit pénal français sont insuffisantes 1011 . Concernantla répression du viol et autres sévices sexuels, la Cour a, plus d’une fois, mis en cause le systèmerépressif des Etats aussi bien sous l’article 8 1012 que sous l’article 3 1013 . Dans l’affaire M. C., elle aencore renforcé la protection contre le viol en exigeant de ne plus tenir compte dans les élémentsconstitutifs de viol la résistance physique de la victime 1014 . Encore faut-il que les incriminationsaboutissent à une application et à des sanctions efficaces.Application efficace des incriminations et sanctions. Des incriminations et sanctions pénalesdoivent non seulement être prévues mais aussi être effectivement appliquées. Ainsi, dans une affairequi concernait des traitements infligés à un enfant par un des ses parents (des coups de bâton donnésrégulièrement), qualifiés de mauvais traitements au sens de l'article 3, la Cour a estimé que, lesjuridictions nationales ayant acquitté l'auteur, le droit anglais ne mettait pas suffisamment lerequérant à l'abri d'un traitement ou d'une peine contraires à l'article 3 1015 . De même, dans l'affaireSiliadin relative à la servitude au sens de l’article 4 §1, les auteurs ayant été relaxés en appel, et lavictime n’ayant obtenu que des dommages et intérêts, cette instance a conclu à l’inefficacité dusystème pénal français 1016 .Les obligations préventives des Etats peuvent inclure des mesures complémentaires denature non pénale.Les obligations préventives non pénalesDans certains contextes, les manquements peuvent également résider dans l’absence et/oul’insuffisance des moyens de contrôle de nature non pénale. La Cour estime qu’il incombe aux Etatsl’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables propres à empêcher la matérialisation demauvais traitements. Précisément, il leur incombe, lorsqu’ils « savent ou doivent savoir » qu’il existe<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1011 « Qu’il s’agisse des peines prononcées ou des peines encourues, leurs insuffisances apparaissent clairementau regard de la gravité des faits caractérisant les situations d’esclavage moderne (...) « Compte tenu, d’une part,du rang constitutionnel des valeurs protégées par les articles 225-13 et 225-14 du code pénal et, d’autre part, dela gravité des faits lorsqu’ils sont caractérisés, l’insignifiance des peines encourues par les coupables de cesinfractions est surprenante et conduit à s’interroger sur les priorités du système répressif français », CEDH,Siliadin c. France, préc., § 134.1012 « Les sévices sexuels constituent incontestablement un type odieux de méfaits qui fragilisent les victimes.Les enfants et autres personnes vulnérables ont droit à la protection de l'Etat sous la forme d'une protectionefficace les mettant à l'abri de formes aussi graves d'ingérence dans des aspects essentiels de leur vie privée »,CEDH, Stubbings et autres c. R.U, préc., § 64. V° X et Y c. Pays Bas, 26 mars 1985, Série A n°91, § 27.1013 CEDH, M. C. c. Bulgarie, n°39272/98, CEDH 2003-XII.1014 « Conformément aux normes et aux tendances contemporaines en la matière, il y a lieu de considérer queles obligations positives qui pèsent sur les Etats membres en vertu des articles 3 et 8 de la Conventioncommandent la criminalisation et la répression effective de tout acte sexuel non consensuel, y compris lorsquela victime n'a pas opposé de résistance physique », CEDH, M. C. c. Bulgarie, préc., §§ 155-157 et §§ 165-166.1015 Le beau-père, inculpé pour atteinte à l’intégrité physique, fut relaxé parce que l’accusation n’avait pasétabli au-delà de tout doute raisonnable que les voies de fait ont dépassé un « châtiment raisonnable », CEDH,A. c. R.U., préc., §§ 23-24.1016 CEDH, Siliadin c. France,, précité.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


229un « risque certain et immédiat » de mauvais traitements, de « faire tout ce que l’on pouvaitraisonnablement attendre d’elles » pour empêcher la matérialisation 1017 . Une telle obligation pèse auxEtats en particulier à l’égard des personnes vulnérables. Tel est le cas des personnes privées de leurliberté. L’article 3 de la Convention « astreint les autorités des Etats contractants non seulement às’abstenir de provoquer de tels traitements, mais aussi à prendre préventivement les mesures d’ordrepratique nécessaires à la protection de l’intégrité physique et de la santé des personnes privées deleur liberté 1018 ». Tel est également le cas concernant les enfants. « Les enfants et autres personnesvulnérables, en particulier, ont droit à la protection de l’Etat, sous la forme d’une prévention efficace,les mettant à l’abri de formes aussi graves d’atteinte à l’intégrité de la personne 1019 », et cela danstous les contextes de vie, y compris dans leur vie familiale 1020 . En se référant à la Conventioninternationale des droits de l’enfant (CI<strong>DE</strong>)du 20 novembre 1989 1021 , la Cour a déclaré que cetteprotection implique la mise en place des mesures législatives, administratives, sociales et éducativesappropriées 1022 .Outre les obligations positives préventives, les Etats ont des obligations procédurales.b. Les obligations procéduralesLes obligations procédurales incombent aux Etats tant au titre de l’article 3 que de l’article13 de la Convention. Ce dernier reçoit une interprétation adaptée à ce type des griefs, comme pourles griefs relatifs au droit à la vie 1023 . En particulier, il implique l’obligation de mener une enquêtequi doit répondre aux exigences de l’article 3. De surcroît, ce type de griefs crée pour les Etats desobligations supplémentaires dans le cadre du recours national consacré par l’article 13 et du recourseuropéen consacré par l’article 34 de La Convention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Obligation de mener une enquête officielle et effective au titre de l’article 3<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Pour que les droits consacrés par la Convention ne soient pas théoriques ou illusoires, maisconcrets et effectifs, la Cour a dégagé de la combinaison de l’article 3 à l'article 1 de la Convention,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081017 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 190.1018 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc. § 189. V° CEDH, Mouisel c. France, n o 67263/01, CEDH 2002, § 40 ;CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 110.1019 CEDH, A. c. R.U., préc.1020 CEDH, Z. et autres c. RU [GC], préc. ; CEDH, E. et autres c. R.U. n° 33218/96, CEDH 2002-XI.1021 « 1. Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducativesappropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques oumentales,(...), de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sousla garde de ses parents ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui ilest confié », (CI<strong>DE</strong>, art. 19).1022 CEDH, Z. et autres c. RU [GC], préc. ; CEDH, E. et autres c. R.U. n° 33218/96, CEDH 2002-XI ; CEDH,D.P. et J.C. c. R.U. préc., § 109.1023 CEDH, Macovei et autres c. Roumanie, préc., § 54


230des obligations également procédurales 1024 . Lorsqu’un individu allègue de « manière défendable »des sévices contraires à l’article 3, cette disposition combinée à l’article 1 implique qu’il y ait une« enquête officielle et effective » 1025 et la garantie d’engager des recours effectifs qui peuvent aboutirà des sanctions efficaces. Elle a déclaré que « s'il n'en allait pas ainsi, nonobstant son importancefondamentale, l'interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains oudégradants serait inefficace en pratique, et il serait possible dans certains cas à des agents de l'Etat defouler aux pieds, en jouissant d'une quasi-impunité, les droits soumis à leur contrôle 1026 ». Desurcroît, cette obligation ne se limite pas aux seuls cas de mauvais traitements infligés par des agentsde l'Etat ; elle s’étend aux particuliers 1027 . Elle doit avoir lieu « quelle que soit la qualité despersonnes mises en cause 1028 ».Il incombe précisément aux Etats, en premier lieu, de mener une enquête approfondie eteffective qui, en l'absence d'un recours exercé par les victimes 1029 , doit être menée d’office 1030 .Enquête approfondie et effective signifie que des investigations doivent porter sur tous les pointssusceptibles : d’établir l'exactitude des faits (les enquêteurs doivent, par exemple, procéder àl'interrogation de tous les témoins susceptibles de fournir des informations 1031 , ordonner toutes lesexpertises nécessaires afin d'examiner de la manière la plus complète l'état de santé de la victime 1032et en tenir compte de leurs expertises 1033 , et établir si la nature et la mesure de la force ont étéjustifiées dans les circonstances données d’une affaire 1034 ), afin d’aboutir à la recevabilité du1024 L'article 3 combiné avec l'article 1, impose l'obligation aux Etats de prendre des mesures propres àempêcher que les personnes relevant de leur juridiction ne soient soumises à des tortures ou à des peinesinhumaines ou dégradants même administrés par des particuliers, CEDH, Caloc c. France, préc., § 89 ; V°CEDH, H.L.R. c. France, préc., § 40 ; CEDH, A. R.U, 23 sept. 1998.1025 CEDH, Assenov et autres c. Bulgarie, préc., § 102 ; CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, préc.,§ 56 ; CEDH, Naoumenko c. Ukraine, n° 42023/98, CEDH 2004-II, § 110 ; CEDH, Caloc c. France, préc.,§ 89 ; CEDH, Cafer Kurt c. Turquie, préc., § 24 ; CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 199.1026 Ibid.1027 « Dans un certain nombre de cas, l'article 3 de la Convention entraîne l'obligation positive de mener une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>enquête officielle. Une telle obligation positive ne saurait en principe être limitée aux seuls cas de mauvaistraitements infligés par des agents de l'Etat », CEDH, M.C. c. Bulgarie, préc., § 151. V° CEDH, Assenov etautres c. Bulgarie, préc., § 102 ; CEDH, Calvelli et Ciglio c. Italie [GC], préc.1028 CEDH, Macovei et autres c. Roumanie, préc., § 46.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1029 CEDH, Zelilof c. Grèce, préc., § 61.1030 CEDH, Assenov et autres c. Bulgarie, préc., § 102 ; CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, préc.,§ 156 ; CEDH, Naoumenko c. Ukraine, § 110 ; CEDH, Caloc c. France, préc., § 89 ; CEDH, Cafer Kurt c.Turquie, préc., § 24 ; CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 199.1031 CEDH, Assenov et autres c. Bulgarie, préc., §§ 101-106 ; CEDH, Sahin et autres, préc., § 53 ; CEDH,Martinez Sala et autres c. Espagne, préc., §§ 158-160 ; CEDH, Zelilof c. Grèce, préc., § 56.1032 CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, préc. ; CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 207.1033 CEDH, Zelilof c. Grèce, préc., §61. Ainsi, l’enquête est entachée d’ineffectivité : le refus d’une contreexpertiseet le contentement à la seule expertise d’un médecin légiste appelé lors de la garde à vue, CEDH,Martinez Sala et autres c. Espagne, préc., §§ 158-160 ; le rejet d’un examen médical suite à des allégations demauvais traitements, CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 207, § 213 ; la non constitution d’un dossierpermettant de tracer les étapes de l’enquête et des investigations effectuées, CEDH, Poltoratski c. Ukraine,préc., § 126 ; et évidement, le refus non motivé d’enquêter, CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 207, § 213.1034 CEDH, Zelilof c. Grèce, préc., § 55. V° CEDH, Corsacovc c. Moladavie, n°18944/02, CEDH 2006 IV,§ 69.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


231recours (peut constituer une violation de l’article 3, le refus non motivé d’une plainte 1035 , mais aussiun rejet du recours, exercé au titre de l’article 13, pour défaut de fondement dû aux défaillances del’enquête 1036 ) et à l’identification et à la punition des responsables (Même si elles n’aboutissent pasforcement à ce résultat 1037 , les investigations menées doivent être propres à conduire à l'identificationdes auteurs et à leur punition ainsi qu'à une réparation efficace 1038 . Les investigations doivent pouvoirconduire à la punition des auteurs ; les sanctions uniquement pécuniaires ne sont pas suffisantes 1039 ).En deuxième lieu, il incombe aux Etats de mener une enquête indépendante et impartiale,rapide, associant les victimes, et même comportant des mesures provisoires concernant les auteursmises en cause.Concernant précisément les garanties d’indépendance et d’impartialité, la Cour se réfère àl'article 12 de la Convention contre la torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains oudégradants (ONU), qui consacre l'obligation de procéder « immédiatement à une enquêteimpartiale » chaque fois qu'existent des motifs raisonnables de croire qu'un acte de torture a étécommis. Elle estime qu’elles sont implicites dans la notion du « recours effectif » prévu par l'article13 de la Convention européenne des droits de l'homme 1040 .L’enquête doit être menée avec la plus grande diligence possible 1041 . Constituent desmanquements à cette exigence de diligence, une enquête qui dure dix ans 1042 , un rapport d’expertise1035 CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc., § 126.1036 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 208.1037 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 207. V°CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, préc., § 156.1038 . C'est encore dans l'arrêt Aksoy que la Cour a résumé que lorsque les auteurs ne sont pas identifiés par lavictime, les investigations approfondies et effectives doivent être « propres à conduire à l'identification et à lapunition des responsables et comporter un accès effectif du plaignant à la procédure d'enquête », CEDH, Aksoyc. Turquie, préc., § 98. V° CEDH, Aydın c. Turquie, préc., § 103 ; CEDH, Fedotov c. Russie, préc., § 63 ;<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, préc., § 56 ; CEDH, Selmouni c. France, préc. ; CEDH, Assenovet autres c. Bulgarie, préc.1039 CEDH, Aydın c. Turquie, préc., § 103 ; CEDH, Tekin c.Turquie, préc., § 66 ; CEDH, Keenan c. R..U.,préc., § 123 ; CEDH, Fedotov c. Russie, préc., § 63 ; CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 199, § 209 ; CEDH,Martinez Sala et autres c. Espagne, préc., § 56 ; CEDH, Naoumenko c. Ukraine, § 110.1040 CEDH, Aksoy c. Turquie, préc.,§ 98, CEDH, Güleç c. Turquie, préc., § 76.1041 CEDH, Dikme c.Turquie, préc., §§ 93 et s. Dans l’affaire Selmouni, la Commission avait relevé que pourdes faits commis entre le 25 et 29 novembre 1991 et portés à la connaissance des autorités nationales à cemoment, l'instruction avait commencé seulement le 22 février 1993, la mise en examen des auteurs, pourtantidentifiés immédiatement par la victime, n'a eu lieu qu'en octobre 1996 et leur interrogatoire n'a commencéqu'en janvier 1997 (décision Selmouni n° 25803/94, du 25 nov. 1996)., CEDH, Selmouni c. France [GC], préc.,§§ 79 et s. Dans l’affaire Labita c. Italie [GC], précitée, le requérant, victime de mauvais traitements dans laprison, ne fut convoqué pour identifier les coupables seulement quatorze mois après sa plainte.1042 « La Cour remarque d’emblée que la procédure diligentée contre les policiers mis en accusation a été trèslongue : elle a donné lieu, plus de dix ans après les faits, à un arrêt de la Cour de cassation du 27 mai 2004 quia décidé de mettre fin à l’action pénale pour prescription », CEDH, Fazıl Ahmet Tamer et autres c. Turquie, n°19028/02, CEDH 2007-VII.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


232médicale établi deux ans et sept mois après les faits dénoncés 1043 , mais aussi un examen médicaleffectué deux mois 1044 et même dix jours 1045 , après les allégations de sévices en prison.Enfin, toujours pour préserver la confiance des personnes en la justice, et donc en l’état dedroit, la Cour a jugé que, lorsque des accusations graves et défendables sont portées contre desfonctionnaires, l’article 3 peut impliquer la suspension des fonctionnaires durant l’enquête 1046 .Il arrive que la Cour examine les griefs à la fois sous le volet procédural de l’article 3 etsous l’article 13 1047 . Cela s’explique par le fait que leur champ se recoupe. Mais le champ du droit derecours effectif est plus large.Garanties complémentaires au titre du recours national effectif (art. 13)L’article 13 prévoit que « toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présenteConvention ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alorsmême que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctionsofficielles. » (art. 13). Cette disposition comporte des garanties procédurales plus amples que l’article3 1048 . Elle peut être violée indépendamment de la violation de l’article 3 1049 .Lors de son application à des griefs relatifs à la violation de l’article 3, le droit de recours effectifreçoit une interprétation adaptée. La Cour a, à plusieurs reprises, souligné que « la portée del'obligation découlant de l'article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant fonde surla Convention » 1050 . En effet, dans ce type de griefs comme dans des griefs relatifs au droit à la vieconsacré par l’article 2, l’article 13 comporte certaines exigences supplémentaires. L’enquête doitdonc être impartiale, approfondie et effective 1051 , rapide 1052 et à laquelle les victimes ont un accèseffectif 1053 . Des manquements à ces exigences lors de l’enquête peuvent compromettre l’effectivitédes recours disponibles en droit national en débouchant sur un rejet pour défaut de fondement ou sur<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1043 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 205.1044 CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc., § 126.1045 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc.1046 « En effet, de telles mesures sont indispensables pour maintenir la confiance du public et assurer sonadhésion à l’État de droit ainsi que pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux, ou de collusiondans leur perpétration », CEDH, Fazıl Ahmet Tamer et autres c. Turquie, préc., § 93.1047 CEDH, M.C. c. Bulgarie, préc. ; CEDH, Anguelova c. Bulgarie, préc., §§ 158-162.1048 CEDH, Khachiev et Akaïeva c. Russie, n os 57942/00 et 57945/00, CEDH, 2005-II, § 183.1049 CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, préc., §§ 156-160 ; CEDH, Indelicato c. Italie, n° 31143/96,CEDH 2001-X.1050 . CEDH, Aksoy c. Turquie, préc., § 95 ; CEDH, Aydın c. Turquie, préc., § 103 ; CEDH, Assenov et autres c.Bulgarie, préc., § 117 ; CEDH, Raminez Sanchez, préc., § 128.1051 CEDH, Keenan c. R..U., préc., § 123.1052 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 200.1053 CEDH, Khachiev et Akaïeva c. Russie, préc., § 183.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


233l’impossibilité d’identifier et/ou de punir les responsables 1054 . Les autres obligations supplémentairesconcernent l’accès effectif à un tribunal, la compétence et le pouvoir de sanction de celui-ci, et le caséchéant, l’existence des recours urgents assortis des mesures provisoires.Concernant l’accès effectif à un tribunal, on peut constituer une entrave à l’exercice d’un recourseffectif aussi bien le classement sans suite et sans possibilité donnée aux victimes de contester unetelle décision devant un organe indépendant et impartial, qu’une qualification en deçà de la gravitédes faits 1055 . Certes « aucun article de la Convention ne garantit le droit pour les victimes d'uneagression d'imposer aux autorités internes leur choix quant à la qualification juridique des faits ».Mais la Cour peut contrôler si la qualification retenue a été « apte à conduire à la punition desresponsables 1056 » telle qu’est exigée par l’article 3 de la Convention, puisque, au sein de cet article,les notions de torture, de traitements ou peines inhumains, et de traitements ou peines dégradantsrevêtent un sens autonome 1057 .Quant à l’étendue de la compétence et du pouvoir de sanction, l’instance saisie doit pouvoircontrôler tant la forme que le fond d’une affaire. Elle doit également pouvoir prononcer dessanctions de réparation du préjudice moral et matériel mais aussi des sanctions pénales 1058 . Fauted’avoir pu identifier les responsables et établir leur responsabilité, l’instance de recours doit pouvoirordonner la sanction minimale qui est la réparation du préjudice : « Une indemnisation pour ledommage moral provoqué par la violation doit en principe faire partie des formes de réparationdisponibles. La victime doit toujours pouvoir au moins obtenir réparation 1059 . » Outre des sanctionspénales, les obligations positives des Etats visant à prévenir les mauvais traitements par la dissuasionet la répression, commandent également des « sanctions disciplinaires 1060 .Enfin, le recours effectif peut également impliquer l’existence des recours urgents assortisdes mesures provisoires afin d’anticiper ou de faire cesser une situation susceptible de porter atteinteà l’article 3. Ainsi, la Cour a jugé qu’il doit exister des recours urgents permettant de prononcer lesursis à l'exécution d'un arrêté d'expulsion si le dommage qui risque de se produire est irréversible 1061ou la suspension d’une sanction disciplinaire consistant en la mise en isolement, tout du moinslorsque la personne souffre de troubles mentaux et présente des risques de suicide 1062 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081054 Vu les lacunes constatées lors de l'enquête, la Cour a conclu à la violation de l'article 13 au motif que ceslacunes ont privé le requérant de la possibilité d’exercer un recours effectif, CEDH, Salman c. Turquie [GC],préc.1055 CEDH, Macovei et autres c. Roumanie, préc., § 53.1056 Ibid., §56.1057 Ibid., §50.1058 CEDH, Khachiev et Akaïeva c. Russie, préc., § 183.1059 CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., § 66.1060 CEDH, Fazıl Ahmet Tamer et autres c. Turquie, préc., §98, §99.1061 CEDH, Jabari c. Turquie, préc.1062 CEDH, Keenan c. R..U., préc., § 127, § 130.


234Un dernier point de renforcement réside dans la matière de preuves devant la Cour dans lecadre du recours européen (article 34).Garanties complémentaires au titre du recours européen (art. 34)Le recours européen individuel est consacré en ces termes par l’article 34 de laConvention 1063 . Dans le cadre de ce recours, la Cour a tenté de faciliter les preuves en matièred’allégation de mauvais traitements en adoptant un critère autonome d’appréciation des preuves et enprévoyant la possibilité d’inversement de la charge de la preuve en faveur des requérants.La preuve « au-delà de tout doute raisonnable »La Cour exige que les allégations de mauvais traitements soient étayées par des éléments depreuve appropriés 1064 . Plus précisément, elles doivent être établies « au-delà de tout douteraisonnable » 1065 . La preuve au-delà de tout doute raisonnable revêt un sens européen autonome 1066 .Elle peut résulter d'un faisceau d'indices ou des présomptions non réfutés, suffisamment graves,précis et concordants 1067 .La possibilité d’inversement de la charge de la preuveLa charge de cette preuve peut être inversée. La Cour affirme qu’elle n’applique pasrigoureusement le principe affirmanti incumbit probatio (celui qui allègue doit apporter lapreuve) 1068 . Il en va ainsi lorsque seul le gouvernement a accès à l’information capable de corroborerou à réfuter les allégations 1069 . Tel est notamment le cas s’agissant d’allégations de mauvais1063<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...« La Cour peut être saisie d'une requête par toute personne physique, toute organisation nongouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation par l'une des HautesParties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses protocoles. Les Hautes Partiescontractantes s'engagent à n'entraver par aucune mesure l'exercice efficace de ce droit ».1064 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 181 ; CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 88 ; CEDH, Fedorovc. Russie, préc., § 59 ; CEDH, Martinez Sala et autres c. Espagne, préc., § 146 ; CEDH, Soner et autres c.Turquie, préc., § 42.1065 CEDH, Aydın c. Turquie, préc., §§ 70-73 ; CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., §§ 88 ; CEDH, Dikmec. Turquie, préc., § 73 ; CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 121 ; CEDH, Fedotov c. Russie, préc., § 59 ;CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 181.1066 CEDH, Mathieu c. France, n° 68673/01, CEDH 2005-X, § 156 ; CEDH, Soner et autres c. Turquie, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 42.1067 R 21592/93 (A.Sur/Turquie), 3.9.96, § 35. V° CEDH, Aydin c. Turquie, préc., §§ 70-73 ; CEDH, Selmounic. France [GC], préc., §§ 88 ; CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 121 ; CEDH, Fedotov c. Russie, préc.,§ 59 ; CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 181 ; CEDH, Ramirez Sanchez c.France, préc., § 98 ; CEDH,Soner et autres c. Turquie, préc., § 42.1068 CEDH, Fedotov c.Russie, préc., § 60.1069 Ibid.


235traitements subis durant une privation de liberté 1070 . Si la personne apporte la preuve des blessures,notamment par des pièces médicales, il existe de fortes présomptions de fait 1071 . Dans ces cas, ilappartient aux Gouvernements de fournir une « explication plausible 1072 » sur les origines de cesblessures et de produire des « preuves établissant des faits qui font peser un doute sur les allégationsde la victime 1073 ». Lorsque aucune explication n'est donnée sur ces blessures, cette instance déduitqu'il y a de fortes présomptions quant au fait que ces traitements ont été infligés durantl'interrogatoire 1074 . Tel peut être le cas également des personnes qui ne peuvent pas apporter lapreuve faute d’investigations. Dans ce cas, elle peut accorder foi au récit de plaignants 1075 . Dans cescas, la Cour peut s'appuyer sur tout autre élément de preuve 1076 .Le manquement à l'obligation de mener une enquête répondant à l'ensemble de ces exigencespeut emporter violation de l'article 3. Cette violation peut être uniquement procédurale ou égalementsubstantielle. Si l'absence de l'enquête a empêché d'établir les faits « au-delà de tout douteraisonnable », la Cour ne prononce que la violation procédurale de l'article 3 1077 . En revanche, simalgré l'absence d'une enquête effective, elle considère que les faits sont établis « au-delà de toutdoute raisonnable », elle peut conclure à la violation à la fois procédurale et substantielle de l'article3 1078 . Mais s’agissant de manquements procéduraux, il arrive que cette instance conclut à la violationde l’article 3 sans préciser si elle est substantielle ou procédurale 1079 .2. La protection complémentaire préventive assurée par le CPTAfin de renforcer l’effet protecteur de l’article 3 de la Convention à l’égard des personnesprivées de leur liberté, le Conseil de l’Europe a adopté, le 26 novembre 1987, la Conventioneuropéenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants1070 CEDH, Biyan c. Turquie, préc., § 41.1071 « Lorsqu’une personne est blessée au cours d’une mesure privative de liberté, alors qu’elle se trouvaitentièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police, y compris lors de son arrestation, toute blessuresurvenue pendant cette période donne lieu à de fortes présomptions de fait », CEDH, Soner et autres c.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Turquie, préc., § 41.1072 « Lorsqu'un individu est placé en garde à vue alors qu'il est blessé au moment de sa libération, il incombe àl'Etat de fournir une explication plausible pour l'origine des blessures, à défaut de quoi l'article 3 de laConvention se trouve manifestement appliqué », CEDH, Tomasi c. France, préc., §§ 108-111. V° CEDH,Aksoy c. Turquie, préc., § 61 ; CEDH, Ribitsch c. Autriche, n° 18896/91, 4 déc. 1995, Série A n° 336, § 34 ;CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 87 ; CEDH, Dikme c. Turquie, préc., § 78 ; CEDH, Caloc c. France,préc., § 84 ; CEDH, Biyan c. Turquie, préc., § 41.1073 CEDH, Soner et autres c. Turquie, préc., § 41. V° CEDH, Tekin c.Turquie, préc., §§ 52, 53 ; CEDH, Altayc. Turquie, préc., § 50 ; CEDH, Esen c. Turquie, n o 29484/95, CEDH 2003-VII, § 25.1074 CEDH, Salman c. Turquie [GC], préc.1075 A propos des conditions matérielles de la détention (CEDH, Fédotov c. Russie, précité), et à propos desUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008violences, (CEDH, Altay c.Turquie, précité).1076 CEDH, Tekin c. Turquie, préc., §§ 38-42.1077 CEDH, Assenov et autres c. Bulgarie, préc., § 94.1078 CEDH, Dikme c. Turquie, n o 20869/92, CEDH 2000-VIII, §§ 68-104. Même s’il lui arrive de retenir laviolation substantielle de l’article 3 et passer, pour la partie procédurale, à l’examen du droit au recours au seinde l’article 13, CEDH, lhan c. Turquie [GC], préc., §§ 84-92.1079 Par exemple, CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc., §§ 125-128.


236assorti d’un mécanisme de protection préventif. Son préambule énonce : « Convaincus que laprotection des personnes privées de liberté contre la torture et les peines ou traitements inhumains oudégradants pourrait être renforcée par un mécanisme non judiciaire, à caractère préventif, fondé surdes visites ».En effet, la particularité du mécanisme de protection instauré par cette Convention résidedans le contrôle préventif de tout lieu privatif de liberté (art. 2) 1080 . Ce contrôle est exercé parl’instrument mis spécialement en place par cette même Convention : le Comité européen pour laprévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT). Il s’agit d’unorgane pluridisciplinaire composé de juristes, de médecins, de psychologues et de personnesappartenant à d'autres disciplines.Cet organe exerce son contrôle par des visites régulières ou inopinées(art. 7) 1081 auxquellesles autorités nationales ne peuvent pas s’opposer (art. 3). Le pouvoir de contrôle du CPT est illimité ence sens qu’il peut visiter l’ensemble des lieux de détention, se déplacer à l’intérieur de ces lieux sansaucune entrave et qu’il peut s’entretenir avec toute personne dans la confidentialité (art. 8).A la fin de sa visite, le CPT rédige un rapport qu’il transmet au gouvernement. Ce rapport peutcontenir des recommandations pour remédier aux situations jugées non conformes à la Convention. Legouvernement est tenu de répondre pour s’expliquer et pour préciser les mesures qu’il compte prendreet dans quel délai afin de remédier aux insuffisances relevées.Les rapports de visite, ainsi que les réponses du gouvernement sont confidentiels. Mais legouvernement concerné peut donner son accord pour les publier 1082 . C’est ce qui se fait de plus en plus.Le refus de publication est jugé suspect, laissant présumer des conditions de détention constitutives demauvais traitements. En tout cas, il est jugé contraire à la démocratie dont une de ses caractéristiquesest la transparence de son fonctionnement.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Dans la pratique, c’est dans cette publication que réside le pouvoir de ce système de protection.Les Etats européens ne veulent pas être mis à l’index par l’opinion publique pour violation des droitsUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de l’homme, qui devient l’indicateur majeur du déficit démocratique des pays européens. L'autorité1080 Article 2 : « Chaque Partie autorise la visite, conformément à la présente Convention, de tout lieu relevantde sa juridiction où des personnes sont privées de liberté par une autorité publique. »1081 Article 7 : « Le Comité organise la visite des lieux visés à l'article 2. Outre des visites périodiques, leComité peut organiser toute autre visite lui paraissant exigée par les circonstances ».1082 Article 11 : « 1. Les informations recueillies par le Comité à l'occasion d'une visite, son rapport et sesconsultations avec la Partie concernée sont confidentiels. 2 Le Comité publie son rapport ainsi que toutcommentaire de la Partie concernée, lorsque celle-ci le demande. 3 Toutefois, aucune donnée à caractèrepersonnel ne doit être rendue publique sans le consentement explicite de la personne concernée.»


237morale de ce Comité étant acquise au niveau européen, la publication de ses rapports est redoutée parles Etats.Outre ces Rapports, le CPT rédige chaque année un rapport général sur ses activités qui, lui,est d’office public (art. 12) 1083 . Par ce biais le CPT parvient au fil des années, à dégager ses proprescritères d’appréciation des mauvais traitements, et donc de leur donner une définition qui n’est pasidentique à celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Il arrive que la Cour, en se référantau rapport du CPT, relève que cet organisme a qualifié une situation ou un traitement dans un lieu dedétention comme constitutifs de mauvais traitement, mais elle n’adopte pas la même analyse quecelle concernant l’article 3 de la Convention. Il n’empêche que, la Cour ayant adopté uneinterprétation évolutive de la Convention, les analyses du CPT lui servent de précurseur dansl’application de l’article 3 dans les lieux privatifs de liberté. En tout cas, en temps réel, son travail luisert de moyen de preuve dans l’appréciation des conditions de détention dans un lieu visité par cetorganisme. Les faits rapportés jouissent d’une sorte de présomption de véracité, faute pour legouvernement visé de produire des preuves contraires convaincantes.Après la présentation du cadre général de la définition et de la protection européenne de ladignité, nous allons examiner quels sont les principes qui régissent son application dans la prison etquelle est son application affective.D. Les principes sur l’application du respect de la dignité dans les prisonsAu regard de droits internationaux, la peine privative de liberté même exécutée en détentionn’est pas en soi incompatible avec le respect de la dignité. En effet, elle fait partie des « peineslégitimes » selon l’expression de la Convention de l’ONU contre la torture (1984), dontl'incompatibilité avec le respect de la dignité de la personne est expressément exclue. Le dernieralinéa de la disposition de cette Convention qui définit la "torture" précise que ce terme n'englobepas « la douleur ou les souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à cessanctions ou occasionnées par elles ». Or la peine privative de liberté fait partie de telles peines : elleest implicitement admise par la DUDH dès lors que son article 9 qui prévoit que « nul ne peut être<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008arbitrairement arrêté, détenu ou exilé », n’exclut pas la privation de liberté à tire de peine ; et elle estexpressément autorisée par la Convention européenne des droits de l’homme (art . 5) 1084 . Ce quisignifie qu’elle est également compatible avec l’article 3 de cette dernière Convention.1083 Article 12 : « Chaque année, le Comité soumet au Comité des Ministres, en tenant compte des règles deconfidentialité prévues à l'article 11, un rapport général sur ses activités, qui est transmis à l'AssembléeConsultative, ainsi qu'à tout Etat non membre du Conseil de l'Europe partie à la Convention, et rendu public ».1084 « Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :a. 'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ».


238Cela bien que la Cour européenne reconnaisse que cette peine, à l’instar de quasiment toutesles sanctions pénales, comporte inévitablement un degré de souffrance et d’humiliation. Ens’exprimant pour la première dans l'arrêt Tyrer sur les principes qui doivent régir la compatibilitédes peines existantes dans les pays du Conseil de l'Europe avec l'article 3 de la Convention, elle adéclaré : « La Cour constate, d'abord, qu'un individu peut être humilié par le simple fait qu'on lecondamne au pénal 1085 » ; et que cela est « l'un des effets du châtiment judiciaire qui entraîne lasoumission forcée aux exigences du système pénal 1086 ». Mais elle a refusé de tirer de ce constat uneantinomie avec l’article 3 : « Il serait absurde de soutenir que toute peine judiciaire, en raison del'aspect humiliant qu'elle présente d'ordinaire et presque inévitablement, revêt un caractère dégradantau sens de l'article 3 1087 ».Et la Cour de préciser que pour que ces peines « légitimes » soient considérées commeincompatibles avec le respect de la dignité, elles doivent s’accompagner des conséquences quidépassent le seuil d’humiliation « inhérent », « inévitable » ou « habituel » de ces peines.« L'humiliation ou l'avilissement dont elle s'accompagne doivent se situer à un niveau particulier etdifférer en tout cas de l'élément habituel d'humiliation mentionné à l'alinéa précédent 1088 » ; « lasouffrance ou l'humiliation doivent aller au-delà de ce que comporte inévitablement une formedonnée de traitement ou de peine légitime », précisa-t-elle ultérieurement 1089 . En tout état de cause,« il ne suffit pas que le traitement comporte des aspects désagréables 1090 ».En ce qui concerne précisément la peine privative de liberté, si elle n'est pas en soiconsidérée comme une peine humiliante ou inhumaine, il est en effet admis qu’elle peut le devenirpar les conditions de son exécution dès lors qu’elles entraînent des conséquences qui dépassent cellesconsidérées comme normales 1091 . Ce risque est notamment reconnu lorsqu'elle est exécutée dans laprison. En effet, si les instances nationales et internationales refusent de voir dans l’incarcération unepeine corporelle, elles reconnaissent, en revanche, que la prison est un lieu fragilisant le respect dela dignité et un lieu où l’individu connaît des risques accrus de subir des mauvais traitements. Lesouci d'affirmer expressément l'obligation d'assurer le respect de la dignité à l'égard des détenus dansles textes pénitentiaires internationaux, supranationaux et nationaux est à cet égard symptomatique.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081085 CEDH, Tyrer c.R.U., préc., § 30.1086 Ibid.1087 Ibid.1088 Ibid.V° parmi d’autres : CEDH, Costello-Roberts c.R.U., préc. ; CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc.,§§ 92-94 ; CEDH, Ilacu et autres c. Moldavie et Russie [GC], n° 48787/99, CEDH-2004-VIII ; CEDH,Kalashnikov c. Russie, préc., § 95 ; CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], n° 59450/00, CEDH 2006-VII,§ 119 ; CEDH, Popov c. Russie, n° 26853/04, CEDH 2006-VII, § 208 ; CEDH, Kadiis c. Lettonie (n° 2), n o62393/00, CEDH 2006-V, § 56.1089 CEDH, T. c. R.U, [GC], préc., § 69.1090 CEDH, Guzzardi c. Italie, préc., § 107.1091 « Une peine d'emprisonnement régulièrement infligée peut soulever un problème sous l'angle de l'article 3,notamment par la manière dont elle est exécutée », D 7994/77 (Kötalla/Pays-Bas), D.R. 14, p. 238. V° R9044/80 (Cartier/Italie, 8.12.1981, DR 33, p 41.


239Cette obligation figure aussi bien dans le texte de l'Ensemble des Règles minima pour le traitementdes détenus (ONU), que dans celui des Règles pénitentiaires européennes révisées en 2006 1092 . Desurcroît, au niveau européen, le Comité européen pour la prévention de la torture fut institué dans lebut de renforcer le respect de la dignité dans les lieux de privation de liberté. Le même souci estexprimé par les droits nationaux.En droit grec, le Code pénitentiaire consacre, dès son deuxième article, le principe selonlequel la dignité humaine doit être préservée durant le traitement des détenus (art. 2). Concernant laprotection pénale des personnes détenues contre des actes de torture et des traitements inhumains oudégradants, le droit grec est marqué par une évolution similaire à celle de la jurisprudenceeuropéenne. La privation de liberté est prise en compte dans le renforcement de la protection de ladignité. Cette condition fait partie de celles constitutives de l'infraction de torture et d'atteintes à ladignité humaine. Constituent de telles infractions, des actes commis par des fonctionnaires oumilitaires chargés de l'« instruction des infractions pénales ou disciplinaires », mais aussi de la« garde des personnes » et de l'« exécution des peines » (art. 137A § 1) 1093 . De plus, les atteintes denature sexuelle constituent une infraction spéciale lorsqu'elles sont commises par des personnes enposte dans une institution publique destinée à la garde des personnes à but punitif outhérapeutique (art. 343 al.b C. pén.).En droit français, le respect de la dignité des détenus est également souligné dans lesdispositions pénitentiaires : « A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autoritéjudiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignitéinhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertionsociale. » (art. D 189 CPP). Une autre disposition interdit l'usage de dénominations injurieuses (art.D 220 CPP). Quant à la protection pénale, il faut voir une protection renforcée des détenus dans lefait que certaines infractions lorsqu’elles sont commises « par une personne dépositaire de l'autoritépublique ou chargée d'une mission de service public dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice deses fonctions ou de sa mission » est considéré comme une circonstance aggravante. Il s'agit de latorture et des actes de barbarie (art. 222-3, 7° et 222-8 7°), des violences ayant entraîné unemutilation ou une infirmité permanente (art. 222-10 7°) et des violences ayant entraîné une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008incapacité de travail durant huit jours (art. 222-12 7°). Même sans conséquence physiquehandicapante, la qualité de l'auteur d'actes de violences suffit pour que celles-ci constituent uneinfraction pénale (art. 222-13 7°).Aussi le principe régissant la protection des détenus au sein du droit européen et des droitsnationaux est-il défini comme l'interdiction de porter atteinte à l’intégrité physique et mentale que se1092 Dans leur préambule et dans le premier et troisième article des principes fondamentaux.1093 Voir la partie de la présente étude consacrée sur cette question.


240soit par des actions ou des omissions, la prison étant considérée comme un contexte fragilisant lerespect de la dignité. Le principe est ainsi fixé par la Cour : tout prisonnier doit être détenu dans desconditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine. Avec la précision, d’une part,que les modalités d’exécution ne doivent pas soumettre les prisonniers à une détresse ou à uneépreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention 1094 et,d’autre part, que ces personnes se trouvent dans une situation de vulnérabilité : « La Cour a soulignéque les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoirde les protéger 1095 ».Aussi, dans la prison, les atteintes qui sont susceptibles de constituer un traitement dégradantau sens de l’article 3 de la Convention sont celles dépassant le niveau d’humiliation et de souffranceinhérent à la peine privative de liberté exécutée dans la prison. Il reste alors à déterminer de quel typed’atteintes il s’agit et où se situe ce seuil. Celui-ci est-il propre à assurer la même garantie qu’àl’extérieur ou tolère-t-il des atteintes d’une gravité plus élevée au point de compromettre le caractèreabsolu des interdits prévus par l’article 3 ?Nous allons donc déterminer où se situe le seuil de violation de l’article 3 dans la prison etquelles sont les exigences européennes de protection et celles effectivement prévues par les droitsnationaux. Nous allons d’abord, aborder cette question concernant la protection de l’intégritéphysique et psychique en général (Chapitre 1), et ensuite celle de la santé en particulier. Commenous l’avons noté, la Cour estime que dès lors qu’une détérioration de la santé implique laresponsabilité de l’Etat, elle peut constituer un mauvais traitement 1096 . Or, s’agissant des personnesdétenues, la garantie des soins relève quasi exclusivement de la responsabilité de l’Etat créant alorsun champ d’obligations aussi vaste que la garantie de l’intégrité physique de ces personnes. Parailleurs, le domaine de la santé soulève des questions qui lui sont propres, comme le respect du secretet du consentement qui relèvent à la fois de l’article 3 et 8 de la Convention (Chapitre 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1094 « L’article 3 impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier soit détenu dans des conditions qui sontcompatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettentpas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffranceinhérent à la détention », CEDH, Ramirez Sanchez c. France, n° 59450/00, CEDH 2005-I, § 99. « Pour qu'unepeine ou le traitement dont elle s'accompagne soient ‘inhumains’ ou ‘dégradants’, la souffrance oul'humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée detraitement ou de peine légitime. La question de savoir si le traitement avait pour but d'humilier ou de rabaisserla victime est un autre élément à prendre en compte. L'absence d'un tel but ne saurait toutefois exclure de façondéfinitive un constat de violation de l'article 3 », CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 121. V° CEDH, V. c.R.U., [GC], préc., § 71 ; CEDH, Raninen c. Finlande, préc., § 55.1095 CEDH, Rivas c. France, préc., § 38. V° CEDH, Mikadzé c. Russie, n o 52697/99, CEDH 2007-VI, § 109 ;CEDH, Biyan c. Turquie, préc., § 43 ; CEDH, Berktay c. Turquie, préc., § 167.1096 « La souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu'elle soit physique ou mentale, peut releverde l'article 3 si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par un traitement – que celui-ci résulte deconditions de détention, d'une expulsion ou d'autres mesures – dont les autorités peuvent être tenues pourresponsables », CEDH, Pretty c. R.U., nº 2346/02, CEDH, 2002-IV § 52. V° CEDH., Keenan c. R.U., préc. ;CEDH, Bensaid c. R.U., n° 44599/98, CEDH 2000-I.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


241CHAPITRE 2. APPLICATION <strong>DE</strong>S INTERDITS DANS <strong>LA</strong> GARANTIE <strong>DE</strong>L’INTEGRITE PHYSIQUE ET MENTA<strong>LE</strong> <strong>DE</strong>S <strong>DE</strong>TENUSEu égard à la jurisprudence européenne, la protection de l’intégrité des personnes détenuesse pose en des termes non identiques au regard des aspects suivants : les violences, qui sont destraitements nullement impliqués par les conséquences inévitables de la détention (Section 1) ; lesconditions matérielles de vie en détention, à propos desquelles la Cour admet un certain seuil desouffrance comme inévitable (Section 2) ; les régimes de détention de sécurité renforcée, le plusconnu étant celui d’isolement carcéral à propos duquel la Commission avait, dès 1973, reconnu qu’ilconstitue une mesure grave notamment s'il est de longue durée 1097 (Section 3) ; et, enfin, la capacitéde certaines catégories de personnes à subir une détention de régime ordinaire (Section 4).SECTION 1. <strong>LE</strong>S GARANTIES CONTRE TOUS TYPES <strong>DE</strong> VIO<strong>LE</strong>NCESRappelons que ce qui caractérise l’approche européenne des violences physiques commises àl’encontre des détenus est, d’une part, que ceux-ci sont considérés comme des personnes en situationde vulnérabilité en raison de la privation de liberté qui les placent entièrement dans les mains desautorités 1098 . Cela milite pour une appréciation plus stricte de la nécessité de recours à l’usage desmoyens de force. Mais d’autre part, leur champ d’exposition à la violence est plus large que celuid’une personne libre.Il est plus large de fait, à cause de la cohabitation forcée et du climat général de tension quirègne dans les prisons. Il est aussi plus large de droit car les cas de recours autorisés à la force et lesmoyens de force sont plus nombreux qu’à l’extérieur. De surcroît, outre le recours à la force, estautorisé en prison le recours à des moyens coercitifs d’ordre et de sécurité (dits également moyens decontention ou de contrainte) comme les menottes, les entraves, les camisoles de force, les fouilles,etc. Certains d’entre eux, outre le fait qu’ils sont contraires à l'article 8, peuvent être constitutifs d'untraitement prohibé par l'article 3. Cependant tant le Conseil de l'Europe que les droits nationaux neles interdisent pas. Ils se contentent de prévoir des garanties lors de leur usage.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081097 « C'est assurément une mesure grave que de couper un détenu de tout ou pratiquement tout contact avec lacollectivité carcérale pendant une longue période », D 7630/76 (Reed/RU), 6.12.1979, D.R. 19, p. 113 ; D6038/73 (X/RFA), 11.7.1973, Rec. 44, p.115 ; D 18942/91 (S.Windsor/RU), 6.4.1993.1098 Voir entre autres, CEDH, Rivas c. France, préc., § 38 ; CEDH, Biyan c. Turquie, préc., § 43 ; CEDH,Bursus c. Roumanie, préc., § 94.


Nous allons présenter les éléments de la protection européenne et nationale des détenus,d’abord, contre la force physique (§ 1), et ensuite contre les moyens coercitifs (§ 2).242§ 1. La protection contre les violences physiquesPar force physique, nous entendons la violence infligée à main nue, mais aussi à l'aided’instruments (matraques, pompes à eau, gaz lacrymogènes ou autres, à l'exception de celle desarmes à feu qui est traitée dans la partie sur le droit à la vie). Pèse sur les autorités l’obligation deprotéger l’intégrité physique des détenus tant contre l’usage de force de la part du personnelpénitentiaire que de celle des codétenus. Les personnes privées de leur liberté sont en état devulnérabilité 1099 et sous la responsabilité des Etats 1100 . Il convient alors d’établir les exigenceseuropéennes (A) et de les comparer à celles prévues par les droits nationaux (B).A. La protection européenneCe qui caractérise la protection européenne des détenus contre les violences, c’est d’abord lefait qu’elle impose aux Etats des obligations qui sont à la fois négatives et positives : « Il astreint lesautorités des Etats contractants non seulement à s’abstenir de provoquer de tels traitements, maisaussi à prendre préventivement les mesures d’ordre pratique nécessaires à la protection de l’intégritéphysique et de la santé des personnes privées de liberté » 1101 . Ce qui la caractérise, ensuite, c’est lefait que ces personnes sont considérées comme vulnérables et que les autorités ont donc le devoir deprotéger 1102 . Jusqu’à présent, c’est surtout l’interdiction faite aux personnes chargées de l’autorité derecourir à la force qui a donné lieu à des recours devant la Cour de la part des détenus examinés sousl’angle de l’article 3 (1). Les recours pour violences de la part des codétenus demeure marginale (2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. Les obligations négatives<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Les obligations négatives imposent, en premier lieu, de s’abstenir d’utiliser la force à l’encontredes personnes détenues et, en deuxième lieu, au cas où les autorités seraient amenées à en faireusage, de la limiter à la mesure strictement nécessaire. En effet, l’usage de la force n’est pas prohibéUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de manière absolue. La protection des détenus réside seulement dans la réglementation de son usage.Ce qui leur est propre, comme à toutes les personnes privées de leur liberté, c’est que du fait de leurétat de vulnérabilité et parce qu’elles sont placées sous la protection des autorités, l’appréciation de1099 Voir entre autres, CEDH, Rivas c. France, préc., § 38 ; CEDH, Biyan c. Turquie, préc., § 43 ; CEDH,Bursus c. Roumanie, préc., § 94.1100 CEDH, Mikadzé c. Russie, préc., § 109.1101 CEDH, Pantea c. Roumanie préc., § 189 ; Mouisel c. France, n o 67263/01, CEDH 2002-XI, § 40 ; CEDH,Keenan c. R. U, préc., § 110.1102 CEDH, Mikadzé c. Russie, préc., § 109 ; CEDH, Rivas c. France, préc., § 38 ; CEDH, Biyan c. Turquie,préc., § 43 ; CEDH, Bursus c. Roumanie, préc., § 94.


la nécessité de recours à la force est plus stricte : « Lorsqu’un individu se trouve privé de sa liberté,l’utilisation à son égard de la force physique alors qu’elle n’est pas rendue nécessaire par soncomportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droitgaranti par l’article 3 1103 ». En tout état de cause, la Cour considère que des coups multiples et d’unecertaine gravité sont difficilement justifiables par le comportement d’une personne déjà privée deliberté de même que par celui d’une personne lors de son arrestation. Leur constat suffit pour lesqualifier de mauvais traitements 1104 . D’autre part, la vulnérabilité des personnes privées de leurliberté facilite la preuve de mauvais traitements devant la Cour. Le raisonnement adopté à ce proposest que « lorsqu’une personne est blessée au cours d’une garde à vue, alors qu’elle se trouvaitentièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police, toute blessure survenue pendant cettepériode donne lieu à de fortes présomptions de fait 1105 ». Cela crée à la charge des Etats l’obligationde produire des preuves susceptibles d’écarter de telles présomptions. Précisément, un tel événementétant, dans sa totalité ou pour une large part, connu exclusivement des autorités , il appartient augouvernement de fournir une « explication plausible » sur son origine et de produire des preuvesétablissant des faits qui font peser un doute sur les allégations de la victime 1106 . A défaut, la violationde l’article 3 et la responsabilité de l’Etat peuvent être retenues 1107 . Tel est notamment le cas si lerequérant a apporté des preuves médicales 1108 . Le gouvernement doit être en mesure de lescontredire, en principe, par le même type de preuves. Il résulte en effet de la jurisprudence de la Courqu’il incombe au gouvernement de faire subir des examens médicaux aux personnes à l’issue d’unegarde à vue 1109 mais aussi d’une arrestation ou d’un incident violent dans la prison ou autre lieu dedétention 1110 . Ils peuvent aussi produire des procès-verbaux détaillés 1111 afin de pouvoir comparer1103 CEDH, Tekin c. Turquie, préc., § 52, § 53 ; CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 180. Parfois la Cour arecours à des termes encore plus restrictifs : la force doit être rendue « strictement nécessaire » (Altay c.Turquie, préc., § 49 ; Labita c. Italie [GC], préc., § 120 ; Indelicato c. Italie, préc., § 31) ou « absolumentnécessaire » (Gömi et autres c. Turquie, préc., § 72).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1104 CEDH, Selmouni c. France [GC], préc., § 99 ; CEDH, Rehbock c. Slovénie, préc., §§ 76-77 ; CEDH, R. L.et M. J.D., c. France, préc., §§ 72-73 ; CEDH, Sahin et autres c. Turquie, préc., § 54 ; et CEDH, Ribitschc.Autriche, préc.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1105 CEDH, Altay c. Turquie, préc., § 50 ; CEDH, Rivas c. France, préc., § 38 ; Salman c. Turquie [GC], préc.,§ 100.1106 Voir, parmi d’autres, arrêts : CEDH, Selmouni c. France, préc. ; CEDH, Berktay c. Turquie, préc., § 167 ;CEDH, Altay c. Turquie, préc., § 50 ; Tomasi c. France, préc., §§ 108-111 ; CEDH, Ribitsch c.Autriche, préc.,§ 31 ; CEDH, Rivas c. France, préc., §§ 38.1107 « En l’absence d’une explication plausible, la Cour estime établi en l’espèce que les lésions dont les tracesont été constatées sur la personne du requérant ont été causées par un traitement dont le Gouvernement porte laresponsabilité », CEDH, Altay c. Turquie, préc., §56 ; CEDH, Rivas c. France, préc., § 38.1108 Fahriye Çaliskan c. Turquie, n o 40516/98, CEDH, 2007-X.1109 Ainsi, à propos des faits durant une garde à vue attestés par un certificat médical après la mise en liberté, laCour a déclaré : « En ce qui concerne l’usage de la force au cours de l’arrestation, la Cour relève quel’intéressé n’a pas été soumis à un examen médical suite à celle-ci qui auraient pu déterminer les traces desblessures, s’il y en a eu », CEDH, Altay c. Turquie, préc., § 55.1110 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc.1111 « Il échet de rappeler à cet égard que si les blessures de M. Altay résultaient de l’usage de la force lors del’arrestation, il incomberait au Gouvernement d’apporter des preuves pertinentes, à savoir notamment despièces médicales et des procès-verbaux détaillés démontrant que le recours à la force des policiers étaitproportionné et absolument nécessaire », CEDH, Altay c. Turquie, préc., § 54.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008243


leur contenu avec le récit du plaignant. A défaut, le récit des plaignants constitue un élémentfondamental pour déterminer les causes des blessures 1112 .244Toutefois, si tel est le raisonnement adopté par la Cour depuis l’arrêt Tomasi (1992), etrenforcé tout au long des affaires concernant l’usage de la force durant la garde à vue 1113 ou dans deslieux de rétention des étrangers (Selmouni, 1999), pour ce qui est des prisons, la Cour n’a retenu laviolation de l’article 3 qu’en 2007 lors d’une mutinerie (Kurnaz et autres)) 1114 . Jusqu'en 2000,aucune requête relative à des violences physiques commises à l'encontre des détenus n'était parvenuedevant la Cour, bien que la Commission ait eu à déclarer recevables au moins deux requêtes 1115 . Deplus la venue de la jurisprudence de la Cour, avec son premier arrêt rendu en cette matière, l’arrêtLabita (2000), fut décevante.Dans cet arrêt, le requérant avait allégué avoir été victime de violences physiques 1116 etd’humiliations 1117 . En outre les transferts aux tribunaux se faisaient dans la cale des bateaux sans air,sans lumière ni nourriture, et dans de très mauvaises conditions d'hygiène. Le JAP de cette prison arédigé un rapport qui faisait état de violations répétées des droits des détenus et de plusieurs épisodesde mauvais traitements. L'inspection de l'administration pénitentiaire avait également informé ledépartement de l'administration pénitentiaire que « de graves incidents de mauvais traitements enversles détenus avaient eu lieu à la prison Pianosa ». Tout en rappelant le caractère absolu de l'article 3 etle caractère non déterminant de l'absence d’une volonté d'humilier ou de rabaisser les victimes, la1112 « Or, il faut rappeler que lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sontconnus exclusivement par des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle, le récit desplaignants constitue un élément fondamental pour déterminer les causes des blessures. Ainsi, les autoritésd’enquête peuvent vérifier la véracité des allégations de mauvais traitements en comparant les séquellesconstatées dans les preuves médicales avec le récit qui en est fait », CEDH, Altay c. Turquie, préc., § 55.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1113 Voir entre autres arrêts : CEDH, Örak c. Turquie, préc., § 47 ; CEDH, Velikova c. Bulgarie, préc. ; CEDH,Irfan Bilgin c.Turquie, préc. ; CEDH, Ipek c.Turquie, préc. ; CEDH, Altay c. Turquie, préc., §50 ; CEDH,Rivas c. France, préc. ; Salman c. Turquie [GC], préc., § 100.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1114 CEDH, Kurnaz et autres c. Turquie, préc.1115 Dans la première, dirigée contre l'Allemagne, alors qu’un détenu alléguait être victime de violences gravesde la part d’un gardien, il n'a pas été autorisé de voir un médecin ni d'engager des poursuites (D 2686/65, HeinzKornmann/RFA, 13.12.1966, Rec. 22, pp. 1 et s. Dans la seconde, dirigée contre le Royaume-Uni, la personnese plaignait d’avoir été victime de multiples brutalités violentes, notamment pendant une journée de la partd’une quarantaine des gardiens : douze gardiens ont été poursuivis pour association délictueuse, en vue debrutaliser les détenus, et le directeur adjoint a été poursuivi pour omission volontaire d'accomplir son devoir defonction (D 5616/72, Hilton/RU, 5.3.1976,DR 4, pp177 et s.).En revanche, cette instance n'avait pas retenu larequête d'un autre détenu qui s'était plaint d'avoir été maltraité dans une prison allemande suite à sa protestation(par des cris forts) pour porter secours à des codétenus en train de se faire maltraiter dans leurs cellules par huitgardiens. La Commission avait justifié l’usage de cette violence par le propre comportement du détenu. Celuiciavait reconnu qu'il était excité et avait insulté les gardiens (D 4065/69, X/RFA, 14.7.1970, R 35, p. 117 et s.).1116 Gifles, coups, écrasement des organes génitaux, coups de matraque, coups ayant endommagé sa prothèsedentaire et ses lunettes, obligation de courir entre deux files des gardiens provoquant des chutes, CEDH, Labitac. Italie [GC], préc., § 122.1117 Insultes, fouilles corporelles non nécessaires, port des menottes pendant les visites médicales, obligation degarder les yeux baissés devant les gardiens, de garder le silence et de se mettre au garde-à-vous, intimidations,menaces, Ibid.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


245vulnérabilité des personnes privées de leur liberté 1118 , leurs difficultés de réunir des preuves 1119 ainsique les pressions qui avaient pu être exercées sur elles pour les empêcher de porter plainte, la Courn'avait pas retenu dans le cas d'espèce la violation substantielle de l'article 3 au motif d'absence de« preuves concluantes » 1120 . Elle avait estimé que le requérant s'était contenté de décrire une situationprétendument généralisée dans la prison en question et n'avait apporté ni preuves médicales niexplications détaillées. Seule la violation procédurale de l'article 3 avait été reconnue. L'enquête futclassée sans suite par le parquet pour « défaut de plainte et de prescription 1121 », alors que lespremiers témoignages du requérant devant les autorités nationales « rendaient plausibles lessoupçons qu'il avait subi de mauvais traitements » à la prison de Pianosa 1122 .Cette jurisprudence fut décevante car, de l’aveu même des huit juges (contre neuf), quiavaient exprimé leur désaccord, la conclusion d’une violation procédurale est « évidemment moinsgrave qu'une violation pour mauvais traitements ». Ils avaient estimé que la Cour devrait revoirl’application du critère des « preuves au-delà de toute raisonnable ». En effet, l’usage qu’elle en avaitfait dans cet arrêt permettait de se demander si la distinction entre une violation procédurale et uneviolation substantielle de l'article 3 desservait plutôt la protection de l'article 3. Il pourrait alorssuffire qu’un Etat ne mène pas d’enquête efficace pour priver les victimes des preuves nécessairesétablissant la véracité des mauvais traitements 1123 . D’autant plus que, dans cette affaire, cetteinstance avait estimé que les preuves des requérants rendaient les soupçons de mauvais traitements« plausibles » et « défendables ». Dans ce cas, elle aurait dû mettre à la charge du gouvernementitalien l’obligation d’apporter la preuve contraire.Dans l’affaire Indelicato 1124 , qui portait sur les mêmes faits que l’affaire Labita, la Cour a denouveau écarté la violation substantielle de l’article 3 au même motif, à savoir que les faits n’avaientpas été prouvés devant la Cour au-delà de doute raisonnable 1125 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La Cour n’avait toujours pas précisé les cas dans lesquels le personnel pouvait faire usage dela force, ce qui aurait constitué une garantie supplémentaire. Elle avait seulement déclaré qu’ellepouvait être rendue nécessaire par le comportement de la personne. Pourtant l’article 2 de la<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081118 Ibid., §§ 119-121.1119 Ibid., § 125.1120 Ibid., § 124.1121 Ibid., §§ 48-49.1122 Ibid., § 130.1123 Ibid., §§ 123-129.1124 CEDH, Indelicato c. Italie, préc.1125 En raison de l’absence de preuves médicales. Alors que, justement, le requérant alléguait qu’il n’avait pasété autorisé à voir un médecin, que des surveillants avaient été reconnus coupables par les juridictionsnationales pour abus d’autorité à l’égard de personnes arrêtées ou détenues, que le juge de l’application despeines avait établi un rapport où il faisait état de mauvais traitements dans cette prison, et que le rapportd'Amnesty International sur l’année 1992 contenait la même information, CEDH, Indelicato c. Italie, préc.,§ 33.


246Convention, qui consacre le droit à la vie, précise que l’usage de la force doit être rendu« strictement », voire « absolument » nécessaire par un comportement violent de la personne mettanten danger la vie ou l’intégrité physique d’autrui et visant à maîtriser cette personne et non à la punir.C’est en 2006 que la Cour a, pour la première fois, eu recours aux dispositions de l’article 2dans l’appréciation de la force utilisée au regard de l’article 3, dans l’affaire Gömi et autres quiconcernait des faits survenus lors d’une mutinerie dans une prison turque. Elle a affirmé que lerecours à la force pouvait être justifié dans le but de réprimer une mutinerie et même avant. La Coura estimé que, étant donné le potentiel de violence qui existe dans un établissement pénitentiaire, unedésobéissance des détenus peut dégénérer rapidement en mutinerie 1126 . Le recours à la force doittoutefois être rendu « absolument nécessaire » par le but recherché, en l’occurrence « la répressiond'une émeute » et/ou « la défense de toute personne contre la violence 1127 . Dans cette affaire, enretenant le fait que le personnel n’avait pas eu recours aux armes à feu, alors qu’il s’agissait d’unemutinerie généralisée, mais à des projectiles à gaz lacrymogènes, des jets d'eau et des matraques, etvu le nombre d'agents blessés, qui témoigne de la gravité des événements, la Cour a jugé que la forceutilisée était proportionnée au danger encouru par les agents.C’est à une conclusion contraire que cette instance a abouti dans l’affaire Kurnaz et autres 1128 , quiconcernait également une mutinerie survenue dans une prison turque. Tout en confirmant quel’article 3 ne prohibe pas le recours à la force car celui-ci peut dans certaines circonstances être rendunécessaire, notamment au moment d’une arrestation, elle a réaffirmé qu’elle doit être rendueindispensable et ne pas être excessive 1129 . A cette occasion, cette instance a confirmé lesconsidérations exposées dans l’arrêt Gömi et autres : « La Cour reconnaît qu’il existe un potentiel deviolence dans la prison. Elle admet qu'une désobéissance des détenus peut dégénérer rapidement enune mutinerie, nécessitant ainsi l'intervention ferme des forces de l'ordre 1130 ». Elle a précisé enmême temps que les autorités doivent intervenir pour éviter qu’une désobéissance dégénère tout enpréparant et en contrôlant l’opération. L’intervention sans préparation ne peut être justifiée quedevant une « insurrection généralisée soudaine ayant évolué de manière inattendue ». Ce qui n’avaitpas été le cas dans cette affaire. Alors qu’au début, l’incident avait éclaté dans un seul dortoir (sesoccupants refusaient de se faire compter), le personnel avait fait appel aux forces de l’ordre qui<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008avaient défoncé la porte et commencé à frapper les détenus ayant eu comme résultat de fairedégénérer la situation et à obliger les forces de l’ordre d’utiliser des moyens de force violents 1131 .1126 CEDH, Gömi et autres c. Turquie, préc., § 77.1127 Ibid., § 60.1128 CEDH, Kurnaz et autres c. Turquie, préc.1129 Ibid., § 52.1130 Ibid., § 54.1131 Ibid., § 56.


247Notons à ce propos que les Règles pénitentiaires européennes (révisées en 2006) limitent,elles aussi, le recours à la force mais les restrictions qu’elles imposent sont moins strictes. Ellesl’autorisent, en dernier recours, dans le cas de légitime défense mais aussi dans le cas de tentatived’évasion et même de résistance active ou passive à un ordre licite (64.1). Elles comportent enrevanche un nombre de précisions visant à limiter le recours à la force : « La force utilisée doitcorrespondre au minimum nécessaire et être imposée pour une période aussi courte que possible »(64.2) ; les droits pénitentiaires doivent préciser les divers types de force envisageables, lescirconstances dans lesquelles chaque type de force est autorisé, les membres du personnel habilités àappliquer tel ou tel type de force ainsi que la rédaction d’un rapport après chaque recours à la force(65).Le CPT souligne quant à lui que le recours à la force ou à des moyens de contentiontémoigne de « situations clairement à haut risque pour ce qui est de possibles mauvais traitements dedétenus 1132 ». Aussi, exige-t-il certaines garanties complémentaires comme l’examen médical aprèschaque recours à la force ou à un moyen de contention, l’administration des soins et la tenue d’unregistre 1133 . Outre sa limitation à la « stricte nécessité », il préconise aussi, à titre préventif,l’entraînement du personnel pénitentiaire à la maîtrise manuelle des détenus sans recours à laforce 1134 .2. Les obligations positivesIl s’agit de la prévention et/ou de la cessation des violences de la part des codétenus maisaussi de la part du personnel pénitentiaire. Elles impliquent, comme l’a déclaré la Cour, un « devoirde surveillance » et « d’intervention ». Dans l’arrêt Pantea, la Cour avait conclu que « les autoritésont failli à leur obligation positive de protéger l’intégrité physique du requérant dans le cadre de leurdevoir consistant à surveiller les personnes privées de liberté et à empêcher qu’il soit porté atteinte àleur intégrité physique » 1135 . Elle a, de surcroît, précisé que l’intervention doit être « prompte » 1136 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Quant à l’appréciation concrète des obligations positives, la Cour ne charge pas les Etatsd’une responsabilité illimitée, afin de ne pas leur imposer un fardeau excessif 1137 . Elle la limite à uneUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20081132 CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, du 1er janvier au 31 décembre 1991.1133 Ibid.1134 CPT/Inf(98) 7, Rapport de visite, France, du 6 au 18 octobre 1996, § 51 ; CPT/Inf (2002) 31, Rapport devisite, Grèce, préc., § 59.1135 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 1951136 « En deuxième lieu, la Cour note que les pièces du dossier font apparaître que le gardien S.A. n’est pasintervenu de manière prompte pour faire sortir le requérant de la cellule en question lors de l’incident avec‘Sisi ‘ et ‘Raj’, ou pour faire cesser les agissements des codétenus à son encontre », CEDH, Panteac. Roumanie, préc., § 194.1137 « Cependant, il faut interpréter cette obligation de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeauinsupportable ou excessif », Ibid.., § 190.


248mesure raisonnable : « Il suffit à un requérant de montrer que les autorités n’ont pas fait tout ce quel’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour empêcher la matérialisation d’un risque… 1138 ».Cette obligation peut exiger une « surveillance accrue » à l’égard de certains détenus. Pour cela, ilfaut de surcroît établir que les autorités « connaissaient » l’existence d’un « risque certain etimmédiat pour son intégrité physique » ou, dans certains cas, qu’elles « auraient dû connaître »l’existence d’un tel risque 1139 . Il en est ainsi notamment des personnes détenues vulnérables 1140 et desdétenus dangereux pour autrui.Le meilleur moyen pour les autorités pénitentiaires de respecter cette obligation est lapratique d’examens médicaux 1141 . Cela implique un examen psychologique de tous les entrants enprison afin de détecter ceux qui sont fragiles et ceux qui sont dangereux pour autrui, ainsi qu’unexamen médical tout au long de la détention de ceux qui donnent de tels signes. Cela implique aussique les autorités pénitentiaires doivent en être informées de la part des autorités ayant préalablementeu en charge le détenu pour pouvoir en tenir compte lors des décisions délicates. Il en est ainsinotamment des décisions d’affectation dans une cellule commune (Pantea 1142 ) de l’organisationd’activités en commun et, concernant les détenus fragiles de l’application de sanctions disciplinairestelles que, en particulier, la mise en cellule d’isolement, reconnue comme étant le lieu le plusanxiogène et le plus suicido-gène de la prison 1143 .C’est dans l’affaire Pantea (2003) qui portait sur l’usage de la force physique dans la prisonnon de la part des surveillants ou d’autres agents de l’Etat, mais de la part de codétenus, que laresponsabilité de l’Etat à été retenue pour manquement à l’obligation positive de protéger lesdétenus. Outre les mesures d’ordre général, les autorités auraient dû dans le cas de ce détenu, assurerune « surveillance accrue » car, d’une part, « l’état psychologique du requérant le rendait plusvulnérable que le détenu moyen » et, d’autre part, « sa détention pouvait exacerber dans une certainemesure son sentiment de détresse, inhérent à toute mesure privative de liberté 1144 ». Ainsi, il fallaitéviter de le placer dans la même cellule que ses deux agresseurs puisque la situation conflictuelle<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1138 Ibid.1139 Ibid.1140 Ibid., § 192. Voir aussi Keenan c. R.U., préc., § 111.1141 CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 191.1142 Ibid. § 192.1143 « Dans ces conditions, le fait d'infliger tardivement une sanction disciplinaire lourde – sept joursd'isolement dans le quartier disciplinaire et vingt-huit jours de détention supplémentaires et seulement neufjours avant la date prévue pour sa sortie, ce qui était susceptible d'ébranler sa résistance physique et morale-,n'est pas compatible avec le niveau de traitement exigé à l'égard d'un malade mental. Cette sanction doit doncpasser pour constituer un traitement et une peine inhumains et dégradants au sens de l'article 3 de laConvention », CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 116.1144 « La Cour en conclut que les autorités internes auraient pu raisonnablement prévoir, d’une part, que l’étatpsychologique du requérant le rendait plus vulnérable que le détenu moyen et, d’autre part, que sa détentionpouvait exacerber dans une certaine mesure son sentiment de détresse, inhérent à toute mesure privative deliberté, ainsi que l’irascibilité qu’il avait manifestée auparavant à l’égard de ses codétenus. Partant, la Courestime qu’une surveillance accrue du requérant était nécessaire », CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 192.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


249avec eux était connue du personnel et de toute manière, il fallait surveiller de près cette personne etêtre vigilant. Or, la Cour a également reproché au personnel de ne pas être intervenu « de manièreprompte » pour faire sortir le requérant de sa cellule lors de l’incident, et ainsi faire cesser lesviolences de la part de ses deux codétenus (ceux-ci auraient mis la radio à fond et l’auraient tabassépendant la nuit avec des matraques), de même que de n’avoir pas pris les mesures adaptées quis’imposaient pour venir à son secours après leur intervention. Au lieu de l’extraire de sa cellule et delui assurer des soins, les surveillants l’y ont laissé jusqu’au matin, de surcroît, menotté à son lit et nel’ont conduit à l’hôpital que 48 heures plus tard alors qu’il était très gravement blessé.Les dispositions corrélatives des Règles pénitentiaires européennes (2006) vont dans lemême sens. Elles recommandent une évaluation de la dangerosité de tous les détenus qui entrent enprison « aussi rapidement que possible » (52.1 1145 ) ainsi que la détection de leur fragilité (42.1,42.3.e 1146 ). Elles recomnandent également une vigilance dans la pratique de cocellulage. Ellesprônent l’encellulement individuel, sauf si le cocellulage est jugé préférable pour un détenu (18.5).Mais dans ce cas, il faut que la prersonne puisse avoir le choix (18.7). En tout cas, ne doivent êtremis en cellule commune que des personnes « reconnues aptes à cohabiter » (18.6). Parmi les mesurespréventives, elles prévoient également le devoir des médecins de signaler aux autorités compétentestout signe ou indication permettant de penser que des détenus auraient pu subir des violences(42.3.c).Le CPT, après avoir pointé le caractère courant dans tous les systèmes pénitentiaires desviolences d’une grande variété (allant de formes subtiles de harcèlement à des intimidations patenteset des agressions physiques graves) il préconise aussi une attention particulière dans les décisionsd’encellulement collectif en tenant compte de la vulnérabilité de certains détenus et de la dangerositédes autres. Mais il insiste aussi sur l’importance de relations positives entre le personnel et lesdétenus, qui dépendent dans une large mesure d’une qualification appropriée du personnel dans ledomaine de la communication inter-personnelle 1147 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...C’est au regard de ces limitations du recours à la force de la part des autorités pénitentiaireset de ces précautions pour la prévention de la violence de la part des codétenus, que nous allons voirUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008l’état de conformité des droits nationaux aux exigences européennes.1145 « Aussi rapidement que possible après son admission, chaque détenu doit être évalué afin de déterminer s’ilpose un risque pour la sécurité des autres détenus, du personnel pénitentiaire ou des personnes travaillant dansla prison ou la visitant régulièrement, ainsi que pour établir s’il présente un risque pour lui-même. »1146 « 42. 3, e : Lorsqu’il examine un détenu, le médecin ou un(e) infirmier(ère) qualifié(e) dépendant de cemédecin, doit accorder une attention particulière : à l’identification de toute pression psychologique ou autretension émotionnelle due à la privation de liberté ».1147 CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, du 1er janvier au 31 décembre 2000, § 27.


250B. La protection nationaleLe droit grec et le droit français mettent à la charge des autorités pénitentiaires desobligations à la fois négatives (1) et positives (2) pour prévenir les violences à l’encontre desdétenus, qui semblent cependant demeurer insuffisantes par rapport à celles exigées par le Conseil del’Europe.1. Les obligations négativesLe principe qui régit la réglementation pénitentiaire est l'interdiction des violences contre lesdétenus. Ce principe, implicite en droit grec, est clairement affirmé en droit français :« Indépendamment des défenses résultant de la loi pénale, il est interdit aux agents des servicesextérieurs de l'administration pénitentiaire et aux personnes ayant accès à la prison de se livrer à desactes de violence sur les détenus » (art. D 220 CPP). Cette interdiction n'est toutefois pas absolue.Sous certaines conditions, le personnel pénitentiaire peut avoir recours à la force. La protectioneffective consiste dans les garanties contre l'usage abusif de la force.Cette protection est caractérisée par un ensemble de dispositions du droit pénitentiaire quivise à réduire au minimum l'usage de la force. En témoignent d'abord l'interdiction du personnel desurveillance à l'intérieur des locaux de porter des armes (art. D 218 al. 1 et D 267 al. 2 CPP 1148 ) et,ensuite, les dispositions qui aussi bien en droit français qu’en droit grec, soumettent l'usage de laforce dans l'enceinte de la prison à des conditions qui visent à le limiter. Ils émettent comme principela limitation de son ampleur à la mesure strictement nécessaire (art. D283-5 al.2, CPP 1149 , art. 65 §2C. pénit.), délimitent le champ d'autorisation de recours à la force et, dans une certaine mesure,déterminent la nature de la force à utiliser.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le recours à la force est réservé pour des motifs de mise en cause de la sécurité dans lesprisons. Le droit français limite le champ d’autorisation de recours aux armes dans les cas suivants :la tentative d’évasion, la violence ou les voies de faits exercées contre le personnel, les menaces àl'encontre du personnel par des individus armés, la défense des établissements pénitentiaires, la<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008défense des postes ou des personnes qui leurs sont confiées et une résistance telle qu'elle ne puisseêtre vaincue que par la force des armes. Le droit grec est plus restrictif car il limite le recours à la1148 En droit grec, les dispositions analogues qui figuraient dans le Code pénitentiaire précédent, intitulé Codede règles fondamentales pour l’exécution des peines, n’ont pas été reprises dans l’actuel Code pénitentiaire.Cette question devrait faire l’objet d’une décision commune des Ministres de la justice et du Ministre d’ordrepublic.1149 « Le personnel de l'administration pénitentiaire ne doit utiliser la force envers les détenus qu'en cas delégitime défense, de tentative d'évasion ou de résistance par la violence ou par inertie physique aux ordresdonnés. Lorsqu'il y recourt, il ne peut le faire qu'en se limitant à ce qui est strictement nécessaire. »


force aux cas de désobéissance collective, de mutinerie et de désobéissance à un ordre légalnotamment en cas de refus de regagner les cellules (art. 65 § 1 C.pénit.)251Quant à la nature des moyens de force, elle n’est précisée ni en droit français ni en droit grec.Seule figure dans les deux droits la possibilité de faire appel à la police. C’est le chef d'établissementqui, en droit français, est habilité à le faire si la « gravité ou l'ampleur d'un incident survenu ouredouté » est telle que l'incident ne puisse être maîtrisé par les moyens dont dispose le personnel (art.D 266 al. 2 CPP). En droit grec, le recours à la police est prévu pour désobéissance collective,mutinerie et désobéissance à un ordre légal, notamment pour refus de regagner les cellules (art. 65 §1C. pénit.). Pour les autres motifs de recours à la force, le Code pénitentiaire grec prévoit seulement lapossibilité de faire appel au personnel de la surveillance extérieure (art. 65 §2, C. pénit.). Dans lapratique, il est fait usage également de bâtons, de lacrymogènes et de pompes à eau. En droitfrançais, l'usage de tels moyens par le personnel est prévu par la circulaire du 1 er juillet 1998 quiréglemente l'accès du personnel à l'endroit où ils sont déposés afin que celui-ci n'y ait pas recoursfacilement 1150 .Toutefois, ces garanties peuvent s’avérer insuffisantes. Certes, l’usage de la force est soumisà l’impératif du respect de la stricte nécessité. Mais le motif tel que celui de résistance par l’inertiephysique aux ordres, prévu dans le droit français (art. D 283-5 al. 1 CPP), et le droit grec, permet dedouter du respect de la stricte nécessité car ce motif peut être entendu au sens également de larésistance pacifique. A ce propos, le CPT a relevé qu’en droit français, il peut comprendre nonseulement une résistance violente mais aussi une résistance pacifique, y compris individuelle. Eneffet, il a constaté que les lacrymogènes, bien qu’ils soient classés parmi les armes de 6 èmecatégorie 1151 , sont utilisés dans les cellules pour en faire sortir les détenus alors qu’ils provoquent desproblèmes respiratoires et des séquelles au visage et aux yeux (brûlures cutanées, hyperémieconjonctivale et baisse d'acuité visuelle). Le CPT a recommandé aux autorités françaises d'interdireleur usage non seulement dans les cellules mais aussi dans toute la détention. Il ne doit en être faitusage que dans des circonstances exceptionnelles, et seulement si les détenus agissent de concert. Ilprécise que les surveillants ne doivent jamais les utiliser pour maîtriser un détenu, ceux-ci devantêtre formés à d'autres techniques de contrôle 1152 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081150 Circulaire NOR : JUSE9840004C du 1er juillet 1998 relative à l'usage de la force et des armes dans lesétablissements pénitentiaires. Le CPT avait, dans son Rapport de visite en France, en 1996, fait remarquer qu’ilconsidère que ‘le recours au gaz lacrymogène pour maîtriser un détenu récalcitrant n'agissant pas de concertavec d'autres détenus est injustifiable. Les fonctionnaires pénitentiaires devraient avoir été formés à d'autrestechniques de contrôle d'un tel détenu. Plus généralement, le CPT tient à ajouter que seules des circonstancesexceptionnelles pourraient justifier l'utilisation de gaz comme moyen de contrôle à l'intérieur des locaux dedétention », CPT/Inf (98) 7, Rapport de visite, France, du 6 au 18 octobre 1996.1151 Décret n° 95-589 du 6 mai 1995.1152 Dans son rapport au gouvernement français suite à la visite du 6 au 18 octobre 1996, le CPT avaitrecommandé de ne pas utiliser les lacrymogènes dans les cellules pour obliger les détenus de sortir. Celui-ciavait provoqué des brûlures cutanées, d’hyperémie conjonctivale et de baisse d'acuité visuelle lors d’un tel


2522. Les obligations positivesLes droits grec et français assument leurs obligations positives par des mesures préventivesprévues par leur réglementation pénitentiaire (a), ainsi que par la répression de l’usage illégal etabusif de la force conformément au droit commun (b).a. Les obligations préventivesLa protection préventive par des moyens d’ordre pratique est définie par rapport à celleexigée par le Conseil de l’Europe aussi bien en droit grec qu’en droit français. Certes, en plus de lasurveillance permanente de tout l’espace de la détention, les deux droits nationaux prévoientl’examen médical des entrants en prison afin de déterminer, entre autres, les personnes dangereusespour autrui ou pour soi-même, et les personnes fragiles exigeant une attention particulière. A cepropos, le droit grec impose cet examen au plus tard au lendemain de l’admission (art. 24 §1, C.pénit), et le droit français dans les vingt quatre heures 1153 . Toutefois, rien n’est prévu, ni pourl’examen médical après chaque usage de la force, ni pour la tenue d’un registre d’incidents. Quant àl’encellulement individuel, bien que les droits grec et français prévoient qu’il doit être le principedans l’affectation des détenus, ils ne le reconnaissent ni comme un droit des détenus, ni n’assumentune obligation de résultat. Dans la pratique, le fait que l’administration pénitentiaire soit obligéed’accueillir toutes les personnes qui font l’objet d’une décision privative de liberté, alors que lesprisons accueillent régulièrement plus de détenus que ne leur permet leur capacité d’accueil, entraînecomme conséquence la surpopulation carcérale. Or, celle-ci est source de multiplesdysfonctionnements de la prison allant, comme nous allons le voir, jusqu’à constituer en soi uneatteinte à la dignité. Ce problème s’aggrave par la non reconnaissance de la possibilité des détenus àchoisir leurs compagnons de cellule.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Cette protection est complétée par une législation répressive du droit commun dans lequelpeut tomber l’usage de violence à l’encontre des personnes détenues.b. Les obligations répressives<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Elle est assurée par la répression des violences de la part des codétenus suivant les conditionsdu droit pénal, mais aussi par l’engagement de la responsabilité administrative du serviceusage à Fleury Mérogis à l'encontre des jeunes refusant de se rendre au quartier disciplinaire, CPT/Inf(98) 7,Rapport de visite, France, préc., § 74.1153 Circulaire relative à la « prévention des suicides dans les établissements pénitentiaires », JUSE9840034Cdu 29 mai 1998 et JUSE0240075c du 24 avril 2002.


pénitentiaire pour usage abusif de la force, ainsi que par le renforcement de la responsabilité pénaledu personnel pénitentiaire.253La responsabilité administrative du service pénitentiaire peut être engagée en droit françaispour des atteintes à l'intégrité physique des détenus, même si la faute est imputable au détenu. Sapropre faute ne serait pas exonératoire de la responsabilité de l'administration, mais seulement unecause atténuante. C'est dans ce sens que le Conseil d'Etat avait jugé à propos d'un détenu qui avait étéfrappé à coups de crosse par des militaires, à la demande du directeur de l'administrationpénitentiaire pour assurer l'ordre, à la prison de la Santé, alors qu'il participait à une rébellion desdétenus 1154 . Et en droit grec, toute atteinte à l'intégrité physique ou à l'honneur de la personne peutengager la responsabilité de l'administration même sans faute des agents, lorsque l'acte ou omission aeu lieu durant l'exécution de leurs fonctions.Le renforcement de la responsabilité pénale du personnel pénitentiaire réside dansl'importance accordée à l’auteur de violences. Au sein du droit pénal français, le fait que l'auteur soitune personne « dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public dansl'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission », constitue une circonstanceaggravante des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (art. 222-10, al.7CPP) et des violences ayant entraîné une incapacité de travail durant huit jours (222-12, al.7 CPP).Cette qualité de l'auteur suffit en soi pour que les violences soient punies même si elles n'ont pas eudes conséquences handicapantes (art. 222-13, al.7 CPP). Au sein du droit pénal grec, laresponsabilité pénale est encore plus lourde. Les violences physiques constituent des actes de tortureet des atteintes à la dignité lorsqu'elles sont infligées par des personnes chargées de la « garde despersonnes » et de l'« exécution des peines » (art. 137A §1 C. pén.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>§ 2. La protection contre certains moyens coercitifs<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Des moyens de coercition (isolement, menottes, entraves, camisoles de force et autres), maisaussi d'autres mesures d'ordre et de sécurité (telles que les fouilles corporelles, ou les transfèrementsfréquents), en plus d'être humiliants, impliquent, pour certains d’entre eux, également de la violence.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Or, le recours à ces moyens n'est pas non plus interdit. La protection européenne (A) et nationale (B)est limitée au respect d'un nombre de garanties lors de leur usage.1154 . C.E. Ass., 12 fév. 1971, Rebatel, Leb., p. 123.


254A. La protection européenneAprès la présentation des garanties générales qui régissent l’usage des moyens decontrainte (1), nous préciserons celles concernant l’usage d’autres moyens sur lesquels les instanceseuropéennes se sont expressément prononcées (2).1. Les garanties généralesElles ne résident pas dans les précisions concernant la nature des moyens de coercitionautorisés, mais dans les conditions qui doivent entourer leur usage.Concernant la nature des moyens, seules les Règles pénitentiaires européennes (2006)contiennent quelques précisions. Elles interdisent les chaînes et les fers (68.1), mais elles autorisentla mise en isolement, l’usage des menottes, des camisoles de force ainsi que d’autres entraves (68.2),sans préciser lesquelles.Pour ce qui est des garanties de l'usage, elles sont similaires à celles qui entourent le recoursà la force. D’abord, en ce qui concerne les motifs de leur usage, les moyens de contrainte ne doiventêtre utilisés ni pour punir ni pour humilier la personne 1155 . Les Règles pénitentiaires précisent que cesmoyens peuvent être utilisés durant les transfèrements pour prévenir les risques d'évasion (68.2.a.) et,dans la détention, pour maîtriser un détenu, si d'autres moyens ont échoué pour l'empêcher de porterpréjudice à lui-même, à autrui, ou de causer des dégâts importants (68.2.b). En ce qui concerne lamesure dans l’usage des moyens de contrainte, tant la nature que la durée de leur usage doivent êtrelimitées à la mesure nécessaire, le temps, par exemple, de maîtriser un détenu dans la détention ou dele transférer 1156 . Pour apprécier cette mesure, la Cour a précisé qu’il faut tenir compte de ladangerosité de la personne, mais aussi de son âge, de son état de santé 1157 et, pour une femme,éventuellement de son état de grossesse 1158 . Le CPT insiste quant à lui, sur le fait que l’applicationdes moyens de contrainte doit être « rare », que ces moyens doivent être « ôtés le plus tôt possible »,qu’ils ne doivent « jamais être utilisés à titre de sanction », et qu’une « surveillance constante etappropriée lors de leur usage », doit été assurée ainsi que la « tenue d'un registre » 1159 . Il a aussi eu<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081155 CEDH, Raninen c. Finlande, préc., § 58 ; CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, du 1erjanvier au 31 décembre 1991. Dans le même sens également les Règles pénitentiaires européennes : « Lesmoyens de contrainte ne doivent jamais être utilisés à titre de sanction » (60.6.)1156 CEDH, Raninen c. Finlande, préc., § 58 ; Règles pénitentiaires européennes, (règle 68.3).1157 CEDH, Mouisel c. France, préc., § 471158 Le fait de les faire porter à une femme jusque dans la salle d’attente pour ses visites à l’hôpital pour uncontrôle prénatal ainsi que durant les visites qu’elle recevait dans la prison, ne constituent pas un traitementdégradant car elle était justifiait par le risque d’évasion et n’a pas constitué un usage de force ou d’expositionau public excédant la mesure nécessaire vue les circonstances, CEDH, Kleuver c. Norvège (déc.), n° 45837/99,CEDH 2002-IV.1159 CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc., § 53.


255l’occasion d’insister, comme pour le recours à la force, sur leur limitation à la « stricte nécessité »,ainsi qu’à leur prévention par l’entraînement du personnel pénitentiaire à la maîtrise manuelle desdétenus sans recours à des moyens de force ou de contention 1160 .2. Les garanties concernant certains moyens coercitifsLes moyens à propos desquels les organes européens se sont prononcés sont l’isolement (a),les menottes (b), les fouilles corporelles (c) et les transfèrements fréquents (d).a. L’isolementIl convient de souligner à propos de cette mesure qu’elle est classée par les Règlespénitentiaires européennes (2006) parmi les moyens de contrainte. Par conséquent, son usage punitifdevrait être interdit. Cependant, un tel usage est autorisé par ces mêmes Règles 1161 . Quant à la Couret au CPT, leurs exigences se limitent, comme pour les autres moyens de contrainte, aux garantiesentourant son usage. Certes, il y a plusieurs types d’isolement. Ainsi, le droit français et le droit grecen connaissent au moins trois : l’isolement administratif, qui sera examiné en détail plus loin, parmiles régimes de sécurité renforcée d’exécution de la peine privative de liberté ; la « mise en celluledisciplinaire » ou, en langue courante, « mitard » et l’enfermement dans une cellule spéciale à titrede mesure d’apaisement. Malgré leurs dénominations différentes, tous les trois se caractérisent parl’isolement de la personne dans une cellule individuelle de configuration spéciale et comportant unnombre des restrictions quant aux contacts et aux activités. Les lieux d’isolement sont égalementreconnus comme les endroits les plus anxiogènes, et par conséquent, les plus suicidogènes dans lesprisons 1162 . Or, si l’isolement administratif et l’enfermement dans une cellule spéciale ne sont pas, enthéorie, considérés comme des moyens punitifs, tel est clairement le cas du « mitard » qui en droitfrançais est une sanction encore plus grave qu’en droit grec. Au sein de ce dernier, la durée de cettesanction est limitée à dix jours, alors qu’en droit français elle peut aller jusqu’à quarante cinq jours.De surcroît, elle entraîne des conséquences défavorables sur les mesures d’aménagement des peines,notamment sur des réductions de peines et la libération conditionnelle.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Les seules limites émises, jusqu’à présent, par la Cour, ont trait à la fréquence, la durée, lamotivation et la proportionnalité. En effet, dans l’affaire Mikadzé (2007), c’est en tenant compte dela fréquence du recours au « mitard » (19 fois en l’espace d’un an), des motifs (il faut des motifs1160 Extrait de son dernier rapport publié sur la Grèce : CPT/Inf(2002)31, Rapport de visite, Grèce, préc., § 59.1161 « La mise à l’isolement ne peut être imposée à titre de sanction que dans de cas exceptionnels et pour unepériode définie et aussi courte que possible » (60.5).1162 Rapport de mission Jean-Louis Terra pour la prévention du suicide des personnes détenues, 10 décembre2003 ; L. <strong>DE</strong>HEUR<strong>LE</strong>S-MONTMAYER Lisa, « Le suicide en milieu carcéral », Mémoire, IEP Grenoble,2004.


256d’une certaine gravité et non des motifs légers tel que « parce que le détenu a dormi toute lajournée »), du non respect de la proportionnalité (prononcé systématique de la durée maximalelégale), ainsi que des conditions matérielles de détentions dans les cellules de punition et desconséquences sur la nourriture (cette mesure comportait un régime alimentaire réduit, de même quela privation de cantine et des colis alimentaires), que la Cour a estimé que le détenu concerné avaitété soumis à un traitement inhumain : « La Cour n'estime pas qu'il soit acceptable de soumettre undétenu à une punition sous forme de privation de nourriture, fût-ce un contrevenant tenace aurèglement interne », et pour conclure qu’au regard de l’ensemble de ces conditions, la personne a étésoumise à un traitement inhumain 1163 .b. Les menottesRappelons que la Cour a, depuis l'arrêt Raninen 1164 , fixé le principe selon lequel l’usage desmenottes à l’encontre d’une personne détenue n'est pas en soi contraire à l'article 3. Ce sont lesconditions de leur usage, précisément le degré de leur usage et de l’exposition publique, qui peuventsoulever des questions de compatibilité avec cet article : « La Cour rappelle que le port de menottesne pose normalement pas de problème au regard de l'article 3 de la Convention lorsqu'il est lié à unedétention légale et n'entraîne pas l'usage de la force, ni l'exposition publique, au-delà de ce qui estraisonnablement considéré comme nécessaire 1165 ».Pour l’appréciation de la mesure de ce qui est raisonnablement nécessaire, il faut tenircompte d’une part de la nature du risque visé à éviter et, d’autre part, de la dangerosité de lapersonne. Le risque à éviter peut être le risque d’évasion, mais aussi le risque pour l’intégritéphysique d’autrui ou de soi–même, ainsi que les risques de dommages matériels 1166 . Pourl’appréciation de la dangerosité de la personne, sont pris en compte l’infraction commise, maissurtout le comportement lors de la détention 1167 . Par ailleurs, certains critères peuvent être desindicateurs d’une faiblesse physique annulant un tel danger. A ce propos, la Cour a jugé que le jeune<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081163 CEDH, Mikadzé c. Russie, préc., §§ 35-42.1164 CEDH, Raninen c. Finlande, préc.1165 Ibid., § 56. Voir CEDH, Mouisel c. France, préc., § 47 ; CEDH, D.G. c. Irlande, n o 39474/98, CEDH2002-III, § 99 ; CEDH, Henaf c. France, n o 65436/01, CEDH, 2003-XI.1166 « A cet égard, il importe de considérer notamment le risque de fuite, de blessure ou de dommage », CEDH,Henaf c. France, préc., § 48 ; CEDH, Naoumenko c. Ukraine, préc., § 118.1167 CEDH, Henaf c. France, préc., §§ 50-51.


âge de la personne est indifférent 1168 . En revanche, l’âge avancé et l’état de santé d’une personne 1169ou encore l’état de grossesse d’une femme 1170 doivent être pris en compte.257Concernant l’exposition au public, le principe européen est de l’éviter le plus possible lorsdes transfèrements, des extractions ou des sorties sous escorte 1171 ainsi que lors des audiences autribunal 1172 . Toutefois, dans la pratique, cela n’est pas toujours respecté notamment lors des sortiesescortées pour des événements familiaux graves, tels que pour rendre visite à un proche gravementmalade ou pour assister à ses funérailles. Des personnes détenues mettent en cause le fait qu’ellesrestent menottées pendant ces moments intimes et douloureux, exposées à la honte de tous leursproches présents ce qui, souvent, les pousse à renoncer à de telles sorties 1173 .Quant au port des menottes lors des extractions pour une hospitalisation, la Cour estimequ’il faut tenir compte de la nature de la maladie et des soins 1174 . Dans l’arrêt Mouisel, la Cour asouligné : « En l’espèce, la Cour retient l’état de santé du requérant, le fait qu’il s’agit d’unehospitalisation, l’inconfort du déroulement d’une séance de chimiothérapie et la faiblesse physiquede l’intéressé pour considérer que le port des menottes en l’espèce était disproportionné au regarddes nécessités de la sécurité 1175 . Il en est de même dans l’arrêt Henaf 1176 .Toutefois, jusqu’à l’arrêt Mouisel, la jurisprudence européenne n’avait jamais retenu laviolation de l’article 3 pour cause de port des menottes. Dans l’arrêt Raninen, la Cour n'avait pasretenu la violation de cet article, malgré l'exposition de l’intéressé au public et bien que legouvernement ait reconnu l'absence de motifs rendant l'usage des menottes nécessaire. Avant cetarrêt, la Commission n'avait pas non plus soulevé une question d'incompatibilité avec l'article 3 àpropos de l'usage des menottes en public lors des transfèrements d'un détenu alors qu'il a été exposéà la vue de ses enfants 1177 . Dans une seule requête, la Commission avait estimé que le port desmenottes faisait partie des griefs qui soulevaient des questions de fait et de droit. Il s'agissait du portde menottes d'un détenu gravement malade du sida pendant ses transfèrements à l'hôpital et durant<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1168 «La condition de mineur du requérant n'est pas suffisante pour faire tomber le recours aux menottes sous lecoup de l'article 3 », CEDH, D.G. c. Irlande, préc., § 99, CEDH, 2002-V, § 99 (le requérant présentait undanger pour lui-même et pour autrui dès lors qu'il avait commis par le passé des actes délictueux ainsi que desactes d'autodestruction et de violence envers d'autres personnes).1169 CEDH, Mouisel c. France, préc., § 47 ; CEDH, Henaf c. France, préc., §§ 52-60.1170 CEDH, Kleuver c. Norvège, précité. CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme enFrance, Rapport de visite du 5 au 21 septembre 2005, Alvaro Gil-Roblès, Commissaire aux droits del’Homme, Conseil de l’Europe, 15 février 2006, § 147.1171 CEDH, Raninen c. Finlande, préc., § 56 ; CEDH, Mouisel c. France, préc., § 47 ; CEDH, D.G. c. Irlande,préc., § 99 ; CEDH, Henaf c. France, préc. Les Règles pénitentiaires européennes (2006), recommandentégalement de recourir « aussi peu que possible à la vue du public », (règle 32.1).1172 CEDH, Gorodnitchev c. Russie, n° 52058/99, CEDH 2007-V.1173 Voir des témoignages sur le site www.prison.eu.org.1174 CEDH, Mouisel c. France, préc., § 47 ; CEDH, Henaf c. France, préc., §§ 52-60.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081175 CEDH, Mouisel c. France, préc., §47.1176 CEDH, Henaf c. France, préc., §§ 52-60.1177 D 2291/64 (X/Autriche), 1.6.1967, Rec. 24, pp. 20 et s.


258les examens médicaux 1178 . Enfin, le fait de garder menottée une femme enceinte jusque dans la salled’attente lors de ses visites à l’hôpital pour un contrôle prénatal, n’a pas non plus été jugédisproportionné 1179 . Quant à l’arrêt Mouisel, si le port de menottes a été jugé disproportionné euégard à l’état de santé du requérant et à la nature de son traitement (chimiothérapie) 1180 , c’estl’ensemble des conditions de détention dont faisaient partie l’usage des menottes, et non le port desmenottes séparément, qui a conduit la Cour à conclure à la violation de l’article 3 1181 .Il a fallu attendre l’arrêt Henaf 1182 et une interprétation clairement évolutive de laConvention 1183 , pour que la Cour change sa jurisprudence relative au port des menottes des détenuset considère que, dans les conditions de cette affaire, cette mesure a constitué un « traitementinhumain ». Mais il est vrai aussi que dans l’affaire Henaf, les circonstances étaient particulières. Lerequérant, souffrant de cancer et âgé de 78 ans, était attaché à son lit d’hôpital (avec une chaînereliant l'une de ses chevilles au montant du lit), la veille de son opération chirurgicale, alors que deuxgardes étaient postés à la porte de sa chambre. La Cour, après avoir estimé que l’attachement au litétait, dans ces conditions, une mesure disproportionnée par rapport aux exigences de sécurité qui aajouté de la souffrance inutilement à celle de la maladie 1184 , a conclu que cette personne avait étésoumise à un traitement « inhumain 1185 ». Depuis, la Cour a condamné à deux reprises le port desmenottes : lors de l’exposition au public pendant un procès, alors que cela n’était pas justifié parrisque de violence, de dommage, de fuite ou encore d'entrave à la bonne marche de la justice 1186 ; etlors de l’exposition publique au caractère non justifié (la personne a été menottée pendant uneperquisition pour escroquerie), sur son lieu de travail, devant sa famille, ses patients et ses voisins.Dans cette dernière affaire, la Cour a conclu que le but du port des menottes était d’humilier la1178 D 23663/94 (Ayala/Portugal), 23 mai 1995. Mais cette requête a été réglée à l'amiable. Le requérant estdécédé durant la procédure devant la Commission.1179 CEDH, Kleuver c. Norvège, préc.1180 CEDH, Mouisel c. France, préc.,§ 47.1181 « En définitive, la Cour est d’avis que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge de l’étatde santé du requérant lui permettant d’éviter des traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Sonmaintien en détention, surtout à partir du mois de juin 2000, a porté atteinte à sa dignité », CEDH, Mouisel c.France préc., § 48.1182 CEDH, Henaf c. France, préc.1183 « La Cour rappelle que compte tenu de ce que la Convention est un instrument vivant à interpréter à lalumière des conditions de vie actuelles, certains actes autrefois exclus du champ d'application de l'article 3pourraient présenter le degré minimum de gravité requis à l'avenir », CEDH, Henaf c. France, préc., § 55.1184 « Compte tenu de l'âge du requérant, de son état de santé, de l'absence d'antécédents faisant sérieusementcraindre un risque pour la sécurité, des consignes écrites du directeur du centre de détention pour unesurveillance normale et non renforcée, du fait que l'hospitalisation intervenait la veille d'une opérationchirurgicale, la Cour estime que la mesure d'entrave était disproportionnée au regard des nécessités de lasécurité, d'autant que deux policiers avaient été spécialement placés en faction devant la chambre durequérant », CEDH, Henaf c. France, préc., § 56.1185 En définitive, la Cour est d'avis que les autorités nationales n'ont pas assuré au requérant un traitementcompatible avec les dispositions de l'article 3 de la Convention. La Cour conclut en l'espèce à un traitementinhumain en raison de l'entrave imposée dans les conditions examinées ci-avant », CEDH, Henaf c. France,préc., § 59.1186 CEDH, Gorodnitchev c. Russie, préc.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


personne, cette victime ayant en outre développé des troubles psychopathologiques irréversibles quil’ont rendue incapable de reprendre son travail 1187 .259Le CPT va encore plus loin que la Cour. A propos du port des menottes lors des extractionsmédicales, il recommande aux autorités nationales de généraliser l’interdiction de cette pratique, dumoins, lors des consultations et des soins 1188 de même que celle qui consiste à attacher au litd'hôpital. Devant la persistance de cette pratique, constatée lors de sa visite en 2006, il a dû faireusage de l’article 8 § 5 de la Convention. Sa délégation a demandé sur-le-champ aux autoritésfrançaises de réexaminer immédiatement les consignes de sécurité concernant les conditions danslesquelles les détenus recevaient des soins médicaux à l’Unité d’Hospitalisation Sécurisée du CentreHospitalier de Moulins-Yzeure et de lui communiquer copie des nouvelles consignes dans un délaid’un mois. Tant les conditions décrites étaient indignes. Malgré le dispositif sécuritaire mis en placeau sein de cette structure de soins, les détenus qui y étaient soignés étaient systématiquementattachés à leur lit, sans interruption, le plus souvent avec des entraves aux chevilles et avec une mainmenottée au cadre du lit. Ces entraves et ces menottes étaient également portées aux toilettes et à ladouche. Par ailleurs, trois fonctionnaires de police étaient présents aux côtés du patient pendant toutacte médical, même le plus intime 1189 . Gil-Roblès, dans son rapport sur sa visite effectuée en France,en 2005, a rejoint le CPT sur ce point et a souligné que les statistiques démentent sa nécessité pourdes risques d’évasion : au cours de 2004, seuls quatre évasions ont eu lieu au cours d’une extractionmédicale alors que 55 000 escortes réalisées en moyenne par an 1190 .c. Les fouilles corporellesLa question du respect de la dignité a notamment été posée à propos des fouilles corporelles« intégrales » à savoir, des fouilles qui s’effectuent sur des personnes dénudées et qui comportentparfois des postures embarrassantes. « La Cour n'a aucune difficulté à concevoir qu'un individu quise trouve obligé de se soumettre à un traitement de cette nature se sente de ce seul fait atteint dansson intimité et sa dignité », a déclaré la Cour 1191 . Toutefois, cette instance ne considère pas que cesfouilles constituent en elles-mêmes un traitement dégradant. Le degré d’indignité inhérente à cettepratique n’atteint pas le seuil minimum de gravité requise par l’article de la Convention. Parce que,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008estime-t-elle, « les fouilles à corps peuvent s’avérer nécessaires pour garantir la sécurité à l’intérieur1187 CEDH, Erdoçan Yagiz c. Turquie, préc.1188 CPT/Inf (2001) 10, Rapport de visite, France, du 14 au 26 mai 2000.1189 CPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, préc., §§ 204-205.1190 Le Commissaire a demandé la suppression de la circulaire du 18 novembre 2004 qui, contrairement auxrecommandation du CPT autorise le directeur de l’établissement pénitentiaire à imposer le port de menottesainsi que la présence des surveillants pendant l’examen médical, afin de minimiser tout risque d’évasion,CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc., §§ 147-148.1191 CEDH, Frérot c. France, n°70204/01, CEDH-2007-VI, § 38.


260de la prison ou pour prévenir des troubles ou des infractions 1192 ». Les Règles pénitentiaireseuropéennes (2006) vont dans le même sens (54.2) en précisant que les fouilles corporelles peuventêtre menées pour « détecter et prévenir les tentatives d’évasion ou de dissimulation d’objets entrés enfraude » (54.3).Les fouilles peuvent toutefois constituer un traitement dégradant soit lorsqu’elles ne sont pasjustifiées, soit lorsqu’elles se déroulent suivant des modalités qui aggravent leur caractère humiliant,soit lorsqu’elles ont lieu fréquemment.Concernant les motifs, une fouille à corps exige des motifs « convaincants 1193 ». Plusl'intrusion dans l'intimité du détenu est importante, plus la fouille doit être justifiée par des motifsimpérieux 1194 . Une fouille comportant une inspection anale visuelle, n'est admissible que si elle est« absolument nécessaire » au regard des circonstances particulières et s'il existe des « soupçonsconcrets et sérieux » selon lesquels l'intéressé dissimulerait des objets ou substances dans cette partiede son corps 1195 .Cette mesure étant par nature humiliante, elle doit également avoir lieu suivant des modalitésqui évitent d’aggraver l’humiliation. Aussi, même si elle est justifiée, la manière dont une fouille sedéroule peut la rendre dégradante. Tel, a estimé la Cour, avoir été le cas d’une perquisition chez unepersonne accusée par son épouse d’abus sexuel sur sa belle fille et d’être armée. Des policiersmasqués l’ont menottée, dénudée, couchée par terre et fouillée 1196 .Les mêmes principes s’appliquent dans la prison. Ce lieu ne justifie en lui-même ni fouillesintégrales ni modalités portant atteinte à la dignité des détenus. Ainsi, à deux reprises, la Cour a jugéque les fouilles des détenus ont constitué des traitements dégradants en raison des motifs invoqués etde leurs modalités. Dans l’arrêt Valasinas, la Cour a retenu la violation de l’article 3 parce que ledétenu concerné avait été contraint de se dévêtir complètement en présence d’une gardienne pourl’humilier. Ensuite, on lui a ordonné de s’accroupir et des gardiens, qui ne portaient pas de gants, ontexaminé ses organes sexuels et ensuite sans se laver les mains, la nourriture qu’il avait reçue de sonvisiteur. Ces conditions révèlent une intention délibérée de l’humilier, a déclaré la Cour en lesqualifiant de traitements dégradants 1197 . Dans l’affaire Iwaczuk, c’est l’absence de motif légitime etnécessaire (absence d’une telle pratique dans d’autres prisons lors du vote des détenus, le caractère<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081192 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, n°50901/99 CEDH 2003-II ; CEDH, Valainas c. Lituanie, n o 44558/98,CEDH 2001-VIII, § 117 ; CEDH, Iwaczuk c. Pologne, préc., § 59 ; CEDH, McFeeley et autres c. Royaume-Uni, préc., §§ 60-61.1193 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 62.1194 CEDH, Frérot c. France, préc., § 38.1195 Ibid., § 41.1196 CEDH, Wieser c. Autriche, préc.1197 CEDH, Valasinas c. Lithuanie, préc.


261pacifique de ce détenu et le caractère non violent de l’infraction pour laquelle il était détenu) associéau caractère « délibérément humiliant » (l’intéressé a été obligé de se mettre en sous-vêtements, sousle regard des quatre gardiens, accompagnés de propos insultants et humiliants), qui ont amené laCour à retenir la qualification de traitement dégradant 1198 . La Cour a fait remarquer qu’ellecomprenait que l’exercice de certains droits fondamentaux par les détenus peuvent être soumis à desconditions autres que celles édictées par des nécessités de sécurité normales de la prison. Mais ellene conçoit pas qu’elles puissent inclure le déshabillage d’un détenu en présence d’un groupe degardiens, de surcroît hilares et moqueurs 1199 .De manière générale, la jurisprudence européenne a, depuis l’affaire McFeely et autres 1200 , établique les fouilles dans la prison doivent avoir lieu dans le respect de l’intimité, à savoir, dans unespace mettant la personne à l’abri des regards et en la seule présence des personnes nécessaires poureffectuer la fouille ainsi que d’un médecin. Elle exige aussi qu’elles soient effectuées par unepersonne du même sexe et que l’attitude générale des personnes présentes aux fouilles soit la plusrespectueuse possible de la personne. Les Règles pénitentiaires recommandent également que lesdétenus soient fouillés par un membre du personnel du même sexe (54. 5), et que de manièregénérale, les droits pénitentiaires prévoient des procédures détaillées pour des fouilles tant desdétenus que des visiteurs (54.1. b , c) qui ne doivent pas être humiliantes (54.4). L’examen par unmédecin est également recommandé par les Règles pénitentiaires européennes 1201 .A propos des fouilles dans la prison, la Cour a du émettre une garantie supplémentaire : laprohibition des fouilles fréquentes et/ou systématiques. Alors même que les modalités des fouillessont respectueuses, en tout cas, elles se déroulent conformément à la légalisation interne, lafréquence peut les rende dégradantes. Etant par nature humiliantes, elles ne peuvent pas faire partiedes modalités ordinaires d’exécution des peines, ni même d’un régime d’exécution des peines desécurité renforcée en ce sens qu’elles ne peuvent pas avoir lieu systématiquement sans raisonspéciale. Elles ne peuvent précisément avoir lieu sans raisons « convaincantes »(Van der Ven 1202 ) et,lorsqu’elles comportent une inspection anale sans avoir été rendues « absolument nécessaires » auregard des circonstances particulières par des « soupçons concrets et sérieux 1203 ». Outre le faitqu’elles soient humiliantes, les fouilles donnent dans ces conditions le sentiment aux détenus<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008concernés d'être « victimes de mesures arbitraires 1204 ».1198 CEDH, Iwanczuk c. Pologne, préc., §§ 54-60.1199 Ibid. § 54.1200 D 8317/78 McFeeley et autres/RU), 15.5.80, D.R., 20, p. 44-160 (p. 142).1201 « Aucun examen des cavités corporelles ne peut être effectué par le personnel pénitentiaire » (54.6.)« Un examen intime dans le cadre d’une fouille ne peut être réalisé que par un médecin » (54. 7).1202 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 62.1203 CEDH, Frérot c. France, préc., § 41.1204 Ibid., § 47.


262C’est ce que la Cour a affirmé dans les affaires Van der Ven et Frerot. Les requérants subissaientdes fouilles systématiques imposées, pour le premier, par le régime de sécurité maximale aux Pays-Bas 1205 et, pour le second, par le régime de détenus particulièrement surveillés (DPS) en France. Sipour le premier, la Cour a pu évaluer le nombre des fouilles subies (elles étaient au moinshebdomadaires), dans l’affaire Frerot, elle a déduit leur nombre important en s’appuyant sur laréglementation français 1206 . Celle-ci prévoit que tout détenu est susceptible de subir des fouillesintégrales chaque fois qu’il quitte sa cellule et entre en contact avec une personne de l’extérieur oulorsqu’elle sort de la prison 1207 ; de surcroît, les « détenus spécialement signalés », tel le requérant,sont plus exposés encore à ce type de fouilles 1208 .Ainsi dans l’arrêt Van der Ven, la Cour a estimé que le fait d’avoir soumis un détenu, en plusd’un grand nombre de mesures de contrôle que comportait le régime spécial de sa détention, à des« fouilles à corps routinières » (celles-ci constituaient une pratique hebdomadaire pendant environtrois ans et demi) sans « impératif de sécurité convaincant », a constitué des traitements inhumains etdégradants contraires à l’article 3 1209 . Dans l’affaire Frerot, elle a qualifié les fouilles litigieuses dedégradantes. Combinés, « le sentiment d'arbitraire », le « sentiment d'infériorité et d’angoisse » qui ysont souvent associés, et celui d'une « profonde atteinte à la dignité » que provoque indubitablementl'obligation de se déshabiller devant autrui et de se soumettre à une inspection anale visuelle, en susdes autres mesures intrusives dans l'intimité que comportent les fouilles intégrales, caractérisent un« degré d'humiliation dépassant celui – tolérable parce qu'inéluctable – que comporte inévitablementla fouille corporelle des détenus 1210 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1205 La Cour a examiné non pas une fouille intégrale en particulier, comme dans des précédentes affaires, maisle régime général des fouilles intégrales auxquelles étaient soumises des personnes détenues dans un« établissement de sécurité maximale ».1206 L'article D. 275 du code de procédure pénale prévoit que « les détenus doivent être fouillés fréquemment etaussi souvent que le chef de l'établissement l'estime nécessaire » ; qu'« ils le sont notamment à leur entrée dansl'établissement et chaque fois qu'ils en sont extraits et y sont reconduits pour quelque cause que ce soit [et]peuvent également faire l'objet d'une fouille avant et après tout parloir ou visite quelconque ». D’autresdispositions du code de procédure pénale prévoient la fouille des détenus à leur arrivée dans l'établissement(art. D. 284 CPP), avant transfèrement ou extradition (article D. 294 CPP) et avant et après entretien au parloir(art. D. 406 CPP), à l'occasion des mouvements en détention (promenades, ateliers, salles d'activités).1207 « En l'espèce, ne sont connus avec précision ni la fréquence des fouilles subies par le requérant (fouilles parpalpation et fouilles intégrales confondues), ni la proportion de fouilles intégrales, ni le nombre de celles àl'occasion desquelles il lui fut ordonné ‘de se pencher et de tousser’ », CEDH, Frérot c .France , préc., §43.1208 Il n'est pas contesté que, comme tout détenu, le requérant est soumis au régime des fouilles défini pourl'essentiel par la circulaire du 14 mars 1986 et la note technique y annexée (...) ; « elles concernentprincipalement, mais non exclusivement, les détenus particulièrement signalés, les prévenus, ainsi que ceuxdont la personnalité et les antécédents rendent nécessaire l'application de mesures de contrôle approfondies »,CEDH, Frérot c. France, préc. §§ 40, 44.1209 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 63.1210 CEDH, Frérot c. France, préc., §§ 47-48.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


263d. Les transfèrementsS’ils peuvent constituer un traitement inhumain ou dégradant en raison des modalités de leurdéroulement (menottes, exposition au public), ils peuvent également l’être en raison des motifs maisaussi de leur fréquence.Mais le CPT a relevé que la fréquence peut également les rendre inhumains ou dégradants.Pour être nécessaires au maintien de l'ordre et de la sécurité, il n'empêche pas, considère-t-il, que« l'effet de transferts successifs sur un prisonnier pourrait, dans certaines circonstances, constituer untraitement inhumain et dégradant ». Car « le transfert continuel d'un prisonnier d'un établissementvers un autre peut avoir des conséquences très néfastes sur son bien-être psychique et physique. Deplus, ce prisonnier aura des difficultés pour maintenir des contacts appropriés avec sa famille et sonavocat » 1211 .Enfin, les obligations de porter l’uniforme pénitentiaire et/ou de se raser le crâne sontégalement des actes a priori dégradants étant susceptibles d’humilier et d’avilir la personne. Tel estle cas, lorsqu’ils sont imposés à titre de sanction disciplinaire et/ou dans le but d’humilier lapersonne. De tels actes ne peuvent être justifiés que lorsqu’ils sont imposés au titre de mesuresd’hygiène 1212 .B. La protection nationaleLa réglementation générale (1) de l'usage des moyens de coercition, des moyens d'ordre et desécurité par les droits nationaux mais aussi celle concernant certains de ces moyens (2), ne manquepas non plus de soulever des problèmes de conformité avec les exigences européennes.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. Les garanties générales<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Les motifs pour lesquels l’usage des moyens coercitifs peuvent être utilisés correspondent àpeu près à ceux prévus par les instances du Conseil de l’Europe. Le droit français prévoit qu’ilsUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008peuvent être utilisés à l’encontre des détenus en cas de fureur, de violence grave, de menaces,d’injures, de violences ou d’infractions à la discipline, ou simplement pour les maîtriser, lesempêcher de causer des dommages ou de porter atteinte à eux-mêmes ou à autrui, ou lorsque lescirconstances ne permettent pas d'assurer efficacement leur garde d'une autre manière (art. 726 etD 283-3 al. 2 CPP), ainsi que pendant leur transfèrement ou leur extraction (art. D 283-4 CPP). Le1211 CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc., § 57.1212CEDH, Yankov c.Bulrgarie, n° 39084/97, CEDH 2003-XI.


droit grec se contente d’énoncer qu’ils visent à « sauvegarder et rétablir l’ordre » (art. 65 §2 C.pénit.).264En revanche, alors que le droit grec (art. 65 § 3 C. pénit.) et le droit français (art. D 283-3al.1 CPP) interdisent l’usage des moyens coercitifs à titre punitif, et que ce dernier réitèrespécialement cette interdiction à propos de l’isolement (art. 283-1-2 CPP), les deux droits nationauxprévoient le recours à l’isolement à titre de sanction disciplinaire (art. D 250-3 et D 251-5 CPP, art.69, §1, al.a C. pénit.). Le droit grec prévoit également les transfèrements à titre punitif (art. 69 §1, al.c, C. pénit.). Dans la pratique, des transfèrements disciplinaires ont également lieu en France. Dansle rapport du Commissaire européen aux droits de l’homme concernant la France (2006), il estquestion de « sanctions disciplinaires voilées » 1213 .Quant à la nature des moyens de contention, le droit grec prévoit seulement l'enfermementdans une cellule spéciale et les menottes (art. 65 §2, C. pénit.). Dans la pratique, il est également faitusage de tout autre moyen jugé nécessaire. L’application de ces mesures est décidée par le Conseilde la prison 1214 . Mais en cas d’urgence, pour faire face à des actes violents mettant en danger la vie,la santé et la liberté des codétenus et du personnel, cette décision peut être prise par le directeur etdoit être approuvée par le conseil de la prison dans les vingt-quatre heures (art. 65 §2 C. pénit.). Ledroit français mentionne, en plus de ces deux moyens, les entraves qui constituent un moyen encoreplus humiliant que les menottes, tant elles réduisent l’image de l’homme à celle de l’animal. Ellesconsistent en l’enchaînement des pieds ; mais peuvent aussi comporter deux chaînes attachant lespieds aux mains. L’enfermement dans une cellule spéciale est prévu pour les cas où un détenu usede menaces, injures ou violences ou commet une infraction à la discipline (art. 726 CPP 1215 ). Lesmenottes et les entraves sont prévues pendant les transfèrements, les extractions, ou lorsque lescirconstances ne permettent pas d'assurer efficacement la garde des détenus d'une autre manière (art.D283-4 CPP). Mais l’article 726 du Code de procédure pénale fait mention d’autres moyens decontrainte sans préciser lesquels. Dans la pratique, il est également fait usage d’une cellule de force,repérée par le CPT lors de sa visite en France, en 2003, qui a demandé des explications sur son usageet sa réglementation 1216 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081213 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc., § 108.1214 Composé du directeur de la prison, un assistant social et un scientifique (qui peut être un criminologue ouun juriste, mais aussi un psychologue, sociologue, enseignant, ou un vétérinaire), (art 10 § 1, C. pénit.).1215 « Si quelque détenu use de menaces, injures ou violences ou commet une infraction à la discipline, il peutêtre enfermé seul dans une cellule aménagée à cet effet ou même être soumis à des moyens de coercition en casde fureur ou de violence grave, sans préjudice des poursuites auxquelles il peut y avoir lieu. »1216 « La délégation a observé au quartier disciplinaire (à la prison de Loos), l'existence d'une cellule dite deforce, privée de tout équipement à l'exception de toilettes. Les seules explications de membres du personnelqu'elle ait pu recueillir sur ce point était qu'il s'agissait d'un lieu destiné "aux incorrigibles", ce qui ne constituepas pour le CPT une explication satisfaisante. Le CPT souhaite obtenir des informations détaillées sur lesraisons d'être de cette cellule, l'utilisation qui en est faite et les moyens de recours dont dispose un détenu pourcontester son placement dans celle-ci », CPT/Inf (2004)7, Rapport de visite, France, du 11 au 17 juin 2003.


2652. Les garanties supplémentaires concernant certains moyens coercitifsOutre l’avis médical, requis en droit grec, pour recourir à l'enfermement cellulaire despersonnes ayant fait une tentative de suicide ou ingurgité des objets ou présentant des réactionspsychiques à la détention ou souffrant de troubles mentaux ou des maladies transmissibles (art. 65§3 C. pénit.), tant ce droit national que le droit français prévoient un certain nombre de garantiesdans le cadre de recours aux moyens de sécurité suivants : l’usage des menottes et des entraves (a),les fouilles corporelles (b) et les transfèrements (c).a. Les garanties lors de l’usage des menottes et des entravesLe droit grec prévoit que l’appréciation de la nécessité de l’usage des menottes lors destransfèrements et extractions est laissée au personnel qui en est chargé et que, dans la mesure dupossible, cette mesure doit être évitée dans le cas de personnes âgées, mineures, malades, et desfemmes enceintes et, selon le décret pour l’application de cet article 1217 , dans le cas de prêtres et despersonnes handicapées (art. 77 §1 C. pénit.).Le droit français limite, dans l’article 803 du Code de procédure pénale, le port des menotteset des entraves aux détenus dangereux pour eux–mêmes ou pour autrui et dans le cas de risque defuite (art. 803, al.1, CPP) 1218 . Il prévoit également que des mesures doivent être prises pour assurer lerespect de la personne lors de l'usage des menottes en public, en particulier l’interdiction à la pressede prendre des photographies ou d'enregistrer l'image par tout autre moyen 1219 . La circulaire du 1ermars 1993 recommandait de soumettre la décision de leur usage à l’appréciation de la dangerosité dechaque personne en tenant notamment compte de son âge et de son état de santé. Mais un décret du 8décembre 1998 a permis de les rendre systématiques lors des transfèrements et des extractions enlaissant une grande marge d’appréciation aux directeurs de prisons et aux chefs de l’escorte (art.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>D283-4 et D294 CPP 1220 ). Une circulaire du 18 novembre 2004, dont le commissaire aux droits del’homme Gil-Roblès a demandé l’abrogation 1221 , autorise le directeur de l’établissement pénitentiaireà imposer le port de menottes ainsi que des entraves lors des extractions médicales, y compris<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081217 Décret présidentiel n°141/1991 30.4.1991 (art. 147).1218 « Nul ne peut être soumis au port des menottes ou des entraves que s'il est considéré soit comme dangereuxpour autrui ou pour lui-même, soit comme susceptible de tenter de prendre la fuite » (art. 803, al.1, CPP).1219 Dans ces deux hypothèses, toutes mesures utiles doivent être prises, dans les conditions compatibles avecles exigences de sécurité, pour éviter qu'une personne menottée ou entravée soit photographiée ou fasse l'objetd'un enregistrement audiovisuel (art. 803, al. 2, CPP).1220 Selon l’article D 294 du code de procédure pénale, « Des précautions doivent être prises en vue d'éviter lesévasions et tous autres incidents lors des transfèrements et extractions de détenus. Ces derniers sont fouillésminutieusement avant le départ. Ils peuvent être soumis, sous la responsabilité du chef d'escorte, au port desmenottes ou, s'il y a lieu, des entraves, dans les conditions définies à l'article D. 283-4. »1221 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc.


266pendant les consultations et les soins 1222 . Seules les femmes enceintes sont épargnées mais seulementlors de leur accouchement 1223 . Concernant les mineurs, il est demandé « un examen particulièrementattentif 1224 ».b. Les garanties lors du recours aux fouilles corporellesLes deux droits nationaux prévoient que les fouilles corporelles doivent avoir lieu dans lerespect de la dignité : « Les détenus ne peuvent être fouillés... que dans des conditions qui, tout engarantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la dignitéhumaine » précise le droit français (article D. 275, al. 3 CPP). Le même principe les régit en droitgrec (art. 23 §6, C. pénit.). Cependant, concernant les garanties précises, tant le droit français que ledroit grec se contentent de prévoir qu’elles doivent être effectuées par une personne du même sexe(art. D 275, al. 3 CPP, en droit français 1225 et art. 23 §6 C. Pénit., en droit grec). Le droit grec prévoitégalement que les fouilles anales ou par radiographie doivent être faites par un médecin, après ordredu juge de l’application des peines (art. 23 §6 C. pénit. ; art. 10 § 5 du Règlement intérieur).Il est à noter, à propos des garanties de la dignité, que lors de sa visite à la Santé (prisonfrançaise) le CPT a constaté des manquements graves et a invité le gouvernement français à prendresans délais des mesures pour que les « fouilles à corps soient effectuées dans des conditionsrespectant la dignité humaine 1226 ». Il a constaté, d'une part, que des précautions ne sont pas prisespour qu'elles se déroulent en dehors de la vue des codétenus et des gardiens qui ne participent pasaux fouilles 1227 . D’autre part, les arrivants sont, en attendant la fouille, entassés dans le local des« cabines arrivants » composé de dix « cages » de 1,49 m. Ces cabines sont sales et ne comportentaucun équipement pour s'asseoir. De plus, le jour de la visite du CPT, cinq à six détenus étaiententassés dans une cage alors que d'autres étaient vides.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Quant aux motifs et à la fréquence, les garanties même théoriques ne sont pas suffisantes.Aucune précision ne figure dans ces deux droits nationaux concernant la fréquence. En plus des<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1222 Circulaire relative à l’organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l’objet d’une consultationmédicale, AP 2004-7 CAB/18-11-200.1223 « C'est à dire tant dans la salle de travail que pendant la période de travail elle-même. La surveillancepénitentiaire ne doit pas s'exercer à l'intérieur même de la salle d'accouchement », Ibid.1224 « A6 l'égard des mineurs, l'utilisation des moyens de contrainte doit, conformément à la circulaire du 1ermars 1993, être prise en application de l'article 803 du CPP, faire l'objet d'un examen particulièrementattentif », Ibid.1225 « Les détenus ne peuvent être fouillés que par des agents de leur sexe et dans des conditions qui, tout engarantissant l'efficacité du contrôle, préservent le respect de la dignité inhérente à la personne humaine » (art.D 275 CPP).1226 CPT/Inf(98) 7, Rapport de visite, France, préc., §166.1227 La fouille à corps des arrivants avait lieu dans la cour au vu des gardiens et des autres détenus,CPT/Inf(98) 7, Rapport de visite, France, préc., §165. Dans les quartiers disciplinaires, les détenus sont obligésde se dénuder devant les cellules pour subir la fouille à corps, CPT/Inf(98) 7, Rapport de visite, France, préc.,§ 165.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


267fouilles routinières, avant et après chaque visite privée, les directeurs des prisons peuvent lesordonner chaque fois qu’ils les jugent nécessaires pour des motifs d’ordre et de sécurité sans autresprécisions 1228 . Ce qui comme nous venons le voir a valu à la France une condamnation pourtraitement dégradant dans l’affaire Frerot (2007). Le CPT estime que de manière générale, « ‘unefréquence élevée de fouilles à corps - avec mise à nu systématique - d’un détenu comporte un risqueélevé de traitement dégradant 1229 ».c. Les garanties entourant les transfèrementsRappelons-le, les transfèrements peuvent être contraires à l’article 3, à cause des modesd’exécution, mais aussi des motifs et de leur fréquence, ce qui peut les faire entrer dans les moyenscoercitifs exigeants alors des garanties contre des transfèrements abusifs.A ce propos, le droit grec a créé un organe central auquel sont attribuées toutes les décisionsde transfèrement. Il s’agit du « comité central des transfèrements » (art. 9 C. pénit.), qui est unservice du ministre de la justice composé de trois membres 1230 . De surcroît, les propositions dudirecteur des prisons de transférer un détenu doivent au préalable être soumises à l’avis du conseil dela prison (art. 9 C. pénit.). En cas d’urgence, si l’ordre et/ou la sécurité d’une prison est menacé, leministre de la justice peut également ordonner ou interdire un transfèrement. Dans ce cas, le comitécentral doit être saisi « au plus tôt » (art. 9 §5, C. pénit.).Quant aux motifs, les transfèrements sont prévus pour des motifs favorables pour le détenus(personnels, familiaux, éducatifs, de travail, de soins, les besoins du procès), mais aussi pour le bonordre de l’établissement (72 à 77 C. pénit), y compris à des fins disciplinaires (art. 69 §1, al. c, C.pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Quant aux modalités, l’article 77 §1 du Code pénitentiaire prévoit qu’ils doivent avoir lieu demanière à préserver la dignité des détenus et à lui éviter des souffrances supplémentaires. A part lesprécautions en cas d’usage des menottes, présentées plus haut, ce Code prévoit également qu’en casde risque pour la santé ou pour la vie de la personne, le transfèrement doit, sur avis médical, êtrereporté (art .77 §2).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081228 « Les détenus doivent être fouillés fréquemment et aussi souvent que le chef de l'établissement l'estimenécessaire. Ils le sont notamment à leur entrée dans l'établissement et chaque fois qu'ils en sont extraits et ysont reconduits pour quelque cause que ce soit. Ils doivent également faire l'objet d'une fouille avant et aprèstout parloir ou visite quelconque », (art. D 275 CPP). Voir aussi M. HERZOG, « Fouilles corporelles et dignitéde l'homme », RSC (4), oct. -déc., 1998, pp. 735-747.1229 CPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, préc., § 168.1230 Le secrétaire général de ce ministère, le substitut de procureur près la Cour d’appel responsable del’inspection de la prison de Korydalos et le président du conseil central scientifique des prisons.


268En droit français, la décision relève toujours de la compétence des directeurs régionaux del’administration pénitentiaire et du ministère de la Justice. Ce dernier dispose d'une compétencegénérale en matière de transfèrements administratifs et d’une compétence exclusive dans certainstypes de transferts (art. D 80 et D 300 CPP) 1231 . Les directeurs régionaux sont compétents pour lestransfèrements à l'intérieur de leur région. Quant aux motifs, ils ne sont pas précisés. On déduit dutexte de l’article D282 du Code de procédure pénale, qui prévoit que « l'affectation peut êtremodifiée soit à la demande du condamné, soit… », que cette mesure peut avoir lieu, non seulementpour des motifs d’ordre et de sécurité, et donc avoir un caractère contraignant, mais aussi pour desmotifs favorables pour les détenus. Toutefois, le Commissaire aux droits de l’homme a, en 2005, misl'accent sur la pratique des transfèrements disciplinaires : il parle à ce propos de « sanctionsvoilées 1232 ».En ce qui concerne la fréquence des transfèrements, le gouvernement français a reconnu, enréponse aux observations du Commissaire aux droits de l’homme (mars 2006), qu’un petit nombrede détenus est en effet concerné. Il s’agit de ceux qui sont inscrits dans le répertoire de « détenusparticulièrement signalés » par décision du Garde des Sceaux conformément à l’article D-276-1 ducode de procédure pénale. Ces personnes sont transférées tous les trois mois. Mais le petit nombre depersonnes concernées ne diminue pas la gravité de ce rythme de transfèrements.Pour ce qui est des modalités, nous avons mentionné les précautions exigées contrel’exposition des détenus au public et celles concernant le port des menottes et entraves (art.D300CPP). Nous devons y ajouter que, comme le droit grec, le droit français prévoit une précaution liéeà la protection de la santé. Il prévoit la suspension de l’exécution d’un transfèrement lorsqu'il estétabli par un médecin, habilité ou autorisé à intervenir dans l'établissement pénitentiaire, que l'état desanté du détenu ne permet pas son transfèrement ou son extraction 1233 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Les garanties assurées dans le cadre de l’ensemble de ces ingérences ne nous paraissent passuffisantes. Le port des menottes et des entraves, ainsi que l’exercice des fouilles corporelles, ne sontpas suffisamment réglementés. Dans la pratique, l'usage des menottes dans le lieu de détention estsystématique. Ainsi, en France, elles sont utilisées pour tout déplacement des détenus (quartier<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008disciplinaire, prétoire, parloir, etc.), et aussi bien les menottes que les entraves sont utilisées lors des1231 « La compétence du ministre de la justice est exclusive en ce qui concerne :1º Le transfèrement à titre administratif de tout détenu d'une région pénitentiaire à une autre ; 2º Lestransfèrements vers ou à partir d'une maison centrale ou d'un quartier maison centrale » (art. D 300 CPP).Le ministre d la Justice a également l’exclusivité de la décision pour des affectations initiales et leschangements d’affectation, concernant les détenus condamnés à plus de 10 ans et dont la peine restant à subirest supérieure à 5 ans, ainsi que des condamnés pour d'actes de terrorisme et de ceux ayant fait l'objet d'uneinscription au répertoire des détenus particulièrement signalés, prévu par l'article, (art. D. 276-1 CPP).1232 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc., § 108.1233 Le certificat délivré par ce praticien permet l'application éventuelle des dispositions de l'article 416 (art. D292 CPP).


269transfèrements, les extractions et les sorties escortées. Quant aux fouilles, elles peuvent égalementêtre fréquentes, voire quotidiennes 1234 . Le directeur d'établissement dispose d’un pouvoird'appréciation quasi discrétionnaire. Des recours ne sont pas clairement prévus. Mais à supposerqu'un recours soit ouvert au détenu, il ne pourra pas passer pour effectif car il sera difficile d’endémontrer le caractère abusif. Quant au contrôle médical de l’application de moyens de force, il n’estprévu que par le droit grec à propos de l’enfermement en cellule à l’égard de certaines catégories dedétenus. Aucun de droits de ces deux pays ne prévoit d’autres garanties, comme un examen médicalsystématique après l’usage de la force ou des moyens de contrainte ou la tenue d’un registre de telsincidents.Mais, dans ce domaine, même le Conseil de l’Europe doit encore marquer des progrès pourlimiter le recours à l’usage de force et des moyens de contrainte. Il est nécessaire de mieux préciserles motifs du recours à des armes et à des moyens de contrainte autorisés, interdire les entraves etlimiter l’isolement au temps nécessaire pour l’apaisement de la personne ou le retour à l’ordre, etmieux l’encadrer.Outre les moyens de force et de contrainte, les conditions matérielles de la vie en prisonpeuvent également être compromettantes pour la dignité humaine.SECTION 2. <strong>LE</strong>S GARANTIES CONTRE <strong>LE</strong>S CONDITIONS MATERIEL<strong>LE</strong>S <strong>DE</strong>GRADANTESPar conditions de détention, nous entendons à la fois les conditions matérielles proprementdites (telles que la superficie des cellules, les sanitaires, l'hygiène, le matériel de couchage,l’aération, le chauffage, la lumière, la nourriture ou le nombre de détenus par cellule), et le régime del'organisation de la vie quotidienne en prison (comme l’affectation des détenus, les promenades, lesactivités, les contacts humains, les mesures de contrôle, la discipline). Ces conditions font l’objet desRègles minima pour le traitement des détenus depuis 1955 au sein des Nations-Unies et, depuis1973, au sein du Conseil de l’Europe, intitulées depuis leur révision en 1987, « Règles pénitentiaireseuropéennes 1235 ». Les normes fixées par ces Règles tentent de garantir des conditions de détentiondécentes et servent, depuis l’existence de la Cour et du CPT, de référence lors de leurs contrôlesrespectifs.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Toutefois, c’est seulement en 2001 que la Cour a, pour la première fois, sanctionné lemanquement aux conditions de détention décentes. En effet, si c’est depuis 1969 que la Commissiona reconnu que « les conditions de détention peuvent tomber sous le coup de l'article 3 de la1234 En droit français, elles peuvent être quotidiennes, M. HERZOG, « Fouilles corporelles et dignité del'homme », préc.1235 Au sein de la dernière révision de ces règles, la Recommandation Rec (2006)2 sur les Règles pénitentiaireseuropéennes, ces conditions font l’objet des dispositions 18 et 19.


Convention 1236 » et, qu’en 1991, elle avait déclaré recevable une requête portant sur de tels griefs 1237 ,c’est seulement dans l'arrêt Dougoz, rendu en mars 2001 que la Cour a reconnu le droit à desconditions de détention décentes à propos des conditions matérielles 1238 . Cette jurisprudence est,depuis lors, largement consolidée, notamment dans l’arrêt Peers rendu un mois plus tard (avril2001 1239 ) et l’arrêt Kalachnikov (juillet 2002) dans lequel la Cour a explicitement reconnu ce droit :« L'article 3 de la Convention impose à l'Etat de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans desconditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine 1240 ». Le principe adopté estque si la détention en soi n’est pas incompatible avec le respect de la dignité au sens de l’article 3 dela Convention 1241 , les conditions et les méthodes dans lesquelles elle s’exécute peuvent la rendreincompatible 1242 . Il convient alors de déterminer le seuil de gravité des conditions de détention quisoit qualificatif de mauvais traitements au sein de la jurisprudence européenne (§ 1) et la garantieassurée dans ce domaine en droit grec et droit français (§ 2).1236 Dans le Rapport rendu dans l’affaire grecque, la Commission était parvenue à cette conclusion au sujet dela surpopulation et des installations inappropriées concernant le chauffage, les conditions sanitaires, lecouchage, la nourriture, les loisirs et les contacts avec le monde extérieur, R 3321/67, 3322/67, 3323/67 et3344/67, « affaire grecque», 5.11.1969, Annuaire 12). Cette jurisprudence fut confirmée en 1977 : D 7754/77(X c. Suisse), 9.5.1977, D.R. 11, p. 219.1237 La requérante avait dénoncé, entre autres conditions de détention en Grèce : le surpeuplement, lesconditions dans lesquelles se déroulent les visites et l'indigence. Etant d'origine étrangère, elle ne disposait pasde ressources pour cantiner et téléphoner. Cette affaire avait été réglée à l'amiable et la prison en question futfermée, Petronella Van Kuijk/Grèce, n°14986/89, décision du 3.7.1991 et rapport du 19 février 1992.1238 « La Cour estime que les conditions de détention peuvent quelquefois s'apparenter à un traitement<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>inhumain ou dégradant », CEDH, Dougoz c. Grèce, nº 40907/98, CEDH 2001-III, § 46. Il avait été reconnu,expressément un an auparavant, dans l’affaire Kudla, à propos de la détention d’une personne malade (CEDH,Kudla c.Pologne [GC], préc., §§ 92-94), et implicitement en 1998 dans l’affaire Aerts à propos de la détentiond’une personne souffrant de troubles psychiatriques graves (CEDH, Aerts c. Belgique, préc., §§ 64 et s.).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1239 CEDH, Peers c. Grèce, préc.1240 CEDH, Kalachnikov c. Russie, préc., § 95.1241 « Les mesures privatives de liberté s'accompagnent ordinairement de pareilles souffrances et humiliation.Toutefois, on ne saurait considérer qu'un placement en détention provisoire pose en soi un problème sur leterrain de l'article 3 de la Convention », CEDH, Kudla c. Pologne, [G.C], n° 30210/96, CEDH 2000-X, § 93 ;CEDH, Kalachnikovc. Russie préc., § 95,1242 « Les modalités et les méthodes d'exécution de la mesure ne doivent pas soumettre l'intéressé à unedétresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détentionet que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurésde manière adéquateé », CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc., § 95 ; CEDH, Mayzit c. Russie, n°63378/00,CEDH 2005-I.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008270


271§ 1. Les exigences européennesEn dehors des cas exceptionnels, à savoir la privation relativement longue des besoins vitauxélémentaires de l’homme, que sont la nourriture et l’eau, ainsi que l’accès aux sanitaires, quisuffisent pour qualifier ces conditions d’inhumaines 1243 la Cour tient compte d’un nombre de critèresau cœur desquels se trouve l’espace.Ces critères font référence aux normes dictées par les Règles pénitentiaires européennes.Toutefois, le simple constat de leur violation ne suffit pas pour qualifier les conditions de détentiond’inhumaines ou dégradantes. Pour cela, il faut encore que la Cour constate que leur violation aitatteint le minimum de gravité constitutif de mauvais traitement au titre de l’article 3 de laConvention dont le seuil doit dépasser celui de la souffrance et de l’avilissement habituel etinévitable de l’exécution d’une peine privative de liberté 1244 . Dans cette appréciation, l’élémentcentral est l’espace : « La Cour considère le manque extrême d'espace comme un facteur central dansson analyse de conformité des conditions de détention du requérant avec l'article 3 1245 ». Il estcombiné à un certain nombre de critères : les conditions matérielles dans la cellule (sanitaires,salubrité, aération, lumière, matériel de couchage et mobilier dans la cellule), le nombre de détenusdans la même cellule, le temps passé hors la cellule (en promenade ou en activités), la durée de ladétention dans les conditions dénoncées, ainsi que l’âge, l’état physique, ou la santé des personnesconcernées. Ces aspects, même si considérés séparément ne suffisent pas pour qualifier une détentiond’inhumaine ou dégradante, combinés, ils peuvent aboutir à un tel traitement. En effet la Cour réitèreque ce sont les effets cumulatifs qui sont déterminants dans l’appréciation du seuil de gravité desconditions de la détention : « Lorsqu'on évalue les conditions de détention, il y a lieu de prendre encompte leurs effets cumulatifs ainsi que les allégations spécifiques du requérant 1246 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1243 Le fait pour une personne en garde à vue d’être privée de nourriture et d’eau pendant 32 heures, et ne pasavoir accès aux toilettes, s’analyse en un traitement inhumain, CEDH, Fedotov c. Russie, préc. Dans l’affaireKadikis, la Cour a rappelé, à propos de la limitation de la nourriture d’un détenu à un repas par jour,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...l’obligation des Etats à nourrir convenablement les détenus : « La Cour estime que l’obligation des autoritésnationales d’assurer la santé et le bien-être général d’un détenu implique, entre autres, l’obligation de le nourrirconvenablement », CEDH, Kadiis c. Lettonie (n°2), préc., §§ 55-56.1244 « La Cour a toujours souligné que la souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delàde celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes. Les mesuresprivatives de liberté s’accompagnent ordinairement de pareilles souffrance et humiliation », CEDH, Ilacu etautres [GC], préc. Voir CEDH, Kudla c. Pologne, [G.C], préc., §§ 92-94 ; CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc.,§ 95 ; CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 119 ; CEDH, Popov c. Russie, préc., § 208 ; CEDH,Kadiis c. Lettonie (n°2), préc., § 56.1245 CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc. Dans l’affaire Valainas c. Lituanie, précitée, cette instance avaitestimé que les effets du manque d’espace dans la cellule étaient récompensés par les sorties. Ce qui n’a pas étéle cas dans l’affaire Peers ni dans l’affaire Kalachnikov: l’étroitesse de la cellule était couplée par le manqued’aération et de lumière, dans la première affaire, et l’étroitesse de la cellule était couplée par les effets de ladurée de vie en cellule, dans la seconde affaire.1246 « Lorsqu’on évalue des conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs,ainsi que les allégations spécifiques du requérant », CEDH, Dougoz c. Grèce, préc., § 46. Voir CEDH, Van derVen c. Pays-Bas, préc. ; CEDH, Poltoratski c. Ukraine, § 135 ; CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, n° 54825/00,2005-IV, § 81 ; CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc., § 40 ; CEDH, Ostrovar c. Moldavie, n° 35207/03,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


272Enfin, la Cour a, d’une part, confirmé le caractère non déterminant de l’absence d’intentiond’humilier ou d’avilir quelqu’un 1247 : « Le fait qu’une personne soit détenue dans des conditionsinsatisfaisantes suffit en soi de créer un sentiment de détresse et de souffrance d’une intensitéexcédant le niveau inévitable inhérent à la détention » 1248 . Elle a, de l’autre, refusé de justifier lesmauvaises conditions de détention par les difficultés économiques d’un pays : tout en tenant comptedes problèmes économiques d’un pays, la Cour a déclaré que « les contraintes financières nesauraient en principe justifier l’existence de conditions de détention précaires au point d’atteindre leniveau de traitement interdit par l’article 3 de la Convention 1249 ».En examinant l’application de ces critères, nous constaterons que, après l’espace (A), c’est lenombre de détenus qui est le critère le plus déterminant des conditions de vie en détention (B) et quecertains critères, comme la durée passée dans les conditions dénoncées, le temps passéquotidiennement en cellule, l’âge, l’état physique, et la santé de l’intéressé contribuent à moduler lagravité de ces conditions (C).A. Espace et conditions matériellesLe droit à des "conditions de détention décentes » s’applique à l’ensemble de l’espace d’uneprison : cellule, sanitaires, cuisines, aires de promenade, lieux de travail, couloirs, parloirs, etc. Parmices espaces, ce sont en particulier les cours de promenade et les cellules qui ont retenu l’attention dela jurisprudence européenne. Celui de promenade a notamment été porté à l’attention de laCommission qui, tout en ayant parfois exprimé sa désapprobation, n’avait jamais déclaré recevableles requêtes corrélatives : ni à propos de la promenade en préau grillagé où les détenus pouvaient sepromener deux par deux 1250 , ni à propos de la promenade dans une cellule ordinaire (s’agissant desdétenus qui vivaient dans des cellules d'isolement avec des fenêtres opaques 1251 ).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...CEDH 2005-IX, § 89 ; CEDH, Mikadzé c. Russie, préc. ; CEDH, Popov v. Russie, préc., § 209 ; CEDH,Trepachkine c. Russie, n o 36898/03, CEDH 2007-VII, § 91.1247 « Toutefois s’il convient de prendre en compte la question de savoir si le but du traitement était d’humilierou de rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive le constat de violationde l’article 3 ». L’attitude passive dans ce cas, à savoir l’omission de prendre des mesures pour améliorer lesconditions de détention, dénote un manque de respect envers la personne concernée, CEDH, Peers c. Grèce,préc., §§ 74-75 ; CEDH, Kalachinkov c. Russie, § 95, § 101 ; CEDH, Mayzit c. Russie, préc., § 24 ; CEDH,Poltoratski c. Ukraine, § 132 ; CEDH, Kantyrev c. Russie, n o 37213/02, CEDH 2007-VI, § 53.1248 CEDH, Kantyrev c. Russie, préc., § 53.1249 En outre, les difficultés économiques auxquelles était confrontée l’Ukraine ne peuvent en tout état de causeexpliquer ni excuser les conditions de détention que la Cour a jugé inacceptables en l’espèce », CEDH,Poltoratski c. Ukraine, préc., §§ 135-149. Voir aussi CEDH, Khokhlich c. Ukraine, n° 41707/98, § 181, CEDH2003-IV, CEDH, Kuznetsov c. Ukraine, n°39042/97, CEDH, 2003-IV, § 128.1250 D 6337/73 (X/Belgique) 10.7.1975, DR 3, pp. 83 et s.1251 R 8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), 16.12.1982, DR 34, p. 36 et s.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


273Au sein de la jurisprudence de la Cour, c’est surtout l’espace de la cellule qui a, jusqu’àprésent, été mis en cause. Etant le lieu où la plupart des détenus passent la majeure partie de leurjournée (faute d’activités suffisantes, notamment dans les maisons d’arrêt), la vie en cellule est eneffet le facteur le plus déterminant de la qualité des conditions matérielles de la détention. Laconfiguration de la cellule doit répondre à un minimum de prescriptions concernant notamment lasuperficie, l’aération, la lumière, le mobilier, l’hygiène et la propreté.La superficie de la cellule. La taille de la cellule doit répondre au besoin de chaque êtrevivant de disposer d’un espace minimum vital pour dormir, se reposer et avoir une vie privée. Cettetaille est fixée par le Conseil de l’Europe à 7 m par personne 1252 . Mais la superficie peut poser unproblème, par rapport également, au nombre d'occupants, dès lors que celui-ci peut diminuer cetespace minimum vital. La Cour a, par exemple, estimé que lorsque la superficie revient à moins de2 m par personne, il s’agit d’une condition qui soumet la personne à une souffrance suffisante pourconstituer un traitement inhumain ou dégradant 1253 .Aération, température, et éclairage de la cellule. Celle-ci doit être suffisamment aérée,chauffée ou climatisée, suivant les saisons et le climat de chaque pays, et suffisamment éclairée parla lumière naturelle et la lumière artificielle. Les Règles pénitentiaires européennes imposent uncertain nombre de normes concernant ces aspects 1254 . Pour les apprécier, la Cour tient égalementcompte des facteurs climatiques. Ainsi, dans l’affaire Peers, la Cour a souligné que dans les payschauds, les moyens d’aération de la cellule, notamment pendant l’été, est un facteur déterminant desconditions de détention. Les cellules doivent disposer, soit de fenêtres de taille suffisante, soit d'unsystème de climatisation 1255 . Il en est de même du froid, pendant l’hiver dans des pays du Nord.Ainsi, constitue un traitement dégradant, la détention dans une cellule insuffisamment chauffée enRussie 1256 ou en Ukraine 1257 . A plus forte raison, la personne doit être détenue dans un espace lamettant à l’abri du soleil et des intempéries, à savoir dans un espace fermé disposant d’un toit en bonétat 1258 . A l'exception du climat, la Cour tient compte d’autres facteurs, comme la présence desfumeurs dans une cellule commune qui peut aussi créer un problème d’aération ce qui peut être<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081252 CEDH, Mayzit c. Russie, préc., §§ 36-42 (violation). Entre 6 et 10 détenus partageaient une cellule danslaquelle chacun d’eux disposait entre 1.3 et 2.51 mètres ce qui en soi a atteint les standards acceptables. A cepropos, elle rappelle que le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitementsinhumains ou dégradants (CPT) a fixé à 7 m 2 par personne la surface minimum approximative souhaitable pourune cellule de détention, dès lors que le séjour dépasse quelques heures », CEDH, Mikadzé c. Russie, préc.,§ 116.1253 CEDH, Mayzit c. Russie, préc., §§ 36-4. Voir aussi les affaires Peers c. Gréce et Kalachnikovc. Russieprécitées.1254 Règles pénitentiaires européennes, 2006, (règles 17-19).1255 CEDH, Peers c. Grèce, préc.1256 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc.1257 CEDH, Khokhlich c. Ukraine, préc.1258 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, n° 24919/03, CEDH 2005-IX.


274nuisible surtout pour les personnes souffrant de problèmes réspiratoires 1259 . Enfin, l’éclairage de jouret de nuit doit être suffisant pour le bien-être général de la personne, au moins pour permettre lalecture sans fatiguer les yeux 1260 . En tout état de cause, la cellule doit toujours avoir accès à lalumière naturelle, et la lumière artificielle doit être éteinte la nuit pour assurer la perception de lavariation du jour et de la nuit. Sont nuisibles pour la santé, aussi bien la privation totale de lalumière, les cachots sont d’ailleurs prohibés, que la permanence de la lumière : celle-ci prive lapersonne d’un sommeil reposant 1261 et perturbe le biorythme, notamment lorsque l’éclairage estentièrement artificiel 1262 .Mobilier de la cellule. La cellule doit disposer du mobilier de base : matériel de couchage,table et chaise. La Cour a eu l’occasion de juger que le manque de matériel de couchage suffisant, etnotamment l’absence de lits en nombre équivalent au nombre d'occupants de la cellule, sont desconditions de détention inacceptables 1263 .Hygiène, sanitaires et salubrité en général de la cellule. Les personnes doivent être détenuesdans un lieu non vétuste, sain, propre, et doivent disposer des moyens pour assurer la propreté deslieux, des vêtements et la propreté corporelle 1264 . La salubrité de l’espace de la cellule. La Courreconnaît le droit à la détention dans un environnement sain 1265 . Celle-ci doit être propre etcertainement débarrassée des cafards et autres insectes 1266 , et elle doit être désinfectée pour éviter ledéveloppement et la propagation des maladies de peau et d’autres maladies contagieuses (syphilis,tuberculose) 1267 . Cependant l’insalubrité a toujours fait partie des effets cumulatifs des conditions dedétention combinées, en particulier, à la surpopulation. Mais l’affaire Nevmerzhitsky permet dedéduire que lorsque l’insalubrité a eu comme effets avérés la contraction de maladies, enl’occurrence de maladies de peau, elles peuvent suffire pour conclure aux conditions de détentioninhumaines ou dégradantes 1268 . La propreté individuelle. C’est le seul aspect concernant la propretéen prison, à propos duquel la Commission avait retenu la violation de l’article 3 de la Convention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1259 CEDH, Ostrovar c. Moldavie, préc., §§ 85-89 ; CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc. ; CEDH, Kadiis c.Lettonie (n°2), préc., § 53 ; Trepachkine c. Russie, préc., § 94.1260 « La Cour constate ensuite que la cellule en cause était dépourvue d’éclairage naturel, de sorte que lalumière du jour n’y pénétrait jamais », CEDH, Kadiis c. Lettonie (n°2), n o 62393/00, CEDH 2006-V, § 53.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1261 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc.1262 CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc. ; CEDH, Kuznetsov c. Ukraine, préc. ; CEDH, Ilacu et autres c.Moldavie et Russie [GC], préc. ; CEDH, Iorgov c. Bulgarie, n° 40653/98, CEDH 2004-VII ; CEDH, Khokhlichc. Ukraine, préc.1263 CEDH, Kadiis c. Lettonie (n°2), préc., § 54 ; CEDH, Kantyrev c. Russie, préc., § 52.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081264 Règles 19.4 et 19.6.1265 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc., § 97, §§ 101-103 ; CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc., § 87.1266 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc. ; CEDH, Mayzit c. Russie, préc.1267 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc. ; CEDH, Khokhlich c. Ukraine, préc. Notons que la Commissionn’avait pas, dans l’affaire FcFeely, retenu la violation de l’article 3 à propos des conditions de détention desdétenus qui, dans le cadre d’une protestation contre la saleté, dite « dirty protest », étaient arrivés à vivre dansleurs propres excréments. Alors qu’elle avait qualifié ces conditions d’inacceptables et reproché aux autoritésbritanniques leur intransigeance, cette instance les avait justifiées estimant que les détenus étaient responsablesde cette situation, D 8317/78 (McFeeley/RU), 1980, p.139. préc.1268 CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc., § 87.


275C’était dans l’affaire Hurtado 1269 . Le requérant, détenu en Suisse, avait été obligé de porter durantquatre jours des vêtements souillés, consécutivement aux conditions de son arrestation. De surcroît,c'est grâce à des vêtements prêtés par un codétenu qu'il a pu se changer 1270 . Outre qu’ils doiventpouvoir porter des vêtements propres et disposer des facilités adéquates pour les nettoyer, il va de soique les détenus puissent disposer du papier hygiénique, et les femmes des articles d’hygiène adaptés,des produits de toilette et accéder aux douches 1271 . A propos des douches, alors que la norme fixéepar les Règles pénitentiaire est l’accès quotidien aux douches, et au minimum deux fois parsemaine 1272 , la Cour a connu des cas d’accès aux douches limités à une fois par semaine 1273 , etparfois plus rarement 1274 , voire pendant toute la durée de la détention 1275 .Les sanitaires propres et intimes. C’est le problème le plus fréquemment soulevé par lesplaignants et celui qui occupe une place des plus déterminantes dans l’appréciation des conditionsmatérielles de détention, en particulier, lorsque les toilettes sont dans les cellules. Outre les questionsd’hygiène, la présence des toilettes dans la cellule pose un problème d’intimité et de dignité. Cela estincontestablement le cas lorsqu’elles ne sont pas cloisonnées, alors que la cellule ou le dortoir sontoccupés par plus d’un détenu. En effet, alors que la Commission n'avait pas considéré que desdortoirs qui ne disposaient que de pots de chambre et de toilettes non cloisonnées, constituent desconditions indignes au regard de l'article 3 de la Convention 1276 , la Cour y accorde une grandeimportance depuis 2001. Le fait d’être obligé d’utiliser des toilettes non cloisonnées situées dans lacellule, peut suffire, a-t-elle déclaré, « pour créer un sentiment de détresse et de souffrance d’uneintensité excédant le niveau inévitable inhérent à la détention et de créer chez le requérant dessentiments de crainte, d’angoisse et d’infériorité capables de l’humilier et le rabaisser 1277 ». Cettesituation ne peut qu’être aggravée par l’absence de papier hygiénique et de moyens de nettoyage,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1269 CEDH, Hurtado c. Suisse, 28 janv.1994, Série A n° 280-7.1270 La Commission a estimé, par quinze voix contre une, que la conduite des autorités à savoir, leur négligencede prendre les mesures d'hygiène les plus élémentaires, qui consisteraient à mettre à la disposition du requérantdes vêtements propres pour remplacer les vêtements souillés suite à leur action, revêt un caractère humiliant etavilissant pour l'intéressé et donc dégradant au sens de l'article 3 de la Convention, CEDH, Hurtado c. Suisse.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Cette affaire a été réglée à l’amiable.1271 CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc.1272 Les Règles pénitentiaires européennes prévoient la possibilité de prendre une douche quotidiennement, aumoins deux fois par semaine et les autorités pénitentiaires doivent leur fournir des articles de toilettenécessaires et pour les femmes des articles d’hygiène adaptés (règles 19.4 et 19.6).1273 CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc., § 40; CEDH, Popov c. Russie, préc.1274 Les requérants ont dû rester plusieurs mois sans se laver, CEDH, Ilacu et autres c. Moldavie et RussieUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008[GC], préc.1275 La détention avait duré six mois, CEDH, Kantyrev c. Russie, préc. Le CPT s’est contenté, dans un de sesrapports de visite, de recommander une douche minimum par semaine, CPT/Inf (2008) 3, Rapport de visite,Grèce, préc., § 56.1276 R 6870/75, (Y/RU), 14.5.1977, DR 10, p. 37, § 178 et § 181.1277 CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc. Voir CEDH, Peers c. Grèce, préc., § 73 et § 75 ; CEDH,Kalachnikovc. Russie, préc. ; CEDH, Kehayov c. Bulgarie, n o 41035/98, CEDH 2005-I, § 71 ; CEDH,Georgiev c. Bulgarie, n° 47823/99, CEDH 2005-XII, § 62 ; CEDH, Ostrovar c. Moldavie, préc., §§ 85-89.


276ainsi que par la proximité des toilettes avec les lits et les tables à manger 1278 . Signalons à propos destoilettes non fermées dans les cellules, que la position du CPT est encore plus tranchante :« …Toutefois, quand bien même les détenus disposent d’une cellule individuelle équipée d’unannexe sanitaire non cloisonnée ou partiellement cloisonnée, l’on peut dire de ceux-ci qu’ils vivent -et mangent - dans des toilettes 1279 ». La limitation d’accès aux toilettes, lorsque celles-ci sont àl’extérieur, est également inacceptable, surtout lorsque l’accès est réduit à trois fois par jour ; le restede la journée, les détenus devant s’en sortir par les bouteilles en plastique et autres moyens de bord,de surcroît, dans une cellules surpeuplée 1280 .Si ces éléments sont importants en eux-mêmes, c’est le plus souvent en liaison avec lenombre des occupants d’une cellule ou dortoir, que la Cour a retenu la violation de l’article 3. Lenombre des occupants aggrave forcément les effets de tous ces problèmes, voire, il en est souvent lasource.B. Espace et nombre : la surpopulation carcéraleLa règle en matière de logement est que « chaque détenu puisse être logé pendant la nuitdans une cellule individuelle » (Règle 18.5) et disposer d’un lit individuel (Règle 21). Toutefois dansla réalité cela est loin d’être la règle. C’est la surpopulation qui sévit. Ce « fléau », comme l’appellele CPT, « ronge les systèmes pénitentiaires » de toute l'Europe 1281 de manière persistante depuis ledébut des années 1990 1282 . Ce problème est en effet considéré de la part de l'ensemble des organes duConseil de l'Europe comme un facteur qui, non seulement « mine gravement les tentatives faites pouraméliorer les conditions de détention », mais génère également des conditions de détentiondégradantes, voire inhumaines. Pour l’Assemblée parlementaire, « le surpeuplement des prisons estl'une des causes principales de la dégradation actuelle des conditions de détention » 1283 . Pour leComité des Ministres, le surpeuplement constitue un défi majeur pour le respect de l'ensemble desdroits de l'homme 1284 . Aussi, a-t-il jugé important d’adopter le 30 septembre 1999, une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1278 Elle se situait à 1,5 mètres du lit, a relevé la Cour dans l’affaire Ostrovar, CEDH, Ostrovar c. Moldavie,préc., §§ 85-89.1279 CPT/Inf (2001)10, Rapport de visite, France, du 14 au 26 mai 2000, § 85.1280 CEDH, Kadiis c. Lettonie (n°2), préc.1281 CPT/Inf (97) 10, 7e rapport général d’acrtivités, préc., § 12.1282 En effet, le CPT n’a de cesse de le rappeler depuis 1992 : « Le phénomène du surpeuplement carcéralcontinue de ronger les systèmes pénitentiaires à travers l’Europe et mine gravement les tentatives faites pouraméliorer les conditions de détention », CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc., § 46.Dans le 11e rapport général d'activités, précité, § 28, il rappelait : « Les effets négatifs du surpeuplement carcéralont déjà été mis en exergue dans des rapports généraux d’activités précédents ». Ce constat est confirmé par lesstatistiques du Conseil de l’Europe, SPACE I (Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe, Conseil del’Europe, 2005.1283 Recommandation n°1257(1995) relative aux conditions de détention dans les Etats membres du Conseil del'Europe, point 4.1284 R(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, Comité des ministres, 30septembre 1999.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


277Recommandation spécialement consacrée à ce problème, la Recommandation R(99)22 concernant lesurpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, appelant les gouvernements européens à prendretoutes les mesures nécessaires afin de diminuer le nombre de la population carcérale 1285 . Quant auCPT, il a clairement affirmé dans ses rapports d’activités que « le degré de surpeuplement d'uneprison ou dans une partie de celle-ci, peut être tel qu'il constitue, à lui seul, un traitement inhumainou dégradant » et que, « à plus d'une reprise, le CPT a été amené à conclure que les effets néfastes dusurpeuplement avaient abouti à des conditions de détention inhumaines et dégradantes » 1286 .Quant à la jurisprudence européenne, la Commission, tout en ayant reconnu que lesurpeuplement prive les détenus de toute vie privée, détériore les conditions d’hygiène et génère unecrainte constante de violence de la part des codétenus 1287 , n’avait jamais retenu la violation de laConvention que ce soit au titre de l’article 8 ou 3 de la Convention 1288 . Quant à la Cour, si c’estdepuis l’arrêt Dougoz (2001) qu’elle a attiré l’attention sur l’importance de ce problème dans ladétermination des conditions de vie en détention 1289 , c’est dans l’arrêt Kalashnikov (2002), qu’elle areconnu que « la surpopulation en soi peut soulever des questions au regard de l’article 3 1290 ». Pourl’appréciation de la surpopulation, elle se réfère à la norme appliquée par le CPT : 7 m par personne.Aussi, a-t-elle souligné, peu importe de savoir le nombre exact des occupants d’une cellule à unmoment précis, lorsqu’elle connaît la moyenne habituelle des occupants d’une cellule. Lorsque parexemple celle-ci ne laisse guère plus de 2 m par personne, il s’agit d’un taux de surpopulationsuffisant pour dépasser le seuil de souffrance et d’humiliation habituelle d’une détention, et parconséquent, constituer un traitement inhumain ou dégradant 1291 .En effet, outre la privation évidente d’intimité et d’espace vital minimum pour circuler etrespirer, la surpopulation génère un environnement insalubre créant, des problèmes de propreté,1285 Parmi les points à revoir afin de maîtriser la population carcérale et la diminuer : l’éventail des peinesprévues par les textes législatifs, la sévérité des peines prononcées, la fréquence du recours aux sanctions etmesures appliquées dans la communauté, l’usage de la détention provisoire, l’efficience et l’efficacité desorganes de la justice pénale et, en particulier, l’attitude du public vis-à-vis de la criminalité et de sa répression ;<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...une politique pénale cohérente et rationnelle axée sur la prévention du crime et des comportements criminels,l’individualisation des sanctions et des mesures et la réintégration sociale des délinquants.1286 CPT/Inf (92), 2e rapport général d'activités du CPT, préc., § 46 ; CPT/Inf (97) 10, 7e rapport générald'activités du CPT, du 1 er janvier au 31 décembre 1996.1287 R 6870/75, (Y/RU), préc., § 177.1288 G. <strong>BECHLIVANOU</strong>, « La surpopulation carcérale au regard de la Convention européenne des droits del'homme », in La surpopulation carcérale en Europe, (dir., Ph. MARY et Th. PAPATHEODOROU),Bruxelles, éd. Bruyland, 1999.1289 « Les conditions de détention du requérant… notamment la surpopulation importante et l'absence dematériel de couchage, combinées à la durée excessive de sa détention en de pareilles conditions, s'analysent enun traitement dégradant contraire à l'article 3 », CEDH, Dougoz c. Grèce, § 48.1290 « L’espace par détenu dans la cellule du requérant était de 0.9-1,9 m . Dès lors, de l'avis de la Cour, lacellule a été continuellement, sévèrement surchargée. Cette situation soulève en soi une question sous l'Article3 de la Convention », CEDH, Kalachnikovc. Russie, § 97. Voir CEDH, Mayzit c. Russie, préc., § 23 ; CEDH,Ostrovar c.Moldavie, préc., § 84 ; CEDH, Popov c. Russie, préc., § 216.1291 CEDH, Mayzit c. Russie, préc., §§ 36-42 violation). Voir aussi, CEDH, Ostrovar c. Moldavie, préc., § 84 ;CEDH, Popov c. Russie, préc., § 216 ; CEDH Peers c. Grèce, préc. ; CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc. ;CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc. ; CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


278d’aération (surtout en présence des fumeurs 1292 , de développement et de transmission des maladiescontagieuses (comme celles rapportées à la Cour, à savoir la syphilis et la tuberculose 1293 ), de reposet de sommeil réparateur à cause du bruit et de la présence de lumière quasiment constants 1294 , etmême des problèmes de couchage obligeant les détenus à dormir à tour de rôle 1295 . Enfin, l’existencedes toilettes non cloisonnées dans une cellule surpeuplée constitue une atteinte à la dignité 1296 qui nepeut qu’être aggravée par l’absence de papier de toilettes et/ou des produits de nettoyage 1297 .Aussi certains facteurs, dont la durée passée dans des conditions dénoncées par les détenus,peuvent être déterminants de la gravité de ces conditions.C. Critères modulant la gravité des conditions matérielles et de la surpopulationLa durée de détention dans les conditions dénoncées par les détenus, mais aussi le tempspassé hors la cellule, l’état de la santé, l’état physique, ou l’âge, font partie des critères susceptiblesde réduire leur gravité, ou au contraire de l’aggraver.Critères liés à la condition physique de la personne : âge, santé et intégrité physique. Lejeune âge peut limiter les effets de mauvaises conditions matérielles 1298 . Alors que le mauvais état desanté les aggrave. Ainsi, le fait de souffrir d’asthme constitue un facteur aggravant les effets d’unemauvaise aération et surtout de la présence de fumeurs dans une cellule commune 1299 . Le fait desouffrir de problème de dos rendant les déplacements pénibles, rend inacceptable la détention de lapersonne concernée à l’étage d’une prison dépourvue d’ascenseur alors que la cour de promenade sesitue au rez-de-chaussée 1300 . De manière générale, les problèmes d’intégrité physique demandent demettre à la charge des Etats les obligations positives à savoir la mise en place des moyens nécessairespour permettre aux personnes de suivre une « vie normale en détention », à savoir de pouvoir serendre en promenade, aux activités, aux parloirs, à l’infirmerie, aux sanitaires, etc 1301 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1292 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc.1293 Ibid. Voir aussi CEDH Khokhlich c. Ukraine, préc.1294 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc., § 97.1295 CEDH, Mayzit c. Russie, préc., §§ 36-42.1296 CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc. Voir CEDH Peers c. Grèce, préc., § 73 et § 75 ; CEDH,Kalachnikovc. Russie, préc. ; CEDH, Kehayov c. Bulgarie, préc., § 71 ; CEDH Georgiev c. Bulgarie, préc.,§ 62; CEDH, Ostrovar c. Moldavie, préc., §§ 85-89 ; CEDH Trepachkine c. Russie, préc.1297 CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc.1298 Tout en estimant que la détention dans des conditions semblables à celles de la présente espèce pourrait,pour une période plus longue, aboutir à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, la Cour aconsidéré que le traitement litigieux réservé à un jeune d’environ dix-sept ans et demi, n’a pas atteint leminimum de gravité requis pour tomber sous le coup de cette disposition en raison notamment de sa duréerelativement brève et de l’état de santé du requérant, CEDH, Georgiev c. Bulgarie, préc., §§ 61-67. VoirCEDH, Saday c. Turquie (déc.), n o 32458/96, CEDH 2003-IV ; CEDH, Valainas c. Bulgarie, préc., § 12.1299 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc.; CEDH, Ostrovar c. Moldavie, préc., §§ 85-89.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081300 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 217.1301 Cette question est traitée plus en détail dans la section plus loin relative à la capacité de certains détenus àsubir une détention.


279Critères d’organisation de la journée : promenade et activités. L’absence de possibilitéd’activité physique est un des facteurs à prendre en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier lasévérité du traitement allégué, affirme la Cour 1302 . Lorsqu’elles sont mauvaises, le temps passé horsla cellule en promenade et en activités peuvent contrebalancer les effets de la cellule. Ainsi, dansl’arrêt Valasinas, la Cour a jugé que la possibilité de se promener dans le quartier de sa détentiontoute la journée a diminué les effets néfastes des conditions de vie en cellule, en particulier lasurpopulation 1303 . En revanche, dans d’autres affaires, la sortie en promenade, une à deux heures parjour 1304 , mais aussi fait que la porte de la cellule soit restée ouverte pratiquement toute la journée 1305 ,n’ont suffi à contrebalancer la gravité des conditions de vie en cellule.Enfin, la durée totale de la détention dans les conditions dénoncées peut être déterminante.Une courte durée peut diminuer les effets (Georgiev 1306 , Valasinas 1307 ), mais pas toujours. Certainesconditions sont, eu égard aux effets cumulatifs, d’une telle gravité que, malgré une durée courte,elles sont constitutives de mauvais traitements. Tel a jugé la Cour, être le cas de la détentionpréventive pendant neuf mois, dans des conditions de surpopulation importante 1308 , de sept mois dansune cellule sans toiture au dernier étage, d’un détenu souffrant de problèmes aigus de dos 1309 , maisaussi d’une détention de trois mois 1310 , de quinze jours 1311 , de dix jours 1312 et même d’une détentionde trente deux heures en garde à vue 1313 .En définitive, dans quasiment tous les cas, c’est la combinaison de plusieurs effets cumulatifsqui ont donné lieu au constat de violation de l’article 3 de la part de la Cour. La Cour a jugé que telétait le cas, lorsque la surpopulation était accompagnée de : manque de matériel de couchagesuffisant 1314 , parfois au point que les détenus étaient obligés de dormir à tour de rôle, de surcroît,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1302 CEDH, Kehayov c. Bulgarie, préc., § 69 ; CEDH, Georgiev c. Bulgarie, préc., § 62 ; CEDH, Kadiis c.Lettonie (n°2), préc. ; CEDH, Trepachkine c. Russie, préc.1303 CEDH, Valasinas c. Lithuanie, préc., § 102.1304 CEDH, Trepachkine c. Russie, préc.1305 CEDH, Peers c. Grèce, préc.1306 Un mois et demi dans les locaux du service de l’instruction, alors « qu’il ne bénéficiait pas de possibilité depromenade ou d’autre activité hors cellule, qu’il n’avait pas accès à la lumière naturelle et que son accès auxsanitaires était restreint », CEDH, Georgiev c. Bulgarie, préc.1307 Un an, combiné avec la faculté de circuler hors de la cellule.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081308 CEDH, Mayzit c. Russie, préc.1309 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 217.1310 Deux détenus partageaient une petite cellule mal aérée, pendant l’été dans un pays chaud, et avec destoilettes partagées et non cloisonnées, CEDH, Peers c. Grèce, préc.1311 Dans une cellule de 6m2, où logeaient entre 4 et 6 personnes, sans sortie en promenade, sans lits, sans airfrais ni lumière naturelle et mal nourris, CEDH, Kadiis c. Lettonie (n° 2), préc.1312 CEDH, Trepachkine c. Russie, préc.1313 CEDH, CEDH, Fedotov c. Russie, préc.1314 « Les conditions de détention du requérant… notamment la surpopulation importante et l'absence dematériel de couchage, combinées à la durée excessive de sa détention en de pareilles conditions, s'analysent enun traitement dégradant contraire à l'article 3 », CEDH, Dougoz c. Grèce, préc., § 48 ; CEDH, Kadiis c.Lettonie (n°2), préc. ; Trepachkine c. Russie, préc.


280dans le bruit et la lumière permanents 1315 ; des conditions sanitaires défectueuses (toilettes noncloisonnées combinées ou pas au nombre de douches insuffisant 1316 et au matériel de propretéinsuffisant) 1317 ; de la présence de personnes souffrant des maladies infectieuses (syphilis,tuberculose 1318 ), ou de fumeurs (lorsque la cellule comprenait des personnes souffrant d’asthme 1319 ).Le plus souvent c’est la combinaison de l’insalubrité de la cellule, du nombre de détenus présents,des toilettes non cloisonnées et de la durée, qui a donné lieu à la qualification des conditions dedétention inhumaines et dégradantes 1320 . L’affaire Ilacu et autres 1321 est, du point de vue, desconditions de détention, la pire que la Cour ait, jusqu’à présent, connue pour les avoir qualifiées,pour la première fois, de torture. Mais du fait qu’elle concerne des conditions de détention liées à unrégime d’isolement, nous la présenterons lors de l’examen de la compatibilité de ce régime avecl’article 3 de la Convention.A la lumière de ces exigences européennes, nous allons voir l’état des conditions dedétention matérielles en Grèce et en France.§ 2. Les garanties au sein des droits nationauxAussi bien le droit grec que le droit français consacrent, expressément ou implicitement, ledroit à des conditions de détention dignes (B). Mais la réalité est loin d’y être conforme (A). Tant laFrance que la Grèce font partie des Etats qui sont mis à l’index pour les conditions matérielles deleurs prisons de la part du Conseil de l’Europe.A. La réglementationLe droit français prévoit que « l'incarcération doit être subie dans des conditionssatisfaisantes d'hygiène et de salubrité » (art. D349 CPP) 1322 . Les cellules en particulier doiventrépondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1315 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc., §§ 36-42 ; CEDH, Mayzit c. Russie, préc.1316 Une fois par semaine, CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc., § 40 ; CEDH, Popov c. Russie, préc. ;CEDH, Kantyrev c. Russie, préc.1317 CEDH, Karaleviius c. Lithuanie, préc.1318 CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc. ; CEDH, Khokhlich c. Ukraine, préc.1319 CEDH, Ostrovar c. Moldavie, préc., §§ 85-89 ; CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc.1320 Des conditions de détention qui peuvent être acceptables pour la durée de la garde à vue, deviennenttraitement dégradant, lorsqu’elles se prolongent jusqu’à 17 mois (en l’occurrence dans le cadre d’une personneen attente d’expulsion), CEDH, Dougoz c. Grèce, préc., § 48. Voir aussi CEDH, Kalachnikovc. Russie, préc.,§ 97, §§ 101-103 ; CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc., § 86 ; CEDH, Ostrovar c. Moldavie, préc., § 89 ;CEDH, Karaleviius c Lithuanie, préc.; Popov c. Russie, préc. ; CEDH, Lind c. Russie, n° 25664/05, CEDH2007XII.1321 CEDH, Ilacu et autres c. Moldavie et Russie [GC], préc.1322 « L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce quiconcerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques etl'organ77isation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercicesphysiques », (art. D 349 CPP).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération (art. D350 CPP). Les fenêtres doivent êtresuffisamment grandes pour permettre l'entrée d'air frais et de la lumière naturelle. Celle-ci, comme lalumière artificielle, doivent être suffisantes pour permettre aux détenus de lire et de travailler sansaltérer leur vue. Des produits doivent être fournis aux détenus pour l’entretien de la propreté descellules (art. D352 CPP). Pour ce qui est des sanitaires, il est seulement prévu qu’ils doivent être« propres et décents » et être répartis en nombre proportionné à l’effectif des détenus (art. D351CPP). Quant à la propreté et l’hygiène personnelle, les détenus doivent pouvoir prendre au moinstrois douches par semaine et plus souvent s’il le faut (art. D 358 CPP). Une trousse de toilette estremise à chaque détenu au moment de son arrivée dont le renouvellement est, par la suite, assuré auxindigents (art. D357 CPP). En revanche, les détenus n’ont pas la possibilité de laver leur linge horsde leur cellule 1323 . Enfin, ils doivent pouvoir faire des exercices physiques, du moins effectuer unepromenade d’une heure par jour en plein air (art. D359 CPP).Le droit grec prévoit également un nombre de garanties corrélatives (art. 21 et 25 C. pénit.).Les cellules doivent être de 35 m et disposer d’un lit, d’une chaise, d’une table et d’une armoire (art.21 C. pénit.) ainsi que du chauffage (art. 25 C. pénit.). Les mères accompagnées de leurs enfantsdoivent pouvoir vivre dans des cellules individuelles de 40 m, aménagées spécialement pour leursbesoins. Les dortoirs conçus pour six personnes maximum, doivent assurer à chaque personne 6 mminimum. Ils doivent être équipés d’un nombre de lits, de chaises et d’armoires équivalents aunombre des personnes présentes ainsi que des tables suffisamment larges (art. 21 C. pénit.). Pour cequi est des sanitaires, comme en droit français, il est seulement prévu que les cellules et les dortoirsdisposent de sanitaires (un pour trois personnes), sans exiger qu’ils soient cloisonnés et qu’ilsdisposent d’un système d’aération (art. 21 C. pénit.). Concernant, plus généralement, l’hygiène et lapropreté, il est prévu que : celles des locaux sont assurées par la direction ; les cellules et les dortoirsdisposent d’un robinet ; la literie est assurée par les établissements et qu’une inspection sanitaire doitavoir lieu tous les trois mois et plus si nécessaire (art. 25 §2 C. pénit.). Quant à la propretépersonnelle : les détenus ont accès aux douches quotidiennement (art. 21 C. pénit.) ; une trousse detoilette est fournie à tous les nouveaux arrivants comprenant du papier hygiénique, du savon, ducoton, de la mousse de rasage, des rasoirs plastiques, de la pâte dentifrice, la brosse à dents, dushampoing (art. 15 §1, Règlement intérieur). Par la suite, l’ensemble de ces produits est fourni<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008seulement aux indigents. Aux autres détenus, il n’est fourni que du savon et du papier hygiénique. Ence qui concerne, le linge, les détenus peuvent normalement le laver dans les buanderies. Il est prévuque les détenus ont quotidiennement accès à l’eau chaude dans les douches et les buanderies (art.15 §7, Règlement intérieur). Enfin quant aux activités, il est prévu, comme en droit français, que lesdétenus doivent bénéficier au moins d’une promenade d’une heure par jour (art. 36 C. pénit.).2811323 Ce qui, comme l’a relevé le Commissaire européen aux droits de l’homme pousse les détenus de s’en sortiravec les moyens du bord. Ainsi le linge accroché aux fenêtres des cellules, donne un spectacle « pittoresque »,CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc.


282En ce qui concerne l’affectation des détenus dans les cellules, tant le droit français que ledroit grec prévoient la séparation entre prévenus et condamnés (art. D59 CPP), mineurs et adultes(art. D516 CPP, art. 12 C. pénit.), femmes et hommes (art. D248 CPP français, art. 13 et 14 C. pénit.grec), ainsi que le logement en cellule individuelle 1324 . Le droit grec le consacre même comme undroit des détenus 1325 . Toutefois, ces droits nationaux assortissent immédiatement ce principe de lapossibilité de déroger pour des raisons d’encombrement mais à titre temporaire 1326 .Or, concernant l’application pratique de ces règles, s’il est facile de connaître le respect decette dernière condition puisqu’il suffit de connaître la capacité des prisons d’un pays et le nombrede personnes détenues à un moment donné, il n’en est pas de même des autres conditions dedétention. Elles ne sont connues que partiellement à travers les rapports du CPT, les Rapports ducommissaire européen aux droits de l’homme, les arrêts de la Cour ainsi que par les publications desorganisations non gouvernementales.B. La réalitéSoulignons d’emblée que ces deux pays ont eu droit, en 2006, à des qualificatifs peuhonorables, voire honteux, pour des pays démocratiques et prospères : « Surpopulation carcérale etconditions de détention affligeantes » pour la Grèce 1327 , et situation des prisons « indignes » pour laFrance 1328 .Concernant la surpopulation, alors que le droit français prévoit le principe d’encellulementindividuel et le droit grec le reconnaît même comme un droit, ces deux pays font partie des plussurpeuplés en Europe. Les prisons en Grèce demeurent les plus surpeuplées ces dernières années 1329 ,après celles de Chypre. Selon les statistiques comparées du Conseil de l’Europe de 2004, alors que la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1324 Le droit français prévoit pour les maisons d’arrêt l’encellulement individuel jour et nuit « dans toute lamesure où la distribution des lieux le permet et sauf contre-indication médicale », (art. D 83 CPP) et pour lesétablissements pour peines (maisons centrales et centres de détention), et l’isolement de nuit. Il n'e peut êtredérogé à cette dernière règle que « sur indication médicale ou, à titre exceptionnel et provisoire, en raison de ladistribution des locaux », (art. D 95 CPP).1325 « L’encellulement individuel est un droit », (art. 21, C. pénit.).1326 Article D58 et D84 Code de procédure pénale français. Le Code pénitentiaire grec prévoit que« l’encellulement individuel est un droit qui est satisfait si les besoins de l’intéressé le justifient et si la capacitéd’accueil le permettent », « le placement d’un deuxième détenu est autorisé exceptionnellement et pour unepériode limitée ou en permanence à condition que la taille de la cellule soit 40 m », (art. 21, C. pénit.). Il y estégalement précisé que les dortoirs peuvent accueillir jusqu’à six personnes maximum et chaque personne doitdisposer de 6 m minimum.1327 Rapport de suivi sur la République hellénique (2002-2005), CommDH(2006)13).1328 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc.1329 Le nombre de détenus a doublé entre 1983 et 1992, et la durée moyenne de détention était, en 1989, de 9,6mois. Avec cette moyenne, la Grèce occupait, en 1992, le deuxième rang, parmi ceux du Conseil de l'Europe,après le Portugal, où, la même période, la moyenne de détention était de 10,1 mois. K. SPINELLI, « Leproblème du surpeuplement et de dépeuplement des prisons grecques », in Détenus et droits de l'homme,Athènes, Fondation Marangopoulos, 1996, pp. 65-78.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


Grèce a un faible taux d’incarcération (82 pour 100 000 habitants pour une moyenne de 101,3 1330 ), ladensité carcérale s’élevait à 144 pour 100 places. En 2007, elle s’élèverait à 168%, selon un rapportde la Commission nationale consultative des droits de l’homme du 21 avril 2008 1331 . Concrètement,les prisons d’une capacité de 5 584 places, doivent loger 7 091 détenus 1332 . Celle de Korydallos, lamaison d’arrêt la plus grande et la plus proche d’Athènes, d’une capacité de 640 places, accueilledepuis 2001, plus de 2 000 personnes 1333 . Au point que le Commissaire aux droits de l’homme duConseil de l’Europe a, lors de sa visite en 2002, fermement invité le gouvernement grec à résoudrerapidement ce problème 1334 . La Grèce avait alors promis l’extension du parc pénitentiaire par laconstruction de dix-sept nouvelles prisons 1335 . Toutefois, la population carcérale n’a cesséd’augmenter, ayant atteint en 2005 des pics de 10 000 détenus. Les autorités grecques ont, parailleurs, fait un effort législatif pour désengorger les prisons. Elles ont, en 2005, décriminalisécertaines infractions et ont incité les tribunaux à prononcer des peines alternatives à la prison 1336 .Elles ont également proposé aux autorités albanaises, toutefois sans succès, d’accepter le transfertdans leurs prisons, si besoin en finançant la construction d’une nouvelle structure, d’un certainnombre de détenus d’origine albanaise. Ces derniers représentent la moitié des détenus étrangers, surun total de 40 % de détenus étrangers en Grèce 1337 .La France, connaît également un problème de surpopulation persistant depuis les années2002. Une baisse significative entre 1999 et 2001 (avec un taux de densité de 77,1 pour 100, en2001), a été suivie à partir de 2002 d'une nouvelle hausse, passant de 87,6 en 2002, à 118 en2005 1338 . Un premier pic, en 2003, avec 60.963 détenus pour 48.603 places opérationnelles (soit unesurpopulation de plus de 25 %) ainsi que l’augmentation du nombre de suicides en milieu carcéral,avait amené le CPT à effectuer une visite « ad hoc » en France. Le nombre de détenus s’est depuis<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1330 Avec des écarts considérables qui vont de 39 pour 100 000 en Islande, à 548 pour 1 000 000 en Russie,source Space I, 2005, préc.1331 http://www.nchr.gr/category.php?category_id=2.1332 Space I, Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe, 2005, préc.1333 2 170 en 2001, et 2 234 en 2002, Tableau des statistiques des mouvements des détenus, Ministère de laJustice (grec). Ils étaient 2 034 lors de la dernière visite du CPT en Grèce, en février 2007, CPT/Inf (2008) 3,Rapport de visite, Grèce, du 20 au 27 février 2007.1334 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc.1335 CommDH(2006)13, Rapport de suivi sur la République Hellénique, (2002-2005), Strasbourg, 29 mars2006.1336 Loi, n° 3346/2005, 16.06.2005.1337 CommDH(2006)13, Rapport de suivi sur la République Hellénique, préc. Parmi d’autres élémentsstatistiques intéressants, il convient de noter que la moitié de la population carcérale est constituée d’étrangers(5 902), dont la majorité écrasante est condamnée pour des infractions relatives aux stupéfiants (4 439). Parmila population globale, on compte : 371 mineurs, 579 femmes, 1 005 condamnés des peines supérieures à 20ans, et 703 condamnés à la perpétuité à vie. La majorité des condamnés (2 163) exécutent des peines de 5 à 10ans, Rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, du 21 avril 2008, préc.1338 Selon les statistiques de Pierre TOURNIER, démographe, spécialiste des questions pénales. Elles sontrégulièrement publiées dans la revue électronique ACP - ARPENTER <strong>LE</strong> CHAMP PENAL, Lettred’information sur les questions pénales et criminologiques, http://www.eleves.ens.fr.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008283


284stabilisé autour de 58 500 détenus 1339 . Cette situation a valu le commentaire du Commissaire Gil-Roblès que les prisons sont de simples lieux de « dépôt », faute de pouvoir réellement appliquer unepolitique de réinsertion 1340 . Ce pays compte essentiellement sur l’extension du parc pénitentiaire pourrésoudre ce problème. Un programme de construction de nouvelles prisons est en cours.Quant aux conditions matérielles, concernant la Grèce, le CPT, lors de sa première visite 1341 ,avait trouvé les conditions de détention à la prison de Korydallos de loin insatisfaisantes. Lesgouvernements grecs ont depuis fait des efforts. Lors de sa dernière visite, en 2001, le CPT avaitapprécié positivement les conditions matérielles de détention dans l’ensemble des prisons visitées, ycompris celles de la prison de Korydalos 1342 . En revanche, concernant certains aspects, notammentles soins médicaux et les modalités d’exécution de la sanction de « mitard », cet organe a sévèrementépinglé cette dernière prison lors de son rapport de 2008 1343 . En revanche, il avait trouvé, lors de saprécédente visite, la nouvelle prison (Malandrino) de « haut standing » 1344 . Ce qui contraste, enparticulier, avec les conditions dans les locaux de police 1345 . Depuis 2005, le gouvernement appuieune campagne de sensibilisation de l’opinion publique aux conditions de détention, par le biais desdébats et des manifestations culturelles dans les prisons, avec le slogan « la vie est partout »,s'appuyant sur un objectif : donner « une seconde chance » aux personnes détenues de se réintégrer.A ce propos, le ministre de la Justice a souligné que les efforts ne doivent pas être limités aufinancement des murs, mais aussi et surtout, au financement des soins et des moyens de réinsertion(éducation, formation, travail et accompagnement à la sortie) afin de garantir le « droit à l'avenir » deces personnes ainsi que la sécurité durable de toute la société 1346 .1339 Selon le CPT, au 1 er janvier 2007, ils étaient 58.402 détenus pour une capacité carcérale opérationnelletotale de 50.588 places, CPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, préc., § 146.1340 « La surpopulation empêche donc de mettre en pratique une véritable politique pénitentiaire, de séparer lesprévenus des condamnés, les mineurs des adultes. Elle ne permet pas la mise en œuvre d’un traitement social,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...psychologique..., ni d’une action spécifique à la situation de chaque détenu. Cela a un effet totalement négatifsur le principe de réinsertion. Si on ne peut pas faire un travail dans ce sens, on touche à la sécurité future, carla prison devient un dépôt et non un lieu où se prépare la réinsertion », CommDH(2006)2, Le respect effectifdes droits de l’homme en France, préc., § 81.1341 CPT/Inf (94) 20, Rapport de visite, Grèce, du 14 au 26 Mars 1993.1342 CPT/Inf (2002) 31, Rapport de visite, Grèce, du 23 septembre au 5 octobre 2001.1343 Si la durée de cette sanction en droit grec, 10 jours maximum, est courte par rapport au droit français (45jours maximum), son régime d’exécution est contraire à toutes les normes européennes établies en cettematière : elle peut comporter privation de matériel d’écriture, privation de promenade et même de douchependant toute la durée de son exécution, CPT/Inf (2008) 3, Rapport de visite, Grèce, préc., § 56. Nousreviendrons sur la question des soins dans le Chapitre suivant, infra.1344 CPT/Inf (2002) 31, Rapport de visite, Grèce, préc.1345 CPT/Inf (94) 20, Rapport de visite, Grèce, préc. ; CPT/Inf (2001) 17, Rapport de visite, Grèce, du 4novembre 1996 au 6 juin 1996 ; CPT/Inf (2001) 18, Rapport de visite, Grèce, 26 octobre au 2 novembre 1999 ;CPT/Inf (2002) 31, Rapport de visite, Grèce, préc. ; CPT/Inf (2006) 41, Rapport de visite, Grèce, du 27 août au9 septembre 2005 ; CPT/Inf (2008) 3, Rapport de visite, Grèce, du 20 au 27 février 2007.1346 Discours du Ministre de la justice, 8 juin 2006 à l’occasion du 3 e cycle des manifestations culturelles « lavie est partout ».Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


Pour ce qui est des conditions de détention en France, dans les rapports rendus depuis sapremière visite 1347 , le CPT a constamment mis en cause les conditions de vie dans la plupart de lieuxvisités. Par exemple, il a qualifié les conditions de détention à la prison Paris-La Santé, en 1996, de« misérables et comportant des risques pour la santé des détenus 1348 » et qui dans certaines divisions,« pourraient être qualifiées d'inhumaines et de dégradantes 1349 » . Suite à ces rapports, le Sénat et leParlement français avaient entrepris une enquête sur les conditions de détention en exerçant leurdroit de visite. Ces deux enquêtes ont abouti, en 2000, à un constat alarmant reflété dans le titremême du rapport du Sénat intitulé « Prisons : une humiliation pour la République » 1350 . Aussi bien leSénat que le Parlement 1351 avaient formulé un nombre de propositions pour y remédier, allant demesures contre la surpopulation (en invitant à revoir la législation concernant la détention desétrangers, des toxicomanes, des personnes âgées, des mineurs), aux mesures pour améliorer lesconditions matérielles, les soins, la discipline, le régime d’isolement, et à des mesures de lutte contrele suicide et l’indigence (en préconisant la création d’un revenu minimum carcéral) ou encore à laproposition d’un contrôle extérieur du fonctionnement des prisons. Toutefois, malgré cesrecommandations, le CPT, lors de sa visite en 2004, et celle du Commissaire, en 2005, n’ont constatéaucune amélioration notable. Le CPT est même allé jusqu’à parler, concernant les conditions danscertaines prisons visitées, qu’elles peuvent « légitimement être décrites comme s'apparentant à untraitement inhumain et dégradant 1352 ». Le Commissaire, dans son rapport rendu en 2006, écrit àpropos des conditions de vie à la Santé et aux Baumettes, que « le maintien de détenus en leur seinme paraît être à la limite de l’acceptable, et à la limite de la dignité humaine 1353 ».La jurisprudence européenne et l’exemple des droits grec et français montrent que, hormisles actes délibérés (comme l’obturation des fenêtres pour priver les détenus de la lumière naturelle,ou la privation des contacts et de promenade), les mauvaises conditions résultent de la vétusté desétablissements mais aussi et surtout de la surpopulation. Celle-ci restreint l’espace vital, prive lespersonnes de toute intimité, génère de l’insalubrité (saleté, bruit, maladies, etc.), et rend insuffisantesles activités. Le problème économique, la Cour l’a confirmé, ne pouvant plus justifier des conditionsde détention indignes, la solution devrait alors être cherchée dans le remplacement des prisonsvétustes par des nouvelles. Mais en ce qui concerne le problème de surpopulation, la meilleure<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081347 CPT/Inf (93) 2, Rapport de visite, France, du 27 octobre au 8 novembre 1991 ; CPT/Inf(96) 2 ; Rapport devisite, France, du 20 au 22 juillet 1994 ; CPT/Inf(98)7, Rapport de visite, France, préc. ; CPT/Inf (2001)10,Rapport de visite, France, du 14 au 26 mai 2000.1348 CPT/Inf(98)7, Rapport de visite, France, préc., § 104.1349 Ibid., § 107.1350 SENAT, Prisons : une humiliation pour la République, préc.1351 ASSEMB<strong>LE</strong>E NATIONA<strong>LE</strong>, La France face à ses prisons, Rapport, t.I, n° 2521, 2000.1352 « En effet dans les maisons d'arrêt de Loos et de Toulon, les détenus étaient soumis à un ensemble defacteurs néfastes -surpeuplement, conditions matérielles déplorables, conditions d'hygiène créant un risquesanitaire indéniable, sans même mentionner la pauvreté des programmes d'activités - qui peuvent légitimementêtre décrits comme s'apparentant à un traitement inhumain et dégradant », CPT/Inf(2004) 6, Rapport de visite,France, § 12.1353 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc.285


286solution serait non pas l’extension du parc pénitentiaire, mais la maîtrise du nombre des détenus.Ainsi que l’a suggéré le CPT : « Investir des sommes considérables dans le parc pénitentiaire neconstitue pas une solution. Il faut plutôt, revoir les législations et pratiques en vigueur en matière dedétention provisoire et de prononcé des peines, ainsi que l’éventail des sanctions non privatives deliberté disponible 1354 ». En effet, il ne suffit pas de placer un détenu par cellule ; il faut encorepouvoir lui offrir le maximum de moyens pour pouvoir se réinsérer, qui est rappelons-le, le deuxièmeobjectif de la peine privative de liberté avec celui de la punition.Enfin, pour la mise en conformité des conditions de détention aux exigences européennes, ilest à noter qu’elles impliquent, outre des améliorations matérielles et la maîtrise du nombre,également l'ouverture des recours effectifs 1355 . A ce propos, soulignons que le droit pénal françaissanctionne les « conditions d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine » (art. 225-14 C.pénal) 1356 . Un tel constat concernant les conditions de détention, certes ne peut pas engager laresponsabilité pénale de l’administration pénitentiaire. Il peut, en revanche, engager sa responsabilitéadministrative. D’ailleurs, la Cour de Cassation a implicitement reconnu une telle responsabilité.Dans un arrêt du 29 mai 2006 1357 , elle a estimé que la vétusté d'une prison doit être prise en comptelors de l’évaluation de l'indemnisation versée en réparation d'une détention injustifiée, subie pour desfaits ayant donné lieu à une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement. Il restait à reconnaîtrele droit à indemnisation également à l’égard de toutes les personnes détenues, victimes de mauvaisesconditions de détention. Cela s’est en effet produit le 27 mars 2008. Le tribunal administratif deRouen a condamné l'Etat français à verser à un détenu 3 000 euros pour « préjudice moral »considérant que la victime, détenue dans une cellule surpeuplée, donc dans la promiscuité et absenced’intimité, de surcroît insalubre, avait été incarcérée « dans des conditions n'assurant pas le respectde la dignité inhérente à la personne humaine » (art. D189 cpp) 1358 . Notons aussi que, d’après leCommissaire européen aux droits de l’homme, une détention qui ne respecte pas les conditionsd’exécution prévues par les textes constitue une double peine 1359 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Il peut en être de même de régimes de sécurité renforcée dont le degré de privation de libertépeut être tellement plus strict que celui de détention en régime ordinaire qu’il dépasse le niveau dedétention légale pour devenir un traitement inhumain ou dégradant.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081354 CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, préc., § 28.1355 CEDH, Valainas c. Lituanie, préc.1356 « Le fait de soumettre une personne, en abusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance, à desconditions de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité humaine ».1357 Cité dans le quotidien Républicain lorrain du 7/6/06.1358 OIP, Dedans-Dehors, n°65 Avril 2008, pp. 12-14.1359 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc., § 76.


287SECTION 3. <strong>LE</strong>S GARANTIES CONTRE <strong>LE</strong>S REGIMES <strong>DE</strong> SECURITE RENFORCEEIl s'agit de régimes de détention caractérisés par des restrictions supplémentaires et unesurveillance plus intensive par rapport au régime de détention ordinaire dans un pays donné. Il peuts’agir de régimes qui s’appliquent soit à une prison entière (prisons de haute de sécurité), soit àcertaines unités au sein d’une prison, soit à des détenus individuellement, qui vivent au sein de ladétention ordinaire. Ils peuvent revêtir différents degrés de sévérité concernant les contacts humainsdans la prison et avec l’extérieur, les communications, les activités, la surveillance, les promenades,les fouilles, etc. Suivant les règlements intérieurs ou dans des cas précis, les privations peuvent allerjusqu'à comprendre la privation de tout contact avec l'extérieur (y compris avec les visiteurs desprisons et parfois avec la famille et l'avocat). De plus, l'accès à des moyens d'information (journaux,radio, télévision) peut être réduit, voire supprimé 1360 .Les organes du Conseil de l’Europe, tout en se disant préoccupés de l’application de telsrégimes, et notamment de l’isolement, ne condamnent pas leur usage : « Dans tous les pays, il y a uncertain nombre de détenus considérés comme présentant des risques particuliers en matière desécurité et qui requièrent en conséquence des conditions particulières de détention », souligne leCPT 1361 . La Cour précise que ces régimes de détention sont jugés utiles pour des raisons d’ordrepublic 1362 , de sécurité, de discipline et de protection 1363 , et plus exactement pour prévenir les risquesd'évasion, d'agression ou de perturbation de la vie en détention voire pour protéger un prisonnier deses codétenus 1364 . La Cour ne prohibe que l’isolement total, à savoir l’isolement social total(privations des contacts sociaux) combiné à l’isolement sensoriel complet (privation des moyens destimulation des sens physiques et intellectuels). Concernant les autres degrés d’isolement ou régimes1360 D 7630/76 (Reed/RU), D.R., p. 165 ; D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin, Baader, Raspe/RFA), D.R.,p. 14, p. .64 et s ; D 8395/78 (X/Danemark), 16.12.1981, D.R. 27, p. 57 ; D 8518/78 (X/RU), p. 106 ;R 8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), préc., 36 ; D 8231/78 (T/RU), 6.3.1982, D.R. 28, p. 5 et s. Rapport surcette affaire le 12 janv. 1983, D.R. 49, p. 5 et s. ; D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 158 ; D 17525/90(Lazarus/RU) 16.2.1993 ; D 18942/91 (Windsor/RU), préc ; D 22938/93 (Cacciotti/RFA), déc. 20.01.97 ; D8158/78 (X/R.U), 10.07.80, D.R. 21, p. 103 et s ; D 25498/94 (Messina /Italie), 8.6.1999.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1361 CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, préc., § 32. Voir à ce propos, M. ZINGONI-FERNAN<strong>DE</strong>Z et N. GIOVANNINI (dir .), La détention en isolement dans les prisons européennes, éd.Bruyland, 2004.1362 « La Cour souligne que des considérations d’ordre public peuvent amener des Etats à créer des prisons dehaute sécurité pour des catégories particulières de détenus », Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 50.1363 CEDH, Messina c. Italie (déc.), préc.1364 « La Cour rappelle, comme la Commission avant elle, que l’exclusion d’un détenu de la collectivitécarcérale ne constitue pas en elle-même une forme de traitement inhumain. Dans de nombreux Etats parties àla Convention existent des régimes de plus grande sécurité à l’égard des détenus dangereux. Destinés àprévenir les risques d’évasion, d’agression ou la perturbation de la collectivité des détenus, ces régimes ontcomme base la mise à l’écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d’un renforcement des contrôles(rapport Kröcher-Möller précité) », CEDH, Ramirez Sanchez c.France, préc., § 110. Telle est également larecommandation du CPT : « Le CPT porte une attention particulière aux prisonniers tenus, pour n'importequelle raison (disciplinaires; état dangereux, comportement perturbant, intérêts d'une enquête criminelle ; ou àleur propre demande), dans conditions apparentées à régime d’isolement cellulaire », CPT/Inf (92) 3, 2erapport général d'activités du CPT, préc., § 56. Voir aussi : D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin, Baader,Raspe/RFA), préc., p. 84 ; R 8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), préc., p. 35 ; D 22938/93(Caccioti/Allemagne), 20 janv. 1997.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


288spéciaux, le principe adopté par cette instance est qu’ils ne sont pas en eux-mêmes contraires àl’article 3, mais dans certaines circonstances, ils peuvent le devenir en raison notamment de leursévérité, leurs conditions matérielles et leur durée. Le CPT estime pour sa part que tous ces régimes,dès lors qu’ils diminuent les stimulations mentales et physiques, sont sur une longue durée nuisiblespour la santé physique et mentale. Aussi, se déclare-t-il « particulièrement préoccupé » car « lanécessité de prendre des mesures exceptionnelles à leur égard comporte un risque de traitementinhumain et dégradant plus élevé 1365 ». Enfin, les Règles pénitentiaires révisées en 2006recommandent de réserver leur usage dans des circonstances exceptionnelles (53.1).Toutes ces réserves et précautions montrent que ces régimes sont considérés commepotentiellement nuisibles pour l’être humain. Toutefois, alors que ces régimes n’ont pas cessé d’êtrecritiqués depuis le début du XIX siècle, exception faite de l’isolement total, ces trois organesjustifient leur usage pour certains motifs. Les garanties se limitent à l’encadrement de leurusage (§ 1). Si bien que le droit européen n’étant pas incitateur de la suppression de tels régimes, lesefforts demandés aux droits nationaux se limitent à l’amélioration des garanties existantes (§ 2).§ 1. Des régimes à risque mais non prohibés au sein du Conseil de l’EuropeLes garanties européennes contre les régimes de détention de sécurité renforcée, que cesoient celles de la jurisprudence européenne, du CPT ou du Comité des Ministres, se concentrent àcelles visant à limiter leur gravité et à assurer la protection contre un usage arbitraire (B). Mais il estintéressant de présenter auparavant les critères d’appréciation de la gravité de ces régimes au regardde l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants (A).A. L’isolement : un régime susceptible de constituer un traitement inhumain ou dégradant<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Au sein de la jurisprudence européenne, l’isolement carcéral et les autres régimes spéciauxne sont pas en eux-même contraires à la Convention. Ils ne sont pas considérés comme undépassement du cadre légal de la peine privative de liberté pour poser des questions de conformité àl’article 5 de la Convention. La Commission analysait l’isolement comme une modalité del'application de la privation de liberté, tout au plus comme une modalité aggravée 1366 . Soulignonstoutefois que la Cour a parlé dans l’arrêt Raminez Sanchez (2006) d’« emprisonnement dans laprison » 1367 . Ils ne sont pas non plus considérés comme un traitement inhumain ou dégradant auregard de l’article 3 : « La Cour réitère que l’isolement cellulaire n’est pas en soi contraire à l’article<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081365 CPT/Inf (2001) 16, 11e Rapport général d'activités du CPT, préc., § 32.1366 A propos de la punition de cellule D 11691/85 (Pelle/France), 10.1.1986, DR 50, p. 263 ; D 20978/92(J.U/France), 21.11.1993. Voir le chapitre sur le droit à la liberté.1367 CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 139.


3 1368 ». Dans leur principe, les régimes sont qualifiés de simples exclusions de la communautécarcérale 1369 . Ils ne sauraient donc au mieux être qualifiés dans leur principe que d’ingérences dans lavie privée et familiale 1370 . Sans pour autant que cette qualification permettre d’aboutir à uneconclusion concernant leur conformité à la Convention différente de celle faite au sein de l’article 3.Lorsque la Cour conclut qu’un tel régime n’a pas constitué un traitement contraire à l’article 3, elleconclut que pour les mêmes raisons, il ne constitue pas non plus une mesure qui viole l’article 8 1371 .Aussi, la protection conventionnelle contre cette mesure se limite à celle de l’article 3 puisque laCour admet que, dans certaines circonstances, l’isolement et autres régimes spéciaux peuventconstituer un traitement inhumain ou dégradant. Si des considérations d’ordre public peuvent amenerles Etats à créer des prisons de haute sécurité pour des catégories particulières de détenus, l’article 3de la Convention leur impose toutefois de s’assurer que « tout prisonnier soit détenu dans desconditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécutionde la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excèdele niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques del’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate,notamment par l’administration des soins médicaux requis 1372 ». Avant de décrire le processusd’appréciation du seuil de gravité critique de l’isolement carcéral (2), il conviendrait de souligner lerecours à plusieurs expressions dans la jurisprudence européenne pour désigner ce régime (1).1. L’absence de définition de l’isolementEn ce qui concerne la terminologie, la jurisprudence européenne n’est pas rigoureuse. Leraisonnement de la Cour peut même parfois laisser comprendre qu’elle réserve le terme« isolement » à l’isolement total. Il est arrivé que, après l’examen des restrictions imposées durant un<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1368 CEDH, Rohde c. Danemark, n° 69332/01, CEDH 2005-VII, § 93 ; CEDH, Valainas c. Lithuanie, préc. ;CEDH, Peers c. Grèce, préc.1369 « L'exclusion d'un détenu de la vie carcérale ne constitue pas en soi une forme de traitement inhumain oudégradant », D 7630/76 (Reed/RU) p. 165. Dans le même sens : D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin,Baader, Raspe/RFA), préc., p. 64 et s ; D 8395/78 (X/Danemark), 16.12.1981, DR 27, p. 57 ; D 8518/78(X/RU), p. 106 ; R 8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), préc., p. 36 ; D 8231/78 (T/RU), 6.3.1982, D.R. 28, p.5 et s., et Rapport du 12 janv. 1983, DR 49, p. 5 et s. ; D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 158 ; D 17525/90(Lazarus/RU) 16.2.1993 ; D 18942/91 (Windsor/RU), préc. ; D 22938/93 (Cacciotti/RFA), déc. 20.01.97. Demême la Cour : CEDH, Messina c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Bonura c. Italie (décision), n°57360/00, CEDH2002-V ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 51 ; CEDH, Öcalan c.Turquie [GC], préc., § 191 ; CEDH,Ramirez Sanchez c. France, préc., § 100.1370 D 25498/94 (Messina /Italie), préc. ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc. ; CEDH,, Gallico c. Italie, n o53723/00, CEDH 2005-VI, § 21.1371 La Cour est de l’avis que les raisons qui l’ont amenée à conclure que l’application prolongée desrestrictions ne méconnaissait pas l’article 3 doivent être évoquées ici et l’amènent à statuer dans le même sens,CEDH, Messina c. Italie (n o 2), n o 25498/94, CEDH, 2000-X, § 66. Voir aussi D 22938/93(Caccioti/Allemagne), 20 janv. 1997 ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc. ; CEDH, Gallico c. Italie, préc.,§ 29.1372 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 50. Voir CEDH, Bonura c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Messinac. Italie, (déc.), préc. ; D 8158/78 (X/RU), 10.7.1980, D.R. 21, p. 106 ; CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc.,§§ 92-94 ; CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 119.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008289


290régime spécial, elle écarte la violation de l’article 3 en déclarant que la personne n’a pas été soumiseà l’isolement et, par conséquent, elle n’a pas été soumise à un traitement inhumain 1373 . Cettejurisprudence de la Cour reviendrait à dire que la CEDH prohibe l’isolement carcéral.En réalité, la Cour distingue deux types de régimes de sécurité renforcée : l’isolement total etl’isolement relatif. Pour distinguer ce dernier du premier, la Cour, et la Commission, ont plusvolontiers recours à des expressions telles que « exclusion carcérale 1374 », « privation de réunionavec d'autres détenus » ou « suppression de contacts1375 » « interdiction de contacts 1376 », régimes dehaute sécurité 1377 , régimes de détention spéciale 1378 . Ces dénominations regroupent tous les régimesde détention spéciaux, y compris l’isolement tel qu’il est réglementé dans les droits grec et français.La distinction de la Cour entre isolement total et isolement relatif est fondé sur la rigueur desprivations des contacts sociaux et des moyens de stimulation des sens physiques et intellectuels.Isolement total signifie privation ou réduction considérable des contacts humains combinée à unisolement sensoriel complet, à savoir la privation ou la réduction considérable de stimulation desorganes des sens. C’est ce type d’isolement qui est prohibé. Commission et Cour ont tour à tour,affirmé que « l'isolement sensoriel complet combiné à un isolement social total peut détruire lapersonnalité et constitue une forme de traitement inhumain qui ne saurait se justifier par desexigences de sécurité ou toute autre raison 1379 ». Cette forme d'isolement est contraire à l'article 3dans toutes les circonstances 1380 . Les autres types d’isolement ne sont pas prohibés 1381 . C’estseulement dans certaines circonstances que ce régime peut constituer un traitement inhumain ou1373 CEDH, Messina c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Bonura c. Italie (déc.) préc.1374 D 8158/78 (X/RU), préc., p. 106.1375 D 8317/78 (McFeeley/RU), préc., p. 1391376 CEDH, Messina c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc. § 100 ; CEDH,Öcalan c.Turquie [GC], préc. § 191; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 51, CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 199.1377 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc.1378 Comme le régime appliqué en Italie à des détenus condamnés ou accusés d’appartenir à la mafia : CEDH,Messina c. Italie, (déc.) préc. ; CEDH, Bastone c. Italie, n° 59638/00, CEDH 2005-I ; CEDH, Gallico c. Italie,préc.1379 Voir entre autres, CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 199 ; CEDH, Ramirez Sanchez c. France, préc.,§ 100 ; CEDH, Öcalan c.Turquie [GC], préc., § 191 ; CEDH, Messina c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Bonura c.Italie, n° 57360/00, (décision), préc. ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 51. Voir aussi jurisprudencede la Commission : D 4448/70, deuxième affaire grecque Recueil, 34, p. 70 ; D 7572/76, 7586//76, 7587/76(Ensslin, Baader, Raspe/RFA), préc., pp. 84-85 ; R 8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), préc., p. 36 ; D8395/78 (X/Danemark), préc., p. 58 ; D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 158 ; D 8317/78 (McFeeley/RU),préc., p. 39 ; D 8158/78 (X/RU), 10.7.1980, D.R.. 21, p. 106.1380 D 7630/76 (Reed/RU), préc., p. 165.1381 « En revanche, l’interdiction de contacts avec d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline etde protection ne constitue pas en elle-même une forme de peine ou traitement inhumain », avait déclaré la Courdans sa décision sur l’affaire Messina contre l’Italie, précitée, concernant le régime de détention spécialeapplicable en Italie à l’égard des membres de la mafia. Voir aussi : CEDH, Ramirez Sanchez c. France, préc.,§ 100 ; CEDH, Öcalan c.Turquie [GC], préc., § 191 ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc.,§ 51 et § 63,CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 199. Auparavant, même position de la Commission : R (Dhoest c.Belgique), 14.5.87, § 116, D.R. 55, pp. 6 et 42 ; D, n° 10486/83, (Hauschildt c. Danemark), déc. 9.10.1986,D.R. 49, pp. 87 et 116 ; R (Kröcher et Möller c. Suisse), 16.12.1982, § 60, D.R. 26, p. 24 ; D 8317/78(McFeeley/RU), préc.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


291dégradant, voire une torture, et notamment lorsqu'il est appliqué pour une longue durée. La Courreconnaît qu’un isolement prolongé peut avoir des répercussions importantes sur un détenu 1382 , etmême il « peut placer un détenu dans une situation qui pourrait constituer un traitement inhumain oudégradant, au sens de l’article 3 1383 . De manière générale, pour qu’un isolement « relatif » constitueun traitement inhumain ou dégradant, il doit atteindre un minimum de gravité, apprécié in concretodans chaque cas d’espèce 1384 .Concrètement, la qualification des formes d’isolement est la résultante du même processusappliqué dans tous les types d’isolement ou régimes de sécurité renforcée. La rigueur de l’isolementest appréciée au regard des critères suivants : contacts humains, activités, promenade, durée, effets,motifs, conditions matérielles, statut pénal (prévenus, condamnés, condamnés à la peine de mort) etparfois sexe, âge, état physique et état de santé. L’ensemble de ces critères est apprécié au regard ducritère de proportionnalité 1385 . Nous les présenterons avant de voir quelle est l’application faite, inconcreto, au sein de la jurisprudence européenne.2. Les critères d’appréciation de la gravité de l’isolementLes motifs. Toute forme d’isolement étant considérée comme aggravant les conditionsordinaires de la détention, et donc potentiellement nuisible, son usage doit reposer sur des motifsgraves. Il résulte de la jurisprudence de la Cour et de la Commission, ainsi que des Rapports du CPT,que ces motifs sont liés aux risques d’évasion, de commission de nouvelles infractions, des troubles àl’ordre et à la sécurité de la prison ainsi qu’aux besoins d’instruction 1386 . La dangerosité de lapersonne au regard de ces risques peut être appréciée compte tenu, d’une part, de la nature del’infraction commise (comme les actes terroristes 1387 , les activités mafieuses 1388 et, en général, lescrimes très violents 1389 ), et d’autre part, du comportement dans le lieu de la détention (descomportements violents 1390 ), ainsi que du profil psychologique 1391 . D’après la Cour, cette<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1382 CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 165.1383 CEDH, Gallico c. Italie, préc., § 21.1384 CEDH, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, Série A n° 25, § 162 ; CEDH, Tyrer c. R.U., préc.,§§ 29-30. Dans cette perspective, il ne suffit pas que le traitement comporte d’aspects désagréables, CEDH,Guzzardi c. Italie, préc., § 107 ; CEDH, Messina c. Italie (déc.), préc.1385 Voir entre autres, CEDH, Ramirez Sanchez c.France, préc. ; CEDH, Rohde c. Danemark, préc. ; CEDH,Messina c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Rohde c. Danemark, préc., § 93.1386 La Cour a, dans l’affaire Ramirez Sanchez, estimé que l’isolement était généralement justifié par ladangerosité du détenu, la nécessité de maintenir l’ordre et la sécurité dans la prison, le risque d’évasion, lesnécessités de l’enquête ou pour la propre protection de la personne concernée, CPT/Inf (92) 3, 2e rapportgénéral d'activités du CPT, préc. ; D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 159.1387 R 8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), préc., p.36.1388 CEDH, Messina c. Italie, (déc.), préc. ; CEDH, Bonura c. Italie (déc.), préc.1389 Condamné pour meurtre, homicide involontaire, coups et blessures graves, viol et pou plusieurs infractionsà la législation sur les stupéfiants, CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 56.1390 La porte grillagée répondait à l'objectif légitime « d'assurer le degré de sécurité que les autoritéspénitentiaires estiment nécessaires pour prévenir ou empêcher tout excès de violence de la part du requérant »D 9907/82 (M/RU) 12 déc. 1983, D.R. 35, p. 140.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


292appréciation doit être laissée au pouvoir discrétionnaire des Etats 1392 . En revanche, les motifs desimple gestion des prisons, admis auparavant par la Commission, comme les protestations sousdiverses formes, y compris le refus de porter l'uniforme pénitentiaire 1393 , et de manière générale, toutcomportement perturbant l'ordre carcéral 1394 , peuvent au regard de la jurisprudence de la Cour dansl’arrêt Mathew, ne plus être admis. Dans cet arrêt, la Cour a estimé que l’inadaptation du détenu aurégime de la détention ordinaire, même s’il s’est montré violent et agressif, est insuffisant pourjustifier le recours à l’isolement. Le statut de prévenu, ajoute un motif supplémentaire dans lajustification de tels régimes : les besoins de l’instruction peuvent justifier la détention d’un prévenusous le régime d’isolement 1395 . En revanche, nous verrons que la condamnation à la peine de mortconstitue une raison aggravant les conditions de détention.Les contacts humains et la stimulation des sens. Quels que soient les motifs du recours àl’isolement, il est conseillé de maintenir des contacts humains avec les proches, les codétenus, lepersonnel pénitentiaire, et autres personnes intervenant dans la prison. Ces contacts sont vitaux pourl’équilibre psychique de toute personne. La Cour a déclaré à propos de telles restrictions qu’ellessont « problématiques et préoccupantes notamment lorsqu’elles sont appliquées pour des longuespériodes 1396 ». Comme sont vitaux également tous les moyens stimulants les sens physiques etmentaux. A ce propos, le CPT préconise en particulier que les personnes puissent avoir « lapossibilité de rencontrer les codétenus de leur unité et se voir proposer un large choix d'activités 1397 .Quant au travail, ce même organe du Conseil de l’Europe, tout en reconnaissant que certains types detravaux peuvent être exclus pour des raisons de sécurité, insiste sur ce que les détenus ne soient pasuniquement occupés à des travaux d'une nature fastidieuse 1398 et qu’ils doivent, au moins, disposerd'occupations dans la cellule : de la lecture 1399 , de la radio ou de la télévision 1400 . En tout état decause, il doit leur être assuré le minimum vital : la sortie en promenade, l’accès à la lumière naturelleet la garantie de la perception de la variation du jour et de la nuit.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1391 Le haut risque estimé en termes de sécurité de tels détenus peut résulter de la nature des infractions qu’ilsont commises, de la manière dont ils réagissent aux contraintes de la vie en prison ou de leur profilpsychologique/psychiatrique, CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc. § 32.1392 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 54.1393 Le refus d'accepter l'« état de délinquant légalement condamné », essentiellement par le refus de porterl'uniforme pénitentiaire, était considéré par les autorités pénitentiaires comme un exemple menaçant lemaintien de l'ordre et de la discipline dans l'établissement », D 8231/78 (T/RU), préc., p. 66.1394 La Commission reconnaît que le régime était de nature rigoureuse mais « nécessaire en raison d'une sériede perturbations à la prison », D 18942/91 (Windsor/RU), préc.1395 D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 159 ; CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc.1396 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 54, § 57.1397 « L'existence d'un programme d'activités satisfaisant est tout aussi importante - sinon plus - dans une unitéde haute sécurité que dans une unité ordinaire. Un tel programme peut faire beaucoup pour contrecarrer leseffets délétères qu'entraîne sur la personnalité du détenu, la vie dans l'ambiance confinée d'une telle unité »,CPT/Inf (92) 3, 2e Rapport general, préc., § 32.1398 CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc.1399 D 8395/78 (X/Danemark), préc., p. 58 ; D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 158.1400 D 10263/83 (R/Danemark), 11.3.1985, D.R., 41, p. 149.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


293La durée. La Cour partage la thèse de la Commission selon laquelle un isolement cellulaireprolongé n'est pas souhaitable... 1401 », ainsi que celle du CPT que « l’application prolongée desrestrictions peut placer un détenu dans une situation qui pourrait constituer un traitement inhumainou dégradant, au sens de l’article 3 1402 ». Aussi, souligne-t-elle, la durée doit être « la plus courtepossible 1403 ». En tout état de cause, un isolement, même relatif, ne saurait être imposéindéfiniment 1404 . Toutefois, la Cour ne fixe pas de durée maximale 1405 .Les effets. Pour le CPT tout type d’isolement est « une mesure pouvant avoir desconséquences très néfastes pour la personne concernée » 1406 . La Cour admet, comme nous venons dele voir, que dans certaines circonstances, l’isolement peut devenir nuisible. Son application doit alorscesser si de tels effets sont prévisibles au moins dès la manifestation des symptômes nuisibles pour lasanté mentale ou physique de la personne 1407 .La santé, l’état physique, le sexe et l’âge entrent également dans l’appréciation de la gravité.Ils contribuent à évaluer la capacité de la personne à subir un tel traitement ainsi que la garantie de laproportionnalité entre la gravité de l’isolement et les motifs de son application 1408 . Ainsi, l’état desanté, le jeune âge, l’âge avancé ou l’état de grossesse, peuvent rendre une personne plus vulnérable.Les conditions matérielles. Enfin, plus encore que pour le reste de la détention, les conditionsmatérielles, et en général, les conditions de vie en cellule, acquièrent une importance capitale, lesisolés étant forcés d'y passer plus de temps que les autres détenus. Elles doivent alors répondre auminimum des standards fixés par les Règles pénitentiaires européennes et le CPT concernantnotamment la superficie de la cellule, l’hygiène (toilettes, douches, produits d’hygiène), le matérielde couchage, l’aération, la nourriture ou l’éclairage. Pour ce qui est de l’éclairage, sont jugésnuisibles par la Cour et la Commission, aussi bien la privation de la lumière naturelle (par la pose de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1401 D 7630/76 (Reed/RU), préc. p. 165 ; D 8395/78 (X/Danemark), préc., p. 57.1402 CEDH, Gallico c. Italie, préc., § 21. Voir aussi CEDH, Rohde c. Danemark, préc., § 195 ; Iorgov c.Bulgarie, préc., § 83; CEDH, Ramirez Sanchez c. France, préc.; CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activitésdu CPT, préc.1403 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 199; CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc.1404 « La Cour tient néanmoins à souligner qu’un maintien à l’isolement, même relatif, ne saurait être imposé àun détenu indéfiniment », CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 145.1405 « La Cour admet que l’application prolongée des restrictions peut placer un détenu dans une situation quipourrait constituer un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 3. Cependant, elle ne sauraitretenir une durée précise comme le moment à partir duquel est atteint le seuil minimum de gravité pour tomberdans le champ d’application de l’article 3 de la Convention », CEDH, Gallico c. Italie, préc., § 21.1406 Formulé dès son 2e Rapport général d’activités, (CPT/Inf (92) 3, précité), il est rappelé à l’occasion de sesvisites ultérieures, comme dans ses Rapports de visite en France en 1996 et 2000, précités.1407 « Ce que laisse déduire la lecture a contrario de cet extrait : « Même s’il est vrai qu’après le 13 juillet 2000,les médecins ne cautionnaient plus la mise à l’isolement, aucun des certificats médicaux rédigés à l’occasiondes décisions de maintien à l’isolement du requérant jusqu’en octobre 2002 n’a mentionné expressément laconstatation de conséquences néfastes de l’isolement sur la santé du requérant, que ce soit physique oupsychique, ni demandé expressément une expertise psychiatrique », CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC],préc., § 141.1408 Voir entre autres, CEDH, Bonura c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Ramirez Sanchez c. France, préc.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


294fenêtres opaques 1409 ou par la fermeture des volets 1410 ), que le maintien de la lumière constammentallumée 1411 . Comme est également jugée nuisible, une surveillance continue. Si à l'époque descachots, le mot isolement était synonyme d'obscurité et d'oubli des détenus au fond de leur cellule,actuellement, il peut être synonyme d'éclairage et de surveillance permanente, car ces dernièresformes ne sont pas moins nuisibles. La surveillance permanente prive l'homme du minimum vitald'intimité, et l'éclairage permanent le prive de la variation de jour et de nuit, également vitale pourl'équilibre physique et psychologique.La proportionnalité. Enfin, partant du principe que « l’isolement est une mesure pouvantavoir des conséquences très néfastes pour la personne concernée », aussi bien la jurisprudenceeuropéenne que le CPT, soulignent que, tant la durée, que la rigueur du régime doivent êtreproportionnées à la gravité du risque présenté par la personne intéressée 1412 . Concernant enparticulier la mise en isolement des prévenus pour les besoins de l’instruction, la Commission avaitprécisé qu’il faut « mettre en balance les exigences de l'instruction et les effets que l'isolement aurasur le détenu », et veiller à ce que sa durée soit limitée à ces besoins, et qu’elle ne devienne pasexcessive 1413 .Appréciation in concreto de la gravité de l’isolementLa jurisprudence européenne n’a jamais condamné l’isolement en raison uniquement de sonrégime, à savoir en raison du degré de restrictions des contacts humains et des activités ouoccupations stimulantes. Dans aucune affaire, ces instances n'ont estimé qu’un détenu ait été soumisà un isolement social total et sensoriel complet. La Commission n’avait jamais estimé qu’unisolement aurait atteint un niveau assez critique pour déclarer la requête recevable et saisir la Cour.Elle avait toujours justifié les conditions d’isolement, alors qu’elle avait parfois exprimé l’inquiétudeconcernant la rigueur du régime 1414 , constaté des effets nuisibles rapportés par des preuves médicales(tels que des troubles mentaux, des insomnies 1415 , de dégradation de la vue 1416 , de perte importante<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1409 R 8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), préc., p. 36 et s.1410 CEDH, Khokhlich c. Ukraine, préc. ; CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc.1411 R 8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), préc., p. 37. C'est sur l'intervention des médecins, en raison detroubles constatés chez les requérants, que l'éclairage nocturne avait été supprimé pour être remplacé par unsystème optique à infrarouge.1412 CEDH, Gallico c. Italie, préc., § 22. Voir CPT : « Le principe de proportionnalité demande à ce qu’unéquilibre soit trouvé entre les exigences de la cause et la mise en œuvre du régime d’isolement, qui est unemesure pouvant avoir des conséquences très néfastes pour la personne concernée », (CPT/Inf (92) 3, 2eRapport général d’activités, préc. Voir aussi les rapports du CPT sur ses visites en France, en 1996 et en 2000,prcités.1413 D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 159.1414 Comme dans l'affaire Möller et Kröcher (Rapport précité) et dans l’affaire Ensslin, Baader, Raspe(Rapport précité).1415 D 8158/78 (X/RU), préc., p. 104.1416 Ibid.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


295de poids 1417 ou encore des troubles de concentration, des troubles moteurs et de vieillissementprécoce 1418 ) et trouvé certains cas d’isolement longs, voire très longs (quatorze semaines 1419 , neufmois 1420 , dix mois 1421 , un an 1422 , deux ans 1423 , trois ans 1424 , et même pour une durée indéterminée 1425 ).En effet, elle n’avait déclaré recevable aucune requête corrélative même lorsqu’elle avait soulignéque la personne « avait été mise à l'écart pour une période d'une durée inhabituelle et regrettable 1426 »ou « qu'il n'était pas souhaitable que le requérant fût isolé pendant une si longue durée 1427 ».La Commission avait toujours mis en avant les motifs de la mise en isolement, lapersonnalité des intéressés et l’absence de l’intention de nuire, pour conclure au respect de laproportionnalité, et donc à leur conformité à l’article 3 de la Convention 1428 .C’est depuis que la Cour a révisé le critère d’intention de nuire et accordé une importancedéterminante aux conditions matérielles de la détention, en 2001, que cette instance a quelques foisété amenée à condamner le placement en isolement sans pour autant changer fondamentalement lajurisprudence de la Commission au regard de l’isolement stricto sensu, à savoir au regard de sonrégime (restrictif des contacts et des activités), de sa durée et de son application pour des raisonssécuritaires.En effet, la Cour n’a pas retenu l’existence d’un isolement total alors qu'en 2005, elle aussi aconnu deux cas d’isolement très strict dans l’affaire Ramirez Sanchez 1429 et dans l’affaire Öcalan 1430 .Dans la première, le requérant était soumis à un isolement très strict pendant huit ans et deux mois. Ilétait interdit de tout contact avec les autres détenus et les gardiens (ses contacts avaient été limités àceux du médecin, du prêtre et des avocats), de toute activité hors de la cellule, à l’exception de deuxheures de promenade quotidienne, et comme seule occupation dans la cellule la lecture des journauxet la télévision. Dans l’affaire Öcalan, les conditions étaient encore plus strictes. Le requérant étaitdétenu pendant six ans, au moment de l’arrêt de la Cour, totalement seul. Il était l’unique détenudans une prison, elle-même isolée sur une île non desservie par des transports réguliers (cette île<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1417 Une perte de vingt kilos dans l’affaire D 8158/78, X/RU, précitée, p. 104.1418 Affaire Ensslin, Baader, Raspe, précitée.1419 D 17525/90 (Lazarus/RU), préc.1420 D 22938/93 (Caccioti/Allemagne, 20.1.1997.1421 D 2749/60 (De Courcy/RU), DR 24, p.93.1422 R 8231/78 (T/RU), préc., p. 5 et s. ; D 18942/91 (Windsor/RU), préc.1423 D 6038/73 (X/RFA), préc., p. 115 ; D 8158/78 (X/RU), préc., p. 104.1424 D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin, Baader, Raspe/RFA), préc., et s.1425 D 4203/69 (X/RU), 26.3.1970, R 34, p. 48 ; D 1392/62 (X/RFA), 14.7.1965, D.R., 17, p.1.1426 D 8158/78 (X/RU), préc., p. 107.1427 D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 15.1428 Ainsi, alors que la Commission avait, dans un premier temps, reconnu, dans l’affaire Möller et Kröcherque les détenus avaient « sans aucun doute, été soumis à un régime exceptionnel de détention », a affirmé être« convaincue qu'il existait en l'occurrence des raisons sérieuses d'élaborer un régime carcéral strict », R8463/78 (Möller et Kröcher/Suisse), préc., p. 36.1429 CEDH, Ramirez Sanchez c. France, préc. ; et CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC] (2006), préc.1430 CEDH, Öcalan c.Turquie [GC], préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


avait été déclarée zone militarisée). A l’intérieur de la prison, il était confiné dans une cellule dont lafenêtre donnait sur une cour intérieure, et ses contacts étaient limités à ceux du personnel travaillantdans cet établissement pénitentiaire, les médecins, ses avocats et les membres de sa famille une foispar semaine. Il disposait de livres, de journaux et d'un poste de radio. Malgré cette dureté et durée durégime, la Cour n’a pas jugé qu’il s’agissait d’un isolement total, ni d’un isolement relatif maisnuisible pour la santé de la personne 1431 . Comme dans l’affaire Ramirez Sanchez (dans laquelle lesmédecins ne cautionnaient plus l’isolement depuis 2000, et appliqué depuis 1994), dans laquelle laGrande chambre de la Cour a exprimé sa préoccupation par la « durée particulièrement longue » 1432 ,c’est le motif qui l’a emporté, à savoir la dangerosité de ces détenus eu égard aux infractionscommises : des actes terroristes. La Cour estime que dans ces cas, les autorités nationales sontraisonnablement fondées à craindre la reprise des contacts avec les membres de leur groupeterroriste, le prosélytisme ou la préparation d’une évasion. Notons à ce propos que le Conseil del’Europe cautionne le principe du recours en isolement des personnes détenues pour des actesterroristes. Dans les « lignes directrices sur les droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme »,adoptées le 11 juillet 2002, le Comité des Ministres, tout en rappelant que, même détenue pouractivités terroristes, une personne doit être traitée avec le respect de la dignité inhérente à la personnehumaine, il justifie des restrictions supplémentaires, y compris la détention dans des « quartiersspécialement sécurisés », à condition qu’il y ait rapport de proportionnalité entre le but poursuivi etla mesure prise 1433 .La Cour justifie le recours à l’isolement et pour de longues durées également à l’égard despersonnes détenues pour des infractions liées au crime organisé (comme la mafia) mais aussi pourtoute infraction violente 1434 . Elle a en effet justifié, dans toutes les affaires dont elle a été saisie 1435 , lerégime de détention spéciale appliqué en Italie aux membres de la mafia 1436 alors que ce régime était<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1431 Elle relève en outre que le maintien en isolement du requérant, quelle que fût sa longueur, en soiregrettable, ne lui a pas causé, vu son âge et son état de santé, des souffrances atteignant le seuil de gravitérequis pour que l’article 3 soit méconnu, CEDH, Öcalan, préc., § 113.1432 CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 150.1433Les impératifs de la lutte contre le terrorisme peuvent exiger que le traitement d’une personne privée deliberté pour activités terroristes fasse l’objet de restrictions plus importantes que celles touchant d’autresdétenus en ce qui concerne notamment : (i) la réglementation des communications et la surveillance de lacorrespondance, y compris entre l’avocat e son client ; (ii) le placement des personnes privées de liberté pouractivités terroristes dans des quartiers spécialement sécurisés (Chapitre XI, al.2).1434 CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc.1435 CEDH, Messina c. Italie (déc.), préc.; CEDH, Bonura c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Bastone c. Italie(déc.), n°59638/00, CEDH 2005-I ; CEDH, Gallico c. Italie, préc., § 22.1436 Ce régime de détention spéciale est prévu par l’article 41 bis de la loi sur l’organisation pénitentiaire, quidéroge aux conditions de détention ordinaire, comporte, entre autres, les restrictions suivantes : interdictiond’utiliser le téléphone, interdiction d’entretiens et de courrier avec d’autre détenus même s’il s’agit demembres de la famille ; interdiction des visites autres que familiales et limitation de celles-ci à une par moisd’une durée d’une heure ; interdiction d’organiser des activités culturelles, récréatives et sportives ; interdictiond’élire des représentants de détenus et d’être élu à ce titre ; interdiction d’exercer des activités artisanales,limitation du nombre des promenades par rapport à d’autres détenus. Voir à propos de ce régime appelé enitalien « Carcere duro », (régime dur), M. COLITTI, « 41is : le régime de détention spécial en Italie »,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008296


297appliqué encore plus longtemps que dans l’affaire Ramirez Sanchez : dix ans dans l’affaire Bastone,treize ans dans l’affaire Gallico 1437 . Elle a estimé que ces personnes présentent des risques d’évasionou de commission de nouvelles infractions. Pourtant la Cour a jugé ce régime plus strict encore, quecelui appliqué dans les unités de haute sécurité destinées aux détenus dangereux aux Pays-Bas 1438 .En dehors de l’affaire Van der ver, dans laquelle la Cour a conclu à la violation de l’article 3,parce qu’elle a jugé disproportionnée la mesure des fouilles que comportait ce régime 1439 , la violationde l’article 3 a également été retenue à propos de l’application des régimes d’isolement, que lorsquele motif n’était pas convaincant ou qu'il était étranger à la dangerosité de la personne, combiné auxconditions matérielles et/ou aux conditions du régime.Dans l’arrêt Mathew 1440 , la Cour a condamné l’isolement carcéral en raison du motif durecours à l’isolement, à savoir l’inadaptation de l’intéressé au régime de détention ordinaire de cetteprison, rendant l’isolement comme seul moyen pour le contrôler 1441 . La Cour a reproché auxautorités ne pas avoir fait des efforts pour chercher des solutions alternatives, au moins, celle detrouver une place dans une autre prison plus adaptée. D’autant plus que cette personne, souffrant deproblèmes de dos, était détenue dans une cellule au deuxième étage sans ascenseur rendant péniblesses déplacements à la cour de promenade qui se trouvait au rez-de-chaussée, ce qui l’avait souventconduit à renoncer de s’y rendre. Cette instance a jugé que le motif de son isolement n’était passuffisant pour justifier l’application d’une telle mesure, de surcroît, dans de telles conditions et pourune telle durée.Tous les autres cas dans lesquels cette instance a retenu la violation de l’article 3 dans lecadre du placement en isolement, concernent des régimes spéciaux appliqués à des condamnés à<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>ZINGONI-FERNAN<strong>DE</strong>Z Malena et GIOVANNINI Nicola (dir .), La détention en isolement dans les prisonseuropéennes, préc., pp. 5 et s1437 Condamné à la prison à perpétuité le 15 décembre 1994, le requérant était assujetti depuis le 20 juillet 1992au régime de détention spéciale prévu à l’article 41 bis de la loi sur l’organisation pénitentiaire, qui déroge auxconditions fixées par la loi sur l’administration pénitentiaire.1438 Elles comportaient entre autres les restrictions suivantes : interdiction de se trouver avec plus de troisdétenus à la fois, limitation de contacts avec le personnel, interdiction des visites à part une visite par mois,d’une heure, autorisée à la famille et soumission à des fouilles, y compris de fouilles à corps, fréquentes,CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc.1439 Ce détenu était soumis, pendant une période de trois années et demie, sans « impératif de sécurité concret »ni « résultant du comportement du requérant » dans la détention, à des fouilles à corps comportant desinspections anales, non seulement après chaque visite et chaque déplacement au coiffeur, infirmerie, et chaquesortie de la prison, mais aussi une fois par semaine lors de la fouille hebdomadaire de sa cellule. Cela mêmes’il venait de subir une telle fouille pour un des autres motifs précités, CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc.,§§ 56-63.1440 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc.1441 Il apparaît que le requérant n’était pas coopératif et était enclin à la violence contre les personnes et lesbiens et que les autorités avaient du mal à le contrôler autrement qu’en le mettant à l’isolement, CEDH Mathewc. Pays-Bas, préc., § 198.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


mort en Ukraine 1442 , en Bulgarie 1443 ainsi qu’en Russie et en Moldavie 1444 . En effet, les régimesauxquels ces personnes sont soumises sont les mêmes que l’on rencontre dans les régimesd’isolement : encellulement individuel, privation de contacts avec les codétenus, restriction descontacts avec l’extérieur sauf quelques visites accordées à la famille, et dans certains cas, occultationdes fenêtres de la cellule, privation de promenade pendant de longues durées (jusqu’à deux ans),privation d’activités, surveillance continue, lumière allumée en permanence ainsi que la radioallumée sauf la nuit 1445 . Le seul motif de leur soumission à un tel régime est leur statut pénal : lacondamnation à mort. Or, la Cour a déclaré que cet élément, loin de justifier l’application de telsrégimes, constitue un facteur aggravant les conditions de détention que ce sont celles de leur régimeou celles des conditions matérielles 1446 . Une telle condamnation place la personne dans un étatd’incertitude, d’anxiété et de peur quant à son avenir 1447 . De plus la durée revêt ici plusd’importance 1448 . Dans l’affaire Ilacu et autres, la Cour a sans doute connu les conditions dedétention de régime et matérielles les plus extrêmes 1449 . A tel point que la Cour a retenu l’existenced’une intention de punir 1450 et a qualifié de « torture » les conditions de détention 1451 , notamment1442 CEDH Poltoratski c. Ukraine, préc. ; CEDH, Khokhlich c. Ukraine, préc. ; CEDH Aliev c. Ukraine,n° 41220/98, CEDH 2003-IV; CEDH, Dankevitch c. Ukraine, n° 40679/98, CEDH 2003-IV ; CEDH,Kuznetsov c. Ukraine, préc. ; CEDH, Nazarenko c. Ukraine, préc.1443 CEDH, Iorgov c. Bulgarie, préc., § 86.1444 CEDH, Ilacu et autres c. Moldavie et Russie [GC], préc.1445 Dans l’affaire Poltoratski, la Cour s’était particulièrement préoccupée par le fait que, au moins jusqu’aumois de mai 1998, le requérant, comme les autres détenus condamnés à mort, était enfermé en permanencedans une cellule où l’espace de vie était très restreint et dont les fenêtres occultées le privaient d’accès à lalumière naturelle ; rien n’était prévu pour l’exercice en plein air ; et l’intéressé n’avait guère ou pas de moyensde s’occuper et d’entretenir des contacts humains, CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc. Voir aussi CEDH,CEDH, Khokhlich c. Ukraine, préc.; CEDH, Aliev c.Ukraine, préc. ; CEDH, Dankevich c. Ukraine, préc.;CEDH, Kuznetsov c. Ukraine; préc.; CEDH, Nazarenko c. Ukraine, préc., § 129 ; CEDH, Iorgov c. Bulgarie,préc., § 86.1446 « En outre, comme la Cour l’a souligné dans l’arrêt Soering (§ 104) l’attitude actuelle des Etatscontractants envers la peine capitale entre en ligne de compte lorsqu’il s’agit d’apprécier s’il y a dépassementdu seuil tolérable de souffrance ou d’avilissement », CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1447 CEDH, Iorgov c. Bulgarie, préc., § 79. Voir CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc., § 135 ; CEDH, Alievc.Ukraine, préc., § 134 ; CEDH, Kuznetsov c. Ukraine, préc., § 115; CEDH, Khokhlich c. Ukraine, préc. ;CEDH, Nazarenko c. Ukraine, préc., § 129 ; CEDH, Dankievich c. Ukraine, préc., § 126.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1448 « La condamnation à une telle peine pourrait néanmoins entraîner, dans certaines circonstances, untraitement dépassant le seuil fixé par l’article 3, par exemple si elle s’accompagne d’une longue période passéedans le « couloir de la mort » dans des conditions extrêmes, avec l’angoisse omniprésente et croissante del’exécution de la peine capitale », CEDH, Ilacu et autres c. Moldavie et Russie [GC], préc. § 430.1449 Notamment dans le cas du requérant Ilacu : « La Cour note que M. Ilacu a été détenu pendant huit ans,depuis 1993 et jusqu’à sa libération en mai 2001, en régime d’isolement sévère » : sans contact avec d’autresdétenus, sans aucune nouvelle de l’extérieur, puisqu’il n’avait pas la permission d’envoyer ou de recevoir ducourrier ; il était privé du droit de prendre contact avec son avocat ou de recevoir régulièrement la visite de safamille ; sa cellule n’était chauffée ; même dans les rudes conditions d’hiver, elle était dépourvue d’éclairagenaturel et d’aération. Il ressort du dossier que M. Ilacu a aussi été privé de nourriture en guise de punition ; ilne pouvait prendre une douche que très rarement, parfois à plusieurs mois d’intervalle. Notons que la Coursans reprendre à son compte la qualification du CPT, elle a renvoyé à propos de ces conditions aux conclusionsfigurant dans le rapport rédigé à la suite de la visite en Transnistrie en 2000 qualifiant d’ »indéfendable unisolement prolongé pendant de nombreuses années », Ibid., § 438.1450 Ibid., § 446.1451 « La Cour conclut que la condamnation du requérant à la peine capitale, les conditions dans lesquelles il avécu et les traitements qu’il a subis pendant sa détention après la ratification, pris dans leur ensemble, etcompte tenu de l’état dans lequel il se trouvait après plusieurs années passées dans ces conditions avant laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008298


dans le cas du requérant Ivanoc dans l’affaire Ilacu et autres 1452 . Notons également que la seule foisoù la Cour a retenu l’existence d’un isolement total, c’était dans l’affaire Ivantoc 1453 .299A la lumière de l’ensemble de la jurisprudence européenne en la matière, nous estimonsqu’elle n’est pas à même de contribuer à limiter la fréquence et la rigueur du recours à l'isolement ouà des régimes de sécurité renforcée, encore moins à les supprimer. A l’exception de l’arrêt Mathew,mais dans lequel l’état physique de l’intéressé a beaucoup pesé, et dans l’arrêt Van der ver, c’est lamesure des fouilles à corps qui étaient visée plus que les restrictions des contacts et activités, la Courn’a pas condamné la rigueur des régimes d’isolement appliqués à l’égard des détenus considéréscomme dangereux et ne présentant pas de problèmes de santé physique. Aussi, alors que ladangerosité des détenus, en raison notamment de la nature des infractions commises et des tentativesd’évasion, sont les motifs d’isolement le plus fréquents, aucune limite n’est émise dans la durée, nidans la privation des contacts et des activités. La jurisprudence européenne ne fait pas de distinctionentre contacts privés affectifs, contacts privés sociaux et contacts publics. Ceux avec la famillecomptent autant que ceux avec les codétenus et même avec les gardiens 1454 , l'avocat 1455 , les visiteurs,l'aumônier, les médecins et les infirmières 1456 . Même la possibilité du détenu de quitter sa cellulepour aller vider son seau avait été considérée par la Commission comme un contact social 1457 . Si bienqu'à moins d'imaginer des examens médicaux à distance et des techniques d'approvisionnement desdétenus en nourriture à distance, la Cour ne sanctionnera jamais la privation de contacts humains.Alors qu'une distinction devrait être faite entre contacts privés affectifs, contacts privés sociaux etcontacts publics. Chacun de ces types de contacts joue un rôle différent dans la vie d'un homme etnécessaire pour son bien être et son équilibre psychique et social. Les seules garanties clairementapportées par la Cour sont d’ordre procédural.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...ratification, revêtent un caractère particulièrement grave et cruel et doivent dès lors être considérés comme desactes de torture au sens de l’article 3 de la Convention », Ibid., § 440 .1452 « Pris dans leur ensemble et compte tenu de leur gravité, de leur caractère répétitif et du but auquel ilstendaient, les traitements infligés à M. Ivanoc ont provoqué des douleurs et souffrances « aiguës » etrevêtaient un caractère particulièrement grave et cruel. Force est de considérer l’ensemble de ces agissementscomme des actes de torture au sens de l’article 3 de la Convention », Ibid., § 447.1453 Ivanoc a été détenu depuis sa condamnation en 1993 en régime d’isolement, sans contact avec d’autresdétenus et sans la possibilité d’avoir accès aux journaux. Il a été privé de la possibilité de voir un avocat. Sesseuls contacts avec le monde extérieur étant les visites et des colis de son épouse, sous réserve de l’autorisationdélivrée par les autorités pénitentiaires selon leur bon vouloir. « De l’avis de la Cour, de tels traitements étaientde nature à engendrer des douleurs ou des souffrances, tant physiques que mentales, qui ne pouvaient qu’êtreexacerbées par l’isolement total de l’intéressé et susceptibles de lui inspirer des sentiments de peur, d’angoisseet de vulnérabilité propres à l’humilier, à l’avilir et à briser sa résistance et sa volonté… », Ibid., § 446.1454 D 8395/78 (X/Danemark), préc., p. 58 ; D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 158.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081455 D 8395/78 (X/Danemark), préc., p. 58.1456 D 8395/78 (X/Danemark), préc., p. 58 ; D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 158.1457 D 7630/76 (Reed/RU), préc., p. 165 ; D 8158/78 (X/RU), préc., p. 106 ; D 8395/78 (X/Danemark), préc.,p. 58 ; D 10263/83 (R/Danemark), préc., p. 158.


300B. Les garanties lors du recours à l’isolementJusqu’à l’arrêt de la Grande chambre dans l’affaire Raminez–Sanchez (2006) 1458 , seuls lesorganes préventifs du Conseil de l’Europe avaient expressément recommandé d’entourer lesdécisions de recours à l’isolement et de son renouvellement d’un certain nombre de garanties afin delimiter à la fois sa gravité et l’arbitraire. Cette préoccupation est constante pour le CPT qui se dit« particulièrement préoccupé » des personnes détenues dans de tels régimes impliquant « un risqueélevé de mauvais traitements ». Quant au Comité des Ministres, c’est dans la RecommandationR(82)17 relative à la détention et au traitement des détenus dangereux qu’il a pour la première foisémis quelques règles protectrices des personnes placées en isolement. Toutefois, les Règlespénitentiaires européennes sont restées silencieuses jusqu’à leur révision en 2006. Quant à la Cour,c’est à l’occasion de l’affaire Sanchez-Ramirez, qu’elle a consolidé un bon nombre de garanties deces deux organes préventifs. Nous présenterons les garanties de fond (1) et de forme (2)recommandées par ces trois organes du Conseil de l’Europe.1. Les garanties de fondA part la nécessité de maintenir des contacts humains et des activités, le maximum possiblepar rapport à la détention ordinaire, que seul le CPT a expressément recommandé afin d’atténuer larigueur de ces régimes, les autres garanties de fond concernent les motifs, la durée et le suivimédical.Les motifs. Jusqu’en 2006, seul le CPT s’était montré exigeant concernant cette garantie enrecommandant une motivation circonstanciée, par des motifs « précis », « sérieux » et« régulièrement révisés ». La motivation ne doit pas être « stéréotypée » ni « succincte » : elle ne doitpas viser de buts punitifs et doit toujours être d’actualité. Ainsi, il a estimé que la motivation qui secontente d’invoquer l’infraction commise ou une tentative d’évasion quelques années auparavant estsuccincte et datée, autant dire qu'elle est indéterminée (France 1459 ). Il a également exprimé soninquiétude sur la pratique d’un usage punitif déguisé et a ouvertement condamné, à deux reprises, untel usage constaté en Italie 1460 . En 2006, les Règles pénitentiaires européennes sont venues renforcer<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081458 CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc.1459 Des motivations telles que : « pour prévenir un risque d’évasion » ou « en vertu des faits ayant conduit à sacondamnation ». Le CPT a noté dans son rapport de visite en France en 2003 : « Suite aux évènements deClairvaux, vous êtes placé à l'isolement par mesure d'ordre et de sécurité", "par mesure d'ordre et de sécurité,compte-tenu de vos antécédents de tentative d'évasion et de risques sérieux de trouble à l'ordre de ladétention », CPT/Inf(2004) 6, Rapport de visite, France, du 11 au 17 juin 2003, § 55.1460 « En observant le système en question de manière attentive (le régime spécifique de détention prévu parl'article 41 bis de la loi pénitentiaire qui est parmi les plus durs rencontrés par le CPT), il pourrait même venir àl'esprit qu'un objectif non déclaré du système est d'agir comme un moyen de pression psychologique en vue deprovoquer la dissociation ou la collaboration. A cet égard, le CPT a rappelé le principe général selon lequel unepersonne est envoyée en prison à titre de sanction et que cette sanction doit être limitée à la privation deliberté », CPT/Inf(97)12, Rapport de visite, Italie, du 22 octobre au 6 novembre 1995, § 194. « Le CPT émet


301ces garanties en recommandant aux droits nationaux non seulement de « déterminer » les motifs durecours à l’isolement (Règle 53 1461 ), mais aussi de réserver cette mesure à des cas exceptionnels(Règle 53.1 1462 ) et de ne pas l’appliquer de manière discriminatoire (Règles 53.6 1463 ), ni à titre punitif(53.1). C’est en cette même année que la Cour a expressément consacré l’ensemble de ces garanties.Elle a, d’une part, réclamé la limitation de l’usage de l’isolement, qu’elle reconnaît être « une sorted’emprisonnement dans la prison 1464 », à des cas exceptionnels et avec beaucoup de précautions 1465 ,et d’autre part, une motivation des décisions de prolongation qui soit « substantielle », et au fil dutemps, « de plus en plus approfondie et convaincante » 1466 .La durée. Dans sa Recommandation de 1982 précitée, le Comité des ministres avait incité lesEtats à limiter la durée de l’isolement aux besoins invoqués (art. 8) 1467 . Le CPT a, par la suite,précisé qu'elle doit être « la plus brève possible 1468 ». La Cour y a souscrit sans pour autant fixer unedurée au-delà de laquelle l’isolement devient un traitement inhumain ou dégradant 1469 . Toutefois, en2006, les Règles pénitentiaires recommandent aux droits nationaux de déterminer la durée de cesmesures (53.3 1470 ). Dans l’arrêt Sanchez Ramirez, la Cour a implicitement adopté cette garantiepuisqu’elle a regretté qu’ « aucune durée maximale ne soit prévue pour le maintien àl’isolement 1471 », sans pour autant fixer, elle-même, une telle durée.également de sérieuses réserves quant au contenu même de l'article 72 du Code pénal, aux termes duquel lescondamnés à perpétuité concernés sont systématiquement assujettis au régime du placement à l’isolement pourune certaine durée, déterminée par le tribunal qui prononce la condamnation », CPT/Inf (2006) 16, Rapportrelatif à la visite en Italie du 21 novembre au 3 décembre 2004, § 91.1461 « La nature de ces mesures, leur durée et les motifs permettant d’y recourir doivent être déterminés par ledroit interne » (53.3).1462 « Le recours à des mesures de haute sécurité ou de sûreté n’est autorisé que dans des circonstancesexceptionnelles » (53.1).1463 C'est-à-dire qu’il doit être appliqué à des individus et non à des groupes de détenus.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1464 CEDH, Ramirez-Sanchez (2006), préc., § 139.1465 « Il conviendrait par ailleurs de ne recourir à cette mesure, qui représente une sorte ‘d’emprisonnementdans la prison’, qu’exceptionnellement et avec beaucoup de précautions, comme cela a été précisé au point53.1 des règles pénitentiaires », CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc. § 139.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1466 « Toutefois, les décisions de prolongation d’un isolement qui dure devraient être motivées de manièresubstantielle. Les décisions devraient ainsi permettre d’établir que les autorités ont procédé à un examenévolutif des circonstances, de la situation et de la conduite du détenu. Cette motivation devrait être, au fil dutemps, de plus en plus approfondie et convaincante », CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 137.1467 Recommandation n° R(82)17, du Comité des ministres du Conseil de l'Europe aux Etats membres relativeà la détention et au traitement des détenus dangereux, in A. REYNAUD, Les droits de l'homme dans lesprisons, Strasbourg, 1995.1468 CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc., § 56.1469 « La Cour admet que l’application prolongée des restrictions peut placer un détenu dans une situation quipourrait constituer un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 3. Cependant, elle ne sauraitretenir une durée précise comme le moment à partir duquel est atteint le seuil minimum de gravité pour tomberdans le champ d’application de l’article 3 de la Convention », Gallico c. Italie, préc., § 21.1470 La nature de ces mesures, leur durée et les motifs permettant d’y recourir doivent être déterminés par leUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008droit interne (53.3).1471 CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 137.


302Examen médical. Le CPT estime que la personne en isolement doit être visitée régulièrementpar un médecin 1472 . La Cour n’a pas appuyé cette garantie, du moins, en ce qui concerne le suivipsychologique ou psychiatrique : la Convention n’impose pas aux autorités une telle obligationgénérale, a-t-elle déclaré 1473 . Elle exige seulement un contrôle périodique de l’état de santé pours’assurer de sa compatibilité avec le maintien à l’isolement 1474 .2. Les garanties de formeDepuis son deuxième rapport général d'activités, en 1993, le CPT demande à ce que desprocédures claires soient appliquées concernant le recours aux mesures d’isolement 1475 . Cettedemande est devenue une règle que les Règles pénitentiaires de 2006 ont adopté (53.2 1476 ). La Cour aprécisé que ces procédures doivent respecter, aussi bien lors de la décision initiale que lors desdécisions de renouvellement, les garanties élémentaires du contradictoire et le droit de recours.Information du motif d’isolement, audition du détenu et assistance juridique. Selon le CPT,le détenu doit être entendu par l'autorité compétente, préalablement à la prise de la décision et lesmotifs de placement en isolement doivent lui être communiqués sauf si « des raisons impératives desécurité s'y opposent » 1477 , et une assistance juridique devrait lui être assurée 1478 .L’approbation de la décision par l’autorité compétente. Cette garantie est recommandée parles Règles pénitentiaires (53.4).Droit de recours. Le droit de recours devant une autorité indépendante, de préférence unjuge, est réclamé par le CPT dès 1992 1479 . Il est repris dans les Règles pénitentiaires de 2006 1480 et<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1472 CPT/Inf (91) 12, Rapport de visite, Danemark, du 2 au 8 décembre 1990.1473 A propos du grief d’absence d’examen médical psychologique ou psychiatrique, la Cour a déclaré qu’ellene peut pas imposer une obligation générale d’assurer un tel contrôle, Rohde c. Danemark, préc., § 108 ; Voiraussi Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 139.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1474 CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 139.1475 CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc., § 55.1476 « Des procédures claires, à appliquer à l’occasion du recours à de telles mesures pour tous détenus, doiventUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008être établies » (règle 53.2).1477 CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, préc., § 55. « De plus, les détenus devraient, danstoute la mesure du possible, être tenus pleinement informés des motifs de leur placement et, le cas échéant, deson renouvellement ; ceci leur permettra notamment de faire un usage effectif des voies de recours contre cettemesure », CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, préc., § 32.1478 Cette recommandation est faite dans un Rapport du CPT aux autorités françaises de prévoir, à l'instar de laprocédure disciplinaire, l'accès à un conseil juridique pour les détenus à l'égard desquels une mesured'isolement est envisagée, CPT/Inf(2004) 6, Rapport de visite, France, préc.1479 CPT/Inf (93) 2, Rapport de visite, France, préc ; § 146 ; CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activitésdu CPT, préc., § 33.1480 Les règles pénitentiaires parlent de droit de porter plainte : « Tout détenu soumis à de telles mesures a ledroit de déposer une plainte selon la procédure prévue à la règle 70 ».


303réitéré périodiquement à l’égard de certains Etats (CPT 2003, France 1481 ). La Cour est venueconsacrer ce droit et préciser qu’il doit s’agir d’un recours effectif au sens de l’article 13 tel que nousl’avons présenté dans la partie concernant l’application générale de l’article 3. Il doit, entre autres,s’agir d’une autorité indépendante 1482 , juridictionnelle 1483 , disposant du pouvoir d’examiner à la foisla forme et le fond de l’affaire, notamment le bien-fondé et la motivation d’un recours àl’isolement 1484 .Révision périodique de la décision d’isolement. Tout placement en isolement doit être révisépériodiquement afin d’évaluer la nécessité de prolonger une telle mesure (CPT 1485 , Cour 1486 ). A cetégard, la Cour exige, d’une part, « un examen évolutif des circonstances de la situation et de laconduite du détenu » et une motivation dans le temps de « plus en plus approfondie etconvaincante » 1487 , et d’autre part, l’instauration d’un « contrôle régulier de l’état de santé physiqueet psychique du détenu, permettant de s’assurer de sa compatibilité avec le maintien àl’isolement 1488 ». Elle n’accorde pour autant pas d’importance aux avis médicaux qui ne cautionnentplus l’isolement d’une personne en l’absence des certificats prouvant l’existence des conséquencesnéfastes 1489 .Aussi, le Conseil de l’Europe ne condamne-t-il pas l’usage de l’isolement et autres régimesde sécurité renforcée. Il exige seulement d’entourer leur usage d’un nombre de garanties pour limiterleur gravité et contrer l’arbitraire. C’est alors au regard de ces garanties que nous examineronsl’usage de tels régimes par les droits nationaux.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1481 « Quant aux voies de recours contre les décisions de mise à l'isolement administratif, la situation n'a guèreévolué non plus dans le sens positif préconisé par le CPT…», CPT/Inf(2004) 6, Rapport de visite, France,§ 55..1482 CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 145.1483 Ibid, § 165.1484 Ibid, §§ 145, 165.1485 « Il va de soi qu'un détenu ne demeure pas soumis à un régime spécial de sécurité plus longtemps que nel'exige le risque qu'il représente. Il y a donc lieu de revoir régulièrement la décision de placement. De tellesrévisions devraient toujours être basées sur une évaluation permanente du détenu par un personnelspécifiquement formé à une telle évaluation », CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, préc.1486 Si la Cour ne retient pas une durée précise comme le moment à partir duquel est atteint le seuil minimumde gravité pour tomber dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention, en revanche, « elle se doitde contrôler si, dans un cas donné, la prolongation des sanctions se justifiait ou si, au contraire, elle constituaitla réitération de restrictions ne se justifiant plus », CEDH, Gallico c. Italie, préc., § 21.1487 CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 137.1488 Ibid., § 139.1489 « Même s’il est vrai qu’après le 13 juillet 2000, les médecins ne cautionnaient plus la mise à l’isolement,aucun des certificats médicaux rédigés à l’occasion des décisions de maintien à l’isolement du requérantjusqu’en octobre 2002 n’a mentionné expressément la constatation de conséquences néfastes de l’isolement surla santé du requérant, que ce soit physique ou psychique, ni demandé expressément une expertisepsychiatrique », CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC], préc., § 141.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


304§ 2. L’application des régimes à risque dans les droits nationauxLes droits nationaux admettent qu'ils pratiquent l'isolement. Outre qu'ils utilisent le terme« isolement », ils distinguent ce régime du régime ordinaire, ainsi que d’autres régimes de sécuritérenforcée (A) et entourent la décision du recours à cette mesure de certaines garanties (B).A. L’application des régimes de sécurité renforcéeLe droit grec ne connaît que l’isolement. Le droit français, lui, connaît en plus del’isolement, le régime des D.P.S. (Détenus Particulièrement Surveillés). Bien que les autoritésfrançaises se soient défendues devant le CPT d'appliquer des régimes spéciaux en soutenant que cesdeux régimes sont ordinaires, en réalité, aussi bien le régime de D.P.S. (1), que celui d’isolement (2),sont régis par une réglementation spéciale 1490 .1. Le régime de D.P.S. en FranceL'affectation d'un détenu à ce régime est automatique. Elle est fondée sur une liste établie parle ministre de la Justice. Suivant l'article D 276-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédactionissue du décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998, les conditions de l'inscription d'un détenu à la listedes D.P.S et de sa radiation sont déterminées par des instructions ministérielles. Les critères surlesquels peut être fondée une telle inscription sont : la nature de l'infraction commise, notammentpour association de malfaiteurs et pour crime organisé ou professionnel, et les risques d'agressionou d'évasion 1491 .Le CPT, dans son Rapport suite à la visite en France en 1996, ayant relevé que le D.P.Scomporte plusieurs restrictions par rapport au régime ordinaire, l'avait classé parmi les régimesspéciaux 1492 . Or, dans sa réponse à ce rapport, le gouvernement a nié cette classification en arguantque « le répertoire des D.P.S. n'entraîne pas de modifications du régime de détention ». Pourtant lescirculaires qui réglementent ce régime 1493 contredisent cette réponse. Elles prévoient que les détenus« ne doivent pas être employés aux services généraux ni aux ateliers ne présentant pas de sécurité<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008suffisante », et qu'ils « doivent faire l'objet de consignes plus strictes relatives aux modalités desurveillance, à l'organisation des fouilles et de divers contrôles ». Plus encore, en 2006, lecommissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a qualifié ce régime de « régime1490 Voir G. CLIQUENNOIS, « L’isolement dans les prisons en France : un instrument de gestion actuarielledes risques ? », ZINGONI-FERNAN<strong>DE</strong>Z Malena et GIOVANNINI Nicola (dir .), La détention en isolementdans les prisons européennes, préc., pp. 97 es.1491 CPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, du 27 septembre au 9 octobre, §§ 160-161.1492 CPT/Inf(98) 7, Rapport de visite, France, du 6 au 18 octobre 1996.1493 Le répertoire des D.P.S., créé en 1967, a fait l'objet d'aménagement par les circulaires du 14 août 1970, du29 mars 1971, du 7 novembre 1975, du 19 mai 1980 et du 26 juillet 1983.


305d’isolement ‘renforcé’ 1494 ». Le CPT a, dans son dernier rapport de visite, rejoint cette analyse etformulé un nombre des garanties qui devraient entourer le recours à cette mesure. Il s’agitnotamment : de remplacer la base de son encadrement normatif actuel par une réglementation d’unevaleur normative supérieure ; de motiver la décision du recours à cette mesure ; de communiquercelle-ci à l’intéressé ; de garantir une voie de recours ; et d’assurer effectivement la révisiontrimestrielle actuellement prévue mais inappliquée 1495 . Il a même relevé, à part ce régime D.P.S. ainsique celui de l’isolement que nous allons examiner par la suite, l’existence d’autres régimes spéciaux« officieux » : celui de détenu « suivi », à la Maison d’arrêt de Fresnes, de détenus dits « à hautrisque », à la Maison centrale de Moulins-Yzeure ; ou celui de la « Liste 2 », à la Maison d’arrêt deSeysses. Il s’agit de classifications internes décidées par le directeur de l’établissement en raison dela dangerosité du détenu 1496 .2. Le régime d’isolementSon caractère de régime spécial ne fait pas de doutes. Régime d’isolement ne signifie passimplement vivre seul dans une cellule. Ce qui d’ailleurs, pourrait être considéré plutôt comme unefaveur, vu les problèmes de surpopulation que connaissent les prisons et la violence que celle-cigénère. Le fait que les droits nationaux prévoient que les détenus peuvent demander le placementsous un tel régime pourrait laisser entendre qu'il s'agit d'un régime de faveur. Mais une telle demanden'a lieu qu'en désespoir de cause pour éviter la promiscuité faute de reconnaissance d'un droit à vivredans une cellule individuelle dans le régime de détention ordinaire ou faute de possibilité matériellede satisfaire ce droit à cause notamment de la surpopulation 1497 .En réalité, l'isolement sert avant tout de mesure d'ordre et de sécurité. Il consiste à placer ledétenu seul dans une cellule qui se trouve dans un quartier à part, dans un lieu de détention où lesconditions de vie renvoient à une image de l'homme réduit à sa stricte dimension animalière.L'exemple de certaines prisons françaises est à ce propos illustratif. Les cellules sont composées dedeux parties séparées d'un grillage qui sert de deuxième porte à l'intérieur de la cellule. Ce dispositifpermet de communiquer avec l'isolé (y compris de lui passer la nourriture et autres objets), tout en lemaintenant derrière le grillage, dans cet espace qui donne l'image d'une cage 1498 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081494 « Il existe en outre un régime d’isolement ‘renforcé’ pour les détenus considérés comme particulièrementdangereux ‘en raison de [leur] appartenance au grand banditisme ou à une mouvance terroriste ou de [leur]passé judiciaire et pénitentiaire », CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France,préc., § 126.1495CPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, préc., § 160 et s.1496 Ibid., § 165.1497 Comme c’était le cas dans l’affaire Peers c. Grèce, précitée.1498 « Elles ont une surface de 7,50 m2, et divisée en deux parties par une grille la partie la plus petite sertd'entrée permettant de pénétrer dans la cellule sans être au contact immédiat du détenu qui se trouve derrière lagrille », M. SEY<strong>LE</strong>R, L'isolement en prison, CESDIP, Etudes et données pénales, n° 60, 1990, p. 53.


306A part le placement solitaire du détenu dans une telle cellule, le quartier d'isolement est régipar un dispositif comportant nombre de restrictions supplémentaires à celles du régime ordinaire.Tout déplacement à l'intérieur de la prison (visites, douches, promenade et autres), est organisé demanière à éviter les rencontres avec les codétenus, des visiteurs et des intervenants extérieurs. Lapromenade a lieu dans des cours réservées aux isolés, où ils doivent se rendre seuls ou deux pardeux, et elle est de durée plus courte que celle du régime ordinaire. Les isolés sont privés d'activitésen commun, qu'il s'agisse du travail, de la formation, des cours ou des activités sportives etcréatrices. Ces restrictions sont pour l’essentiel reconduites par le décret de 21 mars 2006 1499 . Ce quirend indéfendable devant le CPT, la thèse du gouvernement français, selon laquelle l’isolement estun régime ordinaire.Certes lorsqu'il est demandé par le détenu lui-même (art. D 283-2 CPP), l'isolement peut nepas poser de problèmes au regard de la Convention, ne serait-ce qu'en raison des motifs qui nepermettent pas de le soupçonner de servir des buts punitifs masqués, et en raison du contrôle de ladurée. A priori, il devrait être mis fin à l'isolement sur demande du détenu ou sur ordre médical. Enrevanche, il pose de tels problèmes lorsqu'il est ordonné par le juge d’instruction, ou par le chef del'établissement. Dans ces deux cas, l'isolement est une mesure de contrainte fondée, le premier, surdes besoins de l’instruction (art. 145-4 et D 56 CPP français), et le second, sur les motifs évasifs deprécaution et de sécurité (art. D 283-1 CPP français). De surcroît, il est de durée indéterminée et peutatteindre des années. L’article D 283-17 al. 3 du Code de procédure pénale prévoit la possibilité,certes exceptionnelle, mais possible de le prolonger au-delà de deux ans sans fixer de limitemaximale.Par ailleurs, un aveu implicite est constitué en ce que l'isolement est une mesure nuisible,certaines garanties sont présentes lors de son application alors qu'elles sont absentes du recours aurégime des D.P.S.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...B. Les garanties lors de leur applicationUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le régime de D.P.S., pratiqué en doit français, n’est toujours entouré d’aucune des garantiesexigées par les organes du Conseil de l’Europe, alors que le CPT en demande depuis 1991 1500 . Seull’isolement s’est progressivement plié à la plupart de ces garanties européennes et seulement enFrance. En Grèce, on peut à la lecture du Code pénitentiaire, déduire que l’isolement carcéral1499 Décret nº 2006-338 du 21 mars 2006, JO du 23 mars 2006.1500 Le CPT souhaite obtenir des autorités françaises des informations détaillées au sujet des D.P.S. etnotamment : - la base légale de cette qualification, ainsi que ses critères d'attribution ; - les modificationséventuelles de régime qu'entraînerait ce statut ;- les garanties offertes aux D.P.S. (possibilité de faire valoir sonpoint de vue auprès de l'autorité compétente avant qu'une décision finale ne soit prise ; information du détenudu motif de son classement comme D.P.S. et forme prise par celle-ci ; possibilité d'introduire des recours ;existence de procédures de révision automatique, etc., CPT/Inf (93) 2, Rapport de visite, France, préc., § 149.


307n’existe pas depuis 2002, date de mise en vigueur de ce Code. Aucune règle ne le réglementecontrairement au Code précédent qui limitait les motifs, sa durée au strict minimum 1501 , prévoyait lavisite médicale quotidienne ainsi que la fin de son application en cas de contre-indicationmédicale 1502 . Seul l’article 65 §2 du Code pénitentiaire rappelle son existence en le mentionnantlaconiquement parmi d’autres moyens de contrainte « l'enfermement dans une cellule spéciale »,dont l’application est décidée par le Conseil de la prison 1503 .Le droit français a, quant à lui, procédé à deux réformes de la mesure d’isolement suite auxcritiques du CPT depuis 1991 1504 : une réforme en 1998 1505 (jugée pourtant inefficace par le CPT auvu de son inapplication constatée en 2001 1506 et en 2003 1507 ), et une réforme en 2006 1508 . Cesgaranties concernent à la fois le fond (1) et la forme (2).1. Les garanties de fondDes motifs limitatifs de la décision. En droit grec, les motifs autorisant la mise en isolementsont limités aux risques de contagion d'une maladie et à la dangerosité du détenu pour lui-même oupour autrui (art. 93 CRFTD) 1509 . Le droit français précise que le chef d'établissement peut le décidersur sa propre initiative pour des raisons de protection et de sécurité mais aussi sur demande dudétenu (art. D 283-2 CPP). Toutefois le CPT a, lors de sa visite de 2000, constaté que, outre lamotivation souvent stéréotypée, « pour préserver l'ordre de l'établissement », « pour prévenir unrisque d'évasion », il a trouvé, une personne en isolement « en vertu des faits ayant conduit à sacondamnation » et même pour des motifs disciplinaires laissant déduire que l’isolement estégalement utilisé comme alternative à une mesure disciplinaire ou pour prolonger celle-ci. Le décret1501 Il doit être mis fin à un isolement « dès que les raisons pour lesquelles il a été imposé ont cessées » (art. 93CRFTD).1502 Exigence de l'avis du médecin de l'établissement si les détenus présentent des « réactions psychogènes enraison de la détention ou affection psychique ou autre dérangement de leurs facultés mentales » (art. 94 § 1CRFTD).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1503 Composé du directeur de la prison, un assistant social et un scientifique. Ce dernier peut être uncriminologue ou un juriste, mais aussi un psychologue, sociologue, enseignant, ou un vétérinaire, (art 10, § 1C. pénit.).1504 CPT/Inf (93) 2, Rapport de visite, France, préc.1505 Décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998.1506 S'agissant de l'isolement administratif, le CPT avait fait part, dans son rapport relatif à la visite de 2000, deses vives préoccupations quant à la durée de l'isolement et au régime appliqué aux détenus isolés. Il avaitégalement formulé des recommandations quant à l'efficacité des garanties procédurales entourant l'isolementadministratif, CPT/Inf(2004) 6, Rapport de visite, France, préc., § 55.1507 « Quant aux voies de recours contre les décisions de mise à l'isolement administratif, la situation n'a guèreévolué non plus dans le sens positif préconisé par le CPT, la réflexion annoncée par les autorités françaisesdans leur réponse au rapport sur la visite de 2000 semblant avoir connu le même sort que le projet de loipénitentiaire », Ibid.1508 Décret n° 2006-338 du 21 mars 2006 relatif à l’isolement des détenus, JO du 23 mars 2006, p. 4349.1509 Selon l'article 93 du Code des règles fondamentales pour le traitement des détenus, le directeurd'établissement peut l'ordonner pour des raisons « d'apaisement, d'observation ou de précaution, mais jamais àtitre punitif, à l'encontre des détenus souffrant de maladies contagieuses ou des détenus dangereux pour euxmêmesou pour les autres ».Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


308du 21 mars 2006 a insisté sur les critères d’appréciation des motifs de « précaution » et de« sécurité » pour la prolongation de l’isolement au-delà de deux ans. Celle-ci ne peut avoir lieu qu’àtitre exceptionnel, si l'isolement est l’unique moyen pour assurer la sécurité (D 283-1-7, al. 3, CPP)et compte tenu de la « dangerosité particulière » du détenu (D 283-1, al.4, CPP). Pourtant le CPTconstatait encore, en octobre 2006, que ce régime sert des fins détournées. Il sert, d’une part, à gérerles détenus gravement perturbés ou présentant des affections psychiatriques graves dans l’absence deperspective d’une prise en charge psychiatrique institutionnelle ; d’autre part, il sert à des finsdisciplinaires : parmi les motifs consignés, figurent les tentatives d’évasion, les agressions contre dessurveillants ou les violences contre des détenus 1510 .Le régime. Il est décrit essentiellement dans l’article D 283-1-2 du Code de procédurepénale. L’isolement consiste à l’encellulement individuel. Les détenus conservent le droit des’informer, de correspondre, à recevoir des visites et d'exercer leur culte. Mais ils sont privés decontacts avec les codétenus et d’activités en commun, y compris de promenade avec d’autresdétenus. C’est uniquement sur autorisation spécifique du chef de l’établissement que des activités encommun, peuvent être autorisées ou organisées spécialement pour les détenus à l’isolement.Le suivi médical. Il vise à assurer les autorités pénitentiaires que le détenu est apte à subirl'isolement et à continuer à le subir. La fréquence n’est pas précisée. Il est seulement indiqué que laliste des personnes en isolement est communiquée quotidiennement à l’équipe médicale qui effectueses visites conformément à l’article D 381, al. c du Code de procédure pénale. Néanmoins, le Comitéeuropéen contre la torture a constaté l'insuffisance de ces visites. Des médecins et des infirmières ontreconnu que, dans l'impossibilité de faire face aux obligations légales, le certificat était, la plupart dutemps, rempli de manière stéréotypée, sans que le détenu ait été vu et sans qu'un certificat soitdressé 1511 . De toute manière le pouvoir médical est limité à un simple avis 1512 . Les directeurs desprisons ne sont pas obligés de s’y conformer.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La durée. L'absence de fixation de durée maximale à l'isolement caractérise le droit français.Malgré les efforts faits par la circulaire du 12 juillet 1991 1513 pour limiter la durée de l'isolement, descas d'isolement très longs n’avaient toujours pas disparus en 2000, date d’une visite du CPT 1514 .Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Toutefois dans le décret du 21 mars 2006, il n’est pas non plus fixé de limite maximale. Il estseulement précisé qu'au-delà de deux ans, la prolongation de l’isolement doit être exceptionnelle et1510 CPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, préc., §§ 155-159.1511 Le CPT n'a trouvé que de « certificats médicaux stéréotypés extrêmement sommaires », CPT/Inf(98)7,Rapport de visite, France, préc., § 161.1512 « Il appartient au médecin d’émettre un avis sur l'opportunité de mettre fin à une mesure d'isolement auregard de l'état de santé de l'isolé » (art. D 283-1 et D 381 CPP).1513 Circulaire n° AP.91.05.GA1.12.7.91.1514 En exigeant que chaque mesure dépassant la durée d'un en soit signalée à la direction centrale, des casd'isolement très longs n’avaient toujours pas disparus en 2000, date d’une des visites du CPT, CPT/Inf(2001) 10, Rapport de visite, France, préc.


309spécialement motivée (art. D 283-1-7, al. 3, 4 CPP). Il est également précisé que la durée del’isolement préventif, qui peut être de cinq jours, s’impute sur la durée totale (D 283-2-4 et R 57-9-10) et que pour éviter des isolements longs par le biais de courtes interruptions, si l’interruption estinférieure à un an, la durée précedente s’impute à la durée totale de l’isolement (D 283-1-8 CPP 1515 ).Enfin, en cas de transfèrement d’un détenu en isolement dans de nouvelles prisons, une nouvelledécision doit être prise dans les quinze jours. Autrement, il doit être mis fin à cette mesure (art. D283-1-9 CPP).2. Les garanties de formeEn droit grec, à part la précision sur l’auteur de la décision du recours à l’isolement, qui estle directeur de l’établissement, aucune autre garantie procédurale n'est prévue.En revanche, le droit français prévoit, depuis la circulaire du 12 juillet 1991, un nombre degaranties, dont certaines sont reprises par les décrets du 8 décembre 1998 1516 et du 21 mars 2006précité. L’isolement des prévenus peut être décidé par le juge d'instruction (art. D55-56 CPP) sansautre précision. Celui des condamnés peut être décidé par trois auteurs différents suivant sa durée : ladécision initiale et la première prolongation appartiennent au directeur de l'établissement ; celle de laprolongation au-delà de six mois appartient au directeur régional (art. D283-1-6 CPP) ; et laprolongation au-delà d’un an revient au ministre de la Justice (art. D283-1-7 CPP).La défense de l’intéressé. Le détenu doit pouvoir se faire assister ou représenter par unconseil ou un mandataire de son choix (art. R. 57-9-1, CPP).Un registre des mesures d'isolement est tenu dans chaque prison (art. D 283-1-4 CPP) qui estvisé par des autorités judiciaires et administratives lors de leurs visites de contrôle des prisons (art. D283-1-1- al.4 CPP) et au moins une fois par trimestre (art. D 283-1-1 al. 4 CPP).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Quant aux garanties de la défense, le décret du 21 mars 2006 a incontestablement renforcéles droits de la défense. En plus de la possibilité pour le détenu de faire parvenir au JAP, soit luimême,soit par l’intermédiaire de son conseil, des observations utiles et la possibilité d'exercer unrecours hiérarchique, ce décret a ajouté les garanties suivantes : information du détenu par écrit desmotifs et des délais pour préparer la défense ( art. D 283-2-2 CPP) ; bénéfice d’un interprète s’il necomprend pas la langue française ; motivation de la décision ; notification de celle-ci sans délai à1515 Pour l'application des articles D. 283-1-5 à D. 283-1-7 du code de procédure pénale, lorsque le détenu adéjà été placé à l'isolement, la durée de l'isolement antérieur s'impute sur la durée de la nouvelle mesure sil'interruption de l'isolement est inférieure à un an. Si l'interruption est supérieure à un an, il est fait applicationde l'article (art. D. 283-1-5, CPP).1516 Décret n° 98-1099 du 8 déc. 1998.


l’intéressé (art. D 283-2-3 CPP) ; et droit de recours juridictionnel. Un tel recours était inexistantjusqu’en 2003. La jurisprudence des tribunaux administratifs français était marquée par la constancede l'irrecevabilité des recours à l'encontre des mesures d'isolement au motif qu’elles étaient desmesures d'ordre intérieur 1517 . Le Conseil d’Etat a changé sa jurisprudence à l’occasion de l’affaireRemli 1518 , confirmant l’arrêt rendu dans cette affaire par la Cour administrative d’appel de Paris, le5 novembre 2002 1519 . Le conseil d’Etat a fini par reconnaître, dans l’arrêt Remli, que l’isolementconstitue une mesure entraînant d’ « importants effets sur les conditions de détention » et que, parconséquent, une telle décision peut faire l’objet d’un recours pour « excès de pouvoir » devant lejuge administratif. Pour apprécier sa gravité, le Conseil d’Etat a tenu compte de deuxcritères (dégagés par les articles D 283-1, D 238-2et D 375 du code de procédure pénale quiréglementent l’isolement) : la nature de cette mesure (elle prive la personne de l’accès aux activitéssportives, culturelles, d’enseignement, de formation et de travail collectif » et sa durée (trois moisrenouvelables). Dès lors, une telle mesure étant susceptible de faire grief, l’auteur de la décision doitla motiver de manière circonstanciée. C’est pour ce dernier motif que le Conseil d’Etat a, dans cetteaffaire, retenu l’excès de pouvoir : cette décision n’avait pas été « suffisamment motivée » 1520 .Eu égard aux garanties européennes et nationales, nous estimons que pour l'instant, ni lespremières, ni les dernières, n'offrent d’assises, ni pour faire disparaître l'isolement, ni pour assurer,du moins, des garanties efficaces pour que son usage soit limité à celui d'un moyen de contention enrestreignant les motifs et la durée de son usage. A l’état actuel des garanties européennes etnationales, les motifs de légitimité demeurent larges et la durée peut être longue, soulevant alors desquestions à la fois de légalité et de dignité. Si bien que les critiques exprimées depuis plus d'un siècleet demi sont toujours d'actualité.L'homme sans société, est soit Dieu soit fauve, disait Aristote. Mais pour le droit, même pourcelui des droits de l'homme dans leur conception moderne, l'homme forcé de vivre isolé se trouvedans sa condition humaine. Or, cette condition de l'homme, qui est légitimée de nos jours par letemple même des droits de l'homme en Europe, avait été dénoncée par nos ancêtres depuis la fin de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...la première moitié du XIX e siècle comme une illégalité manifeste de la peine privative de liberté etcomme une forme de torture.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083101517 Voir entre autres exemples de jurisprudence précédente en cette matière : TA Paris 23 mars 1995,Menenger ; CE 28 févr., 1996, Fauqueux ; TA Limoges 30 avril 1998, Morales ; TA Toulouse 11 août 1998,Yvert.1518 CE, 30 juillet 2003, Saïd Remli.1519 M. MAHOUACHI, « Le contrôle juridictionnel des mesures d’isolement administratif en milieupénitencier », Petites Affiches, 12 juin 2003, n° 117, pp. 15-21.1520 Voir aussi la décision Atxurra Egurrola, TA Rouen, 21 déc. 2005, qui a également relevé un autre défautdans la motivation : la seule référence à l’inscription de l’intéressé au registre des D.P.S.


Dès 1840, l'isolement a été critiqué comme être une atteinte à la légalité des peines et unchâtiment corporel. De la Rochefoucault-Liancourt écrivait en cette même année : « Voilà jusqu'oùs'est portée l'aberration de l'esprit humain ; que lorsqu'un homme arrive sans autre condamnation quel'emprisonnement fixé par un arrêt, on lui inflige sur le champ un autre châtiment 1521 », de surcroîtarbitraire, car laissé au pouvoir discrétionnaire des directeurs des prisons 1522 . Plus encore que commeun châtiment arbitraire, il le condamnait comme « un châtiment corporel » 1523 , voire comme unetorture : « Il est curieux de voir quelle gradation on a suivie pour parvenir à appliquer dans ce qu'onpeut appeler l'usage ordinaire, ce tourment affreux d'isolement 1524 ». Aussi, il récusait toutejustification : « Je ne puis approuver le système qui les produit. Je crois qu'il est des principeséternels d'humanité, et pour ainsi dire fondamentaux, auxquels la justice criminelle ne doit pasmanquer. Il n'est pas permis d'user, dans quelque bonne intention que ce soit, de moyens qui sontcriminels devant Dieu ou envers le prochain 1525 . » Des auteurs grecs avaient également dénoncél'isolement dès le XIX e siècle. En plus d'être contraire à la nature humaine et à la légalité des peines,ils estimaient qu'il était contraire au but d'amendement des détenus 1526 . Un procureur près la Courd'appel (chargé d'assurer le contrôle du fonctionnement des prisons) fait partie de ceux qui ont émisles critiques les plus virulentes : « L'Etat doit avoir honte d'aggraver la peine légale de privation deliberté avec la perte par l'homme de sa dignité, de sa propreté, de sa santé et de son humanité que ledétenu n'a pas perdu par sa peine, et qu'il ne doit pas la perdre pour que les gouvernants dormenttranquillement. S'ils ne murent pas les portes des prisons, ils y introduisent la mort et l'indifférencece qui n'est pas moins tyrannique 1527 ». Ces critiques sont, non seulement, toujours valables, maisleur pertinence est renforcée par des recherches médicales et socio-psychologiques.Des études médicales menées au cours du siècle qui vient de s'achever ont qualifiél'isolement carcéral de « torture blanche ». En effet telle est la position de la Commission médicalede la section française d’Amnesty internationale : « A côté de la torture dure brutale, il y a d'autresformes de contraintes, plus insidieuses, plus hypocrites mais non moins capables de réduire unopposant, d'anéantir sa volonté. C'est le cas par exemple de l'isolement. Il se pratique de plus en plusdans les régimes de terreur car il permet de détruire rapidement la personnalité sans trop laisser detraces... Il y a des hommes qui traitent d'autres hommes comme on ne traite pas les chiens. Pour leurfaire peur. Pour les anéantir, les disqualifier, les annuler, les réduire. Pour déshumaniser ce qu'il y a<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083111521 <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> ROCHEFOUCAULT-LIANCOURT, Examen de la théorie et de la pratique du systèmepénitentiaire, Paris, 1840, p. 159.1522 Car il constata à son époque, que, alors que l'isolement était limité à 15 jours par la loi, dans la pratique, lesdirecteurs le prolongeaient de leur propre initiative, « non seulement des mois entiers, mais jusqu'à uneannée », et qu'il « n'était interrompu que par des sorties dérisoires d'une heure à peine », Ibid., p. 243.1523 Ibid., p. 211.1524 Ibid., p. 157.1525 Ibid., pp. 458-459.1526 D. VORRES, « Du meilleur système pénitentiaire pour la Grèce », in Parnassos, 1883, t.Z, pp. 25-41.1527 Propos publiés dans le journal Parnassos, de 1890, et rapportés par A. OIKONOMOU, Trois hommes, t.1,Athènes, 1950, p. 209.


d'humain dans les opposants. Il faut dénoncer cette torture sans coup et sans trace mais qui détruit,comme l'autre 1528 ».312Dans l'affaire Ensslin, Baader et Raspe 1529 , la Commission avait cité les avis des médecinsqui avaient suivi les requérants durant leur isolement. Ceux-ci avaient établi que selon « la littératurepénologique et psychologique internationale... l'isolement peut à lui seul affecter gravement laconstitution physique et psychique », et que les troubles pouvant être décelés sont les suivants :« apathie chronique, fatigue, fragilité émotionnelle, troubles de la concentration, diminution desfacultés mentales, troubles du système neurovégétatif... » Mais ils soulignaient aussi qu'il n'existepas, dans la littérature, d'examens portant sur des situations comparables à celle des requérants quiauraient permis de mieux apprécier les effets d'ordre psychiatriques : « Du point de vue de lamédecine interne, certaines analogies peuvent être trouvées dans les études sur des personnes âgéeset isolées, de personnes maintenues artificiellement en vie dans des unités de soins intensifs, et dedétenus de longue durée 1530 ».Des études pluridisciplinaires, très officielles, pour avoir été menées au sein du ministère dela Justice française afin d'établir les causes de sur-suicide en prison, ont établi que les régimesspéciaux, en l’occurrence les quartiers disciplinaires, sont plus pathogènes que les régimes ordinairesde la détention. Le taux de suicide y est sept fois supérieur au reste de la détention 1531 .La nature de ces critiques n'est pas sans appeler un nombre d’interrogations de compatibilitéde l'isolement également avec des principes d’éthique médicale de nos sociétés démocratiques.Si les autorités judiciaires ou exécutives, en infligeant l'isolement carcéral, ont pris soin de lajustifier par des fins répressives, la déontologie médicale interdit catégoriquement la souffrance nonrendue nécessaire par des fins thérapeutiques. La règle fondamentale du serment d'Hippocrate estbien celle de primum non nocere selon laquelle, si un médecin ne peut pas améliorer la santé de sespatients, il doit au moins veiller à ne pas la détériorer.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Rappelons qu'en Amérique où la question du rôle des médecins se pose à propos de leurparticipation à la peine de mort, ceux qui portent leur concours à son exécution se défendent eninvoquant la légalité et la moralité de cette peine. Cependant l'Association médicale américaine a1528 F. JACOB, Cahiers de la Commission médicale n° 4, AI/SF, juil. 1985, p. 90, cité par la Commissionmédicale de la section française d'Amnesty internationale, Médecins tortionnaires, médecins résistants, éd. LaDécouverte, Paris, 1990, p. 61.1529 D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin, Baader, Raspe/RFA), péc.1530 D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin, Baader, Raspe/RFA), préc., p. 72.1531 La prévention du suicide en milieu pénitentiaire, Rapport, Ministère de la Justice, 1996.


dénoncé cette participation comme non éthique, estimant qu'elle viole le principe éthique le plusfondamental des médecins, celui de primum non nocere 1532 .313Or, des interrogations similaires à propos de leur rôle dans l'isolement et les régimes desécurité renforcée peuvent être soulevées. Rappelons que des médecins, invités à témoigner devant laCommission, ont reconnu que l'isolement détruit peu à peu la santé de la personne 1533 . D’autres lequalifient de « torture blanche » 1534 . Dès lors, l'office qu'ils rendent à l'institution de la prison vamanifestement à l'encontre de leur serment, car il est clair qu'ils assistent à l'observation de ladétérioration progressive de la santé d'un homme permettant aux autorités pénitentiaires, par lesrapports qu'ils rédigent sur l'état de santé, de continuer à lui appliquer ce traitement tant que sa vien'est pas mise en danger.Malgré la multitude et la gravité des critiques, le seul texte émanant d'une instanceinternationale chargée de la protection des droits de l'homme où figurent des propos condamnantl'isolement, dans son principe même, est le Rapport du Conseil économique et social des Nations-Unies sur la détention, voté le 29 août 1988. Il mentionne les conclusions d’un groupe de travailselon lequel l'isolement est bien une forme de punition cruelle, inhumaine et dégradante ne serait-ceque du fait que le détenu est isolé dans un espace réduit et empêché pendant longtemps decommuniquer avec toute autre personne que ses gardiens ce qui comporte le risque de contracter unsentiment d'insécurité ou des troubles mentaux permanents 1535 . De surcroît, « plusieursmembres du groupe de travail ont fait valoir qu'il constitue une forme aggravée d'emprisonnement etqu'il sert souvent à punir les détenus ou les personnes purgeant une peine de prison ».En Europe, rien de tel encore. Si le CPT partage, plus encore que le Comité des Ministres etla Cour, ces mêmes inquiétudes, il ne va pas jusqu’à demander sa suppression au nom de la dignité.En revanche, la remarque du CPT dans son rapport (1997) adressé à l’Italie, permet d’entrevoir soninterrogation sur la compatibilité de l’isolement avec la légalité de la peine : « A cet égard, leprincipe général selon lequel une personne est envoyée en prison à titre de sanction et que cettesanction doit être limitée à la privation de liberté, peut utilement être rappelé », a-t-il souligné 1536 .Enfin, nous pouvons entrevoir une lueur d’espoir dans l’arrêt Sanchez Raminez de la Grande<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081532 American Association for the Advancement of Science, The Breaking of Bodies and Minds, préc., p. 10.1533D 7572/76, 7586//76, 7587/76 (Ensslin, Baader, Raspe/RFA), préc. ; R 8463/78 (Möller etKröcher/Suisse), préc.1534 F. JACOB, Cahiers de la Commission médicale, préc., p. 61.1535 « L'administration de la justice et les droits de l'homme des détenus : question des droits de l'homme dansle cas de personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement », ONU, Rapport dugroupe de travail sur la détention, E/CN. 4/Sub. 2/1988/28, 29 août 1988, § 34.1536 CPT/Inf(97)12, Rapport de visite, Italie, préc., § 194.


chambre de la Cour dans lequel elle a suggéré aux Etats de trouver des solutions alternatives aurégime d’isolement pour des détenus considérés comme dangereux 1537 .314En revanche, l’évolution des organes du Conseil de l’Europe est plus marquée concernant laquestion de la capacité de certaines personnes à subir une détention même de régime ordinaire.SECTION 4. <strong>LE</strong>S QUESTIONS <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> CAPACITE A SUBIR UNE <strong>DE</strong>TENTIONS’assurer de la capacité d’une personne à subir une détention implique, pour la Cour, d’allerau-delà du contrôle des conditions d’exécution de la peine privative de liberté. C’est entrer dans lasphère des modalités d’application des peines, et donc dans celle de la politique pénale. Ce quiconstitue pour elle la frontière de son pouvoir de contrôle sur le pouvoir punitif des Etats. Devant dessituations où la santé et même l’intégrité physique se détérioraient par le séjour en prison, lajurisprudence européenne ne mettait pas en cause le maintien en détention de la personne. Dans detels cas, elle se pliait aux considérations humanitaires en invitant les Etats de faire preuve d’humanitédans leur justice 1538 .C’est devant l’élaboration de normes en matière pénitentiaire des deux autres organes duConseil de l’Europe, le Comité des Ministres et le CPT, et devant le poids grandissant de ce dernier,que la jurisprudence de la Commission, et ensuite de la Cour, a progressivement évolué. En effet,c’est depuis 1993 que le CPT a reconnu l’existence d’une catégorie de personnes qui seraient inaptesà la détention, à tous le moins à la détention « ordinaire » ou « continue 1539 ». Le Comité desMinistres a également reconnu l’existence d’une telle catégorie dans sa Recommandation de1998 1540 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1537 « Il serait également souhaitable que des solutions alternatives à la mise à l’isolement soient recherchéespour les individus considérés comme dangereux et pour lesquels une détention dans une prison ordinaire etdans des conditions normales est considérée comme inappropriée », CEDH, Ramirez Sanchez c. France [GC],préc., § 146.1538 R 9044/80, (Chartier c. Italie), 8.12.1982, D.R. 33, p. 48, § 53 ; D 7994/77, (Kotalla c. Pays-Bas), 6.5.1978,D.R. 14, p. 238 ; D 21221/93 (L.J. c. Finlande), 28.6.1995.1539 iv. Iincapacité à la détention : « Des exemples typiques sont ceux de détenus qui présentent un pronosticfatal à court terme, ceux qui souffrent d'une affection grave dont le traitement ne peut être conduitcorrectement dans les conditions de la détention ainsi que ceux qui sont sévèrement handicapés ou d'un grandâge. La détention continue de telles personnes en milieu pénitentiaire peut créer une situation humainementintolérable. Dans des cas de ce genre, il appartient au médecin pénitentiaire d'établir un rapport à l'intention del'autorité compétente, afin que les dispositions qui s'imposent soient prises. », CPT/Inf (93), 3e Rapportgénéral d'activités du CPT, préc., § 70.1540 « C. Personnes inaptes à la détention continue: handicap physique grave, grand âge, pronostic fatal àcourt terme : 50. Les détenus souffrant de handicaps physiques graves et ceux qui sont très âgés devraientpouvoir mener une vie aussi normale que possible et ne pas être séparés du reste de la population carcérale. Lesmodifications structurelles nécessaires devraient être entreprises dans les locaux pour faciliter les déplacementset les activités des personnes en fauteuil roulant et des autres handicapés, comme cela se pratique à l'extérieurde la prison », Recommandation n° (98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santéen milieu pénitentiaire, Comité des ministres, 8 avril 1998.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


315C’est cette même année 1998, que la Commission a reconnu pour la première fois,l’incompatibilité de la détention d’une personne malade mentale dans une prison ordinaire alorsqu’elle devrait être détenue dans un lieu hospitalier adapté aux besoins spécifiques de soins. Nouscitons l’affaire Aerts 1541 . Toutefois la Cour n’avait pas suivi la Commission estimant que cettepersonne n’avait pas apporté la preuve des effets 1542 néfastes, de surcroît graves, dus à cettedéfaillance 1543 .C’est seulement en 2001, que la Cour allait franchir la frontière de son contrôle devant lepouvoir des Etats. Il s’agissait de la détention d’une personne gravement handicapée dans desconditions de détention inadaptées à ses besoins. En condamnant l’Etat en cause, le Royaume-Uni,pour une détention dans des conditions inappropriées, et d’après les preuves recueillies, inadaptables,en recommandant aux autorités judiciaires et autres, de s’assurer avant le prononcé d’une peine ou desa mise à exécution, de la possibilité pour une personne d’être détenue dans des conditions adaptéesaux besoins spécifiques de son état de santé ou de son handicap, elle signifiait qu’ils doivent éviterde mettre en détention une telle personne ou d’y mettre fin 1544 .Pour autant la Cour n’érige pas encore aujourd’hui l'obligation générale de libérer un détenu,y compris gravement malade et souffrant d’une maladie difficile à soigner. Elle demande seulementd’examiner chaque cas concret et de trouver des solutions adéquates. Toutefois, dans certainscas, une telle solution peut être la seule adaptée, puisqu’elle accorde beaucoup d’importance àl’existence d’une telle possibilité dans les droits internes, ainsi qu’à l’existence de garanties efficacespour pouvoir effectivement en bénéficier 1545 .Quant à la catégorie de personnes dont la détention est susceptible de soulever une questiond’incapacité à la détention, elle réitère depuis 2002 que « l’état de santé physique 1546 », ou « tableauclinique 1547 », « l’état de santé mentale 1548 », l’âge avancé 1549 , et un « lourd handicap physique 1550 »,« constituent désormais des situations pour lesquelles la question de la capacité à la détention est<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1541 CEDH, Aerts c. Belgique, préc.1542 Tout en reconnaissant qu’il « est déraisonnable d'attendre d'une personne se trouvant dans un état sérieuxde déséquilibre mental qu'elle donne une description détaillée ou cohérente de ce qu'elle a souffert lors de sadétention », Ibid., § 66.1543 Ibid.1544 « En l’espèce, rien ne prouve l’existence d’une véritable intention d’humilier ou de rabaisser la requérante.Toutefois, la Cour estime que la détention d’une personne gravement handicapée dans des conditions où ellesouffre dangereusement du froid, risque d’avoir des lésions cutanées en raison de la dureté ou del’inaccessibilité de son lit, et ne peut que très difficilement aller aux toilettes ou se laver constitue un traitementdégradant contraire à l’article 3 de la Convention. Dès lors, elle conclut à la violation de cette disposition enl’espèce », CEDH, Price c. R.U. , préc., § 30.1545 CEDH, Matencio c. France, préc., § 82 ; CEDH, Gelfmann c. France, n o 25875/03, § 59, préc.1546 CEDH, Mouisel c. France, préc. ; CEDH, Matencio c. France, préc. ; CEDH, Sakkopulos c. Grèce, préc.1547 CEDH, Balyemez, préc., § 86 ; CEDH, Tekin c. Turquie, préc., § 72.1548 CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc. ; CEDH, Keenan c. R.U., préc.1549 CEDH, Papon c. France,(déc.), préc.1550 CEDH, Price c. R.U., préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


316aujourd’hui posée au regard de l’article 3 de la Convention et au sein des Etats membres du Conseilde l’Europe » 1551 . Ces personnes sont en situation vulnérable et leur détention peut alors constituerpour elles une situation de souffrance supérieure à celle inhérente à la détention ressentie par toutdétenu. Or, cette vulnérabilité peut mettre en cause non seulement la détention dans des conditionsordinaires mais aussi la détention en elle-même.Cette catégorie de personnes vulnérables retenue par la Cour est amenée à être élargie,puisque, eu égard aux normes du CPT, des Recommandations du Comité des Ministres et del’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ainsi qu’aux exemples de droit comparé, enl’occurrence le droit grec et français, la question d’incompatibilité avec la détention peut égalementconcerner les mineurs et les femmes enceintes. Enfin, il est implicitement reconnu, par desrecommandations du Conseil de l’Europe, par la jurisprudence de la Cour, ainsi que par desdispositions de droits nationaux qui visent à limiter le temps passé en détention, que la durée peutrendre la peine inhumaine, alors même qu’elle s’exécute dans des conditions ordinaires et s’appliqueà des détenus en état de santé et de condition physique ordinaires.En ce qui concerne précisément la question de la compatibilité de l’état de santé avec ladétention, du fait qu’elle se pose également dans le cadre plus précis des obligations en matière desoins assurés aux détenus, elle sera examinée en détail dans la section suivante consacrée à cettequestion. Nous nous limiterons ici à l’examen des garanties européennes et nationales concernant ladétention des personnes vulnérables, soit en raison de leur état physique (§ 1), soit de leur âge (§ 2),ainsi qu’à l’examen des garanties concernant les longues peines (§ 3).§ 1. Les questions fondées sur les états physiques<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La question d’incompatibilité entre le handicap, et autres états de dépendance physique, et ladétention a été la première à faire l’unanimité au sein du Conseil de l’Europe (A). Une autrecondition physique, la grossesse doit également être reconnue comme soulevant la même question.Cela est recommandé par le CPT et l’Assemblée parlementaire au niveau européen, et déjà appliquéen droit grec (B).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081551 CEDH, Matencio c. France, préc., § 76 ; CEDH, Mouisel c. France, préc.,§ 38. La Cour renvoie à cepropos à la Recommandation du Comité des Ministres, R (98) 7 relative aux aspects éthiques etorganisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire.


317A. Handicap physique et de dépendance physique en généralArchitecturalement parlant, les prisons n’ont pas été conçues pour accueillir des personneshandicapées physiques ou dépendantes. Toutefois, de telles personnes n’ont jamais été épargnéespour la mise en détention.Toutefois, depuis l’application de la Convention, et en particulier de l’article 3, les Etats ont,au moins, l’obligation d’assumer des conditions de détention conformes au respect de la dignité. Eneffet, pour les personnes souffrant de handicap physique et de dépendance en général, la Conventioneuropéenne des droits de l’homme n’exige pas leur mise en liberté. Elle exige cependant l’adaptationdes conditions de détention aux besoins spécifiques de la nature de chaque handicap afin de garantiraux personnes concernées l’autonomie de circulation et, en général, la possibilité de suivre la « vienormale » de la détention. C’est en cas de manquement à cette obligation, en raison del’impossibilité d’assurer cette capacité, que la Cour estime que l’obligation qui pèse aux Etats degarantir la santé mais aussi le bien-être des personnes détenues, peut impliquer de mettre fin à leurdétention ou d’éviter leur incarcération. Leur détention peut constituer un traitement dégradant.L’appréciation de la gravité de la détention d’une personne handicapée dépend d’une part, de lanature et du degré de la dépendance et d’autre part, de l’adaptation et de l’adaptabilité des conditionsde détention aux besoins spécifiques de chaque handicap.Ainsi, la dépendance en raison de l’affaiblissement des capacités physiques et intellectuellesdue au grand âge, impose certes l’obligation d’adapter les conditions de détention mais pas de libérerla personne 1552 . Il en est de même d’une incapacité partielle permettant à la personne de disposerd’une certaine autonomie pour s'occuper des gestes quotidiens de la vie en détention. Ainsi, dansl’affaire Matencio, la Cour a souligné que contrairement à Mme Price (arrêt précité) qui étaithandicapée des quatre membres, « le requérant jouissait d'une autonomie » qui lui permettait de« s'occuper des gestes quotidiens de la vie, de son hygiène, de son alimentation, mais surtout depouvoir lire et écrire ce qui paraît pour lui d'une importance capitale 1553 ». Devant de telles situations,l’obligation qui incombe aux Etats est d’aménager les conditions au besoin, de transférer la personnedans une prison offrant des conditions adaptées. C’est dans ce sens que la Cour a jugé dans l’affaire<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mathew. Cette personne, souffrant de problèmes de dos, était détenue dans une cellule au deuxièmeétage sans ascenseur rendant pénibles ses déplacements à la cour de promenade qui se trouvait aurez-de-chaussée, ce qui l’avait souvent conduit à renoncer à s’y rendre. La Cour a conclu que lesautorités pénitentiaires auraient dû faire des efforts pour trouver un lieu de détention ordinaire1552 Comme nous le verrons, ci-après, la Cour ne considère pas que l’âge en soi constitue un critèred’incompatibilité avec la détention., à moins d’être accompagné de problèmes de santé ou de handicap graves,Voir notamment l’affaire Papon c. France (n o 1), précitée.1553CEDH, Matencio c. France, préc.


approprié à son état physique 1554 . Il en a été de même dans l’affaire Vincent qui concernait ladétention d’une personne paraplégique. La Cour a pris en compte le fait que ce détenu « a conservéune mobilité normale des membres supérieurs et est autonome ». Aussi, n’a-t-elle condamné que lesconditions de détention dans une des prisons où il avait été affecté, la centrale de Fresnes. Bien qu’ilait disposé d’un fauteuil roulant, la configuration de la cellule dans cette prison ne lui permettait pasd’être autonome pour y entrer et en sortir sans l’aide d'une tierce personne 1555 . De surcroît, lorsqueson fauteuil est tombé en panne durant cinq jours, il a dû ramper pour se déplacer y compris pouraller jusqu’aux toilettes. Un fauteuil de remplacement lui avait été donné mais son état vétuste lerendait inutilisable. La Cour a conclu « que la détention d’une personne handicapée dans unétablissement où elle ne peut se déplacer, et en particulier quitter sa cellule, par ses propres moyensconstitue un ‘traitement dégradant’ au sens de l’article 3 de la Convention 1556 ». Par contre, la Courn’a pas mis en cause son maintien en détention, qui était en cours lors du prononcé de l’arrêt. Cettepersonne a, entre temps, été transférée dans une prison qui offrait, selon la Cour, un cadre adapté àses besoins 1557 .En revanche, lorsque la non adaptation des conditions de détention est due au refus del’intéressé de les accepter, y compris un transfert, la Cour dispense les Etats de leur responsabilité autitre de l’article 3 de la Convention. Cette instance a statué ainsi dans l’affaire Matencio. Lerequérant avait refusé un transfert proposé pour une prise en charge médicale complète et adaptée àson état de santé nécessitant des séances de kinésithérapie fréquentes 1558 à l'hôpital pénitentiaire deFresnes.C’est seulement dans l’affaire Price et l’affaire Farbtuhs que la Cour a condamné lemaintien même en détention. Dans la première, la personne était totalement privée d’autonomie.Paralysée des quatre membres, elle n’était pas autonome pour les gestes de la vie quotidienne : àsavoir s'alimenter, se laver, se lever de son lit et pour dormir allongé. Au point que, alors qu’elle<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1554 « Il y a eu une violation de l’article 3 de la Convention du fait que le demandeur a été gardé au régimecellulaire pendant une période excessive et inutilement prolongée, qu'il a été gardée pendant au moins septmois dans une cellule qui n’offrait pas la protection adéquate contre le temps et le climat ; de surcroît, il a étédétenu dans un lieu d’où il ne pourrait pas accéder à l’extérieur, à l'air frais qu’au prix d’une souffrancephysique inutile et évitable », Mathew c. Pays-Bas, n° 24919/03, CEDH 2005-IX, § 217.1555 « La Cour constate que requérant et Gouvernement s’accordent sur le fait que la maison d’arrêt de Fresnes,établissement fort ancien, est particulièrement inadaptée à la détention de personnes handicapées physiques, telle requérant qui ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant. Si des cellules ont été aménagées au plan dumobilier et des sanitaires, il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce le requérant ne pouvait ni quitter sacellule, ni se déplacer dans l’établissement par ses propres moyens », Vincent c. France, n o 6253/03, § 103,CEDH 2006-X.1556 Ibid., § 103.1557 Dans la nouvelle prison (de Villepinte), le requérant était hébergé dans une cellule aménagée pour leshandicapés, équipée d’une douche. Il avait la possibilité d’accéder à la salle de sport, mais n’en avait pasencore fait la demande au 25 avril 2006, à la promenade, au culte, aux parloirs et aux ateliers. La bibliothèquen’était pas directement accessible, mais un fond d’une centaine d’ouvrages, régulièrement renouvelé, étaitaccessible dans l’unité où il se trouvait et en outre, la bibliothécaire pourrait lui apporter les livres demandés.1558 CEDH, Matencio c. France, préc., § 89.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008318


319avait été détenue dans le service médical de la prison qui disposait d’un certain confort 1559 et n’y étaitrestée que trois jours et deux nuits (elle avait été condamnée à sept jours pour outrage à magistratlors d’un procès civil), la Cour a qualifié cette détention de traitement dégradant 1560 . Le seul milieuadapté à sa situation étant alors un site hospitalier lui assurant des conditions matérielles et uneprésence humaine permanente. En effet, le registre de garde à vue et le dossier médical de l'époque,indiquent que la police et l'administration pénitentiaire n'étaient pas en mesure de répondreconvenablement aux besoins particuliers de la requérante. Toutefois, une hospitalisation ne pouvaitavoir lieu du fait que la personne ne souffrait d'aucune maladie particulière.Dans l’affaire Farbtuhs, la Cour a également estimé que le maintien en détention de lapersonne a constitué un traitement inhumain ou dégradant. La personne concernée présentaitplusieurs problèmes susceptibles de rendre sa détention inhumaine ou dégradante. Outre son grandâge - 84 ans -, elle était paraplégique et invalide à tel point qu’elle « ne pouvait pas accomplir laplupart des actes élémentaires de la vie quotidienne sans l’aide d’autrui » 1561 . Or, d’après lesautorités, il n’était pas possible d’aménager les conditions de détention qu'elles soient matérielles,techniques ou humaines, si bien que le directeur même de la prison a demandé sa mise en libertéconditionnelle. C’est l’ensemble de ces considérations qui ont amené la Cour à conclure : « Lasituation dans laquelle il était placé ne pouvait que créer, chez lui, des sentiments constantsd’angoisse, d’infériorité et d’humiliation suffisamment forts pour constituer un ‘traitementdégradant’, au sens de l’article 3 de la Convention 1562 ».A l’occasion de l’affaire Farbtuhs, la Cour a clairement dégagé une garantie supplémentairepréventive : « Lorsque les autorités nationales décident de placer et de maintenir une telle personneen prison, elles doivent veiller avec une rigueur particulière à ce que les conditions de sa détentionrépondent aux besoins spécifiques découlant de son infirmité » 1563 . La détention d’une telle personnene peut que constituer « une peine particulièrement dure », comme c’était le cas, d’après la Cour,dans l’affaire Price 1564 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...En général, le handicap, à moins d’entraîner une privation totale d’autonomie, ne risque derendre le maintien même en détention de la personne concernée contraire à l’article 3 de laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20081559 Sa cellule avait une porte plus large permettant le passage d’un fauteuil roulant, des poignées dans le coindes toilettes et un lit médical hydraulique.1560 CEDH, Price c. R.U. , préc., § 30.1561 En particulier, ce détenu était incapable de se lever, de s’asseoir, de se déplacer, de s’habiller ou de faire satoilette lui-même. Qui plus est, lors de son incarcération, il était déjà atteint de toute une série de maladiesgraves dont la plupart étaient chroniques et incurables, CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, n° 4672/02, CEDH, 2004-XII, § 56.1562 CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc., § 61.1563 Ibid., § 56.1564 CEDH, Price c. R.U. préc., § 25.


Convention que lorsqu’il est combiné à d’autres problèmes, comme le grand âge ou un état de santétrès dégradé.320Le droit français ne prévoit pas cette dernière possibilité. La suspension de la peine, adoptéedepuis 2002, est réservée aux personnes gravement malades ou en fin de vie 1565 . Pour des personneshandicapées, seuls des aménagements de conditions de détention sont prévus. Mais vu l’ampleur desproblèmes de dépendance physique dans les prisons françaises, ces aménagements sont largementinsuffisants.Le handicap dans les prisons françaises est, d’après l’INSEE, trois fois supérieur à celui àl’extérieur 1566 . Précisément, plus de trois personnes détenues sur cinq rencontrent dans leur viequotidienne des difficultés, contre une personne sur quatre dans le reste de la population : 39,42 %souffrent d’une incapacité au sens des difficultés ou de l'impossibilité de réaliser des actes de la viequotidienne (se vêtir, se laver…) et 6,1 % souffrent d’un cumul de difficultés (au moins de quatredifficultés) contre 8 à l’extérieur. Enfin, un sur dix a besoin d’aide humaine ou matérielle 1567 .Cette situation s’explique, d’une part en raison du recours croissant à l’emprisonnement.Selon une étude menée en 2003 auprès des entrants en détention, plus de 5 000 personnes étaientatteintes de handicap au moment de leur incarcération (soit plus de 6 % des entrants) 1568 . D’autrepart, ces problèmes sont accentués en raison de l’allongement des peines. Cela entraîne, outre uneprésence plus longue des personnes ayant un handicap avant leur incarcération, l’augmentation decelles qui développent de tels handicaps pendant la détention aussi bien par l’impact des conditionsde détention que par la vieillesse 1569 . De ce fait, le nombre des détenus âgés de plus de soixante ansest en constante augmentation depuis 1990 1570 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Or, non seulement la France ne prévoit rien pour éviter l’incarcération des personneshandicapées ou très âgées, mais en plus elle ne dispose pas d’infrastructure adaptée à leurs besoins.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1565 Voir ci-dessous, la capacité à la détention des personnes malades.1566 « A structure par âge et sexe comparable, la proportion des détenus ayant une difficulté physique oumentale est trois fois supérieure en prison que dans le reste de la population », INSEE, « Le handicap et plusfréquent en prison qu’à l’extérieur », INSEE Première, n°854, juin 2002.1567 Ibid.1568 Précisément 2,4 % sont titulaires d’une allocation pour adulte handicapé (AAH) ; 3,3 % sont invalides ; 3,8% bénéficient d’une exonération du ticket modérateur au titre d’une affection de longue durée (ALD).1569 L’accueil en détention des personnes dépendantes, âgées ou handicapées « concerne un nombre croissantde personnes détenues (vieillissement de la population pénale, allongement des peines privatives de liberté,impact des conditions de vie en détention) » CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues,Rapport d’Etude, Janvier, 2006, § 12.1570 Concernant la présence en prison des personnes âgées de plus de 60 ans, l’Académie de Médecine notaitdans son rapport de décembre 2003 qu’il s’agit d’« une situation d’autant plus préoccupante que le nombre dedétenus âgés de plus de soixante ans est en constante augmentation : en avril 2005, ils représentaient 3,5 % dela population incarcérée, contre 1 % en 1990 », Rapport cité dans : CCNE, La santé et la médecine en prison,Avis n° 94 (2006).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


321Si depuis 1994, le Guide méthodologique relatif à la prise en charge sanitaire des personnesdétenues (1994) recommande aux pouvoirs publics à ce que « ces personnes puissent bénéficier, lorsde l’exécution de leur peine, de prestations et de conditions de détention adaptées à leur état »,l’Académie de médecine, en 2003, le CCNE et la CCNDH en 2006, déplorent une situationgrandement défaillante : la plupart de ces personnes sont incarcérées dans des établissementsinadaptés 1571 .Le CCNE a constaté que les personnes handicapées sont confrontées en prison à troisgrandes difficultés. L’inaccessibilité des lieux. Ce qui empêche le détenu handicapé de bénéficier desparties communes, comme les douches, les salles de travail, la bibliothèque, la cour-promenade (…)La plupart des prisons, archaïques, manquent totalement ou partiellement de barres d’accès etd’ascenseurs, de douches et de WC aménagés, de cellules individuelles suffisamment spacieusespour recevoir un lit adapté et un fauteuil roulant. Le manque total ou partiel d’aide technique.Manque de lits adaptés, alèses, systèmes de levage, fauteuils roulants, etc. sont quasimentinexistants. L’absence d’aide qualifiée d’une tierce personne pouvant aider les détenus handicapésdans les gestes et soins indispensables au quotidien. Cette aide est laissée à la bonne volonté des codétenus,elle est donc ni régulière ni forcément qualifiée 1572 .Les arrêts de la Cour dans les affaires Matencio 1573 et Vincent 1574 , qui mettaient en cause cesconditions dans les prisons françaises, ont confirmé de tels manquements ainsi que leur gravité. Aupoint d’amener la Cour à conclure dans l’affaire Vincent, que les conditions de la détention pendantune partie de celle-ci ont constitué un traitement dégradant. Comme nous l’avons déjà précisé, cerequérant, condamné à dix ans de détention, souffrait au moment de son incarcération d’un handicap(il était paraplégique), qui s’est aggravé suite à une tentative de suicide dans la prison. 1575 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La France, mise en cause devant la Cour, auparavant, pour des problèmes similaires, en 2001dans l’affaire Papon (pour des problèmes de handicap lié au grand âge, plus de 90 ans), et en 2004,dans l’affaire Matencio (pour des problèmes de handicap lié à l'état de santé, en l’occurrence à uneparaplégie), elle a pris l’engagement légal, en 2005, d’assurer l’accessibilité de tous les locaux de ladétention aux personnes détenues handicapées. Le Décret du 18 mai 2006 1576 de mise en application<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081571 Ibid.1572 Ibid.1573 CEDH, Matencio c. France, préc.1574 CEDH, Vincent c. France, n o 6253/03, sect. II, CEDH 2006-X.1575 Il disposait d’un fauteuil roulant mais la configuration de la cellule dans une des prisons où il avait étéaffecté ne permettait pas d’être autonome pour sortir et y entrer sans l’aide d’autres personnes. De surcroît,lorsque son fauteuil a été tombé en panne, il a dû, pendant cinq jours, ramper pour se déplacer y compris pouraller jusqu’aux toilettes. Un fauteuil de remplacement lui avait été donné mais son état vétuste, le rendaitinutilisable, Ibid.1576 Décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 relatif à l'accessibilité des établissements recevant du public, desinstallations ouvertes au public et des bâtiments d'habitation et modifiant le code de la construction et del'habitation : « Les ministres intéressés et le ministre chargé de la construction fixent par arrêté conjoint les


322de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation etla citoyenneté des personnes handicapées 1577 , a expressément inclus les établissementspénitentiaires. Mais la seule solution matérielle nouvelle concerne l’obligation pour les nouveauxétablissements à comporter « au moins une cellule aménagée » 1578 . Ce qui est notoirementinsuffisant.En revanche, le droit français prévoit des allocations spéciales destinées à permettre auxpersonnes dépendantes de bénéficier d’une aide humaine et médicale qualifiée. Les personnesdétenues en sont bénéficiaires comme les personnes à l’extérieur. En effet, celles-ci peuventbénéficier outre de l’allocation pour adultes handicapées (AAH) (qui vise à remplacer le manque deressources en raison d’un handicap invalidant à un taux supérieur à 80 %), de l’allocationcompensatrice pour tierce personne (ACTP) ou, si le handicap est dû au grand âge (plus de 60 ans),de l’aide personnalisée à l’autonomie (APA) 1579 . Ces deux dernières allocations sont cumulablesavec l'allocation adultes handicapés et avec toute pension de vieillesse ou d'invalidité. Elles visent àpermettre à ces deux catégories de personnes à pouvoir bénéficier d’une aide médicale et humaine, àcondition qu’elles justifient de la nécessité de l'aide d'une tierce personne pour les actes essentiels dela vie.Seulement, outre l’amputation de la AAH de 70 % 1580 , ces aides ne permettent pas à tous lesdétenus de bénéficier d’une aide qualifiée. Il appartient au chef d’établissement de désigner leservice d’aide à domicile chargé d’intervenir au sein de l’établissement et de fournir un titre d’accèsen détention aux prestataires de service. Mais en pratique, l’allocation personnalisée d’autonomiebénéficie très rarement aux personnes détenues dépendantes. Celles-ci se font le plus souvent assisterpar un codétenu qui ne peut évidemment pas garantir une prise en charge de qualité. L’INSEErelevait, en 2002, que les besoins en aide matérielle ou humaine, multipliés par trois à l'intérieur de laprison, n’étaient satisfaits que pour une personne sur trois 1581 . Par ailleurs, la CNCDH note que cesystème peut donner lieu à des formes de « racket déguisé 1582 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...règles d'accessibilité applicables aux établissements recevant du public ou installations ouvertes au publicsuivants : a) Les établissements pénitentiaires » (art. R. 111-19-5 et R. 111-19-5 C. séc. soc.).1577 Cette loi vise à garantir l’accessibilité des établissements, installations et bâtiments recevant du public, àtoute personne handicapée, que ce handicap soit physique, sensoriel, mental, psychique ou cognitif, à l'exercicedes actes de la vie quotidienne et sociale.1578 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), préc., § 12.1579 Circulaire n° 27, du 10 janvier 2005, relative à l’actualisation du guide méthodologique.1580 « A partir du premier jour du mois suivant une période de soixante jours révolus passés dans unétablissement de santé, dans une maison d'accueil spécialisée, ou dans un établissement pénitentiaire, lemontant de l'allocation aux adultes handicapés est réduit de manière que son bénéficiaire conserve 30 % dumontant mensuel de ladite allocation. L'intéressé ne peut recevoir une allocation plus élevée que celle qu'ilpercevrait s'il n'était pas hospitalisé, placé dans une maison d'accueil spécialisée ou incarcéré ». Sauf si ledétenu est marié et son conjoint est dans l’incapacité d’exercer une activité salariée ou s’il a au moins un enfantou un ascendant à sa charge, (art. R.821-8 C. séc.soc.).1581 INSEE, Le handicap est plus fréquent en prison qu’à l’extérieur, (2002), préc.1582 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006) préc., § 12.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


323Si le droit français souffre toujours de défaillances, le droit grec, lui, brille par l’absencetotale de prise en considération des problèmes physiques des personnes détenues. Aucun textejuridique ne traite cette catégorie de détenus. Mais la question fondamentale est peut-être ailleurs quedans la prise en compte du handicap pour le rendre compatible la détention qui en souffre avec ladétention. Outre l’image dégradante de la présence des personnes handicapées en prison, il estcertain que, parce que ce lieu n’est pas conçu pour l’hébergement des personnes handicapées et nepeut pas être adapté à la spécificité de chaque type de handicap, à moins de revoir l’architecture detoutes les prisons en Europe, la détention leur inflige une souffrance supérieure à celle infligée auxdétenus en bonne santé et autonomes. Aussi, la solution la plus cohérente avec le respect de ladignité de ces personnes, serait-elle d’adopter des sanctions alternatives à l’incarcération. A cepropos, la CNCDH a recommandé, en 2006, cette solution, et demandé sa mise en œuvreimmédiate 1583 .Outre le handicap physique, la grossesse ainsi que la période post-natale peuvent aussiconstituer des états physiques incompatibles avec la détention.B. Femmes enceintes ou accompagnées de nourrissonsAu-delà d’un aménagement spécial des conditions générales de détention que commande ladétention des femmes, notamment pour les questions d’hygiène (mise à disposition des produitshygiéniques et d’accès aux douches plus fréquentes), et de santé (accès à des gynécologues, à lapilule contraceptive, au dépistage de cancer 1584 , l’état de grossesse, l’accouchement et la périodepost-natale, sont des états qui peuvent aller jusqu’à la mise en question de la compatibilité de cesétats avec le maintien en détention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Nul doute que l'état de ces femmes les placent dans des situations vulnérables tant du pointde vue physique, que médical et psychique. Elles ont besoin de soins particuliers, de repossupplémentaire, d'un suivi diététique particulier mais aussi d’un cadre de vie sécurisé et serein tantpour elles que pour le bien-être de l’enfant.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081583 La CNCDH recommande pour les personnes condamnées handicapées et/ou dépendantes le développementimmédiat des mesures alternatives à l’incarcération et des aménagements de peine, CNCDH, Etude sur l’accèsaux soins des personnes détenues, (2006), préc., § 13.1584 « 30. Le Comité souhaite aussi appeler l'attention sur un certain nombre de questions d'hygiène et de santédes femmes privées de leur liberté, dont les besoins diffèrent grandement de ceux des hommes.31. Les besoins spécifiques d’hygiène des femmes doivent recevoir une réponse appropriée. Il importeparticulièrement qu'elles aient accès, au moment voulu, à des installations sanitaires et des salles d'eau, qu’ellespuissent, quand nécessaire, se changer en cas de menstrues et qu’elles disposent des produits d’hygiènenécessaires, tels que serviettes hygiéniques ou tampons. Le fait de ne pas pourvoir à ces besoins fondamentauxpeut constituer en soi un traitement dégradant », CPT/Inf (2000)13, 10e rapport général d’activités du CPT, du1 er janvier au 31 décembre 1999, § 31.


324Toutefois, concernant la question de la compatibilité de l'état de ces femmes avec ladétention, seule la garantie de l’accouchement hors la prison fait l’unanimité. « Les enfants nedoivent pas naître en prison » souligne le CPT 1585 . « Les détenues doivent être autorisées à accoucherhors de prison » confirment les Règles pénitentiaires européennes (art. 34.3). Le droit françaisprévoit également que « l’accouchement soit réalisé dans le service hospitalier approprié à leur étatde santé 1586 ». A propos de l’hospitalisation des femmes lors de l’accouchement, rappelons que laCour et le CPT ont précisé qu’elle doit avoir lieu dans le respect de la dignité, notamment sansmenottes ni autres attaches. De telles pratiques « peuvent à l’évidence être assimilées à un traitementinhumain et dégradant », estime le CPT 1587 . Ce qui a été reproché aux autorités françaises par cetorgane européen, qui a parlé d’« un exemple flagrant d'un traitement inhumain et dégradant 1588 »,ainsi que par le Commissaire européen aux droits de l’homme qui parle d’« ignoble pratique lors desaccouchements 1589 ». Le droit français n’y a mis fin qu’en 2004, par une Circulaire qui prévoit que« les femmes détenues enceintes, ne doivent en aucun être menottées pendant l'accouchement, c'està-diretant dans la salle de travail que pendant la période de travail elle-même 1590 ».En ce qui concerne la détention des femmes enceintes, au sein du Conseil de l’Europe, seul leCPT prévoit une attention particulière mais limitée aux seuls besoins alimentaires 1591 . A ce propos, ilest à souligner l’exemple du droit grec qui prévoit le sursis et la suspension de la peine durant lesdeux derniers mois de grossesse (art. 556 CPP).Quant aux conditions de détention en période post-natale, tant les instances européennes queles droits nationaux prêtent une attention particulière. Le but est d’assurer le bien-être des enfantslorsque les mères sont autorisées à garder leurs enfants. Rappelons qu’en France, elles peuvent lesgarder jusqu’à dix-huit mois (D401 CPP), ou plus sur demande expresse de la mère (D 401-1 CPP),et en Grèce jusqu’à trois ans (art. 13§3 c. pénit.). Ces deux droits nationaux consacrent en effetquelques dispositions en cette matière. Le droit français parle de « conditions de détentionappropriées 1592 » et précise que des locaux spécialement aménagés et, en général, le séjour des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1585 CPT/Inf (2000)13, 10e rapport général d’activités, préc.1586 « Toutes dispositions doivent être prises par les médecins des structures visées aux articles D. 368 etD. 371, pour que les détenues enceintes bénéficient d'un suivi médical adapté et que leur l’accouchement soitréalisé dans le service hospitalier approprié à leur état de santé », (art. D400 CPP).1587 CPT/Inf (2000)13, 10e rapport général d’activités, préc.1588 Dès 1991, il a recommandé à la France de prendre « immédiatement des mesures afin d'assurer que lesdétenues envoyées à l'hôpital pour accoucher ne soient pas attachées à leur lit », CPT/Inf (93)2, Rapport devisite, France, préc.1589 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc., § 147.1590 Circulaire relative à l’organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l’objet d’une consultationUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008médicale, AP 2004-07 CAB/18-11-2004.1591 Notamment une alimentation de haute teneur en protéines, riche en fruits et légumes frais CPT/Inf(2000)13, 10e rapport général d’activités, préc.1592 « Les détenues enceintes et celles qui ont gardé leur enfant auprès d'elles, bénéficient de conditions dedétention appropriées » (art. D 400-1 CPP).


325enfants doivent être organisés en commun par le service pénitentiaire d'insertion et de probation, lesservices d'enfance et de famille et les titulaires de l'autorité parentale. Ces acteurs sont égalementchargés d'organiser les sorties de l’enfant à l'extérieur de l'établissement pénitentiaire et de préparersa séparation avec sa mère. Il est également prévu que, durant les six mois suivant son départ,l'enfant peut être admis à séjourner pour de courtes périodes auprès de sa mère (D401 CPP). Le droitgrec prévoit également la nécessité de conditions adaptées mais sans autre précision (art. 13§3 C.pénit.).Quant aux recommandations européennes, elles tendent à assurer un environnement de vieéquilibré afin de garantir l’épanouissement normal de l’enfant. Les Règles pénitentiaireseuropéennes, n°R(2006)2, traitent cette question dans l’article 36. Il y est recommandé que lesenfants ne doivent pas être considérés comme des détenus, que des mesures spéciales doivent êtreprises pour disposer d’une crèche dotée d’un personnel qualifié et que, de manière générale, uneinfrastructure spéciale doit être réservée afin de protéger le bien-être de ces enfants en bas âge.L’Assemblée parlementaire recommande : la création de petites unités closes ou semi-closesflanquées de services sociaux où les enfants pourraient être pris en charge dans un milieu accueillantet qui tiendraient compte au mieux des intérêts de l'enfant, tout en assurant la sécurité publique ; laprésence d’un personnel spécialisé en matière de puériculture ; et un droit de visite plus souple pourles pères 1593 . Enfin le CPT, dans son 10 e Rapport général d’activités, va dans le même sens lorsqu’ilplaide pour la création d’un « environnement centré sur l'enfant ». C’est-à-dire un environnementd’où sont exclus les signes manifestes de l'incarcération, comme les uniformes et le cliquetis destrousseaux de clés, et qui permet un développement moteur et cognitif normal, par la possibilité dejeux et d'exercices appropriés à l'intérieur de la prison. Mais il plaide aussi pour la garantie dessorties de l’enfant aussi souvent que possible soit par l’accueil dans leur famille, soit dans descrèches 1594 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Pour positives que soient ces recommandations, il nous paraît que la question de la détentiondes femmes enceintes et mères de jeunes enfants doit aller au-delà. Elle doit poser la question de lacompatibilité de ces conditions des femmes enceintes et femmes-mères et des nourrissons, avec lecadre de la vie en détention indépendamment des conditions concrètes. Nul doute que les conditions<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008ordinaires de détention affectent ces personnes plus que d’autres. Mais, même spécialementaménagée, une prison reste une prison tant par l’étroitesse de l’espace et les contraintes, que parl’ambiance générale stressante et opprimante. La question devient encore plus délicate et grave1593 « iv. à créer de petites unités closes ou semi-closes flanquées de services sociaux pour la poignée de mèresqui doivent être maintenues en détention, unités où les enfants pourraient être pris en charge dans un milieuaccueillant et qui tiendraient compte au mieux des intérêts de l'enfant, tout en assurant la sécurité publique;v. à veiller à assurer un droit de visite plus souple pour les pères afin que l'enfant puisse passer un peu de tempsavec ses parents;vi. à veiller à ce que le personnel ait une formation adéquate en matière de puériculture ».1594 CPT/Inf (2000)13, 10e rapport général d’activités, préc., § 29.


concernant les enfants. Outre qu’ils deviennent prisonniers malgré eux, ils sont indiscutablementprivés d’un cadre de vie épanouissant.326A ce propos, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a souligné les effets néfastesde l'incarcération des mères sur les bébés, notamment le retardement de leur développement enraison de l’accès limité à des stimuli variés 1595 . Or, si nous sommes d’accord que c’est l’intérêt del’enfant qui doit primer dans notre société, et que la prison est le dernier lieu pour leurépanouissement, les impératifs de la justice pénale et de la sécurité ne devraient-ils pas céder devantla primauté de leur intérêt ? Primauté qui va au-delà de la question du droit ou pas pour les mères degarder leurs enfants en prison, et de l’organisation du cadre de vie en prison, pour poser celle dudroit des mères à accompagner leurs enfants en bas âge hors de la prison.Car il faut admettre qu’il s’agit d’une maltraitance aussi bien de séparer les bébés de leurmère que de les laisser en prison : « D'une part, les prisons ne constituent manifestement pas unenvironnement approprié pour des bébés et de jeunes enfants, et que d'autre part, la séparation forcéedes mères de leurs enfants en bas âge est hautement indésirable », reconnaît le CPT 1596 . En effet, laséparation précoce des enfants de leur mère est une violence affective et source des perturbations deleur personnalité. D’après les experts consultés par le Parlement du Conseil de l’Europe, « uneséparation précoce d'avec la mère engendre chez l'enfant des difficultés durables, dont une incapacitéà s'attacher aux autres, une inadaptation affective et des troubles de la personnalité ».Concernant ces questions, il est important de noter l’existence de certaines législationsprécurseurs, comme la législation grecque qui prévoit la possibilité pour les femmes d’éviter laprison aussi bien pendant leur grossesse qu’après l’accouchement. Elle prévoit précisément le sursisà l’exécution (art. 556 CPP) et la suspension de la peine (art. 557 §1 CPP), durant les deux derniersmois de grossesse et les trois premiers mois après l’accouchement. Ces mesures sont accordées par letribunal correctionnel du lieu de détention (art. 559 CPP), sur demande de l’intéressée (art. 560 §1CPP).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Au niveau européen, seule l’Assemblée parlementaire est allée dans ce sens et l’a mêmedépassé. Dans sa Recommandation n°1469 (2000, Mères et bébés en prison, faite au Conseil deMinistres, mais malheureusement non suivie lors de la reforme des Règles pénitentiaires en 2006,elle préconise une série de mesures. Partant du constat « des effets néfastes de l'incarcération desmères sur les bébés », cette Assemblée recommande en premier lieu d’instaurer et d’appliquer auxmères des jeunes enfants comme aux femmes enceintes des peines communautaires et d’éviter leur1595 D’après les experts, « il est également reconnu que le développement des nourrissons est retardé par leuraccès limité à des stimuli variés dans les établissements pénitentiaires clos », Recommandation 1469 (2000),Assemblé parlementaire du Conseil de l’Europe, adoptée le 30 juin 2000.1596 CPT/Inf (2000)13, 10e rapport général d’activités, préc., § 28


327détention 1597 . Parmi ces peines, son texte mentionne des mesures de liberté surveillée, d'intérêtgénéral et de réparation comme la médiation, la compensation des victimes ou des peinesd'emprisonnement avec sursis à purger seulement en cas de récidive.Certes, cette instance ne fait pas de ce ces recommandations un absolu. Elle concède que lerecours à la prison peut avoir lieu en dernier ressort à savoir pour des « délits très graves etreprésentant un danger pour la société 1598 » Cependant elle a le mérite indéniable de reconnaître quela question de la compatibilité de la détention se pose au-delà du moment de l’accouchement, àsavoir avec l’état de grossesse et la période post-natale. Associé à des légalisations, certes marginalesmais existantes, comme la législation grecque, elle montre qu’une évolution nationale et européennedevrait avoir lieu dans ce sens.§ 2. Les questions fondées sur l’âgeL'âge aussi bien le grand âge (A) que la minorité (B) devraient également être pris en comptedans le système pénal et pénitentiaire. Chacune de ces deux catégories de personnes soulève desquestions qui leur sont propres concernant l’intelligibilité et l’utilité de la peine privative de libertéexécutée en prison, et donc de la dignité de cette peine.A. Grand âgeRappelons que le code pénal français de 1810 exemptait les vieillards (de plus de 60 ans) destravaux forcés, la peine la plus pénible qui existait à ce moment. Cette peine était commuée en peinede réclusion ou de détention. Or actuellement, aucune limite d'âge n'est prévue à propos du prononcéet de la mise à exécution de la peine la plus lourde dans les systèmes pénaux européens, la peineprivative de liberté. Seuls des aménagements sont recommandés par le Conseil de l’Europe et prévuspar certaines pays européens.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Au sein du Conseil de l’Europe<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Au niveau du Conseil de l’Europe, seule la préoccupation de la capacité à la détention a faitson chemin depuis 1998, de surcroît, non en termes de mise en cause du placement en détention maisdes conditions de vie et des modalités de l’application de la peine privative de liberté. C’est le1597 « 5. Compte tenu des effets néfastes de l'incarcération des mères sur les bébés, l'Assemblée recommandeque le Comité des Ministres invite les Etats membres:i. à instaurer et à appliquer aux mères ayant de jeunes enfants des peines à purger au sein de la communauté, età éviter le recours à la détention »1598 « iii. à reconnaître qu'il ne faudrait recourir à la détention pour les femmes enceintes et les mères de jeunesenfants qu'en dernier ressort, dans les cas où ces femmes sont reconnues coupables de délits très graves etreprésentent un danger pour la société ».


328Conseil des Ministres qui a, pour la première fois, en 1998, inclus les détenus d'un grand âge dansles catégories des détenus nécessitant une attention particulière. C’était dans la Recommandation R(98) 7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire,dans laquelle il demandait aux Etats de prendre des mesures pour que ces personnes puissent menerune vie aussi normale que possible et ne pas être séparées du reste de la population carcérale(n°50) 1599 .Quant à la jurisprudence européenne, la question de l’âge avait jusqu’en 2001, été évoquéeseulement à l’occasion des affaires concernant des détenus gravement malades ou handicapés 1600 .C’est entre avril et juin 2001, que la Cour a connu trois affaires mettant en avant le grand âge desintéressés en tant que facteur aggravant leur état de santé ou leur handicap. Il s’agit des affairesPriebke 1601 , Sawoniuk 1602 et Papon 1603 .La Cour n’en a toutefois pas fait un critère déterminant dans l’appréciation de la capacité à ladétention d’une personne. Le principe établi par la Cour est que la détention des personnes très âgéesn’est pas en soi contraire à l’article 3 de la Convention 1604 . D’après cette instance, aucune dispositionde la Convention n’interdit en tant que telle la détention au-delà d’un certain âge 1605 , et, par ailleurs,dans aucun des pays membres du Conseil de l’Europe, l’âge élevé ne constitue en tant que tel unobstacle à la détention 1606 (mise à part l’Andorre et le Luxembourg pour des infractions non graves).Aussi, seul le maintien en détention pour une période prolongée d’une personne âgée peut,dans certaines conditions, poser un problème sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Cetteappréciation dépend des circonstances particulières de chaque cas d’espèce 1607 notamment de l’étatde la santé et/ou de l’état physique, combinés avec la qualité des soins et les conditions matériellesde détention ainsi que de la durée de la détention et de ses effets physiques ou mentaux 1608 . Parexemple, la Cour a confirmé que « le maintien en détention pour une période prolongée d’unepersonne d’un âge avancé, et de surcroît malade, peut entrer dans le champ de protection de l’article3 1609 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1599 R (98) 7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.1600 D 338302/96 (Venetucci/Italie), 12.12.1997, D 27580/95 (Jeznach/Pologne), 19.1.1998.1601 CEDH, Priebke c. Italie (déc.), n° 48799/99, CEDH 2001-IV.1602 CEDH, Sawoniuk c. R.U., (déc.), n o 63716/00, CEDH 2001-VI (le requérant, âgé de 80 ans, était condamnéà une peine d’emprisonnement perpétuel pour des crimes de guerre).1603 CEDH, Papon c. France, (n o 1), préc., (le requérant était condamné pour des crimes contre l’humanité àl’âge de 90 ans).1604 Ibid. ; CEDH, Sawoniuk c. R.U., préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081605 Ibid.1606 CEDH, Papon c. France, (n o 1), préc.1607 CEDH, Priebke c. Italie (déc.), préc., (88 ans au moment de l’examen de l’affaire par la Cour).1608 CEDH, Sawoniuk c. R.U., (déc.), préc.1609 CEDH, Papon c. France (n o 1) (déc.), préc. ; CEDH, Priebke c. Italie (déc.), préc.


329Concrètement, la Cour accepte d’examiner, d’une part l’adéquation des conditionsmatérielles avec les soins spécifiques dus à l’état de santé et, en général, à l’état physique de lapersonne (handicap ou diminution de la mobilité physique liée à l’âge), et d’autre part, la possibilitédonnée par les droits nationaux de mettre fin à la détention ou de faire exécuter la peine hors dusystème carcéral.A propos des conditions matérielles, la Cour n’exige pas d’assurer une qualité de vieéquivalente à celle en liberté : « Il est certain que le requérant ne bénéficie pas d’une qualité de vieéquivalente à celle qu’il aurait s’il était en liberté », admettait-elle dans l’affaire Papon 1610 . Cequ’elle exige, c’est que les autorités compétentes prennent des mesures nécessaires pour assurer desconditions matérielles adaptées aux besoins spécifiques dus à l’état de santé, l’état physique ou augrand âge 1611 .Quant à la possibilité d’aménager les modalités de l’application de la peine privative deliberté, la Cour a, par exemple, accordé de l’importance, dans l’affaire Priebke (5 avril 2001), à lapossibilité prévue en droit italien d’exécuter cette peine sous le régime d’assignation à domicile etque cette mesure avait, dans ce cas précis, été effectivement accordée dans un bref délai suite à lademande de l’intéressé.Soulignons que, jusqu’à présent, la Cour n’a jamais jugé que le maintien en détention d’unepersonne âgée constitue un traitement inhumain ou dégradant en raison seulement du grand âge oudes problèmes de santé ou de mobilité physique liés à la vieillesse. La seule affaire dans laquelle lesexigences de la Cour sont allées au-delà de l’aménagement des conditions de détention et de soinsadministrés, puisque cette instance a condamné le maintien même en détention d’une personne, c’estl’affaire Farbtuhs 1612 . Mais dans cette affaire, les problèmes dépassent de loin ceux liés à lavieillesse. Outre le fait d’être âgée de 84 ans, cette personne était gravement malade (elle étaittétraplégique) et gravement handicapée (elle souffrait d’une invalidité ayant entraîné une privationtotale d’autonomie pour les gestes quotidiens). Si bien que, si la Cour a conclu que le maintien endétention du requérant n’était pas adéquat en raison de son âge, de son infirmité et de son état desanté 1613 , ce sont ces deux derniers problèmes qui ont pesé dans cette appréciation 1614 , à savoir :<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d’une part, le degré du handicap, lié à l’absence d’infrastructure et d’aide humaine spécialisée pour1610 CEDH, Papon c. France (n o 1) (déc.), préc.1611 Ibid. Papon a été condamné pour des crimes contre l’humanité à l’âge de 90 ans et avait des problèmes desanté qui restreignait sa liberté de mouvement (notamment sur le plan cardiaque, puisqu’il a subi un triplepontage et la pose d’un stimulateur cardiaque). Toutefois son état général était qualifié par le médecin de« bon », et ne présentant aucun signe de dépendance. C’est après avoir constaté que les autorités françaises ontfait le nécessaire dans ce sens, que la Cour avait conclu à l’absence de violation de l’article 3. Son maintien endétention n’a pas constitué un traitement inhumain ou dégradant.1612 CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc.1613 Ibid., § 61.1614 Comme nous le soulignons dans les sections relatives aux questions des soins et de l’handicap.


330l’aider à faire face à ses besoins quotidiens, et d’autre part, la gravité de la maladie et sa détériorationen raison de l’absence des soins adéquats. Si bien que cette affaire pose plutôt les questions de lacapacité à la détention des personnes gravement malades ou gravement handicapées.Aussi, l’âge n’est jusqu’à présent pris en compte dans le droit du conseil de l’Europe quecomme facteur aggravant les conséquences de la détention sur des personnes malades ouhandicapées. Elle reste ainsi en deçà de la garantie de certains droits européens qui tiennent comptede ce facteur de manière autonome.Au sein des droits nationauxSi les pays qui tiennent compte de l’âge lors du prononcé de la peine ou de mise à exécutionde la peine privative de la liberté sont marginaux, ils sont plusieurs à en tenir compte lors desmodalités de son application visant à raccourcir la durée du maintien en détention.En ce qui concerne le prononcé de la peine, seule l’Andorre prévoit une dispense, de surcroîtlimitée aux délits punis d’une peine inférieure à trois ans. Dans ce cas, le tribunal peut, eu égard à lapersonnalité et à la situation générale de l’accusé, remplacer la peine d’emprisonnement par uneautre peine. Trois autres pays excluent seulement le prononcé de la perpétuité : la Roumanie et laRussie pour des personnes âgées de plus de soixante ans, et l’Ukraine pour celles âgées de plus desoixante cinq ans.Le Luxembourg et le Danemark sont les seuls qui en tiennent compte lors de la mise àexécution de cette peine. Le premier dispense les personnes âgées de plus de soixante-dix ansd’exécuter la peine d’emprisonnement pour des infractions mineures. Le second prévoit sonexécution à domicile lorsque la détention n’est pas adaptée notamment compte tenu de l’âge ou l’étatde santé de l’intéressé 1615 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...En revanche, ils sont plus nombreux à en tenir compte dans les modalités de son application.Le Luxembourg prévoit que les personnes âgées de plus de soixante-dix ans, condamnées pour lesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008infractions graves, peuvent exécuter la peine en régime semi-ouvert. L’Italie et Saint-Marinprévoient que le juge peut transformer la détention en assignation à domicile lorsque le condamné estâgé respectivement de plus de soixante ans ou soixante-cinq ans et est partiellement handicapé.Enfin, dans d’autres législations, le grand âge influence les conditions d’octroi de la libérationconditionnelle. Celle-ci est généralement accordée plutôt si la personne a atteint l’âge de : soixantedixans en Espagne et en Grèce ; soixante ans pour les hommes et cinquante cinq ans pour lesfemmes en Roumanie.1615 SENAT, La Libération des détenus âgés, Etude du Service des affaires européennes, novembre 2001.


331Quant aux droits grec et français, seul le droit grec tient compte du grand âge dans lesmodalités d’application de la peine privative de liberté, précisément dans le système de libérationconditionnelle tel qu’il est réglementé par l’article article 105 du code pénal. Concernant la libérationdes personnes âgées de plus de soixante-dix ans, le délai de la peine exécutée pour pouvoir bénéficierde cette mesure passe de 3/5 à 2/5 et, en cas de condamnation à la peine perpétuelle, elle passe devingt ans à seize ans. Par ailleurs, les personnes âgées de plus de soixante-sept ans bénéficient d’uncalcul bénéfique du temps de leur détention : un jour de détention équivaut à deux jours de peineexécutée et, si la personne travaille, il équivaut à deux jours et demi.Le droit français ne tient compte de l’âge qu’en matière d'interdiction de séjour 1616 et decontrainte par corps 1617 . Ces deux mesures ne peuvent pas être prononcées à l'égard des personnesâgées de plus de soixante cinq ans et elles cessent dès que la personne a atteint cet âge. En revanche,l'âge n'influence ni la détermination de la peine privative de liberté ni les modalités de sonapplication. Seule la possibilité d’aménagement des quartiers, dans quelques prisons, pour accueillirdes personnes âgées est prévue, si de surcroît, elles sont atteintes de sénilité. Dans ces cas, on estimeque compte tenu de leur « incapacité physique au travail » et de la « nécessité de les maintenir soussurveillance médicale », la peine privative de liberté peut être exécutée dans une des « prisonshospices», qui sont des quartiers de certains établissements affectés à cet usage. Une telle prisonexiste à Liancourt (Oise). Elle reçoit des détenus âgés de plus de soixante ans, mais sa capacité estréduite à 126 places 1618 .Courant 2002, une proposition de loi (qui n’a pas abouti), avait été déposée au parlementfrançais, visant à mettre une limite d’âge, soixante-treize ans, en matière d’emprisonnement pour desinfractions autres que des crimes 1619 . Cette limite correspond à l’espérance de vie moyenne enFrance. Les motifs de ce projet étaient que le grand âge pose les questions d’utilité et donc de ladignité de la peine. A cet âge de la retraite et proche plutôt de la mort que de l’avenir, on ne peutprétendre que cette peine peut avoir comme but de réinsérer la personne et d’établir un projet deréinsertion axé sur la recherche du travail.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais outre l’inutilité, l’exécution de cette peine de la part d’une personne âgée constitueaussi une atteinte à la dignité. Le grand âge pourrait être assimilé à une forme d'handicap rendant la1616 « …Sous réserve de l'application de l'article 763 du code de procédure pénale, l'interdiction de séjour cessede plein droit lorsque le condamné atteint l'âge de soixante-cinq ans », (art. 131-32 C. pén).1617 « La contrainte judiciaire ne peut être prononcée ni contre les personnes mineures au moment des faits, nicontre les personnes âgées d'au moins soixante-cinq ans au moment de la condamnation », (art. 751 C. pén.)1618B. BOULOC, Pénologie, 3e éd., préc., p. 443.1619 Proposition de loi modifiant le code pénal en vue de la mise en place d'une limite d'âge en matièred'emprisonnement dans les procédures correctionnelles, enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le28 novembre 2002.


332personne inapte à la détention. Les personnes âgées deviennent en effet dépendantes pour les gestesde vie quotidienne alors que la prison (ses locaux et mobiliers) est inadaptée à leurs besoins 1620 .L’IGAS, en France, proposait dans un rapport de 1990 d’exclure les personnes totalementdépendantes du milieu carcéral. Dans ces conditions, même la fonction punitive de la peine peutparaître cruelle : cet état physique de la personne aggrave inéluctablement « le niveau inévitable » dela « souffrance inhérente à la détention » 1621 .D’autant plus que la vieillesse ajoute un autre problème de dignité humaine : celui de la morten prison. La mort d’une personne en captivité loin de ses proches et privée d’affection pourl’accompagner aux derniers moments de sa vie pose la question du droit de mourir dans la dignité ; ilpose donc la question des limites des atteintes de la peine à la dignité de l’homme 1622 . Or, ainsi quel’a expressément formulé une commission d’enquête parlementaire française : « Il n’est pas digne demourir en prison 1623 ».B. MinoritéPas plus que la détention des personnes âgées, celle des personnes mineures n’est pasconsidérée par la Cour comme contraire à l’article 3. Pour autant, la détention de ces derniers n’estpas non plus sans poser des questions de compatibilité en raison de leur âge. En tant que peined’abord, elle pose la question de la compréhension de la peine, et par conséquent de son utilité étantdonné l’immaturité des jeunes personnes. La minorité, jusqu’à la fin de la scolarisation obligatoire,est l’âge de l’éducation et le meilleur lieu et moyen pour le faire c’est le milieu éducatif.L'adolescence est l’âge de l’organisation de la personnalité, rappelle le CPT 1624 . De l’avis desmédecins, les mineurs ne sont pas des personnes « à réinsérer » mais à « insérer » 1625 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Au-delà de la question sur la compatibilité des sanctions répressives avec l’âge mineur despersonnes, la détention pose incontestablement des problèmes supplémentaires. Loin d’être vantéepour ses vertus éducatives, la prison est unanimement considérée comme criminogène etdestructrice, ce qui met alors en cause les principes mêmes qui doivent guider la législation<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081620 VARINI E., « Vieillissement de la population carcérale : quel accompagnement pour les détenus ? », in,Décideurs en gérontologie, n° 52.1621 Parce que les facultés mentales (à cause de "sénescence") mais aussi physiques s'affaiblissent avec letemps, l'application d'un châtiment peut paraître cruel mais aussi inutile eu égard au danger social qu'une tellepersonne puisse représenter, B. BOULOC, Pénologie, 3 e éd., préc., pp. 442-444 (Section intitulée : Le régimespécial des vieillards).1622 VARINI E., Vieillissement de la population carcérale : quel accompagnement pour les détenus ?, préc.1623 Propos tenus aussi bien concernant les personnes âgées que les personnes gravement malades et celles àpronostic fatal à court terme, ASSEMB<strong>LE</strong>E NATIONA<strong>LE</strong>, La France face à ses prisons, Rapport, t.I, n° 2521,2000, p. 249.1624 CPT/Inf/E (2002) 1, Les normes du CPT, Rev. 2006, § 67.1625 Comme François Moreau entendu par la Commission du Sénat français, lors de son enquête sur les prisonen France, SENAT, Prisons : une humiliation pour la République, préc., p. 48.


333concernant les mineurs, à savoir la protection de la santé, de la morale et de la sécurité. Ces principessont contenus aussi bien dans les textes internationaux (CI<strong>DE</strong> 1626 ) que dans les législations internes(à l’exemple du droit français 1627 ).De surcroît, la détention n’est pas non plus sans soulever la question d’une pénibilité de cettepeine qui soit supérieure à celle considérée par la Cour comme étant compatible avec l’article 3, àsavoir celle résultant des « conséquences normales et raisonnables » de la détention. A cet âge, lesbesoins intellectuels mais aussi physiques et affectifs sont plus accrus : en pleine croissance physiqueet mentale, les enfants et mineurs ont besoin de se dépenser physiquement, être en contact avec desstimuli variés pour leur épanouissement mental et être entourés affectivement pour leurépanouissement psychique 1628 . Ces besoins sont reconnus par le CPT, qui souligne que les mineursont un besoin particulier d'activités physiques et de stimulation, visuelle et intellectuelle etrecommande que les mineurs privés de liberté se voient proposés un programme complet d'études, desport, de formation professionnelle, de loisirs et d’autres activités motivantes 1629 .Or la CEDH, tout en rappelant que la Convention des Nations Unies (art. 37) recommandeque la détention d’un enfant « doit n’être qu’une mesure de dernier ressort », les seules limitesqu’elle pose concernent, d’une part, l’âge minimum pour retenir la responsabilité pénale entraînant lacondamnation à une peine de prison, et d’autre part, la durée de la peine.Concernant l’âge minimum, la Cour reconnaît implicitement qu’en dessous d’un certain âge,cette peine peut en soi poser des problèmes de compatibilité avec le respect de la dignité, puisqu’elletient compte que dans tous les pays de l’Europe il existe une telle limite. Pour autant elle ne laprécise pas, en s’appuyant, d’une part, sur le constat qu’aucun texte international ne contient unetelle précision. La CI<strong>DE</strong> (Convention internationale relative aux Droits de l'Enfant 20 novembre1989), invite seulement les Etats à fixer un tel seuil (CI<strong>DE</strong>, art. 40§3 a), et Règles de Beijing à ne pasle fixer très bas (art. 4 1630 ). D’autre part, la Cour s’appuie sur le fait qu’au sein des Etats européens<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1626 Convention internationale relative aux droits de l'enfant, 20 novembre 1989.1627 Le Sénat cite également les conclusions des inspections générales, d’après lesquelles : « Pour des jeunesdisposant de peu de repères moraux et civiques, qui cumulent souvent depuis leur plus jeune âge des carencesaffectives, éducatives et scolaires, la prison constitue souvent un facteur supplémentaire de déstructuration ».De plus, « l’incarcération des mineurs dans certains quartiers pénitentiaires violents et criminogènes, danslesquels s’instituent des espaces sans contrôle, est de nature à mettre en danger leur santé, leur sécurité et leurmoralité » pourtant principes affirmés p l’article 375 du Code civil et qui guident toute la politique à leurégard, SENAT, Prisons : une humiliation pour la République, préc., p. 50.1628 « Reconnaissant que l'enfant, pour l'épanouissement harmonieux de sa personnalité, doit grandir dans lemilieu familial, dans un climat de bonheur, d'amour et de compréhension », (Convention internationale relativeaux Droits de l'Enfant 20 novembre 1989).1629 CPT/Inf (99) 129, Rapport général d'activités du CPT, du 1er janvier au 31 décembre 1998.1630 « 4.1 Dans les systèmes juridiques qui reconnaissent la notion de seuil de responsabilité pénale, celui-ci nedoit pas être fixé trop bas eu égard aux problèmes de maturité affective, psychologique et intellectuelle »,Nations Unies, Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pourmineurs (Règles de Beijing), 29 novembre 1985.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


334ces seuils vacillent entre sept 1631 et dix-huit ans 1632 . En tout cas, la fixation du seuil à dix ansn’emporte pas en soi violation de l’article 3 de la Convention, a-t-elle déclaré dans deux affairesconcernant le Royaume-Uni 1633 .Quant à la durée de la peine, le critère d’âge est pris en compte par la Cour. Cependant, touten se référant à la CI<strong>DE</strong> qui recommande que la peine privative de liberté soit d’une « durée aussibrève que possible » et interdit de prononcer un emprisonnement à vie sans possibilité d’unelibération conditionnelle à des enfants de moins de 18 ans (art. 37 1634 ), la Cour ne fixe pas une duréemaximale ni ne condamne les peines indéterminées 1635 . Alors que ces dernières, appliquées en droitbritannique, signifient que la personne perd, à vie, son droit à la liberté. Elle peut certes être libéréeaprès l’exécution de la période punitive, qui est la seule durée de la peine précisée (par le ministre del’intérieur et après sa mise en exécution). Mais cette personne peut aussi être réintégrée en prison àtout moment si la protection du public l’exige. Les seuls aspects à propos desquels la Cour estimequ’elle ne saurait exclure qu’ils peuvent être contraires à l’article 3, est l’absence de fixation de cettepériode punitive, qui à son expiration ouvre le droit à la demande d’une libération conditionnelle 1636et, de manière générale, l’absence de possibilité d’obtenir une libération conditionnelle. En tout, cas,la détention d’un mineur pour une durée de six ans, âgé de dix ans au moment des faits, ne constituepas un traitement prohibé par l’article 3 1637 .Pour l’instant, les efforts du Conseil de l’Europe sont centrés sur l’aménagement desconditions et modalités d’exécution des peines privatives de liberté pour éviter qu’elles deviennentdes peines contraires à l’article 3. Le régime de détention doit être basé sur une occupation intensive,des rencontres socio-éducatives diverses, des activités sportives, la scolarisation, l'apprentissage, lessorties accompagnées, ainsi que l'ouverture à des choix et à des projets raisonnables 1638 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1631 En Chypre, Irlande, Suisse et Lichtenstein.1632 Espagne, Belgique et Luxembourg, en passant de huit ans en Ecosse, treize ans en France, quatorze enAllemagne, Autriche, Italie et dans plusieurs pays de l’Europe orientale, à quinze ans dans les pays nordiques,et seize ans au Portugal, Pologne et Andorre.1633 L’imputation de responsabilité pénale à des enfants de 10 ans n’emporte pas en soi violation de l’article 3de la Convention » (arrêt V. c. R. U., préc., § 74 et T. c. R.U, préc. § 72).1634 « Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Nila peine capitale ni l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour lesinfractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans », (art. 37.1) ; « Nul enfant ne soit privéde liberté de façon illégale ou arbitraire. L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être enconformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible »,(art., 37.2, CI<strong>DE</strong>).1635 CEDH, V. c. R. U., préc., § 98 ; CEDH, T. c. R.U, [GC], préc., § 97.1636 CEDH, V. c. R. U., préc., § 100, et CEDH, T. c. R.U, § 99.1637 CEDH, V. c. R. U., préc., § 99, et CEDH, T. c R.U, § 98.1638 CPT/Inf/E (2002) 1, Les normes du CPT- Rev. 2006, § 67.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


335Quant aux droits nationaux, si certains ont supprimé les sanctions répressives à l’encontredes mineurs 1639 , la majorité des pays européens les ont conservées. La France et la Grèce font partiede ces derniers.La France et la Grèce ont conservé la peine privative de liberté, et concernant l’âge à partirduquel cette peine peut être appliquée, ils se situent au-dessus de la moyenne européenne : dans lesdeux pays elle est fixée à 13 ans (elle oscille, rappelons-le, entre 7 ans et 18 ans). Seules cinq pays(Chypre, Irlande, Suisse, Lichtenstein et Ecosse) ont des seuils plus bas. Ces deux droits nationauxprévoient seulement un adoucissement quant à la durée de cette peine et le régime de son exécution.En ce qui concerne la durée, ces deux pays considèrent la minorité comme une causeatténuant la sévérité de la peine. Le droit français diminue de moitié la durée des peines privativesde liberté prévues pour les adultes (ordonnance de 1945, art. 20-2). Il fixe le maximum à vingt ans, àl’exception des mineurs âgés de plus de 16 ans. Le droit grec lui aussi, limite la durée de la peine ycompris pour les mineurs âgés de 17 au plus au moment des faits (art. 54, art. 83 et art. 127§2 C.pén.). Précisément, le droit grec n’applique pas la peine de perpétuité pour les mineurs. Il limite ladurée maximale à 20 ans. Pour les infractions qui encourent la réclusion, soit 20 ans maximum, ladurée est limitée à douze ans maximum ; pour les infractions qui encourent une réclusion jusqu’à dixans maximum, la durée est limitée pour les mineurs à six ans. Dans tous les autres cas, le juge peutlimiter la peine à la durée minimale prévue pour chaque type d’infraction (art. 83 C.pén.). Desurcroît, il exempte les mineurs d’une telle peine pour les contraventions 1640 . En France la mise enprison pour des contraventions est supprimée pour toutes les personnes 1641 .En ce qui concerne les conditions et modalités d’exécution des peines privatives de liberté,les deux pays tiennent compte de la spécificité des mineurs. Le principe est que ces personnesexécutent leur peine dans des établissements à part avec comme principe l’encellulement individuelet, à défaut, dans des quartiers séparés sans contact avec les adultes (art. 130§3 C. pénit., et D515-D519 Cpp). Leur organisation fait une large place à l’éducation et formation professionnelle de cespersonnes, aux activités sportives et aux loisirs (art. 12 C. pénit. grec, et D515 Cpp français). Ainsi,en Grèce des jeunes peuvent y rester jusqu’à 25 ans si cela est justifié, notamment pour leur<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008permettre de finir leurs études ou leur formation. En France ils peuvent y rester jusqu’à 21 ans.1639 Comme la Belgique et l’Irlande du Nord.1640 En droit grec, l’article 18 du Code pénal distingue suivant la peine : la réclusion, jusqu’à 20 ans ouperpétuité, (crimes) ; l’emprisonnement ou restriction dans établissement pénitentiaire jusqu’à 5 ans, ou lapeine pécuniaire (délits) ; la détention (kratisis) de 1 jour à 1 mois ou l’amende (contraventions) ; la restrictiondans un établissement pénitentiaire (réservée aux mineurs : 6 mois à 20 ans).1641 En France, les mesures éducatives sont : les centres éducatifs en milieu ouvert ; les centres de jour ; lescentres éducatifs renforcés ; les centres éducatifs fermés ; les centres de placement immédiat.


336Dans la réalité, les enquêtes menées en France, par le Sénat et l’Assemblée nationale (2000),et par le Commissaire européen aux droits de l’homme (2006), décrivent une situation bien endécalage avec ces principes : faiblesse des programmes éducatifs et de formation, pas de respect duprincipe d’encellulement (D 516 CPP) ni même de séparation complète avec le quartier des adultes.Alors que la participation des mineurs aux activités avec les adultes est prévue à titre exceptionnel(art. D 515, dernier al. Cpp), dans la réalité cela est fréquent. Des jeunes détenus dans des quartiers àpart peuvent se trouver avec les adultes aussi bien lors des activités que lors des promenades 1642 . Lecommissaire européen signalait, tout comme le Sénat, une autre situation extrêmement grave : lemanque de prisons et des quartiers séparés pour les jeunes filles.Or, il est à souligner, que de telles conditions peuvent rendre la détention égalementarbitraire au regard du droit à la liberté (art. 5 CEDH) pour non-respect des conditions légalesprévues par chaque pays, dans lesquelles la détention des mineurs doit avoir lieu. La Cour a jugé quetel était le cas dans deux affaires concernant l’une la Belgique et l’autre l’Irlande du Nord, à cause duséjour relativement long des mineurs dans des prisons en attendant d’être affectés dans des« institutions adéquates ». Ces institutions sont des établissements spécialement aménagés etorganisés pour répondre aux besoins éducatifs fixés à la détention des mineurs dans ces deuxpays 1643 . Mais nous pouvons raisonnablement estimer qu’un tel problème doit être également posépour la Grèce et la France lorsque la peine est intégralement exécutée dans des établissements pouradultes et/ou dans des conditions ne répondant pas aux prescriptions légales de ces deux paysconcernant le régime d’exécution de cette peine.Au-delà des facteurs propres à une personne (son état physique, son état de santé, son âge, sagrossesse), un autre facteur objectif peut mettre en cause la détention de toute personne : la durée.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>§ 3. Les questions fondées sur la longueur des peines<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Les études sont unanimes sur l’aggravation, avec le temps, des effets nuisibles de ladétention tant physiques, sociaux que mentaux. De tels effets attachés à toute détention, quelles quesoient les conditions matérielles et les régimes d’exécution, ont été signalés dès 1954 dans leUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Courrier de l'Unesco : « La prison la plus propre et la plus scientifiquement organisée, la plushumaine en apparence, provoque d'irréparables torts à la personnalité du détenu après un certaintemps... par la perte du sens du temps au point où la réalité de sa propre existence devient confuse etdisparaît 1644 ». Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a reconnu depuis 1976 que « les1642 Le Sénat a constaté qu’il « n’existe pas de quartiers ‘mineurs’ véritablement isolés des autres détenusmajeurs », SENAT, Prisons : une humiliation pour la République, préc., p. 48.1643 CEDH, D.G. c. Irlande, préc. ; CEDH, Bouamar c. Belgique, préc.1644 The Unesco Courrier, « Prisoners are People : When the Punishment too becomes a Crime », n° 10, 1954,p.10.


337effets négatifs d'une quelconque privation de liberté augmentent avec le temps 1645 , et l’a confirmé denouveau, en 2003, dans sa nouvelle Recommandation sur la gestion des longues peines 1646 . La CPTfaisait le même constat, en 2001, en parlant des « effets délétères associés à un emprisonnement delongue durée 1647 ». Dès lors, les longues peines et, a fortiori, les peines à perpétuité posentimmanquablement la question des limites de la souffrance inhérente à la détention et compatibleavec l’interdiction des peines ou traitements inhumains ou dégradants par l’article 3 de laConvention 1648 .Toutefois, la question de la durée de la peine privative de liberté a été longtemps considéréepar la jurisprudence européenne comme se situant hors du champ d’application de la Convention. Cen’est qu’à partir de 1999 qu’elle y est timidement entrée (A). Alors que certains pays européens ont,depuis longtemps, pris des dispositions visant à limiter efficacement le temps de la détention à desdurées plus compatibles avec la nature humaine et le Comité des Ministres du Conseil de l’Europerecommande fermement, depuis 2003, la mise en place par tous les pays européens des moyensvisant cet effet (B).A. L’absence de limites claires au sein de la jurisprudence européenneA priori le choix de la peine prononcée, son caractère approprié pour une infractiondonnée 1649 , sa justification 1650 , sa proportionnalité et, en général, sa durée 1651 ne relèvent pas de lacompétence de la Cour ou du champ de la CEDH 1652 . « D’une manière générale, la durée des peinesinfligées par les tribunaux ne relève pas de la Convention », déclarait la Cour dans l’affaire Medina(2003 1653 ) en rappelant la jurisprudence de la Commission sur cette question : « Bien que cela soitsouhaitable, aucune disposition de la Convention ni en particulier l'article 3 ne peut être interprétée1645 Résolution (76)2 sur le traitement des détenus en détention de longue durée, préc.1646 Extraits du Projet d'exposé des motifs de la Recommandation Rec(2003) du Comité des Ministres auxEtats membres concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et desautres détenus de longue durée.1647 CPT/Inf (2001)16, 11e Rapport général d’activités du CPT, préc.1648 Voir à ce propos, les travaux du « Collectif octobre 2001 », site : www.collectif2001.org.1649 CEDH, Medina c. Espagne (déc.), préc.1650 La Cour observe, tout d’abord, que le requérant exécute actuellement la peine de dix ans de réclusioncriminelle à laquelle il a été condamné le 2 avril 1998 par la cour d’assise de la Gironde, alors qu’il était âgé de88 ans. La tâche de la Cour n’est pas d’apprécier si cette peine est ou non justifiée, mais de s’assurer que sonexécution ne contrevient pas aux dispositions de l’article 3 de la Convention, CEDH, Papon c. France (n°1),préc.1651 Elle rappelle d’emblée qu’elle n’est pas compétente pour réexaminer les faits sur lesquels cettecondamnation se fondait ou la mesure de la peine qui a été infligée. Sa tâche consiste au contraire à recherchersi les modalités de l’exécution de celle-ci ont porté atteinte aux droits fondamentaux du requérant, CEDH,Priebke c.Italie (déc.), préc.1652 CEDH, Sawoniuk c. R.U., (déc.), préc. ; CEDH, Papon c. France (n°1), préc. ; CEDH, Medina c. Espagne(déc.), préc.1653 La Cour rappelle que la question concernant le fait de savoir si une peine légalement prononcée estappropriée, tombe en principe, en dehors du champ d’application de la Convention. Ainsi, par exemple, il nelui revient pas de dire quelle est la durée de détention qu’il convient d’appliquer à une infraction déterminée,CEDH, Medina c. Espagne (déc.), préc.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


338comme imposant aux autorités nationales une obligation de réexaminer le cas des détenus purgeantune peine d'emprisonnement à vie régulièrement prononcée, en vue d'une remise ou d'uneinterruption définitive de celle-ci 1654 ». La Commission avait seulement reconnu que pour des« raisons humanitaires » et de « bonne administration de la justice », les Etats doivent prendre desmesures pour éviter les peines à vie 1655 . La Cour, dans sa première décision rendue en cette matière,en 1995, avait en effet suivi cette jurisprudence 1656 .C’est en 1999, que cette dernière instance a reconnu qu’une peine d’emprisonnementperpétuel peut également soulever une question au regard de l’article 3 de la Convention. C’était àpropos de la condamnation à une telle peine des enfants âgés, au moment des faits, de dix ans 1657 .Précisément il s’agissait de la condamnation de ces enfants, en droit anglais, à une peinediscrétionnaire perpétuelle pour la durée qui plaira à sa majesté (during at Her Majesty's pleasure).La Cour a reconnu qu’une telle peine peut devenir inhumaine ou dégradante si la possibilité n’estdonnée à ces personnes de retrouver leur liberté par le moyen d’une libération conditionnelle.La Cour a, en 2001, étendu cette approche à l’égard des adultes condamnés à des peinesperpétuelles incompressibles, qui excluent donc la possibilité de retrouver un jour la liberté. Ils’agissait en l’occurrence du risque de l’application de telles peines à des personnes détenues enEurope en attente d’extradition vers les Etats-Unis. La Cour avait affirmé qu’elle « n’exclut pas quela condamnation d’une personne à une peine perpétuelle incompressible puisse poser une questionsous l’angle de l’article 3 de la Convention 1658 ». Par conséquent, l’extradition serait une mesureinhumaine si les personnes concernées encouraient effectivement le risque d’être condamnées à unetelle peine 1659 . Elle s’est référée à ce propos à deux textes du Conseil de l’Europe : à la Résolution(76)2 « sur le traitement des détenus en détention de longue durée » 1660 , et au « Rapport général surle traitement des détenus en détention de longue durée » du Comité européen pour les problèmescriminels, qui avait précédé cette Résolution 1661 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1654 D 7994/77, (Kotalla c. Pays-Bas), 6.5.1978, D.R. 14, p. 238. Voir aussi D n° 11077/84, 13.10.1986, D.R.49, p. 170. Bien que dans l’affaire Weeks, elle ait estimé qu’une telle peine infligée sans possibilité delibération peut soulever des questions au regard de l’interdiction des traitements inhumains : R n o 9787/82,(Weeks c. R.U.), 12.12.1993, § 72.1655 D 7994/77, (Kotalla c. Pays-Bas), préc.1656 D n°21221/93 (L.J/Finlande), 28.6.1995.1657 CEDH, V. c. R.U., [GC], n o 24888/94, CEDH 1999-IX, §§ 97-101 ; CEDH, T. c. R.U, [GC], préc., §§ 96-Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008100.1658 CEDH, Einhorn c. France (déc.), n o 71555/01, CEDH 2001-XI.1659 Ibid. ; CEDH, Nivette c. France (déc.), n o 44190/98, CEDH 2001-VII.1660 Résolution (76)2 sur le traitement des détenus en détention de longue durée, Conseil de l’Europe, Comitédes Ministres, 1976.1661 Ce dernier organe avait estimé « être inhumain d'emprisonner une personne pour la vie sans lui laisseraucun espoir de libération ». En rappelant que « les effets négatifs d'une quelconque privation de libertéaugmentent avec le temps », il recommandait que « les lois ou les règlements garantissent qu'aucun détenu nepuisse être oublié et que son cas sera périodiquement révisé pour décider s'il n'y pas lieu d'envisager unelibération conditionnelle ». Le premier examen devrait intervenir au bout de huit à quatorze ans, et même


339C’est en 2003, que la Cour a accepté d’étendre cet examen également aux longues peines. Ils’agissait en l’occurrence de la condamnation d’une personne à quarante ans de peine privative deliberté : « La Cour n’écarte pas le fait que, dans des circonstances particulières, l’exécution de peinesprivatives de liberté de très longue durée puisse également poser problème, en particulier, lorsqu’iln’existe aucun espoir de pouvoir bénéficier de mesures telles que la liberté conditionnelle. 1662 »Ainsi, la jurisprudence européenne actuelle ne juge pas que l’existence de longues peines etdes peines perpétuelles soient contraires à l’article 3, y compris à l’égard des mineurs 1663 , nid’ailleurs à l’article 5 de la Convention relatif au droit à la liberté 1664 . Ce sont les modalités de leurapplication qui peuvent les rendre inhumaines ou dégradantes, précisément l’absence de toutepossibilité, et donc de tout espoir, de recouvrer la liberté avant le terme d’une longue peine et, afortiori, avant la mort en prison, s’il s’agit d’une peine à perpétuité.Cependant, la Cour ne fixe pas de seuil maximum à partir duquel le maintien en détentionserait constitutif d’une peine inhumaine ou dégradante 1665 . Par ailleurs, l’application faite de lapossibilité d’obtenir une libération avant le terme de la peine prononcée, n’empêche pas que desmineurs passent six ans en prison 1666 , ni qu’une personne puisse passer plus de moitié de sa vie enprison. Tel est en effet le cas d’une personne détenue en France qui a passé quarante et un ans endétention continue (entre 1964 et 2005). Alors qu’il était libérable à partir de 1979, il n’a obtenu salibération conditionnelle qu’en 2005, après que sa requête auprès de la Cour ait été déclaréerecevable. La Cour a qualifié cette durée d’« exceptionnellement longue 1667 » et reconnu qu’une« condamnation à perpétuité telle que celle infligée et subie par le requérant entraîne nécessairementangoisses et incertitudes liées à la vie carcérale et, une fois libéré, aux mesures d’assistance et deplutôt ; ensuite, un tel examen doit avoir lieu à des intervalles réguliers, Projet de Rapport général sur letraitement des détenus en détention de longue durée, Rapport, 18 août 1975, CDPC, Conseil de l'Europe.1662 CEDH, Medina c. Espagne (déc.), préc. Elle avait eu, en 2001, souligné à propos des peines à perpétuité :« De plus, rien n’indique en l’occurrence que la peine perpétuelle infligée prive le requérant de touteperspective de libération », CEDH, Sawoniuk c. R.U., (déc.), préc., (irrecevable).1663 « La Convention n’interdit pas aux Etats d’infliger à un enfant ou à un adolescent convaincu d’uneinfraction grave une peine de durée indéterminée », CEDH, V c. R.U, préc., § 98 ; CEDH, T c. R.U., préc.,§ 97.1664 « Eu égard à la gravité des infractions pour lesquelles le requérant a été condamné, une peined’emprisonnement perpétuel ne saurait pas non plus passer pour arbitraire ou disproportionnée sous l’angle del’article 5 de la Convention. », avait-elle déclaré à propos d’une telle condamnation prononcé à l’encontred’une personne condamnée pour des crimes de guerre, CEDH, Sawoniuk c. R.U., (déc.), préc.1665 Comme l’a souligné Pierrette Poncela, « les délais constituent une question délicate pour la Cour deStrasbourg », P. PONCE<strong>LA</strong>, « La logique modale de la peine dans la jurisprudence de la Cour européenne desdroits de l’homme », in Les droits de l’homme, bouclier ou épée du droit pénal ?,CARTUYVELS Y.,DUMONT H., OST F., VAN <strong>DE</strong> KERCHOVE M., VAN DROOGHENBROECK S. (dir.), Bruxelles, FacultésUniversitaires Saint-Louis, 2007.1666 « En tout cas la Cour estime que, compte tenu de l’ensemble des données de la cause, y compris l’âge del’intéressé et ses conditions de détention, passer six ans en détention, l’on ne saurait affirmer qu’une période dedétention punitive de cette durée constitue un traitement inhumain ou dégradant », avait-t-elle conclu dansdeux affaires contre le Royaume-Uni (T c. RU, § 98, et V. c. R.U, § 99, précitées).1667 CEDH, Léger c. France, préc., § 92.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


340contrôle et à la possibilité d’être réincarcéré ». Elle n’a toutefois pas jugé que cette durée soit unfacteur d’aggravation des souffrances inhérentes à l’emprisonnement, au point de conclure que lerequérant ait été victime d’une « épreuve exceptionnelle » susceptible de constituer un traitementcontraire à l’article 3 1668 .Pourtant l’exemple de certains pays européens et des Recommandations du Conseil del’Europe militent pour la réduction du temps de détention à des durées bien moindres.B. Des limites garanties au sein des droits nationaux et recommandées par le Comité des Ministresdu Conseil de l’EuropeLa majorité des pays en Europe applique la peine de réclusion à perpétuité. Seuls cinq paysl’ont supprimé : la Croatie, la Norvège, le Portugal, la Slovénie et l’Espagne. Parmi ces pays, c’est laNorvège qui a limité la détention à la durée la moins longue : à vingt et un ans. Elle est suivie duPortugal qui la limite à vingt-cinq ans. La Slovénie et l’Espagne, en revanche, fixent cette durée bienhaut : à trente ans 1669 .La Grèce et la France font partie des pays qui appliquent la réclusion à perpétuité. Mais biendes différences caractérisent la durée des peines et la durée effective du maintien en détention dansces deux pays. La durée de la seconde peine dans l’échelle de leurs peines, la peine de réclusion àtemps, elle est limitée à vingt ans en Grèce (art. 52 C. pén.) alors qu’elle est de trente ans en France(art. 131-1 C. pén.). Quant à la durée du maintien en détention des personnes condamnées à deslongues peines et à perpétuité, diffère elle aussi, entre ces deux pays en raison des délais d’accès à lalibération conditionnelle et des conditions de fond requises pour son octroi.Le délai d’accès au bénéfice de la libération conditionnelle. En principe, c’est aprèsl’exécution de deux cinquièmes de la peine pour les condamnés à une peine d’emprisonnement, et detrois cinquièmes pour les condamnés à une peine de réclusion à temps que les détenus peuvent, endroit grec, bénéficier d’une libération conditionnelle (art. 105 C. pén.). Les trois cinquièmes seréduisent aux deux cinquièmes pour les personnes âgées de plus de soixante-dix ans au moment de lacondamnation (105 C. pén.). Concernant les mineurs, ce délai est fixé à la moitié de l’exécution de lapeine (art. 129 §1, C. pén.). Les personnes condamnées à une peine perpétuelle ont accès à lalibération conditionnelle après vingt ans de détention et celles âgées de plus de soixante-dix ans y ontaccès après seize ans (art. 105 C. pén.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081668 « Elle en conclut que le maintien en détention du requérant, en tant que tel, et aussi long fut-il, n’a pasconstitué un traitement inhumain ou dégradant », CEDH, Léger c. France, préc., § 92.1669 Exposé des motifs à la Recommandation Rec(2003)23, concernant la gestion par les administrationspénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, (Rapporteur, Sonja Snacken).


En droit français, ce délai est fixé après l’exécution de la moitié de la peine (art. 729 Cpp).Toutefois un nombre d’exceptions est prévu qui vont vers l’aggravation de cette durée. Ce délai estporté aux deux tiers pour les récidivistes (art. 729 Cpp). Un nombre de condamnations peut êtreassorti d’une période de sûreté pendant laquelle la personne ne peut pas demander une libérationconditionnelle. Cette période est automatique dans le cas de condamnations pour certainesinfractions à des peines supérieures à dix ans 1670 . Sa durée est de la moitié de la peine ou, en cas decondamnation à perpétuité, de dix-huit ans 1671 . Mais la période de sûreté peut aussi être prononcéepar le tribunal dans tous les cas de condamnation à une peine supérieure à cinq ans 1672 . Dans ce cas,elle peut aller jusqu’au tiers de la peine prononcée et, en cas de perpétuité, jusqu’à vingt-deux ans(art. 132-23 C. pén 1673 ). Enfin, la Cour d’assisses peut porter la période de sûreté à trente ans pourcertaines infractions (art. 221-3, 221-4 C.pén.). Les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuitépeuvent prétendre à une libération conditionnelle au terme de quinze années de détention et, si ellessont en état de récidive légale, au terme de vingt années (art. 729 CPP).Quant à la possibilité réelle d’obtenir une libération conditionnelle, elle est mieux garantieen Grèce qu’en France. Rappelons qu’en droit grec, où cette mesure est juridictionnalisée depuis1957 1674 , et assortie de la garantie des droits de la défense 1675 , des réformes ont eu lieu en 1994 et1996 (loi n° 2207/94 et loi n°2408/1996) visant à alléger les conditions d’octroi de cette mesure et àgarantir le principe de l’issue favorable d’une demande : La « libération conditionnelle doit êtreaccordée », sauf si le tribunal estime que la poursuite de la détention est « absolument nécessairepour éviter la commission de nouvelles infractions » (art. 106 §1, C. pén.). Cette appréciation ne peutêtre fondée que sur un critère exclusif : le comportement du détenu lors de l'exécution de sa peine.Aussi la marge d'appréciation des tribunaux est limitée à la détermination du contenu de ce critèrequi doit être strictement et objectivement interprété. La jurisprudence a, par exemple, précisé que lacommission des infractions disciplinaires de faible gravité n'est pas indicative d'un caractère<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1670 « En cas de condamnation à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, dont la durée est égale ousupérieure à dix ans, prononcée pour les infractions spécialement prévues par la loi, le condamné ne peutbénéficier, pendant une période de sûreté, des dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de lapeine, le placement à l'extérieur, les permissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle », (art.132-23, al.1, C.pén.)1671 « La durée de la période de sûreté est de la moitié de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à laréclusion criminelle à perpétuité, de dix-huit ans », (art. 132-23, al.2, C. pén.).1672 « Dans les autres cas, lorsqu'elle prononce une peine privative de liberté d'une durée supérieure à cinq ans,non assortie du sursis, la juridiction peut fixer une période de sûreté pendant laquelle le condamné ne peutbénéficier d'aucune des modalités d'exécution de la peine mentionnée au premier alinéa. La durée de cettepériode de sûreté ne peut excéder les deux tiers de la peine prononcée ou vingt-deux ans en cas decondamnation à la réclusion criminelle à perpétuité. », (art. 132-23, al.3, C. pén.).1673 «…La cour d'assises ou le tribunal peut toutefois, par décision spéciale, soit porter ces durées jusqu'auxdeux tiers de la peine ou, s'il s'agit d'une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité, jusqu'à vingtdeuxans, soit décider de réduire ces durées » (art. 132-23, al.2, C. pén.).1674 Loi n°3681/1957, JO, A, 65/24.4.1957.1675 Notamment, l’octroi d’un délai pour préparer la défense, la présence au tribunal, l’impartialité du tribunal,le recours en appel et le pourvoi en cassation (art. 110 C. pén.).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008341


342dangereux du détenu ou d'un criminel par habitude 1676 .A part la libération conditionnelle, les détenusen Grèce peuvent réduire leur temps de détention s’ils travaillent et, depuis le décret n°75/2005, sielles suivent des programmes éducatifs, des formations professionnelles ou si elles sont inscrites auxécoles de « deuxième chance » qui visent à obtenir un titre d’études obligatoires. Un jour de travailou d’une autre activité citée, peut être compté pour un jour et demi de détention jusqu’à deux jours.Les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans bénéficient automatiquement d’un tel calcul : unjour de détention est compté pour deux jours (art. 105 §2, C. pén.).En droit français, la juridictionnalisation de la libération conditionnelle est plus récente. Ellea eu lieu en 2000 (loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 1677 , complétée par la loi nº 2005-1549 du 12décembre 2005) et est assortie de la garantie des droits de la défense élémentaires 1678 . Cependant lescritères de son octroi demeurent flous 1679 . Si bien que cette mesure est très peu accordée aux détenus.Seulement 5,7 % de libérations conditionnelles ont été accordées en 2005. Ce pourcentage est endéclin constant depuis 2001, année au cours de laquelle le taux était de 13,1 % 1680 . Il ne reste auxdétenus en France que la mesure de réduction de peine pour écourter leur temps de détention 1681 .Cependant les personnes condamnées à des peines privatives de liberté assorties de périodes desûreté sont exclues du bénéfice de cette mesure durant cette période 1682 . Si bien qu’il est certainqu’une catégorie de détenus en France reste forcement en prison pendant de longues périodes, entredix-huit et trente ans, de surcroît, sans aucun aménagement de peine permettant d’infléchir les effetsd’un enfermement continu 1683 . Cette période de leur vie est un temps totalement mort.Toutefois, les modalités d’application des longues peines au sein de ces deux pays et d’autrespays européens ne sont pas dépourvues d’enseignement. Si l’on tient également compte que laNorvège limite la durée de la peine maximale à vingt et un ans, que l’Espagne fixe le délai pourl’obtention d’une libération conditionnelle à trois quarts de la durée maximale de trente ans, cela<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1676 Cour d'appel de Patras, siégeant en chambre du conseil, ordonnance n°239/95, Armenopoulos, 1996, 1, pp.88-90 ; Cour d'appel de Patras, siégeant en chambre du conseil, ordonnance°102/1996, Armenopoulos, 1996, 9,p. 1158 et s.1677 Loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et des victimes1678 Article 712-6 et 712-7 CPP.1679 Article 729 de la loi 13 décembre 2005 : « La libération conditionnelle tend à la réinsertion des condamnéset à la prévention de la récidive. Les condamnés ayant à subir une ou plusieurs peines privatives de libertépeuvent bénéficier d'une libération conditionnelle s'ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale,notamment lorsqu'ils justifient soit de l'exercice d'une activité professionnelle, soit de l'assiduité à unenseignement ou à une formation professionnelle ou encore d'un stage ou d'un emploi temporaire en vue deleur insertion sociale, soit de leur participation essentielle à la vie de famille, soit de la nécessité de subir untraitement, soit de leurs efforts en vue d'indemniser leurs victimes. »1680 Voir, supra, dans le chapitre sur le droit à la liberté, les statistiques relatives à l’octroi de la libérationconditionnelle tirées du rapport du Sénat sur le Projet de loi de finances pour 2008.1681 Voir, supra, Chapitre sur le droit à la liberté.1682 « Les réductions de peines accordées pendant la période de sûreté ne seront imputées que sur la partie de lapeine excédant cette durée » (art. 132-23 C. pén.).1683 « Les dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, lespermissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle ne sont pas applicables pendant la durée dela période de sûreté prévue à l'article 132-23 du code pénal » (art. 720-2 CPP).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


343signifie qu’un consensus se dégage en Europe sur la durée maximale de la détention compatible avecla nature de l’homme : elle se situe autour de vingt ans. D’autant plus qu’un certain nombre de paysfixent le délai maximum plus bas : la Belgique ouvre aux personnes condamnées à perpétuité lapossibilité de bénéficier d’une libération conditionnelle après dix ans de détention, le Danemarkaprès douze ans, l’Allemagne après quinze ans 1684 .A ce propos rappelons que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe considère commeune longue peine les peines supérieures à cinq ans 1685 et que ce même organe a recommandé dès1976 d’examiner la possibilité d’une libération conditionnelle à partir de huit ans, et au plus tard à laquatorzième année de détention 1686 .Ce qui est certain, c’est qu'au-delà d’une certaine durée, la détention soulève un grandnombre de problèmes, aussi bien de sens et d’utilité de cette peine, que de respect de la dignité de lapersonne. Le droit anglais, qui prévoit également la fixation d’un « tariff » dans les peines àpérpétuité, qui est la période puinitive à l’expiration de laquelle une libération conditionnelle peutintervenir, parle de « whole life tariff ». Cela signifie qu’une peine peut être trop longue pour êtrepurgée au cours de la vie naturelle d’un homme 1687 .En effet, une longue peine pose la question d’utilité, car après un certain tempsd’enfermement, la réintégration sociale, qui donne un sens positif à la peine, celui de larestructuration du lien social rompu par l’infraction, devient soit inutile soit impossible. Elle devientinutile à cause de l’âge avancé des intéressés, plus proches de la retraite que de la préparation à la vieactive. Pis encore, elle soulève la question du décès en prison plutôt que celle de la réintégration.Comme il est souligné dans les motifs de la Recommandation du Comité des Ministres concernant lagestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus delongue durée (2003), alors qu’une sortie de prison à l'issue d'une période limitée d'incarcération« implique un effort de préparation à la libération », « la perpétuité assortie d'une période de sûreté,exclut une telle préparation » et « appelle, à terme, une préparation au décès en détention 1688 ». Laréintégration sociale devient également impossible. « Tout emprisonnement de longue durée peutentraîner des effets désocialisants sur les détenus » 1689 , souligne le CPT. Des études montrent qu’au<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081684 SENAT, La libération conditionnelle, (2005), préc.1685 Définition de longue durée : « 1. Aux fins de la présente recommandation, un condamné à perpétuité estune personne purgeant une peine de prison à perpétuité. Un détenu de longue durée est une personne purgeantune ou plusieurs peines de prison d'une durée totale de cinq ans ou plus » Recommandation R(2003)23concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenusde longue durée, Conseil de l’Europe, Comité des Ministres, 19 octobre 2003.1686 Résolution (76)2 sur le traitement des détenus en détention de longue durée, préc.1687 Projet d'exposé des motifs de la Recommandation Rec(2003) du Comité des Ministres aux Etats membresconcernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus delongue durée.1688 Ibid.1689 CPT/Inf (2001)16, 11e Rapport général d’activités du CPT, préc.


344bout d’un certain temps, les liens sociaux et affectifs se rompent et le fonctionnement de la prisonréduit les hommes et les femmes à un état de passivité et de dépendance les rendant incapables dereprendre une vie normale à l’extérieur 1690 .Outre ces conséquences, il importe de souligner que les longues peines aggravent les effetsnéfastes physiques et psychiques inhérents à toute détention ordinaire. Avec le temps, la rupture desliens familiaux compromet la santé mentale et l’absence de perspective de sortie sur une longuepériode entraîne des sentiments de dépression, de dépréciation et d’apathie. En général, la détentioncontribue au développement des maladies mentales, au déclin plus rapide des aptitudes physiques, àl’appauvrissement des stimulations sensorielles, et même au suicide. Telles sont, entre autres, lesconséquences répertoriées par le groupe de travail préparatoire pour l’élaboration, en 2003, de laRecommandation du Conseil de l’Europe concernant la gestion par les administrations pénitentiairesdes condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée 1691 . D’ailleurs, l'exposé des motifsde cette Recommandation parle des conséquences néfastes 1692 et délétères 1693 de toutemprisonnement. Des conséquences qui se produisent incontestablement au bout d’un certain temps,comme le confirmait le CPT, en 2001 1694 , et qui ne font qu’augmenter avec le temps. Rappelons quele Comité des Ministres du Conseil de l’Europe situait, en 1976, l’apparition de telles conséquencesau bout de quatre à six ans 1695 . Le courrier de l’Unesco, en 1954, parlait même des effets« irréparables », donc irréversibles 1696 .En effet, ayant été convaincu des effets de l’emprisonnement de longue durée, le Comité desMinistres du Conseil de l’Europe a, de nouveau, recommandé en 2003 aux gouvernementseuropéens, de « réduire autant que possible la durée de la détention » 1697 et de recourir, pouratteindre cet objectif, à la libération conditionnelle. Cette mesure est considérée comme le moyen le1690 Projet d'exposé des motifs de la Recommandation Rec(2003) concernant la gestion par les administrationspénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, préc. Voir A. –M.,MARCHETTI, Perpétuités: Le temps infini des longues peines, Paris, Plon Terre Humaine. 2001 ; « Longuespeines : le bannissement des temps modernes », OIP, Dedans-Dehors, n° 21, 2000. Voir aussi les actes d’un<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...imporant congrès de l’Académie Internationale de Médecine légale et de Médecine sociale, sur « Droits del’homme et contrainte de la personne », qui a eu lieu à Lyon, le 27-30 août 1979, in Acta medicinae legalis etsocialis, Volume XXX, 1980-1, Paris, éd. Masson. Des psychologiues et psychiatres y avaient mis en cause laconformité à la déontologie médicale des certificats d’ « aptitude à la détention » des êtres humains.1691 Projet d'exposé des motifs de la Recommandation Rec(2003) concernant la gestion par les administrationspénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, préc.1692 « Considérant que le coût financier de la détention pèse lourdement sur la société et que les étudesmontrent que la détention a souvent des conséquences néfastes et n'assure pas la réinsertion des détenus »,Rec(2003)22 sur la libération conditionnelle.1693 4.a. Afin de réduire les effets délétères de la détention et de favoriser la réinsertion des détenus dans desconditions visant à garantir la sécurité de la collectivité, la législation devrait prévoir la possibilité pour tous lesdétenus condamnés, y compris les condamnés à perpétuité, de bénéficier de la libération conditionnelle », Ibid.1694 CPT/Inf (2001)16, 11e Rapport général d’activités du CPT, préc.1695 « Troubles émotifs, troubles de la compréhension et du jugement, modification du comportement setraduisant par une régression vers l'infantilisme et troubles affectant les relations sociales », Résolution (76)2« sur le traitement des détenus en détention de longue durée, préc.1696 The Unesco Courrier, « Prisoners are People : When the Punishment too becomes a Crime », préc., p. 10.1697 Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


345plus efficace aussi bien pour réduire les effets physiques, mentaux et sociaux préjudiciables de ladétention de longue durée, que pour assurer une gestion humaine de la prison mais aussi pour luttercontre la récidive. En effet, la libération conditionnelle est considérée comme le moyen le plusefficace de lutte contre la surpopulation carcérale 1698 et le moyen le plus efficace et constructif contrela récidive 1699 . Elle fonctionnerait comme un « sas » entre la prison et la vie en liberté 1700 .Dès lors, la Cour devrait s’inspirer, aussi bien des Recommandations du Conseil de l’Europeque des pays européens cités qui sont dotés des moyens pour limiter la durée de la détention.D’autant plus que les longues peines génèrent un autre problème au regard de l’article 3 de laConvention : la présence des personnes âgées en prison et même la mort en prison. « Il est indigne demourir en prison », reconnaissent des instances tant européennes 1701 que nationales 1702 . La limitationde la durée de détention devrait alors faire partie des objectifs de la jurisprudence européenne pouréviter que la détention devienne un traitement inhumain ou dégradant. La Cour devrait alors yapporter des garanties plus claires et plus efficaces.*Au regard de l’application de l’interdiction de la torture et des peines ou traitementsinhumaines ou dégradants dans le cadre de la protection de l’intégrité physique des détenus, nousavons pu constater que même devant cet impératif absolu, la Cour ne déroge pas à la conception dela prison comme un contexte justifiant une qualité de vie moindre qu’à l’extérieur. Même si lasituation de vulnérabilité est prise en compte, elle n’a pas conduit à une garantie contre de tellesatteintes équivalente à l’extérieur. Il faut atteindre des seuils assez élevés pour retenir la violation del’article 3 aussi bien à propos des violences que des mauvaises conditions matérielles de vie et de ladureté des régime spéciaux, notamment celui d’isolement. Ce défi n’est que plus aigu au regard de lasanté. Depuis la suppression de la torture, la santé a toujours été considérée comme un aspect auquelaucune peine et aucune nécessité sécuritaire ne peut justifier de porter atteinte. Nous allons voir dansquelle mesure la Cour fait face à ce défi à propos d’un contexte reconnu comme pathogène.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1698 Rec(2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité etdes autres détenus de longue durée, préc.1699 « Reconnaissant que la libération conditionnelle est une des mesures les plus efficaces et les plusconstructives pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale des détenus dans la société, selonun processus programmé, assisté et contrôlé », Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle, préc.1700 « La libération conditionnelle devrait viser à aider les détenus à réussir la transition de la vie carcérale à lavie dans la communauté dans le respect des lois, moyennant des conditions et des mesures de prise en chargeaprès la libération visant cet objectif et contribuant à la sécurité publique et à la diminution de la délinquanceau sein de la société », Ibid.1701 Comme le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, dans sa Recommandation Rec(2003)23concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenusde longue durée, mais aussi le CPT lorsqu’il recommande la prise des mesures pour éviter aux personnes d’ungrand âge de rester en prison et donc de mourir en prison, CPT/Inf/E (2002) 1, Les normes du CPT, Rev. 2006,§ 70.1702 ASSEMB<strong>LE</strong>E NATIONA<strong>LE</strong>, La France face à ses prisons, Rapport, t.I, n° 2521, 2000, p. 249.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


346CHAPITRE 3. APPLICATION <strong>DE</strong>S INTERDITS DANS <strong>LA</strong> GARANTIE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong>SANTE <strong>DE</strong>S <strong>DE</strong>TENUS« L'objet des prisons n'est pas de rétablir la santé des criminels ou de prolonger leur vie, maisde les punir... Il ne faut donc pas exagérer les obligations de la société sur ce point, et si dans lesprisons les chances de longévité ne sont pas très inférieures à ce qu'elles eussent été pour les mêmeshommes en liberté, le but raisonnable est atteint. L'humanité est satisfaite 1703 . » Cette déclaration aété faite en 1844, en France, par Tocqueville, alors chargé de la mission officielle visant à réformerla prison. Etonnante lorsqu'on sait que la protection de la santé fut la première garantie reconnue auxdétenus. Elle remonte à l'ordonnance française de 1670, lorsque la prison n'avait qu'un caractèrepréventif : « Nous voulons que les prisons soient saines et disposées en sorte que la santé deprisonniers ne puisse être incommodée 1704. » Cette garantie allait être expressément prévue lors del’usage de la prison à titre de peine. Le deuxième décret de l'Assemblée Constituante, du 16-20septembre 1791, sur les règles communes aux prisons préventives et aux prisons pour peines,prévoyait dans son deuxième article que « les procureurs généraux syndics veilleront, sous l'autoritédes directoires de département, à ce que ces différentes maisons soient non seulement sûres, maispropres et saines, de manière que la santé des personnes détenues ne puisse être aucunementaltérée 1705 . »Il en fut de même en droit grec. La santé des détenus avait fait l'objet de protection dès lapremière ordonnance relative à l'organisation de la prison comme lieu de punition. Cette ordonnance,datée du 20 décembre 1830, prévoyait que le gardien doit informer immédiatement la police de lamaladie d'un détenu pour que celui-ci soit transféré sans délai à l'hôpital 1706 . Le premier Décret royalen matière d'organisation de la prison, du 31 décembre 1836, prévoyait la construction d'hôpitauxpénitentiaires ainsi que des locaux sanitaires 1707 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La protection de la santé des détenus n'était-elle cependant qu'un souhait pieux ? On n'acessé depuis lors de dénoncer de graves atteintes. En ce qui concerne la Grèce, malgré les textessusmentionnés, la réaction de Benjamin Appert, après sa visite des prisons grecques au milieu duUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20081703 . A. <strong>DE</strong> TOCQUEVIL<strong>LE</strong>, Oeuvres complètes, Ecrits sur le système pénitentiaire en France et à l'étranger,préc., p. 142.1704 . Art. 1er, titre III : Des prisons, Ordonnance de 1670. On peut de surcroît lire en note : « La prison ne doitpas être grève, en sorte qu'elle puisse ou doive empirer le corps du prisonnier, d'autant que ce serait une chosedure que le corps d'aucuns fût par prison empiré, et, après le cas enquis, qu'il s'allât innocent », Code desprisons de 1670 à 1845, préc., p. 1 et s.1705 . Ibid., p 11.1706 . En cas de maladie d'un détenu, le gardien doit informer immédiatement la police, pour que celui-ci soittransféré sans délai à l'hôpital, Ordonnance du 20 décembre 1830, article 27, in Code pénitentiaire, commentépar Y. PANOUSSIS, préc., p. 213.1707 . Décret royal du 31 décembre 1836 ( art. 7), Ibid., p. 220.


347XIX e , siècle décrit une situation alarmante 1708 . Concernant les prisons en France, des historiensfrançais ayant étudié la prison durant le XIX e siècle affirment qu'elle n'a servi qu'à transférer lessupplices de la place publique en un lieu obscur et caché 1709 . Dès lors, les propos précités deTocqueville, s'ils peuvent choquer, ne sont qu'un aveu. Le mauvais entretien de la santé des détenusn'est pas dû seulement à des raisons pratiques. Il est également fondé sur la conception de la peinecomme une souffrance, incompatible alors avec le bien-être des détenus.A l'heure actuelle, alors que le droit à la santé est reconnu comme un droit fondamentaldepuis 1948, et que la notion de « bien-être » des détenus a trouvé une place dans les textespénitentiaires et les déclarations officielles, on constate qu'aussitôt formulées, ces intentions sontdémenties par les faits.En effet, le droit à la possession du meilleur état de santé comme un droit fondamental, a étéreconnu dès 1948. Il figure dans le préambule de l’institution, le 7 avril 1948, au sein des NationsUnies de l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) 1710 . « Le droit de jouir de la meilleure santépossible » a été réaffirmé dans le Préambule du Pacte social et pacte civil du 16 décembre 1966. En1982, le Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a instauré le principed’équivalence des soins assurés aux personnes détenues avec ceux assurés aux personnes libres 1711 .La Convention européenne des droits de l’homme ne prévoit pas expressément un droit à la santé.Toutefois, ce droit est garanti, en tant qu’aspect, d’une part, du droit à la vie privée telle qu’il estconsacré par son article 8 1712 , et d’autre part, en tant qu’aspect contribuant au respect de la dignité ausens de l’article 3 1713 .Les droits nationaux comme le droit grec et français reconnaissent aux détenus le droit à lasanté puisque leur responsabilité peut être engagée pour faute. Cette responsabilité a été reconnue<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1708 . « Je ne saurais assez blâmer cette habitude générale de croire qu'une prison doit être sombre, humide, sanslumière, comme si jamais la punition devait refuser aux poumons l'air nécessaire à la respiration de l'homme.Je dis hautement pour la centième fois qu'il n'est pas juste, équitable et sage de priver un détenu de lanourriture indispensable à la conservation de la santé... L'emprisonnement en aucun cas ne peut sans iniquitéattaquer à la durée de l'existence de celui qui le supporte, garder le corps un certain temps ne veut pas dire le<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...détruire », Benjamin APPERT, Voyage en Grèce, Athènes, Imprimerie royale, 1856, pp. 12-13.1709 . Michel Foucault (Surveiller et punir) et Jean-Guy Petit (Ces peines obscures, La prison pénale en FranceUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20081780-1875), ont sans détours confirmé un tel usage.1710 La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentauxde tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ousociale.1711 « Les membres du personnel de santé, en particulier les médecins, chargés de dispenser des soins médicauxaux prisonnier(e)s sont tenus d’assurer la protection de leur santé physique et mentale et, en cas de maladie, deleur dispenser un traitement de la même qualité et répondant aux mêmes normes que celui dont bénéficient lespersonnes qui ne sont pas emprisonnées ou incarcérées », Résolution 37/194 du 18 décembre 1982 sur lesPrincipes d’éthique médicale, Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.1712 . CEDH, X et Y c. Pays-Bas, n° 8978/80, 26 mars 1985, Série A n° 91, § 22 ; R 15473/89 (H.M.Klaas/RFA) 21.5.1992.1713 Dans l'affaire Hurtado, le requérant, arrêté le 7 octobre 1989, n'a pu voir un médecin que le 13 du mêmemois, CEDH, Hurtado c. Suisse, préc.


dès 1952 par le Conseil d’Etat français, pour des soins tardifs ayant entraîné une incapacitépermanente 1714 . Cette jurisprudence a, depuis lors, été consolidée 1715 .348Toutefois, malgré des améliorations, l'état de santé des détenus continue d’être préoccupant.Une étude menée en France, en 1994, par le HCSP, avait établi des tableaux cliniques noirs : 50 %souffraient de troubles mentaux, 80 % avaient besoin de soins dentaires ; le taux de prévalence duVIH était dix fois plus important qu’à l’extérieur ; 80 % étaient des fumeurs ; 30 % des alcooliques ;et 15 % des toxicomanes 1716 (50 % des toxicomanes selon une autre étude 1717 ).Or, malgré une réforme importante en France, en 1994, ayant rattaché le système de soinsdes détenus au système de santé publique, et malgré les appels du CPT, la situation demeure, surnombre d’aspects, préoccupante. Comme elle le demeure également en Grèce malgré les appels duCPT. Les droits français et grec sont marqués par de nombreuses défaillances aussi bien au regarddes obligations positives, telles qu’elles sont établies par la jurisprudence européenne ainsi que parles Rapports du CPT et les Recommandations du Comité des Ministres, qu’au regard des obligationsnégatives.Par ailleurs, le respect de la vie privée et de la dignité impliquent également les obligationsdes Etats de respecter le secret médical et le consentement des personnes malades.Aussi, deux types d’obligations pèsent sur les Etats en matière de soins dont il conviendrait dedéterminer la teneur : des obligations positives et des obligations négatives. Ces obligationscomportent précisément l’obligation d’assurer des soins adéquats (Section 1), l’obligation des’assurer de la compatibilité de l’état de santé avec la détention (Section 2), et l’obligation derespecter le secret et le consentement (Section 3).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>SECTION 1. <strong>LE</strong>S OBLIGATIONS POSITIVES VISANT A GARANTIR <strong>DE</strong>S SOINSA<strong>DE</strong>QUATS<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...L’obligation positive des Etats dégagée par la jurisprudence européenne en matière de soinsUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008des personnes détenues est la garantie de « soins médicaux adéquats ». Dès 1993, la Commissionavait clairement affirmé que cette obligation fait partie de l’obligation plus générale de « protégerl’intégrité physique des personnes privées de liberté » et que, dans certains cas, « le manque de soins1714 . CE 25 janv. 1952, Vacqué, Leb., p. 60.1715 Voir entre autres : CE 6 juil. 1960, Ribot, Leb., p. 1124 ; CE 22 juill. 1963, veuve Letendue, Leb., p. 778 ;TA Caen 4 avr. 1995, Castel, (cité par J.-P. Céré, Prospectives sur la répartition juridictionnelle..., préc., noten°59).1716 . « Santé en milieu carcéral », Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP), Rapport sur l'amélioration de laprise en charge sanitaire des détenus, éd. Ecole nationale de la Santé publique, janv. 1993, p. 125.1717 . « Drogues et Prison », Actes de journée d'études, 22 avril 1994, préc., notamment pp. 29-35.


349médicaux adéquats… doit être qualifié de traitement inhumain 1718 . Bien que la jurisprudenceeuropéenne ait reconnu le droit à des soins adéquats dès 1993, c’est seulement à partir de 2001 que laprotection de la jurisprudence européenne a commencé à être efficace (§ 1). Alors que les droitsnationaux, comme le droit grec et le droit français, avaient déjà progressé dans ce sens, notammentce dernier depuis le rattachement du système des soins des détenus au système commun de santépublique, en 1994 (§ 2).§ 1. Les garanties européennes requises par les « soins médicaux adéquats »Par « soins médicaux », ainsi qu’il est précisé dans la Convention sur les droits de l’hommeet la biomédécine (Conseil de l’Europe, 1997), on doit entendre toute intervention médicale effectuéedans un but de prévention, de diagnostic, de thérapie, de rééducation ou de recherche (art. 3). Les« soins médicaux adéquats » sont entendus concernant les personnes détenues dans le sens d’unequalité et d’une rapidité équivalentes à celles à l’extérieur, pour une maladie donnée, à un momentdonné. Cette équivalence est exigée de la part de la Cour mais aussi de la part du Comité desMinistres, notamment dans ses Recommandations R(98)7 1719 et R(2006)2 1720 , et de la part duCPT 1721 . Cependant, le sens attribué au sein de la jurisprudence européenne à l’expression « soinsadéquats » a connu une lente émergence, avant de devenir synonyme d’accès aux soins de qualitééquivalente à celle à l’extérieur.Si la Commission avait dès 1993 reconnu, dans l’affaire Hurtado, que les soins tardifsapportés à un détenu victime de violences policières peut, plus qu’une atteinte au droit à la santé ausens de l’article 8 de la Convention, constituer un traitement inhumain et/ou dégradant au sens del’article 3 -et ce indépendamment de leur gravité et de leurs effets 1722 -, concernant les détenussouffrant d’une maladie, l’évolution a été plus lente. Le droit à la santé était, jusqu’en 1998, lu ennégatif au sein de la jurisprudence européenne. Il était entendu au sens du droit à des soinsempêchant une détérioration de la santé menaçant l’intégrité physique ou risquant de devenirirréversible. Ainsi, la Commission n’avait décelé aucun motif qui méritait un examen plusapprofondi au regard de la Convention à propos : du refus de soigner un détenu souffrant de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081718 CEDH, Hurtado c. Suisse, préc.1719 « La politique de santé en milieu carcéral devrait être intégrée à la politique nationale de santé et êtrecompatible avec elle », Rec(98)7, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieupénitentiaire, préc., (règles 10 à 12).1720 « La politique sanitaire dans les prisons doit être intégrée à la politique nationale de santé publique etcompatible avec cette dernière. », Règles pénitentiaires européennes, (règle 40.2).1721 « Le service de santé pénitentiaire doit être en mesure d'assurer les traitements médicaux et les soinsinfirmiers, ainsi que les régimes alimentaires, la physiothérapie, la rééducation ou toute autre prise en chargespéciale qui s'impose, dans des conditions comparables à celles dont bénéficie la population en milieu libre »,CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités du CPT, § 38.1722 « Le manque de soins médicaux adéquats dans une telle situation doit être qualifié de traitementinhumain », avait conclu la Cour dans l'affaire Hurtado, précitée. Le requérant, blessé au moment de sonarrestation, n'a été autorisé à voir un médecin que sept jours plus tard. La Commission avait alors envoyé cetteaffaire devant la Cour pour violation de l'article 3 en raison d’« absence de soins médicaux immédiats ».


350tuberculose non active, de surcroît, placé en isolement et soumis au pain et à l’eau durant deuxsemaines à titre de sanction disciplinaire pour avoir refusé de travailler à cause de son état desanté 1723 ; de la non-administration des soins prescrits par le médecin traitant à un détenu quisouffrait de sciatique aiguë 1724 ; de la non-opération d’un détenu souffrant des séquelles d’unefracture coxo-fémorale, cependant prescrite par son médecin traitant 1725 ; ou encore, du refus de touttraitement réclamé par un détenu examiné de loin par le médecin (à un mètre de distance) 1726 .Mais même après l’affaire Hurtado (1993), la Commission continuait d’exiger, outre laqualité des soins, également les effets sur la santé et un lien de causalité entre les soins et/ou lesconditions de la détention et les effets 1727 . Plus précisément, il fallait démontrer que les manquementsconstatés aient eu comme effet la détérioration de la santé et non seulement qu’ils aient rendu ladétention pénible pour le détenu 1728 . Cette détérioration devrait, de surcroît, être d’une gravitérisquant de mettre en danger la vie ou l’intégrité physique de manière irréversible 1729 . Si bien quejusqu’en 1997, la Commission n’avait déclaré aucune requête recevable concernant les questions dessoins aux personnes détenues.C’est dans l’affaire Aerts 1730 que, pour la première fois, cette instance avait retenu laviolation probable de l’article 3 à propos des manquements aux soins adéquats et aux conditions dedétention compatibles avec l’état de santé de l’intéressé. Celui-ci, alors qu’il souffrait de troublesmentaux sérieux, était détenu dans une prison ordinaire dépourvue d’infrastructures adaptées et depersonnel qualifié 1731 . Malheureusement la Cour n’avait pas suivi la Commission. Tout enreconnaissant que les conditions de détention à l'annexe psychiatrique étaient « insatisfaisantes etinadaptées à une prise en charge adéquate », elle avait refusé de qualifier ces manquements detraitements inhumains ou dégradants, à défaut des preuves des effets néfastes 1732 , de surcroît, graves<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1723 . D 1628/62 (X/RFA), 12.12.1963, R 12, pp. 61 et s.1724 . L'examen aux rayons X n'ayant pas été possible dans l'hôpital, le détenu en question n'a pas été transférédans un hôpital public en raison de son refus de se montrer en public avec des menottes, D 4133-69 (X/RU), R36, pp. 61 et s.1725 . D 4165/69 (X c/RFA) 25.5.1969, Rec. 34, p. 11et s.1726 . D 4149/69 (X/RFA), 13.7.1970, R 36, pp. 66 et s.1727 D 26756/95, (K.Nowojski/Pologne), 29.11.95 ; D 21915/95 (Lucanov/Bulgarie), 12.1.95, DR 80-A, p. 125.1728 « Tout en reconnaissant que la détention du requérant pouvait être pénible compte tenu de son état de santé,considère toutefois que le degré de sévérité requis pour l'application de l'article 3 de la Convention n'est pasatteint en l'espèce », (Pour un problème de foie initialement), D 24112/94 (Krysinski c. Pologne), 9.4.1997.1729 Affaire irrecevable, car le collège des médecins invité à se prononcer, a estimé qu'il n'y avait pas de dangerpour sa vie. La personne bénéficiait d’un traitement hormonal de la thyroïde et d’un suivi psychiatrique,D 31368/96 (D. T. /Pologne) 21.5.1997.1730 R 25357/94, (Aerts c. Belgique), 20.5.1997.1731 « La Commission rappelle aussi sa jurisprudence selon laquelle on peut parler de traitement inhumainlorsque la détention en tant que telle est la cause du mauvais état de santé. L'Etat, tout en prenant dûment encompte les exigences normales et raisonnables de l'emprisonnement, est tenu de contrôler en permanence lesconditions de détention de manière à garantir la santé et le bien-être de tous les prisonniers », Ibid.1732 Alors qu’elle avait reconnu qu’il « est déraisonnable d'attendre d'une personne se trouvant dans un étatsérieux de déséquilibre mental qu'elle donne une description détaillée ou cohérente de ce qu'elle a souffert lorsde sa détention », CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 66.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


dus à ces défaillances 1733 . Elle avait réitéré ce raisonnement, en 2000, dans l’arrêt Kudla portant surdes griefs similaires 1734 .351C’est en 2001, à l’occasion de l’affaire Keenan, que la Cour a changé sa jurisprudence encette matière. Cette affaire concernait également les soins assurés à un détenu souffrant de troublesmentaux et dont la gravité des effets ne tolérait pas de doutes, puisque la personne s’était suicidée.La Cour avait retenu le lien de causalité en se fondant principalement sur le simple constat desmanquements et non sur le lien de causalité. Actuellement, ce sont les principes tels qu’ils sontnotamment dégagés depuis cette affaire qui régissent les obligations qui pèsent sur les Etats enmatière de soins à l’égard des personnes détenues. Elles sont composées d’un tronc commun à touttype de problèmes de santé (A), pour comprendre des mesures supplémentaires concernant certainsproblèmes de santé, comme les maladies mentales, la toxicomanie, le VIH et autres maladiestransmissibles (B).A. Le tronc commun des garantiesLe tronc commun des garanties est régi par le principe d’équivalence des soins (1) dont ilimporte de préciser le contenu précis (2).1. Le principe d’équivalence des soins« L’article 3 de la Convention impose à l’Etat de s’assurer que tout prisonnier est détenudans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalitésd’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’uneintensité qui excède le niveau inévitable de souffrance, inhérent à la détention et que, eu égard auxexigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés demanière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis ». Cette phraseconstitue le leitmotiv dans le raisonnement de la Cour relatif à des griefs concernant la santé 1735 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Outre les soins médicaux « requis 1736 » et « appropriés 1737 » et, en général, les « soinsadéquats », la Cour souligne que la garantie de la santé et du bien-être impliquent également des1733 Ibid.1734 CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc., §§ 99-100.1735 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 186. Voir CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 64 ; CEDH, Kuda c.Pologne [GC], n o 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI ; CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., § 46;Sakkopoulos c. Grèce, n o 61828/00, CEDH 2004-I, § 37 ; CEDH, Mouisel c. France, préc., § 40 ; CEDH,Matencio c. France, préc., § 78 ; D n° 20644/92, (Reggiani/Italie), 05.07.1994 ; CEDH, Farbtuhs c. Lettonie,n° 4672/02, CEDH 204-XII, § 51 ; Tekin Yıldız c. Turquie, n° 22913/04, CEDH 2005-XI, § 71.1736 CEDH, Matencio c. France, préc., § 78 ; CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 38; CEDH, McGlinchey etautres c. R.U., préc., § 46; CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 37. Voir CEDH, Aerts c. Belgique, préc.,§ 64 et s. ; CEDH, Kuda c. Pologne [GC], n o 30210/96, CEDH 2000-XI, § 94.


352conditions de détention adéquates : « Le manque de soins médicaux appropriés, et, plusgénéralement, la détention d’une personne malade dans des conditions inadéquates, peut en principeconstituer un traitement contraire à l’article 3 1738 ». Ces deux précisions signifient que les soins,comme les conditions de détention, doivent garantir la protection de la santé et du bien-être demanière équivalente à l’extérieur, en tenant toutefois compte du contexte carcéral, précisa laCour 1739 . Ainsi, a-t-elle estimé que tous les souhaits et préférences des détenus concernant lestraitements médicaux ne peuvent pas être satisfaits : « Les nécessités pratiques d’une détentionlégitime peuvent imposer des restrictions que le détenu doit accepter » 1740 . Quoiqu’il en soit, mêmes’il est impossible d’améliorer l’état de santé, des soins qui empêchent ou limitent son aggravation etses souffrances doivent toujours être assurés 1741 . Il convient alors de préciser les aspects constitutifsdes « soins adéquats » en prison.2. Les garanties précisesLes « soins requis », « adéquats » ou « appropriés » 1742 , bref quel que soit le terme utilisé parla Cour, signifient que, aussi bien l’absence des soins 1743 , les retards 1744 , les omissions 1745 ou lesnégligences 1746 , que leur qualité peuvent, suivant la nature de la maladie et l’urgence des soinsrequis, constituer des manquements constitutifs de traitement inhumains ou dégradants. Selon lajurisprudence européenne, la nature des soins adéquats implique précisément les garanties suivantes.1737 D° 20644/92, (Reggiani/Italie), préc. ; CEDH, Gelfmann c. France, préc., § 59, § 521738 Voir, par exemple, CEDH, lhan c. Turquie [GC], préc., CEDH 2000-VII, § 87 ;CEDH, CEDH,Naoumenko c. Ukraine, préc., § 112 ; CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc., § 51 ; CEDH, Rivière c. France,n o 33834/03, CEDH 2006-VII, § 74.1739 « Tout particulièrement, les conditions de détention d’une personne malade doivent garantir la protectionde la santé du prisonnier, eu égard aux contingences ordinaires et raisonnables de l’emprisonnement », CEDH,Sakkopoulos c. Grèce, préc., §§ 37-38 Voir CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 64 ; CEDH, Kudla c.Pologne[GC], préc., § 94 ; CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., § 46 ; CEDH, Melnik c. Ukraine, préc., § 10 ;CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 86 ; CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 64 et s.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1740 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 186.1741 « Enfin, la Cour a examiné le grief selon lequel les autorités n’en ont pas fait assez ou n’ont pas agi assezrapidement, pour soigner les symptômes de sevrage de l’héroïne présentés par Judith McGlinchey ou pourempêcher ses souffrances ou une aggravation de son état », CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc.1742 Ces soins ne peuvent pas passer ni pour adéquats ni appropriés compte tenu de ses maladies et la grève dela faim, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc., §§ 100-106.1743 CEDH, Boicenco c. Moldova, n o 41088/05, CEDH 2006-VII ; CEDH, lhan c. Turquie [GC], préc., § 87 ;Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 111.1744 CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc. ; CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc. ; CEDH, Melnik c.Ukraine, préc., §§ 105-106. « « La Cour rappelle que l’obligation de protection de la santé des Etats à l’égarddes personnes détenues ou arrêtées « implique de dispenser avec diligence des soins médicaux lorsque l'état desanté de la personne le nécessite afin de prévenir une issue fatale », CEDH, Saoud C. France, n o 9375/02,CEDH, 2007-X, § 98.1745 Pas d’examen pendant six mois alors que la personne était en grève de la faim et souffrait d’eczema et degale, CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc.1746 « Quant à la qualité des soins dispensés au requérant, la Cour note d'emblée que le requérant ne se plaintpas de traitements de la part des autorités nationales visant expressément à l'humilier mais plutôt desomissions, des retards et des négligences de leur part », CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., §§ 40-41.


353L’accès à un médecin dès le début de l’incarcération. Cette garantie est exigée par laCour 1747 mais également par d’autres instruments européens : les Règles pénitentiaires européennesde 2006 1748 ) ; la Recommandation (R(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soinsde santé en milieu pénitentiaire 1749 ; et les normes du CPT formulées dans ses Rapports d’activitésgénéraux 1750 .L’accès effectif et rapide au médecin tout au long de la détention. Que se soit à la demandedes personnes détenues ou sur signalement des autorités pénitentiaires ainsi que de toute autrepersonne agissant dans l’intérêt d’un détenu, celui-ci doit pouvoir avoir accès à un médecin tout aulong de sa détention, sans entraves ni retards 1751 , y compris, dans certains cas, de courts retards 1752 .La même recommandation est également faite par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe 1753et par le CPT 1754 . Avec cette précision supplémentaire de la part du CPT qui, grâce à ses visites, a1747 La Cour a déclaré à propos d’un examen médical qui n’a eu lieu qu’un mois et demi après l’incarcérationd’une personne pour soigner un eczéma d’origine microbienne : « La Cour considère que l’absence ou retardd’un tel examen constitue un manquement aux soins adéquats », CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc.,§§ 100-106.1748 « Le médecin ou un(e) infirmier(ère) qualifié(e) dépendant de ce médecin doit voir chaque détenu le plustôt possible après son admission et doit l’examiner, sauf si cela n’est manifestement pas nécessaire », (règle42.1).1749 Lors de leur admission dans un établissement pénitentiaire et ultérieurement, pendant leur séjour, lesdétenus devraient avoir accès, si leur état de santé le nécessite, à tout moment et sans retard, à un médecin ou àun(e) infirmier(ère) diplômé(e), quel que soit leur régime de détention. Tous les détenus devraient bénéficierd'une visite médicale d'admission. L'accent devrait être mis sur le dépistage des troubles mentaux, l'adaptationpsychologique à la prison, les symptômes de sevrage à l'égard des drogues, des médicaments ou de l'alcool etles affections contagieuses et chroniques, Rec(98)7, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soinsde santé en milieu pénitentiaire, préc.1750 « 33 Dans les rapports établis à ce jour, le CPT a recommandé que chaque détenu nouvellement arrivébénéficie d'un entretien avec un médecin et, si nécessaire, soit soumis à un examen médical aussi tôt quepossible après son admission », CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités du CPT, préc.1751 Ainsi, dans l’arrêt Nevmerzhitsky, outre le retard d’un mois et demi pour soigner un eczéma et la gale, laCour a également condamné l’absence de soins pendant six mois alors que le requérant poursuivait une grèvede la faim : « Ces soins ne peuvent pas passer ni pour adéquats ni appropriés compte tenu de ses maladies et lagrève de la faim », CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc., §§ 100-106. Dans l’affaire Popov, cette instance aretenu la violation de l’article 3 à cause de l’absence, pendant un an et demi, de soins périodiques prescrits parles médecins à une personne détenue souffrant d’un cancer de la vessie pour laquelle il avait subit une ablation<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...de la tumeur cancéreuse et une chimiothérapie postopératoire. La Cour a estimé que les autorités pénitentiairesauraient dû prendre sans délai les dispositions médicales appropriées, CEDH, Popov c. Russie, préc.1752Ainsi, l’absence des soins pendant quinze jours d’une personne victime d’un traumatisme crânien, CEDH,Boicenco c. Moldovie, préc. Dans les affaires Hurtado c. Suisse et Keenan c. R.U., précitées, cette instance ajugé que s’agissant de violences physiques, des retards même courts, en l’occurrence de sept jours, peuventconstituer une violation de l’article 3. Comme peut en constituer, le retard d’une hospitalisation pendant unweek-end alors que l’état de la personne nécessitait une hospitalisation urgente, en l’occurrence pour faire faceaux symptômes du sevrage d’une héroïnomane qui s’est déshydratée rapidement au point d’entraîner sa mort,une semaine seulement après son incarcération, CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., §§ 52-58.1753 Dans les Règles pénitentiaires européennes, 2006 : « Le médecin ou un(e) infirmier(ère) qualifié(e)dépendant de ce médecin doit examiner les détenus s’ils le demandent avant leur libération et doit sinonexaminer les détenus aussi souvent que nécessaire » (règle 42.2) ; « Le médecin doit être chargé de surveiller lasanté physique et mentale des détenus et doit voir, dans les conditions et au rythme prévus par les normeshospitalières, les détenus malades, ceux qui se plaignent d’être malades ou blessés, ainsi que tous ceux ayantété spécialement portés à son attention », (règle 43.1) ; et dans la Recommandation Rec(98)7, relative auxaspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.1754 « 34. Pendant son incarcération, un détenu doit en tout temps pouvoir recourir à un médecin, quel que soitle régime de détention auquel il est soumis (en ce qui concerne plus particulièrement l'accès au médecin pourUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


354une meilleure connaissance de la réalité carcérale : « Le personnel de surveillance ne doit pas trierles demandes de consulter un médecin » 1755 . En cas d’usage de la force, les soins doivent êtrerapides. Cette garantie reconnue dès l’affaire Hurtado (1993), a été affirmée dans une affaireconcernant des détenus victimes de violences de la part des co-détenus (arrêt Pantea, 2003 1756 ).L’accès à un traitement médical adéquat. Cela signifie un traitement de qualité équivalente àl’extérieur et révisé régulièrement pour l’ajuster à l’évolution de l’état de santé, ainsi qu’uneadministration conforme aux prescriptions médicales 1757 . Cela implique aussi une hospitalisationd’une durée nécessaire par l’état de la santé. Ainsi, autoriser le transfert d’une personne un jour aprèsson opération pour perforation d’un ulcère duodénal et d’une péritonite, alors même que le patientprésentait des complications post-opératoires qui commandaient une surveillance stricte et uneéventuelle nouvelle intervention, a constitué un traitement inhumain 1758 . D’autant plus que cesmanquements ont provoqué le décès de la personne.Des garanties supplémentaires au regard de la gravité et des risques de certaines maladies.Certaines peuvent demander des soins ou des conditions de détention adaptées telles que : unesurveillance constante et stricte 1759 , y compris le week-end 1760 , (comme dans des cas dedéshydratation qui peuvent nécessiter des soins d’urgence, notamment une hospitalisation 1761 ), untraitement pharmaceutique régulier et une alimentation adaptée (notamment dans des cas deproblèmes cardiaques, de diabète 1762 , de toxicomanie 1763 , du VIH 1764 , de tuberculose 1765 ), desles prisonniers placés à l'isolement. L'organisation du service de santé doit permettre de répondre auxdemandes de consultation aussi rapidement que nécessaire, CPT/Inf (92)3, 2e Rapport général d’activités,préc., § 56.1755 Ibid., § 34.1756 « Plus encore, la Cour relève qu’une dizaine de jours seulement après l’incident ayant entraîné chez lerequérant les fractures d’une côte et de la pyramide nasale, ce dernier a été transporté dans un wagonpénitentiaire, durant plusieurs jours et à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de détention, dans desconditions que le Gouvernement n’a pas contestées, et ce en dépit du fait que le requérant s’était vu prescrirepar les médecins de se reposer », CEDH, Pantea c. Roumanie, préc., § 86.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1757 CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc. Voir CEDH, Keenan c. R.U., préc.1758 CEDH, Tarariyeva c. Russie, préc., § 88.1759 « Un état de stupeur (provoquée de surcroît par les violences policières lors de l’arrestation) est très graveet exige des soins rapides, constants et une surveillance stricte. Or cette personne a été détenue dans une prisonordinaire pendant quinze jours et qu’il n’est pas démontré qu’il y ait reçu de quelconques soins médicaux et nedisposant pas d’information sur le reste de la période de sa détention, la Cour a conclu à l’absence de touttraitement médical adéquat et donc violation de l’article 3 », CEDH, Boicenco c. Moldovie, préc. Voir aussiCEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., §§ 40-41.1760 CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., § 57.1761 « L’état de la prisonnière ne fut pas surveillé par un médecin au cours du week-end, période pendantlaquelle son poids baissa encore sensiblement, et les autorités carcérales omirent de prendre des mesures plusefficaces pour soigner l’intéressé. Elles auraient pu par exemple l’envoyer à l’hôpital afin de permettrel’administration de médicaments et de liquides par la voie intraveineuse, ou chercher à obtenir l’assistance depersonnes plus compétentes pour enrayer les vomissements. », CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc.,§ 57.1762 « La Cour constate que pendant sa détention provisoire, qui dura neuf mois et dix-neuf jours, le requérantresta tant dans un hôpital civil que dans le dispensaire de la prison de Korydallos. Des certificats médicaux desmédecins qui ont examiné et soigné le requérant font ressortir que celui-ci était sous contrôle médical etUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


355conditions d’hébergement et d’hygiène adaptées 1766 ou encore une surveillance stricte de la perte depoids 1767 , l’évitement des sanctions entraînant la privation d’accès à une alimentation équilibrée dansle cas, par exemple de la tuberculose 1768 , ainsi que la dispense des obligations qui ajoutent de lafatigue à celle provoquée par la maladie (comme l’obligation d’une personne souffrant de l’hepatitechronique C et de virémie 1769 de travailler ou se mettre en rang dans la cour de promenade 1770 ).Une hospitalisation. Tel doit être le cas lorsqu’il faut subir une opération chirurgicale i ,assurer des soins complexes 1771 ou assurer simplement des soins optimaux dans un milieu hospitalierpourvu d’un équipement matériel et humain adéquat 1772 . Cette garantie va de soi également pour leComité des Ministres du Conseil de l’Europe 1773 et pour le CPT 1774 .S’agissant d’hospitalisations, tant la Cour que le CPT ou les Règles pénitentiaires ont dûapporter certaines précisions quant aux modalités de leur déroulement. Elles doivent avoir lieu dansdes conditions de sécurité pour la santé équivalentes à celles des transferts par ambulance àl’extérieur. Ainsi, la Cour a condamné le fait qu’une personne qui venait de subir une opérationcritique, a été transférée vers la prison dans un fourgon cellulaire ordinaire couché sur des matelas,de surcroît à plus de 100 kilomètres et seulement un jour après l’opération 1775 . Par ailleurs, le portdes menottes et autres entraves, outre le fait d’être dégradant, peut être inhumain. Cela dit, l’usage demenottes et d’entraves n’est pas interdit par la Cour. Seules les conditions de leur usage peuvent êtrepharmaceutique régulier et qu'il recevait une alimentation adaptée à son état de santé », CEDH, Sakkopoulos c.Grèce, préc., §§ 40-41.1763 CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., § 51.1764 Gelfmann c. France, n°25875/03, CEDH 2004-XII ; CEDH, I. T. c. Roumanie (déc.), n o 40155/02, CEDH2005-XI.1765 CEDH, Gorodnitchev c. Russie, n°52058/99, CEDH 2007-V.1766 Exemple dans le cas de tuberculose, dont il était question dans l’affaire Melnik, CEDH, Melnik, c. Ukraine,précitée, §§ 105-111.1767 Facteur qui doit alerter la prison sur la gravité de l’état d’une personne qui souffre des vomissements, cequi comporte des risques de déshydration, CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., § 57.1768 CEDH, Gorodnitchev c. Russie, préc.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1769 . L’hépatite C, nota la Cour, provoque généralement chez ceux qui en sont atteints une fatigue chronique,des douleurs abdominales, articulaires et musculaires, un état pathologique et une faiblesse physiquegénéralisé.1770 CEDH, Testa c. Croatie, n o 20877/04, CEDH 2007-VII.1771 Par exemple dans le cas d’une personne tombée dans le coma, suite à son arrestation musclée, (CEDH,Boicenco c. Moldovie, préc.), dans le cas du sevrage d’un héroinomane (CEDH, McGlinchey et autres c. R.U.,préc.), ou du traitement d’un eczéma d’origine microbienne (CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc., §§ 100-106).1772 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc.1773 « Les détenus malades nécessitant des soins médicaux particuliers doivent être transférés vers desétablissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils, lorsque ces soins ne sont pas dispensés en prison »,Règles pénitentiaires européennes, 2006 (règle 46.1.3). « Lorsque l'état de santé des détenus exige des soinsqui ne peuvent être assurés en prison, tout devrait être mis en œuvre afin que ceux-ci puissent être dispensés entoute sécurité dans des établissements de santé en dehors de la prison », Rec(98)7, relative aux aspects éthiqueset organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.1774 « 36. Le soutien direct d'un service hospitalier bien équipé doit être garanti, soit dans un hôpital civil, soitdans un hôpital pénitentiaire. » CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités, préc.1775 CEDH, Tarariyeva c. Russie, préc., § 117.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


constitutives de mauvais traitements 1776 . S’agissant de leur port par des personnes en coursd’hospitalisation, cette appréciation, outre le risque de fuite et la dangerosité de la personne, doittenir compte notamment de l’état de santé de la personne, de la nature du traitement ou del’opération qu’elle doit subir. Ainsi, n’est pas a priori justifié par des risques de fuite, le portd’entraves par des personnes âgées, des personnes souffrant de maladies handicapantes ouaffaiblissant leur mobilité et par les femmes en état de grossesse avancé. Au-delà du problème de lajustification, le port d’entraves peut aggraver la souffrance de la personne. La Cour a, par exemple,estimé que les menottes ou autres entraves génèrent une souffrance supplémentaire à l’accouchementou au traitement médical 1777 . Il importe à ce propos de souligner que le CPT recommande d’interdiresimplement et purement le recours aux entraves consistant à attacher le patient au lit de l’hôpital ou àun autre mobilier 1778 . Il conseille que, de manière générale, le transport des patients détenus soiteffectué « dans des délais » et « dans des conditions » qui « tiennent pleinement compte de leur étatde santé » 1779 .En revanche, les soins adéquats ne vont pas jusqu’à assurer le libre choix entre les soins àl’hôpital et les soins en prison. Cela dit, cette question était posée à la Cour de manière inhabituellede la part d’un détenu. Souffrant de douleurs de dos et nécessitant des soins d’un physiothérapeute, il1776 Dans l’arrêt Henaf c. France, précité, § 48, la Cour a rappelé que « le port de menottes ne posenormalement pas de problème au regard de l'article 3 de la Convention lorsqu'il est lié à une détention légale etn'entraîne pas l'usage de la force, ni l'exposition publique, au-delà de ce qui est raisonnablement considérécomme nécessaire ». A cet égard, il importe de considérer notamment le risque de fuite ou de blessure oudommage (comme dans l’arrêt Raninen c. Finlande, préc., § 56), ainsi que le contexte en cas de transfert et desoins médicaux en milieu hospitalier (comme dans l’arrêt Mouisel c. France, précité, § 47 et § 47).1777 Ainsi à propos de l’entrave au lit, la veille d’une opération chirurgicale pour des ganglions au niveau de lagorge, d’un détenu âgé de soixante-quinze ans, la Cour a jugé, compte tenu de l’âge du requérant, de son étatde santé et de l’absence d’antécédents faisant sérieusement craindre un risque pour la sécurité, la mesured’entrave était disproportionnée au regard des nécessités de la sécurité, et a, donc, constitué un traitementinhumain, CEDH, Henaf c. France, préc., § 59. Dans l’affaire Mouisel, cette instance a également jugéinhumain le port de menottes durant une séance de chimiothérapie. L’inconfort de ce traitement associé à la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...faiblesse physique de l’intéressé rend disproportionné le recours à ce moyen de contrainte, même si cettepersonne avait un passé judiciaire. D’autant plus qu’au regard de ses antécédents, les nécessités de la sécuriténe pouvaient pas justifier un tel traitement, CEDH, Mouisel c. France, préc., § 47. La Cour a retenu la mêmequalification dans l’affaire Tarariyeva : la victime fut attachée à son lit d’hôpital, le lendemain d’une opérationinterne complexe et alors qu’elle était sous perfusion et ne pouvait se lever seule. De surcroît, des policiersétaient postés dans la chambre et à la porte de la chambre de l’hôpital. Il n’y avait donc aucun risque de fuite etde danger pour l’intégrité d’autrui, CEDH, Tarariyeva c. Russie, préc., § 111.1778 « En cas de recours à un hôpital civil, la question des mesures de sécurité se pose. A cet égard, le CPTsouhaite insister sur le fait que les détenus envoyés dans un hôpital pour y recevoir un traitement ne doiventpas être attachés à leurs lits ou à d'autres éléments du mobilier afin d'assurer la sécurité. D'autres moyens desatisfaire aux exigences de sécurité peuvent et doivent être mis en œuvre, comme la création d'une unitécarcérale au sein de tels hôpitaux constitue une des solutions possibles », CPT/Inf (93) 12, 3e rapport générald'activités, préc., § 36. Cet organe a fait la même recommandation à la France dans son rapport relatif à lavisite en France effectuée du 14 au 26 mai 2000 (cité dans les arrêts Henaf c. France, précité et Mouisel c.France, précité).1779 « Lorsqu'un transfert ou une consultation spécialisée en milieu hospitalier est nécessaire, le transport despatients détenus doit être effectué dans des délais et dans des conditions qui tiennent pleinement compte de leurétat de santé », CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités, préc., § 37.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008356


préférait qu’un tel spécialiste vienne le soigner en prison parce que les déplacements à l’hôpital luiétaient pénibles 1780 .357Enfin, quant à l’accès à des soins privés (médecin ou hôpital privé), alors qu’il est un droitindéniable pour toute personne, la Commission n’avait pas reconnu que la Convention garantisse untel droit aux détenus 1781 . C’est seulement en 2005 que la Cour a reconnu aux détenus le droit à unmédecin privé en déclarant que « l’examen par un médecin spécialiste indépendant des autoritéscarcérales constitue une importante garantie contre les abus physiques ou mentaux des détenus » 1782 .Elle a reconnu ce droit sous une double condition : la prise en charge de toutes les dépensessupplémentaires non justifiées par des exigences médicales avérées par l’intéressé et l’exigenced’une licence valable d’exercer dans le pays concerné. Mais ces conditions ne devraient pas avoircomme résultat un déni d’examen et de conseil médical rapide et adéquat 1783 .Quant à l’hospitalisation dans des hôpitaux privés ou à domicile (ce qui implique unesuspension de l’exécution de la peine privative de liberté en milieu carcéral), la Commission avaitestimé qu’un tel transfert ne constitue pas une obligation des Etats « même si le détenu souffre d’unemaladie particulièrement difficile à traiter 1784 ». La Cour a fait avancer cette jurisprudence. Maiscette question nous amène à celle de la capacité à la détention. Avant de l’examiner, il convient decompléter le raisonnement de la Cour par rapport aux soins assurés durant sa détention.Or à ce propos, il importe de souligner une autre limite au principe d’équivalence de soins.Pour qu’un des manquements, omissions ou négligences, aux obligations positives présentées soitconstitutif de mauvais traitements, il ne suffit pas de constater un écart par rapport aux soins àl’extérieur ou aux soins requis compte tenu des exigences normales et raisonnables de la détention.Encore faut-il établir que les manquements aient entraîné des effets nuisibles pour la santé d’unegravité atteignant le seuil requis par l’article 3 et qu’il y ait un lien de causalité entre ces effets et lesmanquements 1785 . En effet la qualification de tels manquements de traitements inhumains oudégradants est la résultante d’une appréciation globale d’un ensemble d’éléments dans une affairedonnée, notamment : de l’état de santé, de la qualité des conditions de détention et des soins<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081780 La Cour, tout en soulignant qu’un traitement dans un hôpital ordinaire qui dispose des équipementsadéquats et du personnel qualifié permet de bénéficier des soins répondant aux mêmes standards que lapopulation générale, a accepté d’examiner si cette demande était toutefois nécessaire par l’état de santé del’intéressé. Elle a ainsi laissé entendre que dans certaines circonstances, un tel choix pourrait être accordé,CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 193.1781 . D 7289/75 (X et Y c. Suisse), D.R. 9, p. 76. En 1998, la Recommandation Rec(98)7 relative aux aspectséthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire a prévu cette possibilité mais seulementpour les prévenus (n°17). Pour les condamnés, elle a simplement prévu la possibilité de solliciter un deuxièmeavis médical (n°17).1782 CEDH, Mathew c. Pays-Bas, préc., § 187.1783 Ibid.1784 . D 26756/95, (K.Nowojski/Pologne), 29.11.95.1785 CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., § 51.


358administrés, des effets des manquements des Etats sur la santé. Ainsi les retards ou omissionspeuvent ne pas être répréhensibles au regard de l’article 3 s’ils n’ont pas été accompagnés d’effetsnuisibles pour la santé 1786 .En revanche, un diagnostic tardif de la tuberculose, accompagné de retards dans les soinsmais aussi des soins inadaptés est constitutif de mauvais traitements compte tenu de la gravité decette maladie et des risques pour la santé 1787 . De même une hospitalisation tardive soldée par la mort,comme cela fut le cas dans l’affaire McGlichey et autres, où la victime a été morte au bout de cinqjours de son incarcération à cause d’une déshydratation aiguë due à son sevrage sec (nonaccompagné des produits de substitution), constitue un traitement inhumain et dégradant 1788 .B. Les garanties supplémentaires concernant certains types de maladiesEu égard à la jurisprudence européenne, les troubles mentaux (1), mais aussi les maladies duVIH et, en général, les maladies transmissibles, nécessitent des mesures ou des soinssupplémentaires (2).1. Les troubles mentauxTout en rappelant le droit des malades mentaux à des conditions de détention conformes à ladignité et au droit à la santé et au bien être 1789 , la jurisprudence souligne les facteurs propres à lamaladie mentale dont les autorités nationales doivent tenir compte dans les exigences des soins.Tout d’abord, la nature de cette maladie nécessite un encadrement et un suivi par unpersonnel médical spécialisé 1790 . Cela nécessite l’accès à des consultations psychiatriques, et non àdes généralistes, au moment de l’arrivée en prison et, par la suite, de manière régulière afin de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1786 « En tout état de cause, à supposer que les autorités pénitentiaires puissent être considérées commeresponsables d'omissions et de retards, la Cour relève que ceux-ci n'ont pas eu de conséquences atteignant leseuil de gravité exigé par l'article 3 de la Convention. », CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 43. De même àpropos du traitement d’un malade du VIH, la Cour tout en « relevant l’existence de certaines défaillances dansle respect par les autorités de leur obligation positive d’assurer à l’intéressé les soins médicaux requis, aussibien en ce qui concerne le régime alimentaire que le traitement médicamenteux », constate que l’état de santédu requérant ne s’est pas détérioré en prison. « Bien que blâmables », et même si ces défaillances « ont puprovoquer chez le requérant une certaine détresse et les autorités en sont responsables », elles n’ont pas atteintun niveau de gravité suffisant pour entrer dans le champs d’application de l’article 3 de la Convention, a-t-elleestimé, CEDH, I. T. c. Roumanie, préc.1787 La Cour a statué dans ce sens dans l’affaire Melnik, ayant constaté que la tuberculose du requérant n’ayantpas été décelée rapidement, si bien qu’il n’a pas été isolé ni n’a reçu en temps utile le traitement dont elle avaitbesoin, CEDH, Melnik c. Ukraine, préc., §§ 105-106.1788 CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc., § 57.1789 CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc., § 94 ; CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 111 ; CEDH, Rivière c.France, préc., § 62, § 74.1790 CEDH, Rivière c. France, préc., § 76.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


359réviser, si nécessaire, le traitement 1791 . Le mieux, précise le Comité des Ministres, serait la présenced’une équipe psychiatrique dans chaque établissement ; à défaut, des consultations devraient êtreassurées par un psychiatre hospitalier ou privé 1792 . Ce type de problèmes de santé peut aussinécessiter le transfert rapide dans un milieu hospitalier équipé de manière adéquate et doté d'unpersonnel qualifié 1793 . Cette structure, précise le CPT 1794 et le comité des Ministres 1795 , pourrait êtresoit un hôpital psychiatrique civil, soit une unité psychiatrique spécialement équipée, établie au seindu système pénitentiaire 1796 . De surcroît, les transferts doivent avoir lieu rapidement. Ayant constatél’existence « trop souvent d’un délai d'attente prolongé lorsqu'un transfert est devenu nécessaire », leCPT recommande dès 1993 que « le transfert de la personne en question dans une unitépsychiatrique doit être considéré comme une question hautement prioritaire 1797 ».Ensuite, la vulnérabilité de ces personnes nécessite des conditions de vie et des traitementsadaptés 1798 . Car leur vulnérabilité peut avoir comme conséquence d’exacerber dans une certainemesure les sentiments de détresse, d’angoisse et de crainte 1799 . Il faut également tenir compte de leurincapacité à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitementdonné 1800 . Aussi cette maladie demande-elle des soins particuliers et des mesures particulièrementadaptées en vue d’assurer la compatibilité de leur maintien en détention avec les exigences d’untraitement humain 1801 . Certes elle demande d’éviter de soumettre ces personnes à un stresssupplémentaire en recourant par exemple à des sanctions disciplinaires, car elles sont susceptibles« d’ébranler sa résistance physique et morale 1802 ».En raison de la nature de cette maladie et de la vulnérabilité de ces personnes, la Courn’exige plus la preuve ni de la gravité des effets ni du lien de causalité 1803 . La violation de l’article 31791 Ainsi, dans l’affaire Keenan, La Cour a été frappée d’une part, par la rareté des notes consignées dans ledossier médical, ce qui montre une « volonté insuffisante de rendre compte de manière complète et détaillée deson état mental et sape l'efficacité de tout processus de surveillance ou de contrôle ». De l’autre part, cetteinstance a été frappée par l’absence d’un contrôle par un psychiatre. Si bien qu’un traitement administré par ungénéraliste a eu comme effet d’aggraver l’état de la victime, CEDH, Keenan c. R.U., préc., §§ 114-115.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1792 Rec(98)7, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.1793 Thèse de la Cour dans l’arrêt Naoumenko (précité, § 94), et l’arrêt Rivière (précité, § 72), et référence à laRec(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.1794 CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités, préc.1795 Règles pénitentiaires européennes, 2006 (règle 47.1).1796 CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081797 Ibid.1798 En particulier, leur vulnérabilité doit être pris en compte avant d’appliquer des sanctions disciplinaires,CEDH, Rivière c. France, préc., § 63.1799 Voir CEDH, Herczegfalvy c. Autriche, 24 sept. 1992, Série A n o 244, § 82 ; CEDH, Aerts c. Belgique,préc., § 66 ; CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc., § 99 ; CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 111 ; CEDH, Rohdec. Danemark , préc., § 99.1800 Ibid.1801 CEDH, Rivière c. France, préc.1802 CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 116.1803 Contrairement aux maladies physiques et à la jurisprudence dans l’arrêt CEDH, Aerts c. Belgique, et l’arrêtKudla c. Pologne précités, il n’est plus, depuis l’arrêt Keenan, exigé d’établir un tel lien. La Cour a déclaré àl’occasion de cette dernière affaire : « S’il est vrai que la gravité de la souffrance, physique ou mentale,


360peut résider dans le simple constat de « graves lacunes » dans les soins médicaux prodigués à unmalade mental comme une surveillance innefective et l’absence de consultation des spécialistes enpsychiatrie à l’égard d’un détenu souffrant de tels troubles et dont on connaissait les tendancessuicidaires 1804 . Elle n’exige pas non plus d’établir forcément un lien de causalité. Ainsi, dans l’affaireKeenan, tout en relevant qu’il n’avait pas été établi avec certitude dans quelle mesure cela a été laconséquence des conditions de détention 1805 , elle avait conclu à la violation de l’article 3 enqualifiant la sanction de mitard, infligée à cette personne, de traitement et de peines inhumains etdégradants au sens de l’article 3 de la Convention 1806 .2. Les maladies transmissiblesComme l’a souligné le CPT, en 2000, si la propagation des maladies transmissibles et,notamment, de la tuberculose, de l'hépatite et du VIH/SIDA est devenue une préoccupation de santépublique majeure dans un certain nombre de pays européens, elles sont devenues un « problèmedramatique » pour certains systèmes pénitentiaires 1807 . Ainsi, selon le CICR, la tuberculose est unedes causes majeures de maladie et de mort dans les prisons : la prévalence en prison est plus élevéequ’ailleurs. Dans certains pays, elle peut aller jusqu’à cent fois plus 1808 .La Cour traite des affaires relatives aux soins assurés à des personnes détenues malades duVIH ou toxicomanes en sevrage dans le même cadre que toute autre maladie 1809 . Elle a seulementreconnu, concernant le traitement du VIH de l’importance d’assurer la continuité des soins et unrégime alimentaire renforcé 1810 , et concernant la toxicomanie, l’importance d’un suivi médical strictdu sevrage 1811 .Toutefois, le CPT et la R(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins desanté en milieu pénitentiaire, insistent sur les aspects particuliers de traitement que la maladie duVIH nécessite. Elle demande des conditions de détention et des aménagements spéciaux pourl’exécution de la peine. Ils demandent des dépistages conformes aux méthodes actualisées dedépistage 1812 , pratiqués à l’arrivée en prison et aussi rapidement que possible lorsqu’un détenu le<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008provoquée par une mesure donnée est une considération qui a compté dans beaucoup d’affaires dont la Cour aeu à connaître sous l’angle de l’article 3, il est des circonstances où la preuve de l’effet réel sur une personnepeut ne pas être un élément majeur », CEDH, Keenan c. R.U., préc., § 113.1804 Ibid., §§ 114-115.1805 Ibid., §§ 111-112.1806 Ibid., § 116.1807 CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, préc.1808 Comite international de la Croix-Rouge, Informations pour l’année 2006, site www.cicr.org.1809 CEDH, Gelfmann c. France, préc. ; CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc.1810 CEDH, I. T. c. Roumanie, préc.1811 CEDH, Gelfmann c. France, préc. ; CEDH, McGlinchey et autres c. R.U., préc.1812 CPT/Inf (2001)16, 11e Rapport général d’activités du CPT, préc.


361demande, précisa le CPT 1813 . Outre le fait d’être une mesure prophylactique pour les autrespersonnes, le dépistage est un facteur essentiel de l’efficacité du traitement médical puisqu’il permetde traiter rapidement la maladie.S’agissant aussi bien du VIH et d’autres maladies transmissibles, les soins adéquatssignifient également : un approvisionnement régulier en médicaments et autres produits connexes ; ladisponibilité du personnel pour veiller à ce que les détenus prennent les médicaments prescrits auxbonnes doses et aux bons intervalles ; des régimes alimentaires spécifiques ainsi que des conditionsmatérielles d’hébergement propices à l’amélioration de leur état de santé. Notamment, outre lalumière du jour et une bonne aération, il doit y avoir des conditions d’hygiène satisfaisantes et uneabsence de surpeuplement 1814 .Concernant le VIH, le CPT et le Comité des Ministres soulignent qu’il ne justifie pas laségrégation des détenus à moins qu’une telle mesure soit rendue strictement nécessaire pour desraisons médicales ou autres 1815 . En tout cas, insistent-ils, aucun motif médical ne justifie laségrégation d'un détenu au seul motif qu'il est séropositif au VIH 1816 .Ce que nous pouvons alors retenir de la jurisprudence européenne en matière de soins endétention est que, à part une grave détérioration de la santé des détenus au point d’être constitutived’un traitement inhumain, tout autre degré de manquement aux soins n’est pas sanctionné par laConvention. Peut-être, l’examen des griefs relatifs à la santé sous l’angle de l’article 8 qui consacrele droit à la santé en tant qu’aspect de la vie privée, permettrait-il un meilleur contrôle de lalégitimité et de la nécessité de tout écart, et non seulement des écarts graves, par rapport au principed’équivalence aux soins.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En tout état de cause, comme le montrera l’examen notamment du droit français, le meilleurmoyen de réduire les écarts et d’assurer cette équivalence, serait de mettre fin à la médecinepénitentiaire et de rattacher le système de soins des détenus au système de la santé publique. Ce quiimplique de distinguer le statut de détenu de son statut de patient. Encore faut-il que ces deux statutset les deux logiques qu’ils impliquent, pénitentiaire et médicale, puissent se rendre compatibles.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 2. Les garanties assurées au sein des droits nationaux1813 Il fait partie des manquements pris en compte par la Cour dans l’arrêt Melnik c. Ukraine, préc.1814 CPT/Inf (2001)16, 11e Rapport général d’activités du CPT, préc.1815 Ibid.1816 Ibid. Aussi R(98)7 relative aux et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire (règle 39), etRègles pénitentiaires européennes, 2006, qui recommandent le « non-isolement des détenus pour la seuleraison qu’ils sont séropositifs», (règle 42.3.g).


362En droit français, l’organisation des soins en prison est guidée par le principe d'équivalence àceux dispensés à l'extérieur. Cela est clair depuis notamment la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994, qui arattaché le système de santé des détenus au système de santé public (A). En revanche, le système desoins des détenus en droit grec relève toujours de la médecine pénitentiaire (B).A. Les garanties en droit françaisIl y a des résistances qui ne fléchissent que sous la pression de grands fléaux. La réformefrançaise du système de la prise en charge de la santé des détenus constitue un exemple. Pour que laprison s'ouvre à l'hôpital public et au corps médical indépendant –ce qui constitue la meilleuregarantie pour assurer ce droit-, il a fallu connaître le fléau du sida à la fin du XXe siècle.En effet, c'est avec l'ampleur de l'épidémie de sida qu’ont connu les prisons françaises depuis1988 1817 , date du premier recensement en France du nombre de détenus atteints par le VIH, que lebesoin s'était fait sentir de se pencher sur l'organisation globale de la prise en charge des soins desdétenus malades du sida et sur l'intervention en prison de certains corps médicaux extérieurs pour yfaire face. L'étude confiée en 1992 au HCSP allait révéler l'état de fonctionnement inadéquat del'ensemble du système sanitaire pénitentiaire. Outre des tableaux cliniques lourds, le rapport duHCSP faisait aussi état de locaux inadaptés et vétustes 1818 , et de l'insuffisance du personnelmédical 1819 . Ce constat a conduit ce Comité à proposer, dans son rapport publié en janvier 1993, dedécloisonner la médecine pénitentiaire et de transférer intégralement la prise en charge sanitaire desdétenus aux établissements hospitaliers publics. Ce transfert devrait permettre une meilleure qualitéde soins, un meilleur respect de l'éthique médicale et du secret médical, et favoriserait la continuitédes soins au moment de l’entrée et de la sortie du détenu.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En effet, ce rapport fut suivi d’effets un an plus tard. La loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 1820 aréalisé la réforme du système sanitaire pénitentiaire en suivant les propositions principales du HCSPconcernant le transfert des soins aux hôpitaux publics 1821 ainsi que son mode de financement. Ce<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081817 . Cependant, depuis 1992, le taux de prévalence de l'infection par le VIH dans la prison est stabilisé. Et il esten recul depuis 1990, où il a été enregistré le taux le plus fort de 5,80%. Ce taux a, en 1994, été de 2.80%, inBulletin épidémiologique hebdomadaire, n°26/95, pp. 118-119.1818 . « Les locaux mis à la disposition des services médicaux sont le plus souvent encore vétustes ou inadaptés :salles de soins trop petites ou isolées; absence de salle d'attente, salles de prélèvement peu aseptisées ouinexistantes », HCSP, Santé en milieu carcéral, préc.1819 . Les médecins étaient souvent recrutés et payés à la vacation par l'administration pénitentiaire, (pour 2 à 4heures par semaine), Ibid.1820 . JO du 19 janvier 1994, p. 960.1821 . Dorénavant, conformément à l'article L 711-3, inséré dans le Code de la santé publique, « le service publichospitalier assure, dans des conditions fixées par voie réglementaire, les examens de diagnostic et les soinsdispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier. Il concourt, dans cesmêmes conditions aux actions de prévention et d'éducation pour la santé organisées dans les établissements


363transfert 1822 a en effet été accompagné par la généralisation de l'affiliation des détenus à la sécuritésociale 1823 . Le HCSP avait estimé qu'il devrait revenir à l'Etat d'assurer les charges d'entretien desdétenus, en contrepartie de la peine privative de liberté 1824 .Depuis lors, d’autres lois sont venues renforcer l’équivalence des soins en milieupénitentiaire. Il s’agit notamment des lois relatives aux soins palliatifs (du 9 juin 1999) aux droits desmalades et à la qualité du système de santé (du 4 mars 2002), aux droits des malades et à la fin de vie(du 22 avril 2005), et de la loi relative à l'égalité des droits et des chances, la participation et lacitoyenneté des personnes handicapées (du 11 février 2005).Tous ont contribué à créer un cadre juridique propice pour assurer l’équilibre des soins tantdans les aspects communs à tout problème de santé (1) que dans les aspects spécifiques à certainsproblèmes comme les maladies transmissibles ou les conduites addictives (2).1. Les soins en généralActuellement, les soins sont, en principe, dispensés dans les prisons par des unités deconsultations et de soins ambulatoires (UCSA). Composées des médecins et infirmiers fournis parles hôpitaux publics, ces unités sont installées dans les locaux des prisons, le plus souvent dans lesanciennes infirmeries 1825 . Ce personnel demeure rattaché au ministère de la santé et est soumis àl’autorité du chef de l’hôpital de rattachement de l’UCSA. Pendant les horaires de la fermeture desUCSA, ce sont les services d’urgences médicales de l’extérieur qui assurent les soins urgents depersonnes détenues. Pour des soins complexes, des consultations des spécialistes ou desinterventions chirurgicales, les détenus sont transférés dans les hôpitaux publics (art. D 393 CPP).Enfin, ceux ayant besoin d’une hospitalisation de longue durée sont transférés à l’hôpitalpénitentiaire de Fresnes.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...pénitentiaires ». Ce transfert s'est progressivement réalisé par un système de jumelage de chaque établissementpénitentiaire avec un établissement public de santé, précisément avec un centre hospitalier de proximité. Voir àce propos B. CREVIER, « Le Pari de soigner la médecine pénitentiaire », Economie et Humanisme, n° 329,juin 1994, pp. 37-40.1822 Il a été progressivement réalisé par un système de jumelage de chaque établissement pénitentiaire avec unétablissement public de santé, précisément avec un centre hospitalier de proximité, Ibid.1823 . L'article L. 381-30 du Code de la santé publique prévoit dorénavant que « les détenus sont affiliésobligatoirement aux assurances maladie et maternité du régime général à compter de la date de leurincarcération ».1824 . Selon cette même loi « l'Etat verse à l'établissement de santé le montant du forfait journalier institué parl'article L. 174-4 ainsi que la part des dépenses de soins non prise en charge par l'assurance maladie dans lalimite des tarifs servant de base au calcul des prestations ».1825 « En application de l'article R. 711-15 (2º) du code de la santé publique, l'administration pénitentiaire met àdisposition de l'unité de consultations et de soins ambulatoires des locaux spécialisés destinés auxconsultations, aux examens et, le cas échéant, à une implantation de la pharmacie à usage intérieur ».Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


364A part ce dispositif, le droit français prévoit d’autres mesures concourant à garantir lemeilleur accès possible des détenus aux soins. Il s’agit d’abord, des mesures visant à assurer desgaranties matérielles adaptées à l’état de la santé. Elles vont du choix de la prison au choix descellules jusqu’à l’alimentation. La personne doit être affectée dans une prison en fonction de l’état desa santé afin de pouvoir bénéficier des conditions matérielles de détention adaptées à ses besoins desanté 1826 . Elle peut également demander le transfèrement dans ce même but 1827 . A l’intérieur de laprison, les détenus malades, dont l'état de santé exige des soins fréquents ou un suivi médicalparticulier, doivent être affectés dans des cellules proches des locaux de l’UCSA 1828 . Enfin, doit êtreassurée une alimentation adaptée aux besoins de leur santé 1829 .Il s’agit ensuite des mesures garantissant l’accès à un médecin. Cet accès doit être assuré aumoment de l’entrée en prison : tout entrant en prison venant de l’état de liberté doit subir un bilan desanté dans les meilleurs délais (art. D381, al.1, CPP ). Le but de ce bilan est de diagnostiquer unemaladie ainsi que d’assurer la continuité des soins 1830 . Par la suite, l’accès aux soins doit être assurétout au long de la détention. Le détenu doit pouvoir demander à tout moment de consulter unmédecin généraliste ou spécialiste. Il doit avoir accès aux urgences ainsi qu’à une hospitalisation. Lademande peut être faite par le détenu lui-même mais aussi par le personnel pénitentiaire ou par touteautre personne agissant dans l'intérêt du détenu (art. D381, al.1, CPP).Cet ensemble de moyens, notamment le rattachement des soins aux détenus au service publicde la santé, a indéniablement contribué à l’amélioration de l’accès des détenus aux soins. Assure-t-ilpour autant un accès effectif, rapide et de même qualité qu’à l’extérieur ?<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1826 « La répartition des condamnés dans les prisons établies pour peines s'effectue compte tenu de leurcatégorie pénale, de leur âge, de leur état de santé et de leur personnalité », (art. 717-1, al.1, CPP).1827 « Le transfèrement dans un établissement pénitentiaire mieux approprié peut être sollicité dans lesconditions prévues au quatrième alinéa de l'article D. 382, pour les détenus qui ne bénéficient pas, dansl'établissement où ils sont écroués, de conditions matérielles de détention adaptées à leur état de santé et pourceux qui nécessitent une prise en charge particulière », (art. D360, CPP).1828 « Des cellules situées à proximité de l'unité de consultations et de soins ambulatoires peuvent être réservésà l'hébergement momentané des détenus malades dont l'état de santé exige des soins fréquents ou un suivimédical particulier, sans toutefois nécessiter une hospitalisation. L'affectation des détenus dans ces cellules estdécidée par le chef de l'établissement pénitentiaire, sur proposition du praticien responsable de l'unité deconsultations et de soins ambulatoires », (art. D370, al.b, CPP).1829 « Les détenus malades bénéficient du régime alimentaire qui leur est médicalement prescrit », (art. D 361,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008CPP).1830 Lorsqu'il existe des contraintes thérapeutiques majeures (diabète insulino-dépendant, épilepsie connue,hypertension artérielle sévère, ou autre menace directe sur la vie du détenu), cela justifie alors une consultationmédicale en urgence et un contact avec le médecin ou le centre de soins qui s'occupait de ce malade, LaGestion de la santé dans les établissements du programme 13000, Pierre PRADIER, Rapport, Ministère de lajustice, sept. 1999.


365La première remarque à faire est le nombre élevé de demandes de soins en milieupénitentiaire. La proportion de personnes malades incarcérées est, à âge égal, plus importante quedans la population générale 1831 .Certes, cela peut s’expliquer en partie par un besoin psychologique. La consultationmédicale est vécue comme un moment d’évasion du monde carcéral. Le contact avec le personnelmédical et le lieu de la consultation sont vécus comme des moments et des lieuxd’« extraterritorialité » et de continuité de la vie normale 1832 . Mais le fait que la demande de soins dela part des détenus soit plus élevée qu’à l’extérieur s’explique essentiellement par le nombre dedétenus âgés, le nombre de détenus présentant des problèmes d’addiction (ils sont 30 % à avoir desproblèmes d’alcoolisme, de tabagisme et de toxicomanie), et par un nombre élevé des entrants ensituation de précarité qui explique le grand nombre de détenus ayant besoin de soins buccodentaires1833 . Ces soins sont très mal pris en charge par la sécurité sociale française. A ces facteurs, ilfaut en ajouter un autre : la prison est en soi une cause de maladie 1834 . Outre des troubles mentauxprovoqués par la perturbation des repères, la prison crée, à cause de l’immobilisme, de l’absence delumière naturelle suffisante et d’insalubrité, des problèmes ophtalmologiques, dermatologiques etsomatiques plus élevés.Or, face à ces besoins, le système actuel de l’organisation des soins en milieu pénitentiaire,malgré des améliorations incontestables, présente de nombreuses insuffisances.En effet, à part le constat de la vétusté de nombreux locaux des UCSA, qui se sont installéesdans les anciennes infirmeries (CNCDH 1835 et CPT 1836 ), les détenus connaissent des problèmesd’accès effectif et/ou rapide aux UCSA, aux urgences et aux hôpitaux.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Tout d’abord, de nombreux détenus se plaignent de l’attitude de certains surveillants qui fontécran entre le détenu et le médecin. La demande de consultation se faisant dans la pratique parl’intermédiaire des surveillants, il arrive que, lorsque la demande n’est simplement pas transmise,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081831Avis n°94(2006) La santé et la médecine en prison, Comité Consultatif National d’Ethique ;CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc.1832 La Gestion de la santé dans les établissements du programme 13000, Pierre PRADIER, 1999, préc. ;Conseil de l’Europe, « Le respect effectif des droits de l’homme en France », CommDH(2006)2, préc.1833 Une enquête menée par le ministère de la Santé auprès des personnes entrées en détention en 2003 amontré que l’état bucco-dentaire de 50% des entrants nécessite des soins réguliers et 2,7% une interventiond’urgence.1834 Avis n°94(2006) La santé et la médecine en prison, Comité Consultatif National d’Ethique.1835 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), préc.1836 CPT/Inf (2005) 21, Rapport de visite, France-Département de la Réunion, préc.


elle ne parvient pas rapidement au service médical sollicité. Cela est souvent le cas s’agissant del’accès aux urgences, notamment durant les week-end et les nuits 1837 .366Le défaut de permanence de la présence médicale dans la prison ou la présence en nombreinsuffisant 1838 , compromet à la fois la rapidité d’accès aux soins et la continuité des soins aussi bienau moment de l’entrée en prison et tout au long de la détention. A ce propos, la CNCDH soulignequ’il n'est pas acceptable que des délais égaux ou supérieurs à trois jours soient atteints 1839 .A part la rapidité et la continuité des soins, un autre problème est pointé : l’accès à desspécialistes. L’accès notamment aux soins dentaires et aux soins spécifiques aux femmes présentedes défaillances importantes. Concernant les premiers « c'est partout le point noir », notait leCNCDH, en 2006, relevant que, malgré la mise en évidence, en 2001, par l’IGAS et l’IGSJ dumanque de spécialistes, l’absence de chirurgien dentiste ou la longueur des délais d’attente sontdéplorées presque partout 1840 . Tout aussi alarmant est le constat concernant les examensgynécologiques et le dépistage du cancer des seins. Certaines UCSA ne disposent pas de locauxsuffisamment spacieux pour y installer un fauteuil ou une table d’examen ; et le dépistage du cancerdu sein n’est pas assuré dans tous les établissements pénitentiaires hébergeant des femmes (CNCDH,2006). Le CPT a constaté que dans une prison, l’ophtalmologue passait tous les deux mois 1841 . Lasolution pourrait consister en consultations à l’hôpital. Mais cette solution souffre également dedysfonctionnements tout aussi graves.L’accès à l’hôpital. Les opérations chirurgicales, les soins lourds ou complexes ainsi quecertaines consultations de spécialistes doivent avoir lieu dans des hôpitaux. Ces consultations, ainsique les hospitalisations d’une durée inférieure à 48 heures et les hospitalisations en urgence, sontréalisées dans l’hôpital de rattachement, parfois au sein de chambres sécurisées. Les hospitalisationssupérieures à 48 heures sont assurées à l’hôpital de Fresnes ou au sein d’unités hospitalièressécurisées interégionales (UHSI). Toutefois ce moyen d’accès aux soins présente lui aussi de grandsdysfonctionnements. Aux retards et annulations fréquentes des extractions pour des raisonsd’organisation de l’escorte, s’ajoutent le nombre de places insuffisantes et des modalités de transferts<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081837 « Si ‘un événement médical aigu’ survient de nuit, conclut-elle, il relèvera d'un dispositif civil de type SOSmédecins, ‘pour autant que l'état anormal du détenu ait été identifié et signalé’ », L'Académie de médecinedénonce le mauvais état de la santé carcérale, Paris, (AFP), 07/01/2004.1838 S’agissant des effectifs médicaux dans les UCSA des établissements visités (en semaine, un médecin estprésent tous les matins à la Maison d’arrêt de Saint-Denis et, au Centre pénitentiaire du Port, un médecin estprésent tous les matins et les après-midi), ceux-ci semblent à peine acceptables, surtout au centre pénitentiairequi hébergeait lors de la visite plus de 640 détenus dont 29 mineurs, CPT/Inf (2005) 21, Rapport de visite,France-Département de la Réunion, préc.1839 Formulé en décembre 2003, ce constat (la fermeture des UCSA après 17h00 et durant les week-ends),illustre les limites auxquelles se heurte l’objectif de la loi du 18 janvier 1994 « d’assurer aux détenus unequalité et une continuité de soins équivalents à ceux offerts à l’ensemble de la population ».1840 « Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues », (2006) préc. ; « La Gestion de la santé dans lesétablissements du programme 13000, Evaluation et perspectives », Rapport, P. PRADIER, préc.1841 CPT/Inf (2005) 21, Rapport de visite, France-Département de la Réunion, préc.


367contraires à la dignité. L’annulation des transferts à cause de problèmes d’organisation des escortesest assez fréquente. Malgré les critiques émises depuis 2000 par l’IGAS et l’IGSJ, ces difficultéspersistent, constatait la CNCDH, en 2006 1842 .Un autre problème compromet l’accès effectif à l’hôpital : les modalités des transferts àl’hôpital. Des personnes refusent de se rendre à l’hôpital en raison des modalités jugées humiliantesà cause du port des menottes et d’entraves, y compris lors des interventions chirurgicales 1843 . LaCour européenne des droits de l’homme estime effectivement que le port d’entraves ou de menottesrajoute de l’inconfort et de la souffrance et peut constituer un traitement dégradant et mêmeinhumain. Elle a, à ce propos, condamné la France à trois reprises, dans les arrêts Mouisel (2002) 1844 ,Henaf (2004) 1845 , Matencio (2004 1846 ). Le CPT et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseilde l’Europe ont également vivement critiqué les modalités des escortes des personnes malades enFrance, notamment l’attachement au lit de l’hôpital des personnes hospitalisées. C’est « une pratiquehautement contestable tant du point de vue de l’éthique que du point de vue clinique », a martelé leCPT 1847 . « Une ignoble pratique » lorsqu’elle s’applique aux femmes enceintes, ajoute leCommissaire aux droits de l’homme 1848 . Cette dernière a été supprimée par une instruction du 18novembre 2004. Mais le CPT souhaite étendre à tous les détenus la suppression de la pratiqueconsistant à les entraver, pour des raisons de sécurité, à leur lit d’hôpital 1849 . D’autant plus que lesstatistiques du risque d’évasion ne justifient pas cette pratique. En 2004, seuls 4 évasions ont eu lieupour 55 000 escortes 1850 .Enfin, les personnes détenues en France connaissent une autre limitation dans l’accès auxsoins. Ils sont privés aussi bien de la liberté de choix du médecin que d'hospitalisation dans unhôpital privé. C’est à titre exceptionnel et sous autorisation du directeur régional des servicespénitentiaires, qu’un détenu puisse avoir accès à un médecin privé 1851 et être hospitalisé dans une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1842 La persistance de ces difficultés est d’autant plus injustifiable qu’en juin 2001, l’IGAS et l’IGSJ avaientsouligné que « l’organisation des extractions médicales demeure un point de blocage majeur », soulignait en2006 la CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), § 5.1843 Une circulaire du 18 novembre 2004 autorise le directeur de l’établissement pénitentiaire à imposer le portde menottes et la présence des surveillants pendant l’examen médical et même l’opération chirurgicale.1844 CEDH, Mouisel c. France, préc.1845 CEDH, Henaf c. France, préc.1846 CEDH, Matencio c. France, préc.1847 CPT/Inf (2005) 21, Rapport de visite, France-Département de la Réunion, préc..1848 Conseil de l’Europe, « Le respect effectif des droits de l’homme en France », CommDH(2006)2, préc.1849 CPT/Inf (2005) 21, Rapport de visite, France-Département de la Réunion, préc.1850 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), § 9.1851 « Hormis les cas où ils se trouvent en dehors d'un établissement pénitentiaire en application des articles 723et 723-3, les détenus ne peuvent être examinés ou soignés par un médecin de leur choix, à moins d'une décisiondu directeur régional des services pénitentiaires territorialement compétent. Ils doivent alors assumer les fraisqui leur incombent du fait de cette prise en charge», (art. D 365 CPP).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


clinique privée 1852 . Quant à l’hospitalisation à domicile, elle est totalement exclue, à moins debénéficier d’une suspension de peine.368Aussi, malgré le rattachement des soins des détenus au système de santé publique, denombreux aspects demeurent-ils insuffisants. Si bien qu’il arrive encore que des personnes détenuessoient très mal soignées en prison. Ainsi, ce cas rapporté par l’OIP : une personne est devenuegrabataire en prison en raison d’une « fâcheuse prise en charge » en prison, selon l’expertisemédicale effectuée à l’hôpital pénitentiaire de Fresnes où cette personne a finalement ététransférée 1853 .2. Des soins ou des mesures spécifiquesLe droit français reconnaît que certains problèmes de santé nécessitent des soins ou desmesures supplémentaires. Il en est ainsi notamment des maladies mentales (a), des maladiestransmissibles (b) et des conduites addictives (c).a. Maladies mentalesLes soins aux personnes souffrant de maladies transmissibles à l’intérieur des prisons sont enprincipe assurés par les services médico-psychologiques régionaux (SMPR), crées en 1986 1854 . Adéfaut d’existence de tels services dans une prison, les soins sont assurés par les UCSA.Les SMPR doivent assurer le dépistage des troubles psychiques (notamment au moyen d’unentretien d’accueil avec les entrants), les soins médico-psychologiques courants et leshospitalisations des personnes consentantes. Mais, eux-aussi, présentent des défaillancesimportantes. D’abord, bien qu’implantés dans les prisons depuis 1986, ils sont en nombreinsuffisant : seuls vingt-six sur cent cinquante sept prisons sont dotées d’un SMPR et ils ne sontprésents que dans deux prisons pour femmes. Ensuite, les locaux sont vétustes et inadaptés pour uneprise en charge adéquate : leurs cellules ne se distinguent pas des autres cellules de la prison enraison de l’absence de surveillance infirmière la nuit, de l’absence de personnel d’entretien, ouencore de l’hygiène défaillante 1855 . Enfin, le nombre du personnel est insuffisant 1856 . Le médecin chef<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081852 « Les détenus ne peuvent être hospitalisés, même à leurs frais, dans un établissement privé, à moins d'unedécision du directeur régional des services pénitentiaires territorialement compétent », (art. D 391, dernieralinéa CPP).1853 Ce détenu était âgé de 83 ans et hémiplégique à la suite d'un accident vasculaire cérébral. Il ne se déplaçaitqu'en fauteuil roulant et avait besoin de l'aide d'une tierce personne dans les gestes de la vie quotidienne. Ilsouffrait également d'insuffisances rénale et cardiaque, d'un cancer de la prostate et d'incontinence urinaire,Communiqué de l’OIP : Source Nouvel Obs, 30 mars 2007.1854 Décret 86-802 du 14 mars 1986, en application de la loi 85-1461 du 31 décembre 1985 relative à lasectorisation psychiatrique.1855 « L’organisation des soins aux détenus », IGAS, Rapport d'évaluation, juin 2001.


369de l’hôpital pénitentiaire de Fresnes, prison qui accueille 2 000 détenus, dénonçait en juin 2006, cemanque alarmant : il ne disposait que d’1,8 plein temps d’infirmier alors qu’il faudrait au minimumsix postes en plein temps 1857 . Par ailleurs, de nombreux établissements pour peines ne disposent quede psychiatres et psychologues vacataires 1858 . Ainsi, le CPT a rapporté qu’à la Réunion, « le SMPRdisposait notamment de six cellules de 10 à 11 m et de deux cellules de 19 à 24 m. Il n’y avait pasde patient hébergé lors de la visite, le responsable du SMPR préconisant une politique par laquelle ilne souhaite pas transformer ce lieu en hôpital 1859 ».La prise en charge des soins psychiatriques par les UCSA ne peuvent pas compenser cesinsuffisances, ne serait-ce qu’en raison de l’impossibilité d’hospitaliser ces patients.L’ensemble de ces insuffisances étaient toujours persistantes, en 2006, comme l’a relevé lerapport du commissaire européen aux droits de l’homme 1860 . Elles ont même donné lieu, la mêmeannée, à une condamnation de la France dans l’arrêt Rivière pour traitements inhumains etdégradants 1861 .Le requérant dans cet arrêt, en détention depuis vingt-huit ans, au moment de l’arrêt de laCour, avait développé au cours de sa détention des troubles psychotiques graves accompagnés decomportements de type suicidaire. Or, à l’exception de courtes périodes d’hospitalisation dans lesUMD, elle ne bénéficiait pas des soins adéquats en détention. Il voyait un psychiatre une fois parmois et recevait de soins infirmiers psychiatriques une fois par semaine. Pour la Cour, ces soinsétaient bien insuffisants. S’agissant de personnes souffrant de graves problèmes mentaux appellentdes « mesures particulièrement adaptées » en vue d’assurer la compatibilité de leur état de santé avecles exigences d’un traitement humain 1862 . Les manquements à ces obligations peuvent soumettre lapersonne à un traitement inhumain ou dégradant. « Son maintien en détention, sans encadrementmédical actuellement approprié constitue dès lors une épreuve particulièrement pénible et l’a soumisà une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui dépasse le niveau inévitable de souffranceinhérent à la détention », au point de constituer un traitement « inhumain et dégradant » 1863 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081856 Par exemple, la commission des lois du Parlement français a, en 2006, relevé que l’établissementpénitentiaire de Château-Thierry, spécialisé dans l’accueil des détenus malades mentaux, ne comptait qu’unpsychiatre, « Traitement des délinquants dangereux atteints de troubles psychiatriques, propositions de lacommission des lois du parlement français », préc.1857 « Le cri d'alarme du médecin-chef, psychiatre, de la prison de Fresnes », Le Monde, 6.05.06.1858 SENAT, Prisons : une humiliation pour la République, préc.1859 CPT/Inf (2005) 21, Rapport de visite, France-Département de la Réunion, préc.1860 Conseil de l’Europe, « Le respect effectif des droits de l’homme en France », CommDH(2006)2, préc.1861 CEDH, Rivière c. France, préc.1862 Ibid, § 63, § 75.1863 Ibid, §§ 76-77.


370Quant à l’hospitalisation en dehors du parc pénitentiaire, elle ne peut être que d’office. Elleest donc réservée aux seuls malades mentaux dangereux et non consentants aux soins. Mais nousaborderons cette question sous l’angle de la capacité des personnes malades mentalement de subirune détention. Le droit français reconnaît en effet l’incompatibilité de cette maladie avec ladétention.b. Maladies transmissiblesParmi les maladies transmissibles, celles qui demandent en particulier des soins ou mesuresspécifiques, étant les plus graves pour la santé, sont la tuberculose, l’hépatite C et H et le VIH. Cettedernière, qui était une maladie mortelle à 100 % vers fin des années 1980 et était présente dans laprisons entre vingt et trente fois plus qu’à l’extérieur 1864 , elle est, depuis 1990, en nette diminution :1,04 % de séropositifs en 2003 1865 .Actuellement, c’est la séropositivité au VHC qui prédomine en milieu carcéral. Elle est septfois supérieure à la population générale 1866 . Si bien que Pierre Pradier a tiré la sonnette d’alarme en2001 : « Ces malades, séropositifs au VHC, constituent une bombe à retardement 1867 ». On noteégalement depuis les années 1990, la résurgence de la tuberculose pulmonaire 1868 . Or, l’image de cesmalades est très mauvaise : ils sont vus de la part des surveillants comme de « pestiférés », des« lépreux » 1869 .Concernant ce type de maladies, le droit français prévoit, outre la consultation desspécialistes et les traitements adaptés, des mesures préventives et de protection. D’abord, ledépistage. Celui de la tuberculose est proposé systématiquement à tous les entrants en prison. Toutdétenu peut le demander durant la détention 1870 . Pour le VIH, un dépistage gratuit et anonyme(comme à l’extérieur), peut avoir lieu sur demande de l’intéressé. Nous déduisons que ce dernier actemédical peut également être demandé pour toute maladie transmissible. Ensuite, l’isolement médical.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081864 . Bulletin épidémiologique hebdomadaire, n° 26/95, pp. 118-119.1865 OFDT, « Addictions en milieu carcéral », Rapport, décembre 2004.1866 « L’Académie de médecine a relayé l’inquiétude de « certains professionnels de santé » concernant « laprévalence de l’hépatite C dans le monde carcéral, où le taux moyen serait sept fois supérieur à celui de lapopulation générale », CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), préc.1867 P. PRADIER, La gestion de la santé dans les établissements du programme 13000, préc.1868 Ibid.1869 Ibid.1870 « Le dépistage de la tuberculose est réalisé chez tous les entrants provenant de l'état de liberté par unexamen radiologique pulmonaire effectué et interprété dans les délais les plus brefs à compter de la dated'incarcération. Cette mesure s'applique également aux détenus présents qui n'auraient jamais bénéficié, ni lorsde leur entrée en détention, ni au cours de leur incarcération, d'un dépistage radiologique de la tuberculose. Cetexamen systématique est pratiqué sur place, sauf impossibilité matérielle », (art. D384-1, al.2 CPP).


Pour les personnes souffrant de tuberculose, le médecin peut prescrire cette mesure (D 384-1 al.3CPP) 1871 .371Cela dit, un nombre de difficultés dans la garantie des soins équivalents à l’extérieursubsiste. Concernant d’abord le VIH, le dépistage gratuit et anonyme n’est pas totalement assuréparce que les CDAC (Centres de dépistage anonyme et gratuit) ne sont pas présents dans toutes lesprisons et/ou ne garantissent pas l’anonymat 1872 . Ensuite, l’efficacité dans l’administration detraitements de cette maladie présente plusieurs défaillances : absence dans de nombreuses prisons defrigidaires dans les cellules alors que certains médicament doivent être conservés dans le froid ;interruption de traitement en cas de transferts et des extractions judiciaires ; inaccessibilité desmédicaments de confort permettant d’atténuer les effets secondaires ; ou encore rareté d’unaccompagnement psychologique des détenus séropositifs 1873 . Des difficultés sont égalementsignalées concernant les hépatites, notamment celle de longs délais pour obtenir une biopsiehépatique 1874 .c. Conduites addictivesUn autre type de maladie qui demande des soins et mesures spécifiques sont les maladiesaddictives. Les prisons françaises sont en particulier confrontées à la toxicomanie, l’alcoolisme et letabagisme. Selon une enquête du ministère de la Santé menée en 2003 auprès des personnes entréesen prison, une sur trois (33,3%) faisaient usage des drogues, une sur trois de l’alcool, et quatre surcinq fumaient (77 ,7 %) 1875 .Le droit français tient compte de la spécificité de ces trois problèmes de santé. S’agissantprécisément de l’usage de l’alcool, à part la dissuasion par l’interdiction de son usage endétention 1876 , le droit français prévoit pour ceux qui sont déclarés ou découverts alcoolo-dépendants,l’accès à des consultations extérieures en alcoologie et des soins en alcoologie. Seulement cette offrede soins n’est pas à la hauteur dénonce la CNCDH 1877 qui recommande un meilleur repérage des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1871 « Les détenus dont l'état de santé le nécessite sont isolés sur avis médical. Le médecin prescrit les mesuresappropriées pour éviter toute contamination du personnel et des détenus », (art D384-1, al.3 CPP). Les Règlespénitentiaires européennes de 2006 prévoit également cette mesure : Lorsqu’il examine un détenu, le médecinou un(e) infirmier(ère) qualifié(e) dépendant de ce médecin, doit accorder une attention particulière: « àl’isolement des détenus suspectés d’être atteints de maladies infectieuses ou contagieuses, pendant la périodeoù ils sont contagieux, et à l’administration d’un traitement approprié aux intéressés », (règle 42.3.f.).1872 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), préc.1873 Ibid.1874 Ibid.1875 OFDT, « Addictions en milieu carcéral », (2004), préc.1876 Constitue une faute disciplinaire le fait « de se trouver en état d'ébriété ou d'absorber sans autorisationmédicale des substances de nature à troubler son comportement », (art. D249-2, 10°, CPP).1877 Dans certains établissements, un détenu sur deux déclare une consommation problématique d’alcool, etprès d’un sur quatre répond aux critères de l’alcoolodépendance. Or, l’intervention en milieu carcéral desconsultations extérieures en alcoologie reste encore limitée et soumise à des délais rédhibitoires, parfoisUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


personnes alcoolo-dépendantes à l’entrée en prison et le développement des consultationsspécialisées dans les établissements pénitentiaires 1878 .372Des insuffisances caractérisent également la prise en charge du tabagisme. D’abord, uneminorité d’établissements dispose de consultations en ce domaine ainsi que d’un accès à dessubstituts nicotiniques : 67 établissements sur 157 1879 . Quant à l’affectation dans des cellules non–fumeurs pour ceux souhaitant d’arrêter, elle ne peut constituer qu’une solution marginale comptetenu du faible nombre de cellules disponibles en raison de la surpopulation carcérale. En 2003,d’après l’OFDT, seuls 26 établissements ont déclaré disposer de cellules « non fumeur » 1880 . Enfin,la prévention par l’interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, généralisée en France par unDécret de 2006 1881 , n’aura probablement que peu d’impact étant donné que cette interdiction dans lesprisons était déjà prévue par l’article D 347 du code de procédure pénale 1882 . Les seuls endroits oùles détenus peuvent fumer sont le cours de promenade, les cellules et la partie ouverte (patio) desUVF (unités de visites familiales) 1883 .Par ailleurs la prison non seulement prend mal en charge le traitement de ces conduitesaddictives, mais elle peut en être à l’origine. Les produits psychoactifs servent de moyens poursupporter la vie oppressante et stressante de la détention 1884 .Ainsi, les mêmes problèmes se rencontrent également et avec plus d’acuité concernant latoxicomanie. Certes une meilleure prise en charge est assurée depuis 1989 (D385 Cpp 1885 ), à causesupérieurs à la durée d’incarcération. Pour l’OFDT, « ces carences de l’offre sont d’autant plus dommageablesque les personnes dépendantes à l’alcool tendent à occulter leur pathologie : elles formulent donc rarement unedemande de soins, voire la refusent ».1878 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), préc.1879 OFDT, « Addictions en milieu carcéral », (2004, préc.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1880 Ibid. La CNCDH, quant à elle, recommande la possibilité pour toute personne détenue qui le souhaited’être affectée dans une cellule « non fumeur », ainsi que la prescription et l’accès gratuit aux substitutsnicotiniques, comme le prévoit le plan 2004-2008 de la MILDT, CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...personnes détenues, (2006), préc.1881 Décret n° 2006-1386, du 15 novembre 2006 fixant les conditions d’application de l’interdiction de fumerdans les lieux affectés à un usage collectif.1882 « Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment dans les couloirs, les sallesde spectacle ou de culte, les salles de sport, les locaux médicaux, les ateliers et les cuisines. Le chefd'établissement détermine, en fonction de la configuration des lieux, les locaux dans lesquels les détenus sontautorisés à fumer, en tenant compte notamment de leur aération et de leur destination », (art. D347 CPP).1883 Circulaire Jusk0740008C, 31 janvier 2007 relative aux conditions d’application de l’interdiction de fumerdans les lieux relevant de l’administration pénitentiaire, Ministre de la Justice et Ministre de la santé et dessolidarités.1884 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), préc.1885 « Dans le cadre de la prise en charge globale des personnes présentant une dépendance à un produit liciteou illicite, les secteurs de psychiatrie générale et les secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire favorisent etcoordonnent, en collaboration avec les unités de consultations et de soins ambulatoires, les interventions, ausein de l'établissement pénitentiaire, des équipes des structures spécialisées de soins, notamment des centresspécialisés de soins aux toxicomanes et des centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie. Dans lesétablissements visés à l'article D. 371, cette coordination est assurée par les médecins psychiatres du servicemédical », (art. D385 CPP).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


373de sa prévalence dans l’épidémiologie de la transmission du Sida 1886 . Elle demeure toutefoisinsuffisante. La CNCDH a souligné qu’en 2000, la France s’engageait formellement par une noteinterministérielle du 9 août 2001, dans la « stratégie sur les drogues » proposée par l’Unioneuropéenne, d’offrir jusqu’en 2004, « aux détenus des possibilités de soins médicaux comparables àcelles offertes hors de la prison 1887 ». Cependant le bilan de l’application de cette note, dressée en2004 par, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), relève que cetengagement est resté pour une large partie sans suite.Enfin, des praticiens 1888 et des études (CNCDH, 2006) s’accordent à reconnaître que laprison n’est pas un cadre approprié pour un traitement efficace aussi bien du VIH que de latoxicomanie à cause : d’une part, du caractère coercitif, isolationniste et oppressant de cetteinstitution 1889 et d’autre part, de l’incompatibilité des exigences thérapeutiques et des exigencessécuritaires 1890 . Plus encore, « l'enfermement pousse à la consommation 1891 ». Le Sénat rapportait, en2000, que 26 % des personnes déclaraient s’être injectées des drogues au cours du premier mois deleur détention et 6 % déclaraient avoir commencé à s’injecter de la drogue en prison 1892 .Les défaillances sont encore plus criantes en droit grec où les soins des détenus demeurentencore du ressort de la médecine pénitentiaire.B. Les garanties en droit grecLe système de soins des détenus en Grèce demeure dans un fonctionnement similaire à celuide l'ancien système français. Il relève toujours du ministère de la justice. Les soins sont assurés pardes médecins de l'établissement pénitentiaire et les hôpitaux pénitentiaires et en cas de besoin, par leshôpitaux publics. Le service d'Inspection sanitaire est également un service du ministère de la Justice(art. 26 § 1 C. pénit). En revanche, contrairement au droit français, les détenus en Grèce ont droit à<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1886 . En 1990, la toxicomanie était la cause dans 91% de contamination par le VIH 1886 , et 40% des toxicomanesdétenus étaient contaminés par le VIH, P. JACQUIN, La prison, un haut-lieu de contaminations, préc., p. 2.1887 Une note interministérielle avait redéfini, le 9 août 2001, les orientations relatives à la prise en charge despersonnes incarcérées ayant des problèmes d’addiction. Cinq axes principaux avaient été dessinés : le repéragesystématique des situations d’abus ou de dépendance de produits psychoactifs, la proposition d’une prise encharge adaptée à chaque détenu, le renforcement de la prévention des risques, la préparation à la sortie et laproposition d’aménagements de peine, CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006),préc.1888 . C. <strong>LE</strong>GENDRE, A. MAURION, « Milieu carcéral et espace thérapeutique, Revue de la littérature, état deslieux, perspectives », L'Evolution psychiatrique, t.58, janv.-mars 1993, pp. 84-85.1889 . C. SUEUR, « Sida, prison, revue de la littérature, état des lieux, perspectives », L'Evolution psychiatrique,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008t. 58, janv.-mars 1993, p. 120.1890 “ Drogues et Prison ”, Actes de journée d'études, 22 avril 1994, préc.1891 . « Il est inévitable que la prison soit devenue un lieu où la question de la drogue est centrale, d'autant plusque la l'enfermement pousse à la consommation », P. JACQUIN, La prison, un haut-lieu de contaminations,JUSTICE, n°150 (nov. 1996), p. 2.1892 SENAT, Prisons : une humiliation pour la République, préc, p.55.


un médecin de leur choix à leurs frais et le champ des incompatibilités avec le maintien en détentionest plus large.374De manière générale, le fonctionnement de l’organisation des soins en prison est régi par leprincipe d’équivalence de la qualité des soins à ceux à l’extérieur. Toutefois, si tel est le principeaffirmé ainsi que l’esprit des dispositions corrélatives, et si la Cour européenne des droits del’homme n’a pas encore jugé que cette organisation des soins souffre des défaillancescondamnables 1893 , le CPT réitère ses critiques sévères depuis son premier rapport de visite (1993 1894 )jusqu’au dernier (2006 1895 ). Pour mieux apercevoir l’organisation des soins en droit grec, nousprocéderons à l’examen de l’organisation, d’abord, des soins en général (1), et ensuite, des mesuresspéciales (2).1. Les soins en généralTout comme le droit européen et le droit français, le droit grec reconnaît le principed’équivalence des soins des détenus avec ceux à l’extérieur. Ce principe est consacré par la loipénitentiaire de 1999, et il est actuellement inséré dans l’article 27 § 1 du Code pénitentiaire : « Ladirection de l’établissement assure aux détenus des soins médicaux du même niveau que celui dureste de la population ». Le règlement intérieur des prisons 1896 , contient quelques précisions de cetteéquivalence. Le personnel médical accomplit ses tâches suivant les connaissances scientifiques etmédicales contemporaines et dans le respect des règles de l’éthique et de la déontologie suivant lesdispositions du Code pénitentiaire et de la réglementation de l’exercice de la médecine et des soinsinfirmiers (art. 44 al. 1 règlement). Il précise également que les soins sont guidés par le critèreexclusif d’intérêt du patient (art. 44, §1, Règlement intérieur).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Si le principe dans son annonce et dans sa précision paraît satisfaisant, le CPT constatait, lorsde sa visite en 2005, que la réalité est loin de l’être : « Les services de santé dans toutes les prisonsvisitées ne peuvent pas être considérés comme acceptables 1897 ». La situation n’avait guère évoluéeen 2007 1898 . Il convient dès lors de voir de près quelle est l’organisation prévue et quelle est laréalité.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Tout d’abord, le droit grec, tout comme le droit français, prévoit l’examen systématique detous les entrants en prison (art. 27 § 2, C. pénit.). Cet examen doit avoir lieu très rapidement ; au plus1893 CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc.1894 CPT/Inf (94) 20, Rapport de visite, Grèce, préc.1895 CPT/Inf (2006) 41, Rapport de visite, Grèce, préc.1896 Règlement intérieur du fonctionnement des établissements pénitentiaires, par Décision ministériellen°58819/7.4.2003, JO 463 /17.4.2003.1897 CPT/Inf (2006) 41, Rapport de visite, Grèce, préc.1898 CPT/Inf (2008) 3, Rapport de visite, Grèce, du 20 au 27 février 2007.


375tard, le lendemain, précise le Règlement intérieur (art. 45 al.1, C. pénit.). Dans les faits, relève leCPT, cette règle n’est pas respectée. Cet examen a souvent lieu une ou plusieurs semaines plus tardou simplement sur demande des détenus en cas de problèmes de santé (CPT/Inf (2006) 41). Ce quiest d’autant plus regrettable qu’un tel examen est indispensable, en particulier, pour prévenir ladiffusion de maladies transmissibles, le suicide et l'enregistrement d’éventuelles blessures.Ensuite, un nombre de dispositions garantissent l’accès aux soins (consultations ethospitalisation) tout au long de la détention. Concernant les consultations, en principe, les détenussont examinés d’office tous les semestres et, à tout moment sur leur demande (art. 27 § 2, C. pénit.).Seulement, à l’heure actuelle, il n’y a pas de postes en plein temps, à l’exception d’un psychiatre etd’un dentiste dans la plus grande prison, celle de Korydalos près d’Athènes, qui regroupe quasiment1/3 des détenus en Grèce. Les consultations sont assurées par des médecins qui effectuent despermanences quelques heures par semaine. En cas de besoin, en dehors de ces permanences, ledirecteur de la prison peut faire appel à des médecins et infirmiers inscrits sur une liste les autorisantà y intervenir 24h/24h (art. 27 § 3, C. pénit.).Dans ces conditions, le CPT a raisonnablement estimé que le personnel médical estinsuffisant et avait, dans son rapport de visite de 1994, recommandé le recrutement en urgence, desgénéralistes et des infirmières 1899 . Mais lors de sa visite, en 2007, constatant l’inertie des autoritésgrecques, a invité le gouvernement grec à s’y conformer « immédiatement » 1900 . Il a, à cetteoccasion, précisé les normes concernant les effectifs du perosnen hospitalier dans le milieupénitentiaire : un médecin pour trois-cent détenus et une infirmière pour cinquante détenus 1901 .Le droit grec permet de remédier partiellement à cette situation par l’accès des détenus à desmédecins privés. Ce qui permet en même temps de respecter la liberté fondamentale du libre choixdu médecin. En effet, réservé avant la loi pénitentiaire de 1999, aux seuls grévistes de la faim, cedroit est depuis reconnu à tous les détenus : « Chaque détenu peut demander, à tout moment de sadétention, d’être examiné par le médecin de la prison ou par un médecin de son choix » (27 § 2, C.pénit.). Mais il supporte les frais. En cas de maladies chroniques, le détenu a droit de se faire suivrepar son médecin traitant en présence du médecin de l’établissement (art. 27 § 2, C. pénit.). En cas de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008désaccord entre le médecin de l’administration pénitentiaire et le médecin privé, il est fait appel aumédecin légiste localement compétent (art. 27 § 5,C. pénit.).1899 Ainsi, pour la prison précisément de Korydalos, il recommande le recrutement de deux généralistes à pleintemps et au moins de quatre infirmières qualifiées supplémentaires, dont une qualifiée en soins psychiatriques,CPT/Inf (94) 20, Rapport de visite, (Grèce), préc.1900 CPT/Inf (2008) 3, Rapport de visite, Grèce, préc., §§ 52-53.1901 Ibid., § 52.


376Quant à l’accès aux hospitalisations, il a lieu soit dans le dispensaire de la prison (où lesdétenus peuvent rester jusqu’à un mois maximum), soit dans un hôpital pénitentiaire (art. 30 §1, C.pénit.).C’est en cas d’impossibilité de soigner les patients dans ces lieux, que l’hospitalisation peutavoir lieu dans des hôpitaux publics (art. 30 §2 c. pénit.).Toutefois, les critiques du CPT, lors de sa visite en 2005, sont aussi sévères que lors de sapremière visite en 1993. L'état des locaux des hôpitaux pénitentiaires sont si inadéquats que, selonl'aveu des responsables de ces hôpitaux, ceux-ci ne servent que de lieux d'attente pour le transfert desdétenus vers des hôpitaux publics ou de lieux de convalescence, avait-il observé en 1993 1902 . Eneffet, alors qu’en principe les transferts vers des hôpitaux publics doivent avoir lieu lorsque lemédecin constate un « risque grave » pour la santé, dans la pratique, les transferts sont fréquents 1903 .En 2006, cet organe signalait un autre manquement grave concernant, les soins au sein des hôpitauxpénitentiaires. Dans un de ces hôpitaux, en raison de manque d’infirmiers, un certain nombre demalades alités, ne pouvaient pas satisfaire leurs besoins quotidiens en matière sanitaire et d’hygiène.Un tel manque de soins peut constituer un traitement dégradant, estima le CPT.De manière générale, cet organisme recommande aux autorités grecques de rattacher lessoins des détenus au système de santé public et de le transférer au ministère de la santé. Cerattachement est programmé par les pouvoirs publics grecs mais il n’est pas encore réalisé.A part les soins prévus pour tous les types de maladie, le droit grec prévoit des mesuresspéciales concernant notamment le VIH et la toxicomanie.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2. Les mesures spécialesLe droit pénitentiaire grec n’exclut pas de « mesures de soins imposées si l’état de santé lerequiert » (art. 30 §1), y compris la détention dans une partie isolée de la prisons en cas de maladiestransmissibles (30 § 45). Mais, il ne mentionne que deux problèmes de santé : la séropositivité auVIH (a) et la toxicomanie (b).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008a. Le traitement des séropositifs au VIHEn plus d’un traitement médical spécial requis par cette maladie, les détenus atteints du VIHsont isolés des autres. Le CPT avait dénoncé cette mesure, en 1993. En 2005, il a constaté qu’ils sont1902 .Ibid.1903 .Ibid., p. 55.


377systématiquement transférés à l'hôpital de prison de Korydallos dans une unité à part. Le CPT, s’il aconstaté le bon niveau des conditions de vie et de la qualité des soins, il a regretté l’absenced’activités. Il a donc réitéré son souhait d’une politique de maintien de ces personnes dans lapopulation ordinaire à moins d’une contre-indication médicale. Il a également souhaité la mise enplace d’un soutien psychologique.b. La toxicomanieLe code pénitentiaire prévoit de manière très laconique que les toxicomanes sont soumis àdes soins spéciaux (art. 30 § 4). A part, la possibilité de transfert d’une catégorie de personnes dansun centre de désintoxication (aspect que nous traiterons, ci-après), aucune autre précision n’estdonnée sur le traitement de celles qui demeurent dans la prison ordinaire.Concernant ces personnes, le CPT a relevé, en 2005, l’insuffisance de traitement. Ladélégation avait même rencontré des détenus qui avaient rechuté en prison, laissant entendre que lesdrogues circulent en prison. Aussi, a-t-il recommandé que l’offre de soins à ces personnes change.Elle devrait combiner un véritable programme de désintoxication, c’est-à-dire un programmemédico-psycho-socio-éducationnel avec des produits de substitution.Rien n’est spécialement prévu pour d’autres problèmes d’addiction, comme l’alcoolisme etle tabagisme.Le CPT a insisté sur la mise en place d’une politique de prévention par l’information aussibien auprès des détenus qu’auprès du personnel sur les maladies transmissibles, en particulierl’hépatite, le SIDA, la tuberculose, les infections dermatologiques et les problèmes d’addiction.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Toutefois, si ces critiques sont fondées, il est à souligner que concernant les toxicomanes etles malades du VIH, le droit grec reconnaît l’incompatibilité de ces états de santé avec le maintien endétention ordinaire ou en détention tout court. En France aussi, les interrogations se multiplient àpropos de cette compatibilité. Ce qui nous amène à la réflexion générale de la capacité à la détention<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008des personnes souffrant de problèmes de santé : soit en raison de la nature de ces problèmes soit enraison de leur gravité.Car non seulement comme le soulignent des psychologues et psychanalystes, il ne faut pasperdre de vue que « la prison n'est pas une institution soignante 1904 », mais de manière générale,comme le reconnaît le CPT, « garantir un niveau satisfaisant de soins médicaux dans une prison sera1904 . C. <strong>LE</strong>GENDRE, A. MAURION, « Milieu carcéral et espace thérapeutique, Revue de la littérature, état deslieux, perspectives », préc., pp. 84-85.


378toujours tâche difficile 1905 ». Lorsque la difficulté devient impossibilité, ou lorsque la détentioncontribue à la détérioration de la santé, la question se pose de savoir si les exigences de l’article 3 nedépassent pas la garantie des soins optimaux en prison pour poser celle de l’examen de lacompatibilité d’un état de santé avec la vie en détention.SECTION 2. L’OBLIGATION <strong>DE</strong>S ETATS <strong>DE</strong> S’ASSURER <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> COMPATIBILITE <strong>DE</strong>L’ETAT <strong>DE</strong> SANTE AVEC <strong>LA</strong> <strong>DE</strong>TENTIONLe droit grec reconnaît depuis 1951, date de mise en vigueur de l’actuel Code de procédurepénale, l’incompatibilité de certains états de santé avec le maintien en détention. Au niveaueuropéen, comme nous l’avons déjà souligné, l’érosion du principe de capacité d’un être humain àsubir la détention a commencé en 1969. La Commission européenne des droits de l’homme 1906 avaitreconnu que la détention peut avoir des effets néfastes sur la santé des personnes malades, mais sansjamais estimer que leur maintien en détention ait constitué un traitement contraire à l’article 3. En1993, le CPT établissait une liste de catégories des personnes inaptes à une détention continue, parmilesquels les grands malades et les malades mentaux 1907 . En 1998, le Comité des Ministres a adopté lamême liste 1908 . Quant à la Cour, c’est seulement depuis 2001 qu’elle admet que « l’état de santé (outableau clinique 1909 ), l’âge et un lourd handicap physique constituent désormais des situations pourlesquelles la question de la capacité à la détention est aujourd’hui posée au regard de l’article 3 de laConvention et au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe » 1910 . C’est cette même année, en2002, que le droit français instituait le droit à la suspension de la peine s’agissant de maladiesphysiques particulièrement graves ou à pronostic fatal à court terme.Aussi, l’obligation de l’examen de la compatibilité de l’état de santé avec la détention peutelleêtre considérée comme acquise en Europe. En revanche, concernant les réponses adéquates,comme celle de la mise en liberté n’est pas expressément requise par la Cour, ni par le Comité desMinistres ou le CPT du Conseil de l’Europe. Nous pouvons cependant la considérer comme étantimplicitement requise, et donc en devenir au sein du droit européen (§1). Les droits nationaux, grecet français l’ont, quant à eux, explicitement adopté dans les systèmes pénaux (§2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 1. Une garantie en devenir au sein du droit européen1905 . CPT 92(3), Rapport de visite, France, du 27 octobre au 8 novembre 1991, § 162.1906 Citée par la Cour : « Elle a cependant considéré que la détention, en tant que telle, entraînait inévitablementdes effets sur les détenus souffrant d'affections graves », CEDH, Matencio c. France, préc.,§ 76.1907 Y figuraient, ceux qui souffrent d'une affection grave dont le traitement ne peut être conduit correctementdans les conditions de la détention, CPT/Inf (93), 3e rapport général d'activités du CPP, préc., § 70.1908 Rec(98)7, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.1909 CEDH, Balyemez c. Turquie, n°32495/03, CEDH 2005-XII, § 86 ; CEDH, Tekin c. Turquie, préc., § 72.1910 CEDH, Matencio c. France, préc., § 76 ; CEDH, Mouisel c. France, préc., § 38 (Référence dans ce dernierà R (98) 7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.).


379Tout en soulignant que « la Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative àla situation des personnes privées de liberté, a fortiori malades », la Cour dit ne pas exclure que « ladétention d'une personne malade puisse poser des problèmes sous l'angle de l'article 3 de laConvention 1911 ». Mais, au-delà de cette déclaration, somme toute commune à toute personnedétenue, ce qui est important c’est qu’elle reconnaît que, au-delà des soins, les conditions dedétention, voire la détention en elle-même, peuvent avoir des conséquences sur des personnesmalades qui dépassent celles inhérentes à la détention d’une personne en bonne santé. Dès lors, plusque la question de la qualité des soins assurés en prison, peut se poser la question de la qualité desconditions générales de détention, et plus encore, celle de la capacité de ces personnes à subir unequelconque détention.C’est en 1998, dans l’affaire Aerts, qui mettait en cause le maintien d’une personne maladementale en détention ordinaire et non dans un lieu hospitalier, encadré d’un équipement médical ethumain adapté, que la Commission avait reconnu pour la première fois que, cette détention avaitconstitué non seulement une détention arbitraire, mais également un traitement dégradant etinhumain 1912 . Auparavant, bien que le raisonnement de la Commission lors de ses premièresdécisions en la matière aurait pu laisser entendre qu'une obligation de mettre fin à la détention seraitimposée en cas d'inaptitude à la détention 1913 , il n'en fut rien. Déclarer la personne inapte à ladétention ne changeait pas son raisonnement par rapport aux autres détenus malades. En aucun cas,même en cas de maladie difficile à traiter, cette instance n'avait estimé que les Etats aient l'obligationde libérer le détenu 1914 . Pour cette instance, il suffisait que les autorités aient pris toutes les mesurespossibles, eu égard au contexte de la détention, pour bien soigner la personne 1915 . La responsabilitéde l'Etat n'est engagée que lorsque, d’une part, la détérioration de la santé était d'une gravité tellequ'elle pouvait mettre en danger la vie ou l'integrité physique de manière irréversible 1916 , et d’autrepart, qu'elle est due au défaut de soins adéquats ou d'aménagement des conditions de détention. Par<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1911 « La Convention ne comprend aucune disposition spécifique relative à la situation des personnes privées deliberté, a fortiori malades, mais il n'est pas exclu que la détention d'une personne malade puisse poser desproblèmes sous l'angle de l'article 3 de la Convention », CEDH, Mouisel c. France, préc., § 38, § 42.VoirR Chartier c. Italie, n o 9044/80, 8.12.1982, D.R. 33, pp. 41-47 ; D De Varga-Hirsch c. France, n o 9559/81,9.5.1983, D.R. 33, p. 158 ; B. c. Allemagne, n o 13047/87, 10.5.1988, D.R., 55, p. 271. Voir aussi CEDH,Matencio c. France, préc., § 76 ; CEDH, Tekin Yıldız c. Turquie, préc., § 70 ; CEDH, Balyemez c. Turquie,préc., § 87.1912 CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 66.1913 D 4165/69 (X c/RFA) 25.5.1969, Rec. 34, p. 11 ; D 4280/69 (X c/Autriche), R 34, p.161. Dans ces affaires,la Commission avait rejeté la demande de mise en liberté des détenus en raison des problèmes de santé, lescertificats médicaux n'avaient pas établi leur incapacité de continuer à subir cette peine.1914 « Les Etats n'ont pas l'obligation de libérer un détenu ou de le transférer dans un hôpital civil, même s'ilsouffre d'une maladie difficile à traiter », D 26756/95 (Nowojski/Pologne) 29.11.95.1915 Pour être contraire à l’article 3, cela peut être « insuffisant ». Or tel n'était pas le cas. Les autorités avaientpris les mesures nécessaires pour assure le mieux sa santé: il a été placé dans l'hôpital pénitentiaire, visité parplusieurs spécialistes, et suite à une novelle détérioration de sa santé une semaine après son retour en prison, ila été de nouveau hospitalisé ; quelque temps après, il a été libéré, D 21915/95 (Lucanov/Bulgarie), 12.1.95, DR80-A, p. 125.1916 Affaire irrecevable. Le collège des médecins invité à se prononcer, a estimé qu'il n'y avait pas de dangerpour sa vie, D 31368/96 (D. T. /Pologne), préc..<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


380exemple, dans l'affaire Lucanov 1917 , où le détenu souffrait de problèmes cardiovasculaires graves (delympholeucosis chronique maligne, d'hypertension artérielle et d'ischémie du cœur sans pour autantavoir de risques d'infarctus du myocarde), qui ne cessaient de se détériorer, la Commission avaitestimé que son état de santé bien que sérieux, n'était pas directement lié à la qualité des soins ni auxconditions de détention 1918 .Quant à la Cour, lors de sa première saisine de cette question, dans l’affaire Aerts (précitée),n’avait pas suivi le raisonnement de la Commission estimant que le requérant n’avait pas apporté lapreuve des effets 1919 néfastes, de surcroît graves dus à ces défaillances 1920 . C’est en 2002, qu’elle areconnu qu’une question de compatibilité se pose entre l’état de santé d’une personne malade et lavie en détention : « L'état de santé, l'âge et un lourd handicap physique constituent désormais dessituations pour lesquelles la capacité à la détention est aujourd'hui posée au regard de l'article 3 de laConvention en France et au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe 1921 ».« La souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique oumentale, peut en soi relever de l’article 3, si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par desconditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables 1922 ».A ce propos, il mérite d’être noté que la Cour a intégré parmi les éléments de droit, laRecommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative aux aspects éthiques etorganisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, qui est le texte le plus complet consacré àces questions. Elle avait souligné qu’elle y accorde une grande importance en matière de soins mêmesi elle est dépourvue de force contraignante 1923 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1917 D n°21915/95 (Lucanov/Bulgarie), préc.1918 Ibid.1919 Tout en reconnaissant qu’il « est déraisonnable d'attendre d'une personne se trouvant dans un état sérieuxde déséquilibre mental qu'elle donne une description détaillée ou cohérente de ce qu'elle a souffert lors de sadétention », CEDH, Aerts c. Belgique, préc., § 66.1920 Ibid.1921 CEDH, Mouisel c. France, préc., §38.1922 Ibid., § 38. Dans l’arrêt Tekin Yıldız, la Cour a ajouté : « Indépendamment de l’obligation faite aux Etats deprotéger l’intégrité physique des détenus par l’administration des soins médicaux requis, il faut rappeler que lasouffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut en soi relever del’article 3, si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autoritéspeuvent être tenues pour responsables », CEDH, Tekin Yıldız c. Turquie, préc., § 70. Voir CEDH, Balyemez c.Turquie, préc., § 84.1923 « La Cour relève en outre que la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relativeaux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire prévoit que les détenussouffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier dotéde l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié. La Cour a déjà eu l’occasion de citer cetterecommandation et elle y attache un grand poids, même si elle admet qu’elle n’a pas en soi valeurcontraignante à l’égard des Etats membres », CEDH, Rivière c. France, préc., § 72.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


381Aussi actuellement, la Cour reconnaît-elle que s’agissant des détenus malades, outre la santé,c’est le bien-être qui doit être assuré en prison de manière adéquate 1924 . Et donc, outrel’administration des soins adéquats, les autorités ont l’obligation d’assurer des conditions dedétention adaptées aux besoins spécifiques de l’état de santé 1925 : « Les conditions de détention d’unepersonne malade doivent garantir la protection de sa santé, eu égard aux contingences ordinaires etraisonnables de l’emprisonnement 1926 ». A défaut, les obligations des Etats peuvent-elles aller jusqu’àmettre en cause le maintien en détention ? La réponse de la Cour n’est pas encore claire.En fait, l’approche européenne de la capacité des personnes malades à la détention divergeselon le type et la gravité de la maladie. Elle est composée d’un tronc commun des considérationsquelle que soit la nature de la maladie, pour se différencier sur certains points concernant lesmaladies mentales et, dans une moindre mesure, les maladies du VIH ou la toxicomanie. Nousprésenterons d’abord l’approche concernant les maladies physiques graves (A), avant de présenterles garanties supplémentaires concernant d’autres types de problèmes de santé (B).A. Garantie potentielle en cas de maladies physiques gravesSi la Cour et les autres organes du Conseil de l’Europe reconnaissent que certains états desanté peuvent aller jusqu’à mettre en cause la capacité des personnes concernées, ils ne vont pasjusqu’à faire de leur mise en liberté une obligation.Le raisonnement de la Cour demeure subtil. Tout en posant la question de la capacité à ladétention, et en reconnaissant que la souffrance des personnes malades peut être exacerbéeégalement par les modalités d’exécution, notamment par la durée 1927 , elle n’érige pas la mise enliberté en obligation générale. Le raisonnement de la Cour est le suivant. Elle part du principe quel’article 3 ne permet pas de déduire une « obligation générale de remettre en liberté ou bien detransférer dans un hôpital civil un détenu 1928 », et ce « même si ce dernier souffre d'une maladie<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1924 CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc., § 94 ; CEDH, Balyemez c. Turquie, préc., § 85 ; CEDH, Tekin Yıldızc. Turquie, préc., § 71 ; CEDH, Matencio c. France, préc., § 78 ; CEDH, Mouisel c.France, § 40.1925 « Outre la santé du détenu, c’est le bien-être qui doit également être assuré de manière adéquate eu égardaux exigences pratiques de l’emprisonnement », CEDH, Balyemez c. Turquie, préc., § 85 ; CEDH, Kuda c.Pologne [GC], préc., § 94 ; CEDH, Tekin Yıldız c. Turquie, préc., § 71 ; CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc.,§ 37 ; CEDH, Matencio c. France, préc., § 78 ; CEDH, Mouisel c. France, préc., § 40 ; CEDH, Farbtuhs c.Lettonie, préc., §§ 51-52 ; CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 38 ; CEDH, Tekin Yıldız c. Turquie,préc.,§ 70 ;¨ CEDH, Price c. R.U. , préc., § 30.1926 CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc., § 52 ; CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 38 ; Reggiani MartinelliUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008c. Italie, (déc.), n°22682/02, CEDH 2005-VI.1927 CEDH, Tekin Yıldız c. Turquie, préc., § 72 ; CEDH, Mouisel c. France, préc., § 44, ; CEDH, Matencio c.France, préc., § 80.1928 CEDH, Balyemez c. Turquie, préc., § 86 ; CEDH, Tekin Yıldız c. Turquie, préc., § 72 ; CEDH, Gelfmannc. France, préc., § 50 ; CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 38 ; CEDH, CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc.,§ 52 ; CEDH, Matencio c. France, préc., § 78 ; CEDH, Mouisel c. France, préc., § 40.


382particulièrement difficile à soigner 1929 ». La Cour estime que du moment où les autorités ont assurédes soins et des conditions de vie adéquats, la non amélioration ou même l’aggravation de la santé nerend pas leur maintien en détention un mauvais traitement. La Cour a, par exemple, jugé qu’ils n’ontpas constitué de mauvais traitements : la détérioration de la santé d’un détenu qui a refusé d’êtretransféré à une autre prison mieux équipée pour bénéficier de soins plus adaptés à son état desanté 1930 ; le maintien en détention des personnes souffrant de maladies graves et/ou incurables etmême à pronostic fatal à court ou à moyen terme dès lors que les soins de qualité équivalente àl’extérieur ont été assurés (comme des insuffisances cardiaques et le diabète 1931 , une tumeur 1932 ou lamaladie du VIH 1933 ).Soulignons que dans ces dernières affaires, un facteur a beaucoup compté en faveur des Etatsmis en cause : le fait que la suspension de la peine soit prévue dans leurs législations et desprocédures corrélatives sont mises en place offrant, selon la Cour, des garanties satisfaisantes. Telétait le cas concernant les arrêts contre la France depuis l’adoption, en droit français, de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002. Celle-ci prévoit la suspension de l’exécution de la peine pour des motifsmédicaux. La Cour a estimé que la santé fait partie des facteurs à prendre en compte dans lesmodalités d’exécution de la peine privative de liberté et cette loi offre des garanties satisfaisantes etaccessibles aux intéressés 1934 . Le droit italien offre également, d’après la Cour, des garantiessatisfaisantes 1935 .Cependant, en réaffirmant le caractère évolutif de sa jurisprudence 1936 , elle a estimé ne pasexclure que dans des « conditions particulièrement graves 1937 », d’un « état de santé préoccupant 1938 »,une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de nature humanitaire soientprises 1939 , comme dans le cas de personnes atteintes de pathologies « engageant le pronostic vital »ou dont l’état est « durablement incompatible avec la vie carcérale ». Ainsi, a-t-elle jugé que« maintenir en détention une personne tétraplégique, dans des conditions inadaptées à son état de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1929 CEDH, Gelfmann c. France, préc., § 50 ; CEDH, Sakopoulos c ; Grèce, préc., § 38 ; CEDH, Farbtuhs c.Lettonie, préc., § 52 ; CEDH, Mouisel c. France, préc., § 40 ; CEDH, Reggiani Martinelli c. Italie, préc.1930 CEDH, Matencio c. France, préc.1931 CEDH, Sakkopoulous c. Grèce, préc.1932 CEDH, Reggiani Martinelli c. Italie, préc.1933 CEDH, Gelfmann c. France, préc.1934 CEDH, Matencio c. France, préc., § 82 ; CEDH, Gelfmann c. France, préc.1935 D n° 20644/92, (Reggiani/Italie), précité (Le TAP examine les demandes de suspension de peines en sefondant sur des expertises).1936 CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc., § 53.1937 CEDH, Reggiani Martinelli c. Italie, préc. ; CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 38.1938 « C'est donc la question de la compatibilité d'un état de santé très préoccupant avec le maintien endétention du requérant en prison dans un tel état qui est posée par la présente affaire », CEDH, Mouiselc. France, préc., § 42. Voir aussi CEDH, Balyemez c. Turquie, préc., § 87 ; CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc.,§ 56.1939 « La Cour ne saurait exclure que, dans des conditions particulièrement graves, l'on puisse se trouver enprésence de situations où une bonne administration de la justice pénale exige que des mesures de naturehumanitaire soient prises pour y parer », CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 38 ; CEDH, Farbtuhs c.Lettonie préc., § 52, § 56; CEDH, Reggiani Martinelli c. Italie, préc. ; CEDH, Balyemez c. Turquie, préc., § 96.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


santé, était constitutif d’un traitement dégradant 1940 ». Mais dans ces affaires, il était prouvé que lesconditions de détention étaient inadaptables.383Il est aussi à souligner que la Cour n’aborde pas ce problème sous la question de l’obligationou pas de libérer la personne ou de la transférer dans un hôpital civil. Elle l’examine sous la questionde « l’opportunité du maintien en détention » sans imposer clairement une solution. Quant àl’appréciation de cette opportunité, elle affirme ne pas se substituer aux autorités nationales 1941 . Elledonne pourtant les critères qui devraient être pris en compte pour apprécier la capacité à la détentionou la compatibilité d’un état de santé préoccupant avec le maintien en détention : la condition dudétenu à savoir son état de santé et son tableau clinique 1942 ; la qualité des soins dispensés ;l’opportunité du maintien en détention 1943 . Dans cette appréciation, elle accorde beaucoupd’importance aux expertises médicales 1944 . A défaut, elle peut charger de cette mission son proprecomité d’experts 1945 .Toujours est-il, pour que les défaillances concernant les conditions de détention et les soinsmédicaux soient constitutifs de mauvais traitements, il faut qu’elles soient imputables aux autoritéscompétentes même si elles ne sont pas intentionnelles 1946 . Il peut, par exemple, s’agir del’impossibilité pratique d’aménager des conditions de détention techniques et humaines conformesaux besoins spécifiques d’une maladie, d’une infirmité ou d’un âge avancé (Farbthus 1947 ) ou del’application d’un texte national auquel sont soumis tous les détenus (comme le port des menottesobligatoire pour toute extraction, y compris médicale (Mouisel 1948 ). La Cour a également précisé1940 Voir CEDH, Price c. R.U., préc., § 30 ; CEDH, Balyemez c. Turquie, préc., § 87 ; CEDH, Mouisel c.France, préc., § 42 ; CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc., § 561941 « La Cour ne peut pas substituer son point de vue à celui des juridictions internes quant au maintien ou nonde la détention provisoire », CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 44, CEDH, Gelfmann c. France, préc.,§ 52 ; CEDH, Reggiani Martinelli c. Italie, préc.1942 CEDH, Mouisel c. France, préc., § 38 ; CEDH, Matencio c. France, préc., § 76 ; CEDH, Farbtuhs c.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Lettonie préc., § 56 ; CEDH, Balyemez c. Turquie, préc., § 86 ; CEDH, Tekin Yıldız c. Turquie, préc., § 72.1943 D n° 20644/92 (Reggiani/Italie), préc. ; CEDH, Mouisel c. France, préc., §§ 40-42 ; CEDH, Farbtuhs c.Lettonie, préc., § 53 ; CEDH, Sakkopoulos c. Grèce, préc., § 39.1944 Dans l’affaire Reggiani Martinelli c. Italie, précité, les expertises ne comportaient pas de contre-indications<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...pour le maintien en détention, contrairement à l’affaire Mouisel c. Italie.1945 CEDH, Balyemez c. Turquie, préc. ; CEDH, Tekin c. Turquie, préc.1946 CEDH, Tekin c. Turquie, préc., § 70 ; CEDH, Pretty c. R.U., préc., § 52 ; CEDH, Mouisel c. France, préc.,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 37, § 38, § 40.1947 Tel fut le cas, dans l’affaire Farbtuhs lorsqu’elle a constaté l’absence de mesures qui devraient être prisespour assurer des soins en détention ou des conditions de détention adaptées aux besoins spécifiques. Ils’agissait du maintien en détention d’une personne âgée de 84 ans, paraplégique et invalide à tel point qu’ellene pouvait pas accomplir la plupart des actes élémentaires de la vie quotidienne sans l’assurance d’autrui. Eneffet, de l’aveu même des autorités nationales, cela était impossible. Pour conclure : « Maintenir en détentionune personne tétraplégique dans des conditions de détention inadaptées à son état de santé est constitutif d’unétat dégradant », CEDH, Farbtuhs c. Lettonie, préc., § 53.1948 Dans l’affaire Mouisel, les autorités françaises ont reconnu que le port des menottes, lors des extractions, ycompris médicales, fait partie des mesures normales de la détention appliquées à toutes les personnesindépendamment de leur état de santé. Or selon la Cour, le port des menottes contribue à dépasser la souffranceinhérente au traitement médical anticancéreux, CEDH, Mouisel c. France, préc., §§ 45-48.


qu’une grève de la faim, n’exonère pas les autorités des obligations des soins à l’égard de lapersonne concernée (Tekin Yıldız c. Turquie, précité, § 82) 1949 .384Notons enfin une autre obligation préventive que la Cour impose aux Etats : les autoritésnationales doivent, lorsqu’elles décident de « placer et maintenir une telle personne en détention,veiller avec une rigueur particulière à ce que les conditions de sa détention répondent aux besoinsspécifiques découlant de son infirmité 1950 ». Son raisonnement dans l’affaire Price, laisse entendreque les Etats doivent éviter la prison pour de courtes peines à des personnes présentant de problèmesde santé ou de handicap graves.Aussi, si cette instance n’érige pas en obligation générale la mise en liberté des personnessouffrant de maladies graves, elle la préconise implicitement puisqu’il arrive qu’elle sanctionne lamise en détention et le maintien en détention d’une telle personne dans des conditions de détentioninadéquates. En fait, au regard de sa jurisprudence, elle ne le préconise que lorsque les problèmes desanté sont cumulés avec ceux d’un handicap lourd et/ou d’un âge avancé combinés avec unedéfaillance dans leur prise en charge, soit par omission, soit en raison de l’impossibilité pratique degarantir des conditions humaines, médicales ou matérielles adaptées aux besoins spécifiques.Le CPT, quant à lui, met seulement en cause la « capacité à une détention continue ». Ilestime que « la détention continue de telles personnes en milieu pénitentiaire peut créer une situationhumainement intolérable » 1951 . Quant au CM, il recommande clairement de mettre fin à la détentiondes personnes gravement malades en phase finale en les transférant dans des unités des soins ou enleur mettant en liberté par une mesure de grâce ou de libération conditionnelle 1952 . En 2006, il arenouvelé cette recommandation, dans les Règles pénitentiaires, et l’a étendue, de manière implicite,à toutes les personnes souffrant de problèmes de santé physique ou mentale et dont la prolongationde la détention fait encourir des risques graves pour leur santé. Il recommande en effet que « lemédecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique ou<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1949 Dans l’affaire Tekin (qui mettait en cause la révocation de la suspension de la peine d’une personnesouffrante du syndrome Wernicke-Korsakoff), elle a estimé que le gouvernement n’a pas étayé quel traitementpourrait-il appliquer pour rende la détention compatible avec son état de santé. Cette personne souffraitprécisément de séquelles neurologiques handicapants physiquement et mentalement, des problèmes deconcentration, d’équilibre, de cohérence mentale dus au syndrome Wernicke-Korsakoff (syndrome cérébelleuxtant statique que cinétique), la rendant inapte à la détention ordinaire selon les propres experts de la Cour,CEDH, Tekin Yıldız c. Turquie, préc., §§ 76-83.1950 CEDH, Farbtuhs c. Lettonie préc., § 56.1951 Voir supra, CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités du CPT, préc.1952 « 51. La décision quant au moment opportun de transférer dans des unités de soins extérieures les maladesdont l'état indique une issue fatale prochaine devrait être fondée sur des critères médicaux. En attendant dequitter l'établissement pénitentiaire, ces personnes devraient recevoir pendant la phase terminale de leurmaladie des soins optimaux dans le service sanitaire. Dans de tels cas, des périodes d'hospitalisation temporairehors du cadre pénitentiaire devraient être prévues. La possibilité d'accorder la grâce ou une libération anticipéepour des raisons médicales devrait être examinées », Rec(98)7, relative aux aspects éthiques etorganisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


385mentale d’un détenu encourt des risques graves du fait de la prolongation de la détention ou en raisonde toute condition de détention, y compris celle d’isolement cellulaire » (règle 43.3). A défaut, cespersonnes doivent être hospitalisées temporairement en dehors du cadre pénitentiaire.B. Garantie potentielle en cas de maladies mentales et autres problèmes de santéAu sein de la jurisprudence de la Cour, l’approche de tout problème de santé est identique, àpart celui de la santé mentale (1). En revanche, le CM et le CPT adoptent une approche spécifiqueégalement à propos des problèmes de toxicomanie et de la maladie du VIH (2).1. L’état de garantie en cas de maladies mentalesConcernant la capacité à la détention des personnes souffrant de troubles mentaux, la Courapplique quasiment le même raisonnement que pour tout type de maladie. Il n’y a pas d’obligation delibérer même si un détenu souffre de maladies difficiles à soigner 1953 . Ce qu’elle exige c’estl’examen de la compatibilité du maintien en détention et le transfert si nécessaire dans un milieuhospitalier garantissant un encadrement et un suivi au quotidien par un personnel médicalspécialisé.C’est ainsi que, après avoir critiqué les conditions de détention (application de la sanctiondisciplinaire de mise en cellule, dans l’affaire Keenan), elle a condamné le maintien en détentionsans possibilité des soins adéquats dans les affaires Kudla, et Rivière. Dans cette dernière, seule ladétention dans un milieu hospitalier aurait pu constituer un cadre de détention adéquat. Cettepersonne souffrait de troubles mentaux chroniques à propos desquels les trois experts désignés par lejuge, étaient unanimes dans leur affirmation à savoir qu’il relevait « plus d’une prise en chargepsychiatrique que d’un maintien en milieu pénitentiaire ». La Cour a estimé qu’en effet, elle nedevrait pas être détenue dans « un milieu sans encadrement et suivi médical par un personnelmédical spécialisé ». Après avoir conclu que tel n’était pas le cas 1954 , elle a jugé que son maintien endétention dans ces conditions constitue un traitement inhumain et dégradant (§ 76) 1955 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Ce qui mérite d’être particulièrement souligné c’est que dans l’arrêt Rivière, c’est lapremière fois dans sa jurisprudence qu’elle se réfère à la Recommandation R(98)7, relative aux1953 CEDH, Kudla c.Pologne [GC], préc., § 93 ; CEDH, Rivière c. France, préc., § 62.1954 Le requérant dans cette affaire, en détention depuis vingt-huit ans, au moment de l’arrêt de la Cour, avaitdéveloppé au cours de sa détention des troubles psychotiques graves accompagnés de comportements de typesuicidaire. Or, à part de courtes périodes d’hospitalisation dans les UMD, elle ne bénéficiait pas de soinsadéquats en détention. Il voyait un psychiatre une fois par mois et recevait de soins infirmiers psychiatriquesune fois par semaine. Pour la Cour, ces soins étaient bien insuffisants.1955 « Son maintien en détention, sans encadrement médical actuellement approprié constitue dès lors uneépreuve particulièrement pénible et l’a soumis à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède leniveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ».


386aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, en soulignantqu’« elle y attache un grand poids, même si elle admet qu’elle n’a pas en soi valeur contraignante àl’égard des Etats membres 1956 ».Cette Recommandation préconise clairement la détention de toutes les personnes souffrantde maladies mentales dans un milieu hospitalier équipé de manière adéquate et doté d'un personnelqualifié 1957 . De même que le CPT 1958 , les Règles pénitentiaires de 2006 recommandent également,dans la règle 12.2, que s’il est établi qu’une personne souffre d’une maladie mentale, elle doit êtredétenue dans un établissement spécialement conçu à cet effet. Ce dernier corps de Règles précise quec’est exceptionnellement qu’elle puisse être détenue dans une prison. Dans ce cas, « la situation deces personnes et leurs besoins doivent être régis par des règles spéciales » . Quant à savoir si cettehospitalisation doit avoir lieu hors la prison ou à l’intérieur, le CPT souligne que quelle que soit lasolution, ce qui compte, d’après cette instance, c’est la garantie d’une hospitalisation correspondant àces exigences mais aussi la rapidité. Cette dernière, note-t-il, doit devenir une « question hautementprioritaire » 1959 . Enfin, il est à rappeler que les Règles pénitentiaires de 2006 recommandentimplicitement, dans la mise en liberté des détenus souffrant de troubles mentaux, comme de ceuxsouffrant d’une maladie physique 1960 .Maintenir en prison des personnes qui ne comprennent pas le sens de la peine, pose unequestion d’éthique. Elle pose aussi la question de la légalité de leur privation de liberté à tout lemoins à l’égard des personnes dont le discernement a été seulement altéré. La détention de ces1956 « La Cour relève en outre que la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relativeaux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire prévoit que les détenussouffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier dotéde l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié. La Cour a déjà eu l’occasion de citer cetterecommandation et elle y attache un grand poids, même si elle admet qu’elle n’a pas en soi valeurcontraignante à l’égard des Etats membres », CEDH, Rivière c. France, préc., § 72.1957 « Les détenus souffrant de troubles mentaux graves devraient pouvoir être placés et soignés dans un service<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>hospitalier doté de l'équipement adéquat et disposant d'un personnel qualifié. La décision d'admettre un détenudans un hôpital public devrait être prise par un médecin psychiatre sous réserve de l'autorisation des autoritéscompétentes. » R(98)7, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieupénitentiaire, préc., (règle 55).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1958 « Un détenu malade mental doit être pris en charge et traité dans un milieu hospitalier équipé de manièreadéquate et doté d'un personnel qualifié. Cette structure pourrait être soit un hôpital psychiatrique civil, soitune unité psychiatrique spécialement équipée, établie au sein du système pénitentiaire », CPT/Inf (93) 12, 3erapport général d'activités du CPT, préc., § 43.1959 « D'un côté, il est souvent avancé que des raisons d'éthique conduisent à hospitaliser les détenus maladesmentaux en dehors du système pénitentiaire, dans des institutions qui relèvent de la santé publique. D'un autrecôté, il peut être soutenu que la création de structures psychiatriques au sein du système pénitentiaire permetd'assurer les soins dans des conditions optimales de sécurité et de renforcer l'activité des services médicaux etsociaux au sein de ce système. Quelle que soit l'option prise, la capacité d'accueil de l'unité psychiatrique doitêtre suffisante. Il existe trop souvent un délai d'attente prolongé lorsqu'un transfert est devenu nécessaire. Letransfert de la personne en question dans une unité psychiatrique doit être considéré comme une questionhautement prioritaire », CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités du CPT, préc.1960 « Le médecin doit présenter un rapport au directeur chaque fois qu’il estime que la santé physique oumentale d’un détenu encourt des risques graves du fait de la prolongation de la détention ou en raison de toutecondition de détention, y compris celle d’isolement cellulaire » (règle 43.3).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


387personnes devrait, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme,viser à la fois à les punir et à les soigner le mieux possible. Si le second objectif n’est pas assuré, laprivation de liberté devient également arbitraire 1961 .2. L’état de garantie aux détenus souffrant du VIH ou de toxicomanieQuant aux détenus souffrant du VIH ou de toxicomanie, la jurisprudence européenne ne leurréserve pas un traitement spécial concernant leur capacité à la détention 1962 . Même si le pronosticvital est engagé, si des expertises médicales divergent sur la compatibilité de son état et de leurtraitement avec la détention et si le traitement est facile et praticable en détention, il n’y a pas deviolation de l’article 3 1963 . Mais, même si les expertises convergent que l’espérance de vie est estiméà deux ans, la Cour n’a pas varié sa jurisprudence dès lors que des soins adéquats peuvent lui êtreassurés dans la prison 1964 .En revanche, le Comité des Ministres dans la Recommandation R(93)6 a suggéré lalibération conditionnelle anticipée des détenus infectés par le VIH 1965 . Quant aux toxicomanes, c’esttoujours cet organe, qui a formulé dans ce même texte, deux recommandations aux Etats. Ilsdevraient adopter des mesures de libération anticipée sous condition de suivre un traitementapproprié (foyer, centre de postcure, hôpital, dispensaire, communauté thérapeutique) (§19), maisaussi des mesures alternatives à l'emprisonnement en vue d'inciter les toxicomanes à se faire traiterdans des institutions sanitaires ou sociales (§20).Aussi, au sein du Conseil de l’Europe, qu’il s’agisse des détenus malades physiquement oumentalement, seule leur protection contre le maintien en détention ordinaire peut être considéréecomme acquise. Ces personnes doivent être détenues dans conditions de détention bénéficiant d’unencadrement médical, matériel et humain adapté. C’est en cas d’impossibilité technique, matérielleou humaine de l’assurer, que peut naître l’obligation de mettre fin à leur détention. Dans le cadre dela jurisprudence européenne tel est le cas en présence de cumul des facteurs de vulnérabilité d’unepersonne détenue. C’est-à-dire lorsque les problèmes de santé sont cumulés avec celui d’un handicaplourd et/ou d’un âge avancé.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081961 Voir supra, Chapitre sur le droit à la liberté.1962 Voir l’affaire Gelfmann c. France, précitée, relative au maintien en détention d’une personne atteinte dusida depuis près de vingt ans qui avait contracté plusieurs infections dites opportunistes, et dont le pronosticvital à court ou à long terme a été engagé.1963 CEDH, I. T. c. Roumanie, préc.1964 CEDH, Ceku c. Allemagne (déc.), n°41559/06), CEDH 2007-III.1965 . Rec(93)6 relative au contrôle des maladies transmissibles et notamment du sida, et les problèmesconnexes de santé en prison, Conseil de l'Europe, 18 octobre 1993.


Le droit grec et le droit français reconnaissent, eux, explicitement des limites dans lacompatibilité de l’état de santé de certaines personnes avec la vie en détention.388§ 2. Une garantie largement reconnue au sein des droits nationauxLe droit grec fait figure de pionnier, puisqu’il reconnaît une telle incompatibilité depuis1957 (A) alors que le droit français ne l’a reconnue qu’en 2002 (B).A. Le champ de reconnaissance en droit grecCe droit national reconnaît qu’au moins deux problèmes de santé, la toxicomanie et lestroubles mentaux, peuvent être incompatibles avec la détention ordinaire (1), et que deux autres, lamaladie physique grave et le VIH, peuvent être incompatibles avec la détention en soi (2).1. Etats de santé incompatibles avec une détention ordinaireA coté de l’incompatibilité de la maladie mentale et de la détention (a), le droit grecreconnaît depuis 1987, l’incompatibilité également de l’état de toxicomanie avec l’universcarcéral (b).a. Malades mentaux : détention dans des lieux hospitaliersLe droit grec distingue les troubles mentaux de nature à entraîner l’irresponsabilité pénaletotale 1966 et ceux entraînant seulement sa diminution 1967 . Dans ce dernier cas, une peine estprononcée. Mais elle est réduite à la moitié de la peine normalement prévue. Elle est ramené à 20 anssi la peine encourue est la perpétuité. Cette peine s’exécute dans un hôpital psychiatrique ou dansune unité psychiatrique de la prison (art. 37 C. pén.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Si des troubles mentaux sont apparus durant l’exécution de la peine au point que la personnene soit plus consciente de la peine en exécution, il est accordé un sursis à exécution de la peine.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Cette décision, prise par le tribunal correctionnel du lieu de la détention de l’intéressé (art. 559 CPP),1966 Irresponsabilité en cas de troubles altérant les fonctions mentales ou des troubles de discernement (art. 34C pén.).1967 S’il s’agit d’une diminution seulement de la capacité de responsabilisation, une peine est appliquée maisréduite, (art. 35, C. pén.). Concernant la durée de la peine prononcée et exécutée : elle est fixée par le tribunal àla moitié de la peine normalement prévue (art. 38 § 2 C. pén.). En cas de peine prévue à vie, elle est prononcéecelle de vingt ans de réclusion (art. 38 § 3 C. pén.). Après l’exécution du minimum de la peine prononcée, etpar la suite tous les deux ans, l’intéressé peut demander sa mise en liberté ainsi que le procureur auprès duTribunal correctionnel du lieu d’exécution de la peine (art. 39 C. pén.).


est accompagnée de celle de l’enfermement de la personne dans un hôpital psychiatriquepénitentiaire (art 555 CPP).389Concernant toutefois les conditions de vie à l’hôpital psychiatrique pénitentiaire (en fait unseul existe celui de Korydallos), le CPT était aussi critique lors de sa dernière visite, en 2005, quelors de celle de 1993. Suite à cette dernière, il avait déploré les conditions matérielles, les soins et lasurpopulation. « Il s'agit en réalité d'une place d'exclusion pour les prisonniers dont les symptômesperturbent le régime de l'établissement ; les conditions dans lesquelles les détenus y sont enferméssont dans un état d'abandon 1968 ». En 2005, s’agissant toujours du même établissement (hôpitalpsychiatrique pénitentiaire de Korydallos), le CPT a critiqué la surpopulation (265 patientsséjournaient pour une capacité officielle de 160), les cellules d’isolement (notamment parcequ’aucune n’est équipée de sonnettes d’alarme), la qualification insuffisante du personnel ou encorel’insuffisance du dispositif de prévention de suicide. De surcroît, alors qu’y sont également accueillisdes toxicomanes, il avait constaté que l’accès aux drogues illégales est facile à l'intérieur de cethôpital.b. Toxicomanes : détention dans des lieux de désintoxicationDepuis 1987, le droit grec a prévu la détention des usagers des stupéfiants dans des centresfermés de désintoxication. Cette mesure a été instituée par la loi n°1729 du 3/7 août 1987 relative àla lutte contre la propagation des stupéfiants. Elle consiste à la détention des personnes reconnuescoupables dans des établissements pénitentiaires fermés spéciaux à caractère thérapeutique (art.12) 1969 ou dans des établissements hospitaliers publics pour qu'elles soient soumises à une cure dedésintoxication. Dans les faits, les premiers offrent des programmes « dry », c’est à dire, ils neprévoient pas de produits de substitution. Ils consistent en l’abstention totale de l’usage de toutesubstance stupéfiante.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Cette mesure est accordée pour une année, renouvelable si nécessaire pour la durée de lapeine restant à exécuter. Si ce séjour est couronné de succès, la personne peut obtenir un sursis avecmise à l’épreuve à l’exécution jusqu’à l’expiration de la peine. Pour l’instant un seul établissementUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de ce type est en fonction, celui de Thèbes. Mais sa capacité de trois cent places est largementsuffisante puisque le CPT a constaté lors de sa dernière visite, en 2005, que seulement cinquantetroispersonnes étaient présentes.1968 . CPT/Inf (94) 20, Rapport de visite, Grèce, préc., § 182.1969 « Quiconque, pour son propre usage exclusif, se procure ou possède de quelque manière que ce soit desstupéfiants en petite quantité ou qui en consomme, est passible d'une peine d’emprisonnement. La peine estexécutée dans un établissement pénitentiaire spécial à caractère thérapeutique ».


390Depuis la loi n° 2331/95 contre le blanchiment de l’argent, il est également possible à unepersonne sous le coup des poursuites pénales pour usage de stupéfiants, de commencer une cure dedésintoxication auprès de l’« OKANA » (organisation nationale de lutte contre les drogues) quiassure, au sein de ses centres médicaux, des cures de désintoxication ouvertes (sur rendez-vousquotidiens). Si cette cure est couronnée de succès, la personne peut obtenir la suspension despoursuites pénales ou un sursis de son procès.Tout en retenant que les conditions de détention et des soins sont défaillants en prison etdans les hôpitaux pénitentiaires, il mérite d’être souligné que le système grec fait une plus grandepart à des solutions non carcérales.2. Etats de santé incompatibles avec tout type de détentionEn plus des états de santé incompatibles avec la détention ordinaire, le droit grec reconnaîtdes états de santé incompatibles avec la détention en elle-même. Il s’agit de la maladie du VIH (a) etde grands malades (b).a. La libération conditionnelle des détenus malades du VIHDepuis la loi n° 2172/93, les détenus malades du sida (et non simplement séropositifs)bénéficient de la libération conditionnelle automatique. Elle est en effet accordée sans autrecondition que l’expertise médicale attestant cette maladie (art. 110 A C. pén.). L’intéressé introduitune telle demande auprès du tribunal correctionnel statuant en chambre de conseil. C’est ce tribunalqui ordonne une telle expertise sur laquelle il s’appuie pour ordonner la libération conditionnelle. Encas de récidive, la personne n’a plus droit à une telle mesure.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Nous signalons que cette solution va dans le sens de la Recommandation n° R(93) duConseil de l'Europe qui a suggéré la libération conditionnelle anticipée des détenus infectés par leVIH 1970 et qu’une mesure similaire a été adoptée en Italie 1971 ,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008b. La suspension de la peine en cas de gravité exceptionnelle1970 . Rec(93)6 relative au contrôle des maladies transmissibles et notamment du sida, et les problèmesconnexes de santé en prison, préc.1971 . L’article 176 du code pénal prévoit le sursis à exécution obligatoire pour les détenus atteints du Sida oud’une autre maladie particulièrement grave, quand ils sont dans une phase avancée de la maladie incompatibleavec la détention.


391Le droit grec distingue deux degrés de gravité de la santé justifiant la suspension : un degréqui justifie une hospitalisation dans un établissement hospitalier privé ; et un deuxième, plus grave,qui justifie l’hospitalisation à domicile.Suspension pour hospitalisation dans une clinique privée. Cette mesure est prévue pour despersonnes, dont l’hospitalisation dans un hôpital public n’empêche pas la détérioration et la mise endanger de leur santé alors que cela peut être possible par une hospitalisation dans un établissementprivé (art. 557 § 1 CPP). Cette nécessité doit être attestée pat deux certificats médicaux,accompagnés d’un certificat du médecin de l’hôpital où la personne est transférée ainsi que de l’avisde l’établissement hospitalier privé attestant qu’il peut assurer les soins requis (art. 557 § 3 CPP). Lasuspension est prise par le tribunal correctionnel du lieu d’exécution de la peine (art. 559, al. b.CPP). Elle est ordonnée pour cinq mois, renouvelable pour cinq mois chaque fois.Suspension pour hospitalisation à domicile. C’est dans des « circonstances tout à faitexceptionnelles » que l’hospitalisation à domicile peut être ordonnée. Elle peut être décidée lorsquela détérioration de la santé peut « effectivement » être évitée par une telle hospitalisation (art. 557 §7CPP). Cette décision est prise par la Cour d’appel du lieu d’exécution de la peine ( art. 559, al. dCPP). Comme l’hospitalisation dans un établissement privé, elle est ordonnée pour 5 moisrenouvelable pour 5 mois chaque fois.B. Le champ de reconnaissance en droit françaisLe droit français reconnaît l’incompatibilité avec le maintien en détention dans trois types deproblèmes de santé : la maladie mentale et les maladies physiques graves ou un pronostic fatal àcourt terme. Il prévoit pour les deux derniers problèmes, la possibilité de fractionnement de la peine,la grâce médicale et, depuis 2002, le droit à la suspension de la peine (1) et pour la maladie mentale,l’hospitalisation en milieu hospitalier (2). En revanche, concernant les toxicomanes et les personnesmalades du VIH, le droit français ne prévoit ni d’alternatives à la détention ordinaire ni la mise enliberté (3).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. La suspension de la peine<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008C’est lorsqu’une « pathologie engageant le pronostic vital » ou lorsque l’« état de santé estdurablement incompatible avec le maintien en détention », que le droit français a, en 2002, reconnudes limites dans la capacité d’un être humain, quelle que soit la condamnation, à subir une peineprivative de liberté en détention. Cette reconnaissance a eu lieu par la loi n° 2002-303 du 4 mars2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (dite Loi Kouchner).


Auparavant, des dispositions existaient, et continuent d’être applicables, permettant demettre fin à une détention pour les mêmes raisons. Il s’agit du fractionnement ou de la suspension dela peine, de la grâce médicale et de libération conditionnelle. Seulement, leur champ d’application etleur mise en œuvre sont extrêmement réduits. Selon l’article 720-1 du code de procédure pénale, lefractionnement ou la suspension de la peine pour « motif grave d'ordre médical », est réservé auxpersonnes dont la peine à subir est inférieure à un an. La libération conditionnelle, qui peut êtreaccordée également par « la nécessité de subir un traitement », obéit, elle aussi, à des délais légaux.Elle ne peut être accordée, dans le meilleur des cas, qu’après l’exécution de la moitié de la peine (art.729 CPP). Seule la grâce présidentielle individuelle (art. 17 de la Constitution), peut être accordéepour des motifs médicaux sans considération de la condamnation ou de la durée de la peine exécutéeou restant à exécuter. Mais dans la pratique, elle est accordée avec une grande parcimonie : peu detemps avant la mort, tout juste pour éviter la mort en prison comme le dénoncent les associations.Vingt grâces en moyenne par an ont, selon l’IGAS, été accordées entre 1990 et 2001 1972 .C’est devant un tel constat que le Rapport Pradier exprimait, en 1999, cette indignation :« La mort en prison, c’est un épisode que personne ne peut accepter sans sourciller » ; « On ne doitpas mourir en prison ». Il faut donc proposer de soulever clairement « la question du maintien endétention des malades qui abordent de façon prévisible la phase terminale de leur maladie 1973 ». Ilfaut « libérer les grands malades et les détenus en fin de vie », recommandait, un an plus tard, unRapport du Sénat 1974 .Le législateur français a décidé, en 2002, de franchir le pas. La loi du 4 mars 2002 a donnélieu à l’insertion d’un nouvel article dans le Code de procédure pénale, l’article 720-1-1. Celui-ci afait de l’état de santé le critère déterminant de la capacité d’un être humain à subir une détentionindépendamment d’autres considérations. Selon cet article, une suspension de peine peut êtreordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour unedurée qui n’a pas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi, par deux expertisesconcordantes, qu’ils sont atteints d’une « pathologie engageant le pronostic vital » ou que leur « étatde santé est durablement incompatible avec le maintien en détention » 1975 . Cette mesure peut<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083921972 L’organisation des soins aux détenus, (2001), IGAS, préc.1973 « Porteurs de tumeurs très évoluées ou de déchéances pluriviscérales, grabataires, sans espoir de guérison,ni même de répit évolutif, ils meurent lentement, dans la solitude et l'abandon, alors que leur famille ou desassociations seraient capables de leur assurer l'entourage minimum qui est de mise dans ces moments là », LaGestion de la santé dans les établissements du programme 13000, P. Pradier, préc.1974 SENAT, Prisons : une humiliation pour la république, préc., p. 195.1975 « Sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension peut également êtreordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'apas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant lepronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors lescas d'hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux…», (art. 720-1-1CPP).


toutefois être révoquée en cas de non-observation des obligations imposées (art. 720-1-1 CPP 1976 etD 147-2 CPP) ou en cas d’amélioration de la santé rendant à nouveau compatible la réincarcération.393Cette loi est une avancée dans le respect de la vie et de la dignité devant la mort que lasociété doit à chacun. Toutefois, elle connaît des limitations non seulement d’ordre pratique, maisaussi d’ordre légal. En effet, cette mesure connaît deux types de restrictions légales dérogeant àl’application exclusive du critère de gravité de l’état de santé dans la décision de l’octroi de cettemesure. D’une part, les prévenus et les malades mentaux sont exclus du champ d’application de cetteloi depuis son texte d’origine de 2002 1977 ; d’autre part, un amendement dans la loi relative autraitement de la récidive des infractions pénales, en 2005, a introduit un critère d’ordre public : lasuspension de la peine peut être accordée « sauf s'il existe un risque grave de renouvellement del'infraction » 1978 .A ces restrictions, il faut ajouter des raisons pratiques qui contribuent à limiter l’applicationde cette loi. En 2006, la CNCDH et le Pôle suspension 1979 , ont repéré entre autres obstacles : lemanque de structures d’hébergement adaptées ; le manque des ressources et des soutien familialsurtout pour la plupart des bénéficiaires potentiels qui sont des condamnés à des longues peines ; ouencore la réticence des maisons de retraite médicalisées à l’idée d’accueillir des personnes ayantcommis des délits graves. L’ensemble de ces facteurs a contribué à ce que, jusqu’en juillet 2005,seules deux cent vingt personnes avaient bénéficié de cette mesure sur quatre cent vingt personnesayant fait la demande 1980 .Toutefois en ce qui concerne les problèmes pratiques de pénurie des structures d’accueil oude leur réticence à accueillir cette population, le Conseil d’Etat, statuant le 9 mai 2007 sur un recours<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1976 L’article 720-1-1 CPP prévoit que la juridiction qui accorde une suspension de la peine peut décider desoumettre le condamné à une ou plusieurs des obligations ou interdictions et d’ordonner la fin de la suspensionsi les conditions de celle-ci ne sont plus remplies. Il peut notamment imposer ces obligations : établir sa<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...résidence ou être hospitalisé dans un lieu ou un établissement déterminé par la juridiction et en tenir le juge del'application des peines informé ; ne pas sortir des limites territoriales ; se soumettre à toute expertise médicaleordonnée par le juge de l'application des peines ; recevoir les visites du travailleur social ; répondre auxconvocations du juge de l'application des peines ou du travailleur social ; s'abstenir d'entrer en relation avec lesvictimes de l'infraction.1977 « Sauf s'il existe un risque grave de renouvellement de l'infraction, la suspension peut également êtreordonnée, quelle que soit la nature de la peine ou la durée de la peine restant à subir, et pour une durée qui n'apas à être déterminée, pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant lepronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention, hors lescas d'hospitalisation des personnes détenues en établissement de santé pour troubles mentaux », (art. 720-1-1,al.a CPP).1978 Loi n°2005-1549 du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales. Pour lajurisprudence rendue depuis lors, voir entre autres, la chronique de Pierrette PONCE<strong>LA</strong>, « Chronique del’exécution des peines : Choix de jurisprudence », RSC, 2007-2, pp. 350-3631979 « Pôle Suspension de peine », (Collectif associatif créé pour la promotion de la suspension de peine pourraisons médicales introduite par la loi du 4 mars 2002).1980 Ont été accordées : en 2002, 23 sur 55 ; en 2003, 67 sur 155 ; en 2004, 73 sur 128 ; en 2005, 57 sur 82(source« Pôle Suspension de peine », http://syndicat-magistrature.org.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


394en référé, a rappelé les obligations des services publics en la matière. S’agissant en l’occurrence d’undétenu admis au bénéfice de la suspension de la peine mais maintenu en détention depuis quatremois, cette haute juridiction a rappelé à l’hôpital public que dès lors qu’il a l’obligation de veiller à la« continuité des soins » assurés aux détenus, il lui incombe de trouver aux personnes concernées (àsavoir jugées éligibles à une suspension de peine par la juridiction compétente), un lieu d’accueil àl’extérieur 1981 .2. L’exécution de la peine en milieu psychiatriqueLe principe qui régit les personnes souffrant de troubles mentaux est, sur le plan pénal, leurirresponsabilité pénale, et sur le plan pénitentiaire, l’incompatibilité de leur état de santé avec lemaintien en détention. Le Code pénal exempte en effet de la responsabilité pénale des personnessouffrant de ce type de problèmes de santé (art. 122-1 C. pén.) 1982 , leur évitant ainsi l’envoi enprison. Le Code de procédure pénale stipule, dans la partie consacrée à l’exécution des peines, que« les détenus atteints des troubles mentaux visés à l'article L. 342 du code de la santé publique nepeuvent être maintenus dans un établissement pénitentiaire ».Pour autant la réalité carcérale française est alarmante. Pierre Pradier parlait, en 1999, de« désastre psychiatrique 1983 ». En 2003, le rapport Terra estimait à 55 % le pourcentage des détenusentrants présentant des troubles psychologiques 1984 . En juin 2006, dans son « cri d’alarme », le chefmédecin de la prison de Fresnes faisait état d’un taux de pathologies vingt fois supérieur à lapopulation générale 1985 et dénonçait cette politique proche de celle du XIXe siècle qui consiste à« incarcérer à l’hôpital psychiatrique » ou « à hospitaliser en prison ».Cette sur-présence en prison des personnes mentalement malades est due, d’une part, à laréforme du Code pénal en 1994, qui a rétréci le champ d’exemption de responsabilité pénale pourdémence. L’article 122-1 de ce Code a introduit à la place de la notion de « démence » de l’ancienarticle 64, la distinction entre troubles mentaux ayant aboli le discernement et troubles mentaux<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081981 « Si l’AP-HP fait valoir que l’état de M. G. ne nécessite ni un service de soins aigu en médecinegériatrique, ni une hospitalisation de long séjour, il lui appartient néanmoins d’orienter ce patient vers unestructure adaptée à son état », a précisé cette juridiction décision, (CE, 9 mars 2007).1982 « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un troublepsychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, (article 122-1 C. pén.).1983 P.PRADIER, « La gestion de la santé dans les établissements du programme 13000, Evaluations etperspectives », préc.1984 Jean-Louis TERRA, Prévention du suicide des personnes détenues, Evaluation des actions mises en placeet propositions pour développer un programme complet de prévention, Rapport de mission à la demande duministre de la Justice et du ministre de la Santé, décembre 2003.1985 Précisément 50% des personnes souffrant de troubles dépressifs, de 25% de troubles psychotiques, et 71%de troubles de personnalité, « Le cri d'alarme du médecin-chef, psychiatre, de la prison de Fresnes », préc.


395ayant altéré le discernement 1986 . Cela a eu comme conséquence de baisser considérablement lenombre de personnes jugées pénalement irresponsables : de 17 % au début des années ‘80, il estpassé à 0,17 % en 1997 1987 .La sur-présence est également due aux conséquences directes de la prison sur l’état de lasanté mentale : « La prison, en soi, est un facteur d’aggravation des troubles mentaux », soulignaitl’IGAS en 2001 1988 .Enfin, cette « morbidité psychiatrique 1989 », serait également due à l’application de l’articleD398 du Code de procédure pénale. Cette disposition, qui stipule qu’une personne malade mentalene peut être maintenue en prison, ne signifie pas suspension de la peine pour motif de maladiementale, soit-elle grave. Il signifie seulement hospitalisation temporaire hors de la prison, le tempsde soigner les symptômes. De surcroît, elle est réservée à ceux qui représentent un danger et quirefusent de se faire soigner. Il s’agit en effet d’une hospitalisation d’office, c’est à dire qu’elle peutavoir lieu seulement sur arrêté du Préfet pris sur présentation d’un certificat médicalcirconstancié 1990 . Une telle hospitalisation peut avoir lieu sous trois conditions : souffrir de troublesmentaux rendant impossible le consentement du patient ; constituer un danger pour lui-même oupour autrui ; et nécessiter des soins immédiats assortis d’une surveillance constante en milieuhospitalier (arrêté du 14 octobre 1986).Les autres détenus, ceux qui consentent aux soins et ne sont pas dangereux, se font soignerdans les prisons au sein des SMPR ou des UCSA 1991 .L’hospitalisation d’office est, dans la majorité des cas, de courte durée en raison aussi biendu problème de places que d’une certaine hostilité du personnel hospitalier de garder ces patientslongtemps en raison des problèmes de sécurité 1992 . Les UMD (unités pour malades difficiles), quisont des unités psychiatriques sécurisées à l’intérieur des hôpitaux psychiatriques et destinées à<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1986 « La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayantaltéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tientcompte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime », (art. 122-1, al.2 C. pén.).1987 Sénat, Prisons : Une humiliation pour la République, préc., p. 41.1988 L’organisation des soins aux détenus, IGAS, 2001, préc.1989 Ibid.1990 « Lorsqu'une personne détenue nécessite des soins immédiats assortis d'une surveillance constante enmilieu hospitalier, en raison de troubles mentaux rendant impossible son consentement et constituant un dangerpour elle-même ou pour autrui, le préfet de police à Paris ou le représentant de l'Etat du département danslequel se trouve l'établissement pénitentiaire d'affectation du détenu prononce par arrêté, au vu d'un certificatmédical circonstancié, son hospitalisation dans une unité spécialement aménagée d'un établissement de santévisée à l'article L. 3214-1 », (art. L3214-3 C. sant. publ.). Voir aussi article D 398, al.2, CPP.1991 Voir supra.1992 Effectivement le taux d’évasion à partir des hôpitaux psychiatriques (où ils sont surveillés par le personnelhospitalier) est très élevé par rapport aux hôpitaux généraux (où ils sont gardés par la police et la gendarmerie),IGAS, L’organisation des soins aux détenus, (2001), préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


396accueillir tous les malades mentaux, détenus et non détenus, présentant un « état dangereux majeur »,n’ont pas pu constituer une réponse à ces problèmes. Créées en 1986 1993 , leur nombre demeurefaible : quatre unités seulement d’une capacité totale de 520 lits. Si bien qu’en 2001, on comptaitmoins de cinquante admissions par an des personnes détenues 1994 .Pour faire face à ces problèmes graves, le Sénat recommandait en 2000, d’augmenter lenombre de places dans les UMD 1995 . La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9septembre 2002 a prévu la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA). Ils’agit des unités sécurisées au sein des services psychiatriques des hôpitaux, surveillées par dupersonnel pénitentiaire et destinées à accueillir exclusivement des personnes détenues souffrant detroubles mentaux 1996 . Toutefois, cette solution a commencé à attirer des critiques. Outre la possibilitéprévue de maintenir ces personnes dans les UHSA après l’expiration de la peine, pendant deux ans,renouvelables tous les deux ans, il s’agirait d’un nouveau type d’enfermement, contraire à l’éthiquemédicale, d’un retour des « asiles psychiatriques ». Ainsi, dans une pétition datée du 4 juin 2007, despsychiatres travaillant en milieu carcéral, mettent en cause la régression du statut de malades’agissant de personnes détenues du fait notamment que les USHA seraient exclusivementconsacrées à des malades détenus et que la sécurité serait assurée par une surveillance pénitentiaire.Aussi l’organisation actuelle des soins est-elle à la fois contraire au respect de la dignité maisaussi entachée d’illégalité au regard du droit français. En l’occurrence, elle est contraire à l’articleD398 du Code de procédure pénale. Alors que cet article prévoit que les détenus atteints de troublesmentaux ne doivent pas rester en prison, dans la réalité seules les personnes dangereuses, et nonconsentantes, peuvent bénéficier de cette disposition. Les autres, l’immense majorité, parce que nondangereuses ou parce que consentantes pour une hospitalisation, en sont exclues. Celles-là doivent secontenter d’une hospitalisation dans le SMPR alors que, de l’aveu même de l’IGAS, ces services sedistinguent à peine du reste de la détention et en tout cas n’assurent pas une surveillance constantepuisque le soir il n’y pas de présence médicale. Par ailleurs, en l’état actuel, qu’il s’agisse deshospitalisations à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison, leurs durées sont assez courtes pourrépondre à l’esprit du texte de l’article D 398 du Code de procédure pénale.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Dès lors, pour que les détenus patients reçoivent la même qualité de soins que les personneslibres et qu’ils ne restent pas en prison alors qu’ils sont atteints de troubles mentaux comme leprévoit le droit français et le recommande le Conseil de l’Europe, la solution doit être recherchée,d’une part, dans l’augmentation du nombre de places dans les UMD. Ce type d’hospitalisation1993 Par le décret no 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l'organisation dela sectorisation psychiatrique.1994 IGAS, L’organisation des soins aux détenus, (2001), préc.1995 SENAT, Prisons : Une humiliation pour la République, préc., p. 44 et p. 190.1996 Article L3214-3, C . sant. publ.


397répond mieux à l’éthique médicale que celle dans les UHSA. Dans les UMD, qui sont des lieux desoins pour recevoir des malades mentaux détenus et non détenus, la sécurité procède du soin et nond’une surveillance pénitentiaire, soulignent ces psychiatres. La solution doit, d’autre part, êtrerecherchée dans l’hospitalisation dans les unités ordinaires des hôpitaux psychiatriques à tous lesdétenus soufrant de troubles mentaux et conscients de leur état pour faire la demande d’une tellehospitalisation.3. Absence de mesures spéciales concernant les personnes souffrant du VIH ou de toxicomanieContrairement au droit grec, le droit français ne prévoit pas d’alternatives à la détentionordinaire ou la mise en liberté ni des toxicomanes ni des personnes malades du VIH.Toutefois, concernant les toxicomanes, une Commission du Sénat français écrivait, en 2000 :« La place des toxicomanes en tant que tels n’est pas en prison. La simple consommation destupéfiants ne devrait pas impliquer de peines d’emprisonnement 1997 ». En 2006, la CNCDHsuggerait que « la réflexion porte autant sur la nature de la prise en charge médicale des personnesincarcérées que sur la recherche d’alternatives à la détention 1998 ».En revanche, pour les personnes malades du sida, tout en soulignant les difficultés d’assurerdes soins adéquats en prison, vu la complexité de soins et l’incompatibilité de l’organisation de la vieen détention avec celle du traitement (horaires fixes de prise de médicament, alimentation spécifique,conditions d’hygiène et sanitaires etc.) 1999 , les instances françaises, comme l’IGAS et le CNCE, nevont pas jusqu’à mettre en cause leur maintien en détention, sauf à l’approche de la mort, lorsque lepronostic vital est engagé. C’est seulement à ce moment, comme dans le cas de toute maladiephysique, que la personne doit bénéficier d’une suspension de peine en vertu de la loi « Kouchner »de 2002 2000 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1997 SENAT, Prisons : une humiliation pour la république, préc., p. 190.1998 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), préc.1999 L’IGAS, souligne : « les contraintes carcérales ne doivent pas cependant être sous-estimées : les transfertsd’établissements ne favorisent pas la continuité des traitements. De la même façon, les graves carences del’hygiène dans beaucoup d’établissements pénitentiaires, la promiscuité, la qualité médiocre de la nourriture neconstituent pas un cadre de vie propice à la prise en charge optimale d’une personne séropositive » ; « il estévident que la prise à des heures régulières de doses importantes de médicaments n’est pas facile à gérer enmilieu carcéral », IGAS, L’organisation des soins aux détenus, (2001), préc.2000 Mais le CNCE souligne les limites de l’application de cette loi. « La prison peut être encore un lieu de finde vie, où l'on meurt de maladie et de vieillesse. La prison est un lieu de mort, de maladie et de vieillesse ».Durant une période de 2 ans et 9 mois d’application après sa mise en vigueur, le 4 mars 2002, 165 personnesont bénéficié de dispositions de cette loi, mais environ 320 personnes (près du double) n’en ont pas bénéficié etsont mortes en prison. Et de citer le Conseil National du Sida qui indiquait en octobre 2005 que chaque annéemeurent environ 120 personnes par suicide et 120 de maladie ou de vieillesse en prison, CCNE, La santé et lamédecine en prison, Avis n° 94 (2006).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


398La position si extrême de la jurisprudence européenne à propos de maladies graves montreclairement les limites du contrôle européen sur le pouvoir punitif des Etats. Ce contrôle s'exerceuniquement sur l'organisation de la vie en détention. Il ne s’exerce ni sur les modalités d'exécution dela privation de liberté ni sur le principe même d'appliquer une telle sanction ou mesure. Ecarter sonapplication par l'octroi d'un sursis, ou cesser son exécution par la suspension ou la mise en libertéconditionnelle, sont des mesures qui relèvent du domaine couvert par la notion de « modalitésd'exécution de la peine » qui, selon la jurisprudence européenne constante, est située hors du champd'application de la Convention. Ces modalités relèvent du ressort de la politique pénale des Etatsréservée à leur pouvoir discrétionnaire. Ayant ainsi limité le champ de contrôle, la Commission et laCour ont recours à des arguments d'ordre humanitaire ou de bonne administration de la justice poursimplement suggérer aux Etats d'envisager l'adoption de telles mesures 2001 .En matière de soins médicaux, en plus des obligations positives, pèsent sur les Etatségalement des obligations négatives. Le respect de l’état de santé d’une personne englobe égalementdes aspects liés à l’intimité et à l’autonomie de sa liberté. Si ces aspects relèvent principalement dudroit à la vie privée tel qu’il est protégé par l’article 8 de la Convention, ils peuvent aussi, danscertaines circonstances, constituer des atteintes à la dignité et relever également de l’article 3 de laConvention.SECTION 3. L’OBLIGATION <strong>DE</strong>S ETATS <strong>DE</strong> RESPECTER <strong>LE</strong> SECRET ET <strong>LE</strong>CONSENTEMENT MEDICALLes obligations négatives des Etats ont trait à deux principes fondamentaux de droit etd'éthique médicale : le secret médical et le consentement libre et éclairé 2002 . En effet, l’état de santérelève de la sphère de la vie intime. Et la décision de se faire soigner relève de la sphère d’autonomiede la volonté de la personne. Ces sphères de vie privée commandent aux autorités de s’abstenir des’y immiscer. Si le respect du secret médical ne soulève de questions qu'au regard de la vie privéetelle qu’elle est protégée par l'article 8 de la Convention (§1), les manquements au respect duconsentement peuvent aller jusqu'à constituer des mauvais traitements. Pour autant son respect n’estpas absolu. Par ailleurs, le risque n’est pas exclu qu’un consentement donné soit en réalité biaisé.C’est à dire qu’il ne soit ni libre ni éclairé. Aussi l’article 3 impose-t-il également l’obligation<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082001 R 9044/80, (Chartier c. Italie), 8.12.1982, D.R. 33, § 53 ; D 7994/77, (Kotalla c. Pays-Bas), 6.5.1978, D.R.14, p. 238 , D 21221/93, (L.J. c. Finlande), 28.6.1995.2002 Depuis 1993, le CPT rappelle : « 45. La liberté du consentement comme le respect de la confidentialitérelèvent des droits fondamentaux de l'individu. Ces conditions sont aussi à la base de la confiance qui estnécessaire dans la relation entre médecin et malade, spécialement en milieu de détention, alors que le librechoix du médecin n'est pas possible pour les détenus. » CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités du CPT,préc.


d’empêcher que des dérogations ou des manquements concernant le consentement libre et éclairédeviennent des traitements inhumains ou dégradants (§2).399Nous allons voir que ces dérogations et ces risques frappent plus les personnes détenues queles personnes libres en raison des impératifs sécuritaires, de promiscuité ou encore en raison destraitements médicaux de la délinquance sexuelle.§1. Les obligations dictées par le respect de la vie privéeLe caractère intime de l’état de santé de chaque personne et la liberté de disposer de soimêmeimposent aux autorités, comme aux particuliers, l’obligation de respecter aussi bien le secretmédical (A) que le consentement libre et éclairé (B). Mais nous verrons que concernant leurapplication aux détenus, ils sont aussi bien l’un que l’autre, mal assurés.A. L’obligation de respecter le secret médicalLe secret médical couvre autant les données du dossier médical, que les consultationsmédicales, les traitements et les soins médicaux, les opérations chirurgicales et, en général, touteintervention ou acte médical. Son respect fait partie de la tradition juridique et éthique des droitseuropéens. L'application de la Convention n'a fait que confirmer le caractère fondamental de cetaspect de la vie privée : « Le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitueun principe essentiel du système juridique de tous les pays contractants à la Convention », reconnaîtla Cour 2003 . Cependant, il ne jouit pas d'une protection absolue ni dans la jurisprudenceeuropéenne (1) ni dans les droits nationaux (2). Mais les dérogations justifiées dans la prison sontsans commune mesure par rapport à celles à l'extérieur.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. La garantie européenne<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Les organes du Conseil de l’Europe sont unanimes sur le caractère fondamental du droit ausecret médical. Il fait partie des composantes du droit à la vie privée. En 1979, la CommissionUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008reconnaissait que « la divulgation des connaissances concernant la santé peut violer l'intimité durequérant et porter atteinte à sa vie privée 2004 ». La Cour, en 1997, a confirmé cette analyse enajoutant que son respect est capital non seulement pour garantir le droit à la vie privée mais aussipour préserver la confiance des personnes dans le corps médical et les services de la santé en2003 CEDH, M.S. c. Suède, 20837/92, 27 août 1997, Recueil 1997-IV, § 4.2004 . R 7654/76 (Van Oosterwijck/Belgique), 1.3.1979, Série B : mémoires, plaidoiries et rapports, vol. 36,1983, p. 10.


400général 2005 . Cette double importance est également soulignée par le CPT depuis 1993 2006 . Au sein dela Convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données àcaractère personnel (1981), les données médicales constituent une catégorie particulière. Elles fontpartie des données qui ne peuvent être traitées automatiquement à moins que le droit interne prévoiedes garanties appropriées (art. 6).Son respect s’impose alors également aux détenus. La Commission l’avait reconnu dès1979 2007 . Mais pour l'instant, il est vain de chercher un respect efficace du secret médical à l'égarddes détenus dans la jurisprudence européenne.Ainsi, cette instance avait, en 1994, justifié aussi bien la violation du secret des informationsconcernant l'état de santé des détenus que celle des consultations médicales. En effet dans une affaireoù un détenu, atteint du VIH, se plaignait d'atteinte au secret de ses entretiens avec les médecins enraison, entre autres, de la présence des gardiens qui l'accompagnaient à l'hôpital et qui, de surcroît, enavaient informé d'autres gardiens de la prison, elle l’avait jugé nécessaire dans une sociétédémocratique, estimant que l'accès n'était pas illégal, que les buts étaient légitimes et que l'ingérenceétait proportionnée aux buts poursuivis. Concernant les buts, elle avait retenu celui de la protectiondes droits et libertés des autres, en précisant qu'il est légitime que « le personnel qui a affaire avec ledétenu malade d'une maladie transmissible par le sang en soit informé 2008 ».Il importe alors de souligner qu’une telle application de ce droit fondamental en prison n’estpas conforme aux recommandations des autres instances du Conseil de l’Europe. Depuis 1993, leCPT a demandé que le secret médical soit respecté en prison « dans les mêmes conditions qu'enmilieu libre », et précisé que tous les examens médicaux des détenus (lors de leur admission ouultérieurement) doivent s'effectuer « hors de l'écoute » et - sauf demande contraire du médecin –« hors de la vue » du personnel pénitentiaire 2009 . Le Comité des Ministres est venu appuyer cettegarantie dans sa Recommandation R(98)7 : « Le secret médical devrait être garanti et observé avec la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2005 « La Cour rappelle que la protection des données à caractère personnel, et spécialement des donnéesmédicales, revêt une importance fondamentale pour l'exercice du droit au respect de la vie privée et familialegaranti par l'article 8 de la Convention. Le respect du caractère confidentiel des informations sur la santéconstitue un principe essentiel du système juridique de tous les pays contractants à la Convention. Il est capitalnon seulement pour protéger la vie privée des malades mais également pour préserver leur confiance dans lecorps médical et les services de la santé en général », CEDH, M.S. c. Suède, préc., § 41.2006 « 45. La liberté du consentement comme le respect de la confidentialité relèvent des droits fondamentauxde l'individu. Ces conditions sont aussi à la base de la confiance qui est nécessaire dans la relation entremédecin et malade, spécialement en milieu de détention, alors que le libre choix du médecin n'est pas possiblepour les détenus », CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités du CPT et Cpt/Inf(2001)16, 11 e Rapportgénéral d'activités du CPT, précités.2007 . En affirmant que « la divulgation ou la prise de connaissance par des tiers de faits ayant trait à la conditionphysique, la santé ou la personnalité peut violer l'intimité du requérant et porter atteinte à sa vie privée », R7654/76 (Van Oosterwijck/Belgique), 1.3.1979, préc.2008 , D 21780/93, (T. V/Finlande), 2.3.1994, DR 76-A, pp. 140-156.2009 CPT/Inf (93)12, 3e rapport général d'activités du CPT. Ces recommandations ont été reprises à l’identiquedans « Les normes du CPT », CPT/Inf/E (2003) 1, mais pas avec la même numérotation.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


même rigueur que dans la population générale 2010 ». En 2006, il a fait du « respect des règlesordinaires du secret médical », une des Règles pénitentiaires 2011 .401Cependant, de même que la garantie assurée par la jurisprudence européenne, celle assuréepar les droits nationaux dans la prison est loin de répondre à ces Recommandations.2. La garantie nationaleLe secret médical jouit d'une protection pénale aussi bien en Grèce qu'en France. Mais, desnécessités d'ordre public peuvent justifier des dérogations. Toutefois, dans la prison, ces nécessitésdeviennent quasiment la règle aussi bien en droit français qu'en droit grec.En droit français, le secret médical est imposé à toute personne par le droit pénal 2012 . Auxmédecins, il est également imposé par le Code de déontologie médicale 2013 et à tous lesprofessionnels de la santé, par le Code de santé publique 2014 . Par ailleurs, le fait de travailler dans uneadministration, n’enlève en rien à cette obligation 2015 .Les mêmes obligations s’imposent à l’égard des détenus. Toutefois nous remarquerons quele respect du secret des consultations et des soins médicaux n’est pas expressément garanti par ledroit pénitentiaire français. Seul le respect du secret du dossier médical fait l’objet d’une telleprotection. L'article D 375 du Code de procédure pénale prévoit les conditions dans lesquelles il doitêtre conservé et précise que seul le personnel soignant peut y avoir accès 2016 . Mais dans la pratique,même le secret du dossier peut être allègrement violé.2010 R(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, préc.(règle 18).2011 Règles pénitentiaires européennes, 2006, (règle 42.3.a).2012 . « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état oupar profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnementet de 15000 euros d'amende », (art. 226-13 C. pén.). Voir aussi « La déclaration obligatoire des maladiescontagieuses a été la première manifestation de la limitation du secret en faveur d'un intérêt social menacé. Elledate de 1892 et sera suivie de beaucoup d'autres : le maintien de la santé publique, la nécessité d'une bonneadministration de la justice, la création de caisses d'assurance maladie ont été les principales mesures de cetteévolution », C. <strong>LE</strong> PROUX <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> RIVIERE, Détection du Sida : secret médical et prisons, RSC, 1991-1993,pp. 550-554.2013 « Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditionsétablies par la loi », (article 4 du Code de déontologie)2014 « L’article L.1110-4 du Code de la santé publique prévoit : « Toute personne prise en charge par unprofessionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et auxsoins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. »2015 « Le fait pour un médecin d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à uneadministration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n'enlève rien à ses devoirsprofessionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de sesdécisions » (art. 95 code de déontologie médicale).2016 « Le dossier médical du détenu est conservé sous la responsabilité de l'établissement de santé (…) Seul lepersonnel soignant peut avoir accès au dossier médical. En cas de transfèrement ou d'extraction vers un<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


402L'attention sur sa violation avait été attirée depuis 1987 2017 . Le rapport du HCSP 2018 , daté dejanvier 1993, faisait état d'une « quasi-violation permanente », en raison notamment de l'accès dupersonnel administratif ou de surveillance à l'unité médicale et de la présence des surveillants lors dela distribution des médicaments dans les cellules 2019 . Le Conseil national sur le Sida relevait encoreun autre moyen de violation du secret médical : les fouilles générales qui n'épargnent pas les locauxmédicaux, y compris la salle des dossiers. La CNCDH a confirmé, en 2006, ces problèmes : « Demultiples violations du secret médical sont régulièrement observées en milieu carcéral 2020 ». Il aégalement relevé deux autres sources de violation : la prise des rendez-vous médicaux par dessurveillants au moyen des demandes écrites 2021 et les modalités des soins lors des hospitalisations.Pour ces dernières, elle se réfère essentiellement aux rapports du CPT.En effet, depuis 1996, le CPT met en cause les modalités des hospitalisations des détenus enFrance à cause, entre autres, de violation systématique du secret médical due en particulier à laprésence des membres de force de l’ordre pendant les consultations médicales 2022 . Or malgré sarecommandation aux autorités françaises d’y remédier, la circulaire du 18 novembre 2004, relative àl’organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale, nes’inscrit pas dans ce sens. Elle prévoit que, lorsque le chef d’établissement l’estime nécessaire,l’examen se déroule « sous la surveillance constante » de l’escorte. Or comme le souligne leCNCDH, lorsque cette surveillance est prescrite, elle se traduit le plus souvent par la présence pureet simple des fonctionnaires pénitentiaires dans la pièce où la personne est examinée ou opérée 2023 .Cela a valu un autre rappel ferme du CPT lors de sa dernière visite en France en 2005 2024 .établissement hospitalier, les informations médicales contenues dans le dossier sont transmises au médecindestinataire dans des conditions matérielles garantissant leur inviolabilité. »2017 . « Les médecins inspecteurs notent la difficulté de garantir le secret médical notamment pour la raison queles fichiers médicaux sont tenus par les surveillants, voire par les détenus « classés », P. DARBEDA,« Chronique pénitentiaire et de l'exécution des peines », RSC, 1987-3, p. 745 ; C. <strong>LE</strong> PROUX <strong>DE</strong> <strong>LA</strong>RIVIERE, « Détection du Sida : secret médical et prisons », préc., pp. 550-554.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2018 Haut Comité de la Santé Publique (HCSP).2019 . HCSP, Santé en milieu carcérale, préc., p. 125.2020 CNCDH, Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, (2006), préc.2021 Dans un contexte où toute demande de soins se doit de transiter par un surveillant, les détenus serontfréquemment contraints de la justifier, Ibid. Ainsi la CNCDH rapportait concernant l’anonymat du dépistagedu VIH que, selon un praticien hospitalier exerçant en milieu carcéral, cela est illusoire en prison dès lors quele détenu doit établir une demande écrite pour l’accès au CDAG qui doit être remise à un surveillant.2022 De l’avis du CPT, la présence de membres de force de l’ordre pendant les consultations médicales en milieuhospitalier ou pendant l’administration des soins aux patients hospitalisés n’est pas conforme à l’éthiquemédicale, CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, préc., § 105.2023 Cette surveillance implique toujours la violation du secret, les actes médicaux étant pratiqués sous l’œil dessurveillants et les propos échangés, généralement susceptibles d’être entendus par eux, compte tenu de laconfiguration des locaux à l’hôpital. Cela a valu un autre rappel ferme du CPT lors de sa dernière visite enFrance en 2005.2024 Dans son rapport du 21 décembre 2005, précité, le CPT « rappelle une fois de plus sa recommandationselon laquelle tous les examens/consultations/soins médicaux de détenus doivent toujours s’effectuer hors del’écoute et sauf demande contraire du médecin concerné dans un cas particulier hors de la vue du personneld’escorte (qu’il soit pénitentiaire ou de police) ».Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


En droit grec, le secret médical est garanti par le Code pénal (art. 371 C. pén.) et par le Codede déontologie médicale qui exige un respect « rigoureux » (art. 13) 2025 .403Le Code pénitentiaire le consacre également sans aucune réserve : « Le secret médical estgaranti en toute circonstance » (art. 29§5 C. pénit.). Toutefois, le CPT rapportait, en 1997, ne pasêtre convaincu de la protection absolue, ni du dossier médical, ni des consultations, y comprisgynécologiques 2026 . Alors qu’il avait recommandé que le secret médical soit observé dans des prisonsde la même manière comme dans la communauté en général 2027 , lors de sa visite en 2005, il relevaitque tel n’était pas le cas. Les membres des différents conseils siégeant en prison (le Conseil deprison, le Conseil de travail et le Conseil disciplinaire) ont accès au dossier médical du détenu. LeCPT d’insister pour que les informations contenues dans le dossier médical ne soient communiquéesà ces conseils que par le chef des services médicaux de chaque prison avec la permission dudétenu 2028 . Hélas la situation ne s’était guère avancée en 2007 2029 .A part le respect du secret, le respect du consentement est également mis à mal dans laprison aggravant alors considérablement les atteintes au respect de la personne. Car si les violationsdu secret restent dans la sphère de la vie privée (art. 8), celles du consentement peuvent aller jusqu'àconstituer des traitements dégradants, inhumains ou encore une torture (art. 3).B. L’obligation de respecter le consentement libre et éclairéToute intervention médicale sans consentement sur une personne, serait-elle minime et dansson propre intérêt, s'analyse comme une atteinte au droit au respect de la vie privée au sens del'article 8 de la Convention. Cette affirmation avait été formulée par la Commission en 1994, àpropos des tests d'urine forcés 2030 . Elle a été confirmée par la Cour en 2005 et 2006 à propos du« prélèvement de matériel cellulaire dans la bouche » d’une personne, « la conservation systématiquede ce matériel » et « l’établissement du profil ADN » 2031 ainsi qu’à propos du traitement médicalcontre son gré pendant son internement 2032 . De tels actes constituent en effet des atteintes à l'intégrité<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082025 Selon l’article 13 de la loi 3418/2005 réformant le Code de Déontologie Médicale.2026 . CPT/Inf(2001)18, Rapport de visite, Grèce, préc.2027 Ibid.2028 CPT/Inf (2006) 41, Rapport de visite, Grèce, préc.2029 CPT/Inf(2001)18, Rapport de visite, Grèce, préc.2030 . D 21132/93 (A. I. Peters/Netherlands) 6.4.1994, DR 77-a, p.79 ; D 20872/92 (A. B/Suisse) 22.2.1995; D22009/93 (Z/Finlande) 2.12.1995.2031 Prélèvement buccal d’un condamné à l’aide d’un écouvillon, afin d’obtenir du matériel cellulaire et dedéterminer son profil ADN et conservation de son profil ADN dans un fichier national pendant 30 ans, Van derVelden c. Pays-Bas (déc.), n° 29514/05, CEDH 2006-XII (irrecevable).2032 « Pour autant que la requérante allègue s'être vu administrer un traitement médical contre son gré pendantson internement, la Cour réaffirme qu'une atteinte même minime à l'intégrité physique d'un individu doit passerpour une ingérence dans le droit de celui-ci au respect de la vie privée énoncé à l'article 8 si elle a eu lieucontre la volonté de cet individu » CEDH, Storck c. Allemagne, n°61603/00, CEDH, 2005-VI, § 143. Voir


physique et morale de la personne ainsi qu'à sa liberté de disposer de soi, et donc à l’autonomie de savolonté.404La protection de l’Etat contre de telles ingérences sans consentement vaut également dans lecadre des relations entre particuliers 2033 . Ainsi, l’internement d’une mineure dans une cliniquepsychiatrique privée à la demande de ses parents constitue une ingérence contre laquelle l’Etat doitprotéger l’intéressée 2034 .Mais pour que le consentement constitue une garantie efficace de respect de la volonté de lapersonne, encore faut-il qu’il s’agisse d’un consentement libre et éclairé. D’où la nécessité depréciser d’abord le sens d’un tel consentement (1), avant d’examiner son application en prison (2).1. La définition européenne du consentement libre et éclairéLa nécessité de cette dernière précision fut, dans un premier temps, ressentie par le corpsmédical, en tant que question d'éthique médicale. Elle fut notamment soulevée à propos desinterventions non exclusivement thérapeutiques, en particulier, à propos des expérimentations.L'OMS est la première instance d'avoir précisé, en 1956, qu'il doit s'agir d'un consentement libre etéclairé : "libre" au sens d'absence de toute pression directe ou indirecte ; et « éclairé » au sens qu'ildoit être donné en toute connaissance de la nature de l'intervention, des buts et des risques 2035 .Le besoin de traduire ces exigences dans des textes de portée juridique s'est manifesté auniveau européen depuis des années '90. Le Conseil de l’Europe votait, en 1990, la Recommandationn° R(90)3 sur la recherche médicale sur l'être humain qui a énoncé le principe que « aucunerecherche médicale ne peut être effectuée sans le consentement éclairé, libre, exprès et spécifique dela personne qui s'y prête » (Principe 3.1) 2036 . En 1997, a eu lieu l’adoption d’un premier texte à<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...aussi CEDH, Herczegfalvy c. Autriche, préc., § 86 ; D 8278/78, (X c. Autriche), 13.12.1979, D.R., 18, p. 159,D 20872/92, (A.B. c. Suisse), 22.2.1995, D.R. 80-A, p. 70.2033 « …la Cour rappelle que l'article 8 met à la charge de l'Etat l'obligation positive d'adopter des mesuresraisonnables et adéquates pour protéger le droit des individus au respect de la vie privée », CEDH, Storckc.Allemagne, préc., §149. Voir aussi, notamment : CEDH, X et Y c. Pays-Bas, préc., § 23 ; CEDH, Hatton etautres c. R.U., [GC], n o 36022/97, CEDH 2003-VIII, § 98.2034 « Il reste à déterminer si l'ingérence dans le droit de la requérante au respect de la vie privée est aussiimputable à l'Etat défendeur en ce que celui-ci a failli à son obligation positive de protéger la requérante depareille ingérence provenant de particuliers », CEDH, Storck c. Allemagne, préc., § 149.2035 « Aspects sanitaires des mauvais traitements intuitivement infligés aux prisonniers et détenus », documentprésenté par l’OMS au 5 e Congrès des Nations-Unies pour la prévention du crime et le traitement desdélinquants, A/CONF.56/9.2036 « Ce consentement peut être librement retiré à n'importe quelle phase de la recherche; la personne qui seprête à la recherche doit, avant sa participation à celle-ci, être avertie de son droit de retirer sonconsentement », Rec(90)3 sur la recherche médicale sur l’être humain, Comité des Ministres du Conseil del'Europe, 6 février 1990, (règle 13).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


405vocation internationale 2037 , la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (signée àOviedo, le 4 avril 1997) qui a précisé que la personne doit être préalablement informée quant au but,la nature, les conséquences et les risques de l'intervention et elle doit pouvoir se rétracter à toutmoment (art. 5). La Cour de justice des communautés européennes, dans un arrêt rendu le 5 octobre1994, dans lequel elle a eu à se pencher sur la compatibilité des tests forcés de VIH avec l'article 8 dela Convention, dans le cadre d’une embauche aux postes de fonctionnaires et autres postes dupersonnel des institutions communautaires 2038 , avait déjà reconnu que le droit au respect de la vieprivée, tel qu’il est garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme,comporte le respect d’un consentement libre et éclairé : «Un test de VIH constitue effectivement uneatteinte à l'intégrité physique », mais aussi, au droit « à disposer de soi-même » ; par conséquent, « ilne peut être pratiqué qu'avec le consentement éclairé du candidat 2039 . »La Cour européenne des droits de l’homme n'a pas encore contribué de manière significativeà la concrétisation de la qualité du consentement.2. L’application aux détenus du consentement libre et éclairéC’est depuis 1993 que le Conseil de l'Europe recommande aux Etats membres d’assurer auxdétenus, comme aux malades mentaux, la garantie d'un « consentement éclairé » et « volontaire ». LeComité des Ministres dans sa Recommandation R(93)6 précitée 2040 , et le CPT dans son Rapportgénéral d’activités de cette même année 2041 , insistaient sur l’importance particulière de cette garantieen prison, notamment pour la confiance entre le patient et le médecin en raison de la privation duchoix de médecin 2042 . En 1998, le Comité des Ministres appuyait à nouveau cette garantie enrecommandant que toute dérogation aux principes de la liberté de consentement du malade soitfondée sur la loi et être guidée par « les principes qui s'appliquent à la population générale » 2043 et en<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2037 Le Conseil de l'Europe a ouvert la signature de cette Convention également au Canada, aux Etats-Unis, àl'Australie, au Japon et au Saint-Siège qui ont participé à son élaboration.2038 CJCE, arrêt du 5 oct. 1994.2039 . Cette Cour a conclu que l'obligation générale de se soumettre à un examen médical d'embauche n'impliquepas le consentement tacite pour tout examen (sauf pour des actes usuels dans lesquels ne sont pas compris lestests du VIH), Ibid., pp. 21-24.2040 « Les personnes privées de liberté ne peuvent faire l'objet de recherches médicales que si celles-cipermettent d'attendre un bénéfice direct significatif pour leur santé » ; « Les principes éthiques en matière derecherche sur les êtres humains devraient être strictement appliqués, particulièrement en ce qui concerne leconsentement éclairé et la confidentialité. Toutes les recherches menées en prison devraient être soumises àl'approbation d'une commission d'éthique ou à une autre procédure garantissant le respect de ces principes »,.Rec(93)6 relative au contrôle des maladies transmissibles et notamment du sida, et les problèmes connexes desanté en prison, préc., § 16.2041 « 45. La liberté du consentement comme le respect de la confidentialité relèvent des droits fondamentauxde l'individu. Ces conditions sont aussi à la base de la confiance qui est nécessaire dans la relation entremédecin et malade, spécialement en milieu de détention, alors que le libre choix du médecin n'est pas possiblepour les détenus », CPT/Inf (93) 12, 3e rapport général d'activités du CPT, préc.2042 Ibid. § 45.2043 Rec(1998) 7, relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire,préc., (règle 16).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


406insistant tout particulièrement sur le dépistage du VIH. En 2001, le CPT en rappelant l’importancedu consentement éclairé, a apporté des précisions : « Le patient doit pouvoir disposer de toutesinformations utiles (si nécessaire sous la forme d’un rapport médical) concernant son état de santé, laconduite de son traitement et les médicaments qui lui sont prescrits 2044 . Il défendait également l’accèsdes détenus à leur dossier médical pénitentiaire, à moins d’une « contre-indication justifiée d’unpoint de vue thérapeutique » 2045 .Cependant, la jurisprudence européenne n'est pas très ferme sur le respect du consentementlibre des personnes privées de liberté, en tout cas dans le cadre des prélèvements à des fins dedépistage des maladies transmissibles ou à des fins répressives (détection des éléments de preuved’une infraction). Dans la règle suprême qui guide cette jurisprudence, à savoir le respect del'équilibre entre les droits de l'individu et les nécessités de la société démocratique, l'affirmation duprincipe de liberté du consentement des détenus ne tient qu'un instant, le temps de son rappel. Eneffet, la Commission, qui a eu l'occasion de s’y prononcer lors de deux décisions qui portaient surdes tests forcés d'urine 2046 , tout en rappelant le principe que de tels examens constituent uneingérence dans la vie privée, avait estimé qu'ils doivent être appréciés au regard des buts poursuivis,du respect de la proportionnalité et des exigences normales et raisonnables de la prison : « Ladéfense de l'ordre et la prévention des infractions pénales, par exemple, peuvent justifier desingérences plus amples à l'égard d'un détenu que d'une personne en liberté 2047 ». La jurisprudence dela Cour devrait pourtant évoluer dans le sens des recommandations du CPT et du Comité desMinistres. D’autant plus que, comme nous l’avons souligné, elle se réfère depuis quelque tempsexpressément à la Recommandation R(98)7 du Comité des Ministres déjà citée 2048 .Si le respect du consentement médical des détenus est reconnu sur le principe, en réalité,comme le montrent aussi bien le droit français (a) que le droit grec (b), sa garantie n’est pas encoresatisfaisante.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>a. En droit français<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le Code de déontologie médicale prescrit que « le consentement de la personne examinée ousoignée doit être recherché dans tous les cas » (art. 36 al.1), et le Code de la santé publique qu’aucunacte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la2044 CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, préc.2045 Les extraits pertinents du Chapitre III des Normes du CPT « Services de santé dans les prisons »,CPT/Inf/E (2002)1, Les normes du CPT, (révisées en 2004), § 46 ; et des extraits du troisième rapport général,CPT/Inf (93) 12.2046 . D 20872/92 (A. B/Suisse), 22.2.1995 ; D 21132/93 (A. I. Peters/Netherlands), 64.1994, DR 77-a, pp. 75-80.2047 . Ibid.2048 Voir entre autres, CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc. ; CEDH, Naoumenko c. Ukraine, préc.


personne (art. L1111-4, al. 4 C. sant. publ) 2049 . Sauf, précise le Code civil, en cas de « nécessitémédicale alors que la personne n'est pas à même de consentir » (art. 16-3 du C.civil ).407Sans être accompagné des adjectifs « libre » et « éclairé », le principe de recueillir leconsentement préalable du détenu à tout acte médical, est reconnu par le droit pénitentiaire français.Le détenu « doit, conformément aux dispositions de l'article 36 du code de déontologie médicale,exprimer son consentement préalablement à tout acte médical et, en cas de refus, être informé par lemédecin des conséquences de ce refus » (art. D 362 CPP).Mais cette exigence n’est pas absolue. Hormis la dérogation générale prévue pour l’intérêt dela personne, celle fondée sur « l'état de santé qui rend nécessaire un acte de diagnostic ou des soinsauquel il n'est pas à même de consentir » 2050 , des dérogations sont également prévues à des buts nonexclusivement thérapeutiques. Une première dérogation concerne des grévistes de la faim surlaquelle nous reviendrons dans le cadre de l’examen des dérogations, et une autre, le dépistage de latuberculose à des fins prophylactiques. Sont dépistés tous les détenus lors de leur écrou et tous ceux,déjà en détention, qui n'ont jamais fait objet d'un tel examen (art. D 384-1 al. 2 CPP).En plus de ces deux dérogations explicites, la toxicomanie et le VIH avaient donné lieu à uneextension implicite des dérogations. La toxicomanie avait donné lieu à des tests d'urine obligatoires.Les praticiens intervenant en prison affirmaient, en 1994, que « les directions de nombreuses prisonsinsistent de plus en plus pour que des tests d'urine soient appliqués 2051 ». Ainsi, dans une prison, lerèglement pénitentiaire a érigé en infraction disciplinaire le refus de soumission à des tests 2052 . LeVIH avait également donné lieu à des dépistages obligatoires. Une enquête effectuée en France, en1989, avait relevé que dans 21 % des cas, le consentement préalable n'avait pas été requis 2053 . Aprèsdeux circulaires du 19 avril 1989 et du 17 mai 1989, qui rappelaient aux directeurs desétablissements pénitentiaires que « le dépistage obligatoire et systématique des entrants doit être<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2049 « Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peutêtre réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6, oula famille, ou à défaut, un de ses proches ait été consulté » (art. L1111-4, al. 5 C. sant. publ). Lorsque lapersonne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible de mettre sa vieen danger ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par le code de déontologiemédicale et sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou la famille ou, à défaut, un de sesproches et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne, aient été consultés. La décision motivée delimitation ou d'arrêt de traitement est inscrite dans le dossier médical » (art. L1111-4, al. 6 C. sant. publ.)2050 Prévue par l’article D 362 du Code de procédure pénale et conforme à l’article 16-3 du Code civil.2051 . « On a, par exemple, constaté que certains détenus ont tendance à délaisser le cannabis, moins dangereuxmais qui laisse subsister des traces dans les urines pendant une période prolongée, au profit de drogues duresdont les traces s'éliminent plus rapidement », in « Drogues et Prison », Actes de ljournée d'étude, 22 avril 1994,préc.2052 . A. VOGELWEITH, « La loi contre la santé », Justice, n° 150, p. 7.2053 . P. ESPINOZA, « L'Infection par le VIH en milieu carcéral », préc., p.1550.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


exclu 2054 » (mais non suivies d’effets, selon le CPT 2055 ), un Décret de 1998, toujours en vigueur, aconsacré le caractère volontaire de dépistage au VIH 2056 .408b. En droit grecEn droit grec, le respect du consentement libre et éclairé de tout patient est consacré parl’article 12 §1 et § 2 du Code de déontologie médicale, sauf en cas de besoin d’intervention urgenterendue absolument nécessaire par l’état de santé d’une personne (12 § 3).Concernant celui des personnes détenues, son respect est également énoncé de manièreexplicite par le Code pénitentiaire : « Tout examen médical, opération chirurgicale ou éducationthérapeutique des détenus est autorisée uniquement avec le consentement du détenu » (art. 29§2 C.pénit.). Mais le deuxième paragraphe de ce même article permet de le contourner. Le Procureur de laRépublique peut ordonner des « mesures appropriées » lorsque « le détenu ne se trouve pas en état deconsentir » mais aussi lorsqu’« il refuse son consentement pour un acte médical alors qu’il est jugéindispensable pour sa santé » (art. 29 § 3 C. pénit.). La grève de la faim constitue, nous allons voir,un cas concret de dérogation au principe du respect du consentement volontaire 2057 et soulève desquestions dépassant la question du respect de la vie privée pour poser celle d’une atteinte à la dignitécontraire à l'article 3 de la Convention.Mais le consentement libre et éclairé, quant bien même serait-il donné, peut ne pas suffirepour empêcher que certaines interventions médicales revêtent un caractère dégradant pour l'image del'homme.§ 2. Les obligations complémentaires dictées par l’interdiction des traitements inhumains,dégradants ou de la torture<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le non-respect du principe de consentement libre et éclairé peut constituer non seulementune violation de la vie privée mais aussi une atteinte à la dignité constitutive de traitement inhumainou dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention. Cela peut notamment être dû aux buts visés<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082054 . Ainsi qu'il a été expliqué dans la Circulaire du ministère de la Justice du 17 mai 1989, cela « est inopérantet représente des coûts disproportionnés par rapport aux résultats escomptés ».2055 . Il relevait lors de sa visite en France, en 1991, que des dépistages systématiques étaient effectués à l'insudu détenu, sur l'échantillon sanguin prélevé chez les nouveaux arrivants qui, s'ils le refusaient, risquaient d'êtreisolés, CPT 92(3), Rapport de visite, France, du 27 octobre au 8 novembre 1991, § 179.2056 Décret nº 98-1099 du 8 décembre 1998 art. 96 JO du 9 décembre 1998 inséré dans l’article D384-3 duCode de procédure pénale qui stipule : « Toute personne incarcérée doit pouvoir bénéficier, avec son accord,d'une information et d'un conseil personnalisé sur l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH)et, le cas échéant, au cours de consultations médicales, de la prescription d'un test de dépistage et de la remisedu résultat ».2057 « Si le gréviste de la faim entre dans un état de danger imminent pour sa vie ou de risque grave etpermanent pour sa santé, il lui est appliqué la disposition 29 § 3. Pour la nature et l’étendue de mesures, sontpris en compte la personnalité du détenu, ses motivations et la stabilité de sa décision » (art. 31 §3 C. pénit.).


409lorsqu’ils ne sont pas exclusivement thérapeutiques, à la gravité ou au caractère humiliant desinterventions, aux risques encourus connus ou inconnus ou à un consentement biaisé. Par exemple,une intervention à des fins d'expérimentation comporte plus des risques de constituer de telstraitements qu'un dépistage à des fins prophylactiques.Des dérogations peuvent toutefois être justifiées à des fins thérapeutiques, dans l’intérêt doncde la personne, mais aussi à des fins dictées par l’intérêt général, aussi bien de nature scientifique(recherche médicale), que de nature répressive (élucidation d’une affaire pénale) ou encore de naturemixte (comme les interventions dans le cadre de la grève de la faim ou les traitement médicaux de ladélinquance sexuelle). Certaines de ces dérogations appellent des garanties supplémentaires pourempêcher qu’elle donne lieu à un traitement inhumain ou dégradant (A). D’autres, en particulier lestraitements des délinquants sexuels et les expériences médicales demandent des garanties contre lesrisques d’un consentement biaisé, à savoir qui ne serait pas totalement libre ou éclairé (B). Cerenforcement est encore plus impératif à l’égard des personnes détenues. La prison est, avec l'hôpitalpsychiatrique, le lieu le plus sensible pour le respect du consentement médical. Non seulement parceque dès le début du XXe siècle des expérimentations à des fins d'eugénisme y ont eu lieu 2058 . Maisaussi, parce que des considérations d'ordre et de sécurité sont plus pressantes qu'à l'extérieur ; parceque des traitements peuvent être appliqués comme réponse à certaines formes de délinquance ; etparce que le risque de consentement biaisé est plus grand en raison de l’espoir du détenu, privé deliberté, d’une contrepartie concernant son statut juridique.A. Le renforcement des garanties concernant certaines dérogations au respect du consentementCertaines dérogations à la garantie du consentement libre et éclairé, même si elles sontjustifiées par des nécessités thérapeutiques (1) ou par des nécessités à des fins pénales (2),impliquent un fort risque de se muer en traitements inhumains ou dégradants, voire en torture. Aussi,le Conseil de l’Europe exige de les entourer des garanties renforcées fondées sur l’article 3 de laConvention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081. Les dérogations à certaines fins thérapeutiquesLorsqu’une intervention médicale est dictée par une nécessité thérapeutique, la Cour acceptequ’elle puisse être imposée de force : « Une mesure dictée par une nécessité thérapeutique du pointde vue des conceptions médicales établies ne saurait en principe passer pour inhumaine ou2058 . Comme l'a rapporté Claire Ambroselli, c'est depuis 1907 qu'aux Etats-Unis l'eugénisme a été pratiqué surles détenus par la stérilisation. Il s'agissait de condamnés récidivistes mais aussi de condamnés legers d'esprit etd'aliénés, C. AMBROSELLI, L'Ethique médicale, Paris, PUF, 1988, pp. 50-52.


410dégradante 2059 ». S’agissant précisément de traitements médicaux imposés à des personnes détenues,la Cour a, jusqu’à présent, jugé que tel peut être le cas en raison soit des troubles mentaux d’undétenu (a) soit d’une grève de la faim prolongée (b).a. Les traitements forcés des malades mentauxPour imposer de force un traitement à une personne malade mentale, la Cour exige d’établir lanécessité thérapeutique de manière convaincante et de respecter un ensemble de garantiesprocédurales.Pour établir de manière convaincante la nécessité thérapeutique et la nécessité des moyensemployés, la Cour se remet au corps médical auquel il appartient de décider « sur la base des règlesreconnues de leur science » des moyens thérapeutiques à employer, au besoin de force, pourpréserver la santé physique et mentale de tels détenus 2060 . Les conceptions médicales établies sont àcet égard « décisives » 2061 . La Cour se réserve toutefois le droit de s'assurer que la nécessité dutraitement en question a été démontrée de manière convaincante 2062 .Quant aux garanties procédurales, la Cour exige la tenue d’un dossier médical détaillant le pluspossible les traitements forcés. Doivent notamment y être mentionnés : le consentement donné ourefusé et pour quel traitement précis ; les moyens de contrainte utilisés ; les effets aussi bien del’usage de la force que du traitement ; ou encore la surveillance médicale de l’intervention médicale.Concernant la question du consentement des détenus malades mentaux, le droit français et ledroit grec ne prévoient pas de dispositions spécifiques. Sont alors applicables, les dispositions quiprévoient la dérogation générale au principe de consentement, à savoir celle concernant lespersonnes hors d’état de donner leur consentement alors qu’une intervention ou un traitements’impose par leur état de santé (droit grec 2063 , droit français 2064 ).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082059 CEDH, Jalloh c. Allemagne, n° 54810/00, CEDH 2006-VII, § 69. Voir CEDH, Herczegfalvy c. Autriche,préc., § 82 ; CEDH, Naoumenko c. Ukraine, préc., § 112.2060 CEDH, Naoumenko c. Ukraine, préc., § 112 (détenu souffrant de troubles mentaux); CEDH, Herczegfalvyc. Autriche, préc., § 82.2061 « Une mesure dictée par une nécessité thérapeutique, si désagréable soit-elle à l'intéressé, ne saurait, enprincipe, passer pour ‘inhumaine’ ou ‘dégradante’ », CEDH, Naoumenko c. Ukraine, préc., § 112 ; CEDH,Herczegfalvy c. Autriche, préc.,§ 82.2062 « Cependant, même de telles mesures thérapeutiques n'échappent pas à l'emprise de l'article 3 de laConvention, les exigences de cet article ne souffrant aucune dérogation. Il incombe donc à la Cour de s'assurerque la nécessité du traitement en question soit démontrée de manière convaincante », CEDH, Naoumenko c.Ukraine, préc., § 112.2063 Le Procureur de la République peut ordonner des « mesures appropriées » lorsque « le détenu ne se trouvepas en état de consentir » mais aussi lorsqu’« il refuse son consentement pour un acte médical alors qu’elle estjugée indispensable pour sa santé » (art. 29§3 C. pénit.).


411A part les interventions médicales forcées auprès des malades mentaux, la Cour range dans lacatégorie des traitements à des fins thérapeutiques l’alimentation forcée des grévistes de la faim.b. L’alimentation forcée des grévistes de la faimEn se référant à la jurisprudence de la Commission, la Cour reconnaît que « le fait de nourrirde force une personne comporte des aspects dégradants qui, dans certaines circonstances, peuventêtre considérés comme interdits par l'article 3 de la Convention » 2065 . Mais elle reconnaît aussi que lagrève de la faim soulève un conflit entre le droit à l'intégrité physique de l'individu et l'obligationpositive des Etats de protéger la vie de la personne ; conflit que la Convention ne résout pas 2066 .Aussi, la Cour tend-elle à résoudre ce conflit en l’inscrivant dans le cadre des dérogations àdes fins thérapeutiques. Même lorsque la personne demeure consciente, l’alimentation forcée peutêtre justifiée si elle est dictée par la nécessité thérapeutique 2067 et, si les garanties procédurales sontrespectées 2068 ainsi que les modalités de l’alimentation 2069 .Eu égard à l’application faite de ces critères, dans l’affaire Nevmerjitski, à propos del’alimentation forcée d’une personne détenue en grève de la faim, nous pouvons déduire que lanécessité d’un tel acte peut être considérée comme établie en cas d’« aggravation de l’état de santérisquant de devenir mortel » 2070 . Ce risque doit être établi par des examens médicaux appropriés etnon, par exemple, par un simple examen du taux d’acétone dans les urines.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2064 Code civil précise les exceptions à ces principes : « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corpshumain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne à laquelle il n'est pas à même de consentir » (art. 16-3, C.civ.).2065 CEDH, Nevmerjitski c. Ukraine, n° 54825/00, CEDH 2005-IV, § 93.2066 « Une personne détenue poursuit une grève de la faim, cela peut inévitablement conduire à un conflit, quela Convention ne résout pas, entre le droit à l'intégrité physique de l'individu et l'obligation positive que l'article2 de la Convention fait peser sur les Hautes Parties contractantes », CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc.,§ 93 ; CEDH, Ciorap c. Moldova, n o 12066/02, CEDH 2007-VI, § 76.2067 « La Cour rappelle qu'une mesure dictée par une nécessité thérapeutique selon les conceptions médicalesétablies ne saurait en principe passer pour inhumaine ou dégradante. Il en va de même de l'alimentation deforce destinée à sauver la vie d'un détenu qui refuse en toute conscience de se nourrir », CEDH, Nevmerjitski c.Ukraine, préc., § 94 ; CEDH, Ciorap c. Moldova, préc., § 77.2068 « Il incombe pourtant à la Cour de s'assurer que la nécessité médicale a été démontrée de manièreconvaincante. La Cour doit de plus vérifier que les garanties procédurales devant accompagner la décisiond'alimentation de force sont respectées », CEDH, Nevmerjitski c. Ukraine, préc., § 94.2069 « De surcroît, la manière dont un requérant est alimenté de force pendant sa grève de la faim ne doit pasreprésenter un traitement dépassant le seuil minimum de gravité envisagé par la jurisprudence de la Cour surl'article 3 de la Convention. La Cour examinera ces questions tour à tour », CEDH, Nevmerjitski c. Ukraine,préc.,§ 94.2070 Ibid., § 96.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


A défaut, l’alimentation forcée peut être constitutive de traitement inhumain ou dégradant,voire d’acte de torture 2071 . En effet, la Cour a jugé que tel a été le cas aussi bien dans l’affaireNevmerjitski 2072 que dansl’affaire Ciorap 2073 . Compte tenu des moyens de contrainte employés(menottes, écarteur buccal et tube en caoutchouc spécial inséré dans l'œsophage), combinés à la forcemanuelle des surveillants en raison de la résistance de l’intéressé, la personne concernée a subi untraitement grave méritant la qualification de torture, a déclaré la Cour dans la première 2074 . Et deconclure dans la seconde que, le procédé utilisé, la pose obligatoire des menottes, l’usage desinstruments métalliques pour ouvrir la bouche à l’intéressé et lui tirer la langue, alors qu’il existe uneméthode moins intrusive pour procéder à l’alimentation de force, à savoir une perfusionintraveineuse, qui n’a pas même été envisagée, combinés à l’absence d’examens médicaux,l’alimentation forcée n’était pas motivée par des buts thérapeutiques mais par la volonté de lecontraindre à mettre fin à son action de protestation 2075 .Le traitement de la grève de la faim d’une personne détenue en droit français et en droit grecs’inscrit dans le même cadre : « l’altération de l’état de santé », au sein du premier droit national 2076 ,et le « danger imminent pour sa vie ou de risque grave et permanent pour sa santé », au sein dusecond (art. 31 §3 C. pénit.), justifient l’alimentation de force de la personne sous surveillancemédicale. Le droit grec prévoit tout de même de tenir compte de compte la personnalité du détenu,de ses motivations et de la stabilité de sa décision (art. 31 §3 C. pénit.).Ces solutions ne sont toutefois pas sans susciter des interrogations. Si la Cour, comme cesdeux droits nationaux, résolvent ce conflit en inscrivant l’alimentation forcée dans le cadre destraitements à des fins thérapeutiques, la grève de la faim soulève des questions bien complexes. Soninscription dans le cadre thérapeutique ne va pas de soi.La grève de la faim, comme son nom l’indique, est une grève. C’est donc une forme deprotestation politique et même la plus violente parmi les formes de grèves pacifiques. Pour obtenirsatisfaction de ses revendications, la personne s'en prend à son propre corps en lui infligeant, par lerefus de manger, une souffrance qui, en se prolongeant, devient physique. De ce fait, cet acte estégalement politiquement embarrassant en ce qu'il défie les fondements même de toute société. Celleciest censée être instituée pour répondre aux instincts de survie de l'homme en s'organisant de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20084122071 Ibid., § 99.2072 Ibid.2073 CEDH, Ciorap c. Moldova, préc.2074 « En l'espèce, la Cour considère que l'alimentation de force à laquelle le requérant a été soumis à l'aide desmoyens prévus par le décret, en dépit de sa résistance et sans que le Gouvernement ait fourni de justificationmédicale, a constitué un traitement grave méritant la qualification de torture », CEDH, Nevmerjitski c.Ukraine, préc.,§ 98.2075 CEDH, Ciorap c. Moldova, préc., §89.2076 L'article D 364 al.1 du Code de procédure pénale prévoit que « si un détenu se livre à une grève de la faimprolongée, il ne peut être traité sans son consentement, sauf lorsque son état de santé s'altère gravement etseulement sur décision et sous surveillance médicales ».


413manière à lui assurer les besoins vitaux élémentaires et à préserver son intégrité physique par la miseen place des moyens pacifiques de dénouement des conflits entre les individus et entre ces derniers etle pouvoir. Or, voilà qu'elle est défiée par le gréviste de la faim qui souligne les défaillances de sonmode d'organisation. Cette forme de grève constitue souvent le moyen de pression ultime, aprèsl'épuisement des moyens de protestation individuels et/ou collectifs (grèves et manifestations). Cesdéfis sont encore plus accentués dans la prison parce que la grève de la faim, de moyen ultime, ydevient le moyen unique de protestation soulignant alors la défaillance totale dans ce lieu de vie dufonctionnement des règles fondamentales qui doivent régir l'organisation d'une société. Les moyensjuridiques contraignants étant rares et les moyens collectifs de protestation inexistants dans laprison 2077 , le détenu gréviste de la faim donne l'image d'un homme acculé à mettre en première ligne,dans sa tentative de négocier avec le pouvoir, son propre corps, voire sa vie.Le degré de cet embarras politique est reflété par le refus de certains pays à la reconnaîtrecomme une forme de grève. Elle est qualifiée comme un "refus de manger", et gérée comme un acted'indiscipline et de désordre. Le gréviste de la faim, en tout cas dans la prison, est alimenté de forceaprès le cinquième jour d'abstinence nutritive 2078 .Mais la gestion de ce conflit dans les pays qui acceptent de la qualifier de « grève de lafaim », nous incite aussi à nous demander si sérieusement le gréviste de la faim est considéré commeun homme révolté qui demande justice ou comme un patient qui nécessite assistance médicale. Carforce est de constater que c'est la part de la médicalisation de la grève de la faim qui domine sagestion et sa solution. Le gréviste de la faim est immédiatement suivi par un médecin. Les autoritéspénitentiaires ont tendance à se débarrasser de toute responsabilité en transférant le gréviste auxservices médicaux, et en demandant son hospitalisation 2079 . Ainsi, les conséquences du durcissementde la grève de la faim et de son dénouement final devient une question de responsabilité médicale.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Or, il importe de rappeler la position des autres organes du Conseil de l’Europe et desinstances internationales de santé. Dans la Recommandation n°R(98)7 précitée, le Comité desMinistres du Conseil de l'Europe demande d'appliquer dans la prison les mêmes règles qu'àl'extérieur 2080 . La Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (1997) prévoit que même<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082077 Voir infra, dans le chapitre sur le droit du travail.2078 Ainsi en Israël, il est désigné comme simple acte de désordre appelé « refus de manger », à partir du 5èmejour du « refus de manger », la personne est soumise à l'alimentation forcée par sonde gastrique ou par vieintraveineuse, G. CASI<strong>LE</strong>-HUGUES, La grève de la faim en milieu carcéral, Presses Universitaires d'Aix-Marseille, 1994.2079 Ibid.2080 Recommandation n°15: « le consentement éclairé devrait être obtenu de la part des malades souffrant detroubles mentaux et des patients placés dans des situations où les obligations médicales et les règles de sécuriténe coïncident pas nécessairement, par exemple en cas de refus de traitement de nourriture ». Recommandationn° 61 : « L’examen clinique d'un gréviste de la faim ne devrait être pratiqué qu'avec son consentementexplicite sauf s'il souffre de troubles mentaux graves et qu'il doive alors être transféré dans un service


lorsque la personne a perdu conscience, « les souhaits précédemment exprimés au sujet d'uneintervention médicale par un patient qui, au moment de l'intervention, n'est pas en état d'exprimer savolonté seront pris en compte 2081 ». Quant aux instances médicales internationales, l’OMS 2082 etl’AMM 2083 condamnent sans réserve l'alimentation forcée des grévistes en état de formuler unjugement conscient et rationnel. Mais en ce qui concerne ceux qui ne le sont plus, ils se contentent derelever que l'opinion médicale ne fait pas l'unanimité 2084 . En revanche, le Conseil des organisationsinternationales des sciences médicales a proposé une solution de compromis. Il suggère que ledilemme entre la préservation de la vie et le respect de la volonté doit être un cas de conscience pourchaque médecin appelé à intervenir dans chaque cas particulier ce qui devrait empêcher que lesmédecins encourent une responsabilité pénale. Ce Conseil donne certaines directives qui doiventguider l'attitude du médecin : tenir compte de l'âge, de la personnalité, de la situation familiale, etdans le cas des détenus, de la durée de leur peine 2085 .Dans tous les cas, le médecin est pris dans une relation triangulaire entre l’individu et lepouvoir le plaçant devant un problème d'éthique médicale. Or, il est clair qu'en médicalisant leproblème, le pouvoir étatique se dégage de sa responsabilité. L'intervention médicale lui permet des'abstenir de donner une solution politique tout en annihilant la force de pression de cet acte ; voire,elle lui permet même de donner un visage humaniste à cette solution, sauver la vie de la personne endétresse, alors qu'en réalité c'est un dénouement de force de ce conflit d'autant plus violente et cruelleque la personne a déjà « payé de sa personne ». Sa vie est certes sauvée, mais sa cause perdue. Enfait le gréviste de la faim qui est alimenté de force, alors qu'il ne peut plus donner son consentement,a perdu sur toute la ligne : et sa cause et sa santé car les effets de la grève de la faim sont graves etrapidement irréversibles 2086 .psychiatrique », Rec(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieupénitentiaire, préc., (règle 61).2081 Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (1997), Conseil de l'Europe,2082 A/CONF.56/9, préc., p. 16.2083 Déclaration de l'Association médicale mondiale adoptée à Tokyo en 1975 : « 5. Lorsqu'un prisonnierrefuse toute nourriture et que le médecin estime que celui-ci est en état de formuler un jugement conscient etrationnel quant aux conséquences qu'entraînerait son refus de se nourrir, il ne devra pas être alimentéartificiellement. La décision en ce qui concerne la capacité du prisonnier à exprimer un tel jugement devra êtreconfirmée par au moins un deuxième médecin indépendant. Le médecin devra expliquer au prisonnier lesconséquences que sa décision de ne pas se nourrir pourrait avoir sur sa santé. » Aussi Déclaration del'Association médicale mondiale sur les grévistes de la faim (adoptée par la 43 e Assemblée médicale mondialeà Malte en novembre 1991), Préambule, principe n°4.2084 A/CONF.56/9, préc., p. 17.2085 CASI<strong>LE</strong>-HUGUES, La grève de la faim, préc., pp. 277-278.2086 Selon Geneviève Casile-Hugues, les traces de la grève demeureront définitives sur le gréviste :affaiblissement physique dû à la destruction de la masse musculaire qui commence dès la mobilisation desréserves graisseuses ; le foie perd la moitié de son poids, les reins et le cœur en perdent le quart ; le travailcardiaque et respiratoire diminue ; seul le cerveau est relativement épargné tout au moins dans sa masse. Dès latroisième semaine de jeûne absolu, certaines de ces destructions sont irréparables, même si le refus des'alimenter cesse avant la mort. La mort peut être graduelle mais peut aussi intervenir, de manière inopinée pararrêt cardiaque en raison de la mise en oeuvre des mécanismes multiples et complexes d'adaptation au jeunetendant à réduire les dépenses énergétiques. L’auteur décrit ainsi la phase de coma terminal : « les membressupérieurs sont rejetés en extension, la tête en arrière, la mâchoire pendante. L'aspect terne de la cornée<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008414


415Mais les buts thérapeutiques ne sont pas les seuls motifs qui peuvent justifier des dérogationsau respect du consentement libre. La Cour estime que l’intérêt général, en l’occurrence la nécessitéde prévention et de répression de la criminalité, peut également justifier une intervention médicaleforcée.2. Les dérogations à des fins répressives« Même lorsqu’une mesure n’est pas motivée par une nécessité thérapeutique, les articles 3et 8 de la Convention n’interdisent pas le recours en tant que tel à une intervention médicale contre lavolonté d’un suspect en vue de l’obtention de la preuve de sa participation à une infraction », affirmala Cour dans l’arrêt Jalloh 2087 . Consciente toutefois qu’une telle intervention peut porter atteinte à ladignité, elle assortit cette dérogation d’un certain nombre de garanties. Si le procédé utilisé comportedes risques pour la santé et risque d’être humiliant, il doit être entouré des garanties qui dépassentalors la sphère de la vie privée (art. 8) 2088 . Dans ce cas, la Cour exige des garanties renforcées quant àla nécessité et à la procédure.Etablir la nécessité de manière convaincante. Plus l’atteinte est grave, plus l’établissementd’une telle preuve est pressante. Ainsi, à propos de l’usage de la force d’une sonde nasogastriquepour passer à l’estomac un émétique afin de recueillir la preuve d’une infraction (un sachet dedrogues avalé), la Cour a déclaré : « Cela vaut en particulier lorsque l’intervention vise à recueillir àl’intérieur du corps de la personne la preuve matérielle de l’infraction même dont elle estsoupçonnée. La nature particulièrement intrusive d’un tel acte exige un examen rigoureux del’ensemble des circonstances » 2089 . Pour établir la nécessité de manière convaincante, la Cour estimequ’il faut prendre en compte les critères suivants : la gravité de l’infraction en question (parexemple, si le trafic de drogues est une infraction grave, il faut faire la distinction entre un trafiquantde rue et un gros trafiquant 2090 ) ; la possibilité de choix du procédé (dans ce cas il faut choisir le<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...rappelle celle du mort vivant. L'autopsie du sujet mort de faim permet de se rendre compte que tous les organesont souffert », CASI<strong>LE</strong>-HUGUES, La grève de la faim, préc. pp. 180-183.2087 « Ainsi, les institutions de la Convention ont conclu à plusieurs reprises que le prélèvement de sang ou desalive contre la volonté d’un suspect dans le cadre d’une enquête sur une infraction n’avait pas enfreint cesarticles dans les circonstances des affaires examinées », CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 70.2088 La Cour a, dans une décision, jugé que le prélèvement de matériel cellulaire dans la bouche, laconservation systématique de ce matériel et l’établissement du profil ADN constituent des atteintes au droit durequérant au respect de sa vie privée. Des atteintes qui peuvent toutefois être nécessaires dans une sociétédémocratique, si l’on songe à l’importante contribution que les informations sur l’ADN ont apportée cesdernières années aux activités de répression, CEDH, Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), n° 29514/05, CEDH2006-XII (irrecevable).2089 CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 71.2090 Toute en soulignant que le trafic de stupéfiants est une infraction grave et qu’elle est consciente desproblèmes que rencontrent les Etats contractants dans leur lutte pour protéger leurs sociétés des maux queprovoque l’afflux de drogue, CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 77.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


416procédé le moins dangereux et le moins humiliant 2091 ) ; et l’évaluation des risques encourus pour lasanté et l’intégrité physique de toute personne 2092 , ainsi que de la personne concernée (ce qui peutexiger un examen préalable de la compatibilité du procédé envisagé avec la santé de la personne 2093 ).Les autorités doivent également respecter des garanties procédurales. A commencer par lajustification du choix des moyens de contrainte utilisés 2094 . Ainsi, estime la Cour, l’immobilisationpar quatre policiers et l’introduction de force d’une sonde nasogastrique, « indique l’usage d’uneforce proche de la brutalité » ; cette « manière de procéder a dû être douloureuse et angoissante pourlui » 2095 .Elles doivent enfin, assurer des garanties médicales. L’intervention pratiquée de force doitêtre ordonnée et exécutée par des médecins. La personne concernée doit faire l’objet d’unesurveillance médicale constante 2096 ainsi que d’une évaluation des effets physiques et les effets sur lasanté de la personne. Enfin, de telles interventions ne doivent pas provoquer de « vives douleurs ousouffrances physique » 2097 , ni de « conséquences durables pour sa santé » 2098 . En appliquant, dansl’affaire Jalloh, l’ensemble de ces critères (but non thérapeutique, nécessité non convaincante,procédé humiliant et dangereux, pas d’examen préalable de la victime sur l’absence de contreindicationmédicales pour utiliser ce procédé, et effets physiques et psychique nuisibles), la Cour aconclu que cette intervention a constitué un traitement inhumain et dégradant 2099 .2091 Par exemple, lorsque les autorités cherchent à obtenir la preuve d’un objet avalé et ils ont le choix entre,d’une part, l’usage d’un émétique pour provoquer des vomissements et, d’autre part, l’élimination du produitpar des voies naturelles, il est clair que c’est la seconde méthode qui est préférable. Car elle est moins lourde etmoins dangereuse pour l’intégrité physique, CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 77.2092 Ainsi, à propos de l’usage de force d’une sonde nasogastrique, elle a déclaré que le caractère dangereux ounon de pareille mesure prête à controverse entre les experts médicaux. Il ne comporte pas que de risquesnégligeables pour la santé puisque des accidents mortels sont survenus lorsque la force avait été utilisée et denombreux Etats membres du Conseil de l’Europe n’appliquent pas cette méthode. Ils préfèrent attendrel’élimination de la drogue par les voies naturelles, CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 71.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2093 Ainsi l’usage d’une sonde nasogastrique pour administrer un émétique demande de procéder préalablementà une anamnèse adéquate, CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 80. Voir aussi CEDH, Nevmerzhitsky c.Ukraine, préc., §§ 94, 97.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2094 « La manière dont on contraint une personne à subir un acte médical destiné à récupérer des preuves dansson corps doit rester en deçà du degré minimum de gravité défini dans la jurisprudence de la Cour relativementà l’article 3 de la Convention », CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 72.2095 CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 79.2096 Ibid., § 72, § 73, § 80. Voir D Ilijkov c. Bulgarie, n o 33977/96, 20.10.1997.2097 « En particulier, il faut tenir compte du point de savoir si l’intervention médicale de force a causé à lapersonne concernée de vives douleurs ou souffrances physiques », CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 72.Voir D 21132/93, (Peters c. Pays-Bas), 6.4.1994 ; CEDH, Nevmerzhitsky c. Ukraine, préc., § 94, § 97 ; CEDH,Schmidt, préc.2098 CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 74 , § 81.2099 « …la Cour estime que…les autorités ont porté gravement atteinte à l’intégrité physique et mentale durequérant, contre son gré. Elles l’ont forcé à vomir, non pas pour des raisons thérapeutiques mais pourrecueillir des éléments de preuve qu’elles auraient également pu obtenir par des méthodes moins intrusives. Lafaçon dont la mesure litigieuse a été exécutée était de nature à inspirer au requérant des sentiments de peur,d’angoisse et d’infériorité propres à l’humilier et à l’avilir. En outre, elle a comporté des risques pour la santéde l’intéressé, en particulier en raison du manquement à procéder préalablement à une anamnèse adéquate.Bien que ce ne fût pas délibéré, la façon dont l’intervention a été pratiquée a également occasionné aurequérant des douleurs physiques et des souffrances mentales. L’intéressé a donc été soumis à un traitementUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


417Concernant l’autorisation des interventions médicales dans le cadre de l’instruction pénale,en France et en Grèce, leurs législations divergent. Le droit grec interdit expressément l’usage desérum de vérité qu’il qualifie d’un acte portant atteinte à la dignité humaine (at. 137A, § 3 C. pén.),ainsi que l’usage de toute substance chimique ou narcotique en vue de vaincre la résistance de lavolonté de la personne qu’il qualifie de torture (at. 137A, § 2, C. pén.).En droit français, bien que la loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à la bioéthique interdiseexpressément l’examen des caractéristiques génétiques d'une personne, cette interdiction n’est pasabsolue. Un tel examen peut être entrepris à des fins médicales ou de recherche scientifique (art. 16-10 C. civ.), mais aussi dans le cadre des mesures d'enquête ou d'instruction diligentée lors d'uneprocédure judiciaire (art. 16-11 C.civ.). Le refus de s’y soumettre constitue une infraction pénale etdans la prison également une infraction disciplinaire 2100 .B. La vigilance particulière concernant les risques d’un consentement biaiséLe consentement libre et éclairé, quant bien même serait-il donné, peut ne pas suffire pourempêcher que certaines interventions médicales revêtent un caractère dégradant pour l'image del'homme. La raison en est qu'elles comportent des risques qui ne sont pas totalement connus pourl'intégrité physique ou mentale de la personne et que leur but n'est pas exclusivement thérapeutique.Ces interventions poursuivent également ou exclusivement un intérêt général : un intérêt scientifique,comme les expérimentations (1) ; un intérêt social, comme certains traitements médicaux desdélinquants sexuels (2).1. Les expérimentations médicales<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Parce que lorsqu'on effectue une expérimentation sur un être humain, on bouleverse lesfondements même de la philosophie occidentale pour laquelle l'homme est une fin en soi et non unmoyen, soumettre quelqu'un à des expérimentations est un acte de plus haut risque pour la dignité del'homme. C’est aux frais d’une telle dégradation de l’image de l’homme par les crimes Nazis que le<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Code de Nuremberg (1946), a consacré le principe concernant, entre autres, les recherches menéessur des sujets humains : « Il est absolument essentiel d'obtenir le consentement volontaire dumalade ». La Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) a inclut les expérimentations sansconsentement libre, parmi les formes de torture : « En particulier, il est interdit de soumettre unepersonne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique » (art. 7). L’AMMinhumain et dégradant contraire à l’article 3. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de laConvention », CEDH, Jalloh c. Allemagne, préc., § 82.2100 . « Le fait de refuser de se soumettre au prélèvement biologique prévu au premier alinéa du I est puni d'unan d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende », (art. 706-56, al. b CPP).


a, dans la Déclaration de Helsinki, 1964, ajouté que non seulement le consentement doit être libre etéclairé, mais aussi de préférence écrit. A défaut, doit-il être donné devant des témoins 2101 .418Il est depuis précisé que consentement libre signifie qu'aucune pression directe ou indirecten’est exercée et qu’un consentement éclairé signifie que la personne doit connaître les risquesencourus pour sa santé. Il est, d'autre part, paru nécessaire, de compléter ces garanties en exigeantque les expérimentations ne doivent poursuivre que des fins thérapeutiques, et que des précautionssoient prises pour minimiser les risques comme celle de ne les effectuer sur des êtres humains qu'àun stade avancé de la recherche. Ces garanties ont été consacrées par le premier texte juridique àvocation internationale, la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (1997) 2102 . Cellecia érigé en principe primordial la primauté de l'être humain : « L'intérêt et le bien de l'être humaindoivent prévaloir sur le seul intérêt de la société ou de la science » (art. 2). Elle a précisé que leconsentement doit être éclairé (à savoir que la personne doit préalablement être informée quant aubut, la nature, ainsi que les conséquences et les risques de l'intervention), libre (la personne ne doitpas seulement ne pas être incitée mais elle doit aussi pouvoir se rétracter à tout moment), exprès etspécifique (art. 2 et 16, V). Elle a, enfin, ajouté la garantie de minimisation des risques 2103 .Au niveau national, le droit français fait figure de pionnier. Les deux lois sur la bioéthique,votées l'été 1994 2104 , constituent la première codification juridique nationale sur lesexpérimentations 2105 . Elles ont été révisées par la loi n°2004-800 du 6 août 2004 relative à labioéthique qui a étendu les garanties dans le cadre des examens des caractéristiques génétiques d'unepersonne. Elle prévoit qu’un tel examen ne peut être entrepris qu'à des fins médicales ou derecherche scientifique et avec le consentement exprès, éclairé et écrit de la personne 2106 .En droit grec, les examens des caractéristiques génétiques d'une personne sont régis par laloi n°24/72/1997. L’ensemble les questions éthiques sont régies par le Code de déontologie médicaleainsi que par les textes européens et internationaux. Le droit grec a notamment, par la loi<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2101 AMM, « Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains », 1964, Règle 22.2102 Elle a été signée par le Conseil de l’Europe et sa signature a été ouverte à des pays non membres de cetorganisme. Ce texte avait été précédé au sein du Conseil de l’Europe de la Recommandation Rec(90)3 sur larecherche médicale sur l'être humain, préc.2103 En prévoyant que « le projet de recherche doit avoir été approuvé par une instance compétente, après avoirfait l'objet d'un examen indépendant sur le plan de sa pertinence scientifique, y compris une évaluation del'importance de l'objectif de la recherche, ainsi que d'un examen pluridisciplinaire de son acceptabilité sur leplan éthique » (art. 16, iii).2104 . Loi n°94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain (JO, 30 juillet 1994). Loi 94-654 du29 juillet 1994 relative au don et à l'utilisation des éléments et produits du corps humain, à l'assistancemédicale à la procréation et au diagnostic prénatal (JO 30 juil. 1994).2105 . Notons qu'à l'issue des débats très animés, les expérimentations ne sont pas interdites mais seulemententourées de certaines garanties. La poursuite des fins thérapeutiques et le consentement volontaire et écritdonné par le couple, Décision n° 94-343-344 DC, 27 juil. 1994, JO du 29 juillet 1994.2106 Cette garantie est reprise dans l’article 16-10 du Code civil.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


n°2619/1998, incorporé en droit interne la Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine(1997).419Concernant l’application de ces garanties à l'égard des détenus, la question estparticulièrement sensible. C'est la seule catégorie de personnes qui, capables mentalement deconsentir, ont cependant été soumises à des expérimentations forcées non seulement durant ladeuxième guerre mondiale mais bien auparavant. En effet, si ces expérimentations ont atteint leurpoint culminant dans les camps de concentration où l'état de droit n'avait pas de prise – « j'ai pu fairesur des êtres humains des expériences qui d'ordinaire ne sont possibles que sur des lapins », avoua lemédecin H. Münch ayant sévi à Auschwitz 2107 - elles ont également eu lieu dans les prisonsordinaires en Allemagne, mais aussi dans d'autres pays d'Europe 2108 ainsi qu'aux Etats-Unis. Desmédecins américains qui ont témoigné devant un tribunal américain militaire, lors d'un procèscommencé le 21 novembre 1946 2109 , avaient reconnu avoir pratiqué des expérimentations forcéesparce que « les prisonniers d'un pénitencier peuvent consacrer tout leur temps aux expériences, etpeuvent être soumis à un contrôle strict - un prisonnier n'a rien à faire d'autre, et peut devenir maladesans conséquences sérieuses- 2110 ». Cela constitue la preuve suprême de la considération des détenus,encore récente, comme des personnes dont la condamnation emporte également privation de laliberté de disposer de soi et dégradation du statut d'homme.Actuellement le problème qui se pose à propos de leur consentement n'est pas tant sonabsence, puisque les législations européennes le requièrent, mais son caractère véritablement libre.Des médecins parlent du risque d'un consentement « biaisé 2111 » et l'OMS d'un consentement« truqué ». Selon cet organisme, la condition socio-juridique des détenus diminue leur liberté deconsentement. Outre le besoin d'argent (qui peut être commun à d'autres catégories de personnes quistatistiquement se prêtent plus volontiers à des expérimentations comme les chômeurs, les étudiants,les retraités 2112 ), « ce qui est unique dans le cas des détenus », note l'OMS, « c'est qu'ils ont desmotifs profonds d'échapper à la misère et à la monotonie de leur existence, d'améliorer leur confort,de mériter en quelque sorte l'approbation de la société et, dans certains cas, de se soustraire auxtraitements humiliants utilisés par leurs compagnons de prison ou leurs gardiens 2113 », ou encore« d'espérer un avantage sur la durée de la peine surtout si la recherche implique une modification du<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082107 Témoignage paru dans Spiegel et cité dans Libération du 5.10.1998.2108 . C. AMBROSELLI, L'Ethique médicale, Paris, préc., pp. 50-52.2109 . Ibid., p. 92.2110 . Cité par Cité par Claire AMBROSELLI, Ibid., p. 99.2111 Jean-Michel ELCHARDUS estime que « c'est davantage le problème de ces consentements biaisés qui sepose en milieu pénitentiaire que le refus net de tout soin », in Actes de la 20e Conférence de RecherchesCriminologiques, Conseil de l’Europe, novembre 1993 p. 75 et s.2112 Nations-Unies, A/CONF.56/9, p. 29-31.2113 Ibid., p. 31.


comportement ou une action thérapeutique 2114 ». Le CPT a formulé les mêmes recommandations en1993 2115 .420La jurisprudence européenne n'a pas connu d'affaires posant des questions concernant desexpérimentations, de surcroît, effectuées sur des détenus. Mais de telles questions ont préoccupé leComité européen pour les problèmes criminels (CDPC) et le Comité européen de la santé (CDSP).Leurs travaux ont donné lieu à la Recommandation R(98)7 relative aux aspects éthiques etorganisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, adoptée par le Comité des Ministres en1998. Sa disposition n°74, tout en renvoyant à la Recommandation n R(90)3 sur la recherchemédicale sur l'être humain, notamment à celle qui prévoit que ces personnes ne doivent faire l'objetd'une recherche médicale que s'il en attendu un bénéfice direct et significatif pour leur santé(principe n° 7), apporte certaines précisions. Elles visent à ce que les principes énoncés dans le textede cette dernière soient correctement appliqués aux détenus : le détenu ne devrait pas être incité à seprêter à la recherche médicale dans l'optique d'éventuels privilèges ; il doit avoir la possibilité derevenir sur son consentement à tout moment ; les procédés expérimentaux doivent avoir étéapprouvés par un comité d'éthique approprié indépendant. Enfin, les Règles pénitentiaires (2006),outre la soumission des détenus à des expériences sans leur consentement, interdit également lesexpériences, y compris avec consentement, « pouvant provoquer des blessures physiques, unesouffrance morale ou d’autres atteintes à leur santé doivent » 2116 .Les droits grec et français interdisent également les expériences médicales sur les détenus.Le droit français les autorise seulement dans le même cadre que la Recommandation R(90)3 précitéedu Conseil de l’Europe. A savoir, que « s'il en est attendu un bénéfice direct et majeur pour leursanté », (art. D 363 CPP 2117 ). Le droit grec reprend, quant à lui, dans l’article 24 du Code dedéontologie médicale, la plupart des garanties de la Convention sur les droits de l'homme et labiomédecine (1997). Quant à la participation des détenus à des recherches médicales et expériencesmédicales, le doit pénitentiaire l’entoure des garanties supplémentaires à celle du consentement.Même si la personne a donné son consentement, il interdit toute intervention médicale ou expériencemédicale qui peut mettre en danger la vie, l’intégrité physique ou la santé physique ou psychique ouqui portent atteinte à la dignité de la personne (art. 29 § 1 C. pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082114 Ibid., p. 29-31.2115 En ce qui concerne la participation des détenus à la recherche médicale, il est évident qu'une approche trèsprudente s'impose ; leur accord risque d’être faussé par la situation pénale, CPT/Inf (93) 12, 3e rapport générald'activités du CPT, préc.2116 Règles pénitentiaires européennes, (règles 48-1 et 48.2).2117 Conformément à l’article L. 209-5 du Code de la santé publique, les détenus ne peuvent être sollicités pourse prêter à des recherches biomédicales que s'il en est attendu un bénéfice direct et majeur pour leur santé. Leconsentement est recueilli selon les modalités prévues par les articles L 209-9 et L. 209-10 du même Code».


Les interventions médicales dans le but de traiter certains détenus comme ceux condamnéspour des infractions sexuelles soulèvent des questions comparables.4212. Les traitements médicaux des délinquants sexuelsSi la conception de la délinquance en général comme une pathologie est en recul depuis desannées '70, il n'est pas de même de la délinquance sexuelle. Celle-ci continue d'être ouvertementperçue comme étant liée à des problèmes de pathologie médicale 2118 . D'où l'appel de la justice à lamédecine, et surtout à la psychiatrie, de lui prêter son concours pour traiter les détenus condamnéspour des infractions sexuelles. En effet, durant tout le XX e siècle, leur ont été appliqués destraitements chirurgicaux (castration), psycho-chirurgicaux (lobotomie), chimiques (du bromurejusqu'à l'éléctroconvulsion dite TEC, en passant par toute sorte des tranquillisants et médicamentsagissant sur l'humeur), biologiques (implantation des granules de stilboestrol ou l'hormonothérapie)et psychosociaux.Or, ces traitements ne sont pas sans soulever des problèmes d'éthique importants, en raisonde leur but, qui n'est pas exclusivement thérapeutique, des risques qui ne sont pas totalement connus,mais aussi des questions concernant le respect effectif du consentement libre et éclairé.But non exclusivement thérapeutique. Ces traitements visent également la prévention de larécidive par la modification du comportement sexuel et social ou par la simple docilité de cespersonnes. L'OMS a mis en évidence ces buts en soulignant en particulier : que la psychochirurgieconsiste à « mutiler irrémédiablement des zones critiques du cerveau en vue de modifier lecomportement 2119 » ; que l'electroconvulsion (TEC), « traitement appliqué ostensiblement à des finsthérapeutiques, il sert, en fait, de moyen de contrainte 2120 » ; que les tranquillisants visent à rendre lesdétenus dociles en réduisant les capacités intellectuelles et affectives 2121 . Des psychiatres quiexercent en milieu pénitentiaire admettent que les traitements psycho-sociaux poursuivent égalementun but social : « On ne peut espérer au mieux qu'une meilleure adaptation aux contraintes socialesmais non une guérison 2122 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Risques non totalement connus. Ces traitements sont controversés par le milieu médical enraison également des risques qu'ils présentent pour l'intégrité physique et mentale de la personne 2123B. GRAVIER, C. <strong>DE</strong>VAUD, « Délinquance sexuelle. Etats des lieux », Nervure, T. VIII, n°7, p.14.2119 Nations-unies, A/CONF.56/9 : « Aspects sanitaires des mauvais traitements intuitivement infligés auxprisonniers et détenus », préc.2120 Ibid.2121 Ibid. p. 20.2122 Principes, 1991 cités par Jean-Michel ELCHARDUS, Actes de la 20e Conférence de RecherchesCriminologiques, préc., p.78.2123 Ibid.


422au point de soulever des questions identiques pour les expérimentations. « C'est un débat qui rejointde très près celui de la bioéthique : le progrès de la science ou la protection de la société permettentellestoutes les dérives ? », s'interrogent B. Gravier, et C. Devaud à propos de l'hormonothérapie 2124 .L’OMS a souligné : que des traitements chimiques, biologiques et psycho-chirurgicaux (comme lebromure, le chloral, le paraldéhyde et les premiers barbituriques), ont été utilisés longtemps (lebromure pendant 100 ans) avant que des études relèvent qu'ils entraînent une intoxicationchronique 2125 ; que la TEC entraîne des fractures de vertèbres par compression et d'autresfractures 2126 ; que la castration et la lobotomie constituent des atteintes évidentes à l'intégritéphysique et mentale de la personne. Même l'hormonothérapie relève toujours du domaine des essaisthérapeutiques 2127 . L'OMS estime que s'agissant des traitements tant soit peu controversés (comme laTEC 2128 , de la lobotomie 2129 , de la castration 2130 ) ne doivent pas être appliqués aux détenus.Le Conseil de l’Europe n’interdit pas l’usage de certains de ces procédés, à tout le moins,dans le cadre de traitement de la maladie mentale. Concernant les électrochocs et la lobotomie,l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe dans sa Recommandation 1235(1994) relative à lapsychiatrie et aux droits de l'homme prévoit seulement qu'ils soient pratiqués avec le consentementéclairé de l'intéressé 2131 . Quant au TEC, le CPT ne le condamne que lorsqu'il est appliqué dans sa« forme non atténuée » à savoir sans anesthésiques et myorelaxants. Appliqué dans cette forme, il leconsidère comme une méthode « dégradante » à la fois pour le patient et pour le personnel concernécar il entraîne des fractures et autres conséquences médicales fâcheuses 2132 .Efficacité douteuse. L'application des traitements chimiques et biologiques repose surl'hypothèse que la délinquance sexuelle serait corrélée avec une hyper sexualité non maîtrisée et uneélévation du taux de testostérone qu'il suffit alors de diminuer par l'hormonothérapie oul'implantation des granules de stilboestrol ou la faire disparaître par la castration. Mais cette<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2124 Ibid., p. 17 et s.2125 Nations-unies, A/CONF.56/9, préc., p. 20.2126 Ibid.2127 A propos de laquelle, les médecins B. Gravier et C. Devaud notent : « Il est intéressant de constater queprès de quarante ans après l'introduction de l'hormonothérapie (introduits aux Pays- Bas, au Royaume-Uni, enAllemagne, en Belgique, en Scandinavie et en Suisse dès 1950), le Comité consultatif National considère quecelle-ci relève du domaine de l'essai thérapeutique estimant qu'on connaît mal la totalité des effets » B.GRAVIER B. <strong>DE</strong>VAUD C., « Délinquance sexuelle. Etats des lieux », préc., p. 17.2128 « ...On ne devrait pas lui appliquer pendant qu'il est en prison, même s'il est consentant, la TEC ou toutautre traitement médical tant soit peu controversé », Nations-unies, A/CONF.56/9, préc., p. 22.2129 C'est la thérapie la plus controversée ; elle ne doit pas être appliquée aux détenus, Ibid.2130 Vues partagées sur sa justification morale; considéré comme moyen de maîtrise du comportement sexuelaberrant et d'efficacité douteuse. Dans certains pays la castration est appliquée aux détenus coupables de délitssexuels répétés; dans d'autres, la castration à des fins autres que celle consistant à remédier à une maladieorganique est considérés comme acte préjudiciable et un crime. Entre 1929 et 1959, 900 castrations ont eu lieuau Danemark, Ibid.2131 « La lobotomie et la thérapie par électrochocs ne peuvent être pratiqués que si le consentement éclairé a étédonné par écrit par la patient lui -même ou par une tierce personne et si la décision a été confirmée par uncomité restreint qui n'est pas composé uniquement d'experts psychiatriques ».2132 CPT/Inf(98)12, 8ème Rapport général d'activités du CPT, préc.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


423hypothèse n'est pas convaincante. La récidive, pour être moindre que chez les autres détenus libérés,n'est pas inexistante. Des études psychosociales ont montré que la délinquance sexuelle n'est pas dueuniquement à des problèmes biologiques mais aussi à de multiples facteurs psychologiques etsociaux. Selon une typologie établie chez les violeurs, le viol peut être expliqué par la recherche dupouvoir, la rage, le sadisme et le comportement antisocial 2133 . Quant aux traitements psycho-sociaux,leur efficacité serait entravée non seulement par l'absence d'un consentement intègre 2134 , mais aussipar la classification criminologique des délinquants sexuels qui est fondée exclusivement sur l'acte etnon sur des critères médicaux 2135 .Consentement vicié. Il est en effet évident que du moment où une libération anticipée dépendessentiellement ou même accessoirement de l'évaluation clinique du progrès dans la maîtrise despulsions sexuelles, le détenu est poussé à consentir à se soumettre aux traitements proposés : « Leprisonnier qui se porte volontaire est mu par l'espoir de se voir appliquer une sentence plus légère oude se libérer plus tôt », note l'OMS 2136 .Ce problème est au centre des débats en France, depuis la loi du 17 juin 1998 2137 qui aintroduit l’obligation des soins dans la mesure du sursis avec mise à l'épreuve, du suivi-sociojudiciaireet de la mise en libération conditionnelle 2138 , appelés par Jean Pradel des « sanctionsambulatoires » 2139 . Or cette obligation pour ne pas être explicitement forcée, n'en soulève pas moinsdes problèmes éthiques puisque de l'engagement de l'intéressé à s'y soumettre dépend sa mise enliberté, et du respect de son engagement, son maintien en liberté. Ce débat est depuis lors récurrent.Il est revenu à l’actualité depuis 2007, à propos de la loi sur la récidive qui a étendu l’injonction desoins à d’autres infractions 2140 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2133 Mc Kibben 1993, J. M., ELCHARDUS Actes de la 20e Conférence de Recherches Criminologiques, préc.,p. 66.2134 « Il est bien difficile pour un thérapeute d'accepter l'idée que l'on doit soigner quelqu'un chez qui toutindique qu'il n'en a aucune envie et qu'il n'en ressent aucun besoin, hormis le bénéfice qu'il pourrait en réitérerauprès de la justice. », B. GRAVIER, C. <strong>DE</strong>VAUD, « Délinquance sexuelle », préc., pp. 14-15. Ce problèmeexposé au Conseil de l'Europe par Jean-Michel ELCHARDUS Actes de la 20e Conférence de RecherchesCriminologiques, préc.2135 « Une approche psychopathologique précise met en évidence le manque de pertinence des catégories<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008fondées exclusivement sur l'acte », Ibid., p. 66.2136 Nations-Unies, A/CONF.56/9, préc.2137 Loi n°98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'àla protection des mineurs.2138 La loi du 17 juin 1998 qui renforce la répression des infractions sexuelles ainsi que la protection desvictimes, institue une nouvelle réponse pénale : le suivi socio-judiciaire. Il est l’aboutissement d’un parcoursdébuté en 1994 par la loi n°94-89 du 1er février 1994 qui prévoit que les auteurs d’agressions sexuellesexécuteront leur peine dans des établissements pénitentiaires adaptés et met en place l’expertise de prélibération obligatoire prenant en compte l’orientation vers un suivi thérapeutique.2139 J. PRA<strong>DE</strong>L, Droit comparé pénal, 2 e éd., Paris, Dalloz, 2002, p. 768.2140 Loi n° 2007-1198 du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs etdes mineurs.


424Au niveau européen, la question du traitement des délinquants sexuels n'a pas encore donnélieu à une prise de position claire. Dans la Recommandation R(98)7 du Comité des Ministres 2141 , ilest simplement prévu qu'un traitement soit « proposé aux délinquants sexuels » (Règle n° 54). Ce quiest largement insuffisant comme précaution pour résoudre les problèmes signalés. Quant à la Cour,elle n'a pas encore été saisie de telles questions. Mais nous estimons que les critères qu'elleappliquera doivent être au moins ceux appliqués à propos des traitements imposés aux maladesmentaux. Concernant ces derniers, rappelons que cette instance considère qu'un traitement imposé nepeut être compatible avec l'article 3 de la Convention que sous une triple condition : que lestraitements poursuivent un but thérapeutique ; qu'ils soient « communément admis » par le milieumédical ; et qu'ils soient administrés conformément aux règles communément admises(Commission 2142 et Cour 2143 ).Mais il est à souligner que que, quel que soit le type de traitement, s'il n’atteint pas le seuilminimum de gravité requis pour constituer un état contraire à l’article 3 de la Convention, il peut êtrecontraire à l'article 8 de la Convention. En effet, si l'on tient compte de la jurisprudence constante dela Cour relative à l'application de l'article 8, la soumission à l'obligation des soins sous la menace dela privation de liberté, doit être considérée comme une ingérence forcée dans la sphère de la vieprivée 2144 . Elle doit alors donner lieu à une appréciation individualisée. C'est à-dire-elle ne peut pasêtre justifiée par la seule appartenance à une catégorie de délinquants. Elle ne pourra être justifiéeque : si la personne présente une pathologie et un danger suffisamment graves ; si les moyens ne sontpas disproportionnés aux buts poursuivis ; et s'ils ne présentent aucun risque ou doute de risque sur lasanté et l'intégrité physique ou mentale de la personne concernée.Toujours est-il que ces traitements, tant soit peu controversés, posent une question d'éthiquegénérale : la justice et, à travers elle, une société qui se veut démocratique, a-t-elle le droit d'utilisertous les moyens à sa disposition pour traiter le problème de la délinquance ? Elle pose aussi unequestion d'éthique médicale. Comme l'a souligné Jean-Michel Elchardus dans son rapport présenté àla 20e conférence de recherche criminologique organisée par le Conseil de l'Europe : « Dans ledomaine de la santé mentale, l'adaptation du sujet à son milieu est évidemment un élémentimportant ; mais le but premier d'un soin reste malgré tout la guérison ou au moins le soulagement<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>d'une souffrance 2145 ».<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082141 Recommandation R(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieupénitentiaire, préc.2142 Décision J.-C.C/France, du 11 mais 1994.2143 CEDH, Herczegfalvy c. Autriche, préc. ; CEDH, Naoumenko c. Ukraine, préc. ; CEDH, Nevmerjitski c.Ukraine, préc.2144 CEDH, B. c. R.U, préc.2145 Ce problème a été exposé au Conseil de l'Europe par Jean-Michel Elchardus, Actes de la 20e Conférencede Recherches Criminologiques, préc., p. 62.


425*Quoi qu’il en soit, la prison est un lieu critique pour le respect de l’autonomie de la personnede même que pour son intégrité physique et mentale. L’étude de l’ensemble des aspects constitutifsde la notion de dignité, à tout le moins de ceux susceptible d’entrer dans le cadre de l’article 3 de laConvention, ont montré la grande difficulté de respecter la dignité de la personnes en détention. Sibien que la Cour est allée jusqu’à légitimer un écart dans le respect de la dignité des personnes endétention par rapport aux personnes libres. A l’instar de la justification des restrictions plus amplesdans le respect des droits à protection relative, à savoir soumis à des dérogations, elle admet commecompatible avec l’article 3 un degré de souffrance et d’humiliation inhérent à toute détention. Elleélève donc, par rapport aux atteintes à l’extérieur, le seuil de gravité des atteintes aux détenusconstitutif de traitements contraires à l’article 3. Le niveau de seuil peut parfois monter très haut,jusqu’à mettre en danger la vie ou l’intégrité de la personne.Soulignons à ce propos que l’OMS s’interroge sur la difficulté de déterminer la notion depeines ou traitement inhumain ou dégradant, s’agissant des atteintes aux détenus. Car « l’expériencede la prison peut être désagréable dans son ensemble », en raison entre autres, de la privation liberté,de la réprobation de la société, de l’isolement de la personne de sa famille et de ses amis, desconditions sanitaires, notamment du manque d’intimité et des risques pour l’intégrité physique àcause de la cohabitation non choisie avec des co-détenus 2146 .Dès lors, nous pouvons nous poser la question de savoir si la Convention parviendra àconstituer cet instrument qui mettra des limites claires et efficaces aux exigences de la justice pénaleen général et à la peine privative de liberté en particulier afin de la rendre conforme au principe delégalité : à savoir sa limitation à la privation de liberté physique.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082146 Nations-Unies, A/CONF.56/9, préc.


426CONCLUSION PARTIE 1L’apport de l’application des droits de l’homme étudiés dans cette première partie dans lalimitation du sens de la peine privative de liberté est inégal. Si au regard du droit à la libertéphysique et au droit à la vie, nous sommes restés dans la logique de la recherche du degré de contrôlephysique que cette peine peut atteindre, au regard de l’interdiction de mauvais traitements, noussommes passés à la recherche de la nature même de cette peine.Précisément, concernant le droit à la vie, nous avons pu constater que malgré la dérogationprévue au sein de l’article 2, la Cour a pu poser des limites et des garanties importantes autour desnotions de légitime défense, d’obligation de sécurité, de protection contre la mise en danger de la vie,et de volet procédural de la protection de l’article 2. Ainsi, pour utiliser la force mortelle en cas detentative d’évasion, cette instance a demandé le concours des circonstances supplémentaires prochesde celles de la légitime défense prévues par le droit commun à savoir le droit pénal. Elle a, en outre,étendu l’application de l’article 2 à la mise en danger de la vie et a renforcé les obligations positivesdes Etats en matière de sécurité en raison de la dépendance totale des détenus des autoritéspénitentiaires. Elle a également dégagé une violation procédurale de l’article 2 en raison de l’absencede recours efficace permettant d’élucider les conditions d’une mort, d’établir les responsabilités et depunir les responsables.L’importance de l’application du droit à la liberté est également à souligner. La Cour aétendu son application aux détenus privés de leur liberté suite à une condamnation pénale régulière.En effet, l’extension de l’application de cet article est marquée par des notions dégagées par la Cour,comme celle d’état privatif de liberté, de temps pénal évolutif, de lieu de détention approprié ou derégime de détention ordinaire. La jurisprudence européenne a ainsi consacré une approche de lalégalité à la fois temporelle (celle-ci serait évolutive rendant concevable que le maintien en détentionau-delà d’une certaine période risque de devenir arbitraire car rompant avec les motifs de lacondamnation initiale), et matérielle (fondée sur le caractère approprié ou pas du lieu de détention auregard des objectifs visés par chaque type de détention prévus par l’article 5 de la Convention).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Cependant si ces évolutions sont incontestablement positives, leur application demeure marginale.La jurisprudence européenne n’a cherché, ni à définir en termes positifs en quoi consiste oudevrait consister la peine privative de liberté ni à mettre des limites dans les degrés que la privationde la liberté de mouvement puisse atteindre, y compris devant l’isolement. L’application de l’article5 à des demandes de transfert vers un établissement de détention approprié est réservé à des motifsmédicaux. Le caractère évolutif n’est pas clairement reconnu à tous les types de condamnation.


Des évolutions sont alors souhaitables dans ces domaines mais aussi dans le domainesuivant. Pour l’instant, si la Cour demande le contrôle de la légalité de la détention au nom ducaractère évolutif de la peine, elle le fait en considérant que c’est le passage d’un état de détentionvers un état de liberté qui est en jeu. Même si elle reconnaît, s’agissant de la sortie de la détentionsous le régime de libération conditionnelle que la personne n’est pas juridiquement libre. Elle auraitalors gagné en cohérence et éviter des éventuels malentendus, en ayant recours au motif de lieuapproprié d’exécution de la peine privative de liberté. Elle serait fondée sur une approche matériellede la légalité de la détention. A l’instar de la détention des jeunes et des toxicomanes dans une prisonordinaire, le maintien en détention au-delà d’un certain temps peut rendre la détention illégale, aumotif de lieu de détention inapproprié au regard des objectifs assignés à la peine : punir et réinsérer.Si le premier objectif peut dans une première phase justifier l’exécution de cette peine en détention,le lieu le plus approprié pour le second est incontestablement le milieu ouvert ou semi-ouvert. Decette manière, se clarifierait également le lien entre la peine privative de liberté et la prison : celle-ciserait clairement perçue comme une des modalités d’application de la peine privative de liberté, àsavoir la plus contraignante qui, avec le temps devrait être succédée par des modalités d’exécution deplus en plus allégées.Par ailleurs, cela offrirait une assise autre que l’article 3 pour libérer les personnes incapablesà subir une détention ordinaire en raison de handicaps ou des maladies. La prison n’est pas pour euxni un lieu approprié ni ne représente le même degré de contrainte que pour les personnes en étatphysique et de santé normaux. Ne serait-ce que parce que les premiers ne peuvent pas exécuter leurpeine en régime de détention ordinaire caractérisée par une certaine mobilité dans la prison et unecertaine vie collective. Pour les personnes à mobilité réduite, le degré de la privation de liberté estnettement supérieur par rapport aux personnes de condition physique normale.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Mais cela implique l’introduction dans le raisonnement de la légalité matérielle de ladétention de l’élément de degré de contrainte. A part la mort, tout le raisonnement consistant àdéterminer les atteintes aux droits de l’homme est question de degré, y compris la définition decertains parmi eux comme l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants. Ilssont définis en se référant au degré d’atteinte à l’intégrité de la personne. D’ailleurs la définition de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008la privation de liberté, elle-même, est question de degré comme l’a admet la Cour en le comparant àla liberté de circulation. Dès lors l’élément de degré devrait également être introduit dans ladétermination du contenu que la privation de liberté puisse atteindre. Elle servirait ainsi de faire durégime de détention ordinaire la norme de référence de la légalité matérielle. Ce qui aurait permis decontester aussi bien l’application des régimes de sécurité renforcée et d’isolement carcéral que lemaintien en détention des personnes à mobilité réduite.427


428La question justement du maintien en détention des personnes ayant des problèmesphysiques ou de santé importants, nous amènent à la question de l’application de l’article 3. Ellenous amène à poser d’abord cette question : par quelle logique, quel cheminement intellectuel,sommes-nous amenés à parler des limites des atteintes à l’intégrité physique et à la santé compatiblesavec l’interdiction des mauvais traitements ? Alors qu’il ne s’agit que d’une peine à propos delaquelle il ne devrait être question de saisir que les contours de la privation de la liberté d’aller etvenir.Qu’avons-nous constaté à propos de l’application de l’article 3 ? La prison est un lieupathogène. Il génère des suicides plus nombreux qu’à l’extérieur, une détérioration de la santé, uneexposition à des risques de contamination de maladies, à des violences non seulement par lesimpératifs de la sécurité de ce lieu fermé et collectif mais aussi par la cohabitation forcée. Demanière générale, la prison est un lieu de souffrance, d’humiliation, de stress, de tensions, defrustration et de manque d’affection. Voilà les dimensions qu’atteint encore aujourd’hui la peineprivative de liberté lorsqu’elle s’exécute dans la prison. Ce lieu est alors un bras de fer permanent àla dignité humaine.Qu’a pu apporter l’application de l’article 3 ? Limiter l’usage de la force à la mesurenécessaire, améliorer les soins, augmenter la vigilance du personnel lors du choix des co-détenus dela cellule, juridictionnaliser le recours à l’isolement et le recours dans certains cas à la sanctiondisciplinaire de « mitard », mettre à la disposition des personnes handicapées physiques des fauteuilsroulants ou, dans quelques cas rares, libérer les grands malades. Ces garanties permettent-ellescependant d’affirmer que la dignité du détenu est préservée et que celui-ci n’est privé que de saliberté d’aller et venir ? Permettent-elles d’écarter l’accusation portée dans le passé que la « prison »est une peine corporelle, si ce n’est au détriment du niveau de protection de l’article 3. C’estmalheureusement au prix d’une interprétation compromettant la force de la protection del’interdiction de mauvais traitements que la Cour parvient à concilier cette interdiction avec lesconditions de vie et les divers traitements dans la prison.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais si les textes des droits de l’homme ont, à un moment de l’histoire, celui de leurdéclaration le lendemain de la deuxième guerre mondiale, entériné la compatibilité de la peineprivative de liberté, y compris sous la forme de détention, avec la nature de l'homme et les valeursfondamentales des sociétés démocratiques, la prison peut-elle et doit-elle perdurer alors quel’exigence pour le respect des droits de l’homme devient, comme le souligne la Cour, croissante et laconception de la peine est passée de celle de prison à la peine privative de liberté ?Rappelons que la Cour a bien été amenée à considérer que trois coups de verge trois et troiscoups de chaussure de gymnastique à semelle de caoutchouc portés à des élèves à titre de sanction


429scolaire sont des peines corporelles même sans conséquences physiques importantes 2147 . La prisonavec l’armada de ses conséquences, en serait-t-elle épargnée ? La prison telle qu’elle fonctionneactuellement et même dans son meilleur fonctionnement possible matériel est nocive. Dans lecourrier de l’Unesco, on parle d’effets « irréparables », dès 1954 2148 . En 1976, le Conseil de l’Europereconnaissait, dans une Résolution, que la prison est un lieu pathogène. Les effets détériorant la santése manifestent dès les premiers jours, pour commencer à devenir irréversibles au bout de quatre à sixans ( 2149 ). Le CPT reconnaît que « le bien-être physique et psychologique d'un détenu est déjà mis àl'épreuve par le simple fait de son incarcération »; d'autre part, il estime, comme nous l’avons noté,que « garantir un niveau satisfaisant de soins médicaux dans une prison sera toujours tâchedifficile 2150 ». La Cour elle-même reconnaît comme inévitable un certain degré de tellesconséquences 2151 .Nous estimons à l’issue de l’étude sur l’étendue de l’application des droits de l’hommeconcernant la condition physique et la santé de la personne détenue que non seulement le principeselon lequel la peine privative de liberté devait être la privation de la liberté d’aller et venir estintenable mais aussi que la société démocratique entière est mise à l’épreuve. Qu’en est-il du sens etdes limites de la peine privative de liberté au regard de l’application des autres droits de l’hommerelatifs à la protection des aspects de la vie de la personne qui ne sont pas forcément liés à sacondition physique à savoir, des droits relatifs à la vie privée, économique et socio-politique ?<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082147 Respectivement dans l’arrêt Tyrer c.R.U. et l’arrêt Costello-Roberts c. R.U., précités.2148 The Unesco Courrier, n° 10, 1954, « Prisoners are People : When the Punishment too becomes a Crime »,p. 10.2149 « Troubles émotifs, troubles de la compréhension et du jugement, modification du comportement setraduisant par une régression vers l'infantilisme et troubles affectant les relations sociales », Projet de Rapportgénéral sur le traitement des détenus en détention de longue durée, Rapport, 18 août 1975, CDPC, Conseil del'Europe, p. 8.2150 . CPT 92(3), Rapport de visite, France, du 27 octobre au 8 novembre 1991, § 162.2151 CEDH, Tyrer c.R.U., préc. ; CEDH, Costello-Roberts R.U., préc. ; CEDH, T. c. R.U, [GC], préc., § 69.


430<strong>DE</strong>UXIEME PARTIE. UNE PEINE A DIMENSION MULTIP<strong>LE</strong>RESTRICTIVE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> LIBERTE AU <strong>SENS</strong> <strong>LA</strong>RGE<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


431Avec l’étude des droits relatifs à la sphère de la vie privée, la vie économique, la vie sociale, lavie intellectuelle et politique consacrés par les articles 8 à 12 de la Convention et certains protocoles,nous montrerons que la peine privative de liberté dépasse de loin les conséquences physiques dans lavie de la personne. Celles-ci s’étendent à tous les aspects de la vie, et donc à la liberté au sens large.Alors qu’à l’exception de l’interdiction de l’esclavage et du travail forcé ou obligatoire, lapeine privative de liberté ne justifie une quelconque interprétation spécifique de ces droits, puisqu’ilsne se réfèrent ni explicitement ni implicitement au statut du détenu ou à la peine, ces droitsconnaissent des restrictions spécifiques à l’égard des détenus. De manière générale, ils connaissent desrestrictions contextuelles, celles fondées sur le fonctionnement interne de la prison, dans la mesure oùla Cour justifie des restrictions des droits de l’homme dans la prison plus amples qu’à l’extérieur. Sibien que ce lieu, censé n’être qu’un simple moyen d'exécution de la peine privative de liberté,contribue-t-il indirectement, mais certainement, à aggraver la situation légale des détenus, en étendantles restrictions à tous les droits et libertés composant la liberté au sens large. Certains de ces droitsconnaissent également des restrictions inhérentes à la peine en tant que prolongements desconséquences physiques directes. Cela est clair dans la mesure où l’exercice de certains droitsnécessite la présence physique et la mobilité de la personne (comme par exemple, la communauté de lavie familiale, l’exercice d’une profession libérale ou salariale, les suivi des études nécessitant laprésence physique, etc). S’y ajoutent des restrictions explicitement supplémentaires, au titre soit desanctions pénales complémentaires ou accessoires, soit de conséquences collatérales prévues pardifférentes branches du droit national (civil, commercial, électoral, etc). Enfin, en examinant de prèsles restrictions de ces droits et libertés, il ressort que derrière, mais aussi au-delà de ces motifs, nombrede restrictions ne sont ni inhérentes à l’objet de cette peine ni au fonctionnement interne de la prisonen tant que lieu de vie collective. Elles sont intrinsèquement liées à la conception multifonctionnellede la peine dépassant celle de sanction d’une infraction proportionnée à la gravité de cette dernière.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...En effet, en recensant la nature des motifs invoqués, l’organisation de l’exécution de cettepeine reflète la recherche des fonctions suivantes. Une fonction sécuritaire entendue dans un senslarge dépassant la prévention de nouvelles infractions par l’effet de la dissuasion intrinsèque à lapunition. L’objectif sécuritaire est conçu en temps réel et a un objectif total : empêcher matériellementle détenu, par des moyens techniques, d’avoir la possibilité de commettre de nouvelles infractions etmême de perturber la tranquillité de la vie, tant dans la prison, qu’à l’extérieur. Empêcher nonseulement l’évasion, mais aussi les contacts non contrôlés avec l’extérieur ou encore l’expressionpublique par la presse ou par d’autres moyens. Ce que montrera notamment l’étude des droits à la vieprivée et familiale. Leur étude montrera aussi que pour être réalisé, ce but degré zéro d’insécurité ilUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


432implique un degré d’ingérence dans la vie privée, à savoir une surveillance, un contrôle, uneobéissance et une transparence propres aux régimes politiques, à l’opposé de régimes démocratiques.L’étude des droits relatifs à la vie sociale, civile et économique de l’individu confirmera etaccentuera ce fonctionnement de la prison mais aussi celui de la conception de la peine commeréduction de l’homme non seulement à l’impuissance physique mais aussi à l’impuissance sociale etpolitique. Ces conséquences, dès lors qu’elles visent à priver le condamné de droits pouvant servir decontre-pouvoirs face à l’Etat, en le privant de l’autonomie de gérer ses affaires, ses relationsfamiliales, amicales, sociales, seraient inscrites dans l’esprit de la mort civile qui accompagnaitexpressément les différentes peines d’emprisonnement, il y a encore quelques décennies ; elle-mêmetiendrait ses origines de la peine d’ergastule qui réduisait le citoyen au statut d’esclave.S’y ajoutent des motifs liés à la conception de la peine privative de liberté comme souffranceopposée à tout idée de confort et de plaisir. Ce que montrera l’étude de l’application aussi bien decertains aspects de la vie privée, notamment la vie affective et sexuelle, que la gestion des biensnotamment dans le domaine de la consommation. En même temps que la privation d’autonomie, lesrestrictions corrélatives visent à la privation de toute source de confort et de plaisir.S’y mêlent enfin des motifs relatifs à une conception de peine comme expression d’unehumiliation publique, comme marque d’indignité citoyenne. Ce que mettra en évidence l’étude enparticulier des droits politiques et de la liberté d’expression.Seule la conception de la politique de traitement est nettement réorientée vers un sens non plusde changement de la personnalité mais comme mise en œuvre des moyens tendant à la réinsertionsociale et professionnelle des personnes condamnées. Ce que montrera l’étude notamment des droitsrelatifs à l’éducation, la formation, l’information ou encore des croyances religieuses.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Lors de l’application de l’ensemble de ces droits de l’homme en prison, il serait alors questionnon seulement de restrictions plus amples qu’à l’extérieur, mais des restrictions les plus amples dansune société démocratique. Des restrictions qui vont jusqu’à la mise à l’épreuve de la sociétédémocratique. Si le seuil d’équilibre entre droits individuels et intérêt collectif s’écarte trop par rapportà l’extérieur, au point de toucher la substance de ces droits, il s’agit d’atteintes aux droits et libertéspropres des régimes politiques non démocratiques. C’est tout l’enjeu de ces droits et libertés dontl’exercice implique le respect d’un degré d’autonomie et d’intimité opposés au contrôle, à tout lemoins, au contrôle préventif et systématique, et à la pan-surveillance. En premier lieu, se trouventindiscutablement les droits relatifs à la sphère de la vie privée dont l’exercice est caractérisé par leséléments diamétralement opposés : l’autonomie et l’intimité. Les droits corrélatifs visent à garantir à laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


433personne d’être maître de soi-même et maître chez-soi (Titre I). L’application des droits relatifs à lavie économique, à l’activité professionnelle et à la gestion des biens, dans la mesure où l’autonomie dela personne passe également par son autonomie économique, contribuera à déterminer si et dans quellemesure la peine privative de liberté est régie par une conception comme une privation de toute sourcede contre-pouvoirs et donc d’autonomie au sens large (Titre II). Enfin, l’étude de l’application desdroits de l’homme relatifs à la vie politique, intellectuelle et sociale, montrera que, alors que lacondition physique du condamné n’implique pas inévitablement les restrictions de tels droits, et nemet pas en cause la sécurité physique ni dans la prison ni dans la société, elle garde néanmoins destraces d’ostracisme : ne sont souhaitables dans la cité, ni la présence physique ni celle des idées etopinions des condamnés (Titre III).A propos de l’ensemble alors de ces droits, il convient de déterminer quelles sont les limitesposées par la jurisprudence de la Cour et quelles sont les perspectives d’une évolution vers une plusgrande limitation du sens de la peine privative de liberté au nom de la légalité des peines et de lasociété démocratique.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


434TITRE 1<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE <strong>DE</strong>TERMINE PARL’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> SPHERE <strong>DE</strong> VIE PRIVEEAu sein de ce premier titre, nous étudierons les droits relatifs au respect de la vie privée : la vieprivée au sens strict, au sens du respect du domicile, de la vie familiale et de la correspondance, telsqu’ils sont consacrés par l’article 8 de la Convention. Bien qu'il s'agisse de droits n'incluant pas dansleur énoncé de clause mentionnant le détenu ou la peine, ils sont pourtant ceux qui démentent le plusdirectement la limitation de la peine privative de liberté à la seule privation de la liberté d’aller etvenir. La jurisprudence européenne reconnaît expressément que « toute détention régulière au regardde l'article 5 de la Convention entraîne par nature une restriction à la vie privée et familiale del'intéressé 2152 ». Cela est en effet incontestable au regard du choix du lieu de vie, du mode de vie et del’intimité.Mais la question va encore plus loin que le seul écart dans les restrictions de ces droits parrapport à l’extérieur. Elle va au cœur du sens de cette peine, en tant que privation de liberté au regardde l’organisation de la prison. La vie privée à elle seule exprime l’essence même de la démocratie, àsavoir un système d’organisation de la société fondée sur la distinction de la vie publique de la vieprivée et le respect d’un équilibre entre elles. En effet, la liberté individuelle a été bâtie surl’acquisition des droits visant à protéger une sphère de vie des personnes contre des immixtions del’Etat. Si bien que le principe qui régit la protection de cette sphère de vie est l’abstention du pouvoir ;les immixtions ne peuvent être que de dérogations prévues pour certains motifs et entourées degaranties procédurales. Or, nous verrons que la prison, plus qu’une variation, est l’envers du décord’une telle société. C’est le principe inverse qui régit la relation du détenu avec l’Etat : c’estl’immixtion quasi-totale de l’Etat qui la caractérise ; l’abstention est l’exception, voire que le détenudoive justifier l’intérêt de protéger une partie de sa vie privée. En effet, malgré certaines limites<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...apportées par la jurisprudence européenne, celles-ci sont insuffisantes pour changer aussi bien lefonctionnement structurel de cette institution, que le sens de la peine, à savoir la soumission ducondamné à une dépendance, voire une transparence totale au regard de l’Etat. Les motifs sécuritairesy atteignent leur paroxysme mêlés à la persistance de la perception de la peine comme souffrance,frustration et privation d’autonomie de la volonté. Ce que nous tâcherons de démontrer dans le premierchapitre, en étudiant l’application aux détenus condamnés du droit au respect de la vie privée au sensUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082152 Voir entre autres, D 166/7 (X, Y/Suisse), 3.10.1978, DR 13, p. 245 ; CEDH, Messina c. Italie (n° 2), préc.§ 61 ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 68.


435strict, du domicile et de la correspondance. Ces droits constituent des aspects particuliers de la vieprivée au sens large (Chapitre 1).Dans un second chapitre, nous aborderons l’application, à l’égard des détenus condamnés, dudroit au respect de la vie familiale. Ce droit connaît aussi des restrictions qui font partie de la naturemême de la détention. Mais ces immixtions posent des questions supplémentaires au-delà de la proprecondition du détenu. Le sujet de ces droits et libertés n’est pas « je », il est « nous ». Le niveau deprotection de ces droits à l’égard d’une personne détenue est également déterminant de la protectiond’au moins un autre membre de la famille. Elles posent ainsi la question du respect du principe depersonnalité de la peine. Le respect de ce principe exige que les effets de la peine doivent être limitésà l'auteur de l'infraction ; ils ne doivent pas s'étendre à d'autres membres de la famille. Or, lesconséquences extensives de la peine privative de liberté sur la famille sont trop évidentes pour êtreniées. Rappelons que la Cour n’a pu que s'incliner devant cette évidence, en admettant que « toutedétention régulière au regard de l'article 5 est certes par nature une restriction de la vie privée etfamiliale de l'intéressé 2153 ». Ces dimensions des droits familiaux devraient alors contribuer à leurassurer une meilleure protection que celle assurée aux droits abordés sous le premier titre. Surtout quela protection de la vie familiale devrait être un objectif commun au détenu et à l’administrationpénitentiaire : la famille constitue l’agent primordial, privilégié, dans la réinsertion du détenu qui est lefacteur majeur de prévention de la récidive et donc de la protection de la paix sociale. Qu’en est-ildans la réalité ? Ca sera l’objet du deuxième chapitre auquel nous intégrerons également les droits dese marier et de fonder une famille, puisqu’ils contribuent à la création des liens familiaux(Chapitre 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082153 CEDH, Messina c. Italie (n°2), préc., § 61 ; CEDH, Van der Leer c. Pays-Bas, préc., § 68 ; CEDH,Kalachnikov c. Russie, préc. ; CEDH, Aliev c.Ukraine, préc., § 187.


CHAPITRE 1. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE <strong>DE</strong>TERMINE PAR<strong>LE</strong> RESPECT <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE PRIVEE EN GENERAL436Avec l'examen du droit au respect de la vie privée, nous entrons au cœur de la philosophie desdroits de l'homme. Les propos de certains auteurs reflètent la place centrale de ce droit : la vie privéeest « la plus ancienne et la plus importante des libertés », « le noyau autour duquel se sontdéveloppées des sphères de liberté plus vastes 2154 » ; elle est « le droit le plus sacré et le plusindispensable pour la dignité de l'homme 2155 ». En effet, concernant l'émergence du droit au respectde la vie privée, la doctrine s'accorde à reconnaître qu'il tire ses racines des déclarations des droits duXVIIIe siècle, à travers lesquelles l'individu a commencé à affirmer son pouvoir face à celui de l'Etaten revendiquant la préservation d'une sphère de vie contre les intrusions de l'Etat ou d'autrui 2156 .Cependant, si la protection du Right of Privacy par les tribunaux américains date de 1890 2157 , laconsécration de ce droit, comme droit fondamental, est relativement récente, car postérieure à laseconde guerre mondiale. Cela serait expliqué par le progrès des sciences et des techniques qui ontcréé de nouveaux risques pour la protection de l'intimité 2158 , et par la prise de conscience del'importance de préserver outre la tranquillité, également l'épanouissement des personnes 2159 . M.-T.Meulders-Klein souligne à ce propos que constitue « un saut qualitatif essentiel le passage de laprotection du secret et de l'intimité de la vie privée à l'idée selon laquelle le secret n'est que l'un desmoyens de protéger la liberté individuelle, laquelle n'est à son tour que le moyen d'assurerl'épanouissement personnel de chacun 2160 ». Un événement mérite toutefois une attention particulièredans la prise de conscience de la nécessité de garantir la vie privée en tant que droit fondamental del'homme : le procès de Nuremberg. Ce procès a fortement contribué à ce que l'humanité toute entièreprenne conscience du lien intrinsèque entre la dignité de l'homme et sa vie privée, et donc del'urgence qu'il y avait à renforcer la protection de cette dernière 2161 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2154 . P. KAYSER, La Protection de la vie privée, Paris, Economica, 1990.2155 . KONTAXIS A., Code pénal grec, commenté, Athènes, Sakkoulas, 19872156 . M.-T. MEUL<strong>DE</strong>RS-K<strong>LE</strong>IN, « Vie privée, vie familiale et droits de l'homme », RIDC, préc., p. 771; et P.KAYSER, La protection de la vie privée, préc., p. 45.2157 . Les auteurs sur la vie privée reconnaissent l'origine du droit au respect de la vie privée dans le CommonLaw. M.-T. MEUL<strong>DE</strong>RS-K<strong>LE</strong>IN, « Vie privée, vie familiale et droits de l'homme », RIDC, préc., pp. 767-794.D'après R. BADINTER, the Right of Privacy est implicitement consacré aux Etats-Unis par voiejurisprudentielle, depuis 1890 (WARREN ET BRAN<strong>DE</strong>IS, « Right of Privacy », Harvard Law Review, 1890,p. 196 et s.), et expressément depuis l'arrêt Griswoold rendu par la Cour suprême des Etats-Unis en 1965, « LeDroit au respect de la vie privée », JCP.I.2134-2136, 1968.2158 . P. KAYSER, La Protection de la vie privée, préc., p. 5.2159 . Si bien qu’il ait paru nécessaire d’inclure dans les droits de l'homme « l'ensemble des droits et desfacultés sans lesquels l'être humain ne peut développer pleinement sa personnalité » Ibid., p. 9. et R.BADINTER, « Le droit au respect de la vie privée », préc.2160 . M.-T. MEUL<strong>DE</strong>RS-K<strong>LE</strong>IN, « Vie privée, vie familiale et droits de l'homme », préc., p. 771.2161 . C. AMBROSELLI, L'Ethique médicale, PUF, Coll. « Que-Sais-Je ? », 1988.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


437Le respect de la vie privée est, depuis lors, consacré au niveau international par la Déclarationuniverselle des droits de l'homme : « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée,sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteinte à son honneur et à sa réputation. Toutepersonne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes » (art. 12).Au niveau européen, il est consacré par la Convention européenne des droits de l'homme : « Toutepersonne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance »(art. 8 §1). Il est complété par l’article 12 qui consacre le droit de se marier et de fonder une famille.Avant d'examiner la garantie effective de ce droit aux détenus au sein de la jurisprudenceeuropéenne et au sein des droits grec et français, il convient de souligner d’emblée, dans une sectionintroductive, les défis majeurs que présente son application en prison eu égard à la définition de lavie privée et les garanties exigées dans une société démocratique.PARAGRAPHE INTRODUCTIF : <strong>SENS</strong> ET PROTECTION <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE PRIVEESi le droit au respect de la vie privée est au cœur des droits de l'homme, la privation de ce droitest au cœur de la peine privative de liberté. Cette peine, dans son application actuelle, comporteessentiellement la privation de l'autodétermination et de l'intimité, les deux piliers de la vieprivée (A). Si bien que les principes qui régissent la vie dans ce lieu sont en telle opposition avecceux qui régissent le respect de la vie privée, que la vie en prison pourrait servir de référence pourune définition a contrario de la vie privée (B).A. Définition et garanties de la vie privéeNous présenterons la protection dont jouit le droit au respect de la vie privée et sa définition, toutd'abord, au sein des droits grec et français (1) et, ensuite, au sein de la jurisprudence européenne (2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1. Les garanties exigées par les droits nationauxLe droit au respect de la vie privée jouit d'une protection constitutionnelle, pénale et civile aussibien en droit français (a) qu’en droit grec (b).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008a. Droit françaisProtection constitutionnelle. La reconnaissance du droit à la vie privée comme un droit de valeurconstitutionnelle fut tardive en droit français. Absent du texte de la Déclaration des droits del'homme de 1789, il a fallu attendre la décision du Conseil constitutionnel n°°99-416 DC du 23


438juillet 1999 sur la Loi portant création d'une couverture maladie universelle 2162 , pour qu'une tellevaleur lui soit expréssement reconnue. Jusqu'à cette date, ce droit ne jouissait que d’une valeurlégislative.Protection législative. C'est notamment au sein de la théorie civiliste des libertés fondamentalesque le droit au respect de la vie privée a trouvé un terrain favorable à son élaboration. Comme l'aétabli Robert Badinter, c'est par l'abandon, de la part des tribunaux, de l'exigence d'une faute pourfonder la responsabilité dans les atteintes à la vie privée et par l'acceptation que la seule constatationde l’empiétement emporte présomption de l'existence de préjudice moral et de faute 2163 , que le droitau respect de la vie privée fut consacré comme un droit subjectif. En effet bien qu'on trouve le termede « vie privée » dans l'article 15 al.b de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et que lepremier arrêt de la Cour de Cassation y faisant référence date de 1932 2164 , ce droit n'a été reconnucomme un droit de la personnalité et donc comme un droit subjectif au même titre que le droit àl'image ou à l'honneur, que beaucoup plus tard.C'est seulement en 1970 (loi du 17 juillet 1970), lorsque le législateur français a décidé de suivrela jurisprudence, que le droit au respect de la vie privée a été reconnu. Il est, depuis lors, inséré dansle premier alinéa de l'article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ».Quant à la définition civiliste de la vie privée, elle est bien large. Si nous retenons celle donnéepar Jean Carbonnier, la vie privée inclut une sphère de vie autonome - « Chacun, dès lors qu'il estmaître de ses droits, choisit de vivre comme il lui plaît » - et une sphère de vie intime - « Il siedd'accorder à l'individu une sphère secrète de vie d'où il aura le pouvoir d'écarter les tiers 2165 ».La protection pénale de la vie privée est plus restreinte. D'une part, le champ de sa protection estplus limité. Seules sont expressément protégées, la parole (art. 226-1, 1° C. pén.), l’image (art. 226-<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1, 2° C. pén.) et les informations nominatives (art. 226-22 C. pén.) 2166 . D'autre part, il est requis<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...l'élément intentionnel. L'article 226-1 du Code pénal prévoit qu'il « est puni d'un anUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082162 « Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la Déclaration des droits del’homme et du ciroyen « Le but detoute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droitssont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression » ; que la liberté proclamée par cet articleimplique le respect de la vie privée », Décision n°99-416 DC du 23 juillet 1999 sur la Loi portant créationd'une couverture maladie universelle », (45, Considérant).2163 . J. CARBONNIER, Droit civil, I, Les personnes, Paris, PUF. 1992, p. 129.2164 . Cass. crim. 7 mars 1932, Gaz. Pal. 1932, 2.18, cité par R. BADINTER, « Le Droit au respect de la vieprivée », préc.2165 . J. CARBONNIER, Droit civil, I, Les Personnes, préc., pp. 127-128.2166 Insérée dans le titre relatif aux atteintes à la personne humaine (Titre II) et, précisément, dans son chapitrerelatif aux atteintes à la personnalité (Chapitre VI), la protection de la vie privée est plus restreinte que celleassurée par le droit civil.


d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque,volontairement de porter atteinte à l'intimité de la vie privée d'autrui ».439b. Droit grecProtection constitutionnelle. A la différence de la Constitution française, la Constitution grecqueréserve, depuis 1975, une place importante à la garantie de la vie privée. Celle-ci est considéréecomme le corollaire de la dignité et de la valeur humaine. Plusieurs dispositions de la Constitutionconcourent à sa protection. L'article 9 §1 de la Constitution garantit expressément la vie privée : « Ledomicile est un asile. La vie privée et familiale de l'individu est inviolable... ». Et nombre d’autresdispositions consacrent des aspects précis de la vie privée : « Le droit de développer librement sapersonnalité et de participer à la vie sociale, économique et politique du pays, pourvu qu'il ne portepas atteinte aux droits d'autrui ou aux bonnes mœurs ni ne viole la Constitution » (art. 5 §1) ; « Tousceux qui se trouvent sur le territoire hellénique jouissent de la protection absolue de leur vie, de leurhonneur et de leur liberté » (art. 5 §2) ; « Chacun a droit à la protection de ses données personnellescontre la collecte, le traitement et l’usage notamment par les moyens électroniques conformément àla loi » (art. 9A). « Chacun a droit à la protection de sa santé et de sa carte d’identité génétique »(art. 5 § ) ; « Le secret de la correspondance et de la libre communication par tout autre moyen estabsolument inviolable » (art. 19).La jurisprudence grecque confirme le concours de l'ensemble de ces dispositions dans laprotection de la vie privée. Pour savoir si l'usage d'un enregistrement de la parole comme moyen depreuve viole le secret de la correspondance, la Cour de cassation a, par exemple, eu recours auxarticles 2 § 1, 5 § 1, et 19 de la Constitution considérant que ces dispositions garantissent le respectde la personne et la protection au libre développement de sa personnalité et de son intimité contre<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>toute intrusion arbitraire 2167 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Protection législative. Le respect effectif de la protection de la vie privée est assuré par le droitcivil ainsi que par le droit pénal. Pour ce qui est de la protection civile, l'article 57 du Code civil grecpeut être considéré comme l'équivalent de l'article 9 du Code civil français. Mais à la différence dece dernier, l'article 57 du Code civil grec garantit un droit général à la protection de la personnalité :« Quiconque est arbitrairement atteint dans sa personnalité a le droit d'exiger la cessation de l'atteinteet de sa répétition dans l'avenir ». Quant à sa protection pénale, nous observons que, bien qu'aucunedes dispositions du Code pénal ne concerne explicitement la vie privée, elle est néanmoins assuréepar les dispositions relatives à la violation du secret de la correspondance (art. 370), à la violation duUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082167 . Référence aussi à l'article 370 du Code pénal et à l'article 57 du Code civil, n° 717/1984 Cour decassation, Le Syntagma, 1985 (11), p. 79-80.


domicile (art. 241), à l'injure et la diffamation (art. 362-363), et à toute atteinte à l’honneur par acte,parole ou tout autre moyen (art. 361, 361A).440Cet ensemble de dispositions, tout en laissant apparaître que le champ de protection de la vieprivée est assez étendu, laisse entrevoir les difficultés de définir la notion de vie privée. L'absenced'une définition juridique de cette notion ainsi que la difficulté d'en donner une, soulignées dès 1965par Robert Badinter 2168 , demeurent entières. La vie privée est une notion « des plus déconcertantes »,admet-on encore aujourd'hui 2169 ; « Il est difficile, voire impossible, d'en donner une définition quisoit utilisable au plan juridique. La vie privée "se sent" plus qu'elle ne se définit », selon leprofesseur Jacques Velu et Rusen Ergec qui fut juge à la Commission européenne des droits del’homme 2170 .On comprend alors que les juristes soient déconcertés. A travers les différentes définitionsrecensées, on retrouve des traits communs avec les définitions de la liberté en général qui, paressence, ne se prête pas à une définition unanime. La liberté est définie comme « abstention del'Etat 2171 », « absence de contrainte 2172 », « autodétermination 2173 », « autonomie 2174 », « liberté dedisposer de soi-même 2175 », ou encore comme « libre épanouissement de l'homme 2176 ». Or, le droitau respect de la vie privée est également défini comme le « droit à l'autodétermination », le « droit àl'épanouissement personnel », le « droit d'être seul » 2177 ; on reconnaît d’ailleurs volontiers que « laliberté se confond avec une sphère privée où chacun est maître de lui-même 2178 ».2168 . R. BADINTER, « Le Droit au respect de la vie privée », préc.2169 . M.-T. MEUL<strong>DE</strong>RS-K<strong>LE</strong>IN, « Vie privée, vie familiale et droits de l'homme », RIDC, préc., p. 770.2170 . J. VELU, R. ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles, Bruyland, 1990, p.536.2171 . « L'Etat libéral ou démocratique reconnaît au profit de l'individu une zone de libertés à l'intérieur delaquelle il est interdit de pénétrer », R. ARON, La Définition libérale de la liberté, 1972, p. 145 et s.2172 . « La liberté se définit par l'absence d'assujettissement. L'homme est libre dans la mesure où il échappe au<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>pouvoir, c'est-à-dire dans la mesure où les attitudes qu'il adopte sont délibérées, choisies et modifiées par luiseul. La liberté s'épanouit dans une sphère d'autonomie », G. BUR<strong>DE</strong>AU, Traité des sciences politiques, t.V,2e éd, préc., p. 169. « Dans une première acception, la liberté est la qualité de ce qui n'est pas soumis à unecontrainte (physique, morale, psychologique) », J. ROBERT et J. DUFFAR, Droits de l’homme et libertés<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...fondamentales, 7 e éd., préc., p. 183.2173 . « La liberté est un pouvoir d'autodétermination en vertu duquel l'homme choisit lui-même soncomportement personnel », J. RIVERO, Les Libertés publiques et droits de l'homme, préc., p.5. « La libertéd'un être, c'est l'autodétermination de cet être », J ROBERT, Libertés publiques et droits de l'homme, 7 e éd.,Paris, Montchrestien, 1999, .p. 18 ; « La liberté est le pouvoir de décision et d'autodétermination », HAURIOUA., GICQUEL J. Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Montchrestien, 1980, p. 188.2174 2174. « Liberté-autonomie, c'est celle qui s'exprime le plus directement par l'absence de contraintephysique ou spirituelle, cette liberté se traduit par le sentiment d'indépendance », G. BUR<strong>DE</strong>AU, Traité dessciences politiques, 1971, p. 7.2175 . Ibid., préc., p. 7.2176 . « C'est affirmation du moi et de son déploiement dans l'acte créateur », HAURIOU A., GICQUEL J.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Droit constitutionnel et institutions politiques, préc.2177 . M.-T. MEUL<strong>DE</strong>S-K<strong>LE</strong>IN, « Vie privée, vie familiale et droits de l'homme », RIDC, préc., p. 771.2178 .J. ROBERT, Libertés publiques et droits de l'homme, préc.., p. 11.


4412. Les garanties exigées par la ConventionLa jurisprudence européenne est venue confirmer certaines de ces définitions. Le droit au respectde la vie privée comprend « le droit à l'intimité », « le droit d'établir et de développer des relationsavec autrui 2179 », le droit à l’autodétermination 2180 , et « assure à l'individu un domaine dans lequel ilpeut poursuivre librement le développement et l'accomplissement de sa personnalité 2181 ». Mais laCour s’est bien gardée de donner une définition précise de la vie privée en déclarant que « la notionde ‘vie privée’ est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive 2182 ». Aussisouscrivons-nous à la remarque de Jacques Velu et Rusen Ergec : « Plus peut-être qu'aucune autreliberté fondamentale, le contenu du droit au respect de la vie privée contribue à l'évolution desmœurs et du milieu social 2183 » et à celle du professeur Dimitris Tsatsos pour qui la vie privée faitpartie des notions abstraites et soumises à la « loi de l'évolution historique perpétuelle 2184 ». On doitalors lui reconnaître un caractère flexible et évolutif, de manière à pouvoir embrasser « l'infinievariété de situations susceptibles d'être rattachées à la vie privée 2185 ».La vie privée échappant à une définition unique et globale, les instances européennes se sontrésolues à la définir en déterminant les aspects précis relevant de cette notion. Pour ce faire, lajurisprudence européenne a dégagé deux groupes de critères : d'une part, la vie individuelle etinterindividuelle de l'homme et, d'autre part, le secret et la liberté. En application de ces critères ontdéjà été considérés comme relevant de la notion de vie privée les aspects suivants : l'intégritéphysique et morale 2186 , qui implique les questions d'avortement thérapeutique 2187 les problèmes desanté en général 2188 ainsi que les soins 2189 ; le droit à l'identité et à l'épanouissement personnel quiimpliquent les aspects suivants : la liberté de nouer et de développer des relations avec ses<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2179 .Voir, par exemple : CEDH, Rotaru c. Roumanie, [GC], n° 28341/95, CEDH 2000-V, § 43 ; R (LudvigFriedl c. Autriche) n° 15225/89, 19 mai 1994, § 45 ; CEDH, Mikulic c. Croatie, n°53176/99, CEDH 2002-II,§ 53 ; CEDH, Niemietz c. Allemagne, 16 décembre 1992, Serie A n° 251-B, § 292180 CEDH, Pretty c. R.U., préc., § 61.2181 . R 6959/75 (Brüggemann, Scheuten/RFA) 12.7.1977, D.R. 10, p. 100; D 8307/78 ( Declerck/Belgique),Rec. 21, p. 116, et R 12.07.77, DR 10, p. 100.2182 CEDH, Pretty c. R.U., préc., § 61.2183 . 2183 . J. VELU, R. ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, préc., p. 537.2184 . D. TSATSOS, Droit constitutionnel. Droits fondamentaux, Athènes, Sakkoulas, 1988, pp. 321-323.2185 . J. VELU, R. ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, préc., p. 537.2186 . CEDH, X et Y c. Pays-Bas, préc., § 22 ; CEDH, Pretty c. R.U., préc., § 61 ; CEDH, Nitecki c. Pologne(déc.), n o 65653/01, CEDH, 2002-III ; CEDH, Glass c. R. U., n°1827/00, CEDH 2004-II, §§ 74-83 ; CEDH,Odièvre c. France [GC], n o 42326/98, CEDH 2003-III ; CEDH, Pentiacova et autres c. Moldova (déc.),n o 14462/03, CEDH 2005-I..2187 CEDH, Tysiac c. Pologne, n°5410/03), CEDH 2007-III, §107.2188 . CEDH, Boso c. Italie, (déc.,) n° 50490/99, CEDH 2002-IX ; R 6959/75 (Brüggemann, Scheuten/RFA)préc., p. 100 ; et D 8416/79 (X/RU), 13.5.1980, D.R.,19, p. 244.2189 Mais pas un niveau particulier des soins médicaux, CEDH, Tysiac c. Pologne, préc., § 107.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


semblables et le monde extérieur - « Le respect de la vie privée englobe le droit pour l'individu denouer et développer des relations avec ses semblables 2190 », y compris des relationscommerciales 2191 ; la vie sexuelle - « Il ne fait aucun doute que les tendances et le comportementsexuels se rapportent à un aspect intime de la vie privée 2192 » - ; l'identité physique et sociale 2193 etl’identité biologique - dès lors qu’ils contribuent à « la sauvegarde de la stabilité mentale » 2194 - ;l'honneur et la bonne réputation lorsque l'atteinte à l'honneur ou à la réputation d'une personne serapporte à sa vie privée 2195 ; l’autodétermination et l’autonomie personnelle 2196 ; le secret de l’étatde santé qui s’oppose à la divulgation des pièces médicales, y compris dans le cadre des procès 2197 ,la protection des données à caractère personnel 2198 , y compris, le recueil et la conservation desempreintes digitales 2199 , l’enregistrement de l’image 2200 ; la protection des effets et documentspersonnels 2201 ; l’intimité des lieux privés 2202 ; le secret des communications 2203 (qui s’oppose à2190 CEDH, Rotaru c. Roumanie, [GC], préc., § 43. Voir entre autres : CEDH, Niemietz c. Allemagne, préc.,§ 29 ; CEDH, Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, Série A n° 280-B, § 24 ; CEDH, Mikulic c. Croatie, préc.,§ 53.2191 A propos des conséquences d’une faillite personnelle, CEDH, Albanese c. Italie, n o 77924/01, CEDH2006-III.2192 . CEDH, Laskey, Jaggard et Brown c. R. U, 2 octobre 1991, Recueil 19997-I, § 36 ; CEDH, Dudgeon c.R.U., n° 7525/76, 22 octobre 1981, Série A n° 45, § 52 ; CEDH, A.D.T. c. R.U, n° 35765/97, CEDH 2000-VII.Voir aussi dans l’arrêt K.A. et A.D. : « La Cour a souvent souligné que l’expression de « vie privée » est largeet ne se prête pas à une définition exhaustive. Des éléments tels que le sexe, l’orientation sexuelle et la viesexuelle sont des composantes importantes du domaine personnel protégé par l’article 8 », CEDH, K.A. et A.D.c. Belgique, n o 42758/98 et n o 45558/99, CEDH 2005-II, § 79.2193 CEDH, Mikulic c. Croatie, préc., § 53 ; CEDH, Niemietz c. Allemagne, préc., § 29. Entre autres élémentsprotégés, font partie le droit de porter un nom, comme le droit du mari de porter le nom de son épouse (CEDH,Burghartz c. Suisse, préc., § 24), le droit pour une femme de continuer à porter le nom de l’ex-époux (CEDH,Halimi c. France (déc.), n°50614/99, CEDH 2001-III), et le droit de changer de sexe et de nom, (CEDH, B. c.France, 25 mars 1992, Série A n°232-C).2194 « La Cour rappelle à cet égard que ‘l'article 8 protège un droit à l'identité et à l'épanouissement personnelet celui de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur. (...) », CEDH,Odievre c. France (GC), n° 42326/98, CEDH 2003-II,,§ 29.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2195 . « L'atteinte portée à l'honneur par une diffamation perpétrée par les médias relève du droit au respect de lavie privée », D n° 11366/85 (X/Suède) 16.10.1986, D.R. 50, p. 173, et D n°10871/84 (Winer/R.U.), 10.7.1986,D.R. 48, p. 154.2196 « Bien qu’il n’ait été établi dans aucune affaire antérieure que l’article 8 de la Convention comporte undroit à l’autodétermination en tant que tel, la Cour considère que la notion d’autonomie personnelle reflète unprincipe important qui sous-tend l’interprétation des garanties de l’article 8 », CEDH, Pretty c. R.U., préc.,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...§ 61.2197 CEDH, Panteleyenko c. Ukraine, n° 11901/02, CEDH 2006-VI (à propos de la divulgation de donnéespsychiatriques confidentielles) ; CEDH, L.L. c. France, n° 7508/02, CEDH 2006-X (Reproduction dans unjugement de divorce).2198 . CEDH, Amann c. Suisse [GC], n o 27798/95, CEDH 2000-II, §§ 69-70 ; CEDH, Rotaru c. Roumanie,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008[GC], préc., § 43.2199 . Elles peuvent être autorisées pour une personne soupçonnée d'infraction, si elles se révèlent strictementnécessaires, S. et Marper c. R.U., (déc.), n o 30562/04 et n o 30566/04, CEDH 2007-I.2200 L’enregistrement de l’image d’une personne équivaut à la collecte des données personnelles, a déclaré laCour à propos de l’enregistrement sur film à l’aide d’une caméra cachée, à des fins d’identification, d’unsuspect dans un commissariat de police, CEDH, Perry c. R.U, nº 63737/00, CEDH 2003-VII.2201 . « Les effets et documents personnels de l'individu sont indissolublement liés à son intimité, de sorte quetoute saisie ou perquisition constitue une immixtion dans sa vie privée », D 6794/74, (X/RFA) 10.12.1975,D.R. n°3, p.104 et s.442


443l’enregistrement et à la diffusion des communications privées 2204 ) ; la qualité du cadre de vie au sensde quiétude 2205 et d’environnement non nocif pour la santé 2206 (mais pas le droit à une protection del’environnement contre la détérioration 2207 ) ; l'anonymat 2208 ; le droit à la procréation 2209 , y comprispar les techniques de procréation artificielle 2210 ; et la liberté de disposer de son corps contre touteintervention sans le consentement de l’intéressé, aussi mineure soit-elle 2211 . Cette dernière s’opposenotamment aux actes suivants non consentis : les examens médicaux 2212 , les traitementsmédicaux 2213 , les hospitalisations et les interventions médicales 2214 , y compris pour établir despreuves juridiques 2215 , comme des prélèvements sanguins pour établir la paternité 2216 , les tests2202 Elle peut être mise en cause également par le placement sous vidéo- surveillance de la maison, CEDH,Martin c. R.U, (déc.), n° 63608/00, CEDH 2003-III.2203 . CEDH, Klass et autres c. Allemagne, préc. § 41; CEDH, Malone c. R.U., n° 8691/79, 2 août 1984, SérieA n° 82, § 53 ; D (McVeight & autres/RU) préc., p. 15.2204 Ainsi, la diffusion du contenu d’écoutes dans un procès sans un tri préalable des éléments utiles pour leprocès et d’éléments d’ordre purement privé sans rapport avec les besoins du procès, CEDH, Craxi c. Italie,n°25337/94, CEDH 2003-VII ; la pose de micros par la police au domicile d’un ami d’un accusé dans le cadred’une information judiciaire, CEDH, Vetter c. France, n ° 59842/00, CEDH 2005-V ; ou encorel’enregistrement des conversations des détenus, CEDH, Doerga c. Pays Bas, n° 0210/99, CEDH 2004-IV.2205 Les bruits pouvant affecter la quiétude des voisins, en l'occurrence des bruits provenant d'un aéroport,constituent une atteinte à la vie privée, (CEDH, Hatton et autres c. R.U., préc.,) ou encore des bruits desétablissements de loisirs voisins des habitations (CEDH, Moreno Gómez c. Espagne, (déc.), n° 4143/02,CEDH-VI).2206 Ainsi une détérioration de la qualité de vie peut provenir soit d’une activité industrielle polluante (CEDH,Takin et autres c. Turquie, n° 46117/99, CEDH 2004-XI), soit de la proximité d’une décharge non entretenueen raison des émanations toxiques et des odeurs nauséabondes, CEDH, Branduse c.Roumanie, n°6586/03,(communiqué).2207 La Convention ne garantit pas un droit à une protection de l’environnement contre la détériorationgénérale. Ainsi, tel ne peut pas être le cas des effets du développement urbain au sens de densité desconstructions des habitations. Toutefois, dans certaines circonstances, une détérioration « grave » susceptibled’avoir des effets nocifs sur la santé, et en général au bien-être, peut constituer une atteinte à la jouissance dudomicile et donc, porter atteinte à la vie privée et familiale d’une personne, CEDH, Kyrtatos c. Grèce,nº 41666/98, CEDH 2003-V.2208 . Il comprend alors le droit de ne pas être photographié ou filmé à son insu, même lorsque la personne se<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>trouve dans un lieu privé. Ainsi à propos de la publication dans la presse de photos montrant, sans sonconsentement, une princesse seule ou avec son compagnon dans des lieux « non isolés », CEDH, VonHannover c. Allemagne, n° 59320/00, CEDH 2003-VII.2209 Mis en cause par la stérilisation des femmes d’origine rom alléguant avoir été stérilisées sans leurconsentement, CEDH, I.G., M.K. et R.H. c. Slovaquie (Communiqué).2210 . Par exemple le refus d’autoriser un détenu marié à procéder à une insémination artificielle, CEDH,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Dikson et Dickson c. R.U, n° 44362/04, CEDH 2004-IV.2211 . D 8278/78 (X/Autriche), 13.12.1979, D.R., D.R., 18, p. 154.2212 Examen gynécologique obligatoire de l’épouse du requérant durant sa détention : CEDH, Y. F. c. Turquie,nº 24209/94, CEDH 2003-VII.2213 Administration de substances psychotropes à un enfant handicapé malgré l’opposition de la mère, CEDH,Glass c. R.U, préc.2214 Ibid.2215 Dans l’affaire Jalloh c. Allemagne, précitée, l’article 3 avait été appliqué dans le cadre de la santé à proposde l’intervention chirurgicale sur des personnes soupçonnées de trafic de drogue ayant avalé des sachets dedrogue ; Voir les communiqués dans les affaires Komba c. Portugal, n°18553/03, et Bogumil c. Portugal, n°35228/03.2216 . J. VELU, R. ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, préc., p. 543.


444ADN 2217 , l’usage de détecteur de mensonge, du sérum de vérité ou de la narco-analyse 2218 ouencore l'examen de la personnalité dans le cadre d'un procès pénal 2219 ou dans le cadre derecrutement à un poste de travail 2220 .Avant d'examiner la protection d’un nombre de ces aspects invoqués par les détenus, il convientde relever les défis majeurs que soulève l'application du droit à la vie privée dans la prison eu égardaux éléments constitutifs fondamentaux de ce droit : l'autonomie et l'intimité.B. Les défis de la prisonLes principes qui régissent le fonctionnement de la prison sont si antinomiques avec ceux quidoivent régir le respect de la vie privée que la prison pourrait en effet servir d'exemple pour unedéfinition a contrario de la vie privée : intervention (1), hétéronomie (2) et surveillance (3)caractérisent le rapport du détenu aux autorités pénitentiaires1. L'équilibre inversé dans le rapport abstention/intervention de l'Etat dans la vie privéeLe respect de la vie privée étant au centre des droits de l'homme dits classiques, et sa fonctionétant d'assurer une sphère de vie où l'homme est maître de soi, on comprend que le respect de cedroit commande, plus que tout autre, à l'Etat de s'abstenir.Certes, comme l’application effective d’autres droits de l’homme, celle du respect de la vieprivée peut également faire naître des obligations positives demandant alors l’intervention de l’Etat.L’article 8 « ne se contente pas de commander à l'Etat de s'abstenir de pareilles ingérences ; à cetengagement plutôt négatif peuvent s'ajouter des obligations positives 2221 ». « De telles obligationspeuvent être inhérentes à un respect effectif de la vie privée et peuvent impliquer l'adoption demesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux 2222 ». Il<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...faut pourtant se garder de confondre ingérence positive, qui vise à mieux faire respecter l'exercice2217 Prélèvement d'un échantillon d'ADN sur une personne condamnée et conservation de son profil ADN dansun fichier national pendant 30 ans, CEDH, Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), préc.2218 . J. VELU, R. ERGEC, La Convention européenne des droits de l'homme, préc p. 540.2219 . D 8334/78 (X/RFA) 7.5.1981, DR 24, p.103; D 8509/79 (X/RFA) 5.5.1981, DR 24, p. 131.2220 . CEDH, Wretlund c. Suède, (déc.), n° 46210/99, CEDH 2004-III, à propos de l’obligation pour uneemployée d’une usine nucléaire de subir un test antidrogue.2221 . CEDH, X et Y c. Pays-Bas, préc., § 23 ; CEDH, Zawadka c. Pologne, n°48542/99, CEDH 2005-VI, § 53 ;CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c.Roumanie, n° 78028/01;78030/01, CEDH 2003 XI, § 149 ;CEDH, Wagner et J.M.W.VL. c. Luxembourg, n o 76240/01, CEDH 2007-VI, § 118.2222 . Voir entre autres : CEDH, X et Y c. Pays-Bas, préc., § 23 ; CEDH, Keegan c. Irlande, n° 16969/90, 26mai 1994, Série A n° 290, § 50 ; CEDH, Botta c. Italie, préc., § 33 ; D 11366/85, (N/Suède), préc., p. 177 ;CEDH, Zawadka c. Pologne, préc., § 53 ; CEDH, Rozanski c. Pologne, n° 55339/00, CEDH 2006-V, § 60, F.SUDRE, Les "obligations positives" dans la jurisprudence européenne des droits de l'homme, Rev. trim. dr. h.,1995.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


445des droits de l'homme, et ingérence négative qui, elle, vise à limiter leur exercice dans l'intérêtgénéral. Concernant cette dernière forme d'ingérence, le principe qui domine la détermination desrapports entre l'individu et l'Etat est l'abstention de ce dernier. D’ailleurs, ce qui caractérise laprotection de la vie privée par rapport à l’Etat demeure son abstention : « La garantie offerte parl'article 8 de la Convention est principalement destinée à assurer le développement, sans ingérencesextérieures, de la personnalité de chaque individu dans ses rapports avec ses semblables 2223 ».Or, dans le cas des détenus, force est de constater que l'équilibre du rapportabstention/intervention est inversé. Ce rapport est dominé par l'intervention « négative » maximalede l'Etat. Ainsi que nous l'observerons lors de l'examen du respect des aspects précis de la vie privée,le raisonnement des instances européennes est construit sur la base que la peine privative de liberté etla prison entraînent inévitablement une immixtion de l'Etat dans la vie privée des détenus et de leursproches 2224 mais que cette immixtion est compatible avec la Convention 2225 . Si bien que leurraisonnement en la matière vise à démontrer la nécessité de l'abstention de l'Etat.En même temps, la détention crée une autre particularité : la nécessité d'une immixtion positivemaximale de l'Etat pour faire respecter les droits de l'homme, y compris le droit au respect de la vieprivée. Le respect de ce droit du détenu dépend de la prise de mesures normatives et matérielles de lapart des autorités pénitentiaires ; mesures qui, en raison du placement du détenu dans un rapport dedépendance totale à l'égard de l'Etat, couvrent la quasi-totalité des aspects de la vie privée.Le renversement de l'équilibre entre abstention et immixtion dans le rapport entre individu etEtat et du rôle dévolu à ce dernier apparaît clairement si l'on tient compte du fait que, de manièregénérale, la condition du détenu est marquée par des éléments opposés à ceux qui sont constitutifs dela vie privée : l'autonomie et l'intimité.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2. L'hétéronomie des détenus opposée au respect de l'autonomie<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...« L'essence de la contrainte est la menace d'infliger à un autre, s'il ne se soumet pas à notrevolonté, une sanction » et celui qui y est contraint « perd la capacité d'user de ses intelligences pourchoisir ses moyens et ses fins », a écrit Raymond Aron dans ses commentaires sur l’œuvre deUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082223 CEDH, X et Y c. Pays-Bas, préc., § 23. Voir CEDH, Botta c. Italie, n°21439/93, 24 février 1998, Recueil1998-I, § 32 ; CEDH, Zawadka c. Pologne, préc., § 53 ; CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c.Roumanie, préc., § 149 ; CEDH, Wagner et J.M.W.VL. c. Luxembourg, préc.,§ 118.2224 . « La détention est certes par nature une restriction à la vie privée et familiale, D 9054/80 (X/RU),8.10.1982, DR 30, p. 118; « La détention constitue nécessairement une ingérence dans la vie privée ainsi quedans la vie familiale lorsqu'il s'agit de personnes mariées », D 8166/78 (X, Y/Suisse), 3.10.1978, DR 13, p.245.2225 . R 8022, 8025 et 8027/77 (McVeigh et autres /RU), préc., § 233.


446Hayek 2226 . Dès lors, la sanction privative de liberté porte en elle-même atteinte à l'autonomieentendue comme liberté à l'autodétermination. Mais, à part cette privation d'autonomie inhérente à lanotion de toute sanction, la peine privative de liberté exécutée dans la prison ajoute de multiplesprivations.La vie entière en prison est régie par des principes tels qu'on pourrait soutenir qu'elle constituel'anti-exemple de la liberté d'autodétermination. Dostoïevski ne disait-il pas que le mot « prisonnierexprime un homme privé de sa propre volonté 2227 » ? Deux éléments de la condition du détenu sont àcet égard éloquents.D'abord, la soumission de quasiment tout acte et mouvement des détenus à l'autorisationpréalable des autorités pénitentiaires. Autorisation qui ne constitue pas une simple formalité. Cesautorités sont dotées d'un pouvoir discrétionnaire déterminant l'exercice effectif des droits del'homme par les détenus. Elles peuvent refuser l'exercice de certains aspects de ces droits parfoisélémentaires sans avoir à motiver leur décision et sans que celle-ci fasse l’objet de contrôlejuridictionnel.L’autre élément éloquent est le placement du détenu dans un rapport d'obéissance forcée avec lesautorités pénitentiaires. Rapport qui est plus qu'évident pour être expressément décrit aussi bien endroit français qu'en droit grec.Au sein du premier, il est prévu que « les détenus doivent obéissance aux fonctionnaires ouagents ayant autorité dans l’établissement pénitentiaire en tout ce qu'ils leur prescrivent pourl'exécution des règlements » (art. D 243 CPP). Le droit grec le prévoit à deux reprises : d’abord entermes de « devoir primordial des détenus 2228 » et ensuite en tant que faute disciplinaire 2229 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En plus de ces formes évidentes de privation d'autonomie, le détenu est soumis à des formesd'hétérodétermination plus subtiles. Selon le professeur grec Dimitris Tsatsos, l'autodéterminationdoit être entendue dans un sens large comme absence d'orientation dans le développement de laconscience et du mode de pensée. D'après cet auteur, une telle orientation peut, par exemple,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082226 R. ARON, Essai sur les libertés, Calman-Levy, 1965, p. 130.2227 . DOSTOÏEVSKI, Souvenirs de la maison des morts, cité par Leszek <strong>LE</strong>RNELL, « L'Essence de laliberté », in Mélanges Jean GREVIN, Faculté de Droit de Genève, 1969, p. 99.2228 « Les détenus ont comme devoir primordial de se conformer aux ordres des fonctionnaires compétents »(art. 7 § 2, C. pénit.).2229 « L'inobservation des ordres du personnel de l’établissement pénitentiaire, tel que le refus de rendre unservice dû ou l’empêchement d’un tiers de le faire » (art. 68 § 2, al.a, C. pénit.).


447provenir de la fixation de critères auxquels le système éducatif d'un pays doit répondre 2230 . Mais ellepeut également provenir de l'orientation des moyens d'expression et d'information vers la créationd'un consensus de l'opinion publique. Comme nous verrons dans le chapitre suivant, c'est dans le butde contrecarrer de tels effets que la Cour insiste sur le respect du pluralisme dans l'éducation, maisaussi dans l'expression et l'information.Or, concernant les détenus, nous observons que tel fut toujours l'objectif du traitementpénitentiaire justifié par la certitude d'exercer une hétérodétermination positive sur le développementde leur personnalité. Cela, ainsi que nous l'avons souligné à l'introduction de la présente étude, n'estmis en cause qu'à partir des années '70, avec la naissance des mouvements de défense des droits desdétenus condamnant le lavage du cerveau de ceux-ci par les différents programmes de traitement. Or,si actuellement on nie que le traitement des détenus vise un tel objectif, il n'empêche que le droitpénitentiaire continue à en fournir des preuves inverses.Au-delà du fait que l'accès des détenus à l'information et à l'expression n'est pas totalement libre(comme nous le verrons lors de leur examen respectif), les détenus n’ont pas la maîtrise d'importantsaspects de leur vie privée. Ainsi, le choix des personnes avec qui ils souhaitent entretenir desrapports privés leur échappe : l'autorisation de recevoir la visite des personnes autres que de lafamille est, tant en droit grec qu’en droit français, fondée sur l'appréciation de leur influencebénéfique sur le détenu. Même leur personnalité doit évoluer vers un sens souhaité par les autoritéscompétentes pour que celles-ci accordent aux détenus des mesures qui consistent à alléger lacontrainte carcérale ou à les mettre en liberté.3. La surveillance des détenus opposée au respect de l'intimité<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>« Il existe des rapports entre la protection du secret et celle de la liberté de la vie privée. Une vieprivée qui est l'objet d'investigation et de divulgation n'est pas vraiment libre : elle est entravée par la<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...connaissance qu'en acquièrent l'autorité publique et les particuliers », affirme Pierre Kayser 2231 . Or,la peine privative de liberté non seulement entraîne de telles immixtions dans la vie privée, mais laprivation du secret est l'élément central de l'organisation de la vie en détention. La surveillance desdétenus et de l'espace carcéral constitue une des tâches principales du personnel pénitentiaire. Lessurveillants sont préposés à la « garde » et à la « surveillance » des détenus. D'ailleurs, le terme« surveillants de prison » est à cet égard symptomatique. Quant à l'ampleur de surveillance autorisée,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082230 . D. TSATSOS, Droit constitutionnel. Droits fondamentaux, préc., pp. 323-324. Tel est, selon cet auteur, lecas de l'article 16 § 2 de la Constitution grecque relatif à l'organisation de l'éducation, qui prévoit qu'elle doittendre vers « le développement de la conscience nationale et religieuse ».2231 . P. KAYSER, La Protection de la vie privée, préc., p. 7.


elle atteint le panoptisme. Ainsi que nous allons voir, la surveillance doit, si possible, être totale etconstante.448Etant données ces immixtions majeures qu'opère la détention dans la sphère de la vie privée desdétenus, comment les instances européennes et les droits nationaux, en l'occurrence les droits grec etfrançais, parviennent-ils à concilier détention et vie privée ?D'autant plus que, signalons-le, aux défis que la détention soulève au regard de la vie privéeindividuelle, où le sujet de droit est au singulier, s'ajoutent ceux au regard de la vie privéeinterindividuelle, où le sujet de droit devient pluriel : « Il » devient « Nous ». Ces rapports placent lesindividus dans une telle interdépendance que la garantie du droit au respect de la vie privée assurée àun individu détermine celle assurée à un autre individu et en est déterminée. Or, lorsqu’une despersonnes impliquées dans ce rapport est un détenu, des questions particulières naissent dans laprotection efficace de ce droit. Le statut de détenu doit-il systématiquement l’emporter sur celui desautres sujets des droits communs ?C’est à quoi nous tâcherons de répondre en examinant au sein de ce chapitre, le droit au respectde la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance. D'après la jurisprudenceeuropéenne, ces droits constituent des aspects particuliers de la vie privée 2232 .Comme nous venons de le souligner, la protection du droit au respect de la vie privéeimplique une problématique différente suivant que le sujet est au singulier, « je », ou au pluriel,« nous ». Aussi, nous traiterons en premier lieu, de la vie privée individuelle (Section 1) et, ensecond lieu, de la vie privée interindividuelle (Section 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>SECTION 1. <strong>LA</strong> PRISON RESTRICTIVE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE PRIVEE INDIVIDUEL<strong>LE</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Relèvent de la vie privée individuelle, les droits relatifs à des aspects de vie les plus personnels,qui peuvent n’impliquer aucune relation avec autrui. On doit ranger parmi ces droits : le droit àl'intégrité physique et morale ; le droit à la santé; le droit à l'intimité et à la liberté corporelle ; le droità l'intimité et à la liberté du lieu privé ; et le droit au libre développement et épanouissementpersonnel.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082232 « A la notion générique de "vie privée" succèdent celles de "vie familiale", de "domicile" et de"correspondance" : les trois dernières s'analysent, dans une certaine mesure, comme des aspects particuliers dela vie privée... Il reste, cependant, que chacun des droits garantis par l'article 8 § 1 pose des problèmessuffisamment spécifiques quant à son contenu pour mériter un examen séparé », J. VELU, R. ERGEC, 1990,préc., p. 535; et P. KAYSER, La Protection de la vie privée, 1990, p. 16.


449Soulignons à propos de l'intégrité physique et morale ainsi que de la santé, que si elles relèventde la vie privée, elles la dépassent largement : leur respect est si intimement lié avec celui de ladignité et de la vie que les instances européennes les examinent quasi systématiquement au regarddes articles 3 et 2 de la Convention qui consacrent respectivement le droit au respect de la dignité etde la vie. Pour cette raison, ces aspects font l’objet d'un examen dans le cadre de l'étude de ces deuxderniers droits.Quant au libre développement et épanouissement de la personne, les traits généraux sontprésentés dans la section introductive, ci-dessus, et bon nombre d’aspects sont traités dans le chapitreportant, entre autres, sur les droits à l’instruction, à l’expression, aux échanges de biens.Dès lors, nous nous limiterons ici à l'étude de deux aspects de la vie privée : d’une part, del'intimité et liberté corporelle (la liberté est ici entendue dans le sens de la maîtrise du paraître ducorps), et d’autre part, de l'intimité et liberté du lieu privé. Le lieu privé est le prolongement del'intimité et de la liberté du corps : « Seul un mur protecteur des intrusions abusives peut permettrel'exercice véritable de cette liberté d'existence 2233 ». Cela nous amène inévitablement à inclure icil'étude du droit au respect du domicile, « le siège de la vie privée 2234 » : la notion de lieu privé est,comme nous allons le préciser, plus large que celle de domicile.C'est dans cette sphère de vie privée ainsi délimitée, que nous tenterons de voir comment, et dansquelle mesure, on peut et on devrait concilier son respect avec l'exécution de la peine privative deliberté par la prison en distinguant, d'une part, la liberté et l'intimité du lieu privé (§ 1), et d'autrepart, la liberté et l'intimité du corps (§ 2).§ 1. Le détenu privé de lieu privé<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La privation du choix du domicile fait partie intégrante de la peine même privative de liberté.Privation de circuler se combine avec privation de choisir son domicile. L’image de l’hommecondamné à cette peine est celle de l’homme qui quitte le tribunal en bonne escorte pour être amenéde force dans une prison. Il est à peine reconnu aux personnes détenues le choix de la prison ou dupays de l’exécution de leur peine. Pourtant ce droit fait l’objet de protection de l’article 8 de laConvention et il est donc distinct du droit au respect de la liberté consacré par l’article 5 de laConvention et qui est le seul visé par cette peine. Dès lors, nous devrons poser la question du cadredans lequel son respect peut être posé au regard de la définition et des garanties généralement<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082233 . R. KOERING-JOULIN, 1986, préc., pp. 721-722.2234 . R. BADINTER en faisait le critère principal, « Le Droit au respect de la vie privée », préc.,et lajurisprudence européenne y a également eu recours.


exigées (A), avant d’aborder la question de la protection des deux aspects précis : de l’intimité (B) etde la liberté d’usage (C).450A. Le cadre d’interrogation du droit des détenus au respect du domicileIl conviendrait de déterminer son champ d'application et les garanties qu'exige son respect engénéral (1), avant d'examiner l'application de ce droit à l’égard des détenus (2).1. Champ d'application et garanties du droit au respect du domicileL'application du droit au respect du domicile ne se limite pas à la maison ou l'appartement. Elles'étend à tout lieu privé c'est à dire à tout lieu où une personne a le droit de se dire chez-elle, quelleque soit l'affectation de ce lieu 2235 . Ainsi la doctrine française et grecque s'accorde pour considérercomme lieux privés, en dehors de la maison ou de l'appartement, également une chambre d'hôtel, unecour, un jardin, une tente, un véhicule, un bateau, le bureau sur le lieu de travail ou l'ensemble del'espace de travail pendant les heures de fermeture au public 2236 . Le Conseil constitutionnel françaisa confirmé l'extension de la notion de domicile au lieu privé 2237 .La Cour entend le mot domicile dans un sens large 2238 . Elle a, par exemple, reconnu comme lieuprivé, outre le domicile 2239 , les locaux professionnels, comme le cabinet d’avocats 2240 , mais aussi lecabinet des notaires 2241 , le siège d’un journal 2242 , un restaurant 2243 , ou encore les parties2235 . « Ce qui importe c'est l'affectation psychologique et subjective d'un lieu, considéré par une personnecomme chez-soi, où il est en droit de se croire hors des regards d'autrui. Ainsi une chambre d'hôtel, mais aussiun bureau de travail peut être considéré comme un lieu privé », KAYSER P., La Protection de la vie privée parle droit, 3e éd., préc., pp. 268, 273 (Réf. : Cass, Crim., 8-12.1983, Gaz. pal., 1984-1-394; et 18-11.1986, Gaz.pal., 1987-1-167).2236 . MANESSIS A., Droits constitutionnels, Athènes, Sakkoulas, 1982, pp. 223-224 KAYSER P., La<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Protection de la vie privée par le droit, 3e éd., préc., pp. 268-269, 273.2237 . N° 33-164 DC, JO 30 déc. 1983, p. 3873; P. KAYSER, La Protection de la vie privée, préc., p. 268.2238 « La Cour rappelle que la notion de « domicile » figurant à l'article 8 § 1 ne se limite pas au domicileproprement dit d'un particulier. Le terme « domicile » a une connotation plus large que le mot « home »(figurant dans le texte anglais de l'article 8) et peut englober par exemple le bureau ou le cabinet d'un membred'une profession libérale. Par conséquent, le terme « domicile » doit s'interpréter comme incluant aussi lebureau officiel d'une société dirigée par un particulier, et le bureau officiel d'une personne morale, y comprisles filiales et autres locaux professionnels », CEDH, Chappell c. R.U., n° 10461/83, 30 mars 1989, Série An o 152-A, § 26, § 51 ; CEDH, Niemietz c. Allemagne, préc., §§ 29-31 ; et CEDH, Société Colas Est et autres c.France, n o 37971/97, CEDH 2002-III, §§ 40-41 ; CEDH, Buck c. Allemagne, n o 41604/98, CEDH 2005-I, § 31.2239 CEDH, Imakayeva c. Russie, n°7615/02, CEDH 2006-XI. Aussi, entrée de force des policiers poureffectuer une perquisition, dans une maison située à une adresse donnée par un suspect, sans vérificationpréalable de l’identité des occupants, CEDH, Keegan c. Irlande, préc. ; et perquisition prétendument illégaleeffectuée au domicile du requérant, CEDH, H.M. c. Turquie, n o 34494/97, CEDH 2006-VIII.2240 Perquisition et saisie effectuées au domicile d’un avocat, sans aucune justification ni garantie, CEDH,Smirnov c. Russie, n° 71362/01, CEDH 2007-VI. Voir Communiqué dans l’affaire Yuditskaya et autres c.Russie (n°5678/06) à propos de la saisie d’ordinateurs dans un cabinet d’avocats.2241 CEDH, Panteleyenko c. Ukraine, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


451administratives à savoir le siège ou les bureaux d’une entreprise 2244 mais pas les autres parties, etcertes pas celle abritant les porcs au sein d’une exploitation agricole 2245 .Afin de saisir l'importance de la protection du droit au respect du domicile et du lieu privé engénéral, il serait opportun d'évoquer les propos de Georges Burdeau : « S'il est un droit inscrit dans lanature de l'homme, c'est bien celui de faire de sa maison... un lieu de délectation et de paix 2246 » ;d’évoquer aussi l'adage anglais : My House is my Coustle, qui cristallise fort bien l'importance dudomicile dans la protection à la fois de la vie privée et de la sûreté 2247 . Adage dont l'actualité estconfirmée par Jean Carbonnier : « La forteresse de l'individu est sa maison 2248 ». Ce double rôle dudomicile est également reconnu par la Cour : « ...Le respect du domicile relève de la sécurité et dubien-être personnel 2249 ». Les termes « inviolabilité du domicile » sous lesquels est consacré ce droit,depuis The Bill of rights de 1776 de Virginie jusqu'à présent dans certains ordres constitutionnelseuropéens, témoignent également de l'importance qui lui est effectivement accordée.Le droit grec a recours au terme « asile ». C'est aux termes d'« asile sacré et inviolable » que laprotection du domicile est consacrée dans les premières Constitutions de l'Etat grec (article 12 de laConstitution de Troizinie et article 38 de la Constitution de 1832). Et c'est sous les termes « ledomicile de chacun constitue un asile » que le respect du domicile est encore aujourd'hui consacrépar l'article 9 §1 de la Constitution 1975/1986/2001. Il est également à noter que sa protection faitpartie des droits constitutionnels qui jouissent d'une garantie renforcée, à savoir des droits dont laviolation est considérée par la Constitution comme une infraction pénale. En l'occurrence ledeuxième paragraphe de l'article 9 de la Constitution prévoit que la violation du domicile constitueun délit. Ce délit est repris par le Code pénal en termes de « perturbation de la paix domiciliaire » (art. 241 et 334 C. pén.). La doctrine grecque confirme l'importance primordiale accordée par laConstitution grecque au respect du domicile en soulignant que son respect est inséparable nonseulement du respect de la sûreté de la personne mais aussi de la sauvegarde de la dignité<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>humaine 2250 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082242 CEDH, Ernst et autres c. Belgique, n°33400/96, CEDH 2003-VII ; CEDH, Kucera c. Slovaquie, no48666/99, CEDH 2007-VII.2243 CEDH, R. L. et M. J.D., c. France, préc.2244 Comme ceux d’une compagnie des transports routiers,CEDH, Buck c. Allemagne, préc.2245 CEDH, Leveau et Fillon c. France, (déc.), n°63512/00 et N o 63513/00, CEDH 2005-IX.2246 . G. BUR<strong>DE</strong>AU, Les libertés publiques, , 4e éd., LGDJ, 1972, p. 176.2247 .G. V<strong>LA</strong>CHOS, « La structure des droits de l'homme et le problème de leur réglementation en régimepluraliste », RIDC, 1972, n°2, pp. 311-312.2248 . J. CARBONNIER J., Droit civil, I, Les personnes, 2 e éd., Paris, PUF, 1992, p. 1525.2249 ° CEDH, Buckley c. R. U., préc., § 76.2250 . Ibid., p. 311. (A. Svolos-G. Vlachos).


452En droit français, le respect du domicile ne fait pas partie des droits proclamés par la Déclarationdes droits de l'homme de 1789. Son respect n'a figuré que dans les Constitutions révolutionnaires de1791 et 1795 2251 , et pour la dernière fois, dans la Constitution du 4 novembre 1848. Il a fallu attendre1983 pour que cette lacune soit comblée par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision n° 33-164DC, 30 décembre 1983, cette instance a déclaré que l'article 66 de la Constitution « confie à l'autoritéjudiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects, et notamment celui del'inviolabilité du domicile 2252 ». Quant à la protection effective de ce droit, elle est assurée tant par ledroit pénal (art. 226-4 et 432-8 C. pén.) que par le droit civil (art. 9 C. civ.).En ce qui concerne les garanties requises par le respect du domicile, elles ont trait à la liberté etau secret. La liberté du domicile signifie que toute personne a droit de choisir son domicile, de s'yinstaller et d'en changer sans qu'aucune autorisation ou déclaration ne soit requise, ainsi que d'en userà sa convenance 2253 . Le secret du domicile signifie qu'aucune personne, ni agents publics ni tiers, nepénètrent, ne photographient ou par tout autre moyen, n'enregistrent des images des lieux ou despersonnes ou n'écoutent ce qui se passe à l'intérieur de la maison ou autre lieu privé sans autorisationvalable ou sans l'invitation expresse de son occupant. Cette protection est exigée contre lesimmixtions arbitraires tant de la part des autorités publiques que de celles de tierces personnes ; etrappelons-le, elle est reconnue à toute personne occupant un lieu privé indépendamment du titrejuridique de son occupation 2254 (propriétaire, locataire, usager), et même sans titre légal 2255 . Enfin,l’intimité des lieux privés dépasse l’espace intérieur ; elle englobe le jardin et les entrées etsorties 2256 .2. La question de l’applicabilité du droit au respect du domicile en prisonLa question posée par la peine privative de liberté est celle de la possibilité même de parler derespect du domicile ou de lieu privé. Car force est de constater que la privation du domicile est bienla première conséquence qu'entraîne cette peine lorsqu’elle s’exécute par l'emprisonnement.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082251 . 2251 A. MANESSIS, Droits constitutionnels, Athènes, Sakkoulas, 1982, p. 222.2252 . N° 33-164 DC, J.O, 30 déc. 1983, p. 3873, et 85-198 DC, JO, 14 déc. 1985 concernant la communicationaudiovisuelle, P. KAYSER, La Protection de la vie privée, préc., pp. 268 et 273.2253 . G. BUR<strong>DE</strong>AU, Les Libertés publiques, 1972, préc., p. 177; et A. MANESSIS, Droits constitutionnels,préc., p. 138. A noter, toutefois, qu'au sein de la jurisprudence des Communautés européennes, le droit à la vieprivée est essentiellement interprété comme le droit à la liberté de déplacement et à la libre circulation despersonnes, P. KAYSER, La Protection de la vie privée, préc., p. 53.2254 . P. KAYSER, La Protection de la vie privée, préc., pp. 268, 273.2255 . MANESSIS A., Droits constitutionnels, préc., p. 225.2256 Ainsi la mise sous vidéo- surveillance d’une maison constitue une ingérence dans le vie privée, a estimé laCour dans sa décision rendue dans l’affaire Martin c. R.U, précitéé et reglée à l’amiable.


453Pour ce qui est de la privation du détenu de la liberté de choisir son lieu de vie, elle estpleinement justifiée par les instances européennes. Celles-ci ont estimé que cette liberté relève plutôtde la liberté de circuler et de s'installer au sens de l'article 2 du Protocole n° 4 additionnel à laConvention : « Quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circulerlibrement et d'y choisir librement sa résidence ». Or, la notion de celle-ci étant plus restreinte que laliberté physique au sens de l'article 5 de la Convention, sa privation est considérée comme inhérenteà la peine privative de liberté 2257 . Ce n'est, comme nous verrons plus loin, que le respect de la viefamiliale qui puisse limiter la privation de cette liberté : le respect de la vie familiale doit être pris encompte dans le choix du lieu de détention.Reste donc la question du respect des autres éléments du droit au respect du domicile : la libertéde son usage et l'intimité. La question que soulève leur application à l'égard des détenus est lasuivante : quand bien même le lieu de vie n'est pas librement choisi, le respect de la vie privéen'imposerait-il pas la reconnaissance d'un droit des détenus au respect d'un lieu privé à l'intérieur dela prison, du moins celui de la cellule ? Ou est-ce que la prison, en tant qu'institution publique,abolirait-elle toute discontinuité entre vie privée et vie publique, astreignant le détenu à une viepublique continue ?La jurisprudence européenne nous dispense d'une interrogation en ces termes. La manièred'aborder cette question montre qu'elle n'accorde pas valeur d'argument légitime ni à la théorie dustatut public du détenu ni aux qualifications juridiques du titre d'occupation de la cellule. Les raisonsen faveur ou à l'encontre du respect du secret de certains espaces dans la prison sont puisées dans laliste exhaustive de l'article 8 de la Convention. En principe, seules des considérations liées à lasituation de fait des détenus peuvent justifier une spécificité dans la garantie de la vie privée. Or, euégard à la jurisprudence européenne, la seule spécificité d'ordre général qu'on puisse reconnaître estla soumission des détenus à une forme de vie publique du fait qu'il vit en collectivité. LaCommission a reconnu, à propos des personnes ayant une vie publique, que celle-ci entraîne une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...restriction considérable de leur vie privée 2258 . Toutefois, à la différence de ces personnes, la vie desdétenus est de caractère forcé, et de surcroît, permanent et non « intermittent » pour reprendre leUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008terme utilisé par Jean Carbonnier 2259 . Le détenu est forcé de vivre au sein d'une institution publiquequi encadre continûment et globalement sa vie quotidienne 2260 . Dès lors, et du fait que le respect de2257 CEDH, Engel et autres c. Pays-Bas, préc., § 58.2258 . « La prétention au respect de sa vie privée est automatiquement réduite dans la mesure où l'individu luimêmemet sa vie privée en contact avec la vie publique ou la place dans un rapport étroit avec d'autres intérêtsprotégés », Rapport de la Commission du 12 juillet 1977.2259 . J. CARBONNIER, Droit civil, Paris, PUF, 1993, p. 121.2260 . Le détenu ne retrouve pas le droit au respect de son domicile, même lors des congés familiaux : il restesous surveillance permanente et ininterrompue, CEDH, Boyle et Rice c. R.U., n° 9659/82, 9658/82, 27 avril1988, Série A, n°131, § 77.


la vie privée nécessite un lieu privé, ne devrait-on pas attacher une certaine garantie au moins à lacellule ?454Dans les droits nationaux, la qualification de la prison comme établissement public ne constituepas non plus, comme nous l'avons noté, un obstacle juridique majeur à ce qu'un lieu soit considérécomme privé. Ce qui importe, c'est l'affectation psychologique et subjective d'un lieu, considéré parune personne comme chez-soi 2261 . Dès lors, indépendamment du titre d'occupation de la cellule,celle-ci pourrait et devrait servir au détenu de lieu privé. De même qu'on reconnaît que le bureau detravail, ou une chambre d'hôtel, sont des lieux privés, on peut reconnaître qu'au moins là où le détenuvit sa vie la plus intime (où il y dort, mange et fait sa toilette), en l'occurrence la cellule, est un lieuprivé.En prison nous entrons en terre étrangère au concept de vie privée. Il est significatif que mêmeles termes « domicile » et « vie privée » sont absents du vocabulaire du droit pénitentiaire. Notons àce propos, que le terme « logement » utilisé dans la traduction française d'une décision de laCommission pour désigner la cellule pourrait laisser voir un rapprochement de la cellule audomicile 2262 . Dans l'affaire citée, la Commission avait précisément décrit la cellule en ces termes :« Habituellement, le logement des requérants consiste en une petite cellule, équipée de... 2263 ».Cependant, la traduction anglaise nous détrompe d'une telle intention de la Commission. Cette mêmephrase est traduite dans les termes suivants : « The applicants' accomodations consists... ».D'ailleurs, pour importante que soit la sémantique des termes utilisés, l'assimilation effective de lacellule au domicile résulterait de l'application de garanties similaires à celles prévues pour ledomicile. Or, tel que nous allons le voir, ce n'est pas le cas. Tout en considérant divers agissementsdes autorités pénitentiaires dans les cellules comme des ingérences dans la vie privée du détenu, laCommission s'est gardée d'assimiler la cellule à un domicile ou à un lieu privé. En effet, à part laprotection de la propreté du lieu de détention comme celui de l’environnement proche de la prison<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>qui est reconnue aux détenus 2264 , mais qui, en général, est indépendante du lien juridique entre un<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...lieu et son occupant, l'examen des garanties du secret et de la liberté de l'usage de la cellule au seinde la jurisprudence européenne et des droits nationaux, nous détrompe d'une quelconque assimilationde la cellule à un lieu privé.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008B. Transparence de la cellule2261 Références : Cass, Crim., 8-12.1983, Gaz. pal., 1984-1-394; et 18-11.1986, Gaz. pal., 1987-1-167.2262 . D 8317/78 (McFeeley/R.U) 1980, DR 20, p. 140.2263 . « Habituellement, le logement des requérants consiste en une petite cellule, équipée de couchettes, d'unetable et de chaises, d'un petit placard pour les effets personnels et d'un tableau d'affichage au mur. Il possèdeune fenêtre de taille appropriée qui donne assez de lumière et une ventilation suffisante », D 8317/78(McFeeley/RU), préc., p. 140.2264 Air infecté et odeurs pestilentielles émanant d’une ancienne décharge située à proximité de la prison,Branduse c. Roumanie, n° 6586/03) (communiqué).


455Que la cellule ne soit pas considérée comme lieu privé, apparaît comme une évidence, si l'onexamine les modalités des fouilles et des perquisitions dans les cellules (1), et si l'on tient compteégalement que les détenus ne possèdent pas les clés et qu'un judas est installé sur les portespermettant aux surveillants d'inspecter l'intérieur à tout moment (2).1. Les modalités des fouilles et des perquisitions de la celluleCertes les fouilles et les perquisitions ne sont pas une spécificité de la prison. Elles peuvent avoirlieu dans d'autres contextes. Ainsi, comme nous l’avons vu, afin de recueillir des preuves d’uneinfraction et/ou identifier les auteurs, des perquisitions peuvent avoir lieu au domicile, dans deslocaux professionnels, aux sièges des journaux, etc. 2265 .Mais c'est la comparaison des règles applicables lors des fouilles et perquisitions des cellules desdétenus et celles appliquées dans les lieux privés qui nous permettra d'établir si, et dans quellemesure, les cellules sont assimilées à des lieux privés. Compte tenu de la gravité de l'atteinte que cesingérences portent à la vie privée et au domicile, elles sont encadrées des garanties visant à limiterleur exercice et à protéger les personnes contre des abus. Ainsi à propos des perquisitions dans leslieux précités, la Cour a déclaré : « Il faut que la législation et la pratique en la matière offrent auxindividus des ‘garanties adéquates et suffisantes contre les abus 2266 » ainsi qu’« un encadrementlégal et une limitation des plus strictes de tels pouvoirs 2267 ».Cette instance européenne demande précisément des « raisons pertinentes et suffisantes » pourjustifier ces mesures et « des garanties adéquates et effectives » contre les abus 2268 , et pour le respectde la proportionnalité 2269 . Le but est que « l'exercice des pouvoirs permettant de porter atteinte audomicile et à la vie privée demeure confiné dans des limites raisonnables afin que soit réduit auminimum l'impact que de telles mesures peuvent avoir sur la sphère personnelle – y compris lesaspects de sécurité et de bien-être – de l'individu telle que la garantit l'article 8 2270 ».2265 « La Cour a toujours jugé que les Etats contractants peuvent estimer nécessaire de recourir à des mesurestelles que les visites domiciliaires et les saisies pour établir la preuve matérielle de certaines infractions »,CEDH, Buck c. Allemagne, préc., §§ 45-52. Voir CEDH, Funke c. France, 25 février 1993, Série A n o 256-A,§§ 55-57 ; CEDH, Crémieux c. France, 25 février 1993, Série A n o 256-B, §§ 38-40 ; CEDH, Miailhe c.France, 25 février 1993, Série A n o 256-C, §§ 36-38.2266 CEDH, Camenzind c. Suisse, 16 déc. 1997, Recueil 1997-VIII, § 45 ; CEDH, Keegan c. Irlande, préc.,§ 31 ; arrêt Camenzind, 16 déc. 1997, § 45.2267 CEDH, Camenzind c. Suisse, préc., § 45 ; CEDH, Buck c. Allemagne, préc., §§ 44-45.2268 CEDH, Buck c. Allemagne, préc., §§ 44-45 ; CEDH, Keegan c. Irlande, préc., § 31.2269 CEDH, Buck c. Allemagne, préc., § 45.2270 CEDH, Keegan c. Irlande, préc., § 34. Voir CEDH, Buckley c. R. U., 25 sept. 1996, Recueil 1996-IV,§ 76.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


456Ces garanties s’apprécient à la lumière des circonstances particulières à chaque affaire 2271 et auregard des éléments suivants : la gravité de l'infraction qui a motivé la perquisition et la saisie 2272 ;l’existence d’un mandat judiciaire ou pas (son absence demande le redoublement de la vigilance dela Cour contre les abus 2273 ) ; le contenu et l'étendue du mandat, eu égard en particulier à la nature deslieux perquisitionnés 2274 ; l’existence d’autres moyens d’établissement des preuves moinsgraves 2275 ; les garanties prises afin que la mesure n'ait pas d'effets déraisonnables 2276 , y compris laprésence des observateurs indépendants pendant la recherché 2277 ; des précautions élémentaires tellesque la vérification de l’adresse donnée par un suspect et de l’identité des occupants 2278 ; ainsi quel'étendue des répercussions possibles sur la réputation de la personne visée par la perquisition 2279 .Enfin la violation de l’article 8 peut être d’ordre procédural et due au manquement de mener uneenquête effective sur des allégations d’une perquisition abusive. Il s’agit de manquement au « respectdes obligations de caractère procédural » qui incombent également aux Etats en matière deprotection de la vie privée et du domicile 2280 .Or même au regard des deux garanties fondamentales exigées par les droits grec et français enmatière de fouilles et perquisitions, à savoir l'autorisation judiciaire expressément accordée pour unefouille et perquisition précise (a) et l'assentiment et présence de l'occupant (b), celles qui ont lieudans les cellules montrent que ces lieux ne sont pas considérés comme des lieux privés.a. Non-exigence d'une autorisation judiciaireL'autorité judiciaire étant le garant de la liberté individuelle, il va de soi qu'il en est ainsi del'inviolabilité du domicile. En effet, dans l'ordre juridique français et grec, toute fouille etperquisition doit être décidée par l'autorité judiciaire 2281 . Cette autorisation doit en outre être délivrée<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2271 CEDH, Buck c. Allemagne, préc., § 45 ; CEDH, Smirnov c. Russie, préc., § 44.2272 Ainsi, une infraciotn mineure peut ne pas justifier un acte aussi intrusif dans la vie privée, CEDH, Buck c.Allemagne, préc., § 47.2273 CEDH, Camenzind c. Suisse, préc., §§ 37-45. Voir CEDH, Funke c. France, préc., §§ 55-57 ; .CEDH, M.c. Turquie, n° 34494/97, CEDH 2006-VIII, § 25.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082274 « Concerne le contenu et la portée du mandat de perquisition et de saisie, la Cour constate que la décisionétait rédigée en termes larges. La portée du mandat ne fut pas limitée à ce qui était indispensable dans lescirconstances de l'espèce », CEDH, Buck c. Allemagne, préc., § 50.2275 Ibid., § 49.2276 Ibid., § 45.2277 CEDH, Smirnov c. Russie, préc.,§ 44.2278 Cela n'implique pas que toute perquisition infructueuse doive être considérée comme disproportionnée, ilsignifie seulement qu'une perquisition peut être jugée disproportionnée si elle n'a pas été entourée desprécautions raisonnables qu'il était possible de mettre en œuvre, CEDH, Keegan c. Irlande, préc., § 35.2279 CEDH, Chappell c. R.U., préc., § 60 ; CEDH, Niemietz c. Allemagne, préc., § 37 ; CEDH, Funke c.France, préc., § 57 ; CEDH, Camenzind c. Suisse, préc., § 46 ; CEDH, Buck c. Allemagne, préc., § 45.2280 CEDH, M. c. Turquie, préc., § 26.2281 . P. KAYSER, La Protection de la vie privée, préc., pp. 276-282.


457pour effectuer une fouille et perquisition pour des motifs limitativement énumérés par les textesjuridiques. L'autorisation doit avoir un caractère individualisé. Elle doit toujours se référer à undomicile précis et à un occupant précis, et non de manière générale, à tout domicile et à toutoccupant.Cependant, dans la prison, de telles garanties sont inexistantes. Nous observons même unrenversement des règles applicables. Tout d'abord, l'autorisation des fouilles et perquisitions prévuespar la législation pénitentiaire est générale et permanente. Les fouilles et perquisitions peuvent êtreeffectuées à tout moment, à tout espace de la prison et sans motif précis. En droit français, il estprévu que « les surveillants procèdent en l'absence des détenus, à l'inspection fréquente et minutieusedes cellules et locaux où les détenus séjournent, travaillent ou ont accès » (article D. 269 CPP). Endroit grec, cette surveillance est énoncée comme un devoir du personnel surveillant : le premiersurveillant doit « inspecter quotidiennement les cellules individuelles, les dortoirs communs, leslieux de travail et les autres locaux de l'établissement » (art. 115 § 2, al.b CRFTD) ; et le surveillantchef doit « entreprendre une fouille spéciale de l'établissement chaque fois qu'il le juge nécessaire »(article 115 § 2, al.c CRFTD). Les fouilles et perquisitions ne sont donc pas individualisées.De plus, elles ont un caractère essentiellement préventif et un objectif absolu : assurer le« danger zéro » pour la sécurité de la prison. Elles visent en effet à prévenir tout risque d'évasion,d'atteinte à l'intégrité physique d'autrui ou de soi-même, mais aussi tout risque de désordre 2282 . Outrela fréquence des fouilles, l'ampleur des perquisitions témoigne également d’un tel objectif du fait quetout objet est considéré dans la prison comme potentiellement dangereux, donc confiscable : « Lesdétenus ne peuvent garder à leur disposition aucun objet, médicament ou substance pouvantpermettre ou faciliter un suicide, une agression ou une évasion, non plus qu'aucun outil dangereux endehors du temps de travail » (D. 273 CPP).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Au sein de la jurisprudence européenne, la cellule n'est pas non plus considérée comme un lieuprivé. La Commission n'a pas mis en cause de telles modalités des fouilles et des perquisitions dansles cellules. La seule limite qu'elle a apportée concerne la protection des objets personnels desdétenus en considérant que leur confiscation peut porter atteinte au respect de la vie privée. Ainsi,s'agissant de la confiscation des papiers personnels d'un détenu, elle a estimé que, même temporaire,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008elle « porte atteinte au droit au respect de la vie privée 2283 ».Il en résulte donc clairement que les cellules ne sont pas considérées comme des espaces privés.Et l'absence du respect des deux autres règles relatives aux fouilles, à savoir l'assentiment et laprésence de l'occupant, ne font que le confirmer.2282 . Michel PEDAMON, « La Fouille corporelle », RSC, 1961, n° 1, pp. 467-499.2283 . D 6794/74 (RFA), 10.12.1975, DR 3, p. 104.


458b. Non-exigence d'assentiment et de présence des détenusL'exercice des fouilles et perquisitions exige également l'assentiment et la présence desoccupants. Dans le droit de procédure pénale français, les perquisitions, visites domiciliaires etsaisies de pièces à conviction ne peuvent être effectuées sans l'assentiment exprès, a priori écrit, dela personne chez laquelle l'opération a lieu (article 76 CPP). De surcroît, elles doivent s'effectuer enprésence de la personne au domicile de laquelle elles ont lieu (article 57 CPP), sous peine de nullité(article 59 CPP français). Le droit grec prévoit des garanties similaires (art. 256 CPP).Or, dans la prison, c'est le principe inverse qui s'applique. Le droit français prévoit expressémentque « les surveillants procèdent, en l'absence des détenus, à l'inspection fréquente et minutieuse descellules » (article D. 269 CPP français).Mais les fouilles et perquisitions peuvent encore être considérées comme des atteintes à la vieprivée moins graves, ne serait-ce que par leur caractère ponctuel et tangible, comparées à lasurveillance visuelle, au panoptisme continuel et souvent invisible.2. La surveillance et la dépossession des clés de la celluleLa preuve manifeste de non-considération de la cellule comme lieu de vie privée, est égalementapportée par le fait que le détenu ne peut pas s'y enfermer ni s'y abriter des regards d'autrui. Carpouvoir s'enfermer chez-soi, faire de sa maison une forteresse, se mettre à l'abri des regards d'autrui,se mettre en état de défense, expressions par lesquelles Jean Carbonnier définit le respect dudomicile 2284 , signifie que la personne détient au moins les clés. Détenir les clés ne symbolise pas<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>seulement qu'une personne est le maître des lieux. Leur détention est le moyen matériel permettantde s'y enfermer. S'agissant des détenus, c'est l'inverse qui se produit. Ils ne sont pas maîtres de leurenfermement y compris dans leur cellule ; ils le subissent.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008A cela s'ajoute le « judas » sur les portes des cellules qui empêche les détenus de se sentir enintimité, au moins lorsque la porte est fermée. L'intérieur de la cellule peut à tout moment, sansavertissement, ni bien sûr autorisation du détenu, être surveillé. A cette surveillance physique, lerecours de plus en plus fréquent à la vidéosurveillance (ou télésurveillance), détruira même touteillusion d'intimité en cellule 2285 . Outre que cette surveillance sera permanente, elle sera invisible. Ledétenu saura qu'il peut à tout moment être regardé, mais il ignorera quand il est effectivement2284 . J. CARBONNIER, Droit civil, I, Les Personnes, préc., p. 125.2285 . L. MAMPAEY Luc et Jean-Philippe RENAUD, Technologies dans les prisons, Rapport final, Documentde travail pour le STOA Panel, Parlement européen ; juillet 2000.


egardé. Ainsi, la transparence totale, et donc le panoptisme, le vieux fantasme de Bentham, seraenfin réalisée.459Notons que la Cour n’a pas condamné une telle surveillance appliquée durant quatre mois etdemi, dans l’affaire Van der Graaf (2004) 2286 . Tout en la qualifiant comme une « considérablelimitation », une « sérieuse ingérence » dans la vie privée, et susceptible de porter atteinte égalementà la dignité dès lors que l’absence totale d’intimité peut amener au désarroi et à la déstabilisationpsychique, cette instance estime que, dans certains cas, elle peut être justifiée. A condition qu’ellesoit limitée dans le temps, et de s’assurer qu’elle n’a pas causé une souffrance mentale d’une gravitételle qu’elle ait atteint le minimum de gravité requis pour être qualifiée de traitement inhumain oudégradant. Son application peut être justifiée par le risque d’évasion combiné avec la gravité del’infraction commise par la personne concernée. Tel a-t-elle jugé avoir été le cas d’une personnesoupçonnée d’avoir tué par balles un homme politique connu aux Pays-Bas : son acte a provoqué ungrand choc et une grande indignation et peut être considéré comme une attaque directe à ladémocratie.Nous observons donc que, si le secret ne jouit pas d'une garantie absolue dans une sociétédémocratique, il n'y a pas d'échelle commune de comparaison avec sa garantie au sein de la prison.L'atteinte au secret du lieu privé y devient la règle ; la discontinuité entre vie privée et vie publique yest abolie. Le principe qui règne est la mise sous surveillance globale et continue des détenus et del'espace. D'autant plus que la surveillance des agents publics n'est pas la seule à laquelle les détenussont soumis. A celle des surveillants, s'ajoute celle exercée par les codétenus. Pourtant le droit des'abriter des regards d'autrui est valable non seulement à l'égard des agents publics, mais également àl'égard de tierces personnes. Cet aspect relevant également de la liberté d'une personne à s'isolertotalement ou à choisir les personnes avec qui il souhaite partager sa vie intime, nous amène àl'examen de la liberté des détenus de vivre en cellule à leur convenance.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>C. Usage non-libre de la cellule<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Contrairement à l'intimité de la vie en cellule, une certaine liberté dans la manière de vivre estaccordée au détenu. Mais nous verrons, en examinant la liberté d'y vivre seul, et à défaut, de choisirses compagnons (1), ainsi que de la liberté d'aménager la cellule et y passer son temps comme il lesouhaite (2), qu'elle est très limitée et ne jouit pas de garanties suffisantes.1. Absence d'un droit à rester seul dans la cellule2286 CEDH, Van der Graaf c. Pays-Bas, (déc.), n° 8704/03, CEDH, 2004-VI.


460Le droit de vivre seul dans son domicile, à moins que la personne ait choisi d'y vivre avecd'autres personnes, est un droit requis par le respect tant de l'intimité que de la liberté de l'usage dudomicile.Concernant l'application de cette liberté en prison, nous constatons que la possibilité d'occuperune cellule individuelle est reconnue aux détenus tant en droit français qu'en droit grec. En droitgrec, la vie en cellule individuelle est prévue en tant que droit des détenus : « Le placement encellule individuelle constitue un droit des détenus » (art. 21 §2 C. pénit.). En droit français, elle estprévue en tant que possibilité : « Tout détenu sauf s'il est mineur peut être placé à l'isolement parmesure de protection ou de sécurité, soit sur sa demande, soit d'office » (art. D. 283-1 CPP).Cependant les autorités pénitentiaires ne sont tenues de satisfaire une telle demande du détenu quedans la mesure du possible. Et en réalité, cela devient un privilège. Devant la surpopulationcarcérale, phénomène qu'aucun pays d'Europe n'ignore, non seulement le partage de la cellule est larègle, mais les détenus y sont entassés à plusieurs de sorte que même la préservation d'un espacephysique vital, parfois indispensable pour ne pas se toucher physiquement et respirer, ne leur est pasassurée. Pourtant dans le cadre de la prison, lieu de vie collective, respecter la volonté de vivre seulou de choisir ses compagnons est (comme nous l'avons noté dans le cadre de l'examen des droits à lavie, à l'intégrité et à la dignité) encore plus impératif tant pour éviter les effets néfastes de lapromiscuité que pour assurer la sécurité physique des détenus. Le détenu peut se trouver encompagnie non seulement indésirable, mais aussi stressante, voire menaçante.2. Dépersonnalisation de l'espace et du temps de vie en celluleLe droit au respect du domicile comprend également la liberté de la personne d'user de sondomicile à sa convenance, à savoir la liberté d'aménager l'espace intérieur et d'y vivre à sa guise.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Pour ce qui est de son application en prison, nous observons qu'une certaine possibilité estreconnue aux détenus de vivre en cellule à leur convenance. Mais cette possibilité ne leur est pasreconnue dans le cadre du respect du droit à la vie privée en général et au domicile en particulier.Elle leur est reconnue dans le cadre de la politique du traitement depuis que l'objectif de celui-ci est<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008réorienté vers la limitation des effets désocialisants de la prison. Ayant conscience que l'uniformitéde l'espace et des modalités de vie entraînent la dépersonnalisation des détenus par la privation derepères identitaires 2287 . et que cet effet est contraire à ce nouvel objectif, certains droits nationauxleur ont reconnu la faculté de reconstituer un espace personnalisé en les autorisant à aménager et àdécorer leur cellule. Il en est ainsi en droit pénitentiaire français. Cette possibilité est expressémentreconnue par le décret n° 83-48 du 26 janvier 1983 : « Chaque condamné est autorisé à aménager sa2287 . E. GOFFMAN, Asiles, Études sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, éd., Minuit, 1968.


461cellule d'une façon personnelle », à condition de ne pas « entraîner la dégradation des installationsimmobilières ou mobilières existantes » (art. D.449 al.b CPP). Dans des prisons surpeupléesl'importance de cette possibilité est réduite à un mètre carré sur le mur à côté du lit, si elle n'est paspurement et simplement anéantie. Le droit pénitentiaire grec donne la même possibilité aux détenussous la condition que le chef d’établissement estime que cela ne perturbe pas la vie en commun nil’observation des mesures de sécurité (art. 21 §7 C. pénit.).Quant à la liberté des détenus d'y vivre à leur convenance, elle ne peut qu'être réduite à la libertéde choisir les occupations autorisées par le règlement : lire, écrire, écouter la radio, regarder latélévision, travailler, réfléchir, etc. A propos de cette liberté, le droit grec est silencieux. Enrevanche, le droit français prévoit cette possibilité : « Les détenus peuvent être autorisés lorsqu'ils setrouvent dans leur cellule, à se livrer individuellement à des activités de leur choix qui nepréjudicient pas à l'ordre et à la sécurité » (art. D. 449, al.a, CPP).Mais les atteintes à la vie privée entraînées par la peine privative de liberté dépassent celles deslieux pour toucher le corps.§ 2. Le détenu quasiment privé de l'intimité et de la libre disposition de son corpsL'intégrité physique, l'intimité et le paraître du corps constituent des aspects de vie privéeexigeant un respect encore plus renforcé que l'espace privé. L'intégrité physique du corps étantexaminé à part, nous nous limitons ici, à l'examen du respect de l'intimité du corps (A) et de la libertéde paraître (B).A. Le corps transparent<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>L'examen de l'intimité du corps montrera l'ampleur la plus extrême de l'extension de la peineprivative de liberté à la vie privée. Le détenu devient un homme public jusque dans sa chair ; ildevient transparent. Nous allons en effet voir que le but et l'essence de la peine privative de libertéexécutée par la prison ne vise pas seulement à priver le détenu de sa liberté de mouvement physique<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008en lui assignant un périmètre de vie ; elle vise aussi à le soumettre à une surveillance totale etininterrompue à l'intérieur de ce périmètre jusqu'à la visibilité totale, voire à la transparence de soncorps. Cet objectif se dessine clairement par l'ampleur de la surveillance de son corps qui va de cellede sa position physique dans l'espace (1) jusqu'aux fouilles corporelles (2).1. Le corps surveillé


462Qu'il soit en mouvement ou en état statique le détenu est constamment surveillé. Il ne peut pas sedéplacer sans autorisation préalable ; et cette autorisation ne peut être accordée que pour effectuerdes déplacements précis, prévus par le règlement : pour emprunter un itinéraire précis, à des heuresprécises, pour effectuer des tâches précises. De surcroît, tout placement et déplacement du détenu estsurveillé (physiquement par l'escorte) et visuellement par des moyens de télésurveillance dans lesétablissements qui en sont équipés. Seuls y échappent, les lieux des visites médicales et des visitesd'avocats, couverts réciproquement par le secret médical et le secret de la défense. C'est là une tâcheexpressément assignée aux autorités pénitentiaires par les textes relatifs à l'exécution de la privationde liberté.En droit français, on peut lire, dans la partie « Décrets » du Code de la procédure pénale : « Lespersonnels pénitentiaires doivent être en mesure de s’assurer de la présence effective des détenus » ;« La présence de chaque détenu doit être contrôlée au moment du lever et du coucher, ainsi que deuxfois par jour, à des heures variables » ( art. D. 271) ; « Des rondes sont faites après le coucher et aucours de la nuit... » (art. D. 272) ; « Les détenus placés à l'extérieur demeurent soumis à lasurveillance effective du personnel pénitentiaire » (art. D. 130) ; et, durant les visites, « unsurveillant est présent au parloir ou au lieu de l'entretien. Il doit avoir la possibilité d'entendre lesconversations » (article D. 406, al.a).En droit grec, les dispositions du Code des règles fondamentales pour le traitement des détenusqui sont annexées au Code pénitentiaire, bien que plus laconiques, n'en sont pas moins significatives.Le premier surveillant « contrôle la présence des détenus dans les cellules individuelles et dans lesdortoirs communs, au réveil, durant le repos journalier et au moment du coucher... (art. 115 §2, al.a).Les visites faites aux détenus se déroulent dans un local « où il y a un contrôle optique » (art. 50 §2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Et comme nous l’avons vu, la jurisprudence européenne a approuvé des degrés de surveillanceextrêmes de la vie en cellule. Au-delà de l’inspection régulière jour et nuit de la cellule par le« judas » de la porte, et la soumission sous le regard permanent des codétenus dans les prisonssurpeuplées, certains détenus peuvent être soumis à une surveillance physique permanente via un<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008circuit de télésurveillance (Van der Graaf, 2004) 2288 .Avec la soumission du détenu à une telle surveillance et un tel contrôle nous sommes au cœur dutotalitarisme de la prison, à propos de laquelle Erving Goffman disait qu'elle est le prototype del'institution totalitaire : elle en est son expression la plus ostensible. D'autant plus que la surveillancephysique des détenus dépasse celle de leurs gestes et mouvements ; elle transperce leurs vêtementspour atteindre l'intimité de leur corps.2288 CEDH, Van der Graaf c. Pays-Bas, (déc.), préc.


4632. Le corps fouilléLa surveillance de la position physique du détenu dans l'espace n'est pas encore suffisante pourles exigences de sa peine ou de la sécurité de la prison. Celles-ci visent à rendre le détenuparfaitement inoffensif. Pour ce faire, il faut neutraliser le corps comme source potentielle de risque.Dès lors, les vêtements mais aussi l'opacité du corps sont considérés comme des obstacles. Seul lecorps transparent convient à leurs exigences. C'est ce que visent en général les fouillescorporelles 2289 , qui peuvent aller de la simple palpation jusqu'à l'auscultation du corps. Or, si lapalpation du corps ne constitue qu'une légère atteinte à la vie privée de la personne (elle est d'ailleursactuellement de plus en plus généralisée pouvant s'effectuer à toute personne souhaitant pénétrerdans certains lieux publics ou privés), en revanche les fouilles dites intégrales, consistant à dénuderune personne, constituent une atteinte grave aussi bien à l'intimité qu'à la dignité de la personne.C'est alors notamment l'exercice de ce dernier type de fouille des détenus qui est le plus préoccupant.Nous avons traité, dans le cadre du respect de la dignité au sens de l’article 3 de la Convention,la question des fouilles corporelles. Rappelons que, depuis 2001, la Cour les considère commepotentiellement attentatoires à la dignité aussi bien lorsqu’elles sont exercées sur des détenus 2290 quesur les visiteurs 2291 . Elle ne les a pour autant pas interdites estimant qu’elles peuvent, parfois, êtrenécessaires pour assurer la sécurité dans une prison, défendre l'ordre ou prévenir des infractionspénales. Elle a seulement exigé qu’elles doivent être motivées et menées selon les modalitésadéquates. A défaut, elles risquent de dégénérer en traitements dégradants 2292 et, combinées avecd’autres mesures de sécurité renforcée, de devenir des traitements inhumains ou dégradants 2293 . Cequi importe de souligner ici est que si, pour tomber sous l’article 3, elles doivent atteindre le seuilminimum de gravité requis pour une telle qualification, en revanche elles doivent automatiquementêtre analysées comme des atteintes à la vie privée au sens de l’article 8 de la Convention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...L’intérêt pratique de cette qualification est de faciliter le droit de recours dans les droitsnationaux. Dans la mesure où, au regard du premier paragraphe de l'article 8, les fouilles sontautomatiquement analysées comme des ingérences dans la vie privée, les personnes concernéesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082289 . Selon cet auteur, la fouille opérée après une arrestation régulière, si elle vise de découvrir des éléments depreuve, cherche avant tout, à prévenir toute possibilité de suicide, d'évasion ou d'agression. Elle est une mesurede sécurité et elle s'impose du fait que les autorités dont elle dépend, assument la responsabilité de sa vie et deses actes. De ce fait, son domaine a toujours été largement entendu, car il doit répondre à une sorte de nécessitéde neutralisation, E. GOFFMAN, Asiles, préc., p. 486.2290 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc.; CEDH, Frérot c. France, préc. ; CEDH, Valainas c. Lituanie,préc., § 117 ; CEDH, Iwanczuk c. Pologne, préc.2291 CEDH, Wainwright c.R.U., n°12350/04, CEDH 2006-IX.2292 CEDH, Valainas c. Lituanie, préc., § 117, ; CEDH, Iwanczuk c. Pologne, préc., § 59.2293 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc. ; CEDH, Frérot c. France, n°70204/01, CEDH-2007-VI.


464doivent pouvoir exercer un recours devant une instance au sens de l'article 13 de la Convention pourcontrôler la légitimité des motifs, la nécessité d'y procéder et les modalités de leur déroulement.Ainsi, l'application de l'article 8 contribuerait à limiter la carte quasi blanche dont disposentactuellement les autorités pénitentiaires en cette matière. Elle contribuerait du moins, à les inciter àeffectuer les fouilles dans des conditions respectant mieux l'intimité et à limiter leur fréquence enexigeant de motiver chaque fouille par des raisons précises et non par des considération généralesd'ordre et de sécurité.Telles sont les exigences de la Cour qui estime que la violation peut également résider dans laréglementation même de l’exercice des fouilles marquée par l’absence de telles garanties. Ainsi,même lorsque les garanties pour réduire le caractère humiliant sont prévues et respectées (comme lefait d’avoir lieu dans un local hors la vue des tierces personnes, en absence de personnel de sexeopposé, avec des gants, en présence d’un médecin, etc.), les fouilles peuvent constituer destraitements dégradants, voire inhumains. Tel peut être le cas lorsqu’elles sont intégrales,systématiques et sans motivation spéciale. Ainsi, la Cour a jugé que cela fut le cas dans les affairesFrerot 2294 et Van der Ven 2295 à propos des fouilles sécuritaires c’est à dire des fouilles qui faisaientpartie des régimes de sécurité renforcée auxquels ces détenus avaient été soumis. De telles mesures,si elles peuvent encore être justifiées pour une courte durée, se transforment, avec le temps, entraitement dégradant 2296 , voire inhumain 2297 .Mais « même isolée », une fouille corporelle peut constituer un tel traitement eu égard à lamanière dont elle est pratiquée et les objectifs poursuivis. Tel a été par exemple le cas dans l’affaireIwaczuk 2298 eu égard aux motifs et aux conditions dans lesquelles elle a eu lieu. Cette personne, quitentait depuis la prison de faire respecter les droits des détenus, a été soumise à une fouille intégraleaccompagnée des rires moqueurs des surveillants avant d’entrer dans le local de vote sans aucunautre motif. La Cour a estimé que son objectif était l'humiliation et l’avilissement de cette personne.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Tel a également été le cas dans l’affaire Valasinas 2299 . La personne concernée avait été mise à nu en<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...présence des personnes du sexe opposé, et des surveillants ont touché sa nourriture avec leurs mainsalors qu’ils venaient de toucher ses organes génitaux sans porter de gants.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082294 CEDH, Frérot c. France, préc.2295 CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc..2296 CEDH, Frérot c. France, préc., §47-48.2297 Dans l’arrêt Van der Ven c. Pays-Bas, précité,§ 63, la Cour avait estimé que la pratique de la fouillecorporelle, même selon des modalités « normales », avait un effet dégradant et s'analysait en une violation del'article 3 de la Convention dès lors qu'elle avait lieu chaque semaine, de manière systématique, routinière etsans justification précise tenant au comportement du requérant.2298 CEDH, Iwanczuk c. Pologne, préc., § 59.2299 CEDH, Valainas c. Lituanie, préc., § 117.


Pour les fouilles effectuées sur des visiteurs, la Cour est encore plus exigeante. En qualifiant lafouille sur une personne dénudée de « procédure aussi intrusive et potentiellement avilissante pourdes personnes 2300 », elle insiste sur la nécessité d’appliquer strictement les règles en vigueur. Ainsi,l’absence d’explication sur le déroulement de la fouille, le dénudement total et certes le risque d’êtrevu par des tiers parce que le local n’est pas isolé, peuvent rendre une telle mesure dégradante. Ce quia été le cas à propos de la fouille d’une mère et de son fils qui rendaient pour la première fois visiteau second fils qui venait d’être incarcéré. Ces agissements n’ayant pas été motivés par le butd’humilier les personnes mais plutôt par un « laxisme » au regard du respect de la procédure, laCour, tout en admettant qu’ils ont incontestablement angoissé les intéressés, a estimé qu’ils n’ontpas atteint le minimum de gravité requis par l’article 3. En revanche, elle a estimé qu’ils ontconstitué une violation de la vie privée au sens de l’article 8. Alors même que le but était légitime,lutter contre le problème de drogue auquel la prison se trouvait confrontée, cette instance n’a pas étéconvaincue que les fouilles étaient proportionnées à ce but, et donc nécessaires dans une sociétédémocratique : « Lorsque des procédures sont mises en place pour une conduite adéquate des fouillespratiquées sur des personnes extérieures à la prison, qui peuvent parfaitement n’avoir rien à sereprocher, il incombe aux autorités carcérales de se conformer strictement aux garanties fixées et deprotéger autant que possible, par des précautions rigoureuses, la dignité des personnes soumises à lafouille 2301 ».Concernant les détenus, les fouilles corporelles continuent pourtant à rythmer leur vie en prison.Elles ont lieu avant et après les entrées et sorties de la prison (quel que soit le motif de la sortie),avant et après les visites, ainsi que chaque fois que cela est jugé nécessaire par la direction del'établissement pénitentiaire. En droit français, ces fouilles ainsi que la fouille avant et à la fin d'unemesure d'isolement ou d’une sanction disciplinaire de mise en cellule 2302 sont expressément prévuesdans la partie Décrets du Code de procédure pénale (art. D 275, al.a, D 284 al. b et D 406 al. b), et<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>dans la circulaire n° 86-12 du 14 mars 1986 2303 . Quant au droit grec, le Code pénitentiaire ne prévoitexpressément que les fouilles lors de l'écrou (art 23 §6).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Mais eu égard à la disposition de l'article 115 § 1 al. c, du Code des règles fondamentales pour letraitement des détenus, qui prévoit parmi les attributions du chef surveillant la supervision desfouilles corporelles, la détermination des cas où celles-ci peuvent avoir lieu serait laissée au pouvoird'appréciation de la direction de l'établissement. Il est simplement précisé que les fouilles sonteffectuées par des gardiens conformément aux lois et aux règlements (art. 117, al.c, CRFTD). Et leUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20084652300 CEDH, Wainwright c.R.U., préc., § 44.2301 Ibid., § 48.2302 Voir à ce propos, Martine HERZOG-EVANS, « Fouilles corporelles et dignité de l'homme », RSC (4), oct.-déc., 1998, pp. 735-747.2303 Ibid.


èglement pénitentiaire précise que les fouilles tant des personne que des lieux doivent avoir lieudans le respect de la dignité (art. 10 § 9).466Par conséquent, tant en droit grec qu'en droit français, où il est expressément accordé audirecteur d'établissement d'ordonner une fouille chaque fois qu'il l'estime nécessaire (art. D 275, al.a,CPP), le détenu peut être fouillé à n'importe quel moment sans fournir un motif précis. Dès lors, niles modalités ni les motifs, ni encore moins la nécessité, ne peuvent faire l'objet de contrôle.A l'heure actuelle, ni les habits ni même la peau ne peuvent servir aux détenus de rempart contrel'invasion de leur intimité. Pourtant nous ne pouvons omettre de souligner à propos des fouilles, leurgravité particulière tant pour l'intimité et la dignité de l'homme, que pour leur participation au sensdonné à la peine privative de liberté et de l'ordre dans une société démocratique, fusse-t-il de l'ordred’une institution spéciale. Alors même qu'une personne n'a plus de lieu privé pour préserver sonintimité, il lui reste au moins les habits, l'ultime refuge d'intimité de l'homme 2304 , seraient-ils enlambeaux, pour cacher au moins une partie de sa nudité. Or, non seulement le rôle élémentaire deshabits n'est pas respecté dans le cas des détenus ; mais il est fort probable que si la « scannerisation »de leurs corps était financièrement supportée, les autorités n'auraient pas hésité à y procéder.Cette invasion totale du corps des détenus à des fins sécuritaires permet de poser cette questionsur l'ordre de la prison : peut-on concevoir la légitimité d'un ordre de risque zéro, serait-il limité enprison, dans une société démocratique ? Un tel objectif contredit indéniablement le principe affirmépar les instances européennes que, quel que soit l'objectif visé et les circonstances, seules deslimitations dans l'exercice des droits de l'homme peuvent être justifiées dans une sociétédémocratique et jamais des privations. Ces dernières vident les droits de l'homme de leur substance,ce qui est incompatible avec leur respect dans une société démocratique. Or, avec des fouilles siintimes, et avec une fréquence laissée à l’appréciation totale des autorités pénitentiaires, il ne fait pasde doute qu'il ne reste rien d'intime au détenu à protéger. Il est réduit à la transparence totale etconstante.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Après, une telle invasion de l'intérieur du corps du détenu, les questions qui portent sur sonapparence, peuvent paraître secondaires. Elles n'en contribuent pas moins à la sauvegarde de la vieprivée et de la dignité de la personne.B. Le paraître défiguré2304 .« Le vêtement constitue le 'lieu' même où se meut le corps en toute liberté et toute intimité », R.KOERING-JOULIN, « Des implications répressives du droit au respect de la vie ... 8 de la Conventioneuropéenne des droits de l'Homme », RSC 1986, n°4, pp. 721-750, (p. 747).


467Le droit à l'image comporte également le droit à la liberté de l'apparence. Le droit à l'imagepeut être défini comme « le droit de la personne d'être perçue par les tiers avec l'apparence qu'elle achoisie 2305 ». En général, la réglementation de la garantie de ce droit porte sur des questions liées àl'identité civile (comme la liberté de changer ou pas de sexe), à la déformation de l'image par desmontages ou de son usage à des fins publicitaires ou commerciales sans le consentement de lapersonne 2306 . Toutefois, dans la prison, ce droit peut concerner des aspects si élémentaires que lelégislateur n'a pas pris la peine de les réglementer tant leur considération comme des aspects relevantde la vie privée la plus stricte va de soi. Il s'agit en effet de la liberté vestimentaire (1), mais aussi dela coupe des cheveux et de l'esthétique du visage (2).Pourtant, il a fallu attendre longtemps pour que ces aspects, si évidents du respect de la liberté del'image, soient reconnus au détenu par certains droits pénitentiaires. Ces aspects faisaient, jusqu'à uneépoque encore récente, partie de la peine privative de liberté. Ils sont, selon Erving Goffman,fortement associés au processus de la dépersonnalisation et de dégradation de l'image du détenu.1. Le choix vestimentaireDepuis l'institution de la peine privative de liberté, le détenu a été privé de la libertévestimentaire. Il était obligé de revêtir le costume pénal. Les raisons traditionnellement invoquéespour le justifier furent : l'hygiène, la sécurité (notamment pour pouvoir les distinguer des visiteurs),la prévention des évasions ou la facilitation de la reprise des évadés. Mais au-delà des raisonsinvoquées ci-dessus, le costume pénal signifiait également la dépersonnalisation des détenus : ilservait d'insigne à leur nouvelle identité, celle de « détenu ». La représentation artistique du détenupar l'uniforme témoigne de la force symbolique identitaire de cet habit. L'expression « costumepénal » ne laisse pas de doutes que le port de l'uniforme était également lié à la pénalité. A ce propos,le droit français montre que cette expression était en soi significative. Le législateur français avait,lors de la reforme du droit pénitentiaire en 1975, jugé important de ne changer que la terminologie.Le décret n° 75-402 du 23 mai 1975 a remplacé l'expression de « costume pénal » par celle de« costume fourni par l'administration pénitentiaire ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Que le port de l'uniforme constitue une atteinte à la dignité des détenus et à leur personnalité futconscient et accepté, cela ne laisse pas de doutes si l'on tient également compte d'un autre élément.Que sa suppression ait commencé à avoir lieu lorsque l'objectif du traitement des détenus est passéde celui de la création d'un nouvel homme qui devrait se défaire de son identité passée, vers celui denon-désocialisation et de réinsertion ; réinsertion par une politique sociale, de surcroît, proposée et2305 . J. ROBERT, Droits de l'homme et libertés fondamentales, Paris, Montchrétien, 1993, p. 370.2306 . Ibid., pp. 370-373.


non imposée aux détenus et pour la réussite de laquelle sont fortement sollicités le respect de ladignité et le respect de l'autonomie de la personne.468L'abandon du port obligatoire de l'uniforme pénitentiaire et la reconnaissance de la liberté duchoix des vêtements aux détenus est en effet récente. En droit français, c'est en 1986 (décret du 26février 1986) que cette liberté fut reconnue à tous les détenus. Elle est, depuis lors, insérée dansl'article D. 348 du Code de procédure pénale. Des exceptions peuvent toutefois être justifiées « pourd'impérieuses raisons d'ordre ou de propreté ». En droit grec, elle est reconnue depuis 1989 2307 . Ellefigure actuellement dans l’article 33 du Code pénitentiaire. Il est, par ailleurs prévu, au cas où lesdétenus demanderaient à l'administration de leur en fournir, que les costumes « doivent ne pas êtrehumiliants » « ni de porter des insignes susceptibles d’identifier le statut de détenu » (art. 33 C.pénit.).Les seules restrictions vestimentaires que les détenus continuent à subir ce sont pour des raisonsde sécurité et de prévention du suicide : interdiction de porter une ceinture, une cravate, des lacets,de blousons doublés etc.Au sein de la jurisprudence européenne, le port obligatoire de costume uniforme n'est pas encorecondamné. La Cour n'a pas eu à se prononcer. Mais la Commission, qui avait été saisie d'un tel grief,tout en ayant considéré cette obligation comme une ingérence à la vie privée des détenus 2308 , l'avaitjustifiée au regard du second paragraphe de ce même article. Pour ce faire, elle a adopté les vieuxarguments précités présentés par le gouvernement défendeur, en l'occurrence le gouvernementanglais, à savoir la nécessité « d'empêcher les détenus de s'évader, d'aider à les reprendre et de lesdistinguer des visiteurs dans l'établissement 2309 ». Elle a estimé que ces motifs correspondent à ceuxprévus par l'article 8 §2 de la Convention, et en particulier à la sûreté publique, à la défense de l'ordreet à la prévention des infractions pénales. Pour conclure que « cette ingérence n'était pas<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>disproportionnée au point de mettre en cause sa nécessité dans une société démocratique 2310 ».2. Le paraître du visage<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La coupe de cheveux est un autre aspect du paraître de la personne qui, dans l'histoirepénitentiaire, est lié à la pénalité. Raser le crâne des détenus était officiellement justifié par les2307 Par le Code des règles fondamentales pour le traitement des détenus (art. 36 § 1).2308 .« L'obligation faite aux détenus de porter des vêtements constitue une ingérence dans l'exercice des droitsque leur garantit l'article 8 § 1 », D 8231/78 (X/RU), 6.3.1982, DR 28, p. 64.2309 . Pour le gouvernement, le port des vêtements pénitentiaires était nécessaire pour « empêcher le détenu des'évader, aider à les reprendre et pour les distinguer des visiteurs dans l'établissement », D 8231/78 (X/RU),préc., p. 63. V. aussi D 8317/78 (McFeeley/RU) préc., p. 148.2310 . D 8231/78 (X/RU), préc, pp. 65-66; D 8317/78 (McFeeley/RU), préc., p. 148.


469mêmes raisons que le port du costume pénal : propreté, hygiène et sécurité. Mais, de même que dansl'obligation de porter le costume, ces raisons n'étaient pas exclusives. Le rasage du crâne visait aussià stigmatiser et à dépersonnaliser le détenu. Sa suppression officielle est également récente. Dans ledroit pénitentiaire grec, comme pour le costume pénal, ce fut plus tardivement que dans le droitpénitentiaire français. Alors que dans ce dernier, cette coupe a été supprimée par le décret n° 75-402du 23 mai 1975, ce n'est qu'avec l'entrée en vigueur du Code des règles fondamentales pour letraitement des détenus qu'elle a disparu dans le droit pénitentiaire grec, à savoir en 1989 2311 .Au regard de la Convention, le rasage du crâne fait incontestablement partie des traitements qui,sans forcement comporter une souffrance physique, peuvent constituer des traitements dégradantsdès lors qu’ils portent atteinte à l’image de la personne. C’est ce qu’à jugé la Cour, en 2003, saisiepour la première fois de cette question. Cet acte a eu lieu en réaction à la commission d’uneinfraction disciplinaire et a accompagné la mesure de mise en isolement. Le fait qu'on lui ait rasé lecrâne de force, a ceci de particulier, a noté la Cour : « Il a pour effet de modifier l'apparence d'unindividu contre son gré en le privant de ses cheveux » ; et d’ajouter : « Une personne subissant pareiltraitement ressent très vraisemblablement un sentiment d'infériorité lié au changement de son aspectphysique contre sa volonté 2312 ». Pour conclure que le rasage du crâne constitue, en principe, untraitement humiliant et avilissant contraire l’article 3 de la Convention 2313 . D’autant plus qu’unepersonne, même détenue, peut être exposée au regard d’autrui 2314 . Mais cette appréciation dépendégalement des motifs de cet acte. Ainsi, alors qu’il peut être justifié par des mesures d’hygiène et desanté 2315 , il constitue un traitement dégradant lorsqu’il a lieu à titre de sanction ou sans aucunemotivation 2316 .Le CPT considère également cette mesure comme dégradante. Ayant constaté que dans l'« ex-République yougoslave de Macédoine », les autorités pénitentiaires rasent la tête des nouveaux<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082311 . Le Code pénitentiaire précédent prévoyait la coupe de cheveux à ras pour certaines catégories de détenus(vagabonds, sales, souffrants d'une maladie dermatologique) mais aussi de tous les mineurs de moins de 17 ans(art. 31 § 2).2312 CEDH, Yankov c. Bulgarie, nº39084/97, CEDH 2003-XI, § 112.2313 Ibid., § 114.2314 « Un détenu dont le crâne a été rasé porte pendant un certain temps la trace visible du traitement qui lui aété infligé. Celle-ci apparaît immédiatement à autrui, notamment au personnel de la prison, aux codétenus etaux visiteurs, ou encore au public si le détenu est libéré ou emmené dans un lieu public peu de temps après.L'intéressé ressent très vraisemblablement comme une atteinte à sa dignité d'avoir à exposer pareille marque »,Ibid., § 113.2315 Ibid., § 115.2316 Ibid., §§ 117-118.


pensionnaires et de ceux qui viennent d’être arrêtées après une évasion, sans motivation spéciale, illeur a recommandé d’y mettre fin 2317 .470On doit mettre dans les éléments importants de la liberté de paraître également l'esthétique duvisage. Il s'agit notamment de la liberté pour les hommes de porter une barbe et pour les femmes dese maquiller. En ce qui concerne ces aspects, il ne font pas l'objet d'une disposition expresse ni endroit français ni en droit grec. Mais en pratique, il semblerait qu'ils soient tolérés.En revanche, la Commission avait estimé que la Convention ne garantit pas aux détenus le droitde porter une barbiche, serait-ce pour des raisons religieuses, en l’occurrence la demande provenaitd’un détenu de confession hindoue.Pourtant, il ne fait pas de doutes que le paraître du visage non seulement fait partie des aspectsles plus élémentaires de la vie privée, mais il aide à l'équilibre et au bien être de la personne. Etantdonc un élément positif dans la politique pénitentiaire visant à éviter la dépersonnalisation desdétenus, au lieu d'être méprisé par les autorités pénitentiaires, celles-ci devraient au contrairestimuler les détenus d'y prêter attention. D'autant plus que les prisons étant unisexuées, les détenu(e)sseraient tenté(e)s de négliger leur apparence, faute d'intérêt de plaire.Toujours est-il que le paraître physique, et la décoration des cellules dans la mesure où lasurpopulation carcérale ne l'empêche, sont les seuls aspects où les buts de la peine et la conceptionde l'ordre de la prison ont fléchi. Le détenu peut paraître maître de son image, au moins, de sonapparence physique ; il ne doit pas être maître de son être. Son être appartient à l'institution qui legère suivant les buts de la peine et les besoins du fonctionnement de la prison. Buts qui, avecl'examen de la surveillance de l'espace et de son corps, dessinent clairement l'essence de la peine etde l'ordre de la prison : un ordre totalitaire au service d'une peine ayant un objectif total : celui de laneutralisation du détenu pour empêcher non seulement de nuire à autrui, mais aussi de dérangerl'ordre de la prison. Un ordre qui fait comprendre au détenu que la privation de sa liberté ne s'arrêtepas aux murs de la prison : elle y commence. Elle est la réduction de sa vie à cet espace et surtout àcet ordre dont les règles doivent entourer sa vie comme « une ceinture invisible », selon l'expression<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>de Danielle Loschak 2318 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Ces conceptions de la peine et de l'ordre de la prison se confirment également par laréglementation de la vie interindividuelle du détenu.2317 CPT/Inf (2001) 20, Rapport de visite, Ex-République yougoslave de Macédoine, du 17 au 27 mai,1998.2318 D. LOSCHAK, « Droit et non-droit dans les institutions totalitaires », in Le droit et l'institution totalitaire,Paris, PUF, 1981, pp. 176-177.


471SECTION 2. <strong>LA</strong> PRISON RESTRICTIVE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE PRIVEE INTERINDIVIDUEL<strong>LE</strong>Avec la vie privée interindividuelle, nous passons dans la dimension du droit au respect de la vieprivée où le sujet devient « nous » et vise à protéger les relations privées qu'un individu entretient ousouhaite entretenir avec autrui. La jurisprudence a expressément reconnu que ce droit comprend ledroit d'établir et d'entretenir des relations avec d'autres êtres humains de toute sorte 2319 tantaffectives 2320 , sexuelles 2321 ou encore commerciales.Quant à leur application aux détenus, la Commission, après avoir déclaré que « cet élément duconcept de vie privée s'étend au domaine de la détention 2322 », a précisé que les détenus ont le droitau lien humain tant avec le monde extérieur 2323 , qu'avec la communauté carcérale 2324 .Observons à propos de cette déclaration qu'elle est aux antipodes du système carcéral cellulairepréconisé autrefois. Rappelons-le, le rapport entre le détenu et la communauté humaine étaitdéterminé par l’idée que le détenu exerce une influence négative sur elle et non sous l'angle inverse,à savoir que la communauté humaine exerce sur le détenu une influence positive. Plus encore, cettepersonne était considérée comme nuisible non seulement pour la société des honnêtes gens, maisaussi pour celle de ses semblables. C'est la réorientation de l'objectif du traitement des détenus verscelui de sa réinsertion par l'application d'une politique sociale qui a contribué à ce que les droitsnationaux reconnaissent qu'au lieu de couper ou limiter les contacts humains il fallait, au contraire,les maintenir et les favoriser.Avec l'application des droits de l'homme en prison, cet objectif est également devenu uneexigence juridique. Dès lors, sa réalisation n'est pas seulement un moyen de la politique de laréinsertion et ne relève plus uniquement du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales fondé surl'appréciation du caractère bénéfique ou pas d'un lien sur le traitement du détenu. Garantir les liens<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2319 . CEDH, Rotaru c. Roumanie, [GC], préc., § 43. Voir aussi, par exemple, CEDH, Burghartz c. Suisse,préc., § 24 ; R (Ludvig Friedl c. Autriche) n° 15225/89, 19 mai 1994, § 45 ; CEDH, Mikulic c. Croatie, préc., §53 ; CEDH, Niemietz c. Allemagne, préc., § 29.2320 . « Le droit au respect de la vie privée comprend également, dans une certaine mesure, le droit d'établir etd'entretenir des relations avec d'autres êtres humains, notamment dans le domaine affectif, pour ledéveloppement et l'accomplissement de sa propre personnalité », D 6825/74 (X/Islande), préc., p. 86.2321 . « La vie privée... comprend la vie sexuelle », CEDH, X. et Y. c. Pays-Bas, préc., § 22 ; CEDH, Laskey,Jaggard et Brown c. R. U, préc., § 36. Voir CEDH, Dudgeon c. R.U., préc., § 45, § 52 ; CEDH, A.D.T. c. R.U,préc.2322 . « La Commission estime que cet élément du concept de vie privée s'étend au domaine de la détention etque l'interdiction faite aux requérants d'entretenir des contacts avec d'autres constitue donc, à cet égard, uneingérence dans l'exercice de leur droit à la vie privée », D 8317/78, (McFeeley/RU), 1980, DR.20, p.148.2323 D 9054/80 (X/RU), préc., p. 118;2324 D 8231/78 (T/RU), préc., D.R. 49, p. 8.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


privés avec autrui est un but en soi fondé sur le respect du droit à la vie privée du détenu et de sesproches.472Ce double fondement, juridique et socio-politique, de la protection des liens humains, est en effetsouligné par la jurisprudence européenne : « Il est essentiel tant à la vie privée du détenu qu'à saréadaptation de maintenir autant que possible ses contacts avec le monde extérieur pour faciliter saréintégration sociale après sa libération 2325 ». Comme il est également souligné que, à cette fin, ilincombe aux autorités pénitentiaires l'obligation positive de prendre des mesures normatives etmatérielles adéquates permettant aux détenus et à leurs proches d'entretenir des contacts effectifs 2326 .Et les règles pénitentiaires de 2006 d’abonder dans ce sens : « Les autorités pénitentiaires doiventaider les détenus à maintenir un contact adéquat avec le monde extérieur et leur fournir l’assistancesociale appropriée pour ce faire » (24.5).Nous allons pourtant voir que cette dimension de vie privée des détenus devient squelettique.Alors que les hommes sont libres de choisir ceux avec qui ils souhaitent nouer des relations privées,la manière de les vivre et les moyens de les établir et de les entretenir, les détenus subissent deslimitations considérables. L'établissement et l'entretien des relations humaines privées connaissentune limitation indéniable aussi bien dans les moyens que dans la qualité. C'est ce que nous allonsrelever en examinant, tout d'abord, l'entretien des liens privés par des moyens decommunication (§ 2), et ensuite, par des contacts de proximité (§ 1).Si les instances européennes ont affirmé que les moyens essentiels d'entretien des liens avecl'extérieur sont la correspondance et les visites 2327 , nous aborderons également l’usage du téléphoneet les sorties des détenus qui font partie des moyens d’entretien des relations avec l'extérieur dans lesdroits pénitentiaires grec et français.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>§ 1. <strong>LE</strong>S RESTRICTIONS AU RESPECT <strong>DE</strong>S RAPPORTS <strong>DE</strong> DISTANCE<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Le droit à la correspondance est déterminé par trois séries d’éléments. D’abord par le type demédia de communication protégé. Selon la jurisprudence européenne, sont couverts par cette notionau sens de l’article 8 de la Convention, outre la correspondance écrite, également lesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008communications téléphoniques 2328 et les communications électroniques 2329 .2325 . D 9054/80 (X/RU), 8.10.1982, D.R. 30, p. 118.2326 . D 9054/80 (X/RU), préc., p. 118,2327 . « L'administration y parvient notamment en permettant à ses amis de lui rendre visite et en l'autorisant àcorrespondre soit avec eux soit avec d'autres », D 9054/80 (X/RU), préc., p. 118.2328 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, préc., § 41. Voir entre autres arrêts en la matière : CEDH, Kruslin c.France, n° 11801/85, 24 avril 1990, Série A n° 176-A, § 26 ; CEDH, Malone c. R.U., préc., § 64 ; CEDH,Huvig c. France, n° 11105/84 24 avril 1990, Série A, n° 176-B, § 25 ; CEDH, Halford c. R.U., n° 20605/92, 25


473Le droit à la correspondance est, ensuite, déterminé par les aspects protégés lors de l’usage deces moyens. Le droit au respect de la correspondance est entendu comme le droit de communiquerlibrement et dans le secret. Le droit de communiquer librement est entendu comme la garantie decommuniquer avec toute personne, quand et autant de fois qu'on le souhaite. Cette liberté est nonseulement incontestable mais semble être le seul aspect de la vie privée dont la protection estabsolue, si l'on tient compte du fait que les droits nationaux n’ont ressenti le besoin de réglementerque le respect du secret. Quant à la garantie de ce dernier, son importance peut se mesurer si l’on seréfère à cette déclaration de la Cour qui l’érige en critère de différenciation de la sociétédémocratique de l'Etat policier : « Caractéristique de l'Etat policier, le pouvoir de surveiller en secretles citoyens n'est tolérable d'après la Convention que dans la mesure strictement nécessaire à lasauvegarde des institutions démocratiques », déclarait-elle dans l'arrêt Klass et autres 2330 .En troisième lieu, ce droit est déterminé par référence au lieu ou au type d’activité dans le cadredesquels peuvent être utilisés ces moyens. Leur protection dépasse leur usage à partir du domicile,pour s’étendre à tout lieu privé, mais aussi aux locaux professionnels 2331 , et a priori à tout lieu detravail et à l’égard de tous les salariés. Ainsi, en 2007, à l’occasion de la surveillance de l’usage del’internet par une salariée dans une école publique, la Cour a déclaré : « Les appels téléphoniquespassés depuis des locaux professionnels sont de prime abord couverts par les notions de ‘vie privée’et de ‘correspondance’. Il s’ensuit logiquement que les courriers électroniques envoyés depuis le lieude travail devraient bénéficier d’une protection analogue, tout comme le devraient lesrenseignements provenant de la surveillance de l’utilisation personnelle d’internet 2332 ».Quant aux types d’ingérence, il résulte de la jurisprudence européenne que constituent uneingérence, dans la correspondance écrite : l’interception, l’ouverture, la lecture, la censure, les<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>retards 2333 , ou encore la divulgation du contenu, y compris dans le cadre d’un procès 2334 . Dans lescommunications téléphoniques, constituent une ingérence : les écoutes, leur enregistrement et leur<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...conservation ou simplement la collecte des informations par le biais des factures détailléespermettant d’identifier les correspondants 2335 . Quant aux ingérences dans les communicationsUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008juin 1997, Recueil 1997-III, § 52 ; CEDH, Valenzuela Contreras c. Espagne, n° 27671/95 30 juillet 1998,Recueil 1998-V, § 42, § 47 ; CEDH, Lambert c. France, n° 23618/94, 4 août 1998, Recueil 1998-V, § 21.2329 CEDH, Copland c. R.U., n° 62617/00, CEDH 2007-IV, § 41.2330 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, préc., § 45 et s.2331 A propos de l’usage du téléphone des locaux professionnels, CEDH, Halford c. R.U., préc., § 44, § 48.2332 CEDH, Copland c. R.U., préc., § 41.2333 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc. ; CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc.2334 Ainsi la production parmi les preuves dans un procès de divorce des lettres échangées entre un des épouxet une tierce personne sans l’accord de ces deniers, CEDH, N. N. et T. A. c. Belgique (déc.), n°65097/0, CEDH2006-II.2335 CEDH, Popescu c. Roumanie (n°2), n°71525/01, CEDH 2007-IV.


électroniques et l’usage d’Internet, sont analysées comme telles : le relevé des adresses des messagesélectroniques ainsi que le relevé des sites web visités 2336 .474La protection du droit à la correspondance n’est toutefois pas absolue comme le montre cettedéclaration de la Cour à propos d’une ingérence motivée par la sauvegarde de la sûreté nationale. Lasurveillance, y compris secrète, peut « devant une situation exceptionnelle », se révéler nécessairedans une société démocratique. Les législateurs nationaux jouissent en la matière d'un certainpouvoir discrétionnaire. Mais loin d’être illimité, ce pouvoir doit être encadré par des garanties trèsstrictes 2337 .Dès lors, ce qui différencie une société démocratique d’un Etat policier, au regard du secret de lacorrespondance, sont les garanties dont sont entourées les dérogations. Celles-ci doivent êtrestrictement nécessaires et être entourées des garanties adéquates et effectives. Eu égard à lajurisprudence corrélative des instances européennes, les Etats doivent assurer au moins les garantiessuivantes : préciser les cas justifiant le recours à cette dérogation, la durée de celle-ci, les personnessusceptibles de faire objet d'un contrôle, les personnes autorisées à décider de ce contrôle et cellesautorisées à l'effectuer, ainsi que les moyens mis à la disposition des intéressés pour se prémunircontre des abus, à tout le moins celui de pouvoir exercer un recours a posteriori devant un organejuridictionnel indépendant et impartial 2338 .En matière d'écoutes téléphoniques, les exigences européennes sont encore plus strictes à causede la complexité de ce moyen de contrôle. Doivent, de surcroît, être précisés : les numéros detéléphone susceptibles d’être mis sous surveillance ; les précautions à prendre pour communiquer,intacts et complets, les enregistrements réalisés ou les conditions d'établissement des procès-verbauxde synthèse consignant les conversations interceptées ; les circonstances dans lesquelles peut ou doits'opérer l'effacement ou la destruction desdits enregistrements, notamment après un non-lieu ou une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>relaxe 2339 ; ainsi que l’existence d’une autorité indépendante (autre que celle qui a réalisé les<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...interceptions) pouvant attester la réalité et la fiabilité des enregistrements 2340 .Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Aussi, la Cour se montre-t-elle très exigeante au regard de la prévisibilité légale des restrictionsen cette matière. La violation la plus fréquente en matière d’ingérences dans le domaine des2336 CEDH, Copland c. R.U., préc., § 41.2337 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, préc., § 49 ; CEDH, Popescu c. Roumanie (n°2), préc., § 68.2338 CEDH, Malone c. R.U., préc., § 80 ; CEDH, Kruslin c. France, préc., § 35 ; CEDH, Huvig c.France,préc., § 34 ; CEDH, Popescu c. Roumanie (n°2), préc.2339 CEDH, Kruslin c. France, préc., § 35, ; CEDH, Huvig c. France préc., § 34 ; CEDH, Prado Bucallo c.Espagne, n°58496/00, CEDH 2003-II, § 30 ; CEDH, Doerga c. Pays-Bas, préc. « Les circonstances danslesquelles les informations obtenues par écoutes téléphoniques pouvaient être détruites, CEDH, Popescu c.Roumanie (n°2), préc., §§ 72-79.2340 CEDH, Popescu c. Roumanie (n°2), préc., §§ 80-81.


communications réside dans le manquement à la condition que toute ingérence soit « prévue par laloi » 2341 .475Ne pas respecter l'ensemble de ces garanties quel que soit le but visé, c'est faire courir « le risquede saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre 2342 », avait déclaré la Cour dansl'arrêt Klass, à propos des dérogations effectuées en vue de combattre le terrorisme.Ainsi, alors que la France, condamnée, en 1990, dans les arrêts Kruslin et Huvig pour diversmanquements dans le cadre des écoutes téléphoniques, avait légiféré en la matière, elle a de nouveauété condamnée dans l’affaire Vetter (2005 2343 ) à propos de la pose des micro dans un lieu privé. Cemode de surveillance, estima la Cour, ne tombe manifestement pas sous le coup de l’article 81 et desarticles 100 et suivants du Code de procédure pénale qui réglementent les écoutes téléphoniques. Parailleurs, l’article 81 n’indique pas avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice dupouvoir d’appréciation des autorités pouvant autoriser les écoutes des conversations privées.L’examen du respect de la correspondance en prison présente alors un intérêt tout particulier.Etant un lieu où l'impératif du maintien de la sécurité et de l'ordre ainsi que de la prévention desinfractions pénales sont en permanence mis en avant, la prison apparaît encore une fois comme lelieu de mise à l'épreuve du respect de ces limites. Enjeu d'autant plus évident que c'est à propos decette matière que la Cour, tout en mettant fin à la théorie des « limitations implicites » à l’exercicedes droits de l'homme par les détenus, a admis la justification des « ingérences plus amples à l'égardd'un détenu que d'une personne en liberté » compte tenu des « exigences normales et raisonnables dela détention 2344 ».Aussi l'examen de cette matière nous offre-t-il l'occasion de déterminer l’étendue la plus ampledes restrictions justifiées par la prison et en même temps de nous interroger sur la substance du droitau respect de la correspondance d’une société démocratique. Il importe de rappeler que la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...sauvegarde de la substance des droits de l'homme est la limite à ne pas dépasser dans les restrictionsdes droits de l'homme en toutes circonstances dans une société démocratique.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082341 Voir entre autrres : CEDH, Malone c. R.U., préc., § 64 ; CEDH, Kruslin c. France, préc. ; CEDH,Huvig c. France, préc. ; CEDH, Rotaru c. Roumanie, [GC], préc., §§ 61-63 ; CEDH, Prado Bucallo c.Espagne, n°58496/00, CEDH 2003-II ; CEDH, Popescu c. Roumanie (n°2), préc. ; CEDH, Copland c. R.U.,préc., § 41 ; CEDH, Doerga c. Pays-Bas, préc.2342 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, préc., § 45 et s.2343 CEDH, Vetter c. France, préc.2344 CEDH, Golder, c. R.U., préc., § 45.


476C'est en ayant à l'esprit cet enjeu que nous allons examiner l'application du droit au respect de lacorrespondance dans la prison, au sein de la jurisprudence européenne (A). Nous compareronsensuite son application dans les droits grec et français (B).A. Faiblesse de la garantie européenne dans le respect de la correspondance écriteLa jurisprudence européenne actuelle ne nous permet pas d’affirmer que l’accès auxcommunications téléphoniques doit être garanti aux détenus. Une décision de la Commission datantde 1997 laissait présager une telle reconnaissance en affirmant que la correspondance des détenuscomprend également les communications téléphoniques 2345 . Toutefois, dans l’arrêt A. B. (2002), laCour a déclaré que « l’article 8 de la Convention ne peut pas être interprété comme garantissant auxdétenus le droit à des communications téléphoniques 2346 ». C’est seulement dans le cas où les droitsnationaux prévoient un tel accès que cette instance analyse les limitations comme des ingérences auregard de l’article 8 et demande à ce que les garanties du droit à la correspondance soient appliquées.Ainsi, si dans l’affaire A. B., elle avait justifié les ingérences alléguées par le but de prévenir lesinfractions et le désordre 2347 , dans l’affaire Doerga (2004) 2348 , elle les a sanctionnées pourmanquement de prévisibilité légale. Il s’agissait en l’occurrence de l’enregistrement et de laconservation des conversations téléphoniques d’un prisonnier à son insu par les autoritéspénitentiaires dans le but de les utiliser comme moyen de preuve dans le cadre d’un procès et sansfixer un délai précis pour leur destruction 2349 .Quant à l’accès des détenus à l’Internet, il n’a pas encore donné lieu à une jurisprudenceeuropéenne. Aussi, concernant l’examen de l’application effectif du droit à la correspondance, nousnous limiterons à celui de la correspondance écrite.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Ce qui frappe l’état actuel de la garantie de ce droit dans la prison, à l’exception du respect de lalégalité (1), c’est l’extrême particularité des restrictions jugées nécessaires par la Cour par rapport à<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...sa protection à l’extérieur : la justification des « restrictions amples », peut prendre des propositionsinconcevables à l’extérieur, jusqu’à compromettre la conception même de la société démocratique.Ainsi, alors que dans nos sociétés démocratiques seule la dérogation au respect du secret peut êtrejustifié entouré d’un maximum de garanties, dans la prison la levée du secret peut être la règle et lacorrespondance peut subir des ingérences inconnues à l’extérieur. Elles peuvent aller du filtrage ouUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082345 D 26739/95 (Helin et autres/Finlande), 9.4.1997.2346 CEDH, A.B. c. Pays-Bas, nº 37328/97, CEDH 2002-I, § 92.2347 Ibid., § 93.2348 CEDH, Doerga c. Pays-Bas, préc., § 43, § 51.2349 Ibid.


des retards dans l'expédition, à la censure, l'interception 2350 ou encore à la limitation du choix descorrespondants (2).4771. La légalité des restrictions équivalente à l’extérieurDès le premier arrêt en la matière, l'arrêt Silver et autres, de 1983, qui regroupait les requêtes desept détenus portant sur plusieurs griefs relatifs au droit au respect de la correspondance,Commission et Cour ont adopté les mêmes garanties qu’à l’extérieur concernant la condition que lesrestrictions doivent être « prévues par une loi ». Cette exigence de « prévisibilité légale » est, depuislors, confortée par une jurisprudence abondante 2351 , qui a précisé cette notion (a) et a donné lieu à lasanction d’un nombre de manquements (b).a. La notion de prévisibilitéRappelons à ce propos que la Cour entend le terme « loi » dans un sens européen autonome parrapport aux droits nationaux. Il est entendu dans un matériel et non formel 2352 . Si bien qu’il peutenglober des sources de droit autres que les textes de loi au sens de textes votés par les parlementsnationaux. Il peut comporter des textes normatifs infra-législatifs 2353 . Peuvent ainsi en faire partie,les décrets et les règlements, ou encore la jurisprudence bien établie sur un aspect de droit. Quant auxcirculaires, directives et instructions, la Cour considère qu’elles n'ont pas de force contraignante etgénéralement ne sont pas publiées pour répondre à l'exigence de l'accessibilité de la loi 2354 . Notonstoutefois que dans l’arrêt Campell 2355 , elle avait admis que les instructions constituent une loi dès2350 R 13803/88, (M/Italie), 20.2.1992, § 61 ; La possibilité d’envoyer des lettres est un aspect protégé par ledroit à la correspondance.2351 Voir entre autres, tous les arrêts concernant la visa de censure en droit italien : CEDH, Domenichini c.Italie, n° 15943/90, 15 nov. 1996, Recueil 1996-V ; CEDH, Calogero Diana c. Italie, n° 15211/89, 15nov.1996, Recueil 1996-V ; CEDH, Natoli c. Italie, n° 26161/95, CEDH 2001-I, § 44 ; CEDH, Messina (n° 3),c. Italie n o 33993/96, CEDH 2002-X, § 28 ; CEDH, Messina c. Italie (n° 2), préc., § 81 ; CEDH, Di Giovani c.Italie, n° 39920/98, CEDH 2001-VII, § 26 ; CEDH, Rinzivillo c. Italie, n° 31543/96, CEDH 2000-XII, § 30 ;CEDH, Labita c. Italie, [GC], préc., §§ 175-185. Voir aussi les arrêts :CEDH, Petra c. Roumanie, n° 27273/9523 sept.1998, Recueil 1998-VII ; CEDH, Peers c. Grèce, préc. ; CEDH, Niebdala c. Pologne, préc. ; CEDH,Lavents c. Lettonie, n o 58442/00, CEDH 2002-XI ; CEDH, Copland c. R.U., préc. ; CEDH, Ciorap c.Moldova,préc. ; CEDH, Frerot c. France, préc.2352 CEDH, Niebdala c. Pologne, n° 7915/95, CEDH 2000-VII, § 79. Voir ausi « La Cour rappelle que lesmots ‘prévue par la loi’ signifient en premier lieu que la mesure incriminée doit avoir une base en droit interne,qu'elle entend le terme ‘loi’ dans son acception matérielle plutôt que formelle, et qu'elle y a inclus des textes derang ‘interlégislatif’ édictés par les autorités compétentes en vertu d'un pouvoir normatif délégué », CEDH,Frerot c. France, préc., § 57.2353 CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., § 135 ; CEDH, Frerot c. France, préc., § 57.2354 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 86, § 87. Les circulaires ne sont rien de plus que des instructionsde service adressées, en vertu de son pouvoir hiérarchique, par une autorité administrative supérieure à desagents subordonnés, a souligné la Cour dans l’arrêt Poltoratski c. Ukraine, préc., §§ 158-162 ; « selon la Cour,on ne saurait voir dans un texte de cette nature, édicté en dehors de l'exercice d'un pouvoir normatif, la ‘loi’ àlaquelle renvoie l'article 8 de la Convention notamment », CEDH, Frerotc. France, préc., § 59.2355 CEDH, Campbell c. R.U., 25 mars 1992, Série A n° 233, § 59.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


478lors qu’elles sont publiées et sont donc accessibles aux intéressés. En revanche, dans l'arrêt Petra,cette instance avait écarté du champ de la loi en droit hongrois, le règlement pénitentiaire du fait qu'iln'est pas publié 2356 .On en déduit que les critères déterminants sont : le caractère normatif du texte, le pouvoir de sonauteur (celui-ci doit être investi d’un pouvoir d’élaborer un tel texte) et sa publication. Mais au-delàde la nature du texte, la Cour accorde beaucoup d’importance à l’accessibilité et à la qualité de la loipour que celle-ci soit compatible avec la prééminence du droit, mentionnée dans le préambule de laConvention 2357 . Pour en être ainsi, il faut que trois autres conditions soient remplies.Publicité du texte. Toute personne concernée et intéressée doit pouvoir avoir accès aux textesréglementant l’exercice des droits fondamentaux. Ainsi, les textes non publiés ne répondent pas àcette qualité, comme l’exemple du règlement pénitentiaire mentionné dans l’affaire Petra 2358 .Contenu clair, précis et détaillé concernant les limitations. Accessibilité et prévisibilité de la loi,signifient aussi que le type de limitations, les motifs, l’étendue, la durée doivent y être précisés.C’est ce que la Cour réitère inlassablement : « On ne peut considérer comme une loi qu'une normeénoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s'entourant desconseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de lacause, les conséquences de nature à dériver d'un acte déterminé 2359 ». Aussi, à propos de lasurveillance des communications téléphoniques des détenus, la Cour a estimé que la loi doit préciserles circonstances dans lesquelles ces conversations peuvent être surveillées, enregistrées etconservées et quelles procédures à observer 2360 . L’énoncé que les autorités peuvent les conserver « letemps que le danger existe », ne constitue pas une précision conforme à la sécurité juridique 2361 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Détermination du pouvoir d’appréciation conféré par la loi à l’autorité de la réglementation. Laprévisibilité légale, et donc la sécurité juridique, exigent qu'une « loi conférant un pouvoir<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2356 CEDH, Petra c. Roumanie, préc., §38.2357 R 27273/95 (Petra/Roumanie), 30.10.1997, § 55 ; CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 90 ; CEDH,Golder, c. R.U., préc., § 34 ; CEDH, Niebdala c. Pologne, préc., § 79 ; CEDH, Frerot c. France, préc., § 57.2358 CEDH, Petra c. Roumanie, préc., § 38.2359 Entre autres : CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., §§ 87-88 ; CEDH, Domenichini c. Italie, préc., § 33 ;CEDH, Calogero Diana c. Italie, préc. ; CEDH, Petra c. Roumanie, préc., § 38 ; CEDH, Lavents c. Lettonie,préc. ; CEDH, Niebdala c. Pologne, préc., § 79 ; Voir CEDH, Frerot c. France, préc. ; CEDH, Cotlet c.Roumanie, n°38565/97, CEDH 2003-VI, § 35. En revanche, « la prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce quela personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dansles circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé », CEDH, Lavents c.Lettonie, préc.,§ 135.voir, notamment, CEDH, Tolstoy Miloslavsky c. R. U., 13 juillet 1995, Série A n o 316-B, § 37 ; CEDH,Grigoriades c. Grèce, 25 novembre 1997, Recueil 1997-VII, § 37.2360 CEDH, Doerga c. Pays Bas, préc., § 52.2361 Ibid., § 53.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


479d'appréciation (aux autorités) doit en fixer la portée 2362 ». Ce qui ne signifie certes pas, précisa laCour que la loi doit assurer une « certitude absolue » sur les limites de ce pouvoir 2363 . Cela signifieque la loi doit user de termes clairs pour indiquer à tous, en quelles circonstances et sous quellesconditions, la puissance publique est habilitée à opérer des atteintes à ces droits 2364 ».b. L’application de la prévisibilité légaleAinsi la jurisprudence européenne a jugé que des termes vagues utilisés pour retenir les lettres,l’absence de distinction entre différents types de correspondance, l’absence de détermination dupouvoir de l’autorité chargée de réglementer la correspondance, les dérogations au régime ordinairede la correspondance sans précision des motifs et de la durée, et l’absence de recours prévu contreles ingérences en matière de correspondance, peuvent constituer autant de raison compromettant laprévisibilité légale. Plus précisément, les instances européennes ont sanctionné les manquementssuivants.Enoncé de l’exercice du droit de la correspondance en termes généraux. La Cour a, parexemple, jugé que le droit roumain qui se contente d'énoncer que les détenus condamnés ont droit derecevoir et d'envoyer du courrier, est à l’évidence loin des exigences d’une précision et donc d’unelimitation du pouvoir réglementaire laissé aux autorités pénitentiaires 2365 . De même, laisser audirecteur d’une prison le pouvoir de déterminer la notion même de correspondance privée en seréférant, de surcroît, à son contenu, constitue un pouvoir très large 2366 .Terminologie insuffisamment précise pour intercepter les lettres. La Cour a jugé que constituecertainement une telle terminologie celle du régime de contrôle de la correspondance, en droitpolonais, qui prévoit la possibilité de la censure de tout type de courrier sans distinction aucune, et<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>sans précision de l’étendue de la censure 2367 , mais également l’expression « lettres répréhensibles »utilisée en droit anglais pour intercepter les lettres des détenus 2368 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2362 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 88.2363 Ibid. « Il est impossible d’arriver à une certitude absolue dans sa rédaction », CEDH, Di Giovani c. Italie,préc., § 26. Voir aussi CEDH, Calogero Diana c. Italie, préc., § 32.2364 CEDH, Petra c. Roumanie, préc., § 38 ; CEDH, Domenichini c. Italie, préc., § 33 ; CEDH, CalogeroDiana c. Italie, préc. § 33 ; CEDH, Niebdala c. Pologne, préc., § 79. ; CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., § 135.2365 CEDH, Petra c. Roumanie, préc., §§ 38-39.2366 A propos d’une circulaire en droit français qui exclut de la correspondance des détenus celle dont le« contenu ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire ». La Cour a déclaré : « Il en résulteque le contenu de la correspondance dont il est question est sans pertinence lorsqu'il s'agit de déterminer si unemesure restrictive est constitutive d'une ‘ingérence’(ce qu'illustre au demeurant l'arrêt A c. France du 23novembre 1993, série A n o 277-B, §§ 35-37) : pour qu'il en aille de la sorte, il suffit qu'il y ait immixtion dansune communication privée », CEDH, Frerot c. France, préc., § 54.2367 CEDH, Niebdala c. Pologne, préc., §§ 79-82.2368 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 91.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


480Absence de distinction entre différents types de correspondance et absence de détermination dupouvoir de l’autorité chargée de réglementer la correspondance. Dans l'affaire Petra, qui concernaitl'ouverture du courrier avec la Commission (et des retards dans son acheminement, souvent plus d'unmois à cause de sa transmission préalable au service pénitentiaire central à Bucarest), la Cour avait,entre autre, noté que le droit roumain, d'une part, ne fait aucune distinction dans la réglementation dela correspondance des détenus avec la famille, les amis, les avocats et les autorités 2369 et, d'autre part,laisse au directeur le pouvoir d'apprécier si le contenu du courrier est « approprié à la rééducation dudétenu et la décision de le retenir » 2370 . Ces dispositions laissant aux autorités nationales une « trèsgrande latitude », n’assurent pas aux détenus le « degré minimal de protection voulu par laprééminence du droit dans une société démocratique 2371 ».Dérogations au régime ordinaire de la correspondance sans précision des motifs et de la durée.C'est dans une série d’arrêts rendus contre l’Italie concernant la correspondance soumise à la « visade censure » (un régime dérogatoire appliqué à certaines personnes détenus pour des activitésmafieuses 2372 ), que la Cour a estimé que l'expression « prévue par la loi » signifie non seulement quela loi doit prévoir le type d'ingérence en termes précis et le type de correspondance ou la catégoriedes détenus concernés, mais également qu’elle doit prévoir la durée et les motifs qui peuvent justifierune ingérence. La Cour a estimé que la loi italienne, en se bornant à identifier la catégorie despersonnes dont la correspondance peut être contrôlée et l’autorité qui peut décider un tel contrôle,« laisse aux autorités une très grande latitude 2373 ». Dans l’arrêt Lavents, elle en a jugé de même,ayant relevé que la loi lettone se contente d’identifier les infractions qui peuvent donner lieu àl’application d’un régime dérogatoire et de désigner l’autorité sans préciser la durée ni prévoir derecours 2374 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Droit de recours effectif. La prééminence du droit exige également d'assurer a posteriori uncontrôle pour prémunir les individus contre d'éventuels abus du pouvoir : « L'un des principes sousjacentsà la Convention, la prééminence du droit, veut qu'une immixtion des autorités dans les droits<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082369 R 27273/95 (Petra/Roumanie) 30.10.1997, § 61.2370 Ibid.2371 CEDH, Petra c. Roumanie, préc., §§ 38-39.2372 « Visa de censure » signifie que le juge d'instruction, durant l'instruction de l'affaire, ou le JAP, après lacondamnation, peuvent, par acte motivé, autoriser le contrôle de la correspondance des détenus, y compris avecles avocats et la Cour. En cas d'interception, le détenu doit en être informé.2373 CEDH, Domenichini c. Italie, préc., § 32 ; CEDH, Calogero Diana c. Italie, préc., § 32 ; CEDH, Messinac. Italie (n o 2), préc., § 81 ; CEDH, Di Giovani c. Italie, préc., § 26 ; CEDH, Rinzivillo c. Italie, préc., § 30 ;CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., §§ 175-185) ; CEDH, Musumeci c.Italie, n°33695/96,CEDH 2005-I, § 57.2374 CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., §§ 136-137.


d'un individu puisse subir un contrôle efficace », au sens du droit au recours national effectif prévuespar l'article 13 de la Convention 2375 .4812. La nécessité démocratique sensiblement plus large qu’à l’extérieurL'appréciation de la nécessité des restrictions de la correspondance des détenus est dominée parune double considération du statut de détenu. Son statut est pris en compte, d'un côté, comme facteuraccentuant l'importance de la correspondance écrite aussi bien pour la personne que pour la société :« Pour mesurer le degré tolérable, il ne faut pas oublier que la possibilité d'écrire et de recevoir deslettres représente parfois, pour le détenu, le seul lien avec le monde extérieur 2376 ». Lien qui estégalement important pour la réinsertion du détenu : « Il faut rechercher un équilibre entre la nécessitéde réinsérer le détenu et les intérêts de l'ordre public et de la sécurité 2377 ».Mais le statut de détenu est, d'un autre côté, pris en compte comme facteur justifiant desrestrictions plus amples qu'à l'extérieur : « Les exigences normales et raisonnables de la détention »justifient des « ingérences plus amples à l'égard d'un détenu que d'une personne en liberté » 2378 . Etc’est plutôt ce dernier trait qui caractérise la garantie de la correspondance des détenus. Alors que lesingérences dans l’exécution de ce droit dans une société démocratique ne peuvent concerner que lesecret de la correspondance, dans la prison elle s’étend au-delà de la violation du secret (a), pourprendre la forme de la censure, propre à l’exercice de la liberté d’expression publique au sens del’article 10 de la Convention (b), ou encore pour prendre la forme des limitations dans le choix descorrespondants (c).a. Justifications de violation du secret<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Ce qui caractérise la garantie européenne de la correspondance des détenus est l’absence de lagarantie du secret à l’exception de la correspondance avec les autorités, y compris avec les organes<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...de la Cour, et de la correspondance couverte par le secret professionnel, au moins celle avec lesavocats. Alors que le contrôle de cette deuxième catégorie de correspondance ne peut avoir lieu qu’àtitre dérogatoire, celui de la correspondance strictement privée peut être systématique au point deconstituer la règle.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La levée du secret : un « contrôle normal » de la correspondance privée des détenus2375 Voir entre autres, CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 90 ; CEDH, Frerot c. France, préc., §§ 63-66.2376 CEDH, Cambpell et Fell c. R.U., préc., § 45 ; CEDH, Erdem c. Allemagne, préc., § 61 ; CEDH, A. B. c.Pays-Bas, préc., § 90 ; CEDH, Ekinci et Akalın c. Turquie, n o 77097/01, CEDH 2007-III, § 44.2377 D 7291/75, 7365/76, 8574/79, 8991/80, 9198/80 9551/80 (Farrant, Gleaves, Costello, Smith, Stevens, etGrace/RU), Résolution DH(87)3, 12.2.1987, p. 28.2378 CEDH, Golder, c. R.U., préc., § 45.


482Les restrictions dans l'application des droits de l'homme en prison plus amples qu'à l'extérieursont traduites en matière de correspondance privée intime par l'acceptation d'emblée d'un « contrôlenormal » conforme à la Convention. Tout en analysant la lecture et l’ouverture des lettres comme des« ingérences », au sens de l'article 8 2379 , la Cour estime qu’en recherchant si une ingérence dansl'exercice du droit d'un condamné détenu au respect de sa correspondance est « nécessaire » à lapoursuite de l'un des buts énumérés à l'article 8 §2, il y a lieu d'avoir égard aux « exigences normaleset raisonnables de l'emprisonnement 2380 ». Par conséquent, « elle reconnaît en effet qu'un contrôle dela correspondance des détenus se recommande et ne se heurte pas en soi à la Convention 2381 ».Contrôle qui, ultérieurement allait être consacré en termes de « contrôle normal 2382 ». C’est-à-direqu’il est considéré d'emblée comme nécessaire.Ainsi dans l'affaire Boyle et Rice à propos de la lecture et la filtration de la correspondance dontse plaignaient les requérants (le père et son fils détenu), cette instance a estimé que « nulle allégationdéfendable de violation de l'article 8 ne se trouve établie de ces chefs 2383 ». Elle a confirmé cettejurisprudence dans l’arrêt Doerga, à propos de tout type de communication : « Eu égard auxexigences normales et raisonanbles de l’emprisonnement, il peut être nécessaire de surveiller lescontacts d’un détenu avec l’extérieur, y compris téléphoniques » 2384 .Toutefois si le droit national prévoit le respect du secret, la Cour exige alors que les garanties del’article 8 de la Convention soient respectées. Ainsi, si un droit national prévoit que l’ouverture deslettres doit avoir lieu sur autorisation d’un juge, ne pas respecter cette condition est contraire à laConvention 2385 .La levée du secret dans la correspondance avec les avocats et les autorités : un contrôle à justifier<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Contrairement à la correspondance strictement privée, celle avec la Cour, les avocats et lesautorités diverses jouit de la protection contre toute forme de contrôle. L’ouverture et la lecture du<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082379 Dans l'exercice du droit de ces derniers au respect de celle-ci, voir, par exemple : CEDH, Calogero Dianac. Italie, préc. § 28 ; CEDH, Frerot c. France, préc., § 53.2380 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 98 ; CEDH, Golder, c. R.U., préc., § 45 ; CEDH, Ekinci et Akalınc. Turquie, préc., § 44.2381 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 98 ; CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc., § 62 ; CEDH, Erdem c.Allemagne, préc., § 61 ; CEDH, Ekinci et Akalın c. Turquie, préc., § 44 ; CEDH, Doerga c. Pays Bas, préc.,§ 53 ; CEDH, Frerot c. France, préc., § 56.2382 CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc., § 62.2383 Ibid., §§ 61-62.2384 CEDH, Doerga c. Pays Bas, préc., § 53.2385 Par exemple, s’il est prévu que l’ouverture des lettres doit avoir lieu sur autorisation d’un juge, lemanquement à cette condition est considérée comme non prévue par la loi, CEDH, Ciorap c. Moldova, préc.,§§ 103-104.


courrier sont analysées comme des ingérences et soumises alors au contrôle de la conformitéeuropéenne.483Cela dit, la reconnaissance du respect du secret de la correspondance avec les instanceseuropéennes fut tardive. Dans sa jurisprudence antérieure à l'affaire Campbell, la Commissionconsidérait que cette ingérence n'était pas contraire à la Convention européenne, sauf si lesrequérants démontraient qu'elle était préjudiciable à l'effectivité du recours européen. Saisie de cetteaffaire, la Cour a, dans son arrêt rendu en 1992 2386 , souligné l’importance de la confidentialité de cetype de correspondance. Son respect est depuis lors, devenu la règle 2387 .C’est dans cette même affaire que la Cour a étendu la protection de la confidentialité auxcontacts avec l’avocat. « Le principe de confidentialité est inhérent aux rapports entre avocat etclient 2388 ». Il touche directement les droits de la défense 2389 et, par conséquent, il fait partie des« exigences élémentaires du procès équitable dans une société démocratique 2390 ». Cettecorrespondance bénéficie alors d’un régime privilégié au sein de l’article 8 2391 . Autrementl’assistance d’un avocat perdrait beaucoup de son utilité 2392 .Toutefois la garantie de la confidentialité de la correspondance avec les avocats et la Cour pourêtre importante dans une société démocratique n’est pas absolue. Elle peut exceptionnellement êtredérogée pour abus du privilège du secret : « Une dérogation à ce principe ne peut être autorisée quedans des cas exceptionnels et doit s’entourer de garanties adéquates et suffisantes contre lesabus 2393 ».En effet, la Cour accepte des dérogations qui peuvent aller de la simple ouverture des lettres,jusqu’à leur lecture. Ce qui caractérise son raisonnement est la distinction entre les motifs et lesraisons exigés pour justifier l’ouverture d’une lettre et celles pour justifier sa lecture.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082386 CEDH, Campbell c. R.U., préc., § 62.2387 CEDH, Peers c.Grèce, préc., § 84 ; CEDH, Valainas c. Lituanie, préc., § 129 ; CEDH, Rehbockc. Slovénie, préc., § 99.2388 CEDH, Campbell c. R.U., préc., § 472389 CEDH, Erdem c. Allemagne, préc., § 65.2390 CEDH, S. c. Suisse, nos12629/87, 13965/88, 28 nov.1991, Série A n° 220, § 48.2391 CEDH, Campbell c. R.U., préc., § 46. Dans un arrêt précédent (CEDH, Schönenberger et Durmaz c.Suisse, n° 11368/85, 20 juin 1998, Série A n° 137, § 29), la Cour avait condamné l'interception de la lettreadressée à un avocat mais non son ouverture.2391 CEDH, Erdem c. Allemagne, préc., § 65.2392 CEDH, Campbell c. R.U., préc., § 46.2393 CEDH, Erdem c. Allemagne, nº 38321/97, CEDH 2001-VII, § 65.


484L’ouverture des lettres ne peut avoir lieu que pour des motifs plausibles et des raisonsimpérieuses. Le critère fondamental pour justifier le recours à l'ouverture d'une lettre est en effetl'existence de « motifs plausibles » donnant à penser qu'il y figure « un élément illicite, non révélépar les moyens normaux de détection 2394 ». Ce critère doit, comme celui de « la plausibilité dessoupçons » utilisé dans l'interprétation de l'article 5 §1, al.c de la Convention (relative à la protectionde la liberté contre des arrestations arbitraires) 2395 , être interprété de manière à ne pas porter atteinteà la substance du droit en cause 2396 . Aussi, son sens est à son tour précisé par l'application des souscritèressuivants : insuffisance d'une simple éventualité d'abus 2397 ; persuasion d'un observateurobjectif d'abus du secret 2398 ; prise en compte de l'ensemble des circonstances 2399 .En plus de la plausibilité d'abus du secret de la correspondance, il faut démontrer que celui-cifasse encourir à la prison un risque d'une certaine gravité. Et entre le risque à éviter et le respect dela correspondance à protéger, le dernier pèse plus lourd dans la balance. Ainsi, concernant lacorrespondance échangée avec les avocats et la Cour, cette dernière a estimé que les autoritéspénitentiaires doivent accepter l'existence d'un risque négligeable : Ce risque ne s'accommode pasavec la notion de « raison impérieuse 2400 ». Soulignons à propos du risque négligeable d'abus dusecret qu'il semble bien, au regard de l'ensemble de la jurisprudence européenne, être le seul pourlequel les instances européennes dérogent à la justification de la pansurveillance des détenus.La lecture des lettres ne peut avoir lieu que pour des motifs et des raisons exceptionnels. Passerde la simple ouverture de la lettre à sa lecture constitue une ingérence aggravée qui, selon lesinstances européennes, ne peut être justifiée que « dans des cas exceptionnels, si les autorités ont lieude croire à un abus de privilège en ce que le contenu de la lettre menace la sécurité de l'établissementou d'autrui ou revêt un caractère délictueux d'une autre manière 2401 ». Afin de respecter la limite<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2394 CEDH, Campbell c. R.U., préc., § 47. Voir CEDH, Peers c. Grèce, préc., § 84.2395 La Cour, en interprétant cette disposition de la Convention, avait déclaré que « la "plausibilité" dessoupçons sur lesquels doit se fonder une arrestation constitue un élément essentiel de la protection par l'article5 §1, al.c de la Convention contre les privations de liberté arbitraires » ; que « l'existence de soupçonsplausibles présuppose celle de faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...l'individu en cause peut avoir accompli l'infraction » ; et que « ce qui peut passer pour "plausible" dépendtoutefois de l'ensemble des circonstances », CEDH, Fox, Campbell et Hartley c. R.U., n os 12244/86, 12245/86,12383/86, 30 août 1990, Série A, n° 182, § 32.2396 CEDH, Campbell c. R.U., préc., § 47 ; CEDH, Fox, Campbell et Hartley c. R.U., préc., § 32.2397 « Une simple éventualité d'abus ne suffit pas à constituer un critère suffisant pour ouvrir la lettre », CEDH,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Campbell c. R.U., préc., § 52.2398 « Elle présuppose des faits ou renseignements propres à persuader un observateur objectif que l'on abusede la voie privilégiée de communication », Ibid.2399 « La plausibilité des motifs dépend de l'ensemble des circonstances », Ibid., § 48.2400 « Le risque de voir fabriquer des faux papiers à l'en-tête de la Commission, afin d'introduire en prison desobjets ou messages prohibés, est si négligeable qu'il faut l'écarter », Ibid., § 62. Comme, il est négligeable lerisque d’introduire des substances interdites dans la prison, CEDH, Peers c. Grèce, préc., § 84. Voir CEDH,Rehbock c. Slovenie, préc., § 99.2401 CEDH, Campbell c. R.U., préc., § 47, § 62 ; CEDH, Erdem c. Allemagne, préc., §61.


entre l'ouverture de la lettre et sa lecture, ces instances estiment que, par exemple, la présence dudétenu peut constituer une garantie 2402 .485Le principe du secret est également reconnu à d’autres autorités, comme les médiateurs (ouombudsman) 2403 , les parlementaires et les ministres 2404 . On peut s'interroger sur l’allongement decette liste. Mais, c’est aller à l'encontre du principe qui doit régir le raisonnement sur le respect desdroits de l'homme dans la société démocratique : celui-ci ne cherche pas à justifier l’intérêt de leurrespect mais celui de la nécessité de leurs limitations.b. Justification de la censureLa censure, étant une ingérence propre à l'exercice de la liberté d'expression, sa justification dansla correspondance devrait être inconcevable. Or la jurisprudence européenne ne l'interdit pas. Elle lasoumet simplement à la preuve de sa nécessité dans une société démocratique. La Commission aseulement déclaré à propos de la preuve de sa nécessité que « ce principe, énoncé en matière derestrictions apportées à une publication, n'en est que plus valable s'agissant d'une limitation imposéeà une lettre personnelle au sens de l'article 8 de la Convention 2405 ».La censure ainsi justifiée dans la jurisprudence européenne peut donner lieu à l’effacement despassages critiques mais aussi à la saisie du courrier. Cette dernière ingérence n’est pas non plusconsidérée comme contraire à la Convention : « Les autorités de contrôle de la correspondancedoivent se voir aussi accorder le droit de saisir toute la correspondance susceptible de menacer le bonordre de l'établissement » déclarait la Cour dans l’arrêt Schönenberger et Durmaz 2406 .Pour l'instant, seule la censure répétée et sévère est considérée comme non conforme à la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Convention 2407 . La sévérité de la censure est appréciée par l'application du critère de contenurépréhensible au regard du but de la détention et du maintien du bon ordre de l'établissement.Censure justifiée<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082402 « Il y a lieu de fournir des garanties appropriées pour en empêcher la lecture, par exemple, l'ouverture del'enveloppe en présence du détenu », CEDH, Campbell c. R.U., préc., § 48.2403 CEDH, Niebdala c. Pologne, préc., § 81.2404 Faulkner C. R.U, n° 37471/97, CEDH 2002-VI.2405 R 10802/84 (Heinrich Pfeifer, Margit Planki/Autriche) 11.10.90, § 109.2406 CEDH, Schönenberger et Durmaz c. Suisse, préc., § 19.2407 « La censure du courrier à plusieurs reprises ainsi que les propos censurés dans le cas de certaines lettresavait constitué une violation du droit au respect de la correspondance », CEDH, Silver et autres c. R.U., préc.,§ 98.


486Seulement deux types de propos ont, à ce jour, été considérés dans la jurisprudence européenne,comme constitutifs de contenu répréhensible : l'usage d'un langage ordurier accompagné desmenaces mettant en cause la défense de l'ordre et la prévention des infractions pénales 2408 et desinstructions relatives à l'exercice de l'activité professionnelle à l'origine de la condamnation dudétenu. La Cour a, par exemple, justifié l'interception des lettres d'un détenu condamné pourescroquerie, dans lesquelles il donnait des ordres pour une transaction commerciale 2409 .Censure injustifiéeA part la condamnation par la Cour de l’interception d’une lettre expédiée par un journaliste à undétenu, contenant copie d'un article paru sur ce dernier 2410 , la jurisprudence européenne a reconnuaux détenus le droit de commenter les conditions de détention. Selon la Commission, les restrictionsqui tentent d'empêcher les détenus de s'exprimer sur leurs conditions de vie sont des « restrictionsexcessives non nécessaires dans une société démocratique... à la défense de l'ordre 2411 ». La Cour astatué dans le même sens au sujet de l'interception de plusieurs lettres : une lettre adressée par undétenu à son solicitor et à un député au motif qu'elle contenait des critiques sur les conditions dedétention en général 2412 ; une lettre adressée au Procureur au motif qu'elle visait à susciter uneagitation ou pétition publique 2413 ; ainsi qu'une lettre expédiée à un détenu par son représentant aumotif qu'elle contenait copie des lettres adressées par ce dernier à la direction générale del'administration pénitentiaire dénonçant le fonctionnement des prisons 2414 .Les détenus ont également droit de commenter le comportement du personnel. La Commissionavait considéré comme non nécessaire la censure de la lettre d'une détenue au motif qu'elle avait écritque « les femmes sont soumises à l'observation indécente du personnel masculin de la prison 2415 ».Quant à la Cour, elle a sanctionné l'interception d'une lettre, destinée au Procureur (ProcuratorFiscal) au motif qu'elle contenait des commentaires sur des voies de fait commises sur desdétenus 2416 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082408 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 103.2409 Ibid., § 101.2410 CEDH, McGallum c. R.U, 30 août 1990, Série A, n°183, §10, § 28, § 31.2411 D 7291/75, 7365/76, 8574/79, 8991/80, 9198/80 9551/80, (Farrant, Gleaves, Costello, Smith, Stevens etGrace/RU), préc., p. 29.2412 CEDH, McGallum c. R.U, préc., § 31.2413 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 99.2414 CEDH, McGallum c. R.U, préc., §10, § 28, § 31.2415 R 10802/84 (Heinrich Pfeifer et Margit Planki/Autriche), préc., p. 18.2416 CEDH, McGallum c. R.U, préc., §10, § 28, § 31.


487Les détenus ont droit d’utiliser une certaine liberté de ton. La Commission avait précisé que lesdétenus ont, non seulement, le droit de commenter les conditions de détention et le comportement dupersonnel, mais aussi de le faire en des termes librement choisis, y compris « énergiques » : « Lerecours à un langage énergique peut être un moyen d'exprimer sa désapprobation d'un comportementparticulier et ne devrait être restreint que lorsque les termes employés sont disproportionnés à l'objetlégitime de la critique voulue 2417 ». Ainsi, les expressions « tas de singes » ou « voyeurs » auxquelsune requérante a eu recours en parlant des surveillants, cette instance avait estimé qu'« ils nesauraient être totalement disproportionnés à la critique qu'elle voulait exprimer », et que cela peutêtre expliqué « par un accès émotionnel de la requérante face à une situation qu'elle estimaitsérieuse 2418 ».La Cour a également eu l’occasion de juger qu’était injustifiée l’interception de lettres privées« visant à attirer le mépris sur les autorités » ou « usant de « termes délibérément injurieux pour lesautorités pénitentiaires » 2419 . Elle en a jugé de même s’agissant de l’interdiction des allégationsdirigées contre les membres du personnel pénitentiaire 2420 .Liberté d’expression, censure et délit de diffamation. La Commission avait même franchi un pasimportant dans la libération de l'expression des détenus en mettant en cause la légitimité du motif,communément admis par les droits pénitentiaires, celui de la protection de la réputation dupersonnel. Du fait que des atteintes à la réputation d'autrui constituent l'infraction pénale dediffamation, il est admis que la censure des lettres des détenus est pleinement justifiée dès lorsqu'elle vise à prévenir la commission d'une telle infraction 2421 . Saisie des requêtes corrélatives, laCommission avait enfin corrigé le cadre légal dans lequel la question de la compatibilité entre libertéd'expression des détenus dans leur correspondance et la préservation de la réputation du personnel dela prison doit être posée : elle a démontré l'absurdité du raisonnement des Etats selon lequel lesdétenus commettaient le délit de diffamation en formulant certaines critiques à l'égard des membresdu personnel pénitentiaire ou d'autres personnes. Cette instance avait, à juste titre, observé qu'unetelle infraction, comportant par essence un aspect public, ne peut pas être commise par un moyen de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...communication privé 2422 . Elle faisait partie de la correspondance privée, et seul un ami intime de laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082417 R 10802/84 (Heinrich Pfeifer et Margit Planki/Autriche), préc. ; V. aussi R 9815/82 (Lingens/Autriche),11 10.84, § 81.2418 R 10802/84 (Heinrich Pfeifer et Margit Planki/Autriche), préc., § 109.2419 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 64, § 99.2420 Ibid., § 91, § 99. Voir aussi, CEDH, Ekinci et Akalın c. Turquie, préc., § 47.2421 R 10802/84 (Heinrich Pfeifer et Margit Planki/Autriche), préc., p. 16.2422 Elle faisait partie de la correspondance privée, et seul un ami intime de la requérante était supposé lalire » ; en conséquence, la Commission « ne peut estimer que la censure était une mesure nécessaire pourpouvoir justifier le soupçon d'une infraction, qui par nature, ne peut être commise que publiquement », Ibid.,pp. 16-17. La requête n° 22686/93 (W. Stürm/Suisse) déclarée recevable par la Commission le 30.11.1994,


488requérante était supposé la lire » ; en conséquence, la Commission « ne peut estimer que la censureétait une mesure nécessaire pour pouvoir justifier le soupçon d'une infraction, qui par nature, ne peutêtre commise que publiquement ».On aurait, en effet, trop exagéré la dérogation déjà admise au regard du respect de lacorrespondance des détenus par son contrôle et sa censure, pour y ajouter une infraction pénalespéciale commise par les détenus. La Cour, saisie d’une question relative à la liberté du détenud’utiliser des propos insultants à l’encontre d’un magistrat dans une lettre adressée à un procureur, ajustifié cette restriction au regard de l’article 10. Mais elle ne l’a pas abordée également sous l’article8 de la Convention sous lequel elle aurait peut-être due être abordée.Notons à propos de la censure et de la rétention du courrier des détenus que, les résultats d'unquestionnaire sur le respect de la vie privée des détenus dans les Etats membres du Conseil del'Europe 2423 , montrent que ces deux ingérences sont une pratique courante et que les principauxmotifs sont le maintien de la sécurité et de l'ordre 2424 , la prévention des infractions 2425 , et laréadaptation du détenu 2426 .c. Justification de la limitation du cercle des correspondantsDans une société démocratique, on conçoit mal les ingérences intentionnelles, par desimmixtions de l'Etat, dans la liberté de communiquer avec autrui. Les seules ingérences concevablesne peuvent être dues qu'à l'abstention de l'Etat de mettre en place des services postaux ou desinstallations téléphoniques ou d’autoriser des entreprises privées à le faire, et empêcher leursdysfonctionnements. Or, dans la prison les ingérences d’autres types sont également concevables, denature aussi bien juridique que matérielle.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Restrictions par des entraves juridiques<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Selon la Commission, constituent des entraves à l'exercice de la correspondance, au même titreque les entraves physiques, celles qui rendent l'écriture totalement inutile à cause de la certitude quela lettre ne sera pas expédiée. Les entraves juridiques peuvent résider dans les restrictionsUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008portait également sur des griefs similaires : le détenu se plaignait de la non expédition de sa lettre en raison deson contenu diffamatoire pour le personnel.2423 M. HERZOG-EVANS, L’intimité du détenu et de ses proches, en droit comparé, Paris, L’harmattan,2000.2424 Allemagne, Bulgarie, Espagne, Irlande du Nord, Irlande, Suisse, Pays-Bas, Ibid., p. 50.2425 Turquie, Roumanie, Allemagne, Autriche, Irlande du Nord, Grande-Bretagne, Finlande, Italie, Républiquetchèque, M. Herzog-Evans, L’intimité du détenu..., préc.,. p. 52.2426 Espagne, Irlande du Nord, Allemagne, Pologne, France, Ibid. pp. 53-54.


églementaires du nombre et de la fréquence des lettres, mais aussi dans les restrictions du cercle descorrespondants ainsi que dans les restrictions à titre de sanction disciplinaire.489Dans l'affaire Golder, la Cour avait démontré l'absurdité du raisonnement présenté par legouvernement anglais qui, partant de l'inexistence physique d'une lettre, niait la violation de l'article8 en prétendant qu'il n'y avait ni interception ni censure. Ayant constaté que dans le cas du requérant,l'impossibilité d'écrire à un avocat sans autorisation préalable des autorités pénitentiaires était prévuepar le règlement pénitentiaire, elle a estimé que « si le requérant avait essayé d'écrire à son avocat,nonobstant l'interdiction, ou sans avoir sollicité l'autorisation indispensable, cette correspondanceaurait été interceptée, et il aurait donc pu invoquer l'article 8 ». Et la Cour de déclarer qu'il s'agissaitmême d'une « forme radicale » d'ingérence dans le droit au respect de la correspondance, par« l'obstacle apporté à la possibilité même de correspondre 2427 ».La jurisprudence européenne ne condamne toutefois pas toutes les restrictions. Ainsi la Cour ajustifié des restrictions du nombre et de la fréquence des lettres. Dans l’arrêt A. B. (2002) 2428 , elle aaffirmé que la limitation du nombre de lettres qu’un détenu peut envoyer, à deux ou trois parsemaine, ne constitue ni une restriction arbitraire ni une restriction déraisonnable dans le maintiendes contacts avec l’extérieur. Pourtant la Commission, après avoir, dans un premier temps, justifié detelles restrictions pour des raisons de sécurité estimant que la reconnaissance aux détenus du droit decorrespondre sans limites représenterait une surcharge considérable pour le personnel pénitentiaire etentraverait le contrôle effectif de leur correspondance, elle avait, par la suite, considéré que cettelimitation était contraire à l’exigence d’assurer un exercice effectif de ce droit par les détenus 2429 .En revanche, concernant les restrictions fondées sur l'identité des correspondants, tout enjustifiant le principe, c’est l'aspect de la correspondance dans lequel la jurisprudence européenne amarqué le progrès le plus notable. Jusqu’à l’affaire Silver et autres, la Commission justifiait<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>d’emblée toutes les restrictions à part la correspondance avec les parents et amis 2430 . C'est après<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...cette affaire que cette instance, tout en maintenant le principe du contrôle des lettres, a estimé que lesrestrictions fondées sur l'identité du correspondant constituent des ingérences dans l'exercice du droitUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008au respect de la correspondance 2431 ; elles doivent, par conséquent, être justifiées dans chaque casd'espèce. La Cour est venue valider cette approche en garantissant le droit des détenus decorrespondre avec toute personne de leur choix. Ce fut notamment dans l’arrêt Silver et autres (àpropos du refus d'autoriser un détenu à correspondre avec une personne qui n'était ni parent ni ami2427 CEDH, Golder, c. R.U., préc., §43.2428 CEDH, A. B. c. Pays-Bas, préc., §§ 90-91.2429 Affaire Silver et autres c. R.U., , Série B-51, § 213.2430 Ibid.2431 D 5442/72, (X/RU), 20.12.1974, DR 1; D 7052/75, (Colne/R.U), 4.10.1977, DR 10.


490avant l'emprisonnement) 2432 et dans l’affaire Campbell et Fell 2433 ( à propos du refus d'autoriser undétenu de correspondre avec deux religieuses), en garantissant le droit des détenus de correspondreavec toute personne de leur choix ou encore dans l'arrêt McGallum (à propos de l'interception deslettres au motif que le correspondant n'était ni un destinataire antérieur ni son conseiller juridique, aviolé l'article 8 de la Convention) 2434 .Liberté de correspondre avec des organisations indépendantes ou privées. Saisie des griefs deviolation de l'article 8 de la correspondance à cause de l'interdiction des détenus de correspondreavec des organisations indépendantes ou privées, la Commission avait estimé qu'une restriction sigénérale dans la correspondance du détenu « ne saurait être qualifiée de "nécessaire dans une sociétédémocratique... à la défense de l'ordre" au sens de l'article 8 §2 de la Convention 2435 ».En revanche, la jurisprudence européenne a estimé que peuvent être justifiées les restrictionssuivantes.Restrictions de la correspondance avec des détenus dangereux. Le motif de caractère dangereuxdu correspondant n'a pas été récusé dans son principe par la Cour. Celle-ci a seulement exigé que lesrestrictions fondées sur ce motif soient justifiées dans chaque cas d'espèce au regard de lapersonnalité du correspondant et non de son appartenance dans une catégorie de personnes 2436 .Restrictions dans la correspondance avec un codétenu ou ex-détenu. Différents droits nationauxinterdisent la correspondance entre détenus ou anciens détenus 2437 . La considérant comme uneingérence dans leur correspondance 2438 , la Cour a adopté la même approche que pour l’interdictionprécédente. Même si le contrôle d’une telle ingérence peut être justifié, elle « ne trouve pas desraisons justifiant l’interdiction générale d’une telle correspondance », a-t-elle déclaré 2439 . Chaque<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>restriction doit être justifiée de manière circonstanciée 2440 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2432 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 99.2433 CEDH, Campbell et Fell c. R.U, préc., § 120.2434 CEDH, McGallum c. R.U, préc., §10, § 28, § 31.2435 D 7291/75, 7365/76, 8574/79, 8991/80, 9198/80 9551/80, Affaire Farrant, Gleaves, Costello, Smith,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Stevens, et Grace/RU), préc., p. 30.2436 « Ce motif de limitation du courrier ne reposait pas sur une nécessité au sens de l'article 8 §2 », car elle n'apas décelé la présence des « considérations spéciales », CEDH, Campbell et Fell c. R.U., préc., § 120.2437 Il en est encore le cas, par exemple, en droit ukrainien, lituanien, Pays-Bas, Slovénie, Grèce M. HERZOG-EVANS, L’intimité du détenu..., préc.,.p.38.2438 CEDH, Frerot c. France, préc., § 55.2439 CEDH, A. B. c. Pays-Bas, préc., §§ 85-88.2440 Rappelons que la Commission avait déclaré recevable une requête concernant le refus des autoritéspénitentiaires d'autoriser un détenu de correspondre avec un ex-détenu au motif que cette correspondancen'aurait pas une influence positive sur le détenu, D 22048/93 (M.S/Autriche), 11.1.1995. Dans une autreaffaire, elle n’avait justifié l’interception d’une lettre adressée à un codétenu qu'en raison de son contenu : lerequérant le félicitait pour son acte terroriste, D 7736/76 (X/Suisse), 9.5.1977, D.R. 9, p. 206. La Cour a jugé


491Les restrictions dans la correspondance avec leurs enfants. Selon une décision de laCommission, en date de 1971, une telle restriction peut être justifiée dès lors qu'elle « s'inspire dusouci de protéger des mineurs, souci dont la jurisprudence de la Commission reconnaît la légitimitésur le terrain de l'article 8 §2, spécialement en ce qui concerne la protection de la morale 2441 ». Euégard à l’évolution, depuis lors, de la correspondance européenne relative aux relations entre lesenfants et leurs parents incarcérés, une telle restriction ne peut être justifiée que de manièreexceptionnelle. Le principe est que ces relations doivent, autant que possible, être maintenues.Les restrictions dans la correspondance entre les prévenus et les témoins. Cette restriction, quifigure dans l'ensemble des droits nationaux, n'a pas été mise en cause par les instances européennes.Celles-ci ont estimé que cette interdiction est pleinement justifiée, au sein de l'article 8 §2 de laConvention, par le but de la prévention des infractions, précisément par le souci de « ne pasinfluencer un témoin 2442 ». La Commission estimait que cela vaut également pour la correspondanceavec les proches. Elle avait, par exemple, estimé que l'interception par le juge d'instruction d'unelettre adressée par un prévenu à sa compagne « peut être regardée comme nécessaire dans unesociété démocratique, pour la prévention du désordre et du crime », si cette personne est témoin auprocès 2443 .L’interdiction de communiquer dans une langue étrangère. Elle constitue une ingérence, à toutle moins lorsqu’il s’agit de la correspondance avec la famille vivant à l’étranger et ne connaissantpas de langues étrangères. Mais elle peut être justifiée pour des raisons d’ordre et de sécurité, surtoutlorsque les autorités ont proposé des solutions comme le recours à un traducteur gratuitement 2444 .Restrictions à titre de sanction. Dans le droit commun, il n'est nullement prévu que le droit decorrespondre puisse faire l'objet de privation ou de restriction à titre de sanction. Toutefois, le droitpénitentiaire s'attribue également ce pouvoir. La correspondance, qui représente souvent pour les<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...détenus, coupés du monde extérieur, l'unique moyen de communication, offre même une matièreidéale à sanction. La Cour a, dans l'arrêt McGallum, conclu à la violation de l'article 8 de laConvention pour avoir interdit au requérant de correspondre pendant vingt-huit jours avec touteUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008dans le même sens, dans l’affaire Frerot c. France, précitée, à propos de la décision du directeur de la maisond'arrêt de Fleury-Mérogis du 28 juin 1993 de ne pas acheminer un courrier qu'il avait rédigé à l'attention d'unami détenu dans un autre établissement.2441 D 5239/71 (X/Belgique), 14.12.1972, Rec. 42, p. 142.2442 D 2566/65 (X/RFA), 6.2.1967, R 22, pp. 35-37.2443 D 12976/87 (G/Autriche), 9.10.1991.2444 A propos d’un détenu pakistanais au Portugal et demandant de correspondre en urdu avec sa famillerestée au Pakistan, CEDH, Chishti c. Portugal (déc.), n° 57248/00, CEDH 2003-X.


492personne à l'exception d'un député, du Procureur et de son conseiller juridique 2445 . Mais sonraisonnement ne permet pas d'affirmer si c'est le motif de la restriction ou seulement sa durée qui aété considéré comme contraire à la Convention.Restrictions par des entraves matériellesLes empêchements matériels de l’exercice du droit à la correspondance ainsi que des retardsdans l'acheminement des lettres ou des pertes du courrier constituent des limitations a prioriinjustifiéesRestrictions de la possession du matériel d’écriture. A moins de se trouver dans des situationsanormales, telles que l'isolement à des endroits où il n’y a pas de papier, il est difficile d'imaginerl'impossibilité d'une personne qui sait écrire, de rédiger une lettre. Or, la prison montre encore unefois qu'elle a son propre sens de la normalité. L'impossibilité d'écrire est tout à fait imaginable pourdes raisons matérielles. Cette impossibilité peut résider purement et simplement dans l'indisponibilitédu matériel d'écriture à cause de la confiscation du papier de la part de l'administration pénitentiaireou de la limitation du nombre de feuilles dont le détenu est autorisé à disposer 2446 . La contrainted'utiliser du papier avec des en-têtes des insignes de la prison peut également constituer uneingérence mais pas lorsque les détenus demandent à l’administration pénitentiaire de le lui enfournir 2447 .Difficultés d’assumer les frais de la correspondance. Un obstacle de fait peut également résiderdans une grande pauvreté. Elle peut empêcher un détenu tant d'écrire une lettre que de l'expédier.L'entrave provient alors, non pas de l'immixtion, mais de l'abstention des autorités. Commission etCour ont reconnu l’existence d’une obligation positive des Etats d'intervenir afin de rendre effectif<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>l'exercice de ce droit 2448 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A ce propos, la Cour a estimé qu’en principe « l’article 8 de la Convention n’oblige pas les Etatsà supporter les frais d’affranchissement de toute la correspondance des détenus, ni ne garantit auxUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008détenus le choix du matériel à écrire 2449 ». C’est lorsqu'un détenu est totalement dénué de moyensfinanciers, qu’il incombe aux autorités pénitentiaires de prendre en charge les frais 2450 . La Cour a,2445 CEDH, McGallum c. R.U, préc.,§ 31.2446 « Le fait de disposer de fournitures comme du papier à écrire, des timbres et des enveloppes est inhérent àl’exercice, par le requérant, de son droit au respect de sa correspondance, garanti par l’article 8 », a déclaré laCour, dans l’arrêt Cotlet c. Roumanie, préc., § 59.2447 CEDH, Cotlet c. Roumanie, préc., § 61.2448 CEDH, Cotlet c. Roumanie, préc., §§ 59-61.2449 CEDH, Cotlet c. Roumanie, préc., § 61.2450 D 9659/82, (Boyle/RU), 6.3.1985, D.R. 41, p. 91.


493dans l’arrêt Cotlet (2003), précisé l’étendue de cette obligation. Elle n’est pas illimitée. Toutefois, a-t-elle jugé, limiter la prise en charge à deux lettres par mois ou à la correspondance intérieure à unpays excluant celle avec l’étranger, est manifestement insuffisante et contraire au droit au respect dela correspondance.Retards et pertes du courrier. Un obstacle, de fait peut enfreindre la Convention à l'égal d'unobstacle juridique, a déclaré la Cour dans l'arrêt Golder à propos du report de l'autorisation decorrespondre avec son avocat, afin d'introduire une action en justice pour coups et blessures 2451 etdans la correspondance avec la Cour 2452 . Néanmoins, de légers retards sont qualifiés de « légèresingérences » pouvant être justifiées au regard de l'article 8 §2 de la Convention, si eu égard audestinataire, ou au contenu de la lettre, celle-ci n'a pas un caractère urgent. En effet, telle était ladécision de la Commission à propos du retard de deux jours 2453 . Cependant, dans l'arrêt Silver etautres, la Cour avait justifié un retard bien plus important : un retard de trois semaines 2454 .Interceptions des lettres. A plus forte raison constitue une entrave matérielle, la non remise ducourrier 2455 . A ce propos la Commission avait estimé, lors d’une affaire dirigée contre la Francerelative à la non-remise d'une lettre et dont les autorités pénitentiaires niaient l'existence, qu’une desgaranties contre les pertes du courrier, ses retards et ses rétentions peut constituer l'enregistrement detoutes les lettres entrant et sortant de la prison 2456 .Après l’examen de la jurisprudence européenne en matière de correspondance des détenus, lemoins que l’on puisse dire c’est qu’elle n’a pas révolutionné cette matière. A part le droit de recourseffectif au sens de l’article 13 (qui doit être assuré aux détenus et leurs correspondants contre touterestriction analysée comme ingérence au regard de l’article 8 de la Convention et qui marque unrenforcement indéniable de la protection de la correspondance), les autres points ne marquent qu’unfaible progrès par rapport aux droits nationaux. La jurisprudence européenne s’adapte au status quodes droits pénitentiaires assurée à la correspondance par le droit commun plus qu’elle ne les incite àavancer pour s’approcher de la protection. Elle met en cause ses propres principes sur uneinterprétation des droits de l’homme propre à une société démocratique : respecter la substance de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082451 . CEDH, Golder, c. R.U., préc., §26.2452 « La Cour note ensuite qu’il n’est pas contesté que le retard dans l’acheminement du courrier du requérantentre les 16 novembre 1995 et 20 octobre 1997 constitue, en l’occurrence, une ingérence au droit au respect desa correspondance, garanti par l’article 8 § 1 de la Convention, qui n’était pas prévue par une ‘loi’, au sens duparagraphe 2 de l’article 8 de la Convention », CEDH, Cotlet c. Roumanie, préc., § 34.2453 D 7291/75, 7365/76, 8574/79, 8991/80, 9198/80 9551/80, (Farrant, Gleaves, Costello, Smith, Stevens, etGrace/RU), préc., p. 33.2454 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 104.2455 D 20127/92 (Collet/France), 12 10.1994 (Règlement amiable, dans le rapport rendu le 4.7.1995).2456 Dans cette affaire, la Commission avait relevé, entre autres manquements, que seules les lettresrecommandées avec accusé de réception font l'objet d'un tel enregistrement, Ibid.


494ces droits dans toutes les circonstances. Or, lorsqu’en matière de correspondance elle justifie desrestrictions jusqu’à en inverser la règle concernant le secret, en justifiant d’emblée le non respect dusecret de la correspondance des détenus, on peut se demander où est la limite entre un Etat policier etune société démocratique. Elle s’aligne sur le dénominateur commun le plus faible. Si bien que pourbon nombre d’aspects, cette jurisprudence est en retard par rapport à de nombreux droits nationauxparmi lesquels le droit grec et le droit français.B. Progrès et retards de la protection nationale par rapport à la protection européenneEn droit grec, l'inviolabilité du droit au respect de la correspondance fait partie de toutes lesConstitutions, depuis 1845 jusqu'à aujourd’hui. La Constitution de 1927 a étendu la protection de lacorrespondance aux télégrammes et aux télécommunications ; et les Constitutions à partir de celle de1952 l'ont étendue à tous les moyens de communication. L'article 19 de la Constitution actuelle (de1975/1986/2001) prévoit que « le secret des lettres et de la libre correspondance et lacommunication, quel que soit le moyen, est absolument inviolable ». Toutefois, malgré les termes« absolument inviolable », la suite du texte de ce même article prévoit des exceptions : « La loi fixeles garanties sous lesquelles l'autorité judiciaire n'est pas liée par le secret pour des raisons de sûreténationale ou de constatation de délits particulièrement graves ». A la différence du droit grec, lerespect du secret de la correspondance n'est pas expressément garanti par la Constitution française.Quant au régime de la correspondance des détenus ces deux droits présentent des différencesnotables aussi bien concernant la correspondance écrite (1) que la communication téléphonique (2).1. Au regard de la correspondance écrite<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le droit grec se distingue du droit français et de la jurisprudence européenne en ce qu'il aconsidérablement rapproché la garantie de la correspondance des détenus de celle du droitcommun (a). En revanche, le droit français continue à soumettre leur correspondance à desrestrictions comparables à celles justifiées par les instances européennes (b).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...a. Protection renforcée en droit grecUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008C'est le Code des règles fondamentales pour le traitement des détenus, mis en vigueur en 1989,qui avait apporté des innovations importantes dans le respect de la correspondance écrite desdétenus. Il avait érigé en principe le respect de son secret et rayé toutes les limitations automatiquesde la liberté décisionnelle. Ces innovations sont maintenues dans l’actuel code pénitentiaire qui lui asuccédé en 1999.


495Garantie du secretLe progrès notable du droit pénitentiaire grec réside indéniablement dans la garantie du secret dela correspondance des détenus. L’article 53 §4 du Code pénitentiaire stipule que « le contenu deslettres, des communications téléphoniques et de tout autre moyen de communication n’est pascontrôlé conformément à l’article 19 de la Constitution », c’est-à-dire pour les mêmes raisons quecelles prévues par l’article 19 de la Constitution : des raisons de sûreté nationale et des exigencesd’enquête pour des délits particulièrement graves. Le contrôle de la correspondance est doncconsidéré comme une ingérence qui ne peut avoir lieu qu'à titre de dérogation pour les deux motifsprévus par la Constitution et conformément aux garanties prévues par la loi. Toutefois, le Règlementintérieur précise que le courrier est contrôlé mais en présence de l’intéressé. Le contrôle consiste enl’ouverture de la lettre mais pas en sa lecture (art. 23 § 5 Règlem. Intér.).Enfin, concernant le respect du secret, nous supposons que, suite à l’arrêt Peers 2457 qui acondamné la Grèce pour violation du secret de la correspondance du requérant échangée avec laCommission, il ne serait plus entendu dans le sens excluant l’ouverture d’une lettre en la présence del’intéressé afin d’empêcher sa lecture. La simple ouverture d’une lettre est considérée comme uneingérence au respect de la correspondance telle qu’elle est garantie par l’article 53 §4 du Codepénitentiaire grec.En cas de privation ou de restriction, les détenus peuvent recourir devant l’« officier de justice »(art. 53 §7 C. Pénit.). On entend par ce terme, les procureurs et substituts du procureur 2458 . Toutefois,nous observons qu’il n’est pas précisé l’autorité qui décide d’une ingérence, ni de sa durée. Quant aurecours prévu devant l’officier de la justice, il ne nous semble pas constituer un recours effectif ausens de l’article 13 de la Convention, ne serait-ce que parce qu’aucune règle de procédure n’estprévue.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...En ce qui concerne les restrictions relatives à la liberté décisionnelle, le droit grec a égalementmarqué un progrès.Garantie de la liberté décisionnelleUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Elle est garantie depuis le Code de règles fondamentales pour le traitement des détenus (1989)qui avait mis fin aux multiples restrictions en la matière, prévues par le code précédent, à savoir leCode pénitentiaire de 1967. Ce dernier soumettait la correspondance à des limitations liées à2457 CEDH, Peers c. Grèce, préc., §§ 79-84.2458 S. A<strong>LE</strong>XIADIS, Pénitentiaire (Sophronistiki), Athènes, 4 e éd., Sakkoulas, 2001, p. 208 et s.


496l'identité des correspondants 2459 ainsi qu’à des limitations du nombre de lettres et même du nombrede pages 2460 . Celles-ci, bien que critiquées par une partie de la doctrine pour leuranticonstitutionnalité 2461 , étaient justifiées par une autre partie, fondée sur la théorie des « limitationsimplicites de la peine privative de liberté », ou encore, sur les « buts de l'exécution de la peineprivative de liberté « tendant à la réforme du condamné et à sa protection d'influences nuisibles 2462 .La liberté d’envoyer des lettres et des télégrammes, sans limitations, est garantie par l’article 53§3 de l’actuel Code pénitentiaire. De surcroît, pour assurer son exercice contre des entraves de naturefinancière, il est prévu que la direction de l'établissement prenne en charge les frais decommunication, pour les détenus dépourvus de moyens financiers suffisants (art. 53 §5 C. pénit.).Ajoutons un autre progrès accompli par le code pénitentiaire actuel. Il a supprimé toute privationou restriction de la correspondance, à titre de sanction disciplinaire.b. Protection faible en droit françaisConcernant le respect du secret, le droit français est bien en retard par rapport au droit grec. Enrevanche, concernant la liberté décisionnelle, il assure une protection équivalente.Absence de garantie du secretLe droit pénitentiaire français, s’il garantit aux détenus la possibilité d’écrire « tous les jours sanslimitation » (ar. D 417 CPP), continue à exclure la correspondance des détenus de la garantie dusecret. Le seul progrès marqué sur cette question est le renversement de la règle relative au contrôledes lettres. Depuis le décret du 6 août 1985, celui-ci n'est plus systématique, mais facultatif. Laformulation catégorique de la rédaction précédente de l'article D. 416, al.a CPP, « les lettres de tousles détenus, tant à l'arrivée qu'au départ, sont lues aux fins de contrôle », est devenue : « Les lettres<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...de tous les détenus, tant à l'arrivée qu'au départ, peuvent être lues aux fins de contrôle ». Mais aucunUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082459 Conformément au Code pénitentiaire précédent (1967) : la correspondance était limitée à celle avec lesparents et le conjoint (art. 81 §1) ; la correspondance entre détenus ou ex-détenus non liés par des rapports deparenté était interdite (art. 82 §2) ; et la possibilité de correspondre avec d'autres personnes était soumise àl'autorisation du directeur fondée sur l'appréciation de l'influence bénéfique sur le détenu (art. 81 §2).2460 Selon l'article 81 § 4 du Code pénitentiaire (1967), les condamnés à perpétuité avaient droit d'envoyer etde recevoir des lettres une fois par mois, les condamnés à temps y avaient droit deux fois par mois, et lescondamnés à l'emprisonnement trois fois par mois. Seuls les condamnés à une peine d'emprisonnement avaientle droit de correspondre sans limites. Un nombre supplémentaire pouvait être autorisé à titre de récompensepour bonne conduite ou d'amendement. L'article 81 §7 fixait le nombre maximum de pages autorisées à quatrepages sans distinction de catégorie pénale.2461 A. MANESSIS, Droits constitutionnels, préc., p. 245.2462 GARDICAS, Criminologie, t. 3, Athènes 1954, p. 241 et s.


critère ne permet de rendre prévisible une telle éventualité, à l'exception de la qualité dudestinataire 2463 .497Le droit français continue également à pratiquer la censure et l’interception des lettres. Mais à ladifférence de l’ouverture des lettres, elles peuvent, dans une certaine mesure, être prévisibles parl'application du critère de « contenu répréhensible ». Les articles D 415 al.b et D 416 al.b du Code deprocédure pénale, prévoient respectivement que les lettres « sont retenues lorsqu'elles contiennentdes menaces précises contre la sécurité des personnes ou celle des établissements pénitentiaires » etque celles « qui ne satisfont pas aux prescriptions réglementaires peuvent être retenues » parmilesquelles figurent les lettres qui ne sont pas écrites en clair ou comportent des signes ou caractèresconventionnels (art. D. 415 al.2 CPP). La Cour a confirmé dans l’arrêt Frerot (2007) que cetteréglementation laisse un pouvoir large au directeur de l’établissement surtout si l’on tient égalementcompte de la circulaire du 29 décembre 1986 qui précise encore plus les conditions dans lesquellesles détenus peuvent correspondre. La Cour a estimé que cette circulaire entache d’illégalité lesrestrictions qu’elle prévoit en matière de correspondance. D’abord, elle contient une définition de lacorrespondance incompatible avec la Convention ; elle se réfère au contenu des écrits ce qui acomme conséquence d’exclure d'office du champ de protection de cette disposition une catégorieentière d'échanges épistolaires privés auxquels des détenus peuvent souhaiter participer 2464 ». Lacorrespondance des détenus est entendue dans un sens excluant notamment les « lettres (...) dont lecontenu ne concerne pas spécifiquement et exclusivement le destinataire 2465 ». Ensuite, elle estdépourvue de pouvoir normatif pour pouvoir constituer une loi au sens de l’article 8 de laConvention. Dès lors, d’office les restrictions qu’elle prévoit sont entachées d’illégalité : « Selon laCour, on ne saurait voir dans un texte de cette nature, édicté en dehors de l'exercice d'un pouvoirnormatif, la « loi » à laquelle renvoie l'article 8 de la Convention notamment 2466 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Garantie de la liberté décisionnelle<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La possibilité d'écrire à une personne de son choix, et de recevoir des lettres, est reconnue auxdétenus depuis le décret du 26 janvier 1983. Les restrictions relatives à la fréquence et au nombre deslettres sont supprimées par le décret du 23 mai 1975. Depuis lors, « les détenus peuvent écrire tousles jours et sans limitation » (D. 417 CPP). Les privations et restrictions de la correspondance, que cesoit à titre de sanction principale ou accessoire, sont supprimées par le Décret n° 96-287 du 2 avril1996. Toutefois, il subsiste une restriction qui peut être entachée d'anticonventionnalité. L'articleD. 414, al.b du Code de procédure pénale prévoit que le chef d'établissement peut interdire laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082463 Il semble que cela dépend essentiellement du destinataire, F. BIANCHI, Cours de réglementationpénitentiaire, vol. 2, 1990, p. 15.2464 CEDH, Frerot c. France, préc., § 61 .2465 Ibid.2466 Ibid., § 59.


498correspondance, occasionnelle ou périodique, avec des personnes autres que le conjoint ou lesmembres de la famille d'un condamné, lorsque cette correspondance « paraît compromettregravement la réinsertion du détenu ou la sécurité et le bon ordre de l’établissement ». Or, cettedisposition peut, eu égard au jugement de la Cour dans l'arrêt Petra, être considérée contraire à laprévisibilité légale des restrictions : elle accorde au directeur de l'établissement un pouvoird'appréciation large, de surcroît, non soumis à un contrôle efficace par une instance nationale au sensde l'article 13 de la Convention.Par ailleurs, la conformité avec la Convention de la possibilité du juge d’instruction d’interdire àun prévenu toute communication nous paraît douteuse (sauf avec l’avocat) pendant vingt jours autotal (art. 145-4 et D. 65 CPP.). D’autant plus qu’aucun recours n’est prévu contre cette ingérence.Rappelons que la Cour avait sanctionné la privation de correspondre avec toute personne, exceptél’avocat de la défense, le procureur et un député, pendant vingt-huit jours 2467 .En effet, l'ensemble des ingérences dans la correspondance des détenus en droit françaiscomporte le risque d'être jugées contraires à la Convention pour inefficacité du système de contrôlecontre des abus. La Commission a jugé que le contrôle des lettres des détenus étant prévu par lesdispositions des décrets régissant l'exécution de la peine privative de liberté, censées donc êtreconformes à la loi et à la Constitution française, un recours des détenus administratif ou pénal n'aaucune chance d'aboutir à la condamnation des personnes chargées d'exercer ce contrôle. Telle est,en effet, l'appréciation de la Commission européenne, saisie des requêtes des détenus, dirigées contrela France 2468 . Le recours en plein contentieux, le seul recours administratif qui pourrait êtreconforme à l'article 13 de la Convention, ne l'est pas dans le cas de tels griefs des détenus : ceux-cine peuvent pas rapporter la preuve de faute commise par les autorités pénitentiaires, dès lors quecelles-ci agissent dans le cadre de leur pouvoir réglementaire. De non-conformité à ce même articlede la Convention est également frappée la plainte pénale : la responsabilité pénale des fonctionnairesexige, de surcroît, la preuve d'intention délictueuse. En tout état de cause, la Cour a constaté en2007, dans l’arrêt Frerot qu’il n’est pas permis, au regard du droit français et de la jurisprudencefrançaise, à l’heure actuelle, d’affirmer que les détenus disposent d’un recours effectif en la matière.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En comparaison avec la protection de la correspondance écrite, celle des communicationstéléphoniques des détenus est sensiblement moindre, aussi bien dans le droit français que dans ledroit grec.2467 CEDH, McGallum c. R.U, préc., § 31.2468 « Le fait commis de mauvaise foi d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondancesarrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance, est punid'un an d'emprisonnement et de 300 000 F d'amende » (art. 226-15 C. pén.).


4992. Au regard de la communication téléphoniqueDans l'examen de la protection des communications téléphoniques à l'égard des détenus, il fautavoir à l'esprit que, si les instances européennes n'ont pas encore exigé d'assurer aux détenus l'usagedu téléphone, du moment que les droits internes le prévoient, les Etats peuvent être sanctionnés pournon respect de leur propre législation 2469 .Les droits grec et français font partie des droits nationaux qui prévoient l'usage du téléphone enprison. Mais à la différence de la réglementation de la correspondance écrite, celle de l'usage dutéléphone révèle que ce dernier demeure une faculté accordée aux détenus. L’usage du téléphonedemeure sous l'autorisation du directeur de l'établissement et est limité à un certain nombre d'appels,hebdomadaires ou mensuels, aussi bien dans le droit grec (a), que dans le droit français (b).a. Les progrès en droit grecLe droit pénitentiaire grec prévoit que « chaque détenu communique par téléphone qui se trouvedans un lieu de l’établissement contrôlé optiquement » (art. 53 §1 C. pénit.). Le secret est doncgaranti. Le règlement intérieur précise que les communications téléphoniques sont autoriséesuniquement avec des personnes possédant un permis de visite. En revanche, la fréquence et la duréesont libres dans la mesure où le permet l’usage collectif d’un nombre de postes limité installés danschaque prison (art. 22 Règlem. Intér.).b. Les progrès en droit françaisL'accès des détenus au téléphone diffère selon leur catégorie pénale. Reconnu, en 1975, auxdétenus dans les centres de détention, l'accès au téléphone a été étendu, en 1983, aux détenus dansles établissements pour peine. Jusqu’en 2007, alors que pour la première catégorie de détenus, l'accèsau téléphone était un principe, et pour la seconde était réservé dans des « circonstances familiales ou<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...personnelles importantes », depuis 2470 , les données sont inversées : « Dans les centres pour peinesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008aménagées, les condamnés peuvent téléphoner, à leurs frais ou aux frais de leur correspondant, auxpersonnes de leur choix » (art. D 419-2 CPP), alors que dans les centres de détention il revient audirecteur de l’établissement d’étendre ce droit à des personnes autres que les membres de la familleet les proches (art. D 419-1 CPP). Ces conversations peuvent être écoutées, enregistrées (art. D 419-3, al.a CPP) et conservés pour une durée maximum de trois mois (art. D 419-3, al.g CPP). Dans les2469 Ainsi, la Cour a conclu à la violation du droit au respect de la vie privée et familiale, du fait qu’unepersonne détenue en Russie n’a été autorisée à parler avec son père, qui allait être euthanasié le lendemain, àson pays d’origine, les Pays-Bas, qu’une minute, CEDH, Lind c. Russie, n° 25664/05, CEDH 2007XII.2470 Décret nº 2007-699 du 3 mai 200, JO, 5 mai 2007.


maisons centrales, les conversations téléphoniques « peuvent être enregistrées de façonsystématique » (art. D 419-3, al.b CPP).500Si, outre ces limitations, on prend également en compte le fait que le support financier incombeau détenu, ou à son correspondant, et d'une note du 10 juillet 1989 précisant que l'envoi d'une cartetéléphonique par correspondance est interdite 2471 , on ne peut que constater que la politiquepénitentiaire est loin d'être guidée par la volonté de faciliter l'accès des détenus au téléphone et del’utiliser comme moyen de maintien des liens avec l’extérieur. D’autant plus que l’accès autéléphone ne constitue pas un droit pour les détenus et la possibilité de recevoir des appelstéléphoniques est totalement exclue. Pourtant ce moyen, non seulement élargit les moyens decommunication, mais offre aussi la possibilité d'avoir un autre type de communication, plusimmédiat et vivant que la correspondance écrite. Sans oublier que dans le cas des détenusanalphabètes, il permet de remédier à leur difficulté de communiquer par l'écrit.En effet, tant la Grèce que la France ne font par partie des pays qui assurent le meilleur accès desdétenus au téléphone. A part la Turquie (où les détenus ne peuvent appeler que pour des raisonsexceptionnelles et sous l'autorisation du directeur), d'autres pays autorisent les détenus à utiliser plusfréquemment le téléphone 2472 . D’autres encore les autorisent également à recevoir des appels. Ainsien Suède, Islande, Allemagne, Autriche, Italie, Slovénie et Ukraine, les détenus peuvent donner etrecevoir des appels téléphoniques 2473 . Certains ont érigé en principe, le respect du secret desconversations téléphoniques (comme la Belgique, la Pologne, le Luxembourg, la Roumanie, laSlovénie, le Danemark, la Finlande, l'Islande, les Pays-bas et l'Espagne). Les écoutes ne peuventavoir lieu que pour des motifs d’ordre, de sécurité ou de suspicion 2474 .Toujours est-il que l'évolution dessinée de l'usage du téléphone dans les pays mentionnés, si elleconstitue un progrès intéressant, est pourtant bien en retrait par rapport à celui marqué dans lacorrespondance écrite. Une garantie similaire exigerait d'ériger en principe la liberté et le secret des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...communications téléphoniques. Cela impliquerait non seulement de limiter la mise sous écoute, maisaussi de supprimer les limitations du nombre d'appels passés et reçus par les détenus, ainsi que leslimitations des personnes avec qui les détenus peuvent avoir des contacts téléphoniques ; sauf àdémontrer que dans un cas donné de telles limitations sont justifiées. Enfin, si l'on va au bout de lalogique de l'application du principe de limiter les effets de la prison à la liberté physique (ce quinécessite d'assurer au moins un respect des droits de l'homme en prison, égal à celui à l'extérieur, etUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082471 F. BIANCHI, Cours de réglementation pénitentiaire, préc., p. 20.2472 C’est le cas par exemple de la Grande-Bretagne, de l’Irlande du Nord, de la Suisse et de la Pologne, où lesdétenus ont un accès quotidien au téléphone. En Espagne, ils y ont accès 5 fois par semaine, et en Islande troisfois par semaine, M. HERZOG-EVANS, L’intimité du détenu, préc., p. 60.2473 M. HERZOG-EVANS, L’intimité du détenu, préc., pp. 68-70.2474 Ibid., pp. 70-77.


501de justifier chaque dérogation par des motifs précis et non par l'état de détention en général), devraitêtre assuré au détenu l'usage de tous les moyens de communication existants à un moment donnédans une société.Dès lors, la véritable évolution (révolution) en matière de communication adviendra lorsqu’onautorisera aux détenus d'utiliser des téléphones portables à leur guise. D'une part, cela faciliteraitl'usage illimité du téléphone du point de vue matériel, dès lors qu’il n’y aurait plus de problèmespratiques d'installation des appareils téléphoniques ; d'autre part, si le détenu avait la possibilitéd'avoir « à portée de main » un téléphone, cela permettrait de rendre plus spontané et intime cemoyen de communication. L'usage libre du téléphone peut (avec celui de l'accès à l'internet)constituer même le moyen le plus efficace contre des effets de barrière de la prison avec le mondeextérieur. A cette fin, des formes d'aide financière, telles que l'envoi de cartes téléphoniques et lesabonnements des téléphones mobiles, devraient être autorisées.Or, au vu de l'état actuel des droits nationaux et de la jurisprudence européenne sur l'usage dutéléphone, cela semble utopique. La jurisprudence européenne n'a même pas encore consacré le droitdes détenus à communiquer par téléphone fixe. Quant aux droits nationaux, sept pays autorisent laréception des appels, et cinq l'usage quotidien du téléphone (dont quatre sans limitation du nombre nide durée) 2475 . Cela montre qu’en fixant un nombre minimum d'appels passés et reçus par jour et leurdurée maximale, un usage quotidien ne bouleverserait pas forcement la vie de la prison.L'étude de la garantie des moyens de communication des détenus avec l'extérieur, au sein de lajurisprudence européenne et des droits grec et français (correspondance écrite ou communicationtéléphonique) montre que pour l'instant, le souci demeure de les garder sous le contrôle des autoritéspénitentiaires. Ce contrôle prend des formes variables : du contrôle du contenu des lettres et leurcensure au contrôle des correspondants. Cette étendue du contrôle n’est pas sans mettre en cause lemaintien des liens familiaux et sociaux et compromettre non seulement l'objectif pénologique deréinsertion des détenus, mais aussi le respect d'au moins deux principes de droit.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Premièrement, le respect du principe pénal de légalité des peines. L'étude du respect de lacorrespondance ne laisse pas de doutes non seulement sur l'extension du contenu de la peineprivative de liberté à la vie privée, mais offre un terrain privilégié pour observer l'essence de cettepeine : plus encore qu'en la mise à l'écart de la société, elle consiste en la mise d'une personne soussurveillance totale et ininterrompue. A ce propos, la Commission a fait un résumé fort explicite de laposition de la jurisprudence européenne, en affirmant que « la Cour a constaté que l'exécution des2475 Ibid., pp. 60, 68.


peines, fondées sur les nécessités de la sécurité publique, exige des mesures de surveillance et decontrôle, non seulement quant à la personne mais aussi quant à la correspondance 2476 ».502Deuxièmement, le respect du principe, en matière d'application des droits de l'homme, desauvegarde de la substance des droits de l'homme : lorsque les « restrictions normales » de lacorrespondance, plus précisément son « contrôle normal », va jusqu'à incorporer la dérogationsystématique au respect du secret, au point d'inverser le rapport de règle/exception dans une sociétédémocratique, peut-on encore défendre qu'au moins la substance de ce droit est garantie ?Enfin, en acceptant pareille ampleur dans les dérogations au respect des droits de l'homme, peutonencore défendre que la prison fasse partie d'une société démocratique sans compromettrel’identité même d’une telle société ?Un tel raisonnement ne fait-il pas encourir le « saper, voire de détruire la démocratie au motif dela défendre » 2477 ? Ce risque, souligné par la Cour dans les restrictions justifiées par le but decombattre le terrorisme, danger direct pour la démocratie, n'est-il pas plus pressant dans lajustification des restrictions dans le but d'assurer le bon fonctionnement d'une institution publique,serait-elle de type spécial ? Rappelons encore une fois que légitimer le contrôle systématique de lacorrespondance privée, au point de renverser le rapport entre abstention-immixtion de l'Etat dans sesrapports avec les individus, c'est abolir les frontières entre vie privée et vie publique. Or, cetteabolition est le propre des Etats totalitaires 2478 , ou des « Etats policiers » selon les termes même de laCour 2479 .§ 2. <strong>LE</strong>S RESTRICTIONS AU RESPECT <strong>DE</strong>S RAPPORTS <strong>DE</strong> PROXIMITE<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Rappelons que les instances européennes ont reconnu aux détenus le droit au lien humain tantavec le monde extérieur 2480 qu'avec la communauté carcérale 2481 . En tentant de déterminer quel est<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...l'état de protection de ces liens dans les droits grec et français et quel est l'apport de la jurisprudenceeuropéenne, nous verrons que celle-ci n'a pas encore contribué à renforcer ni les moyens de leurmaintien (A) ni leur qualité (B). Les exigences des instances européennes demeurent même en deçàUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082476 D 8383/78 (Vanderlinden/Belgique), 14.10.1980, D.R. 23, pp. 127-131.2477 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, préc., § 49.2478 « Une des caractéristique majeures d'un Etat totalitaire, a-t-on relevé avec pertinence, est l'abolition detoute frontière entre vie sociale et vie privée, la volonté de régir non seulement les activités publiques maisaussi la vie privée des personnes », A. ROUX, « La protection de la vie privée entre l'Etat et les particuliers »,cité par Pierre Kayser, La Protection de la vie privée par le droit, 3e éd., préc.,p. 7.2479 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, préc., § 45 et s.2480 D 9054/80 (X/RU), préc., p. 118.2481 D 8231/78 (T/RU), préc., D.R. 49, p. 38.


des garanties déjà assurées en la matière par certains droits nationaux, en l'occurrence par les droitsgrec et français.503A. Les restrictions des moyensLe droit d'établir et d'entretenir des relations avec d'autres êtres humains demeure dans le cas desdétenus extrêmement limité. L'entretien des contacts tant avec la communauté carcérale (1) qu'avecles personnes extérieures (2) est soumis à l'autorisation des autorités pénitentiaires. Autorisation quin'est pas formelle. Elle détermine aussi bien le choix des personnes avec qui le détenu peut entretenirdes relations privées que leur fréquence et leur durée.1. Le droit à des contacts avec la communauté carcéraleC'est à l'occasion de l'isolement carcéral, que la Commission avait affirmé le droit desdétenus au lien avec la communauté carcérale 2482 . Cela ne signifie pas pour autant la consécrationd’un droit d'exécution de leur peine en commun. Exécuter la peine en isolement ou en commun estconsidérée comme un aspect relevant du domaine des modalités de l'exécution de la peine privativede liberté. Domaine que la Commission laissait au pouvoir discrétionnaire des autorités nationales.Elle considérait, ainsi que nous l'avons souligné à propos de l'examen de la liberté, qu'il relève duchamp du droit à la liberté tel qu'il est entendu et protégé au sein de l'article 5 de la Convention. Amoins que le degré d'isolement ne porte atteinte à un des autres droits protégés par la Convention (enl’occurrence à l’article 3 et à l’article 8) telle qu'elle ne pourrait être justifiée par des exigences de laprison.L’application de l’article 8 permet de considérer toute restriction ou suppression des contactsavec la communauté carcérale qu’elle soit entraînée par l'isolement carcéral ou par une sanctiondisciplinaire, comme une ingérence dans la vie privée. Mais cet article est rarement invoqué par lesdétenus dans leurs requêtes devant la Cour. Ces mesures sont quasi systématiquement mises en causeau regard de l’article 3 qui interdit les traitements inhumains ou dégradants. Nous pouvons toutefoisdouter de l'efficacité de l'application de l'article 8. De telles restrictions sont facilement considéréescomme nécessaires dans une société démocratique.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Par ailleurs, la Cour a écarté l’applicabilité d’une autre disposition pour garantir une viecollective en prison, à savoir le droit à la vie associative consacré par l’article 11 de la Convention :2482 Ibid., p. 38.


« La Cour considère que dans le cadre des prisons, l’article 11 ne confère pas le droit de mener unevie sociale avec les autres détenus à un moment ou à un endroit donné 2483 ».504Le détenu n'a alors aucune maîtrise de ses rapports avec autrui dans le cadre de la détention. Demême qu'il n'a pas le droit de s'isoler de ses codétenus, il n'a pas non plus le droit de vivre avec eux.C'est seulement dans les contacts avec l'extérieur qu'il sauvegarde une certaine maîtrise, au moinslorsque l'existence d'un lien privé ou familial est établie.2. Le droit à des contacts avec des personnes extérieuresLe droit de maintenir des liens privés avec l'extérieur est expressément reconnu aux détenus parla jurisprudence européenne dans le cadre de la protection du droit à la vie privée et familialeconsacré par l'article 8. Partant du constat que la détention entraîne la séparation physique du détenude son entourage, la position dominante des instances européennes en la matière est que des effortsdoivent être faits pour contrecarrer ces effets et préserver au moins le maintien des liens privés etfamiliaux. Mais, même dans ce domaine, nous allons voir en examinant les visites (a) et lessorties (b) que le détenu n'a la maîtrise ni de l'étendue de leur usage ni du choix des personnes avecqui il souhaite entretenir des liens privés.a. Les visitesDe même que les restrictions ou privations de la correspondance, celles des visites sontconsidérées par des instances européennes comme des ingérences dans l'exercice du droit à la vieprivée 2484 . Mais à la différence des premières, ces instances n'ont mis en cause concernant celles desvisites ni leur autorisation préalable ni les limitations de leur fréquence et de leur durée : « On ne<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>saurait obliger les prisons à fournir aux détenus des possibilités de visite illimitées 2485 ». Toutefois laCour considère que les limitations plus amples des visites familiales que comportent certains régimesspéciaux que celles prévues par le régime normal constituent une ingérence que les Etats doivent<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...justifier 2486 . Et elle condamne les privations totales des visites durant un temps relativement long,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008comme, par exemple, celles qui dépassent un an 2487 .2483 CEDH, Bollan c. R.U., n° 42117/98, CEDH 2000-VI.2484 . « L'interdiction faite aux requérants d'entretenir des contacts avec d'autres constitue donc, à cet égard, uneingérence dans l'exercice de leur droit à la vie privée », D 8317/78, (McFeeley/RU), préc., p. 148 ; CEDH,Messina c. Italie (n o 2), préc., § 62 ; CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., §§ 138-141 ; CEDH, Van der Ven c.Pays-Bas, préc., § 69 ; CEDH, Kucera c. Slovaquie, préc., §§ 129-130 .2485 . D 9054/80 (X/RU), 8.10.1982, DR 30, p. 113 et s.2486 Ainsi les restrictions des visites familiales afin d’empêcher le maintien des contacts avec le milieumafieux, sont justifiées par la Cour (Bastone c. Italie, n° 59638/00, CEDH 2005-I). Sont également justifiées,la privation de visites de longue durée à des personnes en détention provisoire alors que de telles vsites sont


505En fait, en comparant les droits grec et français avec la jurisprudence européenne en la matière,la seule contribution de celle-ci dans le renforcement de ces liens est l'élargissement du cercle despersonnes autorisées à rendre visite aux détenus. En revanche, concernant la fréquence et durée desvisites, la jurisprudence européenne est loin d'inciter les Etats à renforcer le maintien des liens privéspar le moyen des visites.Limitation du cercle de visiteursPour ce qui est des personnes qui doivent être autorisées à rendre visite aux détenus, laCommission avait estimé « raisonnable » la « limitation en général aux parents et amis proches, àquelques exceptions près 2488 ». Mais cette affirmation constitue déjà une avancée par rapport auxdroits nationaux, en l'occurrence aux droits grec et français. Au sein de ces deux droits, l'autorisationdes visites à des personnes autres que des parents continue d’être soumise à l'appréciation de leurinfluence positive sur la réinsertion sociale du détenu.En effet, en droit français, « le chef d’établissement ne peut refuser de délivrer un permis devisite aux membres de la famille d’un condamné ou à son tuteur (art. D. 404, CPP). Alors qu’iln’autorise les visites à d'autres personnes que « s'il apparaît que ces visites contribuent à l’insertionsociale ou professionnelle du condamné » (art. D. 404 CPP). Quant au droit grec, le principe affirméest que les contacts réguliers et sans obstacles des détenus avec l’extérieur visent à assurer « la paixde la vie en détention » et la réinsertion sociale la plus rapide possible après leur mise en liberté (art.51 §1 C. pénit.). Toutefois le cercle des personnes autorisées à rendre visite aux détenus est assezlimité. En principe, seuls sont autorisés les parents jusqu'au quatrième degré. L’octroi d’unepermission de visite à d'autres personnes est soumis à l'autorisation du directeur de l'établissement etdoit être recommandé par écrit par le service social (art. 52 §1, C. pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Limitation de la fréquence et de la durée des visitesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Pour ce qui est du nombre et de la durée des visites, les instances européennes ne fixent aucunerègle. Reconnaissant que « pour les autorités pénitentiaires, les visites en prison sont une lourdecharge du double point de vue de l'administration et de la sécurité 2489 », elles laissent en la matièreune large marge d'appréciation aux autorités nationales y compris dans les contacts d'un détenu avecpossibles aux détenus condamnés (Lettonie) ainsi que leur limitation à une heure par mois, (Estrikh c.Lettonie,n°73819/01, CEDH 2007-I, §§ 170-174).2487 D 17261/90, (C/France), 30.8.1993. Et certes la privation de 13 mois (CEDH, Kucera c. Slovaquie, préc.,§§ 129-130) ou de un an et demi (CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., §§ 138-141).2488 . D 7878/77 (P.Fell/R.U), 19.3.1981, p. 123; D 9054/80 (X/RU), préc., p. 118.2489 . D 9054/80 (X/RU), préc.


506sa famille 2490 . Le contrôle européen de conformité des restrictions en matière de visites se fait auregard d’une part de cette large marge d’appréciation, et d’autre part, des « exigences normales etraisonnables de l'emprisonnement 2491 ». Mais nous observons que la Cour justifie des limitationsdans la réglementation du nombre et de la fréquence des visites bien plus amples que la moyennenationale européenne, qui est d'une demi-heure par semaine 2492 , et dans laquelle se trouvent lesdroits français et grec.En droit français, le nombre de visites varie entre prévenus et condamnés. Les premiers peuventrecevoir au moins trois visites par semaine et les seconds une seule (art. D. 410 CPP). Toutefois lesvisites des prévenus peuvent être supprimées pour une durée fixée par le juge d'instruction. Il peut,selon l'article 145-4 du Code de procédure pénale (loi n° 93-2, du 4 janv. 1993, loi n° 96-1235 du 30déc. 1996), prescrire l'interdiction de communiquer et de recevoir des visites pour une période de dixjours, renouvelable, une seule fois pour dix jours. De surcroît, il peut les supprimer pendant lepremier mois d'incarcération, voire ultérieurement. Mais dans ce dernier cas, et lorsqu'il s'agit desmembres de la famille du détenu, il est obligé de motiver spécialement cette décision au regard desnécessités de l'instruction. En droit grec, le code pénitentiaire prévoit qu'au moins une visite parsemaine doit être accordée à tous les détenus prévenus ou condamnés (art. 52 § C. pénit.). Mais lesautorités pénitentiaires jouissent du pouvoir d'en prévoir un nombre supérieur. C'est en effet lerèglement intérieur de chaque établissement qui fixe la durée, le nombre et les autres modalités desvisites (art. 52 § 4, C. pénit.).Toujours est-il que même ces normes minimales du droit grec et français sont bien au-dessus decelles admises dans la jurisprudence européenne. La Cour a admis des restrictions jusqu’à une visitepar mois d’une demi-heure 2493 . Dans l’arrêt Boyle et Rice, le premier requérant se plaignait de laviolation de sa vie privée à cause de la limitation de la fréquence des visites (douze visitesannuelles), et de leur durée (une heure chacune), ce qui l'empêchait de recevoir d'autres visites quecelle de son épouse. Il accusait la direction de l'établissement pénitentiaire de ne pas avoir usé de son<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...pouvoir discrétionnaire pour lui accorder des visites plus fréquentes. Commission et Cour avaientjugé que « tout bien considéré... la manière dont l'administration avait pesé, d'un côté, les intérêts deM. Boyle et la vie familiale des deux requérants, et de l'autre, les impératifs d'une bonne gestion etUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082490 . CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc., § 74.2491 . Ibid.2492 . Dans la plupart des pays européens les visites familiales sont hebdomadaires et durent une demi-heure.Mais, dans d'autres pays, comme la Finlande, la Lituanie, la Tchéquie, elles sont d'une durée plus longue. Parexemple en Ukraine, elles peuvent durer de quatre heures à trois jours par mois, M. HERZOG-EVANS,L’intimité du détenu et …, préc.2493 D n° 42662/98 (Marincola et Sestito c. Italie), 25 nov. 1999.


de la sécurité, n'était pas assez déraisonnable pour entraîner une ingérence contraire à l'article8 2494 ».507Nous estimons que ce raisonnement de la Cour va à l'encontre du principe énoncé concernant ladétermination des obligations positives des autorités pénitentiaires dans le respect des droits del'homme en prison, à savoir qu'elles doivent déployer tous les efforts pour assurer le respect le pluseffectif possible. Nous observons dans cet arrêt que, d’une part, à la notion de « restrictionsraisonnables » utilisée habituellement dans le raisonnement des instances européennes, la Coursubstitue celle, plus large, des « restrictions pas assez déraisonnables ».D’autre part, pour justifier le non-usage de la part de l'administration de son pouvoirdiscrétionnaire, cette instance a eu recours à une application spéciale du principe de nondiscrimination. Rappelons que des dérogations au principe de non discrimination sont admiseslorsqu'il s'agit d'une discrimination positive visant à mieux assurer le respect des droits de certainespersonnes. Or, la suite du raisonnement de la Cour dans l'arrêt Boyle et Rice, laisse déduire qu'enprison une telle discrimination serait négative, pouvant induire l'arbitraire : « La défendabilité depareille plainte pour violation de l'article 8 inspire à la Cour de grandes hésitations et aussi parcequ'il se justifie d'ordinaire, on doit le reconnaître, d'imposer aux détenus un régime uniforme évitanttoute apparence d'arbitraire ou de discrimination 2495 ». On ne peut donc s'empêcher de voir dans ceraisonnement que la préservation de la non discrimination fonctionne en sens unique, à savoir vers lagarantie d'un niveau minimum, et non d'un niveau maximum des droits des détenus et ce malgré lesobligations positives incombant à l'administration pénitentiaire d’œuvrer vers ce dernier sens.b. Les sorties<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Alors que la jurisprudence européenne reconnaît aux détenus le droit de recevoir des visites deleurs proches et amis, et à ces derniers le droit de les effectuer, il n'en est pas de même pour lessorties. Celles-ci sont considérées comme constituant de simples modalités d'exécution de la peineprivative de liberté et, à ce titre, elles ne tombent sous la protection d'aucune disposition de laConvention. La Cour n’a reconnu un tel droit que pour des événements familiaux graves, enl’occurrence pour le décès des parents, et seulement en 2002 (arrêt Ploski).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Cependant, les droits nationaux ont de plus en plus recours à ce moyen dans le cadre de lapolitique de réinsertion et de non-désocialisation des détenus. Il en est ainsi des droits grec etfrançais. Ceux-ci prévoient les sorties des détenus pour des raisons non seulementhumanitaires, mais aussi pour des raisons professionnelles, éducatives ainsi que familiales, afin de2494 . CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc.2495 . Ibid.


508maintenir les liens familiaux et préparer leur réinsertion sociale. Mais n'étant accordées dans le cadrede la vie privée que pour maintenir les liens familiaux, nous les présenterons plus en détail dans lecadre de l'examen des liens familiaux.A la lumière de la protection assurée aux contacts de proximité, notre conclusion est que ceux-cisont sévèrement limités. Même si nous nous limitons aux visites, force est de constater que malgrél'élargissement du cercle des visiteurs à des amis proches, le droit aux liens humains ne comprendpas dans le cas des détenus le droit de nouer et de développer de nouvelles relations. Ils doiventrapporter la preuve qu'un tel lien existe déjà. Pourtant, rappelons-le, la Commission avait estiméqu'« il serait trop restrictif de limiter la notion de "vie personnelle" à un "cercle intime" où chacunpeut mener sa vie personnelle à sa guise et peut écarter le monde extérieur de ce cercle. La vie privéedoit englober le droit pour l'individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et lemonde extérieur 2496 ».B. Les restrictions qualitativesPermettre à des personnes de se rencontrer sans leur laisser la liberté de nouer le type derelation qu'elles souhaitent, réduit de manière considérable leur importance. Or, à moins de tomberdans le cadre des traitements inhumains ou dégradants 2497 , les instances européennes n'ont pas misen cause les conditions dans lesquelles les visites se déroulent au regard de l'article 8. Aucunegarantie concernant la qualité du lien n'est requise. En effet, alors que ces instances reconnaissentque le droit à la vie privée implique le droit à l'épanouissement personnel par l'entretien des liensavec d'autres êtres humains, et dans le cas des détenus, elles ont expressément reconnu qu'ils ontdroit à des relations affectives 2498 , elles n'ont pas exigé d'assurer la condition minimale de l'entretienet le développement de telles relations (1), l'intimité encore moins les relations sexuelles (2). Si bienque la jurisprudence européenne n'est guère incitatrice d’une évolution des droits nationaux demanière positive en cette matière. Ce qui autorise un certain nombre de critiques etd’interrogations (3).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. Privation de contacts intimes<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Ni la Commission ni la Cour n'ont estimé que la surveillance des visites (a) et des sorties (b), ycompris familiales, porte atteinte à la vie privée des détenus et de leurs partenaires.2496 R n°15225/89, (Ludvig Friedl/Autriche), 19.05.1994, § 45.2497 Voir plus haut, la partie sur la dignité.2498 . « Le droit au respect de la vie privée comprend également, dans une certaine mesure, le droit d'établir etd'entretenir des relations avec d'autres êtres humains, notamment dans le domaine affectif », D 9054/80(X/RU), préc., p. 118. Voir D 6825/74, D.R. 5, pp. 86-87 ; D 8231/78(X/RU), préc., p. 70.


509a. Intimité non garantie en prisonSaisie d'une plainte relative au déroulement des visites familiales dans des conditions desurveillance acoustique, la Commission avait au moins considéré que celles-ci « semblaient, àpremière vue, impliquer une ingérence dans la vie privée et familiale de la requérante et celle de sesenfants 2499 ». Elle ne les avait justifiées qu'en tenant compte des circonstances particulières del'espèce, à savoir « des risques exceptionnels pour la sécurité » que représentent pour la prison lesdétenus condamnés pour des actes terroristes 2500 .Cependant eu égard à la jurisprudence ultérieure de la Commission et de la Cour, le caractèreexceptionnel de cette dérogation non seulement n'a pas été confirmé mais ces deux instances ontentériné le principe selon lequel la surveillance acoustique et visuelle des visites ne constitue mêmepas une ingérence dans la vie privée. En effet, dans l'affaire Boyle et Rice où le premier requérant seplaignait de recevoir la visite de sa femme dans un parloir bondé et sous une surveillance étroite, laCour, en suivant la conclusion de la Commission, a rejeté ces griefs pour défaut manifeste defondement au motif que « de telles visites surveillées ne constituent pas une ingérence au sens del'article 8 2501 ». En 2003 et 2007, elle a confirmé cette jurisprudence. Tout en soulignant d’approuverle mouvement dans nombre de pays européens permettant les visites conjugales, elle a estimé que laprivation des visites intimes est une des conséquences des mesures de contrôle des contacts avecl’extérieur qui n’est pas en elle-même incompatible avec la Convention 2502 .b. Intimité non garantie lors des sortiesMême lorsque le détenu quitte la prison pour regagner son domicile pour quelques jours, il nerecouvre pas le droit à l'intimité, pourtant requise par le respect effectif de sa vie privée mais aussi decelui de son domicile. C'est dans ce sens que la Cour a statué dans l'affaire Boyle et Rice. Le premierrequérant estimait que le fait d'être sous surveillance constante d'un gardien durant ses congés au<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...foyer prévus en droit britannique constituait une ingérence à sa vie privée et familiale. Mais la Coura exprimé des doutes « sur la plausibilité de la doléance, estimant que la Convention ne garantit pas àUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008un détenu le droit à recouvrer sa liberté par des congés de ce genre au foyer 2503 ».2. Privation de relations sexuelles2499 . D 8065/77 (X/RU), 3.5.78, D.R. 14, p. 250.2500 . Ibid.2501 . CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc., §§ 16, 77.2502 CEDH, Aliev c.Ukraine, préc. , §§ 185-189 ; CEDH, Dickson et Dickson c. R.U., §§ 26-31.2503 . CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc., § 16, § 77.


510Si, malgré l'absence d'intimité, les instances européennes se permettent d'affirmer que le droitdes détenus à des relations affectives est respecté, elles n'ont pas pu en faire autant du droit à desrelations sexuelles. L'indiscrétion admise dans l'ingérence à la vie privée des détenus allant jusqu'à« mâter » leurs moments affectifs, trouve sa limite devant les relations sexuelles, mais au détrimentde ces dernières. Devant le dilemme entre le voyeurisme et le renoncement à la pan-surveillance dudétenu, la solution est sans appel : castrer le détenu.La jurisprudence européenne conforte ainsi les droits nationaux qui continuent à opter pour cettesolution. Toutefois, au vu de l'évolution de plus en plus suivie des droits nationaux en la matière, quiautorisent de telles relations dans le cadre de la vie familiale, et des Recommandations de certainsorganes du Conseil de l'Europe qui dans le cadre de la lutte contre la propagation du sida en prison,reconnaissent implicitement l’existence des relations sexuelles en prison, qui ne peuvent alors êtrequ’homosexuelles, refuser de reconnaître aux détenus le droit à de telles relations ne peut qu’être deplus en plus critique.Les instances européennes ont affirmé que le droit d'établir des « relations de différentes sortes »avec d'autres personnes comprend « les relations sexuelles » et que « le comportement sexuel serapporte à un aspect intime de vie privée 2504 ». Dès lors, chaque fois que l'Etat édicte des règles ence domaine, il s'ingère dans la vie privée. Il doit, par conséquent, justifier cette ingérence au regardde l'article 8 §2, faute de quoi ledit article est violé. Or il n'en va pas de même dans le cas desdétenus. Les instances européennes n'ont pas encore exigé de garantir aux détenus la vie sexuelle nien tant qu'aspect de la vie privée, ni en tant qu'aspect de la vie familiale.La Commission avait pleinement justifié la privation des relations sexuelles en prison dans desaffaires dont elle a été saisie, tout en exprimant sa satisfaction d'avoir constaté que dans certains pays<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>des facilités ont été accordées pour favoriser les relations sexuelles des couples mariés 2505 . Desraisons d'ordre pratique, de sécurité et du bon ordre de la prison, ont été invoquées pour justifier cetteprivation : « La Commission observe que, de l'avis général, il se justifie, pour éviter tout désordredans les prisons, de ne pas autoriser les relations sexuelles des couples mariés en prison... En effet lasécurité et le bon ordre seraient sérieusement compromis si tous les détenus mariés étaient autorisés à<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008poursuivre leur vie conjugale en prison 2506 ». Mais ces raisons ne sont pas exclusives.2504 . CEDH, Laskey, Jaggard et Brown c. R. U, préc., § 36. Voir CEDH, Dudgeon c. R.U., préc., § 52 ; CEDH,A.D.T. c. R.U, préc.; CEDH, K.A. et A.D. c. Belgique, préc.2505 . La Commission « note avec satisfaction le mouvement des réformes dans plusieurs pays européens et lapossibilité pour les détenus de maintenir dans une certaine mesure leur vie conjugale », D 8166/78 (X etY/Suisse), préc., p. 246.2506 . Ibid.


511D'autres arguments invoqués par la Commission, comme l'absence de recommandation dans letexte des Règles pénitentiaires européennes (1987) de garantir la vie sexuelle des détenus (de mêmelors de leur révision en 2006) ou encore la pratique suivie dans la majorité des Etats Parties à laConvention qui consiste à « ne pas permettre les relations sexuelles en prison », dénotent, elles, quela raison réside également dans la perpétuation d'une certaine conception de la peine privative deliberté. Une conception formée avant que le principe de limitation de la peine privative de liberté à laseule privation de liberté physique soit consacré, au moins avant que le respect des droits de l'hommeen prison soit devenu une exigence juridique.Même l'argument de la nécessité d'assurer une surveillance constante et totale, tirée des raisonsde sécurité et de bon ordre de la prison, décèle bien une telle étendue de la privation de liberté. LaCommission avait admis que « le respect de la vie privée exigerait que les autorités pénitentiairesrenoncent à leur droit de surveillance constante. Des visites ou des contacts libres pourraientnotamment faciliter l'échange de messages secrets, l'introduction frauduleuse d'objets tels que ladrogue ou même des armes 2507 ». Mais une telle surveillance ne peut signifier que l'acceptation de laprivation de toute vie privée intime.La Cour ne s’est pas encore distinguée de cette jurisprudence. Rappelons que, dans l'affaireBoyle et Rice, lors de l'examen du grief de la violation de la Convention par le refus des autoritéspénitentiaires d'octroyer des congés au foyer sans escorte, ce qui impliquait la possibilité pour ledétenu d'avoir des rapports sexuels, cette instance a exprimé des doutes « sur la plausibilité de ladoléance car la Convention ne garantit pas à un détenu le droit à recouvrer sa liberté par des congésde ce genre au foyer 2508 ». Et dans l’affaire Aliev et l’affaire Dickson et Dickson elle a clairementjustifié la privation des visites intimes en prison au nom de la nécessité de contrôle continu descontacts avec l’extérieur alors qu’elle notait que la majorité des pays européens autorisaient des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>visites intimes en prison 2509 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Au lieu donc de contribuer à renforcer le mouvement en faveur des relations sexuelles desdétenus, noté depuis plus de vingt ans dans certains pays européens, la jurisprudence européennecontribue à cautionner les pays retardataires. Pourtant cette position de la Cour devient de plus enplus critiquable.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083. Interrogations et critiques2507 . Ibid.2508 . CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc., § 77.2509 CEDH, Aliev c.Ukraine, préc. § 187 ; CEDH, Dickson et Dickson c. R.U., §§ 26-31.


Même si l'on ramène tous les arguments susmentionnés à des raisons d'ordre et de sécurité de laprison, celles-ci ne devraient pas justifier la privation des relations sexuelles des détenus. D'abord,parce que, pour être impératives, ces raisons ne doivent pas être absolues dans le raisonnement surl'application des droits de l'homme. Quelles que soient les raisons opposées à l'exercice effectif desdroits de l'homme, elles ne peuvent justifier que des restrictions et non des privations dans leurexercice. Ensuite, parce que l'exemple des Etats autorisant déjà les relations sexuelles en prisonmontre que ces impératifs ne sont pas insurmontables. Les pays qui souhaitent sincèrement permettreaux détenus d'avoir des relations sexuelles, conjuguent les congés au foyer avec des moyens leurpermettant une vie sexuelle à l'intérieur de la prison. Les interrogations auxquelles cette possibilitédonne lieu dans ces pays ne portent pas tant sur les difficultés d'assurer l'ordre et la sécurité de laprison, que sur celles d'assurer la meilleure organisation des rencontres intimes tant pour les détenusque pour leurs partenaires.Les prisons mixtes 2510 , expérimentées au Danemark, ne semblent pas constituer une réponsegénéralisée à cause, d'une part, du nombre sensiblement inférieur de femmes détenues et, d'autrepart, des problèmes de stabilité des couples des détenus mariés. En revanche, on assiste à undéveloppement de l'organisation des visites intimes. Ces visites autorisées, dès 1940 au Mexique etdans les pays de l'ex-URSS, n'ont commencé d’être expérimentées en Europe occidentale qu'à partirdes années 1975. Les premiers pays furent les pays scandinaves, précisément le Danemark et laSuède 2511 .Les questions soulevées à propos de ces visites, autres que pratiques, et qui servent d'argumentsaux pays opposés à leur adoption, sont les suivantes. D'abord, une question liée à une discriminationqu'elles risquent de provoquer suivant les personnes autorisées d'entretenir des relations intimes enprison : doivent-elles être limitées aux couples mariés ou les étendre aux concubins(es), et auxami(e)s intimes. Ensuite, une question relative à la discrétion : faut-il opter pour des chambresspécialement réservées aux visites conjugales ou toutes les visites privées doivent-elles avoir lieudans une pièce hors surveillance, ou dans la cellule. Ce sont ces deux derniers lieux, qui servant àrecevoir toute visite privée, respecteraient le mieux la discrétion, car ils ne sont pas étiquetés comme<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>lieux « d'accouplement 2512 ».<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008512Au Danemark, par exemple, les détenus dans les prisons ouvertes reçoivent toutes les visitesprivées dans leur cellule et hors surveillance, et les détenus dans les prisons fermées les reçoiventdans des chambres spéciales qui ne sont contrôlées qu'exceptionnellement. Ces visites peuvent durer2510 . La première prison mixte a été celle de Ringe à Danemark, pour jeunes délinquants, ouverte en 1976. E.SWINNEN, « La Sexualité dans les prisons », in Bulletin de l'Administration pénitentaire, 1981 (pp. 259-282),1982 (pp. 15-40 et pp. 129-150).2511 . Ibid.2512 . Ibid.


deux heures. Dans les prisons ouvertes, elles peuvent, pendant les week-ends et les jours fériés, durerjusqu'à huit heures 2513 .513D'autres pays de l'Europe occidentale ont suivi le Danemark. Si l’Espagne, comme nous leverrons à propos du droit à la procréation, limite les visites intimes aux personnes apportant lapreuve d’existence d’une relation affective stable, d’autres pays, comme la Suède, les Pays-Bas,garantissent l’intimité à toutes les visites 2514 .En ce qui concerne l'état des droits grec et français en cette matière, ils font partie des droitsretardataires. Le législateur grec n'a pas saisi l'occasion de la reforme du droit pénitentiaire ni en1989 ni en 1999, pour mettre fin à la privation des détenus des relations sexuelles. Notons que lemotif principal n'a pas trait à des raisons pratiques (matérielles ou de sécurité) de la prison, mais àl'opinion publique : elle ne serait pas prête à les accepter 2515 . Ce qui signifie que la privation de la viesexuelle est implicitement liée à la conception de la peine bien ancrée au fil de l'histoire dans laconscience juridique et publique. Ainsi, seules les permissions de sortie pour des raisons familialessans escorte permettent aux détenus en Grèce d'entretenir des relations sexuelles. En droit français,si la possibilité de recevoir des visites non surveillées dans un local aménagé avait été expérimentéedès 1984 dans la prison ouverte de Casabianca, ce n’est qu’à partir de 2005 que cette possibilité a étéexpérimentée dans des prisons fermées. Des Unités de Visites Familiales (UVF) sont installées dansles prisons 2516 . Il s’agit de studios aménagés hors du lieu de détention proprement dit dans lesquelsles détenus peuvent recevoir leurs familles. Toujours est-il, que ces visites ne signifient pas que ledroit français reconnaît la sexualité en soi comme un des aspects protégés de la vie privée desdétenus. Au vu des modalités d'organisation de ces visites (les personne autorisées et les motifsinvoqués en faveur de leur mise en place), le soin est pris de mettre l'accent sur leur caractère demesure de réinsertion des détenus et du maintien des liens familiaux. Ainsi, leur ouverture à tous lesmembres de la famille, si elle a été motivée par le but de préserver la discrétion des visitesconjugales, elle le fut également afin de pouvoir les inscrire dans le cadre du maintien des liens<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...familiaux, de sorte qu'elles soient mieux acceptées par le personnel pénitentiaire qui, notons-le,s’était opposé à ce projet 2517 . D'ailleurs, dans ce même but, leur octroi est laissé au pouvoirdiscrétionnaire du directeur de l'établissement. Ces visites étant circonscrites dans le cadre de la viefamiliale, nous y reviendrons lors de l'étude du respect de la vie familiale.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082513 . Ministry of Justice, Department of Prisons and Probation, Prisons in Danemark, Copenhagen, 1990, p.34.2514 SENAT, « Le maintien des liens familiaux en prison », Étude de législation comparée n° 163 - mai 2006.2515 . Sophronistiki nomothessia (Législation pénitentiaire), préc., pp. 43-44. Point critiqué par Ch. BAKAS,« Le Nouveau Code pénitentiaire », Poinika, n°27, pp. 135-136.2516 En 2007, elles étaient installées dans sept prisons.2517 Le Monde, 7/8.12.1997


514Pour l'instant, donc, les relations hétérosexuelles des détenus en prison ne sont pas autorisées nien droit grec ni en droit français. Mais, même après la mise en place de visites si limitées, comme endroit français, la règle pour la majorité des détenus demeure l'exclusion de la vie sexuelle. Ces visitessont réservées aux détenus mariés ou ayant vécu en concubinage, de surcroît, seulement à ceux quicorrespondent aux critères qui seront fixés par les autorités pénitentiaires. Aussi ne sont ouvertes àtous les détenus que les tentatives d'avoir des relations sexuelles de manière clandestine au parloir.Tentatives qui sont réprimées disciplinairement 2518 . En raison du manque d'intimité des visites, toutcontact à connotation sexuelle est considéré comme atteinte à la pudeur 2519 .Pourtant, à travers les exemples cités, nous constatons que, lorsqu'il y a volonté de faire respecterun droit de l'homme en prison, si difficile que cela puisse paraître, l'imagination de l'homme est assezriche pour que des solutions adéquates puissent être trouvées. Les raisons pratiques ne sont pasinsurmontables ; et le renoncement à la pan-surveillance ne compromet pas le pouvoir des autoritéspénitentiaires, ni ne menace la sécurité des prisons. Par ailleurs, la disposition des moyens de plus enplus performants pour effectuer des contrôles en dehors du temps et du lieu des visites privées sontcertainement suffisants pour garantir la sécurité des prisons. Notons que concentrer la surveillanceaux murs et entrées et sorties de la prison afin de permettre le développement d'une vie privée en sonenceinte et, donc, de la récréation d'un espace de liberté, fut suggéré dès 1986, par une étude duConseil de l'Europe 2520 .Les raisons de sécurité et d'ordre n'étant pas insurmontables pour justifier la privation desdétenus de vie sexuelle, on peut s'interroger sur la légitimité de la persistance des instanceseuropéennes et des Etats retardataires à maintenir cette privation.Nous estimons que la réticence des instances européennes et des Etats européens à garantir la viesexuelle des détenus réside dans un reste archaïque de la conception de la peine et les tabous quidemeurent en Europe autour de la sexualité. Une conception de la peine comme frustration,incompatible avec toute idée de jouissance des détenus, mais aussi comme purification des détenus.Une conception qui révèle bien l'état des mœurs sexuelles dans la société européenne. La nonlibération sexuelle de l'européen moyen, qui sous le poids de la culture judéo-chrétienne, lui hommelibre, vit sa sexualité comme un tabou, comme un interdit en dehors du cadre réglementé du mariage,l'amène tout naturellement à la considérer comme un interdit pour l'homme sous punition. A cet<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082518 . Cette répression, bien qu'elle ne figure pas dans la législation pénitentiaire, est pourtant prévue par lesrèglements internes. A un moment, même la possession de revues et photos pornographiques était réprimée, J.<strong>LE</strong>SAGE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> HAYE, La Guillotine du sexe, préc., pp. 149-159.2519 En droit français, constitue une infraction disciplinaire, le fait « d'imposer à la vue d'autrui des actesobscènes ou susceptibles d'offenser autrui » (D.249-2-5°), et en droit grec, les atteintes à la pudeur (art. 68 § 2al.e, C. pénit.).2520 CDPC, Les régimes des institutions pénitentiaires, Conseil de l'Europe, 1986.


515égard, il est significatif qu'au Mexique, les rapports sexuels ont été autorisés aux détenus, aulendemain de la révolution anti-catholique, et les premiers pays européens à les avoir autorisés sontles Pays scandinaves connus pour leur liberté sexuelle.Mais que la sexualité des détenus reste encore un tabou, témoigne également du fait que nonseulement elle ne fait pas encore l'objet de larges débats publics dans les Etats européens, mais ellen'est pas non plus revendiquée ouvertement par les détenus. Le nombre de griefs formés par eux etleurs partenaires à ce sujet devant la Commission et la Cour est extrêmement faible. De surcroît, cesgriefs n'ont jamais porté sur le droit à la sexualité en soi, mais sur le droit à l'intimité et le droit à laprocréation, et ils n'ont été formulés que par des couples mariés.Le remède « noble » proposé aux détenus est la sublimation de leur sexualité par la lecture, lesarts, le travail, les sports, etc. C'est là l'affirmation de la maturité du détenu et de sonépanouissement 2521 ! Ainsi, le citoyen moyen exigerait de la part du détenu ce qu'il n'exige pas delui-même : être raffiné et élevé intellectuellement et être plus saint que les moines dans l'abstinence,le renoncement et la sublimation.Pourtant, malgré la privation de relations hétérosexuelles, la sexualité existe en prison. Laprivation forcée n'amène pas à la sublimation, mais à une sexualité déviante et à l'agressivité.L'impossibilité d'avoir des relations hétérosexuelles pousse les détenus à chercher des palliatifs(masturbation, homosexualité) et les poussent aux agressions sexuelles, y compris aux viols 2522 .Mais, il a fallu attendre le fléau du sida et les problèmes que l'homosexualité pose dans le cadre de lapolitique de santé publique, notamment dans la prévention du Sida, pour avouer officiellement ceque les études avaient déjà révélé, à savoir que l'homosexualité existe dans la prison 2523 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Il a précisément fallu attendre la fin des années '80 pour que certains organes du Conseil del'Europe abordent le problème de l'homosexualité en prison. C'est en effet, le 21 novembre 1987, quele Comité des ministres du Conseil de l’Europe adoptait la Recommandation n° R(98)7 sur lapolitique européenne de santé publique, et le 30 juin 1988, que l'Assemblée parlementaire du Conseilde l'Europe adoptait la Recommandation n° 1080 relative à la prévention du sida dans les prisons,dans lesquelles ces deux organes incitent les Etats à mettre à la disposition des détenus despréservatifs.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082521 . PERRIN, « La Sexualité en prison », Revue pénitentiaire, n°1, 1985.2522 D. WELZER-<strong>LA</strong>NG, L. MATHIEU, M.FAURE, Sexualités et violences en prison, Ed. Aléas, 1996.2523 . J. <strong>LE</strong>SAGE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> HAYE, La Guillotine du sexe, 2 e éd., Paris, Editions du monde libertaire, 1992, pp.149-159 ; PERRIN, La Sexualité en prison, préc. ; D. WELZER-<strong>LA</strong>NG, L. MATHIEU, M.FAURE, Sexualitéset violences en prison, préc.


516En 1990, la possibilité des détenus de se procurer des préservatifs auprès des distributeursautomatiques, à la cantine ou au service médical, avait été mise en œuvre par neuf payseuropéens 2524 . En France, elle a été mise en œuvre par des circulaires du 17 mai 1989 et du 8décembre 1994. Des études menées en France sur l'épidémie du sida en milieu carcéral, et publiéesen 1991, avaient établi que l'homosexualité faisait partie des moyens de transmission dans 3% descas 2525 . Cette mesure constitue alors un aveu officiel de l'existence d'une vie sexuelle en prison maisdéviante en raison de la privation des relations hétérosexuelles, en même temps qu'elle révèlel'hypocrisie des autorités nationales feignant d’ignorer cet aspect de vie des détenus.Après l'adoption de ces Recommandations européennes et le progrès marqué en matière desexualité des détenus dans certains droits nationaux, on ne peut que regretter la rigidité des instancesdu Conseil de l'Europe chargées d'appliquer la Convention européenne des droits de l'homme. LaCommission, qui avait eu à se prononcer sur cette question, en 1997, n'avait pas saisi l'occasion defaire évoluer sa jurisprudence. Elle a réitéré sa position en la matière, à savoir que la privation derelations sexuelles est justifiée par des raisons d'ordre et de sécurité 2526 . Ainsi, a-t-elle préféré, plutôtque de déroger aux impératifs sécuritaires, accentuer encore l'anormalité de la condition humainedans la prison : pousser les détenus à l'homosexualité et à la perversion sexuelle, voire à l'agressivitéque fait naître la frustration sexuelle des hommes et femmes en plein âge d'avoir du désir sexuel, sil'on tient compte que la moyenne d'âge des détenus est de 25-30 ans.Cette conséquence n'est toutefois pas la seule qui donne matière à critique de cette position de lajurisprudence européenne et des Etats européens retardataires en la matière.La privation de la vie sexuelle est critiquable, d'abord, pour des raisons juridiques. Elle porteatteinte au respect d'un principe absolu en matière d'application des droits de l'homme dans unesociété démocratique : le respect de leur substance. Ensuite, elle porte atteinte à deux principespénaux : au principe de légalité de la peine (la privation de la vie sexuelle est supplémentaire à laprivation de la liberté physique), et au principe de personnalité de la peine (privation de vie sexuelledes détenus signifie automatiquement privation de vie sexuelle également du conjoint et/ou duconcubin).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En outre, comme nous verrons à l'occasion de l'étude des liens familiaux, la privation de viesexuelle entrave également l'exercice d'autres droits : le droit de procréer, le droit de fonder unefamille et le droit de préserver la vie familiale. Enfin, alors que les autorités pénitentiaires et la partie2524 P. DARBEDA, « Les Prisons face au Sida : vers des normes européennes », RSC, 1990-1994, pp. 821-828.2525 . P. ESPINOZA, « L'infection par le VIH en milieu carcéral », in Santé publique, n° 142 du 17 juin 1991,p. 1546.2526 D 32094/96 (E.L.H./R.U) et 32568/96 (P.B.H./R.U), 22.10.1997.


517de la doctrine qui s'oppose à l'autorisation des relations hétérosexuelles des détenus prétendentqu'elle créerait une discrimination entre détenus mariés ou ayant vécu en concubinage et les autres,l'absence de cette autorisation est également source de discrimination : celle entre détenushomosexuels et hétérosexuels. Alors que, en autorisant les relations hétérosexuelles, ladiscrimination invoquée peut être réduite en étendant cette autorisation à toute personne avec qui ledétenu entretient ou souhaite entretenir des relations intimes.La privation de la vie sexuelle est, ensuite, critiquable, pour être source amplificatrice desproblèmes des détenus créés durant leur détention et après leur libération. Il est démontré que laprivation sexuelle des détenus au-delà d'un certain temps crée de véritables problèmes d'équilibresexuel et affectif. Elle amène le détenu à ne plus désirer, à s'anesthésier, voire le conduit à destentatives d'auto-castration ou à des actes de mutilation des organes génitaux 2527 . Ces conséquencesdonnent alors raison à ceux qui soutiennent que la peine privative de liberté continue d’être unepeine corporelle. Elles donnent aussi raison à ceux qui plaident d'inscrire la réinsertion sexuelle dansle cadre de la politique de la réinsertion sociale du détenu 2528 . Les conséquences de la perturbationde la vie sexuelle et affective des détenus se prolongent au-delà du temps de la détention 2529 ,entravant ainsi la réinsertion sociale des détenus et portant, de ce fait, atteinte au principe égalementde temporalité de la peine.Enfin, contrairement à la thèse que l'autorisation de la vie sexuelle comporte des risques pourl'ordre et la sécurité de la prison en raison de la limitation de la surveillance qu'elle implique, on peutsoutenir qu'elle contribuerait à leur maintien. Partant du principe que les frustrations sont source destensions et d'agressivité, permettre aux détenus de vivre leur sexualité ne peut que réduire lestensions en milieu carcéral et à favoriser la sécurité dite dynamique (fondée sur les moyenspsychologiques et non seulement techniques, comme la surveillance). De plus, si l'on adopte un pointde vue cynique, on peut voir dans l'autorisation des relations sexuelles un moyen de maintien del'ordre et de la discipline supplémentaire par l'espoir d'obtenir cette autorisation ou par la menaced'en être privée à titre de sanction disciplinaire.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La privation de la vie sexuelle étant alors source de plus de problèmes que ne le serait leurautorisation, le revirement de la jurisprudence européenne est plus que souhaitable. D'autant que laCommission et la Cour ont exprimé leur satisfaction à propos des Etats autorisant les relationssexuelles des détenus, que le nombre de pays avançant vers cette voie augmente, et que la Courrisque de se trouver à la traîne des autres organes du Conseil de l'Europe. Car, alors qu'elle se réfèrede plus en plus en matière d'application de la Convention dans la prison aux positions d'autres2527 . GRISPI, La Castration pénitentiaire, préc., pp. 43-45.2528 . J. <strong>LE</strong>SAGE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> HAYE, La Guillotine du sexe, préc., pp. 201-214.2529 . Ibid., pp. 60-65.


organes du Conseil de l'Europe, concernant la vie sexuelle des détenus, elle est déjà privée d'appuiauprès du Comité des Ministres.518Dans sa Recommandation R(98)7, ce Comité préconise qu'« il devrait être envisagé de donneraux détenus la possibilité de rencontrer leur partenaire sexuel sans surveillance visuelle pendant lavisite » (règle 68). Recommandation à propos de laquelle il importe de souligner qu'elle constitueune avancée non seulement pour être le premier texte européen prônant la vie sexuelle des détenus,mais aussi pour l'aborder en soi et la sortir enfin du cadre de la vie familiale. Le terme « partenairesexuel » permet d'étendre de telles relations à des personnes autres que celles qui sont en état deprouver un lien familial officialisé avec le détenu. La Cour européenne devrait donc s'en inspirerpour aborder la sexualité dans le cadre de la vie privée, en tant qu'un droit en soi, et pour exiger quela possibilité la plus large possible soit donnée aux détenus de continuer à avoir des relationssexuelles. Car continuer à légitimer leur privation et à cautionner ainsi l'immobilisme en cettematière et non la dynamique amorcée au sein des Etats européens et du Conseil de l'Europe, devientde moins en moins défendable et de plus en plus critiquable.L'absence de protection des relations sexuelles des détenus nous incite à conclure sans hésitationconcernant le respect de la vie privée interindividuelle du détenu au sein du droit grec et français, etau sein de la jurisprudence européenne, que la notion de vie privée étant dissociée de l'intimité, ledroit à des « relations de différentes sortes » est réduit au droit à des relations affectives, de surcroît,dégradées.De manière générale, qu'il s'agisse de la vie privée individuelle ou interindividuelle, le détenu estprivé aussi bien d'intimité que de liberté, au sens d'une autonomie décisionnelle, deux conditionspourtant nécessaires pour le respect de la vie privée. La privation de l'intimité est totale puisqu'ellen'épargne même pas l'intimité corporelle. Quant à l'autonomie, outre la privation qu'implique laprivation d'intimité et celle qui concerne la libre disposition du corps (traitée dans la partie relative àla santé et la dignité), s'ajoute celle du choix des personnes avec qui le détenu souhaite entretenir desrelations privées. Si ce choix n'est plus entravé dans les rapports entretenus par des moyens decommunication, son entrave demeure entière dans les rapports de proximité.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En dehors des membres de la famille, le choix final d'autres personnes pouvant rendre visite à undétenu revient au directeur de l'établissement qui s'érige en psychologue pour déterminer quellefréquentation et quel type de rapport est bénéfique au détenu. Pourtant, les détenus ne sont ni desmineurs ni des malades mentaux pour justifier la délégation d'une telle décision. Cette privationd'autonomie dément alors formellement l'affirmation que le traitement des détenus est, actuellement,exempt de tout sens d'orientation dans le développement de leur personnalité et constitue une sévèreingérence dans la vie privée des détenus.


519L'exercice effectif du droit au respect de la vie privée devrait conduire à ce que le choix despersonnes autorisées à visiter les détenus n'entre plus dans les restrictions laissées au pouvoirdiscrétionnaire des autorités pénitentiaires. Ce choix devrait revenir au détenu et aux personnessouhaitant entretenir des relations privées avec lui (des relations affectives mais aussi sexuelles).Aussi le refus de délivrer une autorisation de visite à des personnes, autres que celles de l'entouragefamilial devrait devenir une exception justifiée chaque fois par des motifs impérieux pour la sécuritéde la prison.*La détention en soi et les modalités actuelles de l'organisation des relations avec l'extérieur ontdes répercussions graves également dans le respect de la vie familiale, malgré la garantie privilégiéedont jouissent les liens familiaux parmi les liens privés.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


520CHAPITRE 2. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR <strong>LE</strong> RESPECT <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE FAMILIA<strong>LE</strong>Avec l'examen du droit au respect de la vie familiale, nous passons à une dimension à part de lavie privée. Tout d'abord, parce qu'il s'agit d'un droit dont le sujet « je » devient quasiautomatiquement « nous ». En l'absence de conflits inter-familiaux ou intra-familiaux 2530 , le sujetdéfendant ses droits familiaux est implicitement pluriel : il représente la famille. Ensuite, lapréservation de la vie familiale est peut être le seul droit dans l'exercice duquel on admet qu’intérêtprivé et général convergent. On reconnaît volontiers, en effet, que la famille constitue « une desvaleurs essentielles sur lesquelles est fondée la société 2531 » ; elle est le maillon de base dansl'institution de la société (étant l'institution médiatrice entre l'individu et la société). Elle est aussil'institution fondamentale dans le maintien de la stabilité de l'ordre social. Son pouvoir est à cedernier égard d'autant plus fort et irremplaçable qu'elle n'est pas seulement le premier lieu desocialisation des individus (par l'apprentissage des règles de vie en société) : elle est aussi la seule àdisposer de cette arme puissante, la pression affective, dans le contrôle de l’être et du devenir del’individu.Dès lors, en examinant la protection des droits familiaux dans le cas des détenus, on doit partirdu principe que la société a autant d'intérêt à défendre la famille qu'à punir l'un de ses membres. Lesatteintes portées contre elle peuvent être aussi nuisibles à l'intérêt général de la société que le sont lesinfractions commises par un de ses membres. On doit en même temps tenir compte que le détenun'est pas seul face à l'Etat et à l'institution de la prison dans la défense de ses droits familiaux. Lafamille intervient comme institution médiatrice. D'autant plus que la famille dispose en faveur durespect de ses droits d'une autre arme juridique : le principe de personnalité de la peine.Conformément à ce principe, les effets d'une peine ne doivent pas s'étendre à d'autres personnes quel'auteur de l'infraction.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Un intérêt à part est, certes, déjà porté sur la famille dans le système pénal et de l'exécution de lapeine privative de liberté. Cet intérêt a surtout été exprimé dans la recherche de l'« étiologie familialede la délinquance » et des « variables familiales prédictives de la réinsertion sociale desdétenus » 2532 . Ce sont les résultats des recherches sur ce dernier rôle, menées notamment à partir desannées '60, dans les pays anglo-saxons 2533 , qui ont contribué à faire prendre conscience sur le planUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082530 M.-T. MEUL<strong>DE</strong>RS-K<strong>LE</strong>IN, Vie privée, vie familiale et droits de l'homme, préc., n° 4, p. 774.2531 Loi n° 94-629 du 25 juillet 1994 relative à la famille, JO du 26 juillet 1994, p. 10739.2532 Ainsi que l'a souligné Françoise Tulkens, dans son rapport « Les effets sociaux liés à la détention », enAnnexe, au Rapport sur Les effets de la détention sur le plan familial et social, présenté à l'Assembléeparlementaire du Conseil de l'Europe, en vue de la préparation d'une Recommandation visant à limiter ceseffets, Conseil de l'Europe, (Doc. 7816) 15 mai 1997.2533 G. <strong>DE</strong> CONINCK, « La famille du détenu : de la suspicion à l'idéalisation », Déviance et Société, 1982,vol. 6, n° 1, p. 83.


521juridique, qu'au lieu de préserver le détenu de l'influence de son milieu familial, il est préférable demaintenir le mieux possible ses liens familiaux. En effet, ces recherches ont mis en évidence larelation forte et positive entre le maintien des liens familiaux pendant la détention et la réinsertion dudétenu. Cette évidence a conduit à considérer la famille comme le « premier agent de traitement » etles contacts familiaux comme une « technique correctionnelle majeure » 2534 . C'est effectivement suiteà ces résultats que l'on constate, au sein des droits pénitentiaires, le début de la suppression deslimites dans la correspondance familiale, et l'octroi des visites familiales plus longues et plusintimes 2535 .La protection de la vie familiale comme droit fondamental par la Convention demandeégalement une approche juridique de la garantie des liens familiaux. Leur protection constitue alorsune finalité propre indépendamment de celle du traitement des détenus. Dans ce cadre, il convientd'examiner en particulier dans quelle mesure la détention d'une personne membre d'une famillemodifie et donc détermine l'exercice du droit à la vie familiale. Dans cette optique, la famille peutêtre amenée à défendre, si besoin est, ses intérêts contre ceux de l'institution de la prison et lapolitique du traitement du détenu. Par exemple, elle a intérêt à s'opposer à la privation des visitespour des raisons disciplinaires internes à la prison, où à l'affectation du détenu à une prison dont lechoix est déterminé uniquement par des considérations de sécurité et de traitement du détenu, si ladistance du lieu au domicile familial empêche ou rend difficile les visites régulières. De même, lafamille peut exiger que l'octroi des sorties des détenus soit déterminé également par son propreintérêt à maintenir les liens familiaux durant toute la détention, et non seulement par son rôle en finde peine dans la réinsertion des détenus.Notre approche dans l'étude de la vie familiale des détenus et de leurs familles étantessentiellement juridique, nous allons essayer de voir dans quelle mesure la détention détermine laprotection effective du droit au respect de la vie familiale, et dans quelle mesure les principes delégalité et de personnalité de la peine sont respectés 2536 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Soulignons d'abord que le droit au respect de la vie familiale et des droits connexes font l'objetde protection en tant que droits fondamentaux au niveau international, européen et national. LaUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082534 Ces études avaient précisément démontré qu'il y avait une différence de taux de récidive avec les détenusqui recevaient des visites régulières de leur famille, J., MARTIN, D., WEBSTER, The social consequences ofconviction, London, 1970 ; MORRIS P., Prisoners and their families, London, 1965 ; BRODSKY, S.L.,Families and friends of men in prison. The uncertain relationship, Toronte-London, Lexington Books, 1975,cités par G. <strong>DE</strong> CONINCK, « La famille du détenu : de la suspicion à l'idéalisation », préc.2535 G. <strong>DE</strong> CONINCK, « La famille du détenu : de la suspicion à l'idéalisation », préc.2536 Pour une approche sociologique, voir notamment le travail de Gwenola RICOR<strong>DE</strong>AU, Les détenus et leursproches. Solidarité et sentiments à l’ombre des murs, Editions Autrement, Collection Mutations, 2008.


522Déclaration Universelle des Droits de l'Homme le consacre dans les articles 12 et 16 2537 . LaConvention européenne des Droits de l'Homme le consacre dans les articles 8 §1 2538 et 12 2539 . Enfin,au niveau national, la vie familiale et le mariage sont des droits qui, au sein des droits grec etfrançais, jouissent de la protection constitutionnelle 2540 . En droit grec, la protection de la famille ainsique du mariage, de la maternité et de l'enfance est un devoir constitutionnel de l’Etat (art. 21 §1 et§2) 2541 . En droit français, le respect de ces droits ne fait pas partie de la liste des droits contenus dansla Déclaration des Droits de l'Homme de 1789. C'est le Conseil Constitutionnel qui a comblé cettelacune en affirmant, dans sa décision du 13 août 1993, que font partie des « libertés et droitsfondamentaux de valeur constitutionnelle », la liberté du mariage et le droit de mener une viefamiliale normale 2542 .Avant d'examiner la garantie effectivement assurée au droit à la famille et à la vie familiale desdétenus et de leurs familles par la Convention et les droits grec et français, il convient de tenter dedéterminer le champ d'application de ces notions. Soulignons d'abord, à propos de la doubleterminologie « vie familiale » et « famille » employés respectivement par les articles 8 et 12 de laConvention européenne des droits de l'homme 2543 , qu'elle a suscité des interrogations tant sur leursrapports que sur leur définition respective. En ce qui concerne leurs rapport, il semble établi que« l'idée de la famille... est sous-jacente » dans le terme « vie familiale » qui figure dans l'article 8 dela Convention 2544 . Et par conséquent, ce dernier a un champ de protection plus large. On peutsoutenir que, eu égard au terme « fonder » une famille et à la place de ce droit, à côté de celui de semarier, donc de la formation de couple, l'article 12 vise à garantir la création d'une vie familiale, parla formation d'un couple et l'avènement d'un enfant légitime, naturel ou adopté ; l'article 8 vise, quant2537 « Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sacorrespondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loicontre de telles immixtions ou de telles atteintes », (art. 12 DUDH)« La famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...l'Etat », (art. 16 § 3 DUDH).« A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou lareligion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durantle mariage et lors de sa dissolution » (art. 16 § 1 DUDH).2538 « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale ».2539 « A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon lesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008lois nationales régissant l'exercice de ce droit ».2540 Loi fondamentale allemande (art. 6) ; Constitution italienne (art. 29) ; Constitution du Luxembourg (art.11) Constitution espagnole (art. 39) ; Constitution portugaise, (art. 67) ; Constitution irlandaise (art. 41).2541 « La famille, en tant que fondement du maintien et du progrès de la Nation, ainsi que le mariage, lamaternité et l'enfance se trouvent sous la protection de l'Etat » (art. 21§ 1). « Les familles nombreuses... ontdroit à un soin particulier de la part de l'Etat » (art. 21 § 2).2542 Conseil Constitutionnel, n° 93-325 DC du 13 août 1993, JO du 18 août 1993, à propos de la loi relative à lamaîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France.2543 « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale » (art. 8 §1) ; « A partir de l'âge nubile,l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissantl'exercice de ce droit » (art. 12).2544 J. VELU, R. ERGEC, La Convention Européenne des Droits de l'Homme, préc., p. 549.


523à lui, à protéger la vie familiale là où de tels liens familiaux existent 2545 ou dont les parentsdemandent la reconnaissance de leur existence tels les liens par une adoption non encore suivie de lacohabitation ou d’un parent d’un enfant né hors mariage 2546 .En ce qui concerne leur définition, droits nationaux et jurisprudence européenne s'accordent àreconnaître que ces deux notions ne répondent pas à une définition juridique précise. La doctrineprécise seulement que la famille est une notion composée des rapports interindividuels établis par lemariage, les filiations et l'autorité parentale 2547 , et que la notion de vie familiale, telle qu'elle estconsacrée par l'article 8 de la Convention, est de caractère relatif : elle varie « au gré des conditionssociales, économiques, culturelles et géographiques, et subit l'influence des diverses conceptionsidéologiques, religieuses et philosophiques 2548 ». A défaut d'une définition précise, la vie familiale sedéfinit par l'application d'un nombre de critères dégagés dans la jurisprudence européenne. Ce quicaractérise cette jurisprudence, c'est l'option pour des critères matériels et non formels. Ainsi, lescritères légaux de consanguinité et de mariage ne revêtent pas un rôle surdéterminant. Ils ne sont niexclusifs ni suffisants pour établir l'existence de la vie familiale. La notion de vie familiale s’étend àla famille de fait 2549 . Il en est ainsi dans le cas d’une cohabitation du couple : « La Cour rappelle quela notion de "vie familiale" visée par l'article 8 ne se borne pas aux seules relations fondées sur lemariage mais peut englober d'autres liens familiaux de facto lorsque les parties cohabitent en dehorsdu mariage 2550 ». Il peut en être également ainsi dans le cas d’une cohabitation entre un enfant et lecompagnon de sa mère, qui n'est pas son père, ni biologique ni adoptif (l'enfant en l’occurrence étaitissu d'un traitement IAD), si ce dernier se comporte socialement, affectivement et financièrementcomme son père 2551 . Mais il peut s’agir aussi d’autres facteurs qui peuvent démontrer que, même enl’absence de cohabitation, une vie familiale existe dès lors que « la relation a suffisamment de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2545 CEDH, Marckx c. Belgique, n° 6833/74, 13 juin 1979, Série A n o 31, § 31 ; CEDH, Johnson c. R.U.,24 oct. 1997, Recueil 1997-VII, § 62.2546 La Cour a déjà considéré que cette disposition pouvait aussi s'étendre à la relation potentielle qui aurait puse développer, par exemple, entre un père naturel et un enfant né hors mariage (Nylund c. Finlande (déc.),n o 27110/95, CEDH 1999-VI ), ou à la relation née d'un mariage non fictif, même si une vie familiale ne setrouvait pas encore pleinement établie (CEDH, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. R.U., 28 mai 1985, Série An o 94, § 62) ». Il en est de même dans le cadre d’une adoption, en l'absence de cohabitation ou de liens de factosuffisamment étroits entre les requérants et les enfants adoptés : « Il n'en résulte pas pour autant, de l'avis de laCour, que toute vie familiale projetée sorte entièrement du cadre de l'article 8 », CEDH, Pini, Bertani, Maneraet Atripaldi c. Roumanie, préc., § 143 ; Voir CEDH, Wagner et J.M.W.VL. c. Luxembourg, préc., § 123.2547 A. WEILL, F. TERRE, Droit civil, Dalloz, 1983, p. 161.2548 VELU J., ERGEC R., La Convention européenne des droits de l'homme, préc., p. 549.2549 CEDH, Marckx c. Belgique, préc., §§ 38-43 ; CEDH, Johnston et autres, 18 déc. 1986, Série A n°112,§ 25 ; CEDH, X, Y et Z c. R.U, [GC], n° 21830/93, 22 avril 1997, Recueil 1997-II, §§ 36-37 ; CEDH, Lebbinkc. Pays-Bas, n o 45582/99, CEDH 2004-VI, § 35.2550 CEDH, Keegan c. Irlande, préc., § 44. Voir aussi, CEDH, Johnston et autres c. Irlande du Nord, préc.,§ 55 ; CEDH, X, Y et Z c. R.U, , [GC], préc., § 36. La Commission utilise les liens de fait substantiels commecritère d'existence d'une vie familiale, D 7229/75, X et Y c. R.U, 15/12/1977, D.R. 12, p. 35.2551 CEDH, X, Y et Z c. R.U, , [GC], préc., §§ 36-37.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


524constance pour créer des ‘liens familiaux’ » 2552 . En définitive, ces sont les liens de fait qui primentsur les liens biologiques et/ou juridiques. Comme l’a déclaré la Cour, « l'existence ou l'absenced'une ‘vie familiale’ est d'abord une question de fait dépendant de la réalité pratique de lienspersonnels étroits 2553 ». En effet, la Commission européenne des droits de l’homme avait acceptéd’examiner dès 1968 l’existence d’un lien familial entre une personne adulte et son père vivantséparément depuis longtemps 2554 , et entre un oncle et une nièce n'ayant jamais cohabité 2555 . Et laCour a eu l’occasion d’examiner, notamment dans des affaires impliquant des enfants naturels, desenfants adoptés, ou des personnes étrangères, l’existence d’un lien familial indépendamment desliens biologiques ou légaux 2556 .Au vu des critères dégagés jusqu'à présent par cette jurisprudence, les liens constitutifs d'une viefamiliale sont : les liens de couple fondés sur le « mariage » ou sur la « cohabitation 2557 » ; les liensentre proches parents (grands-parents et petits-enfants) entretenus par des "rapports étroits 2558 " oupar des "rapports réguliers 2559 " ; les liens entre parents plus éloignés 2560 , si, outre les lienssentimentaux, ils entretiennent des "rapports de dépendance matérielle", ils doivent, par exemple,entretenir des "rapports de dépendance financière" 2561 ; et les liens entre parents/enfants (légitimes,naturels, adoptés).Concernant ces derniers liens, le critère de sang suffit pour établir une vie familiale entre lesparents et leur enfant légitime ou naturel pendant sa minorité : « ...Dès l'instant et du seul fait de sanaissance, il existe entre lui et ses parents un lien constitutif de "vie familiale" », a déclaré la Cour àpropos des enfants issus d'une union maritale 2562 , et à propos des enfants naturels 2563 . Dans d'autres2552« Si en règle générale une cohabitation peut constituer une condition d'une telle relation,exceptionnellement d'autres facteurs peuvent aussi servir à démontrer qu'une relation a suffisamment deconstance pour créer des ‘liens familiaux’ », CEDH, Lebbink c. Pays-Bas, préc., § 36.2553 Ibid.2554 D 2991/66 et 2992/66 66, (Alam et Khan/R.U), 15.7.1967, Ann. Vol XI, p. 478.2555 D 3110/67 (X/RFA), 19.7.1968, Rec. 27, p.77.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2556 CEDH, Mehemi c. France, n°53470/99, CEDH 2003-IV ; CEDH, Musa et autres c. Bulgarie, n o 61259/00,CEDH 2007-I.2557 « La Cour rappelle que la notion de famille visée par l'article 8 ne se borne pas aux seules relations fondéessur le mariage et peut englober d'autres liens ‘familiaux’ de facto lorsque les parties cohabitent en dehors du<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...mariage », CEDH, Sahin c. Allemagne, n°30943/96, CEDH 2001-X, § 34 ; CEDH, Nylund c. Finlande (déc.),préc.2558 CEDH, Marckx c. Belgique, préc., § 45 ; R 12849/87, (Vermeire c. Belgique), 5.4.1990.2559 « La notion de vie familiale n'implique pas nécessairement une vie commune des membres d'une famille,s'ils ont des contacts réguliers ». Ainsi « la vie familiale englobe les rapports entre grands-parents et petitsenfantsmême sans cohabitation », CEDH, Marckx c. Belgique, préc., § 45. Voir aussi D 12763/87(Lawlor/RU), 14.7.1988, DR 57, p. 216 ; D 10730/84 (Berrehab et Koter/Pays-Bas), 8.3.85, D.R. 41, p. 196 ; etD 12411/86 (X/RFA), 4.3.1987, D.R. 51, p. 245.2560 D 10375/83 (X/RU), 10.12.1984, DR 40, p. 196.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082561 D 9492/ 81, (X/RU), 14.10.82, DR 30, p. 232.2562 CEDH, Ahmut c. Pays-Bas, n° 21702/93, 28 nov. 1996, Recueil 1996-VI, § 60 ; CEDH, Sen c. Pays-Bas,n o 31465/96, CEDH 2001-XII, § 28. «… la Cour rappelle que la notion de vie familiale sur laquelle reposel'article 8 implique qu'un enfant issu d'une union maritale s'insère de plein droit dans cette relation ; partant, dèsl'instant et du seul fait de sa naissance, il existe entre lui et ses parents un lien constitutif de ‘vie familiale’ quedes événements ultérieurs ne peuvent briser que dans des circonstances exceptionnelles » ; être en bas âge,


525arrêts, cette instance a reconnu l'existence d'un tel lien entre un enfant et chacun de ses parentsindépendamment des liens de ceux-ci 2564et indépendamment de la cohabitation ou pas de l'enfantavec ses parents 2565 , y compris s’ils n’ont jamais cohabité et si le père n’a pas reconnu son enfant 2566 .Ce qui compte, c’est « la nature de la relation entre les parents naturels », ainsi que « l'intérêt etl'attachement manifestés par le père naturel pour l'enfant avant et après la naissance », propres àdémontrer que la relation a « suffisamment de constance et de substance pour créer des ‘liensfamiliaux factuels’ 2567 ». Quant aux enfants adoptifs, la Cour, tout en soulignant que la Conventionne garantit pas le droit d’adopter, a reconnu que les relations entre un adoptant et un adopté relèventde la notion de la vie familiale et doivent alors jouir de la protection de l’article 8 de laConvention 2568 . Dès lors, si le tribunal du pays dont l’enfant est originaire a accordé une adoption etsi les parents ont commencé à se comporter comme tels, le fait que le pays d’accueil ne reconnaissepas cette adoption constitue une ingérence dans la vie familiale 2569 .D’ailleurs, à l’occasion des affaires concernant des liens entre parents et enfants adoptés, la Coura étendu la protection de l’article 8 au-delà de la vie familiale existante de fait ou de droit, à la « viefamiliale projetée », comme celle née d'une adoption légale pas encore suivie de cohabitation 2570 ,après l’avoir étendu à la « vie familiale potentielle », entre un père et un enfant né hors mariage 2571 .Aussi l'ensemble de droits relatifs à la protection de la famille et de la vie familiale,effectivement garantis par le jeu croisé des articles 8 et 12 de la Convention, sont : le droit de sevivre au foyer des parents et en être financièrement dépendant ne font que renforcer l’existence d’un tel lien,CEDH, Musa et autres c. Bulgarie, préc., § 57.2563 CEDH, Sahin c. Allemagne, préc., § 34 ; CEDH, Keegan c. Irlande, préc., § 44).2564 « La notion de vie familiale inclut, même en l'absence de cohabitation, le lien entre une personne et sonenfant, que ce dernier soit légitime ou naturel », CEDH, C. c. Belgique, 21794/93, 7 août 1996, Recueil 1996-III, § 25.2565 « Il existe entre l'enfant et des parents un lien constitutif d'une vie familiale même, si à l'époque de sanaissance, les parents ne vivaient plus ensemble ou si leurs relations avaient pris fin », CEDH, Keegan c.Irlande, préc., § 44.2566 CEDH, Lebbink c. Pays-Bas, préc., § 36.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2567 Ainsi, à propos du refus d’accorder à un père un droit de visite envers sa fille qu’il n’a pas juridiquementreconnue, la Cour a estimé que, outre la relation intime avec la mère d’un enfant poursuivie durant seize moisaprès la naissance de l’enfant, le fait d’être présent le jour de l’accouchement, d’avoir été tuteur pendant lespremiers mois de l’enfant, de s’en être occupé régulièrement, et de l’avoir gardé quelques fois, alors même<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...qu’il n’a pas reconnu juridiquement la paternité de cet enfant, il existait avec l’enfant, au moment de la rupturedes liens avec la mère, « outre les liens du sang – certains liens suffisants pour entraîner la protection del'article 8 de la Convention », CEDH, Lebbink c. Pays-Bas, préc.,§ 37, § 38, § 42.2568 CEDH, Wagner et J.M.W.VL. c. Luxembourg, préc., § 121 ; CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c.Roumanie, préc., § 140 ; CEDH, Fretté c. France, n o 36515/97, CEDH 2002-I., § 29.2569 « En l'absence dans la législation luxembourgeoise de dispositions permettant à une personne non mariéed'obtenir l'adoption plénière d'un enfant, la Cour estime que ce refus a représenté en l'espèce une ‘ingérence’dans le droit au respect de la vie familiale des requérantes », CEDH, Wagner et J.M.W.VL. c.Luxembourg,préc., § 123.2570 CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c. Roumanie, préc., § 143.2571 CEDH, Nylund c. Finlande (déc.), préc.. En revanche, il a été exclu que « le droit du père potentiel aurespect de sa vie privée et familiale puisse être interprété assez largement pour englober le droit d’être consultéou celui de saisir un tribunal à propos d’un avortement que son épouse se propose de faire pratiquer sur sapersonne », CEDH, Boso c. Italie, (déc.,) préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


526marier et le droit de fonder une famille (art. 12) ; et le droit au respect de la vie familiale. Celle-cicomprend le respect de l'unité familiale au sens de la vie commune et, à défaut, l'entretien desrelations personnelles ; ainsi que l'intimité de la vie familiale.Nous examinerons le respect de ces aspects à l'égard des détenus et de leurs familles endistinguant, d'une part, les droits contribuant à la création d'une vie familiale, à savoir le droit de semarier et le droit de fonder une famille (Section 1), et, d'autre part, le droit au respect de la « viefamiliale normale », expression utilisée dans la jurisprudence européenne (Section 2). L'étude de cesdroits nous permettra d'observer encore une fois que le principe de légalité des peines est mis à mal,que le respect du principe de personnalité de la peine « vole en éclats » et que la démocratie perd sesrepères. Il sera difficile de soutenir que les restrictions admises dans l'exercice de ces droits sontpropres à une société démocratique : les restrictions atteignent parfois une telle ampleur, notammentdans l'exercice du droit à fonder une famille et de préserver la famille nucléaire (parents/enfants),qu'il est difficile de défendre que la substance de ces droits est sauvegardée. Il ne s'agit plus derestrictions, mais de privation de ces droits.SECTION 1. <strong>LE</strong>S RESTRICTIONS DANS <strong>LA</strong> CREATION D'UNE VIE FAMILIA<strong>LE</strong>Comme nous l'avons souligné lors de la définition européenne de la vie familiale, si le lien desang entre l'enfant et ses parents est le seul qui crée automatiquement une vie familiale entre lui etchacun de ses parents, en revanche, les autres critères nécessitent également une vie commune d'unecertaine durée ou, à défaut, l'entretien de liens étroits et réguliers.Ainsi, si l'article 12 de la Convention distingue le droit de se marier de celui de fonder unefamille (le second n'est pas forcement lié au premier). Il n'empêche que le mariage fait partie dessources de création de liens familiaux. On peut même voir dans cette consécration commune parl'article 12, que le droit au mariage est un droit corollaire du droit de fonder une famille. D'ailleurs, laCour a, dans un arrêt rendu en 1998, reconnu que tel qu'il ressort du libellé de l'article 12, « le butpoursuivi consiste essentiellement à protéger le mariage en tant que fondement de la famille » 2572 .Aussi, examinerons-nous dans le cadre des restrictions que subissent les détenus dans la création<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d’une vie familiale, aussi bien le droit de se marier que le droit de fonder une famille. Examen quimontrera que le premier n’est respecté qu’au prix d’une interprétation très restrictive le privant de lapotentialité d’être un fondement de vie familial (§ 1). Et l’examen du droit de fonder une famillemontrera que les détenus ne subissent pas de simples restrictions, mais d’une véritable privation del’exercice de ce droit (§ 2).§ 1. Garantie limitée du droit à se marier2572 CEDH, Sheffield et Horsham c. R.U., 30 juillet 1998, Recueil 1998-V, § 66.


527La Cour ne s’est pas encore prononcée sur la garantie de ce droit aux personnes détenues. Deuxaffaires, dont la Cour a été saisie, relatives au refus d’autorisation de se marier en prison, setrouvaient en 2007 au stade de communiqué 2573 . La jurisprudence européenne corrélative est limitéeà deux affaires examinées par la Commission en 1980. Elle présente cependant un intérêt particulier.Le raisonnement suivi par cette instance illustre l'étendue de l'écart entre un raisonnement qui peutpermettre d'assurer l'application effective maximale des droits de l'homme en prison et unraisonnement qui permet de justifier les restrictions maximales dans une société démocratique aupoint de les réduire en squelettes.Ainsi nous pouvons observer que la fermeté du raisonnement en faveur de respect effectif dudroit des détenus de se marier (A) est faite au prix de la réduction de ce droit à un sens formel, définicomme une simple conclusion du contrat de mariage (B).A. Reconnaissance aux détenus du droit à se marierLe droit des détenus de se marier, entendu au sens de conclure un contrat, est consacré par laCommission, sans restriction aucune (1). Entendu dans ce sens, ce droit est, pouvons-nous affirmer,pleinement assuré par les droits grec et français (2).1 La reconnaissance européenneA l'époque de l'examen par la Commission des affaires relatives au mariage des détenus, en 1979et 1980 2574 , le droit britannique ne garantissait pas aux détenus l'exercice effectif du droit de semarier. Le gouvernement défendeur avait justifié l'absence de cette garantie en arguant, d’une part,que l'article 12 de la Convention ne consacre pas un droit de protection absolue, ce droit est consacréen termes généraux accompagné d’une marge nationale. Cet article est en effet libellé en cestermes : « A partir de l'âge nubile, l'homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder unefamille selon les lois nationales régissant l'exercice de ce droit ». Il en résulterait que son exerciceeffectif peut être soumis à des restrictions laissées à l'appréciation des législateurs nationaux. D’autre<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008part, que la condamnation et en tout cas la détention justifieraient pleinement cette restriction àl’égard des détenus.La Commission n'avait pas suivi cette argumentation. Selon cette instance, l'article consacre undroit absolu, car à la différence des articles 8, 9 et 10 de la Convention, il ne renferme aucune2573 CEDH, Frasik c. Pologne, n o 22933/02 ; CEDH, Jaremowicz c. Pologne, n°24023/03.2574 R 7114/75 (Hamer/R.U), 13.12.1979, D.R. 24, p. 5 ; R 8186/78, (Draper/R.U.) 10.6.1980, D.R. 24.


528limitation 2575 , et, de toute manière, en renvoyant à la loi nationale, la réglementation de son exercicene laisse pas au législateur une liberté totale. Elle avait, à ce propos, affirmé que, même lorsqu'unetelle marge est expressément reconnue dans la réglementation de l'exercice effectif des droits del'homme, celle-ci n'est jamais entendue dans un sens illimité : doivent toujours être respectées, outrela légalité, également la légitimité, la proportionnalité et, en tout état de cause, la substance du droitconcerné ; enfin, le respect de ces conditions est soumis au contrôle européen 2576 . Dès lors « touterestriction ou réglementation de l'exercice de ce droit doit être telle qu'elle n'entraîne pas d'atteinte àsa substance 2577 ». Cette position de la Commission à propos de la réglementation du mariage futconfirmée par la Cour 2578 . S’agissant de son application à l'égard des détenus, la Commission, tenantcompte de ces considérations générales, a reconnu la légitimité des restrictions au droit de se marierfondées, sur des considérations d'intérêt public généralement reconnues, par exemple la bigamie, laconsanguinité, etc. Mais elle a nié la légitimité de celles consistant à priver totalement une personneou une catégorie de personnes de la possibilité de contracter mariage, estimant qu’une telle privationporterait atteinte à la substance même de ce droit.Pour reconnaître aux détenus le droit de se marier, la Commission a, de surcroît, dû écarter lesarguments traditionnellement opposés par les droits nationaux à la pleine reconnaissance des détenuscomme sujets des droits, notamment celui de leur statut spécial ; elle a, en revanche, dû adopter denouveaux arguments découlant de cette reconnaissance depuis l'arrêt Golder.a. Responsabilité du détenu écartée dans le respect du droit à se marierPour justifier les restrictions à l'égard des détenus, outre le caractère relatif du droit de se marier,le gouvernement anglais avait mobilisé des arguments, devenus impertinents après l'arrêt Golder.Ces arguments consistaient à défendre un statut spécial de détenu en tant que sujet des droits del'homme imputable à lui-même. En commettant une infraction entraînant son emprisonnement, ledétenu se serait lui-même mis dans une situation justifiant des limitations dans l’exécution des droitsde l’homme en tant qu'élément de la peine privative de liberté et/ou en tant qu'effet de ladétention 2579 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La Commission a réfuté ces arguments : « L'incapacité du détenu à exercer ce droit ne doit pasêtre considérée comme résultant du seul fait qu'il se trouve en prison, ni de sa propre conduite 2580 ».A cette occasion, elle a opéré un renversement fort important dans son propre raisonnement, suivi2575 Ibid.2576 A propos du respect de cette dernière condition, elle s'est référée à l'arrêt dit « Linguistique », précité,relatif à l'exercice du droit à l'éducation et à l'arrêt Golder, précité, relatif au droit d’accès à la justice.2577 R 7114/75 (Hamer/R.U), préc. ; R 8186/78, (Draper c/RU), préc2578 CEDH, Sheffield et Horsham c. R.U., préc., §66.2579 R 7114/75 (Hamer/R.U), préc.2580 R 7114/75 (Hamer/R.U), préc. ; R 8186/78, (Draper c/RU), préc.


529jusqu'alors sur l'effectivité du respect des droits de l'homme dans le cas des détenus. Elle a soutenuque l'imputabilité de leur ineffectivité peut revenir aux autorités pénitentiaires : « On ne peut pas direque son incapacité à se marier fut simplement le résultat inéluctable de sa détention, des actions quiont mené à son incarcération et dont le gouvernement n'est pas responsable 2581 ». En effet, elle aécarté aussi bien l'argument du statut pénal du détenu que celui de son statut pénitentiaire. A proposdu statut pénal du détenu, elle a affirmé : « La Commission estime suffisant de dire qu'une personneprivée de sa liberté aux termes de l'article 5 conserve en principe le droit de se marier 2582 » et que « laliberté de la personne n'est pas un préalable à l'exercice du droit à se marier 2583 ». Quant au statutpénitentiaire du détenu, il ne constitue non plus une raison suffisante pour légitimer des restrictionsaux droits de l'homme en général et au droit de se marier en particulier. Cette instance a, à ce propos,refusé d'assimiler, comme elle a été invitée à le faire par le gouvernement anglais, l'état des détenus àcelui de personnes renonçant à exercer ce droit, en entrant volontairement dans des statuts ou dessituations où le mariage est interdit ou impossible à exercer (ex. les prêtres, les moines). Selon laCommission, un détenu peut fort bien désirer se marier, indépendamment de sa situation dedétention, qu'il n'a pas choisie 2584 .b. Responsabilité retenue de l'administration pénitentiaire dans le respect du droit à se marierAprès avoir affirmé le droit des détenus de se marier, la Commission a déclaré, en premier lieu,que la détention non seulement ne s'oppose pas à la garantie de son exercice effectif, mais, aucontraire, créé l'obligation positive des Etats de l'assurer : « On peut soutenir que la possibilité pourun détenu d'exercer son droit à se marier pendant qu'il est privé de sa liberté peut être une questionqui relève de l'Etat... qui ne dépend pas seulement du fait où il se trouve placé 2585 ». Dès lors, lesautorités ont une obligation non négative de s'abstenir, mais une obligation positive d'intervenir afinde rendre effectif le droit des détenus au mariage : Il incombe aux autorités « de prendre certainesdispositions administratives afin qu'un détenu puisse contracter mariage », car « l'exercice de cesdroits exige quelque action positive de la part des autorités pénitentiaires 2586 ». D'après laCommission, tant la privation des détenus de se marier que le simple report du mariage au momentde leur mise en liberté porteraient atteinte au respect de la substance dudit droit. En rappelant lajurisprudence de la Cour, selon laquelle une atteinte à un droit de l'homme peut provenir autant d'un<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008empêchement juridique que d'un obstacle de fait, même temporaire, elle a estimé que, lorsqu'undétenu n'est frappé d'aucune incapacité juridique de contracter mariage, un empêchement ou2581 Ibid.2582 Ibid.2583 Ibid.2584 Ibid.2585 Ibid.2586 Obligation dégagée dans l'arrêt Golder, dans les Rapports sur les affaires Hamer et Draper contreRoyaume-Uni, précitées, et dans les Décisions : D 4623/70 (X/RU), 19.7.1971, Rec. 39, p. 63 ; et D 5229/71(X/R.U), 15.10.1972, Rec. 42, p. 140.


530retardement dans l'exercice de ce droit peut constituer une atteinte à sa substance, au même titre quel'empêchement juridique 2587 .Cette instance a, par ailleurs, souligné qu’aucune raison pratique ou matérielle ne s'oppose à sonexercice de même qu'aucune autre considération d'intérêt général. Son exercice n’est ni coûteux 2588 nicontraire à l’intérêt général 2589 . Bien au contraire, le mariage des détenus non seulement ne s'opposepas à l'intérêt général, mais au contraire il y répond en réduisant les différences entre la vie en prisonet à l'extérieur 2590 et en aidant le détenu à se stabiliser socialement 2591 .C’est dans ce sens restreint que les droits grec et français reconnaissent aux détenus le droit dese marier.2. La reconnaissance nationaleLa reconnaissance aux détenus du droit à se marier, sans restriction ni soumission à l'autorisationpréalable des autorités pénitentiaires, est relativement tardive, également dans les droits grec etfrançais.En droit grec, la soumission du mariage des détenus à l'autorisation préalable des autoritéspénitentiaires n'a disparu qu'en 1989. Auparavant, alors que le Code Civil prévoyait expressémentque l'incapacité civile de conclure des actes juridiques (dont un condamné est susceptible d'êtrefrappé selon l'article 128 et 1700) ne comprend pas le mariage (article 1351 C. civ.), le Codepénitentiaire de 1967 soumettait sa réalisation à l'autorisation préalable du directeur del'établissement 2592 . Cette disposition, manifestement anticonstitutionnelle, ne figure plus dans le droitpénitentiaire grec depuis 1989.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le droit français a précédé le droit grec, en supprimant cette exigence dès 1975. Les détenuspeuvent se marier soit dans la prison, soit à l'extérieur. L'article D. 424 du Code de procédure pénaleprévoit qu'en cas d'impossibilité de bénéficier d'une permission de sortir « le mariage des détenus...est célébré dans l'établissement sur réquisition du procureur de la République, tel que prévu au<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082587 « Aucune considération générale d'intérêt public née de la détention elle-même, ne saurait justifier pareilleatteinte, dans le cas d'un détenu », R (Hamer\R.U), préc., p. 30, et R (Draper\R.U), préc., p. 93.2588 Ayant recours au droit comparé, elle a relevé qu'assurer le mariage aux détenus n'est ni complexe nicoûteux : « La pratique suivie par les Etats, à savoir permettre aux détenus de se marier à l'intérieur de la prisonou de les escorter lors d'une mise en liberté temporaire, montre bien qu'il n'est pas nécessaire de prévoir desdispositions particulièrement onéreuses ou complexes. », Ibid.2589 « Aucune considération générale d'intérêt public née de la détention elle-même, ne saurait justifier pareilleatteinte, dans le cas d'un détenu. » Ibid.2590 Ibid.2591 Ibid.2592 « L'administration pénitentiaire peut ne pas autoriser le mariage à un détenu, si des raisons importantes yconcourent » (art. 3 § 3).


531deuxième alinéa de l'article 75 du Code civil ». Il semblerait pourtant qu’il subsiste une limitation :au cas où les deux futurs époux sont en détention, l'autorisation des autorités peut être requise 2593 .Au vu de la jurisprudence européenne, les droits nationaux sont conformes à la Convention.Mais peut-on défendre qu'en limitant l'exercice de ce droit à la conclusion du contrat du mariage lasubstance de ce droit soit sauvegardée ?B. Application limitéeEn examinant la position de la Commission, invitée à répondre à une autre objection des Etatscontre le respect effectif du droit des détenus au mariage, à savoir l'impossibilité des époux deconsommer le mariage et de cohabiter, nous observons que cette instance a adopté une interprétationdu mariage telle que les éléments de « la communauté de vie » et de « la consommation du mariage »ne sont pas indispensables pour son respect. « L'essence du droit de se marier consiste à former uneassociation juridiquement solidaire entre un homme et une femme 2594 », à « créer un rapportjuridique, à acquérir un statut 2595 » a répondu la Commission. Par conséquent, c'est aux intéressés de« décider s'ils désirent ou non constituer cette association, alors même qu'ils ne pourront pas vivreensemble 2596 ».Or il conviendrait de faire remarquer que, certes, si l'on tient compte de la reconnaissance dansles droits nationaux du mariage posthume ou du mariage avec quelqu'un sur le point de mourir, onrencontre des définitions proches de celle adoptée par la Commission : « Seul le consentement fait lemariage, non l’œuvre de chair ni la fondation effective d'un foyer 2597 », écrivait, par exemple, JeanCarbonnier. Mais la définition la plus largement admise est celle inspirée par l'objectif duconsentement matrimonial : « Le mariage ne se borne pas à établir entre les époux des droits et desobligations rappelant les rapports de créancier à débiteur : il créé l'état d'époux, il fonde une familleet il est à la base de la légitimité des enfants » ; de ce fait, « le mariage est une espèce de corps socialdépassant les volontés individuelles des époux 2598 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Dès lors, la Commission, en limitant la définition du droit de se marier à la conclusion d'uncontrat non accompagné d'effets pratiques sur la vie quotidienne du couple, montre qu'elle préfèreadapter l'interprétation de ce droit de l'homme au fonctionnement de la prison, et non l'inverse.2593 Un juge d'instruction a refusé à un détenu à la prison de Metz l'autorisation de se marier avec sa fiancéeégalement détenue, De Facto, (Lettre mensuelle de l'OIP) n° 8, juin 1992.2594 R (Draper\R.U), préc., p. 292595 Ibid, p. 29.2596 Ibid., p. 29.2597 J. CARBONIER, Droit civil, Famille (1993), préc., p. 62.2598 A. WEILL, F. TERRE, Droit civil, préc., p. 174.


532Car tout en affirmant le droit des détenus de se marier, cette instance a évité tout impact sur leurvie quotidienne ainsi que sur celle de leurs conjoints. Elle n'entendait pas en effet, mettre en cause laconception de la peine privative de liberté ni comme mise à l'écart d'une personne de la société et desa famille, puisqu'elle a souligné que c'est aux intéressés de « décider s'ils désirent ou non constituercette association alors même qu'ils ne pourront pas vivre ensemble 2599 », ni comme mise soussurveillance constante, puisqu'elle a par ailleurs, écarté le respect de l'intimité des visites conjugales.Elle a précisément souligné que le respect du droit de se marier ne perturbe en rien l'exercice de lasurveillance constante du détenu, ni par la célébration du mariage dans la prison ni par ses effetspersonnels sur les époux 2600 . La Cour ne semble pas non plus prête à se démarquer de la position dela Commission. Elle refuse de sanctionner l'absence de l'intimité des rencontres conjugales 2601 .Mais si, en limitant ainsi la définition du droit de se marier, on peut défendre que son exerciceest respecté, en revanche nous allons voir que cette limitation entraîne indéniablement la privation deson droit corollaire, celui de fonder une famille. Certes le mariage n'implique pas forcément le droitde fonder une famille. Il n'en demeure pas moins que, dans nos sociétés, il est le cadre légal deréférence dans la détermination des liens familiaux. C'est la famille légitime, fondée sur le mariage,qui domine et détermine le droit de la filiation et les droits parentaux.§ 2. Privation du droit de fonder une familleTenant compte des conditions de création de liens familiaux, soit par des liens d'alliance, fondéssur le mariage ou sur la cohabitation de fait, soit par des rapports de parenté avec la venue d'unenfant légitime, naturel ou adopté, force est de constater que le détenu est privé de l'exercice du droitde fonder une famille. Il ne peut créer une famille ni par des rapports de couple, dès lors qu'il estdans l'impossibilité de créer des rapports substantiels de couple (A), ni par la venue d'un enfant, dansla mesure où il ne peut pas avoir de relations sexuelles ni adopter un enfant, vu les conditionsd'adoption (B).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A. La prison privative de la vie de coupleUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La Cour européenne ayant opté pour une interprétation non formelle mais matérielle de la notionde vie familiale, le critère décisif déterminant l'existence d'une vie familiale dans un couple est letype de rapports qu’il entretient. Aussi, le mariage n’est ni suffisant comme critère (un couplelégitime doit, de surcroît, entretenir des liens de couple effectifs), ni indispensable (l'entretien de tels2599 R (Draper\R.U), préc., p. 29.2600 « L'exercice du droit de se marier, notamment à l'intérieur d'une prison, ne suppose pas que le prisonnieréchappe à la surveillance et au contrôle des autorités pénitentiaires » R (Draper\R.U), préc., p. 29.2601 CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc., § 16, § 77 ; CEDH, Aliev c.Ukraine, préc., § 188 ; CEDH, Dikson etDickson c. R.U., préc., § 31 ; CEDH, Dikson et Dickson c. R.U., [GC], CEDH, 2007-XII, § 81.


533liens de couple en dehors du mariage, à savoir par des personnes vivant en union libre, peut suffirepour constituer une vie familiale). Seulement s'agissant d'un couple légitime, la vie familiale estprésumée, à moins de rapporter la preuve négative d'inexistence des liens de couple effectifs ; alorsque, dans le cas d'un couple de fait, il faut rapporter la preuve positive de la réalité de l'existence detels liens. Eu égard aux éléments constitutifs de la vie familiale entre un couple, nous constateronsque les détenus sont privés de la possibilité de créer une vie familiale, aussi bien par la vie de couplelégitime (1) que par la vie de couple de fait (2).1. Impossibilité de fonder une famille par le mariagePour établir l'existence de la vie familiale, sont exigés, outre le mariage, également l'entretien desrapports sinon de communauté de vie, du moins substantiels. On doit alors raisonnablement déduirequ'en l'absence de garantie de tels rapports le détenu, même s'il se marie, se trouve de fait dansl’impossibilité de fonder une famille. Il en est ainsi effectivement. Privé de force de communauté devie avec son conjoint, le détenu l'est également des rapports substantiels, qui comprennent entreautres les rapports intimes et sexuels. Rappelons que c'était de la jurisprudence constante de laCommission d'affirmer que « le droit de fonder une famille, consacré par l'article 12, ne se trouve pasenfreint par le refus d'autoriser les rapports conjugaux en prison 2602 ».La Cour a implicitement confirmé cette jurisprudence dans l'arrêt Boyle et Rice 2603 en refusant degarantir l'intimité des rencontres d'un détenu avec sa femme tant lors des visites de cette dernière quelors des sorties de son mari. Or cette jurisprudence est en contradiction évidente avec leraisonnement guidé par l'objectif de garantir le droit de fonder une famille, puisque celui-ci exigel'entretien de tels rapports. Les liens garantis aux détenus et à leurs conjoints ne se différencient pasde manière significative des autres liens privés. Par conséquent, les détenus mariés ne peuvent pasprétendre à la garantie des rapports privilégiés avec leurs conjoints, y compris en invoquant lagarantie du droit de fonder une famille.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La jurisprudence européenne ne permettant pas aux détenus de faire prévaloir le droit de fonderune famille en tant que corollaire du droit de se marier, ne permet pas non plus de le faire en tant quedroit autonome.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082. Impossibilité de fonder une famille par le concubinage2602 R (Draper\R.U), préc., p. 91. Voir : D 8166/78 (X, Y/Suisse), 3.10.1978, D.R. 13, p. 241. D 6564/74 (Xc/RU), 21.5.1975, D.R. 2, p. 105.2603 CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc.


534La jurisprudence européenne a admis le principe que le mariage n'est pas en soi une conditionsine qua non pour fonder une famille 2604 . La Cour a précisé que « la notion de "famille" visée parl'article 12 de la Convention ne se borne pas aux seuls liens fondés sur le mariage ; elle peut engloberd'autres liens familiaux de facto lorsque les parties cohabitent en dehors du mariage 2605 », et ce,même lorsqu'ils ne cohabitent pas, du moment qu'ils maintiennent des rapports substantiels 2606 .Les droits nationaux étendent également la notion de vie familiale aux rapports de fait. Il en estainsi en droit français dans le cas du concubinage auquel sont attachés certains effets comparables àceux de la famille légitime. Pour établir l’existence de concubinage, il faut une cohabitation effectived’une certaine durée (deux ans au minimum pour pouvoir accéder à la procréation médicalementassistée), et une vie de couple 2607 .Toujours est-il que, même en admettant que pour reconnaître l'existence d'un couple de fait, lesrapports effectifs et substantiels suffisent, il paraît improbable que les autorités civiles l'admettentdans une relation débutée pendant la détention d'une personne et entretenue par des visites et lettres,aussi fréquentes et durables soient-elles. La position de la Commission dans une affaire relative auxrapports entre fiancés va dans le même sens. Cette instance avait estimé que les liens entre fiancés nerelevaient pas de la notion de vie familiale, mais de la vie privée du détenu, à moins que les relationsentre les fiancés répondent au critère des « liens substantiels 2608 ». A cet égard, le grand nombre delettres échangées n'était pas jugé suffisant en l'absence de visites fréquentes. Dans cette affaire, lesfiancés ne s'étaient en effet rencontrés qu'une seule fois ; mais l'objet de leur requête était justementde faciliter leurs visites. Ils demandaient le transfert du détenu dans une prison plus proche du lieud'habitation de la fiancée dépourvue de moyens financiers suffisants pour effectuer des visites plusfréquentes. On se trouve ainsi devant un paradoxe : soumettre la garantie d'un droit à des conditionsqu’on refuse d’assurer.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>L'atteinte au droit du détenu de fonder une famille est encore plus flagrante si l'on tientcompte que le détenu est également privé du droit de procréer.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...B. La prison privative du droit de procréerUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Selon une partie de la doctrine, la famille ne peut être constituée qu'avec l'arrivée d'un enfant 2609 .Et, au sein de la jurisprudence européenne, le lien entre un enfant et ses parents est le seul qui suffise2604 « La vie familiale n'est pas absolument liée au mariage », D 7770/77 (X/RFA), 2.5.1978, DR 14, p. 175.2605 CEDH, Keegan c. Irlande, préc., § 44.2606 D 15817/89 (Douglas Wakefield/RU), D.R. 66, p. 251.2607 Article 515-8, C. civ. ; Al. BENABENT, Droit civil, La famille, 11 ème éd., Litec, 2003, pp. 337-340.2608 D 15817/89 (Douglas Wakefield/RU), préc., p. 251.2609 J. CARBONIER, Droit civil (1993), préc., p. 121.


535en soi pour fonder une vie familiale, indépendamment de la cohabitation entre l'enfant et ses parents.Or, en l'absence des problèmes pathologiques nécessitant l'assistance médicale, la procréation estinévitablement liée aux rapports sexuels. Mais du fait que ce droit n’est pas encore expressémentreconnu aux détenus, en tout cas pas à tous, ni dans a jurisprudence européenne (1), ni dans les droitsnationaux (2), ces personnes sont privées du droit de fonder une famille par voie naturelle. Pourdéterminer cependant s'il s'agit d'une violation de la substance même de ce droit ou pas, il faut tenircompte de la valeur accordée au droit de procréer au sein de la Convention et des raisons justifiant laprivation des détenus de ce droit.1. La réticence de la jurisprudence européenne de reconnaître aux détenus le droit d’avoir un enfantEn ce qui concerne la garantie générale de ce droit, notons qu’il ne revêt pas un caractère absoluni en tant qu’aspect de la vie privée, ni en tant qu’aspect de la vie familiale et du droit de fonder unefamille. Son caractère non absolu a été affirmé à propos des affaires relatives au droit àl'avortement 2610 et au droit au recours à des techniques de procréation médicalement assistée 2611 .Dans le premier cas, le respect de ce droit est directement concurrencé par le respect des droits de lamère, notamment du droit à la santé 2612 et à l’intégrité physique 2613 , et dans le second, par laprotection de l'intérêt de l'enfant 2614 : au désir des parents d'engendrer peut s'opposer le droit del'enfant à une vie familiale normale 2615 .C’est au nom de ce dernier argument que la Commission d’abord et, par la suite, la Cour ontjustifié la privation des détenus des possibilités d’avoir un enfant. Alors même que la Commissionavait reconnu que « le droit de fonder une famille est un droit absolu en ce sens qu'aucune restrictionsemblable à celle de l'article 8 §2 n'a été expressément prévue », elle avait estimé qu’ « il n'endécoule pas qu'une personne doive toujours être en mesure de procréer 2616 ». Aussi les détenus sontilsprivés aussi bien des relations sexuelles que de l’accès à la procréation médicalement assistée.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Mais si l’intérêt de l’enfant est mis en avant, il n’est pas le seul motif. Ainsi, si l’absenceprolongée des parents en détention de longue durée, l’insuffisance des ressources ou l’absence d’unUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082610 Aspect qui relève du droit à la vie : « La Cour note que la Commission a estimé que ‘a législation régissantl’interruption de grossesse touche au domaine de la vie privée’ en ce que « lorsqu’une femme est enceinte, savie privée devient étroitement associée au fœtus qui se développe », CEDH, Boso c. Italie, (déc.), préc.2611 « L’insémination artificielle a un lien tel avec la vie privée et familiale des requérants que la question del’accès à cette technique tombe sous l’empire de l’article 8 », CEDH, Dickson et Dickson c. R.U., préc., § 262612 . CEDH, Boso c. Italie, (déc.), préc.2613 . S’agissant des avortement thérapeutiques, la mère peut réclamer le droit à son intégrité physique, CEDH,Tysiac c. Pologne, préc., § 107.2614 Selon l'avis du C.D.D.DH (Comité directeur pour les droits de l'homme du Conseil de l'Europe), « un droitabsolu de procréer ne peut pas être déduit, ni de l'article 2 §1, ni des articles 8 et 12 de la Convention », M.-T.MEUL<strong>DE</strong>RS-K<strong>LE</strong>IN, Vie privée, vie familiale et droits de l'homme, préc., pp. 781-783.2615 Tel est le sens de l'arrêt Marcx et Johnston, précité, et de l’arrêt Dickson et Dickson précité.2616 R 7114/75 (Hamer/R.U), préc. ; R 8186/78, (Draper/R.U.), préc.


536environnement familial et social affectif sont des éléments liés à l’intérêt de l’enfant 2617 , d’autres luisont étrangers. Ils sont liés soit à la réprobation sociale et morale du délinquant soit à la conceptiondu contenu punitif de la peine privative de liberté débordant vers la vie privée. Par exemple, à proposdu refus de l’insémination artificielle, la chambre de la Cour avait accepté comme légitime le motifde la nature et de la gravité de l’infraction commise par le mari. Alors même que ce refus privaitdéfinitivement le couple de la possibilité d’avoir un enfant : les relations sexuelles durant ladétention du mari étaient interdites et, à sa sortie, son épouse ne serait plus en âge de procréer 2618 .Ce sont ces deux motifs, punitif pour les parents et intérêt pour l’enfant, qui ont été avancés par legouvernement britannique devant la Grande Chambre de la Cour. D’une part, cet Etat défendeur aplaidé que « la restriction, en soi, contribue à l'objectif rétributif global de la détention 2619 »,et d’autre part, que « l'absence d'un parent pendant une longue période aurait un impactnégatif sur tout enfant susceptible d'être conçu et, en conséquence, sur la société dans sonensemble 2620 ». Mais la Cour a, cette fois, accepté de mettre des limites dans les limitationsillimitées qui caractérisaient l’exercice de ce droit allant jusqu’à la privation totale du droitde procréer. En récusant le caractère inévitable de la privation de ce droit, dès lors que laréalisation d’une insémination artificielle dépend de la mise en place par l’Etat des moyensqui ne constituent pas un grand fardeau pour l’administration pénitentiaire ni du point de vueadministratif, ni financier ni sécuritaire, elle a jugé : « Toutefois, cela ne peut aller jusqu'àempêcher les parents qui le désirent de concevoir un enfant dans des circonstances telles quecelles de l'espèce » 2621 .En revanche, si la Grande Chambre a exclu les considérations morales ou d’opinion publique quiiraient à l’encontre du droit des personnes détenues condamnées d’avoir un enfant, elle n’a pas fléchisur les considérations sécuritaires de la détention. Elle n’est pas allée jusqu’à reconnaître le droit despersonnes détenues d’avoir un enfant par voie naturelle, à savoir par les relations sexuelles. Sous cetangle, elle a maintenu la thèse adoptée jusqu’à présent : la privation de concevoir un enfant feraitpartie des limitations inévitables de cette peine dès lors que cet acte implique que les autoritésrenoncent à l’exercice du contrôle des contacts avec l’extérieur 2622 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082617 CEDH, Dickson et Dickson c. R.U., préc., § 38.2618 Ibid.2619 Dikson et Dickson c. R.U., [GC], CEDH, 2007-XII, § 75.2620 Ibid., § 76.2621 Dikson et Dickson c. R.U., [GC], préc., § 76.2622 « Il reste que toute mesure de privation de liberté a par définition un impact sur les circonstances ordinairesde la vie en liberté et entraîne inévitablement des limitations et un certain frein à l’exercice des droits consacréspar la Convention, y compris des mesures de contrôle sur les contacts des détenus avec le monde extérieur et,particulièrement aux fins de la présente requête, la possibilité de concevoir un enfant. Le fait même d’un telcontrôle n’est pas, en soi, incompatible avec la Convention. La principale question est de savoir si la nature etla portée de ce contrôle peuvent être jugées conforme à la Convention », CEDH, Dickson et Dickson c. R.U.,


537Concernant précisément les relations sexuelles, aussi bien la Commission, en 1987, que la Couren 2006, se sont contentées d’exprimer leur satisfaction et d’approuver les réformes des paysautorisant les visites conjugales 2623 . Mais pour des raisons d’ordre et de sécurité dans la prison, ellesne les ont pas reconnues comme un droit des détenus créant l’obligation positive des Etats à lesgarantir. Alors même que l’argument de l’absence de majorité des pays européens autorisant de tellesvisites, s’il était valable pour la Commission en 1978 2624 (mais moins en 1997 puisque, selon sonpropre aveu, le nombre de pays autorisant les visites conjugales en prison avait nettement progressé2625 ), ne l’était plus pour la Cour en 2006 2626 . D’après le propre constat de cette dernière, plus de lamoitié des pays européens autorisaient à ce moment les visites intimes. Or cette instance a jugé quede telles visites continuaient à relever de la marge nationale d’appréciation 2627 .A l’état actuel, nous pouvons continuer de prétende que les détenus continuent à être privés dudroit d’avoir un enfant. Cette possibilité n’est que marginale et médicalisée ; elle est ouverte auxcouples qui présentent des problèmes médicaux pour concevoir un enfant dans des conditionsnaturelles. Quelles sont en réalité les justifications de la privation du détenu du droit de procréer ?Uniquement l’intérêt de l'enfant ? ou également une sorte d’eugénisme moraliste, en application duproverbe « tel père, tel fils » ? ou encore des considérations d’économie du coût financier quereprésenterait pour la sécurité sociale et les allocations familiales la naissance d'enfants dans unefamille monoparentale et très probablement assistée ?préc., § 27. Voir CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 98 ; CEDH, Kalachnikov c. Russie, préc. ; CEDH,Klamecki c. Pologne (n o 2), n o 31583/96, CEDH 2003-IV, § 144 ; CEDH, Aliev c. Ukraine, préc., § 187.2623 La Commission « avait noté avec satisfaction le mouvement de réforme dans plusieurs pays européens etles possibilités pour les détenus de maintenir dans une certaine mesure leur vie conjugale », D 8166/78 (X etY/Suisse), préc., p. 241, et la Cour «… si elle a exprimé son approbation devant la tendance, perceptible dansplusieurs Etats européens, consistant à autoriser les visites conjugales… », CEDH, Dickson et Dickson c. R.U,préc., § 31.2624 « Elle avait constaté que « la pratique générale dans les Etats Parties à la Convention consiste toutefois,pour le moment, à ne pas permettre les relations sexuelles en prison », D 8166/78 (X et Y/Suisse), préc.2625 D 32094/96 (E.L.H/R.U), 22.10.1997.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082626 Dans l’arrêt Dickson et Dickson c. R.U., précité, ni d’ailleurs en 2003, lorsque la Cour avait refusé lesvisites conjugales intimes dans l’affaire Aliev c. Ukraine, précitée.2627 « La Cour ne voit en outre à cet égard aucun « consensus susceptible de se faire jour quant aux normes àatteindre » (Christine Goodwin c. R.U., [GC], n o 28957/95, § 74, CEDH 2002-VI). Certes, il apparaît que plusde la moitié des Etats contractants autorisent les visites conjugales pour les détenus, sous réserve de diversesrestrictions, mesure qui peut être considérée comme un moyen pour les autorités d’éviter de se plier à lanécessité d’offrir en plus des aménagements permettant l’insémination artificielle. Cependant, la Courremarque que, si elle a exprimé son approbation devant la tendance, perceptible dans plusieurs Etats européens,consistant à autoriser les visites conjugales, elle n’a pas encore interprété la Convention comme faisantobligation aux Etats membres de prévoir de telles visites (Aliev c. Ukraine, préc., § 188). En conséquence, ils’agit là d’un domaine pour lequel les Etats contractants jouissent d’une ample marge d’appréciation s’agissantde déterminer les mesures à prendre pour se conformer à la Convention, compte dûment tenu des besoins etressources de la société et de l’individu », CEDH, Dickson et Dickson c. R.U., préc., § 31. Voir Dikson etDickson c. R.U., [GC], préc., § 81.


538Seul l’intérêt de l'enfant peut éthiquement et juridiquement être accepté. L'intérêt de l'enfant,compromis par le risque d'être élevé dans une famille monoparentale, suffit-il à justifier la privationdes détenus du droit d’avoir un enfant ?A ce propos, nous devons souligner d'abord que les familles de détenus ne sont pas les seulesfamilles monoparentales. Tout enfant, même conçu dans le projet d'être élevé par ses deux parents,n'est pas à l'abri du divorce de ceux-ci. En 2001, en France, une famille sur quatre avec enfant étaitmonoparentale 2628 . Le même constat est fait au sein de l’Union européenne. En 1998, les famillesmonoparentales représentaient 14 % du total des familles avec enfant à charge (en progressionconstante depuis quinze ans) 2629 .Toujours en France, le nombre de divorces s'élève à plus de 120 000 par an depuis 1995 2630 . En2005, ils ont atteint le nombre de 152 020 2631 . A côté de ces phénomènes, il convient d'ajouter lesfemmes enceintes célibataires. Dans l'intérêt de l'enfant, on ne leur conseille cependant pasd'avorter ! Soulignons ensuite que le risque pour l'enfant d'être élevé dans une famille monoparentalene peut pas être une raison officiellement acceptée, dès lors que, dans le cas des détenus, l'Etat créelui-même des familles monoparentales par sa propre intervention, à savoir le recours à l'exécution dela peine privative de liberté par l'emprisonnement.Mais la véritable raison ne résiderait pas véritablement dans l'intérêt de l'enfant ; elle résideraitdans une certaine conception de la peine privative de liberté et du fonctionnement de la prison allantau-delà de la simple privation de la liberté physique, pour inclure celle de la vie sexuelle. C'est bienune telle conception qu'ont cautionné aussi bien la Commission que la Cour en invoquant des raisonsde sécurité et d’ordre dans la prison qui s’opposeraient au renoncement de la surveillance descontacts avec les visiteurs 2632 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Pourtant, ce raisonnement est diamétralement opposé à celui adopté par la Commissionconcernant le droit des détenus de se marier. A propos de ce dernier, cette instance avait refuséd'imputer au détenu l'impossibilité de se marier en engageant la responsabilité de l'administrationpénitentiaire de garantir au moins la substance de ce droit 2633 . Or à propos de l'impossibilité de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008procréer et de fonder une famille, la jurisprudence européenne impute l'entière responsabilité au2628 INSEE, n° 789, juillet 2001.2629 INSEE, n° 620, décembre 1998.2630 A. BENABENT, Droit civil, La famille, Litec, 10 ème éd., p. 137.2631 www.insee.fr/fr/ffc/chifcle_fiche.asp?ref_id=NATCCF02302&tab_id=12.2632 D 8166/78 (X et Y/Suisse), préc., p. 241 ; D 32094/96 (E.L.H/R.U), 22.10.1997, validée par la Cour dansl’arrêt Aliev : « Améliorer des conditions de prison en facilitant des visites conjugales, la Cour considère que lerefus de telles visites peut être considéré comme justifié pour la prévention de désordre et le crime dans lasignification du deuxième paragraphe de l’article 8 de la Convention », CEDH, Aliev c.Ukraine, préc., § 188.2633 R 7114/75 (Hamer/R.U), préc. ; R 8186/78, (Draper/R.U.), préc.


539détenu et non à l'abstention de l'administration pénitentiaire à prendre les mesures nécessaires pourgarantir cet aspect de la vie privée et familiale.2. La reconnaissance timide aux détenus du droit d’avoir un enfant au sein des droits nationauxQuant aux droits nationaux, ils confirment la thèse que la raison, loin d'être liée à l'intérêt del'enfant, est liée à la question de la garantie ou pas des relations sexuelles aux détenus.Le droit grec nous offre également la preuve que la raison principale de la privation pour lesdétenus d'avoir un enfant réside dans le fait que le législateur n’est pas prêt à garantir aux détenusdes relations sexuelles. C'est bien ce que révèle le motif derrière lequel s'est réfugié le législateurgrec pour justifier l'omission des visites conjugales dans la réforme du droit pénitentiaire grec en1989 : l'opinion publique n'était pas prête à les accepter 2634 .Comme ne le serait non plus l’opinion publique française, d’après la directrice de la maisoncentrale de Poissy en parlant des « bébés parloirs »: « On n'a jamais voulu regarder ce problème enface car, pour l'opinion, la privation de sexualité fait partie de la peine 2635 ». Mais des progrèsréalisés en France depuis 2005 sont à signaler, qui offrent pour une partie de détenus le moyend’avoir un enfant comme l’avait souhaité le milieu médical dès le début des années 1990 en refusantde servir de solution technique à un problème social. En effet, en 1991, l’autorisation donnée par unJAP à un détenu pour donner son sperme à son épouse atteinte d'une pathologie l'empêchant d'avoirune fécondation naturelle, avait soulevé des critiques en raison de la discrimination qu'elle créeraitparmi les autres détenus, car elle priverait du droit à l'enfant ceux dont le couple ne souffriraitd'aucune pathologie. Afin d'éviter une telle discrimination, une des idées avancées était de fairebénéficier tous les détenus de l'accès à la PMA. Mais les médecins avaient refusé d'assimiler l'état dedétention à une situation pathologique du couple et de se servir de la technologie médicale commesolution à un problème social 2636 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Il est pourtant à souligner, concernant cette question en droit français, que celui-ci expérimentedepuis 2005 les Unités de visite familiales (UVF) 2637 . Il s’agit de studios aménagés permettant auxUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008détenus condamnés à de longues peines et ne bénéficiant pas de permission de sortie de voir leursfamilles dans un cadre d’intimité totale, pendant soixante-douze heures maximum. Le commissaire2634 Sophronistiki nomothessia (Législation pénitentiaire), préc., pp. 43-44. Point critiqué par Ch. BAKAS,« Le Nouveau Code pénitentiaire », Poinika, n° 27, pp. 135-136.2635 « Parloirs intimes », Nathalie Guibert, Le Monde, 8/6/2006.2636 « Procréer en prison », Le Monde, 10-11 mars 1991, pp. 1, 8 ; Ph. PORRET, « Le recours aux procréationsmédicalement assistées pour les détenus : une aberration ? », Esprit, 1991, n° 9, pp. 129-132.2637 Initialement, dans trois établissements, à Poissy (Yvelines), Saint-Martin-de-Ré (Charente-Maritime)et à laprison des femmes de Rennes. En 2007, sept prisons au total disposent d’UVF (avec l’ouverture dans lesprisons de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne), Liancourt (Oise), Avignon-Le Pontet et Toulon-La Farlède).


540européen aux droits de l’homme, Gil-Roblès, considérant ce dispositif « très important, favorisant lerespect de la dignité humaine et la réinsertion », en 2006, a recommandé aux autorités françaises dele généraliser 2638 . Actuellement les unités étant coûteuses et lourdes à mettre en place, certainsdirecteurs de prisons ont créé dans des maisons centrales une trentaine de « parloirs familiaux » quisont de petites salles préservant la confidentialité et l'intimité 2639 .D’autres pays ont également opté pour ce type de solution. Selon une étude du Sénat menée en2006 2640 en Espagne, les détenus qui ne peuvent pas bénéficier de permissions de sortir ont le droitde recevoir dans des locaux annexes spécialement aménagés des visites à caractère intime : une foispar mois, à ceux qui peuvent apporter la preuve écrite d'une relation affective stable d'au moins sixmois ; et une visite conviviale trimestrielle d'une durée maximale de six heures, à ceux qui sontmariés ou non, mais qui, avant leur incarcération, vivaient au sein d'un couple stable, ainsi qu'à leursenfants de moins de dix ans. Au Danemark, toutes les visites ont lieu dans des parloirs individuels,qui sont meublés comme des salons familiaux. En Suède, les visites ont lieu soit dans des parloirsindividuels meublés soit dans les cellules ou dans les espaces collectifs de l'établissement, selon quel'intéressé est détenu dans un établissement fermé ou non. Aux Pays-Bas, les directeurs peuventdécider d'accorder aux détenus qui purgent de longues peines des visites non surveillées, qui sedéroulent dans des parloirs individuels meublés. Ou encore en République de Moldavie, toutes lesvisites familiales peuvent avoir lieu dans des hôtels pénitentiaires, qui se trouvent dans le sitepénitentiaire, pendant plusieurs jours 2641 .L'examen du droit de fonder une famille au sein de la jurisprudence européenne fait doncapparaître que les détenus étant, d'une part, privés du droit de vivre en couple et, d'autre part, du droitd'engendrer, sont privés du droit de fonder une famille durant leur enfermement. Ainsi la prisonaccomplit également cette fonction : la contraception forcée des détenus et de leur conjoint oucompagnon. Or cette conséquence est critiquable pour plus d'une raison. La privation de fonder unefamille porte atteinte au principe de légalité des peines, car elle est une conséquence sur-pénalisantepour le détenu ; elle porte également atteinte au principe de personnalité des peines, car elle est uneconséquence également para-pénalisante dès lors qu'elle pénalise également le conjoint ou lecompagnon du détenu- ; enfin, elle porte atteinte au principe de respect absolu dans l'application des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008droits de l'homme, à savoir la sauvegarde de la substance des droits de l'homme. Elle met, parconséquent, en cause l'identité de la société démocratique. Car nous observons, dans le raisonnementappliqué, qu'il ne s'agit pas d'acceptation dans la prison d'un simple écart dans l'équilibre à ménager2638 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, (2006), préc., pp. 110-112.2639 Pour un premier bilan bénéfique du fonctionnement des UVF en France, voir J. ALVAREZ,« Chronique de l’exécution des peines :Les unités familiales », RSC, 2006-3.2640 SENAT, Le maintien des liens familiaux en p ALVAREZ J., « Chronique de l’exécution despeines :Les unités familiales », RSC, 2006-3.rison, Etude préc.2641 Ministère de la Justice, Rapport du groupe de réflexion sur les UVF, 1985.


541entre l'exercice d'un droit de l'homme et l'intérêt général par rapport à l'extérieur, mais del'acceptation de la suppression de cet équilibre aux dépens du respect du droit de fonder une famille.Le détenu étant privé du droit de fonder une famille, les seuls liens familiaux qu'il puisseconserver sont ceux qu'il a eu la chance d'avoir avant son enfermement. Ses droits relatifs au respectde la vie familiale et de la famille sont donc limités au droit de « maintenir des liens familiaux ».SECTION 2. <strong>LE</strong>S RESTRICTIONS AU MAINTIEN <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE FAMILIA<strong>LE</strong>Le « maintien des liens familiaux » est indéniablement l'aspect de la vie privée et familiale desdétenus le mieux protégé aussi bien dans les droits nationaux que dans la jurisprudence européenne.C'est le seul aspect dans la protection duquel on reconnaît que l'intérêt général converge avec l'intérêtdu détenu et de sa famille. Mais ce n'est pas tant sa considération comme un droit du détenu et de safamille qui a contribué à cette reconnaissance. Ce qui y a contribué de manière décisive, c'est,comme nous l'avons déjà souligné lors de l'introduction au respect de la vie familiale, le rôleprimordial reconnu à la famille dans la politique du traitement des détenus en vue de leur réinsertionsociale, et, dans une certaine mesure, le souci d'humanisation de cette peine pour le détenu et safamille. Aussi, la prise en compte du traitement des détenus non seulement ne s'oppose pas àl'exercice des droits de l'homme, (alors qu'une telle opposition est souvent excipée par les autoritéspénitentiaires dans l'exercice d'autres droits de l'homme), mais elle contribue fortement à garantir lemaintien des liens familiaux.Cela dit dans une approche juridique du respect de la vie familiale, qui est la nôtre, le motif de lacontribution de la famille à la réinsertion du détenu ne peut être que supplémentaire. La garantieeffective de ces liens étant un impératif juridique en soi, impose de l'aborder au-delà du bénéficequ'elle représente pour le traitement du détenu. Elle impose de l'aborder également, d'une part,comme un droit du détenu qui, étant distinct du droit à la liberté, doit lui être assuré en vertu duprincipe de légalité des peines, et, d'autre part, comme un droit de la famille. Celle-ci ne doit pas êtreconsidérée uniquement sous l'angle d'agent de traitement, et donc comme instrument de la politiquepénitentiaire.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Ainsi que l'a souligné Françoise Tulkens, les études menées jusqu'à présent, « n'interrogent pasles effets négatifs que produit le système pénal sur les familles des détenus, mais elles cherchentplutôt à conformer les familles à ses propres exigences. L'objectif demeure, en définitive, uneaugmentation du contrôle sur l'ensemble de la famille en vue d'une meilleure performativité dusystème pénal 2642 ». Or, dans l'aménagement des liens familiaux des détenus, il faut avoir à l'espritque cet aménagement détermine en même temps l'exercice du droit au respect de la vie familiale de2642 F. TULKENS, « Les effets sociaux liés à la détention », préc.


542la part de la famille du détenu. D'autant plus que la famille dispose d'un moyen juridique de défensesupplémentaire de ce droit, et non le moindre : le respect du principe de personnalité de la peine.Conformément à ce principe, la peine privative de liberté, pas plus que toute autre peine, ne doitavoir de conséquences sur la famille. C'est en ayant à l'esprit ces impératifs juridiques, que nousallons examiner quel est l'état de protection de ce droit dans la jurisprudence européenne et dans lesdroits français et grec, et déterminer ainsi les conséquences juridiques de la peine privative de libertésur le droit à la vie familiale.Mais il importe, au préalable, de souligner qu'une dérogation est d'emblée acceptée dans lerespect de la vie familiale des détenus et de leur famille : la dérogation au respect de la communautéde vie. En effet, en principe, la notion de « vie familiale normale », autour de laquelle la Courconstruit son raisonnement, implique le respect de la communauté de vie et, à défaut, le maintien desliens effectifs et substantiels entre les membres d'une famille. Dans le cas où l'un de ses membres estun détenu, ce raisonnement est automatiquement limité à la garantie du maintien de tels liens. Ainsi,cet exemple nous permet d'observer à propos de la communauté de vie que, si elle n'est pasindispensable pour établir l'existence d'une vie familiale, elle ne l'est pas non plus pour garantir sonrespect effectif. A ce propos, nous constatons d'ailleurs une autre dérogation. Alors que touteséparation familiale imposée par les autorités est analysée comme une ingérence dans la vie familialequi doit alors être justifiée par les Etats, qu'il s'agisse d'une ingérence positive (commandée, parexemple, par l'intérêt de l'enfant, comme celle consistant à séparer de sa famille un enfant endanger 2643 , ou pour résoudre des conflits nés de la séparation volontaire d'un couple ayant desenfants), ou qu'il s'agisse d'une ingérence négative (commandée par l'ordre et l'intérêt général,comme l'exclusion d'un étranger ayant de la famille sur le sol du pays qui l'expulse) 2644 , dans le casdes détenus, il en va autrement.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Les instances européennes non seulement justifient d'emblée la séparation familiale entraînée parla détention, mais en adoptent un raisonnement fort proche de celui abandonné depuis l'arrêt Golder,à savoir que les restrictions ou privations dans l'exercice des droits de l'homme par les détenusseraient inhérentes à la peine privative de liberté et/ou à la détention. Partant du principe que ladétention est en soi compatible avec la Convention 2645 , ces instances ne considèrent pas la séparationfamiliale comme une ingérence dans le respect de la vie familiale. C’est en effet une telle approche<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082643 CEDH, Couillard Maugery c. France, n° 64796/01, CEDH 2004-VII, § 244, à propos du placement desenfants de la requérante et des restrictions apportées à ses droits de visite et d’hébergement.2644 Voir parmi d'autres arrêts : l'arrêt Dalia, précité, à propos de l'expulsion d'une mère d'enfant mineur ; l'arrêtAhmut, précité, à propos du refus d'autoriser un enfant mineur à rejoindre son père installé aux Pays-Bas ; etl’arrêt Mehemi à propos de l’interdiction du territoire permanente commuée en interdiction de dix ans, suivied’un retour et d’une admission sur le territoire.2645 La Commission a toujours affirmé que l'ingérence de la détention dans la vie familiale est acceptée, car elleest nécessaire dans une société démocratique pour la prévention du désordre, des crimes ou la protection desdroits d'autrui, D 5712/72 (X/RU), 18.7.1974, D.R.46, p. 112.


543qui avait été adoptée par la Commission : « Dans ces conditions, elle n'estime pas que la séparationdes requérants d'avec leurs épouses puisse être considérée comme une ingérence dans le droit aurespect de la vie familiale sous l'angle de l'article 8 §1 2646 ».La Cour a confirmé cette analyse en acceptant « que toute détention régulière entraîne par sanature une restriction à la vie privée et familiale de l'intéressé 2647 ». Ce qui peut constituer uneingérence, ce sont des restrictions ajoutées telles que les restrictions de visites et de sorties,l'éloignement de la prison du domicile familial, les transferts non portés à la connaissance de lafamille.En revanche, en raison de cet effet inévitable, les obligations positives des Etats sont plusrenforcées. Ceux-ci doivent déployer tous les efforts pour protéger le droit au respect de la viefamiliale le plus efficacement possible par l'entretien des liens effectifs : « Il est cependant essentielau respect de la vie familiale que l'administration pénitentiaire et les autres autorités compétentesaident le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche 2648 ». Ce qui peut donc être considérécomme une ingérence dans la vie familiale des détenus et de sa famille, sera le manquement desEtats à leur obligation de prendre des mesures adéquates pour assurer les liens familiaux.Nous allons cependant voir que, si l'on peut encore défendre que l'emprisonnement ne porte pasatteinte à la substance de la vie familiale, le droit au respect de la vie familiale normale pouvant êtrelimité au maintien des liens effectifs (§ 1), en revanche, si l'on examine ses conséquences sur lafamille nucléaire (couple et enfants), le raisonnement des instances européennes touche les limites desa compatibilité avec les exigences d'un raisonnement sur l'application des droits de l'homme propreà une société démocratique. Tant il est difficile de parler de simples restrictions de la vie familiale :ces conséquences peuvent aller jusqu'à la dissolution de la vie familiale (§ 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>§ 1. Les restrictions du droit à une "vie familiale normale"<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082646 D 8022, 8025, 8027/ 77 (V/RU), 18.3.1981, D.R.25, p. 96. De même, dans une affaire dans laquelle ledétenu se plaignait que sa peine l'aurait empêché de consommer son mariage et de fonder une famille, laCommission a estimé que même si ces accusations sont valables au regard du droit interne, une détentionrégulière porte nécessairement ingérence dans les relations d'un couple marié et ne constitue pas, en elle-même,une violation de l'article 12, D 11579/85 (Janis Khan/RU), 7.7.1986, D.R.38, pp. 253-257.2647 CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., § 139. Voir aussi, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 61 ; CEDH, Aliev c.Ukraine, préc. § 187 ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 68 ; CEDH, Dickson et Dickson c. R.U., préc.,§ 27.2648 CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., § 139 ; CEDH, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 61, § 68 ; Alievc.Ukraine, préc., § 187; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 68 ; CEDH, Kucera c. Slovaquie, préc. ;D 13756/88, (Ouinas/France), 12.3.1990, D.R. 65, p. 265.


544Ce qui caractérise la protection européenne des relations familiales, c’est, d’une part,l’acceptation de la séparation comme une conséquence inévitable de la détention 2649 , mais d’autrepart, la considération de leur sauvegarde comme essentielle. D’où l’obligation des autoritéspénitentiaires de prendre des mesures propres à contrebalancer les effets de la séparation 2650 . A cetégard, la jurisprudence européenne n’a créé d’obligation que concernant la correspondance et lesvisites familiales (A), mais pas encore concernant les sorties (B).A. Les visites familiales : un droit du détenu et de sa familleEu égard à la protection européenne et nationale assurée aux visites familiales, celles-ciconstituent indéniablement le moyen le mieux protégé dans l'entretien des liens familiaux. Si au seinde la jurisprudence européenne, leur garantie ne se distingue guère de celle des visites privées ausens qu’elles jouissent toutes de mêmes garanties (1), en revanche, au sein des droits grec et français,seules les visites familiales bénéficient d’une protection efficace (2).1. La protection européenneLes visites constituent un moyen précieux pour maintenir la vie familiale. Si bien que, la Courestime que seul un « besoin social pressant » puisse justifier des limitations 2651 .Toutefois, nous observons, quant à la garantie effective de ce moyen de maintien des liensfamiliaux, qu’elle ne se distingue pas de celle des visites en général. Les restrictions et le contrôleque comporte le régime ordinaire de détention sont considérés comme normaux 2652 . Seules lesrestrictions supplémentaires sont analysées comme des ingérences dans la vie familiale ; desrestrictions qui peuvent être dues à une sanction disciplinaire, à l’application d’un régimerenforcé 2653 ou encore au régime de la détention provisoire qui est déterminé par les nécessités del’enquête 2654 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2649 « La Cour rappelle que toute détention régulière au regard de l’article 5 de la Convention entraîne, parnature, une restriction à la vie privée et familiale de l’intéressé. S’il est essentiel au respect de la vie familialeque l’administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir le contact avec sa famille », CEDH, Kucera c.Slovaquie, préc., § 127 ; Voir aussi, entre autres : CEDH, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 61 ; CEDH, CEDH,Kalachnikov c. Russie, préc. ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 68 ; CEDH, Dickson et Dickson c.R.U., préc., § 27 ; CEDH, Aliev c.Ukraine, préc. ; D Ouinas c. France, préc.2650 « Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que l'administration pénitentiaire aide le détenu àmaintenir un contact avec sa famille proche », CEDH, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 61 ; CEDH, Kucera c.Slovaquie, préc., § 127 ; CEDH, Kalachnikov c. Russie, préc. ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 68.2651 CEDH, Kucera c. Slovaquie, préc., § 127.2652 « La Cour reconnaît par ailleurs qu’une dose de contrôle des contacts des détenus avec le monde extérieurest nécessaire et non incompatible en soi avec la Convention », CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 68.Voir Messina c. Italie (n o 2), préc., § 61 ; CEDH, Dickson et Dickson, préc., §2 7.2653 CEDH, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 62 ; CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 69.2654 CEDH, Estrikh c.Lettonie, n°73819/01, CEDH 2007-I ; CEDH, Kucera c. Slovaquie, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


545Plus précisément, l’apport de la Cour dans le renforcement de la protection des liens familiauxest, d’abord, l’affirmation que les visites familiales constituent un droit à la fois pour le détenu etpour la famille, garanti par l’article 8. Ils ont donc droit à obtenir une autorisation de visite. LesEtats ne peuvent ni interdire ni supprimer ces visites ; ils peuvent seulement restreindre leur nombreet aménager les modalités de leur déroulement.Concernant le nombre, la fréquence et la durée, cette instance a déclaré ne pas entendre imposeraux Etats d'accorder un droit de visite illimité 2655 . En revanche, s'agissant de restrictionssupplémentaires à l'égard d'un détenu ou d’une catégorie de détenus par rapport au nombre 2656 et à ladurée 2657 des visites prévues par un droit national, elle les analyse comme des ingérences dansl'exercice du droit au respect de la vie familiale qui ne peuvent être justifiées que par des motifsprécis et graves 2658 . Elle a été amenée à justifier des limitations largement en deçà de ce qui constituela moyenne nationale, à savoir une visite hebdomadaire d’une demi-heure 2659 . Elle a précisémentestimé que deux visites par mois 2660 sont conformes à la Convention, mais aussi une visite par moispendant une heure 2661 et même pendant une demi-heure 2662 .De telles restrictions supplémentaires ont été justifiées par des motifs de maintien de l’ordre, dela sûreté publique et de la prévention des infractions pénales dans le cadre des régimes spéciaux,comme celui appliqué aux détenus appartenant au crime organisé en particulier de type mafieux oùles relations familiales jouent souvent un rôle primordial 2663 . Mais elles l’ont été également dans lecadre des régimes de haute sécurité et d’isolement carcéral qui existent dans pratiquement tous lespays de l’Europe 2664 .2655 D 9054/80 (X/RU), préc.2656 D 26772/95 (Labita/Ialie), 20.10.1997 ; CEDH, Marincola et Sestito, c. Italie (déc.), préc. ; CEDH,Messina c. Italie (n o 2), préc., § 65 ; CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., § 141.2657 Ainsi, la privation des personnes en détention provisoire des visites de longue durée qui existent enLettonie et leur limitation à des visites courtes d’une heure par mois constitue une ingérence, Estrikhc.Lettonie, n°73819/01, CEDH 2007-I, §§ 170-174.2658 Ainsi, s'agissant des restrictions des visites familiales d'un détenu accusé d'actes mafieux, la Commissionne les a justifiées qu'en raison des circonstances de l'espèce invoquée par le gouvernement défendeur : le risque<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...d'utilisation des contacts personnels pour communiquer avec le clan mafieux, d'autant plus que le beau-frère durequérant occupait une place importante dans le clan mafieux local, D 26772/95 (Labita/Ialie), 20.10. 1997 ;Messina c. Italie (n o 2), préc.2659 CEDH, Boyle et Rice, préc. Dans la plupart des pays européens, les visites familiales sont hebdomadaireset durent une demi-heure. Mais dans d'autres pays, comme la Finlande, la Lituanie et la Tchéquie, elles sontd'une durée bien plus longue. Par exemple en Ukraine, elles peuvent durer de quatre heures à trois jours parmois, M. HERZOG-EVANS, L’intimité du détenuet…, préc., p.31 s.2660 CEDH, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 61.2661 CEDH, Marincola et Sestito, c. Italie (déc.), préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082662 CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc.2663 CEDH, Marincola et Sestito, c. Italie (déc.), préc. ; CEDH, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 66.2664 « Par ailleurs, dans de nombreux Etats parties à la Convention, il existe des régimes de sécurité renforcée àl'égard des détenus dangereux. Ces régimes ont également comme base la mise à l'écart de la communautépénitentiaire, accompagnée d'un renforcement des contrôles », CEDH, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 66 ;CEDH, Van der Ven c. Pays-Bas, préc.


546Seule la privation totale de recevoir des visites pendant une certaine période ne peut, enprincipe, être justifiée. Cour et Commission ont constaté la violation de l’article 8 de la Conventiondans le cas de privation de visites qui ont duré un an et demi 2665 , treize mois 2666 ou un an 2667 . Toutesconcernaient des personnes en détention provisoire et la privation des visites était motivée par lesnécessités de l’enquête. La Cour estime que les autorités doivent assurer les visites en prenantsimplement des mesures de contrôle supplémentaires telle que la surveillance optique et/ouacoustique 2668 . La question demeure donc de savoir si des privations de durée moindre, comme cellede quarante-cinq jours qui accompagne à titre de sanction accessoire à la sanction disciplinaire demise en cellule, en droit français, portent violation du droit au respect de la vie familiale.Quant aux modalités de déroulement des visites, la Cour est loin d’être prête à garantir l’intimitédes visites. Saisie lors de l'affaire Boyle et Rice de la question relative à la surveillance étroite desvisites conjugales, elle a adopté un raisonnement diamétralement opposé à celui sur le respect del'intimité de la vie privée s'agissant de personnes libres. Alors que généralement la Cour considèretoute intrusion dans la vie privée comme une ingérence qui ne peut être justifiée que suite àl’appréciation de sa légitimité et de sa nécessité démocratique au regard de l'article 8 §2 de laConvention, dans le cas des détenus, elle a dérogé à son raisonnement au point d'affirmer que « lesvisites surveillées ne constituent pas une ingérence au sens de l'article 8 2669 ». Ce raisonnement estregrettable, tant il se rapproche de celui des limitations des droits de l'homme inhérentes ouimplicites à la détention, auquel cette même instance avait mis fin dans l'arrêt Golder (1975). En toutcas, il empêche la reconstitution de véritables moments de vie familiale, ne serait-ce que le temps desvisites ; cela sera impossible aussi longtemps que l'intimité ne sera pas garantie.Par rapport aux modalités de visites, la seule restriction qu’elle considère comme étant trèsample et qui, par conséquent, peut constituer une violation de la vie familiale, est la privationtemporaire ou permanente pour un détenu ou un groupe de détenus de recevoir des visites sansdispositif de séparation et/ou sans surveillance en dérogation au régime de détention ordinaire 2670 .L’absence des contacts physiques affecte la qualité des relations familiales, d’autant plus lorsqu’elleest prolongée, estime la Cour 2671 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Aussi, ni la jurisprudence européenne ni d'ailleurs les Règles pénitentiaires européennes ne sontellesà même d'impulser l'évolution des droits nationaux vers la garantie de l'intimité des visites2665 CEDH, Lavents c. Lettonie, préc., §§ 138-141.2666 CEDH, Kucera c. Slovaquie, préc., §§ 129-130.2667 D 17261/90, (C/France), 30.8.1993.2668 CEDH, Kucera c. Slovaquie, préc., §§ 129-130.2669 CEDH, Boyle et Rice c.R.U., préc., § 77.2670 CEDH, Messina c. Italie (n o 2), préc., § 61 ; CEDH, Marincola et Sestito, c. Italie (déc.), préc. ; CEDH,Van der Ven c. Pays-Bas, préc., § 69.2671 CEDH, Ciorap c. Moldova, préc., § 118.


547familiales. Le texte de ces règles préconise seulement que « les modalités des visites doiventpermettre aux détenus de maintenir et de développer des relations familiales de façon aussi normaleque possible » (Règle 24.4) sans autre précision. A ce jour, au niveau européen, seule laRecommandation 1340(1997) relative aux effets de la détention sur le plan familial et social del'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe constitue une exception. Parmi sesrecommandations figure l’amélioration des conditions des visites en prison des familles,« notamment par la mise en place de lieux d’intimité appropriés ».2. La protection nationaleLes droits grec et français assurent aux visites familiales une protection nettement privilégiée parrapport aux autres visites privées, en dehors de l’intimité. Les visites familiales constituent un droitpour les détenus, même si, en droit français, le terme « droit » ne figure pas. Ce dernier garantit lesvisites familiales en ces termes : « Sous réserve des motifs liés au maintien de la sécurité ou au bonordre de l'établissement, le chef d’établissement ne peut refuser de délivrer un permis de visite auxmembres de la famille d’un condamné ou à son tuteur » (art. D. 404 CPP). Alors que la délivranced’un tel permis à d’autres personnes, en plus des motifs cités, est soumise également à l’appréciationdu chef de l’établissement sur la contribution de ces personnes à l’« insertion sociale ouprofessionnelle » du détenu (art. D. 404 CPP). En droit grec, les visites familiales sont énoncéescomme un droit des détenus : « Chaque détenu a le droit de recevoir au moins une fois par semainedes visites de parents jusqu'au quatrième degré » (art. 52 §1, C. pénit.). L'autorisation pour d’autrespersonnes privées de visiter un détenu est, en revanche, soumise à l'appréciation de leur influencenon négative et laissée au pouvoir discrétionnaire du conseil de la prison (art. 52 §2, C. pénit.). C’estsous l’autorisation du Procureur chargé du contrôle d’exécution des peines d’une prison que lesvisites entre conjoints ou parents détenus peuvent également avoir lieu (art. 21 § 12 Règl. Intér.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Concernant le nombre et la fréquence des visites, ces deux droits se situent parmi les droitsnationaux dont les normes sont supérieures à celles admises par la Cour. Comme, on vient de lementionner, le droit grec prévoit une visite d’une demi-heure minimum par semaine, et le règlementintérieur peut autoriser des visites plus longues et plus fréquentes (art. 52 §1, §4, C. pénit.). Les<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008prévenus y ont droit deux fois par semaine et les détenus pour dettes y ont droit sans limites (art. 21§2, Règlement intérieur). Il existe des prisons où les détenus sont autorisés à recevoir des visites troisfois par semaine 2672 . En droit français, les condamnés peuvent recevoir au minimum une visite d’unedemi-heure par semaine et les prévenus trois fois par semaine (art. D 410, al. 2, CPP). De mêmequ’en droit grec le règlement intérieur peut en prévoir un plus grand nombre et une durée plus2672 N. KOURAKIS, Ph., MILIONI, (dir.), « Enquête dans les prisons grecques », Poinika, n° 44, Athènes, éd.Sakkoulas, 1995, p. 351.


548longue. Dans la réalité, 31% des condamnés reçoivent deux visites par semaine, et 19 % plus de deuxvisites par semaine 2673 .Quant à la privation totale de visites pendant une certaine durée, le droit français en prévoitexpressément à titre de sanction disciplinaire. En effet, si la correspondance ne figure plus parmi lessanctions accessoires à la mise en cellule de punition, les visites, y compris familiales, continuent àen faire partie, (art. D. 251-3 al.a et D 409 CPP). Cette privation peut durer jusqu'à quarante-cinqjours (art. D 251-3 al.c CPP). En droit français, les personnes prévenues peuvent subir également uneautre privation de visite. Au début de leur incarcération, le juge d’instruction peut prescrire uneinterdiction de communiquer pour dix jours renouvelable une seule fois pour la même durée (art.145-4, al.a, CPP). Concernant les visites, leur privation peut durer plus d’un mois. L’article 145-4,al.c, du Code de procédure pénale prévoit seulement qu’à l’issue d’un mois il ne peut refuser lesvisites familiales que par décision écrite et spécialement motivée par les nécessités de l’instruction.Une telle décision peut être déférée au président de la chambre d'instruction qui statue rapidement(dans un délai de cinq jours) par une décision non assortie de recours (art. 145-4, al.d, CPP). Il esttoutefois à noter que cette disposition, bien qu’adoptée par des lois 2674 postérieures à une décision dela Commission européenne des droits de l’homme qui mettait en cause le régime antérieur en lamatière, est insuffisante pour garantir la conformité du droit français à la Convention. Elle neprémunit pas les intéressés contre un refus de visite prolongé, ce qui était le grief dans ladite décisiondéclarée recevable 2675 . La famille d'un prévenu illettré n’avait été autorisée à lui rendre visite qu’unan après sa mise en détention.En droit grec, la privation des visites n’est plus possible depuis la suppression, dans la liste dessanctions disciplinaires, de la privation de correspondance et de visites, à savoir depuis l’applicationde l’actuel code pénitentiaire (1999). Les auteurs de ce code ont estimé que, s’agissant de droitsconstitutionnels garantis à toute personne, ils ne peuvent pas faire l’objet de sanctionsdisciplinaires 2676 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Quant aux restrictions des modalités du déroulement des visites, alors que le droit français aélargi les visites sans dispositif de séparation -ce n’est qu’à titre de sanction que les détenus peuventUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008en être privés 2677 -, en droit grec c’est le contraire. C’est sur autorisation du conseil de prison et aprèsdemande expresse du détenu que celui-ci peut avoir une visite sans dispositif de séparation (art. 21 §2673 EICHHOLTZER H., Etat des lieux des pratiques existantes, préc., pp. 89-91.2674 Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 et Loi n° 96-1235 du 30 décembre 1996.2675 D 17261/90, (C/France), 30.8.1993.2676 Rapport introductif au nouveau code pénitentiaire, in Code pénitentiaire, Athènes, éd. Sakkoulas, 2001,p. 35.2677 La suppression de l’accès au parloir sans dispositif de séparation pour une période maximum de quatremois lorsque la faute disciplinaire a été commise au cours, ou à l’occasion, d’une visite (art. D 251-1-4°, CPP).


5497 Règlem. intér.). Les visites des enfants et conjoints peuvent avoir lieu dans les deux pays dans deslocaux spécialement aménagés.Enfin, l’intimité familiale n’est pas encore garantie sauf, en France, à certains détenus de longuespeines. Comme nous l’avons vu, des UVF sont, depuis 2005, installées dans dix prisons. Ce sont desstudios aménagés hors des locaux de détention. Nous y reviendrons lors de l’examen du droit desdétenus à procréer. Le principe demeure que les visites ont lieu sous la surveillance optique etacoustique. En revanche, en Grèce, les visites ont lieu uniquement sous contrôle optique (art. 21 § 7Règlem. Intér.).Nous constatons donc que la famille est, en tant qu'institution, bien plus faible que d'autresinstitutions telles que la justice et la religion ou encore le corps médical. En droit grec et en droitfrançais, les visites des personnes représentant la justice, la religion ou le corps médical ne peuventêtre supprimées à titre de sanction disciplinaire (ni autonome ni accessoire), et leurs contacts avec lesdétenus bénéficient de la confidentialité. De plus, le bon fonctionnement de la justice etl'administration des soins médicaux adéquats imposent aux autorités pénitentiaires d'autoriser lesdétenus de sortir de la prison, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas concernant les sortiesfamiliales.B. Sorties familiales : un droit des détenus en devenirTant au sein des droits grec et français (1) qu’au sein de la jurisprudence européenne (2), laprotection des sorties, ces « faveurs éphémères », selon Jacques-Henir Robert 2678 , diffère suivantqu’il s’agit de sorties exceptionnelles ou ordinaires, en soulignant cette différence notable de lajurisprudence européenne : les sorties ordinaires ne sont toujours pas garanties.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. La protection nationale<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Aussi bien en droit grec qu’en droit français, les détenus peuvent bénéficier de sorties pour desraisons familiales. Toutefois, elles sont loin d’être entourées des mêmes garanties que les visites.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Alors que ces dernières doivent être autorisées sur simple présentation de justificatif d'un lienfamilial et que leur refus doit être justifié et susceptible d’un contrôle juridictionnel, il n’en est pas demême concernant les sorties familiales. La demande de ces dernières doit être fondée sur un motifprécis et leur octroi dépend de l’appréciation de l’organe compétent. Cela dit, la marged’appréciation diffère selon les motifs et le recours en fonction du type de sorties : les sortiesexceptionnelles (a) et les sorties ordinaires (b).2678 J.-H., ROBERT, Droit pénal général, 6 e éd., Paris, PUF, 2005, p. 513.


550a. Les sorties familiales exceptionnellesLe droit français prévoit deux types de sorties non ordinaires. Les permissions de sortir pour descirconstances familiales graves et les autorisations de sortie sous escorte à titre exceptionnel. Lespremières sont prévues pour des motifs tels qu'une maladie grave ou le décès d'un membre de lafamille proche, pour trois jours au maximum (art. D 425 CPP). Tous les détenus ne peuvent pourtantpas en bénéficier. Seuls peuvent y prétendre les détenus condamnés à une peine inférieure ou égale àcinq ans, et ceux qui ont exécuté la moitié de leur peine pour les condamnés à une peine supérieure(art D. 144 CPP). Les sorties sous escorte sont accordées aux prévenus par le juge d’instruction ou letribunal de condamnation (art. 148-5 CPP) et aux condamnés par le JAP (art. 723-6 CPP).Contrairement aux premières, elles sont accessibles à tous les détenus sans considération de la peineprononcée ou du reliquat de la peine.Le droit grec prévoit un seul type de sorties familiales exceptionnelles. Elles sont accordées pourdes raisons familiales de caractère exceptionnel et pour vingt-quatre heures maximum (art. 57 §1, C.pénit.) 2679 . Tous les détenus peuvent en bénéficier sans considération de leur condamnation ou dureliquat de leur peine. Cette dernière condition est supprimée depuis 1995 2680 . La décision appartientau Procureur de la République. Toutefois, le chef d’établissement peut prendre seul une telledécision (dont il informe immédiatement le Procureur de la République, en cas d’enterrement d’unproche ou de problèmes de santé très graves et urgents des parents jusqu’au second degré, et del’époux ou de l’épouse (art. 57, C. pénit.).b. Les sorties familiales ordinaires ou régulièresC’est notamment ce type de sorties qui peut le mieux contribuer au maintien des liens familiauxen même temps qu’à la réinsertion des détenus, puisqu’elles peuvent être accordées régulièrement eten dehors des circonstances exceptionnelles.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...En droit grec, elles sont intitulées « permissions régulières » (art. 54-56 C. pénit.). Les détenuspeuvent en effet les demander tous les deux mois sous condition d’avoir exécuté une partie de leurUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008peine. Les condamnés à une peine temporaire doivent avoir exécuté le cinquième de leur peine, et aumoins trois mois ; les condamnés à perpétuité doivent avoir exécuté huit ans (art. 55 §2 C. pénit.). Ensont exclus, les condamnés pour haute trahison et les personnes irresponsables pénalement en raisonde troubles mentaux et internées dans un établissement thérapeutique (art. 54 §1, §3, C. pénit.). Ensont aussi exclus pendant un an, après leur retour en prison, les détenus ayant profité de leur dernière2679 Le Code pénitentiaire prévoit seulement que les sorties exceptionnelles peuvent être accordées pour des« raisons familiales et professionnelles ou pour d’autres imprévus et urgences de caractère exceptionnel » etpour une durée maximale de vingt-quatre heures (art. 57 §1, C. pénit.).2680 Par l’article 21 §3-c de la loi n° 2331/95.


551permission pour s’évader (art. 54 §8 C. pénit.). En revanche, il est précisé que le fait que l’intéressésoit sans domicile, sans famille ou étranger ne doit pas l’exclure de la possibilité d’avoir de tellespermissions (art. 54 §4, C. pénit.). Enfin, les condamnés pour trafic de stupéfiants sont, pardérogation au régime ordinaire introduit par la loi n° 2943/2001, soumis à des délais plus longs pourl’obtention de permissions de sortir. Les condamnés à une peine temporaire doivent avoir exécuté lesdeux cinquièmes de leur peine et les condamnés à perpétuité, au moins dix ans.Les sorties peuvent durer de vingt-quatre heures à cinq jours. Cette durée peut aller jusqu’à huitjours pour ceux ayant exécuté les deux cinquièmes de leur peine et aux condamnés à perpétuité ayantexécuté douze ans (art. 56 §1 C. pénit.). Leur durée annuelle totale ne peut dépasser les quarantejours (art. 56 §1-2 C. pénit) et elle est imputée à la peine.Quant à la procédure de leur octroi, elles doivent être demandées par les détenus auprès duconseil disciplinaire qui est l’organe compétent pour les accorder (art. 55 §2 C. pénit.). Celui-ciexamine les demandes au regard de trois critères : l’absence de danger de fuite, de commission denouvelles infractions et de mauvais usage de la permission 2681 .Il importe de souligner que le conseil de discipline n’a pas un pouvoir souverain. Toute décision derefus doit être motivée de manière circonstanciée et le second refus consécutif donne droit de recoursdevant le TAP (art. 54 §6 C. pénit.) 2682 . Ce droit de recours a donné lieu à une certaine jurisprudenceet à une interprétation des dispositions corrélatives. Ainsi est jugé bien fondé le refus d’accorder à undétenu une permission au motif que, lors de sa dernière permission, il s’était évadé alors qu’il avaitregagné la prison depuis plus d’un an 2683 . Le tribunal a jugé que cet élément peut être pris en comptepar le conseil disciplinaire pour l’appréciation globale de la personnalité de l’intéressé, même sicelui-ci a regagné la prison depuis plus d’un an 2684 . En revanche, est jugé illégal le refus d’accorderune permission au motif que l’intéressé ne séjournait dans la prison que depuis peu de temps (enl’occurrence depuis 8 mois), et que, de ce fait, le conseil n’a pu former une opinion sur son caractère.Le tribunal a souligné que le code pénitentiaire ne prévoit pas une condition de temps d’observationdans une prison donnée 2685 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082681 Pour leur appréciation, les critères suivants sont pris en compte : la personnalité de l’intéressé et en généralson comportement postérieur à l'infraction, durant sa détention et durant les permissions précédentes ; lacondition personnelle, familiale et professionnelle et ses obligations familiales ; le bénéfice qu’une tellepermission peut avoir sur sa personnalité et sa réadaptation sociale (art. 55 §3-4, C. pénit.).2682 C’est le tribunal correctionnel siégeant en conseil qui exerce les compétences attribuées au TAP.2683 Rappelons que le Code pénitentiaire prévoit qu’un détenu qui s’est évadé à l’occasion d’une permission desortie n’a pas droit d’en demander une nouvelle pendant un an après son retour en prison (art. 54 §8)2684 Tribunal Correctionnel de Pirée (siégeant en conseil), n° 678/2000, Poinika Chronika (Annales pénales),NA /2001, p. 998-1000).2685 Tribunal correctionnel de Patras (siégeant en en conseil), n° 132/2001, Archeio Nomologias, (Archives dejurisprudence), 2001, p. 457.


552Lors des débats parlementaires en vue de l’adoption du code pénitentiaire actuel, l’institution dessorties a été louée pour ses effets positifs sur les détenus et les risques minimes d’évasion qu’ellereprésente. Sur six cents sorties accordées en 1998, seulement vingt détenus n’avaient pas regagné laprison. Un article, paru dans la presse en 2006, à l’occasion d’une affaire éclatée en raison de nonretour d’un détenu considéré comme dangereux, faisait l’état d’une modalité réussie de la gestiond’exécution de la peine privative de liberté : le taux d’échec de cette mesure se situait à 4,3% 2686 .Le droit français prévoit également l’octroi de telles sorties (art. 723-4 et s. et D 145 et s. CPP).Il les soumet à la condition de l’exécution d’une partie de la peine bien plus longue que le droit grec.Excepté les condamnés à une peine inférieure à un an (art. D145, al.b CPP), l'octroi des permissionsde sortir aux autres condamnés est soumis à un délai important. Elles peuvent être accordées auxcondamnés détenus dans des établissements autres que les centres de détention à l'issue del'exécution de la moitié de la peine et sous la condition supplémentaire que celle qui reste à subir estinférieure à trois ans (art. D145, al.a CPP). Quant aux condamnés détenus dans les centres dedétention, elles peuvent leur être octroyées après l'exécution du tiers de leur peine (art.D146 CPP).Enfin, les personnes soumises à une période de sûreté en sont exclues durant cette période 2687 .Leur durée est de trois jours au maximum (qui s’impute à la durée de la peine). Dans le cas dedétenus dans des centres de détention, la durée des sorties peut être portée à cinq jours et, une foispar an, à dix jours.Ces permissions sont accordées par le JAP après avis de la Commission de l’aplicaion despeines (art. 712-5 CPP). Le refus est attaquable par voie d’appel (art. 712-11 CPP).On peut alors observer que, bien qu'il y soit prévu que les permissions de sortir peuvent êtreaccordées aux détenus en vue de leur réinsertion, mais aussi du maintien de leurs liens familiaux,seul le premier est crédible. Ne pouvant intervenir dès le début de l'exécution de la peine privative deliberté pour tous les détenus, l'objectif qui peut être invoqué ne peut pas être le maintien de liensfamiliaux afin d'éviter la désocialisation des détenus et donc la rupture des liens familiaux, mais lerenforcement de ces derniers en fin de peine pour préparer leur libération.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082. La protection européenne2686 En se fondant sur des statistiques du Ministère de la Justice, l’article constatait qu’entre 2002 et 2006, letaux de violation des conditions de leur octroi, y compris pour des simples retards, était de l’ordre de 4,3%.Précisément, n’ont pas respecté les conditions des permissions : en 2002, 92 personnes sur 2.844 permissionsaccordées ; en 2003, 117 sur 3.199 permissions accordées ; en 2004, 122 personnes sur 2.964 permissionsaccordées, en 2005, 137 personnes sur 3.178 permissions accordés, To Vima, 06/08/2006.2687 « Les dispositions concernant la suspension ou le fractionnement de la peine, le placement à l'extérieur, lespermissions de sortir, la semi-liberté et la libération conditionnelle ne sont pas applicables pendant la durée dela période de sûreté prévue à l'article 132-23 du code pénal » (art. 720-2 CPP).


553Les sorties, appelées aussi « congé pénitentiaire » dans les textes européens, font l’objet d’untraitement différent au sein des organes du Conseil de l’Europe. L’octroi d’un tel congé estrecommandé depuis 1982 par le Comité des Ministres, précisément par la Recommandationn° R(82)16 sur le congé pénitentiaire. Considérant qu’il constitue un moyen d’humanisation desprisons, d’amélioration des conditions de détention et de réintégration sociale des détenus, il estrecommandé de l’accorder « dans la plus large mesure possible pour des raisons médicales,éducatives, professionnelles, familiales et d’autres raisons sociales ». Il a de nouveau étérecommandé par ce même comité dans le texte des Règles pénitentiaires européennes n° R(87)3, etn° R(2006)2 : « Un système de congé pénitentiaire doit faire partie intégrante du régime des détenuscondamnés » (Règle, 103.6).En 1997, l’Assemblée parlementaire est venue renforcer cette mesure par sa Recommandation1340(1997) relative aux effets de la détention sur le plan familial et social. Elle a mis l’accent sur lerôle capital des sorties, non seulement dans la réinsertion des détenus, mais aussi dans le maintien deliens familiaux afin d'éviter -ou au moins, de limiter- les effets de la détention sur la famille. Pourcette dernière raison, elle recommande que les sorties soient autorisées dans des délais très courtsaprès la détention. Bien que cette dernière recommandation vise les courtes peines, nous estimonsqu'elle devrait être valable pour toutes les peines.Si le but des sorties est également le maintien des liens familiaux, et donc l’évitement de leurrupture, leur octroi ne devrait pas être déterminé uniquement par leur effet positif dans la réinsertiondes détenus ; elles devraient être reconnues comme un droit des détenus. En plus des raisonssusmentionnées, elles présentent deux vertus supplémentaires : être le seul moyen qui puissecontrecarrer l'effet le plus radical qui est l'emprisonnement, la privation de la communauté de viefamiliale ; et être le moyen le plus approprié pour assurer l’intimité et permettre aux détenus et àleurs conjoints ou compagnes, de continuer à avoir des relations intimes dans des conditionsnormales.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Quant à la position de la jurisprudence européenne, elle était, jusqu’en 2002, en net retard tantpar rapport aux droits nationaux qu’aux autres organes cités du Conseil de l’Europe. Elle nereconnaissait aux détenus le droit à aucun type de sortie. En effet, dans l’affaire Boyle et Rice (1988),où la Cour avait été invitée à se prononcer sur le grief d’absence d’intimité lors des congés familiaux(en l’occurrence un congé accordé au premier requérant pour voir son épouse), elle avait exprimé desdoutes « sur la plausibilité de la doléance, estimant que la Convention ne garantit pas à un détenu ledroit à recouvrer sa liberté par des congés de ce genre au foyer 2688 ». Invitée aussi à se prononcerdans la même affaire sur un second grief, celui du refus d’accorder des sorties au requérant pour2688 CEDH, Boyle et Rice c.R.U., préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


554rendre visite à son père qui souffrait d'une maladie grave et ne pouvait ni marcher ni voyager, elleavait seulement estimé qu'elles pourraient être accordées pour des « motifs humanitaires » ; maisqu’en cas de refus elles « ne sauraient servir de base à une allégation défendable de violation del'article 8 2689 ». Cette jurisprudence fut même appliquée dans des cas de refus de sorties pour assisteraux obsèques des proches, y compris des parents. A deux reprises, la Cour a déclaré irrecevables lesrequêtes comportant une telle allégation au motif que l’article 8 de la Convention ne garantit pas àune personne détenue le droit de bénéficier d’autorisation de sortie pour visiter ses proches 2690 .C’est seulement dans l’arrêt Ploski, rendu le 2 novembre 2002 2691 , qu’elle a marqué unrevirement de sa jurisprudence. Le requérant (en détention provisoire) n’a pas été autorisé à se rendreà l’enterrement ni de son père ni de sa mère, décédés en l’espace de quelques semaines, au motif que,étant récidiviste, il y avait des risques qu’il ne retourne pas en prison. Or la Cour ne s’est pas attardéesur l’analyse de l’existence ou pas d’une ingérence dans la vie familiale et privée du requérant. Elle aestimé que cela est indiscutable 2692 . Elle a néanmoins pris le soin de souligner au préalable que rienne s’oppose à ce qu’elle revoie sa jurisprudence en la matière eu égard au changement des conditionsdans les Etats contractants et à l’émergence d’un consensus 2693 .Elle est donc partie du constat qu’il s’agissait bien d’une telle ingérence, non sans préciser quel’article 8 ne garantit pas à une personne détenue un « droit inconditionnel » de sortir pour assisteraux funérailles de ses proches 2694 . C’est aux autorités nationales d’examiner chaque demande. Maisleur marge d’appréciation est limitée par les exigences de la Convention 2695 . A cette occasion, laCour a rappelé les principes qui doivent guider les restrictions apportées aux droits et libertésgarantis par la Convention. C'est-à-dire que même si un détenu est, du fait de sa situation, soumis àde multiples limitations de ses droits et libertés, chaque limitation doit être justifiée commenécessaire dans une société démocratique par l’existence réelle d’un besoin social pressant, dont ilincombe à l’Etat d’apporter la preuve 2696 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Dans le cas présent, elle avait noté que, alors que les autorités ont invoqué le risque de fuite,elles n’ont même pas envisagé la sortie sous escorte, qui est pourtant possible en droit polonais 2697 .Dès lors, même si l’on tient compte des problèmes logistiques et financiers pour organiser uneUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082689En effet, c'est dans ce sens que cette instance a statué dans l'affaire Boyle et Rice c.R.U,n°9659/82;9658/82, Série A 131, 27/4/1988, dans laquelle le père d'un détenu souffrant d'une maladie grave etne pouvant ni marcher ni voyager s'était associé à son fils pour se plaindre de violation du droit au respect deleur vie familiale, CEDH, Boyle et Rice c. R.U., préc., § 16, § 77.2690 CEDH, Marincola et Sestito c. Italie, préc. ; CEDH, Georgiou c. Grèce (déc.), n° 28511/02, CEDH 2000-I.2691 CEDH, Ploski c.Pologne, préc.2692 Ibid, § 32.2693 Ibid, § 27.2694 Ibid, § 38.2695 Ibid, § 98.2696 Ibid, § 35.2697 Ibid, § 36.


555escorte, pour justifier le refus à une personne détenue de sortir pour assister aux obsèques de sesparents, un Etat doit avoir des raisons « impératives » et ne pas disposer des solutions telles que lessorties sous escorte 2698 .Pour conclure dans cette affaire, même si les raisons invoquées (prévention des infractions etmaintien de l’ordre et de la sécurité) sont légitimes, le refus en question n’était pas nécessaire dansune société démocratique, ne répondant pas à un besoin social impérieux 2699 .La jurisprudence européenne demeure, toutefois, en reste par rapport aux droits nationauxconcernant le nombre et la fréquence des visites qui devraient être assurées aux détenus et à leursfamilles ainsi que les sorties ordinaires. En revanche, elle a marqué une avancée en matière de choixdu lieu de détention et de l'organisation des transferts des détenus.C. Le rapprochement familialLa jurisprudence européenne accorde aux liens familiaux une importance déterminante enmatière de choix de la prison (1) et de transferts des détenus (2).1. Choix de la prisonSi la séparation familiale entraînée par la mise en détention est pleinement justifiée par lesinstances européennes, au point de ne pas la considérer comme une ingérence dans la vie familiale,en revanche, la distance géographique de la prison par rapport au lieu du domicile familial peut êtreanalysée comme une telle ingérence. Dès lors, la Cour et les autres instances du Conseil de l’Europerecommandent que les autorités compétentes fassent le nécessaire pour garantir le rapprochementfamilial (a) ainsi que le transfert dans le pays d’attaches familiales (b).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...a. Choix de la prison dans un pays donnéUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Tout en affirmant que la Convention ne garantit pas aux détenus la liberté de choisir le lieu deleur détention dans un pays donné, la Commission et la Cour estiment que le choix du « lieu dedétention d'un prisonnier a son importance » au regard notamment, du respect de ses droits à la vie2698 Ibid, § 37.2699 Ibid., § 39.


556familiale et privée 2700 . Aussi, le choix d’un lieu de détention assez éloigné du domicile familial peutilêtre analysé comme une ingérence dans l'exercice de ses droits et comme facteur compromettant enmême temps le rôle de la famille en tant qu'agent essentiel de la réinsertion des détenus 2701 .Ainsi la Commission avait affirmé que le refus de transférer un détenu dans une prison proche dudomicile de sa fiancée « constitue une ingérence dans le respect de la vie privée », compte tenu desobjectifs assignés à la détention, notamment celui de l'encouragement à la réadaptation sociale.L'article 8 de la Convention « oblige l'Etat à aider autant que possible les détenus à créer et àentretenir des liens avec des personnes extérieures à la prison en vue d'encourager la réadaptation desdétenus à la société 2702 ». Elle en avait jugé de même à propos du refus de transférer un détenu dansla prison où il avait obtenu l’autorisation de recevoir les visites de sa fille 2703 . Mais dans les deux cas,elle avait justifié ces ingérences.Les règles pénitentiaires de 2006 recommandent également que « les détenus doivent êtrerépartis autant que possible dans des prisons situées près de leur foyer ou de leur centre deréinsertion sociale » (17.1), et que « dans la mesure du possible, les détenus doivent être consultésconcernant leur répartition initiale et concernant chaque transfert ultérieur d’une prison à une autre(17.3). Le Commissaire européen aux droits de l’homme abonde dans ce sens : les Etats doivent faire« le maximum pour favoriser la détention de personnes définitivement condamnées à proximité dulieu de domicile de leurs proches afin de faciliter le maintien de liens 2704 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2700 « La Commission rappelle que la Convention n'accorde pas aux détenus le droit de choisir le lieu dedétention et que la séparation et l'éloignement du détenu de sa famille constituent des conséquences inévitablesde la détention. Néanmoins, le fait de détenir une personne dans une prison éloignée de sa famille à tel point<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...que toute visite s'avère en fait très difficile, voire impossible, peut, dans des circonstances exceptionnelles,constituer une ingérence dans sa vie familiale, la possibilité pour les membres de la famille de rendre visite àun détenu étant un facteur essentiel pour le maintien de la vie familiale », D 26772/95 (Labita/Italie),20.10.1997. Voir : D 5712/72 (X/RU), préc., p. 112 ; D 13756/88, (Ouinas/France), préc. ; CEDH, Marincolaet Sestito, c. Italie (déc.), préc.2701 « Le fait de détenir une personne dans une prison éloignée de sa famille à tel point que toute visite s'avèreen fait très difficile, voire impossible, peut dans des circonstances exceptionnelles, constituer une ingérencedans sa vie familiale, la possibilité pour les membres de la famille de rendre visite au détenu étant un facteuressentiel pour le maintien de la vie familiale », D 23241/94 (Hacisüleymanoglu/Italie), 20.10.94, p. 121 et s.2702 D 15817/89 (Douglas Wakefield/RU), préc., p. 251.2703 Refus de faire en sorte qu’un détenu puisse avoir la visite de sa fille, alors qu’il avait obtenu de la part dutribunal le droit de visite. Mais ses multiples transferts ont eu comme résultat de rompre les visites de sa fille.La Commission a admis que l'ingérence poursuivait un but légitime, à savoir l'exécution des peinesprononcées. Elle s’est cependant demandé si des efforts plus soutenus en vue de rapprocher le requérant du lieude résidence de sa fille, compte tenu notamment de l'opposition de la mère de l'enfant à ce que cette dernièrerencontre son père, n'auraient pas été possibles et compatibles avec les exigences de l'organisation pénitentiaireet de la sécurité, D 13756/88, (Ouinas/France), préc.2704 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc., § 108.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


557En ce qui concerne l'état de cette question dans les droits grec et français, nous observons que,contrairement à d’autres droits internes comme en Suède ou au Portugal 2705 , ils ne prévoient pas demesures permettant de respecter effectivement cette exigence.Le droit grec contient une disposition qui prévoit que les détenus peuvent demander leurtransfert également pour des « raisons familiales » (art. 72 al.a, 73, et 9, C. pénit.) sans autreprécision concernant notamment les motifs de refus et les recours disponibles. Seules les questionsde l’instance de décision et les modalités pratiques sont précisées. Ces dernières sont détaillées parun décret présidentiel de 1991 2706 . Quant à l’instance de décision, la création au sein du Ministère dela Justice d’une commission centrale des transferts, prévue dès 1989 par le Code de règlesfondamentales pour le traitement des détenus (art. 77), elle n’a vu le jour que courant 2000 2707 . Elleest constituée du secrétaire général du Ministère de la Justice, en tant que président, d’un substitutprès la Cour d’appel et du président du conseil scientifique central.En droit français, des dispositions relatives à la possibilité pour les détenus de demander untransfert pour des raisons familiales sont absentes, privant ainsi les détenus et leurs familles de toutfondement textuel pour appuyer une demande dans ce sens 2708 . Or la proximité du lieu de détentiondu domicile familial est la principale demande des familles de détenus 2709 , appuyée par leCommissaire européen aux droits de l’homme qui constatait avec regret, en 2006 2710 : « Hélas ! ilsemble que cela ne soit pas toujours l’un des objectifs principaux de l’administration pénitentiaire » ;au contraire, des personnes s’étant exprimées sur cette question pendant sa visite se sont plaintesd’une politique de placement « arbitraire » et des transferts fréquents qui seraient en réalité des« sanctions voilées ». Et de dénoncer ces pratiques qui « contribuent à rompre les liens déjà fragilesavec leurs familles et amis ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La distance géographique entre la prison et le domicile étant déterminante pour le maintien desliens familiaux et privés, la détermination du pays où la peine sera exécutée l'est à plus forte raison.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2705 Ch. BAKAS, « Examen comparatif des institutions fondamentales du projet des règles fondamentales pourle traitement des détenus », Poinika chronika, n° 27, p. 144.2706 N° 141/1991 de 30.4.1991 (Journal Officiel, A’ 58/12.4.1991).2707 Suite à deux lois, la loi n° 2298/95 et la loi 2408/96, et deux décisions ministérielles : n° 31224 de 7.3.2000et n° 57582 de 12.5.2000.2708 Pourtant les cas où le choix de la prison compromet manifestement le maintien des liens familiaux par lesvisites, aussi bien en raison de la distance que du coût du voyage, ne manquent pas. Dans une affaire signaléepar l'OIP dans De Facto, un détenu était incarcéré à plus de 1264 km du domicile de ses parents ce qui rendaitextrêmement difficiles et coûteuses les visites de ceux-ci ne disposant pas suffisamment de ressources, Defacto, (Lettre mensuelle de l'OIP), n° 23, novembre 1993.2709 Dans une série de Recommandations adressée par les Associations de maisons d’accueil de familles et amisde détenus, à l’occasion de leur IV ème rencontre nationale, figure en première place la recommandation que laproximité du domicile familial soit un critère prioritaire d’affectation en établissement, « Familles de détenus,familles condamnées ? », Actes de la 4 ème rencontre nationale de Maisons d’accueil de familles et amis dedétenus, Paris, 18-919, mai 2001, édité par FRAMAFAD, pp. 95-98.2710 CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, préc., § 108.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


558b. Choix du pays de la détentionCet aspect pose la question supplémentaire du droit du détenu de quitter un pays (art.2, Prot. n°4) et le droit de choisir celui de sa détention. Ce qui est plus compliqué que son droit de choisir lelieu de sa détention dans un pays donné, avait noté la Commission 2711 . L’immixtion dans la vieprivée et familiale se pose dans les mêmes termes que dans la question précédente : « Le fait dedétenir une personne dans une prison éloignée de sa famille, à tel point que toute visite s'avère en faittrès difficile, voire impossible, peut, dans des circonstances exceptionnelles, constituer une ingérencedans sa vie familiale, la possibilité pour les membres de la famille de rendre visite au détenu étant unfacteur essentiel pour le maintien de la vie familiale 2712 ».Toutefois, la justification du refus de satisfaire une telle demande semble être encore plussimple. Si, dans une affaire portant sur le transfert d'un détenu des Bahamas en Grande-Bretagne,soit à 3 000 miles du domicile de sa famille, la Commission avait estimé qu'il s'agissait bien d'uneingérence dans sa vie familiale -puisque cette distance rendait quasiment impossibles les visites de safamille 2713 -, elle a cherché une justification matérielle, en l’occurrence l'inexistence dans le pays durequérant d'une prison de sécurité satisfaisante 2714 , dans d’autres affaires, elle s’est tout simplementréférée à la Convention sur le transfert des personnes condamnées (du 21 mars 1983). Saisie d’unerequête de deux personnes d’origine turque détenues en Italie demandant d’être transférées enTurquie 2715 , l’un condamné à vingt-quatre ans de prison (dont il avait exécuté cinq ans) et l’autre àdix-sept ans, la Commission avait justifié le refus en s’appuyant simplement sur ladite Convention.Après avoir relevé que celle-ci ne prévoit aucun droit de l’intéressé d'être transféré dans le paysd'origine et que pareil transfert est soumis à l'accord préalable de l'Etat de condamnation, elle aconclu que « l'éloignement d'un détenu étranger de sa famille est une conséquence inévitable de ladétention, suite à l’exercice par l'Etat de condamnation de ses prérogatives en matière de répressionpénale 2716 ». Cela signifie qu’un tel éloignement n’est même pas analysé comme une ingérence dansla vie familiale. Pourtant, l’un des deux requérants s’était plaint de l’impossibilité de recevoir desvisites de sa famille compte tenu de leur coût, mais aussi du fait qu’il n’a pas pu se rendre auxobsèques de son frère 2717 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082711 D 5712/72 (X/RU), préc., p.112.2712 D 23241/94 (Hacisüleymanoglu/Italie), 20.10.94, p. 121 s. (condamné à 24 ans de détention en Italie, lerequérant d'origine turque demanda son transfert en Turquie, après 5 ans d'exécution de peine en Italie).2713 D 5712/72 (X/RU, préc.2714 Ibid.2715 D 23241/94 (Hacisüleymanoglu/Italie), préc. ; D 25632/94 (Savas/Italie), 26.2.97 (condamné à 17 ans).2716 D 23241/94 (Hacisüleymanoglu/Italie), préc.2717 Ibid.


559Or cette jurisprudence réduit à néant l’importance de tous les principes énoncés par la Couren matière de liens familiaux. De manière générale, le transfert d’un détenu dans le pays où vit safamille, ainsi que le choix de la prison dans un pays donné, rendent cruciale la question de l’étenduede la responsabilité des Etats. La question qu’ils soulèvent ne concerne pas le droit de choisir le lieude vie dans le sens de choisir entre la vie en prison et ailleurs. Elle concerne le droit de choisir unlieu d’exécution de la peine plutôt qu’un autre, suivant leurs besoins familiaux, privés ou d’autrescomme celui de suivre un programme scolaire ou une formation professionnelle ou de pouvoirtravailler.Dès lors, seules des questions matérielles (comme l’inexistence d’un type de prison, ou desproblèmes insurmontables de place) doivent pouvoir justifier la détention dans une prison éloignée.Dans ce cas, ainsi que dans le cas où un pays veut qu’un étranger exécute sa peine sur son sol, laresponsabilité des Etats dans leur obligation de maintenir la vie familiale, de ne pas surpénaliser lesdétenus et de ne pas parapénaliser leurs familles, devrait comprendre la prise en charge du coût desvisites : coût des transports et de séjour. Ils devraient, par exemple, assurer au minimum une visitepar semaine aux familles séjournant dans le même pays et une fois pas mois à celles séjournant àl’étranger. Notons, concernant la prise en charge des frais de transports, qu’en Grande-Bretagne lesfamilles aux faibles revenus peuvent se faire rembourser ces frais par l’aide sociale 2718 .La force de la famille est un peu plus importante dans la détermination des modalités d'exécutiondes décisions de transferts des détenus.2. Les transfertsLes transferts des détenus doivent avoir lieu en tenant compte non seulement des objectifs de lasécurité, mais aussi de celui de maintenir les liens familiaux des détenus. Ce dernier objectif exige,précisa la Commission, que la famille soit informée préalablement et à temps du transfert du détenu.En effet, selon cette instance, les transferts décidés et exécutés sans consultation préalable du registredes visites programmées constituent une ingérence dans le droit du détenu au respect de sa viefamiliale, dans la mesure où les transferts effectués dans de telles conditions ne permettent pasd'empêcher une visite infructueuse 2719 . Pourtant les Règles pénitentiaires européennes (2006) secontentent de recommander que « tout détenu doit avoir le droit d’informer immédiatement safamille de sa détention ou de son transfert dans un autre établissement, ainsi que de toute maladie ou<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082718 L. GAMPELL, « Panorama des initiatives innovantes en Grande-Bretagne », Actes de la 4 ème rencontrenationale de Maisons d’accueil de familles et amis de détenus, Paris, 18-919, mai 2001, édité parFRAMAFAD, pp. 75-80.2719 D 9466/81, (Seale/RU), 13.5.1984, D.R.36, p. 41. Dans le Rapport adopté par la Commission dans cetteaffaire, le 15 mai 1986 (D.R.50, p. 70), les parties étaient parvenues à un accord amiable. Le gouvernementavait pris un nombre de mesures tendant à régler cette question de la vie pénitentiaire.


560blessure grave dont il souffre » (art. 24-8). En cas de transfert dans un hôpital, ce devoir revient auxautorités pénitentiaires (art. 24-9). Mais ces recommandations n’impliquent pas nécessairementl’obligation que cette information ait lieu avant les transferts.Quant aux droits nationaux, nous constatons l'absence de pareilles dispositions. En droitfrançais, si on note un progrès, depuis 1983, du fait que cette information n'incombe plus au détenu,mais à l'administration pénitentiaire, l'ensemble du dispositif n'est guère satisfaisant. En ce quiconcerne le moment de cette information, la disposition de l'article D. 296 al.b du Code de procédurepénale prévoit qu'elle a lieu « dès que le détenu transféré est arrivé à destination », ce qui ne permetguère d'éviter les visites infructueuses. En effet, les détenus en France se plaignent de ce que leursfamilles ne sont pas prévenues à temps, et qu’eux-mêmes ne sont avertis que la veille de leur départsans, par ailleurs, être informés de leur destination 2720 . En droit grec, aucune disposition corrélativene figure dans le Code pénitentiaire.Bien d'autres obstacles normatifs ou matériels peuvent rendre les visites infructueuses. La Courn’a pas encore eu l'occasion de s'exprimer sur des questions précises comme, par exemple, cellesoulevée par l'OIP à propos du droit français. Elle concerne les visites des personnes diminuéesphysiquement. Cet organisme a rapporté que le père d'un détenu, qui s’est présenté en fauteuilroulant à la prison, s'est vu refuser l'entrée après avoir fait 1 000 km pour rendre visite à son fils.Motif de ce refus : « Pour pénétrer dans une prison en fauteuil roulant, il lui fallait un permisspécial 2721 ». Or, aucune disposition accessible aux justiciables ne prévoyant cette condition, ondéduit que le droit français ne permet pas d'éviter les visites infructueuses, et donc de préserverefficacement le droit de visite.Toujours est-il que, jusqu'à présent, si la garantie assurée au droit à la vie familiale par lesinstances européennes et les droits nationaux permet de défendre la thèse que, malgré la séparationfamiliale, la détention ne porte pas atteinte à ce droit, en tout cas à sa substance, cette thèse devientindéfendable devant les conséquences juridiques précises que la détention en soi et/ou la qualité desliens familiaux assurés peuvent avoir sur la famille nucléaire.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 2. Les conséquences sur la famille nucléaireLes effets pénalisants de la peine privative de liberté et de la prison sur la famille nucléaire sontincontestables. Celle-ci peut être victimisée par la séparation familiale entraînée parl'emprisonnement du conjoint et/ou du parent. Les droits nationaux accordent à l'absence de lacommunauté de vie des conséquences juridiques modifiant profondément les liens de la famille2720 « Les droits des détenus », Information Prison-Justice, n° 67, (déc. 1993), p. 11.2721 De Facto, Lettre mensuel de l'OIP, n° 15, février 1993.


561nucléaire. Par exemple, le défaut de communauté de vie dans le mariage peut constituer une cause dedivorce, et en cas de présence d'enfants, il est assorti de conséquences juridiques supplémentairespuisqu'il modifie l'exercice de l'autorité parentale. Aussi le détenu/conjoint risque-t-il fort de devenirun (futur) divorcé potentiel (A), et le détenu/parent de voir diminuer ses droits parentaux, voire d'êtreprivé de l'exercice de l'autorité parentale (B).A. Le détenu : un divorcé potentielDans les droits nationaux, le mariage est défini comme la conclusion d'un contrat, mais de typespécifique en raison de ses effets dépassant la volonté des contractants. Le mariage produit des effetsjuridiques et sociaux relevant d’une dimension complémentaire, sa dimension institutionnelle. Lerespect de ces effets est important pour le maintien du mariage. Précisément, le mariage crée desdroits et des devoirs entre les deux époux, dont l'inexécution constitue des causes de divorce. Or, auregard de ces droits et devoirs, le détenu marié devient un (futur) divorcé potentiel à cause de sacondamnation (1), et/ou de sa détention (2).1. A cause de la condamnationLe droit grec n'attache pas à la condamnation à une peine privative de liberté des conséquencesdirectes sur le maintien du mariage. En revanche, le droit français, la considère comme une causepéremptoire de divorce pour faute 2722 .Le champ de cette conséquence, prévue par l'article 243 du Code civil, est même élargi depuisl'adoption du nouveau Code pénal. Alors que, dans le Code pénal précédent, elle n'était attachéequ'aux condamnations à une peine afflictive et infamante, dans le nouveau code pénal, elle l'est àtoute condamnation à une peine criminelle prévue par l'article 131-1 de ce même Code, soit à toutecondamnation supérieure à dix ans 2723 . En réalité, en droit français, toute condamnation à une peined'emprisonnement peut constituer une cause de divorce : une telle condamnation est considéréecomme une faute portant atteinte à la solidarité d'honneur existant entre époux. Toutefois, à ladifférence de la faute précédente, celle-ci est une faute facultative, laissée à l'appréciation du juge 2724 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082722 La jurisprudence française est constante en cette matière. Comme l'a encore affirmé la Cour de cassation en1989, « la constatation de la condamnation définitive d'un époux à une peine afflictive et infamante suffit àjustifier le prononcé de la séparation de corps à ses torts, sans que le juge ait à rechercher si se trouvent réuniesles deux conditions prévues par l'article 242 du Code Civil », Cass. Civ. 2e, 11 janvier 1989, Bull.civ. II, n° 8.Voir jurisprudence antérieure : CA Angers, 1ère Ch., 22 oct. 1952, JCP 53.II.7406-7408 ; CA Lyon 2e Ch., 27mai 1947, JCP.II.3933 ; TGI Grenoble, 28 oct. 1963, JCP.II.13533-13534.2723 Le divorce « peut être demandé par un époux lorsque l'autre a été condamné à l'une des peines prévues parl'article 131-1 du Code pénal » (art. 243 C. Civ.).2724 A. BENABENT, Droit civil, La famille, 11 e éd., préc., pp. 519-529.


562Outre la condamnation à la peine privative de liberté, son mode d'exécution, la détention, rendégalement le divorce des détenus fort probable.2. A cause de la détentionParmi les causes de divorce figurent également, dans les droits grec et français, le défaut decommunauté de vie (a) et l'ineffectivité des liens conjugaux (b), ce qui risque fort de se produire parla détention d'un des conjoints.a. Le divorce pour défaut de communauté de vieLa Commission défend la thèse selon laquelle la séparation du couple entraînée par la détentionne porte pas atteinte au respect de la vie privée et familiale : elle « n'estime pas que la séparation desrequérants de leurs épouses puisse être considérée comme une ingérence dans le droit au respect dela vie familiale sous l'angle de l'article 8 §1 2725 ». Toutefois, cette affirmation ne résiste pas àl'examen des deux droits nationaux comparés ici. La communauté de vie fait partie des devoirs ducouple dont l'inaccomplissement constitue, tant en droit français qu'en droit grec, une des causes dedivorce, celle pour rupture de vie commune.En droit français, cette cause de divorce est instituée par la loi du 11 juillet 1975. L'article 238du Code civil prévoit qu'un époux est autorisé à demander le divorce pour rupture de vie commune« lorsque les époux vivent séparés de fait depuis deux ans ». Ils ne sont qu'exceptionnellementexonérés de ce devoir, sous autorisation du juge, pour des raisons d'impossibilité physique oumorale, en cas de désaccord sur le lieu de leur résidence, de manquement au devoir d'entretien, demauvais traitements ou durant l'instance de divorce 2726 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En droit grec, cette durée est de quatre ans (art. 1439 §3 C. civ.). Mais tant en droit grec qu'endroit français, l'interprétation faite de la notion de « rupture » par la jurisprudence exige, outre lecritère objectif, celui du constat de la rupture, également le critère subjectif, celui d'intention derompre 2727 . On peut alors soutenir que cet élément fait défaut dans le cas de l'emprisonnement d'une<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008personne : celle-ci étant une situation involontaire.b. Le divorce pour défaut de liens effectifs2725 D 8022, 8025, 8027/ 77 (V/RU), préc., p. 96.2726 A. WEILL, F. TERRE, Droit civil, préc., p. 276.2727 « Est considérée comme rupture, l'éloignement de l'époux ou de l'épouse de la vie conjugale communeavec l'intention de la dissolution de la communauté de vie, à savoir l'éloignement physique ou psychique del'un des époux », CA Athènes, n° 5403/1993, in : Archeio Nomologias, 1993, p. 675 ; Cass., n° 611/1989, inArcheio Nomologias, 1989, p. 419.


563Outre la communauté de vie au sens de la cohabitation physique, signe extérieur de lacommunauté de vie, la vie commune du couple comprend aussi la communauté de ménage (au sensdu secours et d'assistance matérielle et pécuniaire) et le devoir conjugal entendu au sens des relationssexuelles et des relations affectives et intellectuelles. Le manquement à ces devoirs « graves ourenouvelés » constitue également une cause de divorce s'il « rend intolérable le maintien de la viecommune » 2728 .Aussi, si l'on peut encore considérer qu'un détenu peut accomplir son devoir d'assistanceintellectuelle ou morale par la correspondance et les visites, est-il difficile d'en dire autant du devoirde secours, d'assistance matérielle, de contribution aux charges du mariage ou du devoir des soinsaux enfants. Bien au contraire, le détenu devient une charge pour sa famille, notamment s'il se trouveau chômage, ce qui est fort probable ainsi que nous allons le souligner à propos de l'examen dutravail des détenus.En ce qui concerne le devoir conjugal, autrement dit les rapports sexuels, comme nous l'avonsprécédemment démontré, dans l’examen de la vie privée en général, il est impossible aux détenus del'accomplir. La jurisprudence européenne n’est pas prête à les garantir.Des études récentes sur les conséquences familiales de la détention font défaut en Europe. Lesrésultats d'une recherche menée sur la vie conjugale des détenus, en 1969, au niveau international parles Nations-Unies sont sans appel : la désagrégation du ménage, temporaire ou définitive, sembleêtre une conséquence inévitable de la détention 2729 . En Europe, 50% des divorces étaient demandés àla suite d'une peine de trois ans. Parmi les causes avancées figuraient la dégradation de la situationéconomique et affective, ainsi que la pression de l'entourage incitant le conjoint à rechercher un autrepartenaire. Cette étude soulignait encore une autre conséquence constatée sur les épouses desdétenus : les difficultés économiques les poussaient à se prostituer 2730 . Deux recherches sont venuesenrichir et actualiser ces données. Une a été menée par le Conseil de l’Europe, qui a donné lieu à laRecommandation 1340(1997) relative aux effets de la détention sur le plan familial et social del’Assemblée parlementaire. Elle a établi que la détention garantit mal le principe de personnalité des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008peines, tant ses effets sur la famille sont multiples. L’autre a été réalisée par le CREDOC en France,courant 2000 2731 . Elle a confirmé que la prison entraîne de multiples effets négatifs sur la famille :des effets sociaux (dégradation des liens amicaux et sociaux), des effets financiers (appauvrissement2728 Devoirs énumérés par les articles 212 et 215 du Code civil français. Voir J. CARBONNIER, Droit civil,préc., p. 107.2729 Jan VAN NU<strong>LA</strong>ND, Les Enfants de détenus, RDPC, 1969-70, p. 957.2730 Ibid.2731 CREDOC, Cahier de Recherches n° 147, novembre 2000.


564des familles) et des effets psychiques (sentiments d’humiliation, de honte et troubles chez lesenfants).La conséquence de la détention sur la famille nucléaire ne se limite pas au couple. Elle s'étendaux rapports des parents détenus avec leurs enfants.B. Le détenu : un parent désavouéLors d'un congrès tenu à Genève en 1970, la Commission du développement social du ConseilEconomique et Social des Nations-Unies affirmait que l'incarcération des parents serait contraire audroit de l'enfant de bénéficier du milieu affectif nécessaire à son développement psychologique,social et moral 2732 . Elle fondait cette affirmation sur le constat des effets perturbateurs del'incarcération sur la formation de la personnalité des enfants 2733 , et sur la rupture des liens qui peutêtre définitive, surtout si la peine est de longue durée 2734 . Cette affirmation est ultérieurementformulée également par Gerard de Coninck : « Les conséquences psychologiques de l'absence forcéedu père (absence d'image paternelle, de soutien émotionnel du père... ) peuvent se répercuter sur lavie entière des enfants 2735 ». Ces conséquences peuvent aller des difficultés d'adaptation scolaire etsociale à la délinquance pour venger ou imiter le père 2736 .La Convention internationale des droits de l'enfant adoptée par les Nations-Unies, le 26 janvier1990, est venue confirmer cette considération, dès lors que plusieurs de ses dispositions concourent àassurer l'unité familiale et, à défaut, la préservation des liens familiaux dans l'intérêt de l'enfant. CetteConvention renforce précisément la protection de l'enfant à la fois comme une personne autonome,dont l'intérêt peut aller à l'encontre de celui de ses parents, et comme une personne solidaire dans laprotection de l'unité familiale et de ses liens parentaux contre des immixtions des autorités publiques.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Certes, il faut relever qu’une seule disposition de la CI<strong>DE</strong> est expressément consacrée au casd'enfants dont les parents sont détenus : celle de l'article 9 §4 qui leur reconnaît le droit d'êtreinformés du lieu de détention de leurs parents sous la réserve que « la divulgation de cesrenseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l'enfant ». Mais l'ensemble des dispositions<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008relatives aux liens familiaux de l'enfant reflètent l'importance de l'unité familiale pour le bien-être del'enfant.2732 Doc. E/CN. 5/448, « Tendances de la situation sociale de l'enfance », pp. 99-116, cité par Jan Van Nuland,Les Enfants de détenus, préc., p. 939.2733 Ibid.2734 Jan VAN NU<strong>LA</strong>ND, « Les Enfants de détenus », préc., pp. 957-958.2735 G. <strong>DE</strong> CONINCK, « La famille du détenu : de la suspicion à l'idéalisation », Deviance et Société, 1982,vol. 6, n° 1, pp. 83-103).2736 FRIEDMAN, S., ESSELSTYN, T.C., « The adjustment of children on jail immates », in FéderalProbation, 1965, cité par G. <strong>DE</strong> CONINCK, « La famille du détenu : de la suspicion à l'idéalisation », préc., p.90.


565On peut citer en particulier celles qui consacrent : le droit d’être élevé par ses parents (art. 4 §1)ainsi que l'obligation pour les Etats de veiller à ce que « l'enfant ne soit pas séparé de ses parentscontre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident... que cette séparation soitnécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant » (art. 9 §1) ; le droit de préserver ses relationsfamiliales sans ingérence illégale (art. 8 §1) ; le droit d'entretenir régulièrement des relationspersonnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêtsupérieur de l'enfant (art. 9 §3) ; ainsi que le droit au respect de sa vie privée : « Nul enfant ne feral'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille ou sa correspondance » (art.16 §1).Concernant l'effectivité de l'application de cette Convention dans les droits nationaux, malgré laréticence de certains droits nationaux de la considérer comme un droit directement applicable dansleurs ordres juridiques 2737 , elle l’est toutefois indirectement par le biais de la jurisprudence de laCour. Celle-ci s'y réfère explicitement comme dans l'affaire Keegan pour établir l'existence d'un droitde l'enfant d'être élevé par ses parents et de vivre avec eux 2738 .Toujours est-il que même si les droits de l'enfant sont renforcés, celui-ci demeure l'agent deprotection le plus faible de l'unité familiale et de l'entretien des liens familiaux. Le critère suprêmedans l'examen du respect des droits des parents et de leurs enfants est celui de la préservation del'intérêt de l'enfant. Or celui-ci peut aller à l'encontre des droits des parents, opérant ainsi la rupturede la solidarité familiale. Mais l'enfant n'a pas la maîtrise du jugement de son intérêt. Si la volonté del'enfant est de plus en plus prise en compte dans les décisions concernant ses rapports parentaux, ellen'est pas déterminante. En raison de son âge, l'enfant est considéré comme une personne dépourvuede discernement objectif et raisonnable dans l'appréciation de son propre intérêt. N'ayant pas, pourcette même raison, la pleine capacité juridique, il ne peut entamer d'actions en justice contre lavolonté de son tuteur pour protester contre des décisions de séparation familiale et de rupture ou demodification des liens parentaux. De telles actions doivent être introduites par son tuteur.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En effet, aussi bien dans la jurisprudence européenne que dans les droits nationaux, il peut êtreadmis que le maintien des liens parentaux des détenus avec leurs enfants est nuisible à l'intérêt del'enfant, justifiant ainsi leur modification, voire leur rupture (1). Au sein des droits nationaux, cettemodification est précisément traduite par la diminution, et même le retrait total, de l'exercice del'autorité parentale (2). Or, dans la mesure où de telles conséquences sont inévitables, celles-ci2737 « cette Convention ne crée des obligations qu'à la charge des Etats parties » et que, par conséquent, lesjusticiables ne peuvent pas invoquer ses dispositions devant les tribunaux, Cass. Civ. 1ère, 21 juin 1993 et 10mars 1993, D.1994.34 ; et Cass. Civ. 1ère, 15 juillet 1993, D.1994.191.2738 CEDH, Keegan c. Irlande, préc., § 50.


566constituent une preuve supplémentaire irréfutable de l'extension de la peine privative de liberté à lavie familiale du détenu.1. Amour du parent/intérêt de l'enfant : un équilibre briséLa jurisprudence européenne relative aux rapports parents/enfants a consacré comme critèredéterminant de ces rapports le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant. En cas de « conflit graveentre l'intérêt de l'enfant et celui de l'un de ses parents, conflit qui ne peut se résoudre qu'au détrimentde l'un d'entre eux, c'est l'intérêt supérieur de l'enfant qui doit l'emporter 2739 » ; « L'intérêt de l'enfantest toujours d'une importance cruciale dans toute affaire de cette sorte 2740 ». Par conséquent, lesautorités nationales doivent attacher une « importance particulière à l'intérêt supérieur de l'enfant »,et qui, « selon sa nature et sa gravité, peut l'emporter sur celui des parents 2741 ».Le principe demeure toutefois que le meilleur cadre pour son bien-être et son développement estle cadre familial. Aussi, réitère la Cour : « Là où l'existence d'un lien familial avec un enfant setrouve établie, l'Etat doit agir de manière à permettre à ce lien de se développer et il faut accorderune protection juridique... 2742 ». A ce propos, cette instance a reconnu l’existence d’un droit del'enfant de vivre avec ses parents et d'être élevé par eux. La Cour a fondé ce droit à la fois surl'article 7 de la CI<strong>DE</strong>, conformément auquel « un enfant a, dans la mesure du possible, le droit d'êtreélevé par ses parents », et sur sa propre jurisprudence, en rappelant avoir déjà déclaré que « pour unparent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale 2743 ».Ultérieurement, elle a affirmé que « l’éclatement d’une famille constitue une ingérence très grave » ;dès lors, la séparation familiale ne devrait a priori être inspirée que par l’intérêt de l’enfant 2744 et nedevrait être que temporaire. Ainsi, à propos du placement des enfants pour des raisons de contexte<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2739 D 16062/90 (V.Cincotta/Italie), 7.4.1994 ; CEDH, K et T c. Finlande, n° 25702/94, CEDH 2001-VII, §154 ; CEDH, Sahin c.Allemagne, préc.,§ 40 ,§ 42.2740 CEDH, Sahin c. Allemagne [GC],n o 30943/96, CEDH, 2003-VII, § 64.2741 CEDH, Sahin c. Allemagne [GC], préc., § 66 ; CEDH, Couillard Maugery c. France, préc., § 270. CEDH,Ignaccolo-Zenide c. Roumanie, n o 31679/96, CEDH 2000-I, § 94 ; CEDH, Nuutinen c. Finlande, n o 32842/96,CEDH 2000-VIII, § 128.2742 CEDH, Johnston et autres c. Irlande du Nord, préc. § 72 ; CEDH, Marckx c. Belgique, préc., § 31 ; CEDH,Keegan c. Irlande, préc., § 50; CEDH, Sheffield et Horsham c. R.U., préc., § 43 ; CEDH, Pini, Bertani,Manera et Atripaldi c. Roumanie, préc., § 150.2743 Voir CEDH, Eriksson c. Suède, n°11373/85, 2 juin 1989, Série A n° 156, § 58 ; CEDH, P., C. et S. c.R.U.,nº56547/00, CEDH 2002-VII, § 13. « En outre, pour un parent et son enfant, être ensemble représente unélément fondamental de la vie familiale, même si la relation entre les parents s'est rompue, et des mesuresinternes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par l'article 8 de la Convention »,CEDH, Sahin c. Allemagne, préc ; § 34 ; CEDH, K et T c. Finlande, préc., § 151 ; CEDH, Hope c. Allemagne,n°28422/95, CEDH 2002-XII, § 44 ; CEDH, K.A c. Finlande, n°27751/95, CEDH 2003-I, § 92 ; CEDH,Couillard Maugery c. France, préc., § 270.2744 A propos du placement des enfants de la requérante et des restrictions apportées à ses droits de visite etd’hébergement, CEDH, Couillard Maugery c. France, préc., § 244. Voir CEDH, Olsson c. Suède, n° 10465/83,24 mars 1988, Série A, n°130, préc., § 72 ; CEDH, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], n os 39221/98 et 41963/98,CEDH 2000-VII, § 148.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


567familial nuisible, elle a insisté sur le fait qu’il ne devrait pas mettre fin aux relations familiales 2745 .Au contraire, les autorités doivent prendre toutes les mesures appropriées pour maintenir etreconstruire cette relation, le but étant de réunir de nouveau la famille 2746 .De manière générale, quelle que soit la raison d’absence de communauté de vie, il faut garantirle droit de l'enfant au maintien des contacts effectifs avec ses deux parents. La Cour a notamment eul'occasion d'affirmer ce droit de l'enfant dans des cas de parents ne vivant pas ensemble, en raisonsoit d’expulsion d'un parent étranger 2747 , soit de divorce, soit de placement en foyer ou au sein d’unefamille d’accueil. A propos de ces derniers, cette instance a estimé que des restrictionssupplémentaires à la perte de la garde de l’enfant, comme les restrictions des visites et/ou descommunications, « comportent le risque d'amputer les relations familiales entre un jeune enfant etl'un de ses parents ou les deux » 2748 . Aussi, alors qu’elle considère que la décision de la garde del’enfant doit relever de la marge d’appréciation nationale (les autorités compétentes étant plus àmême d’apprécier le bien fondé d’une telle mesure), entend-elle exercer un contrôle rigoureux surles restrictions supplémentaires et sur les mesures prises pour assurer la protection effective des liensdans ce cadre 2749 . Ainsi, a-t-elle estimé, une interruption prolongée des contacts entre parents etenfants ou des rencontres trop espacées dans le temps comportent un risque élevé de compromettretoute chance sérieuse d’aider les intéressés à surmonter les difficultés apparues dans la viefamiliale 2750 .2745 CEDH, Couillard Maugery c. France, préc., § 270.2746 La Cour a déjà observé : « Il faut normalement considérer la prise en charge d’un enfant comme unemesure temporaire à suspendre dès que la situation s’y prête et (...) tout acte d’exécution doit concorder avecun but ultime : unir à nouveau le parent naturel et l’enfant (...). A cet égard, un juste équilibre doit être ménagéentre les intérêts de l’enfant à demeurer placé et ceux du parent à vivre avec lui (...). En procédant à cetexercice, la Cour attachera une importance particulière à l’intérêt supérieur de l’enfant qui, selon sa nature et sagravité, peut l’emporter sur celui du parent », CEDH, Johansen c. Norvège, n°17383/90, 7 aout 1996, Recueil1996-III, § 78. Voir CEDH, Couillard Maugery c. France, préc., § 270 ; CEDH, Pini, Bertani, Manera et<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Atripaldi c. Roumanie, préc., § 150 ; CEDH, Karadi c. Croatie, n° 35030/04, CEDH 2005-XII, § 52 ; CEDH,Zawadka c. Pologne, préc., § 55 ; Bajrami c. Albanie, n°35853/04, CEDH 2006-XII, § 51.2747 Dans ce dernier cas, ce droit de l'enfant a été confirmé à propos de l'expulsion d'un de ses parents vivantdans un Etat membre du Conseil de l'Europe, CEDH, Berrehab c. Pays, Bas, n o 10730/84, 21 juin 1988, SérieA n° 138, A propos du divorce, voir CEDH, Sahin c. Allemagne, précité et CEDH, Sen c. Pays-Bas, précité.2748 A propos d’un requérant qui soutenait que les décisions des tribunaux allemands rejetant sa demande dedroit de visite à l'égard de son enfant, née hors mariage, ont emporté violation de l'article 8 de la Convention :« La marge d'appréciation laissée aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions enlitige et l'importance des intérêts en jeu. Dès lors, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d'une grandelatitude en matière de droit de garde. Il faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictionssupplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garantiesjuridiques destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur viefamiliale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d'amputer les relations familiales entre unjeune enfant et l'un de ses parents ou les deux », CEDH, Sahin c. Allemagne [GC], préc., § 65.2749 CEDH, Johansen c. Norvège, préc., § 64. Voir CEDH, K et T c. Finlande, préc., § 155 ; CEDH, P., C. et S.c. R.U., préc., § 117 ; CEDH, Sahin c. Allemagne, préc., § 41.2750 CEDH, Couillard Maugery c. France, préc., § 273. Voir CEDH, Scozzari et Giunta c. Italie [GC], préc.,§ 177 ; CEDH, Covezzi et Morselli c. Italie, n o 52763/99, CEDH 2003-V, § 118.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


568Toujours est-il que les obligations des autorités de sauvegarder la famille réunie et, à défaut, lesliens effectifs, ne sont pas absolues. Elles sont toujours arbitrées par le critère ultime, celui desauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant, dont l’appréciation dépend forcément de la nature et del'étendue des circonstances de chaque espèce 2751 . Ainsi, lorsque l’intérêt de l’enfant est menacé par lemaintien des liens parentaux, « il appartient aux autorités nationales de ménager un juste équilibreentre les intérêts des enfants et ceux des parents 2752 ». La séparation, voire l’interruption définitivedes liens peuvent alors être plus conformes à l’intérêt de l’enfant. De même, les relations entre lesparents et leurs enfants ne doivent pas forcément être maintenues contre la volonté de l’enfant. Sibien que les obligations positives des Etats ne comportent pas nécessairement celle de « faire usagede la coercition 2753 » ; « Recourir à la coercition en la matière ne saurait être que limité 2754 », déclarala Cour. La volonté des enfants doit être recueillie lorsqu’ils sont en âge de l’exprimer et doit êtreprise en compte suivant l’évaluation de la maturité de l’enfant par des personnes compétentes 2755 .Cela est particulièrement important dans le cadre de contexte familial nuisible pour l’enfant maisaussi dans le cadre de l’adoption. A ce propos, la Cour après avoir déclaré que « l'adoption consiste à« donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille », a affirmé que « l'importance deprivilégier les intérêts de l'enfant par rapport à ceux des parents est accrue 2756 ».Si, dans le cas des parents séparés de leur propre gré ou suite à une expulsion, on fait prévaloirl'intérêt de l'enfant à vivre avec ses deux parents et, à défaut, à entretenir des contacts régulierssubstantiels 2757 , il n'en est pas de même lorsque leur séparation est liée à la détention de l'un d'entreeux.La Commission qui, jusqu’en 2004, était la seule à avoir rendu une jurisprudence en la matière, aréservé à l'intérêt de l'enfant une interprétation qui justifierait, aux termes de l'article 8 §2 de laConvention, la limitation, voire la suppression de tout contact entre l'enfant et son parent détenu. Eneffet, en tenant compte, dans l'appréciation de l'intérêt de l'enfant, du respect de ses propres droitsmais aussi de sa santé, son moral ou encore de sa propre volonté, cette instance avait justifié desingérences pouvant aller jusqu'à la privation totale de la correspondance 2758 et des visites 2759 . Ainsi,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082751 CEDH, Couillard Maugery c. France, préc., § 274; CEDH, Sahin c. Allemagne [GC], préc., §§ 65-66 ;CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c. Roumanie, préc., § 151 ; CEDH, Zawadka c. Pologne, préc.,§ 56 ; CEDH, Karadi c. Croatie, préc., § 52.2752 CEDH, Couillard Maugery c. France, préc., § 274 ; CEDH, Sahin c. Allemagne [GC], préc., §§ 65-66 ;CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c. Roumanie, préc., § 151.2753 CEDH, Glaser c. R.U., n° 32346/96, CEDH 200-IX.2754 CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c. Roumanie, préc., § 151 ; CEDH, Karadi c. Croatie, préc.,§ 52.2755 CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c. Roumanie, préc.2756 CEDH, Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c. Roumanie, préc., § 156 ; CEDH, Fretté c. France, préc., § 42.2757 A propos du droit d’un enfant de rejoindre ses parents installés en Hollande, CEDH, Sen c. Pays-Bas,précité2758 Selon une décision de la Commission de 1971, une telle restriction serait justifiée par des considérations demorale : elle « s'inspire du souci de protéger des mineurs, souci dont la jurisprudence de la Commission


569avait-t-elle déclaré conforme à la Convention le refus d'un juge d'instruction français d'octroyer ledroit de visite à l'enfant d'un prévenu, au motif qu'il « représentait une restriction relativement limitéeet non disproportionnée au but de protection de la santé ou de la morale des enfants » 2760 , dès lorsque le juge d'instruction avait permis à l'enfant de rencontrer son père au palais de justice avant lesinterrogatoires de ce dernier.Quant à la volonté de l'enfant, la Commission lui avait accordée une importance déterminante enestimant qu'on ne saurait exiger de la part des autorités nationales d'imposer à l'enfant de maintenircontre son gré des contacts avec ses parents détenus. Effectivement saisie d’une requête corrélatived'un détenu, la Commission avait statué dans ce sens à cause de l'inexécution d'une décision du jugedes tutelles qui autorisait à ses enfants, placés dans une famille après son incarcération, à lui rendrevisite. Elle avait estimé qu'étant donné le refus des enfants, « une injonction telle que celle émise parle juge des tutelles, dans un domaine aussi sensible que celui des relations parents/enfants, ne sauraitconstituer pour les services sociaux une obligation d'utiliser tous les moyens, y compris l'usage de laforce, pour le rendre exécutoire 2761 ». Elle a néanmoins estimé que, lorsque les enfants de détenussont confiés à des tierces personnes ou à des institutions sociales, il incombe aux autorités nationalesde déployer « les efforts que l'on peut raisonnablement exiger d'elles » afin d'aider les enfants àsurmonter le choc provoqué par le délit et l'incarcération de leur parent, et pour organiser leursrencontres 2762 .Mais il importe de remarquer que, alors que la Commission estimait la privation des rapportsentre enfant et parent plus conforme à l'intérêt de l'enfant que leur maintien 2763 , la Cour considèrepour sa part, que, même dictées dans l'intérêt de l'enfant, les mesures nuisant de manière irréversibleau maintien et au bon développement des liens parent/enfant sont contraires à la Convention 2764 .Dans l’arrêt Sabou et Pircalab, la Cour, tout en affirmant la supériorité de l’intérêt de l’enfant, aprécisé qu’il faut tenir compte du type et de la gravité de l’infraction commise par les parents ainsique du comportement général envers les enfants 2765 . En tout cas, le seul fait d’une condamnationpénale ne suffit pas de justifier l’interruption des liens parentaux, ni, comme nous le verrons, et àplus forte raison, la privation des droits parentaux. Ainsi, même s’agissant de relations entre un père<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...reconnaît la légitimité sur le terrain du §2 de l'article 8, spécialement en ce qui concerne la protection de lamorale », D 5239/71 (X/Belgique), préc., p. 142 ;2759 D 17863/91 (Amay/France), 7.12.1992.2760 Ibid.2761 D 16062/90 (V.Cincotta/Italie), préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082762 Ibid.2763 D'après la Commission, la décision des tribunaux anglais d'autoriser la mère des enfants d'un détenu,condamné à dix-huit ans de détention, de s'éloigner de l'Angleterre et de s'installer définitivement au Canada,était conforme à l'article 8 de la Convention, car nécessaire pour « la protection de la santé ou la morale, oupour la protection des droits et libertés d'autrui, en l'occurrence ceux des enfants du requérant », D 7610/76,(X/RU), 9.5.1977, D.R. 9, p. 166.2764 CEDH, Keegan c. Irlande, préc., § 59.2765 A propos du retrait de l’autorité parentale due à une condamnation pour diffamation par voie de presse,CEDH, Sabou et Pircalab c. Roumanie, nº 46572/99, CEDH 2004-IX, § 48.


570accusé d’abus sexuels sur sa fille, les Etats peuvent avoir l’obligation de permettre la restauration desliens 2766 . A cet égard, le fait de surseoir à statuer sur la demande de l’octroi d’un droit de visite lorsdu prononcé du divorce constitue une ingérence 2767 . Si, pendant l’instruction de cette plainte, laséparation était justifiée par la protection de l’intérêt de l’enfant 2768 , « des retards déraisonnablesdans la procédure pénale (elle avait duré six ans et deux mois) avaient un impact direct sur le droit àla vie familiale du requérant » 2769 . L’intérêt de l’enfant implique, en cas de rupture des contacts, larestauration des liens, la mise en place des mesures permettant au lien familial de se développer ànouveau, dès que les mesures n’apparaissaient plus nécessaires 2770 .Il est à noter qu’au sein des droits nationaux, on constate l'absence de dispositions pénitentiairestraitant la question spécifique des contacts entre parents détenus et enfants. Ceux-ci relèvent de lapartie relative aux contacts familiaux en général. Seul le cas d'enfants nés en prison est expressémentréglementé. Les détenues qui accouchent durant leur détention sont autorisées à garder l'enfant avecelles jusqu'à dix-huit mois en droit français (art D. 401 CPP), et jusqu'à trois ans en droit grec (art.13 §3, C. pénit.). Les rapports entre le nouveau-né et leur mère détenue seraient alors les seuls dontle maintien est considéré conforme aux intérêts réciproques des parents et de leurs enfants.On ne peut cependant pas manquer de souligner que les autorités pénitentiaires ont une granderesponsabilité dans la détermination de l'intérêt de l'enfant à maintenir ses visites à son parent détenu.Leur responsabilité peut aller de la prise en compte de l'aménagement des heures de visites enfonction des horaires de l'école des enfants, mais aussi, et surtout, des conditions dans lesquelles sedéroulent les visites.Il est indéniable que la dégradation et la rupture des liens entre les parents détenus et leursenfants est également due au climat des parloirs ou des salles de visite, ainsi qu'au comportement dupersonnel 2771 . Françoise Tulkens parle des conditions traumatisantes dans lesquelles se déroulent lesvisites des enfants : austérité de l'accueil, surveillance omniprésente, dépersonnalisation del'uniforme et parfois impossibilité matérielle des contacts physiques 2772 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Soulignons à ce propos que les améliorations des visites initiées par des associations, comme le« Relais Parents-Enfants », en France, prouvent que le caractère positif ou non des visites sur les2766 Surtout que dans cette affaire, l’accusation a eu lieu de la part de l’épouse du requérant dans le cadre deleur divorce, qui a donné lieu à l’acquittement du père incarcéré. Le juge n’avait pas donné suite aux demandesd’autorisation de visites de sa fille, CEDH, Shaal c. Luxembourg, n o 51773/9, CEDH 2003-II.2767 Ibid., § 45.2768 Ibid., § 47.2769 Ibid., § 48.2770 Ibid.2771 Jan VAN NU<strong>LA</strong>ND, Les Enfants de détenus, préc.2772 F. TULKENS, « Les effets sociaux liés à la détention », préc.


571enfants dépend des condition de leur déroulement, mais aussi du soutien psychologique de l'enfant etde ses parents, ainsi que de la prise en charge des frais du voyage.Outre la détérioration de la qualité des rapports parents/enfants, l'incarcération des parentspeut avoir des conséquences négatives également sur leur statut parental.2. L'autorité parentale retirée ou diminuéeL'étude des droits civils et pénaux grec et français permet de constater que la condamnation et/oula détention peuvent entraîner des conséquences dans l'exercice de l'autorité parentale : soit le retraittotal (a) soit le retrait partiel de l'autorité parentale (b). La Cour a, en 2003, eu l’occasion d’ymettre des limites.a. Le retrait total de l'autorité parentalLes Codes pénaux et civils grecs et français attachent à la condamnation pénale desconséquences sur l'autorité parentale, pouvant aller jusqu'au retrait total de l'autorité parentale 2773 .Mais, en raison de son caractère très grave, elle est réservée aux condamnations pénales pour desinfractions commises sur l'enfant.En droit grec, le retrait total de l'autorité parentale est une conséquence automatique de toutecondamnation à une peine supérieure à un mois d'emprisonnement pour infraction intentionnelle surla vie, la santé et les mœurs de l'enfant (art. 1537 C. civ.). En revanche, en droit français, ce retraitest facultatif et laissé à l'appréciation du juge. Selon les termes de l'article 378 du Code civil, lesparents « peuvent se voir retirer totalement l’autorité parentale par une disposition expresse dujugement pénal ». Le juge pénal est plus ou moins tenu de prononcer ce retrait en cas decondamnation des parents « comme auteurs, coauteurs ou complices d'un crime ou délit commis surla personne de leur enfant » ou « commis par leur enfant ». Par ailleurs, la délinquance des parentspeut constituer, en général, une cause de déchéance de l'autorité parentale laissée à l'appréciation dujuge 2774 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le retrait total de l'autorité parentale n’avait pas été jugé contraire à la Convention par laCommission dans une affaire mettant en cause le droit autrichien, qui prévoyait que toute2773 Voir notre contribution, « Le droit européen et le maintien des liens familiaux », in Familles de détenus,familles condamnées ?, préc., pp.55-74.2774 « Peuvent se voir retirer totalement l'autorité parentale, en dehors de toute condamnation pénale, les père etmère qui, soit par des mauvais traitements, soit par une consommation habituelle et excessive de boissonsalcoolisées ou un usage de stupéfiants, soit par une inconduite notoire ou des comportements délictueux, soitpar un défaut de soins ou un manque de direction, mettent manifestement en danger la sécurité, la santé ou lamoralité de l’enfant » (art. 378-1, C. civ.).


572condamnation à un emprisonnement supérieur à un an entraînait la cessation de l'exercice del'autorité parentale jusqu'à l'expiration de la peine. En vertu de cette disposition, un père détenus'était vu privé de l'autorité parentale, de visites et de correspondance avec sa fille placée dans unfoyer catholique après la mort de sa mère. La Commission avait justifié ces conséquences en lesconsidérant comme inhérentes à la condamnation pénale : ces « mesures, bien qu'elles paraissentassez rigoureuses, découlent au moins en partie des condamnations pénales infligées au requérant »et sont justifiées par le souci de protéger les intérêts d'un mineur, qui est un but légitime sur le terrainde l'article 8 §2 de la Convention 2775 . Mais la jurisprudence de la Cour, depuis lors 2776 , ayant misl’accent sur la protection du lien parental contre sa destruction définitive, laissait prévoir que leretrait total de l'autorité parentale, fondé de surcroît sur le seul motif de la condamnation à une peineprivative de liberté, ne peut pas être conforme à la Convention. Elle a condamné l’automaticité d’unetelle conséquence, attachée par une loi à toute condamnation à une peine privative de liberté, sanslien avec le type et la gravité de l’infraction commise par les parents ni avec le comportement deceux-ci envers les enfants 2777 . A priori seul un comportement « particulièrement indigne » peutjustifier le retrait des droits parentaux dans l'intérêt supérieur de l'enfant 2778 , a-t-elle estimé. La Couravait noté que l'infraction pour laquelle le requérant avait été condamné (diffamation d’une tiercepersonne par voie de presse) était totalement étrangère aux questions liées à l'autorité parentale etqu'à aucun moment il n'a été allégué un manque de soins ou des mauvais traitements de sa partenvers ses enfants 2779 . Dans de telles conditions, a-t-elle jugé, le retrait des droits parentaux« constitue plutôt un blâme moral ayant comme finalité la punition du condamné et non pas unemesure de protection de l'enfant », à savoir la protection de la santé, de la morale ou de l'éducationdes mineurs 2780 .b. La diminution de l'autorité parentale<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Les réformes intervenues tant en droit grec qu'en droit français rendent possible l'« exerciceconjoint » de l'autorité parentale, même lorsque les parents ne vivent pas ensemble (art. 372 C.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2775 D 2306/64 (X/Autriche), 19.7.1966, Rec. 21, p. 23.2776 CEDH, Johansen c. Norvège, préc., § 64. Voir CEDH, K et T c. Finlande, préc., § 155 ; CEDH, P., C. et S.c. R.U., préc., § 117 ; CEDH, Sahin c. Allemagne, préc., § 41.2777 A propos du retrait de l’autorité parentale due à une condamnation pour diffamation par voie de presse,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008CEDH, Sabou et Pircalab c. Roumanie, préc., § 48.2778 Ibid., § 47. La Cour a rappelé à ce propos que, dans les affaires de ce type, l'examen de ce qui sert aumieux l'intérêt de l'enfant est toujours d'une importance cruciale (CEDH, Johansen c. Norvège, préc., § 64) ;l'intérêt de l'enfant doit passer avant toute considération ; seul un comportement particulièrement indigne peutautoriser qu'une personne soit privée de ses droits parentaux dans l'intérêt supérieur de l'enfant (CEDH,Gnahore c. France, n o 40031/98, CEDH 2000-IX, § 59). Voir aussi CEDH, Johansen c. Norvège, préc., § 78.2779« La Cour relève qu'en droit roumain l'interdiction d'exercer les droits parentaux s'appliqueautomatiquement et d'une manière absolue à titre de peine accessoire à toute personne qui exécute une peine deprison, sans aucun contrôle de la part des tribunaux et sans aucune prise en considération du type d'infraction etde l'intérêt des mineurs », CEDH, Sabou et Pircalab c. Roumanie, préc., § 482780 Ibid.


573civ.) 2781 . Aussi, le fait que la « garde conjointe » des enfants ne soit plus indispensable pourl'exercice de cette autorité 2782 , permet-il de ne pas attacher à la détention un effet automatique surl'exercice de l'autorité parentale. La Cour de cassation française a en effet, en 1982, opéré unrevirement de sa jurisprudence en cette matière. Auparavant, elle reconnaissait que la détentionentraînait la privation provisoire de l'exercice effectif de l'autorité parentale 2783 . Actuellement, elleexige que l’on examine avant la prise d'une telle décision, si malgré la détention, un parent détenun'est pas en état d'exercer l'autorité parentale. Les obligations des autorités compétentes sont donccapitales puisque le maintien de l'exercice de l'autorité parentale et l'étendue de sa modificationdépendent de la possibilité pratique d'accomplir ses devoirs.On ne peut toutefois ignorer qu'en réalité la séparation du couple du fait de la détentionentraîne des modifications bien particulières dans l'exercice de l'autorité parentale, pouvant aller dela privation de la garde de l'enfant au retrait provisoire de l'autorité parentale, sa délégation, voireson retrait total. S'agissant notamment des femmes incarcérées, la détention, souligne encoreFrançoise Tulkens, provoque la diminution, voire la perte des droits parentaux. Elle prévoit la misesous tutelle civile, le placement en foyer d'accueil et parfois même l'adoption, ce qui, par ailleurs,prive la mère de l'ultime lien de socialisation et d'intégration 2784 .En effet, en étudiant les conséquences familiales que la détention risque de provoquer dansles droits grec et français, force est de constater que le détenu parent est, de fait, privé du rôle deparent gardien. Cet effet automatique constitue un démenti formel à l'affirmation de la jurisprudenceeuropéenne, à savoir que la séparation entraînée par la détention ne constitue pas une ingérence dansla vie familiale. Si la « garde » n'est plus exigée pour l'exercice de l'autorité parentale, elle demeurenéanmoins l'attribut essentiel de l'autorité parentale.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>D'autres modifications dans l'exercice de l'autorité parentale consécutives à la qualité desliens entretenus entre les parents détenus et leurs enfants peuvent également se produire. Rappelonsque l'autorité parentale comprend le devoir de « soins », notion qui recouvre les devoirs de sécurité,de moralité et de santé de l'enfant, et crée à l'égard des parents le devoir, mais aussi le droit de garde,de surveillance et d'éducation (art. 371-1 al.b C. civ.). Pour y répondre, le parent non gardien de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008l'enfant a des droits et devoirs face au parent gardien : droits et devoirs de visite et d'hébergement, decorrespondance, d'information et de consultation préalable à toute décision modifiant le cadre de viede l'enfant (changement d'école, déménagement etc.). Pour faire respecter ces droits et devoirs, leparent non gardien dispose, en droit français, d'un recours judiciaire auprès du JAF (art. 373-2-8 C.2781 F. MONEGER, « L'exercice conjoint de l'autorité parentale : aperçu d'une réforme » RDSS, 1987, pp. 670,678.2782 Ibid., p. 678.2783 Civ. 1ère, 18 oct. 1978, Bull. civ.I, n° 312, p.240.2784 F. TULKENS, « Les effets sociaux liés à la détention », préc.


574civ.). De surcroît, le refus du droit de visite est pénalement sanctionné par le délit de « nonreprésentationd'enfant » (227-5 C. pén.). La non-garantie de ces droits peut être justifiée uniquements'il est estimé que leur exercice est contraire à l'intérêt de l'enfant 2785 . Dans le sens contraire,l'inaccomplissement volontaire de ces droits et devoirs peut être considéré comme un désintérêt pourl'enfant de la part du parent non gardien, pouvant entraîner des modifications dans l'exercice del'autorité parentale.En droit grec, lorsque le parent « n'est pas en état de répondre » aux devoirs imposés pour le soinde l'enfant et la gestion de ses biens, le tribunal peut, à la demande de l'autre parent, des parentsproches ou du procureur de la République, prendre une mesure appropriée, notamment celle deretirer entièrement ou partiellement l'exercice de l'autorité parentale (art. 1 532 al.a c. civ.). En droitfrançais, le Code civil attache aux manquements aux devoirs parentaux des conséquencesdiversifiées. La mesure la plus légère est celle d'assistance éducative (art. 375 c. civ.). Cette mesuren'enlève pas l'autorité parentale : les parents conservent les droits de visite et de correspondance 2786 .La délégation : elle peut être forcée si les parents se sont désintéressés depuis plus d’un an. Lesparents ne peuvent conserver qu'un droit de visite (art. 377 c. civ.). Lorsque ce désintérêt dure depuisplus de deux ans ou lorsqu'il est considéré comme « mettant manifestement en danger la sécurité, lasanté ou la moralité de l'enfant », il peut entraîner le retrait total de l'autorité parentale (art. 378 à381 c. civ.) 2787 .Or, concernant un parent détenu, on peut imaginer sa difficulté pour accomplir ses devoirs.Non seulement, il ne peut héberger son enfant comme il le doit en cas d'exercice d'autorité partagé,mais il ne peut même pas accomplir les obligations qui ne nécessitent aucun contact physique, neserait-ce que son obligation alimentaire, compte tenu du chômage en prison ou de la faiblesse de larémunération de son travail. On doit toutefois supposer que cette inexécution ne doit normalementpas affecter l'exercice de l'autorité parentale du parent détenu. On doit raisonnablement déduire queces manquements aux obligations parentales ne sont pas volontaires, mais imposés par l'état dedétention. Ainsi en droit français d'une part, le montant de l'obligation alimentaire soit fixéproportionnellement aux ressources de chacun des parents (art. 373-2-2 C. civ.) et que, d'autre part,le JAF puisse, en cas de preuve d'impossibilité totale, en exonérer le débiteur 2788 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082785 Civ. 1re, 10 mars 1993, Bull. Civ.I, n° 103.2786 Al. BENABENT, Droit civil, La famille, 11 e éd., préc., §§ 245-247.2787 Il est à noter que le détenu peut prévenir de tels effets, par une délégation volontaire de l'autorité parentale,où il dispose d'un certain choix sur la personne délégataire. Possibilité sur un mineur de moins de 16 ans, à unparticulier digne de confiance, ou à un établissement agréé ou au service départemental de l'aide sociale àl'enfance. Cette délégation doit être confirmée par jugement rendu à la demande conjointe du déléguant et dudélégataire (l'autorité parentale est déléguée en entier sauf le consentement à l'adoption qui est toujours laisséaux parents), Al. BENABENT, Droit civil, La famille, 11 e éd., préc., pp. 521 et s.2788 Civ. 2e, 1er avril 1992, Bull. civ. II, n° 114.


575L’association FRAMAFAD, qui œuvre en France dans ce domaine, a relevé un autre obstacle :les bulletins scolaires des enfants ne sont pas autorisés en prisons lors des visites, pour des raisons desécurité. Alors que cela facilitera grandement la possibilité des parents incarcérés de suivre la viescolaire de leurs enfants et accomplir ainsi un de leurs devoirs parentaux 2789 .L'examen des liens entre détenus parents et leurs enfants nous a permis de cerner les effets de lapeine privative de liberté et/ou de la détention pénalisant la famille. Les problèmes et conflitsgénérés par la détention se résolvent au détriment des rapports parentaux affectifs et juridiques : ilsne mettent en cause ni la détention en soi, ni les modalités de son aménagement. Quant à la force del'enfant en tant que défenseur des intérêts familiaux communs, nous constatons que si, dans le cas deparents étrangers sous le coup d'une expulsion, l'enfant peut s'avérer un défenseur efficace de la viefamiliale (on estime que l'intérêt de l'enfant s'oppose à l'expulsion de ses parents), dans le cas deparents détenus, non seulement il est totalement désarmé, mais son intérêt peut justifier non pas lemaintien des liens parentaux mais, au contraire, leur rupture.Notre conclusion sur le respect effectif de la vie familiale du détenu et de sa famille, tant auniveau européen que national, ne peut être que négative. Il apparaît clairement que la détention, outrela dégradation des liens familiaux, victimise gravement la famille. Non seulement le détenu ne peutfonder une famille durant sa détention, mais il risque fort de perdre celle qu'il a eu la chance d'avoiravant son incarcération.Or, à propos de cette dernière conséquence, on peut se demander si, afin de respecterefficacement le droit à la vie familiale du détenu et de sa famille et éviter que l'emprisonnementd'une personne mariée ou parent d'enfants mineurs n'entraîne des conséquences néfastes sur lafamille, n'incomberait pas aux Etats l'obligation de prévoir une allocation sociale spéciale lorsque lafamille ne dispose pas des revenus suffisants, mais aussi de prendre en charge les frais des visites.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Les conséquences familiales de la détention dans le cas de familles très modestes sontindéniables et d'autant plus critiquables que la famille n'a pas à supporter le coût du fonctionnementde la justice et de l'appareil répressif du seul fait qu'un de ses membres se trouve concerné.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Ces conséquences, rappelons-le, sont critiquables non seulement au regard de l'obligationpositive qui incombe aux Etats de respecter l'exercice efficace du droit au respect de la vie familiale,et de sauvegarder, en toutes circonstances, sa substance, mais aussi au regard de leur obligation de2789 D’après une enquête menée par un groupe d’associations, la pratique varie entre les établissements : seuls28 % acceptent les bulletins scolaires ; 48 % ne les acceptent pas ; et 24 % parfois, FRAMAFAD, « Famillesde détenus, familles condamnés ? », préc., p. 90.


576respecter le principe de personnalité de la peine. La violation de ce principe n'a pas cessé d'êtredénoncée par la doctrine.Nous nous bornons donc à citer ici la critique exprimée notamment par Marc Ancel. La peine deprison est une peine « aberrante », écrivait-il ; « elle n'atteint pas seulement le délinquant, mais aussisa famille, ses proches, ses enfants, lesquels souffriront parfois plus que lui de la condamnation quile frappe et de la ségrégation qu'elle opère. Quoi qu'on fasse, cet individu n'est pas un être isolé, et ilest fallacieux de vouloir l'isoler fictivement, en face de son acte, lui aussi détaché de sapersonne 2790 » ; « La famille se sent enfermée au-dehors » écrivait à cette même époque, G. deConinck 2791 .Cette critique est récemment renouvelée par Françoise Tulkens dans son rapport présenté en vuede la préparation du projet d'une Recommandation par l'Assemblée parlementaire du Conseil del'Europe : le respect de ce principe « paraît illusoire » ; « les difficultés vécues au sein de la familleconstituent de véritables peines accessoires à la peine principale privative de liberté 2792 ».Cette critique, accompagnée de celles exprimées de la part de ce dernier auteur, à savoir que lapeine privative de liberté porte violation également au principe de la temporalité de la peine 2793 -àcause des effets prolongés après incarcération-, ainsi qu'à la fonction de réinsertion de la peine, ontbien été prises en compte par cet organe du Conseil de l'Europe. Parmi ses recommandations figurela prise d'une série des mesures, y compris de nature financière. Sans aller jusqu'à parler d'allocationfamiliale permanente (le temps de la détention), il est recommandé aux Etats d'octroyer une aidefinancière d'urgence et de maintenir les avantages sociaux des familles. Il est, en outre, recommandéde développer les services sociaux en faveur des familles de détenus.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Il n'est peut être pas inopportun de noter à propos des services sociaux en faveur des famillesqu'aux Etats-Unis, leur prise en charge psychologique date des années '60 sous la forme de« counceling familial 2794 ». Partant du constat que le couple connaît durant toute cette période dessentiments de honte, de culpabilité, d'hostilité et d'anxiété, il a été suggéré de le prendre en chargedès le début de la détention jusqu'à sa fin. Cette prise en charge comprendrait : l'orientation de la<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008famille à la vie en prison, le counceling individuel ou en groupe des proches, l'éclairage sur les2790 M. ANCEL, La défense sociale nouvelle, Cujas, 1981, p. 274.2791 Cet auteur cite à cette occasion les propos de D.P., Schneller dans sa recherche sur les effets familiaux dela famille : « Il n'est pas vrai que personne d'autre que le criminel n'est puni pour son crime, dit Schneller ; leprincipe de la personnalité de la peine est violé lorsqu'on considère la nature et l'étendue des effets del'emprisonnent sur les proches du détenu », SCHNEL<strong>LE</strong>R D.P, The prisoners' family : A study of the effects ofimprisonment on the families of prisoners, San Francisco, 1978, cité par G. <strong>DE</strong> CONINCK, « La famille dudétenu : de la suspicion à l'idéalisation », préc.2792 F. TULKENS, « Les effets sociaux liés à la détention », préc.2793 Ibid.2794 G. <strong>DE</strong> CONINCK, « La famille du détenu : de la suspicion à l'idéalisation », préc.


577symptômes et les soins du détenu, et enfin un approfondissement des méthodes thérapeutiquespermettant aux proches d'avoir un éclairage sur leurs implications dans les troubles du client 2795 .Certes, leur mise en place n'a pas été à la hauteur de ses concepteurs pour des raisons financièreset pratiques. La plupart du temps, les autorités se contentent d'un(e) assistant(e) sociale qui établitdes rapports en vue de l'octroi des mesures de semi-liberté ou de libération conditionnelle. D'ailleurs,cette forme d'aide psychologique avait été conçue dans une approche de la famille comme agent detraitement du détenu. Mais l'idée de la prise en charge psychologique de la proche famille (conjointet enfants), indépendamment du rôle qu'elle souhaite jouer dans le traitement du détenu, devrait fairepartie des obligations des Etats (si la famille en exprime le besoin), afin de la protéger des effetsnéfastes de la détention d'un de ses membres.Quant à notre conclusion générale sur la protection, au sein de la jurisprudence européenne etdes droits grec et français, du droit du détenu, de sa famille et de ses proches au respect de leur vieprivée au sens large (à savoir l'entretien des relations intimes, affectives, sexuelles) est sans appel.Nous ne pouvons que conclure au démenti formel du principe selon lequel la peine privative deliberté est limitée au détenu et qu'elle est limitée à la privation de la liberté physique : tant ses effetssont considérables, multiples et souvent irréparables sur la vie privée et familiale en raison de laséparation forcée et de la surveillance ininterrompue de tous les contacts privés.*Si la Cour éprouve des difficultés à apporter des limites aux conséquences de la peine privativede liberté sur la vie privée et familiale, en raison aussi bien de la séparation physique que du contrôleet de la surveillance de la vie privée, y compris de la vie intime, il devrait en être autrement del’exercice des droits et libertés relatifs à la vie économique de la personne. Ces derniers n’impliquent<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>pas nécessairement des aspects secrets susceptibles de compromettre la sécurité.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082795 Ibid.


578TITRE 2<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE AU REGARD <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A<strong>LA</strong> VIE ECONOMIQUEL’étude de l’application des dispositions de la Convention relatives à la protection de lapersonne dans sa relation au travail, et en général, aux activités procurant l’autonomie financière, ycompris la gestion des biens, montrera que ces sphères de vie du détenu sont également restreintes.Leur étude, ainsi que celle de la liberté syndicale, confirmera, et même accentuera, la considération decette peine comme privative d’autonomie de la personne.Certes la condition physique y contribue en grande partie. En ce sens les prolongationsphysiques implicites de cette peine n’en finissent pas dès lors qu’elles s’étendent sur l’activitééconomique de la personne. La Commission l’avait reconnu comme conséquence normale etraisonnable de la détention : « C'est en principe une conséquence normale et raisonnable de ladétention, nécessaire à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, que lescondamnés détenus cessent leurs activités professionnelles durant leur détention 2796 ».En effet, l’incarcération est automatiquement accompagnée de la cessation de l’exercice desprofessions libérales et de la rupture du contrat de travail. Mais nous verrons que le droit pénitentiaire,au lieu d’y remédier, y rajoute des restrictions. La réglementation de la relation de travail estcaractérisée par l’absence de contrat de travail et par sa réglementation générale dérogatoire au droitcommun du travail. Quant à l’activité libérale elle est quasiment inexistante. Dans son activitéprofessionnelle, le détenu est réduit à celle de travailleur dépendant.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La Cour n’a pas encore émis de limites sérieuses, en tout cas, pas significatives de ceslimitations de la vie économique attachées par les droits pénitentiaires à la peine privative de libertéexécutée en détention. Ce que montrera l’étude de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire (art. 4,Conv. eur.ddh) qui prévoit dans son quatrième paragraphe que n’est pas considéré comme un travailforcé ou obligatoire, tout travail requis normalement d’une personne soumise à la détention ou durantsa mise en liberté conditionnelle. L’apport positif de la Cour se limite à une interprétation de cettedisposition comme ayant un caractère absolu excluant toute dérogation y compris à l’égard des<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008détenus. Seulement nous verrons que cette interprétation a eu lieu au moyen d’un raisonnementcompromettant l’importance de cette interdiction. Nous tâcherons en effet de montrer que c’est aumoyen d’une interprétation critique pour la force protectrice des interdits prévus par l’article 4 de la2796 Rapport sur l'affaire Silver et autres, 14 mars 1981, Série B-51 (plaidoiries), §§ 398-399.


579Convention, que la Cour parvient à concilier les conditions dans lesquelles les détenus exécutent leurtravail, encore aujourd’hui, avec l’article 4 de la Convention. Alors que leur travail est exécuté sanscontrat, est sous-rémunéré et fait partie des obligations des détenus, ces éléments ne suffisent pas pourle qualifier ni de travail forcé ni de travail obligatoire. De toute manière, nous tâcherons de voir queles conditions de travail des détenus posent forcément des problèmes au regard du droit du travail et dela liberté de travail qui impliquent l’accès libre au marché de l’emploi, l’accès sous le statut de salarié,et l’accès aux professions libérales. Or nous verrons que la condition physique de la personne détenueou la sécurité ne suffisent pas à justifier toutes les dérogations de la relation du détenu au travail.Celles-ci s’expliqueraient aussi par la conception de cette peine comme privative d’autonomiemaximale ainsi que par la volonté d’utiliser le travail comme un outil malléable mis au service del’objectif de la peine, tant punitif que resocialisant (Chapitre 1).L’étude de la gestion des biens, le deuxième droit de nature économique garanti par laConvention, précisément par le premier protocole additionnel, parachève cette dimension de la peineprivative de liberté. Le condamné à cette peine, et détenu dans une prison est réduit à une dépendancetotale de l’institution, y compris alimentaire et vestimentaire. La réglementation de ce droit révèleraune hostilité à l’idée même de possession du détenu, d’enrichissement et même d’échanges d’objets etde services. Pourtant la possession des biens, et la liberté de leur gestion, est une condition essentiellede l'autonomie financière, mais aussi une expression symbolique d’autonomie dans l’acte même del’échange libre avec autrui, y compris les micro-échanges de la vie quotidienne : ils constituent autantde contrats supposant l’expression d’une volonté libre de deux parties. Sans oublier leur importancedans le tissage des rapports sociaux 2797 . Or, le pouvoir de possession des détenus est limité en quantitéet en qualité. Ces personnes sont totalement privées de la possession et de la libre gestion, y comprisde leur pécule. Le pouvoir de possession est réduit à un petit nombre d’objets strictement élémentaireset sans valeur marchande, en tout cas ils sont privés de leur en donner une et d’en tirer profit. Toutéchange est soumis à l’autorisation préalable, et s’effectue par l’intermédiaire des autorités, et jamaisdans un but lucratif, mais strictement utilitaire : pour la propre consommation des détenus. Alors queseules des raisons sécuritaires et pratiques, à cause du manque de place dans les prisons, sontexplicitement avancées, quelques dispositions des droits pénitentiaires témoigneront de la persistancede la considération du détenu comme un incapable à gérer lui-même ses biens. De même que le travail,la gestion des biens garde les traits de la mort civile : à tout le moins des traits marquant leur réductionà l’impuissance à la fois physique, sociale et économique. Comme si le rapport des détenus à l’argentet aux biens en général doit refléter l’image de personnes réduites à leur seule simple existencephysique, dépossédées des biens et dépendantes du pouvoir, y compris pour leur survie (Chapitre 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082797 « Le droit de propriété est plus en relation aux hommes qu'une relation aux choses », R. CHARVIN, J.J.SUEUR, Droits de l'homme et libertés de la personne, Litec, 5e éd., 2007, p. 104.


580CHAPITRE 1. L’ETENDUE <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS AU TRAVAILDans les sociétés démocratiques, le travail, terme que nous employons pour désigner toute formed’activité rétribuée, constitue à la fois une liberté et un droit.Cette double dimension pourrait induire une contradiction dans le rôle qui incombe à l’Etat. Laliberté de travail, définie « par opposition aussi bien à l’interdiction de travailler qu’à l’obligation detravailler 2798 », et comme absence d’entrave à l’accès au travail, exige l’abstention de l’Etat. Enrevanche, le droit au travail, défini comme « un droit collectif au plein emploi qui impose aulégislateur la recherche de plein emploi comme objectif 2799 », exige l’intervention de l’Etat 2800 .Toutefois, loin d’être contradictoires, ces deux dimensions du travail sont complémentaires.L’une et l’autre se trouvent consacrées en tant que valeurs fondamentales au sein des textesinternationaux (la Déclaration universelle des droits de l’homme (art. 23 §1) et le Pacte internationalrelatif aux droits économiques, sociaux et culturels (art. 6), des textes européens, notamment celui dela Charte sociale européenne (art. 1), et des textes nationaux constitutionnels.Concernant la Constitution grecque et la Constitution française, la première garantit cette doubledimension du travail. Elle garantit le droit au travail (art. 22 §1) 2801 et l’interdiction du travailobligatoire (art. 2 §4) ainsi que la liberté économique (art. 5 §1). En revanche, la Constitutionfrançaise, ne garantit expressément que le droit au travail 2802 . La garantie de la liberté de travail, quiremonte à 1791 2803 , est laissée au législateur. Toutefois, la liberté d’entreprendre est consacréecomme principe de valeur constitutionnelle depuis 1982 2804 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Enfin, la liberté syndicale et les droits attachés, contribuent également à la protection du travailet font partie des libertés et droits fondamentaux aussi bien au sein des textes internationaux 2805 eteuropéens 2806 , qu’au sein des textes nationaux 2807 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2798 G. LYON-CAEN et J. PELISSIER, Droit du travail, 14e éd., Paris, Dalloz, 1988, p. 62.2799 G. COUTURIER, Droit du travail, t.1, Les relations individuelles au travail, Paris, PUF, 1990, p. 44.2800 Ibid., p 12.2801 « Le travail constitue un droit et est placé sous la protection de l'Etat, qui veille à la création des conditionsde plein emploi pour tous les citoyens, ainsi qu'au progrès moral et matériel de la population rurale et urbainequi travaille » (art. 22 §1).2802 Depuis le Préambule de la Constitution de 1946, il fait partie des Principes économiques, politiques etsociaux, particulièrement nécessaires à notre temps : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir unemploi ».2803 Elle a été proclamée par le Décret d'Allarde des 2 et 17 mars 1791.2804 CC, Décision n° 81-132 DC 16 janvier 1982 sur la loi relative à la nationalisation.2805 Déclaration Universelle des droits de l'homme (art. 23 §4), Pacte international relatif aux droitséconomiques, sociaux et culturels (art. 8), Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 22).2806 Convention européenne des droits de l'homme (art. 11) et Charte sociale européenne (art. 5 et 6).2807 Constitution grecque (art. 23), et Constitution française de 1946 (préambule).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


581Par comparaison avec ces textes, la Convention européenne des droits de l’homme ne garantitexpressément que l’interdiction du « travail forcé ou obligatoire » (art. 4 §2, 3) et le droit de fonderdes syndicats et de s’y affilier (art. 11). Néanmoins, à la lumière de l’évolution de la jurisprudenceeuropéenne, nous constatons que la Convention n’est pas désarmée pour assurer une protection àtous les aspects du travail. En effet, concourent indirectement à la protection de la relation de travail,le droit au respect des biens (art. 1 du Protocole additionnel n°1 à la Convention), le droit au procèséquitable (art. 6§1), et l’interdiction des discriminations (art. 14). L’application de ces dispositions adonné lieu à une garantie du travail de plus en plus étendue (recrutement, autorisation d’exercer uneprofession libérale, évolution de la carrière, cessation de l’activité professionnelle, licenciement,congés, pensions, diverses allocations de sécurité sociale, et autres).Aussi, plus la protection du travail s’élargit-elle, plus l’écart de la protection assurée au travaildes détenus s’accroît. Le statut du détenu au travail garde les traits d’autrefois. Lorsque le travailforcé n’était pas interdit, le droit au travail n’était pas élevé au rang de droit fondamental ; et lorsquela peine privative de liberté était synonyme de privation de liberté au sens large : l’obligation detravailler faisait explicitement partie de la peine.Dans un premier temps, nous tenterons de saisir l’étendue des particularités qui caractérisent lestatut du détenu au travail (Section 1). Dans un second temps, nous essaierons de démontrer lesraisons sous-jacentes de ces particularités. Elles tiennent toujours d’une conception dépassée,archaïque, de la peine privative de liberté (Section 2).SECTION 1. <strong>LA</strong> SOUMISSION DU <strong>DE</strong>TENU A UNE RE<strong>LA</strong>TION <strong>DE</strong> TRAVAILPARTICULIERE<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Afin de cerner de manière concrète les particularités du statut du détenu au travail, nous allonsexaminer successivement la garantie dont il jouit d’abord au regard de l’interdiction du travail forcéou obligatoire (§ 1), ensuite, de la liberté de travail au sens large, dépassant l’interdiction précitée, etdu droit au travail (§ 2), et enfin, de la liberté syndicale et des droits syndicaux (§ 3).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 1. Les particularités au regard de l’interdiction du « travail forcé ou obligatoire »Le travail forcé ou obligatoire, parce qu’il rappelle trop la condition de l’esclave, constitue uneatteinte à la dignité humaine si grave que son interdiction ne puisse être qu’absolue dans les sociétésdémocratiques. Cela signifie qu’aucune dérogation à cette interdiction ne peut être tolérée. C’est en


582ayant à l’esprit cette importance que nous allons comparer l’application de cette interdiction, auxpersonnes libres et aux personnes détenues, au sein de la jurisprudence européenne (A) et des droitsgrec et français (B). Le caractère absolu de cette interdiction signifie que des écarts, s’ils peuventêtre justifiés par la situation matérielle du détenu, ne peuvent pas aller jusqu’à compromettre soncaractère absolu ni le principe de légalité de la peine privative de liberté.A. La garantie au sein de la jurisprudence européenneLa rédaction de l’article 4 §§ 2 et 3 de la Convention aurait pu donner lieu à des doutes sur leprincipe même du caractère absolu de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire. L’affirmation,dans le deuxième paragraphe, que « nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ouobligatoire » est suivie d’un troisième paragraphe énumérant des formes de travail qui ne sont pasconsidérés comme un travail forcé ou obligatoire : a) tout travail requis normalement d’unepersonne soumise à la détention dans les conditions prévues par l’article 5 de la présente Conventionou durant sa mise en liberté conditionnelle ; b) tout service de caractère militaire ou, dans le casd’objection de conscience dans les pays où l’objection de conscience est reconnue comme légitime,un autre service à la place du service militaire obligatoire ; c) tout service requis dans le cas de crisesou de calamités qui menacent la vie ou le bien-être de la Communauté ; d) tout travail ou serviceformant partie des obligations civiques normales. »Malgré cette forme de rédaction de l’article 4 §2, §3, la jurisprudence européenne a affirmé quecette interdiction est de caractère absolu, estimant qu’il ne faut pas voir des restrictions dans letroisième paragraphe de cet article (1). Quant à la mention du travail des détenus dans ce paragraphe,elle ne signifie pas que ceux-ci sont exclus de la protection contre le travail forcé ou obligatoire.Toutefois, nous verrons qu’il n’en reste pas moins que cette mention n’est pas sans incidence sur lagarantie effective des détenus contre ces formes de travail (2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...1. L’application générale de l’« interdiction du travail forcé ou obligatoire »Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008C’est la jurisprudence de la Cour en cette matière qui est venue dissiper les doutes du caractèreabsolu de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire en affirmant, contrairement à la Commission,que le troisième paragraphe de l’article 4 de la Convention n’énonce pas des formes de travailexclues de la notion de travail au sens de l’article 4 §2. Toutefois, force est de constater que cetteaffirmation a été rendue possible au prix du rétrécissement du sens de la notion de travail forcé ouobligatoire (a) et, par conséquent, du rétrécissement du champ de son application (b).


583a. Affirmation du caractère absolu de l’interdiction du travail forcé ou obligatoireLa rédaction de l’article 4 §2, §3 de la Convention a été source des divergences entre lajurisprudence de la Commission et celle de la Cour. La Commission avait adopté une interprétation« exclusive 2808 », voyant dans le troisième paragraphe de l’article 4, des formes de travail exclues dela notion de travail forcé ou obligatoire au sens du deuxième paragraphe de ce même article, sanspour autant compromettre le caractère absolu de l’interdiction de ces formes de travail. Elle y étaitparvenue en adoptant une méthode selon laquelle, en passant du deuxième au troisième paragraphede l’article 4, la notion de travail forcé ou obligatoire changerait de sens : elle revêtirait un senspositif au sein du deuxième paragraphe, et un sens négatif au sein du troisième. Cette différenced’interprétation lui permettait d’affirmer que les cas de travail mentionnés dans ce dernier, s’ils nerépondaient pas aux exigences de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire au sens du deuxièmeparagraphe, n’en constituaient cependant pas des exceptions. Elles constituaient des formes de travailconformes à la Convention dès lors qu’elles répondaient aux exigences du travail non forcé ou nonobligatoire au sens du troisième paragraphe 2809 .Mais l’affaire Van der Mussele a relevé la fragilité de cette interprétation dans la mesure où desglissements vers une interprétation consistant à voir dans les cas de travail énumérés dans letroisième paragraphe de l’article 4 des exceptions à l’interdiction du travail forcé ou obligatoiren’étaient pas toujours évités. Dans cette affaire, la Commission devait se prononcer sur la questionde savoir si l’obligation des avocats stagiaires (prévue en droit belge) de défendre gratuitement, proDeo, les affaires des justiciables impécunieux était contraire à l’article 4 §2 de la Convention. Lerefus de se soumettre à cette obligation pourrait entraîner la sanction disciplinaire de radiation de laliste des stagiaires ou le rejet de la demande d’inscription à l’ordre des avocats. Or, d’après laCommission, les questions qui s’y posaient étaient de savoir : en premier lieu, si l’obligation faite aurequérant « constituait un travail forcé ou obligatoire conformément à l’article 4 §2 » ; et, en secondlieu, dans quelle mesure elle ne relevait pas de l’article 4 §3, al. d de la Convention, lequel autorise<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...un travail forcé ou obligatoire » s’il fait partie des « obligations civiques » et « normales »2810 ».Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Or la Cour a substitué une interprétation « inclusive » en affirmant que l’article 4 §3 « n’a pointpour rôle d’autoriser à « limiter » l’exercice du droit garanti par le deuxième paragraphe, mais de« délimiter » le contenu de ce droit : il forme un tout avec le deuxième paragraphe et mentionne cequi n’est pas considéré comme « travail forcé ou obligatoire, ce que ces termes n’englobent pas2808 D. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Raisonner la raison d'Etat, préc., p. 11, et E. RUBI-CAVAGNA, Le respect de laConvention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par la France etl'Espagne concernant la protection de la personne du détenu, préc., p. 229.2809 D 4653/70 (X /RFA), préc., p. 22 (concernant le travail d'un avocat désigné d'office) ; D 8682/79(X/RFA), 17.7.1981, DR 26, p. 97 ; D 9322/81 (X/Pays»Bas), 3.5.1983, D.R. 32, p. 180 (Refus de transfertd'un footballeur en raison de son impossibilité de payer la somme exigée).2810 D 8919/80, (X/ Belgique), 17.3.1981, D.R. 23, p. 254.


584(shall not include ) ; il contribue de la sorte à l’interprétation du paragraphe 2 2811 ». C’est dans l’arrêtVan der Mussele que la Cour a fait cette relecture de l’article 4 §2 et §3 de la Convention. Partant duconstat que le second paragraphe de l’article 4 ne comporte aucun critère pour définir les notions detravail forcé ou de travail obligatoire, cette instance a considéré que le troisième paragraphe, loin deprévoir des exclusions ou des exceptions, contient les critères pour définir négativement ces deuxnotions.De surcroît, contrairement à la Commission, qui avait adopté la définition de l’OIT 2812 , la Cour aopté pour une définition européenne autonome : « Encore importe-t-il de ne perdre de vue ni lescaractères particuliers de celle-ci (de la Convention européenne des droits de l’homme) ni sa natured’instrument vivant, qui doit se lire « à la lumière des conceptions prévalant de nos jours dans lesEtats démocratiques 2813 . » Quant aux éléments pour une telle définition européenne autonome, cetteinstance a estimé qu’ils sont contenus dans le troisième paragraphe de l’article 4 de la Convention :dans l’énumération des « travaux qui ne doivent pas être considérés comme forcés ou obligatoires »,sont contenus des éléments pour une définition négative 2814 . Plus précisément, y sont contenues les« idées maîtresses d’intérêt général, de solidarité sociale et de normalité 2815 ».Dans l’arrêt Siliadin 2816 qui portait sur une forme d’esclavage moderne, celle de certainsdomestiques, la Cour a de nouveau eu l’occasion de réaffirmer le caractère absolu de tous lesinterdits de l’article 4 de la Convention 2817 et de souligner que ces notions requièrent uneinterprétation évolutive 2818 pour assurer une garantie efficace contre toute forme moderned’esclavage et d’exploitation des personnes, comme l’esclavage domestique 2819 et la traite des êtreshumains 2820 .2811 Ibid. Voir CEDH, Karlheinz Schmidt c. Allemagne, n° n o 13580/88, 18 juillet 1994, Série A n° A291-B,§ 22 ; CEDH, Zarb Adami c. Malte, n°17209/02, CEDH 2006-VI, §§ 44-46.2812 Convention n° 29 de l’O.I.T.. Selon son article 2 § 1, par « travail forcé ou obligatoire », il faut entendre« tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel l’individune s’est pas offert de son plein gré ».2813 CEDH, Van der Mussele c. Belgique, n° 8919/80, 23 nov. 1983, Série A, n°70, § 32.2814 Ibid., § 38.2815 Ibid., § 38. Voir CEDH, Karlheinz Schmidt c. Allemagne, préc., § 22 ; CEDH, Zarb Adami c. Malte, préc.,§§ 44-46.2816 CEDH, Siliadin c. France, préc.2817 Ibid ., § 112.2818 « Il importe de ne perdre de vue ni les caractères particuliers de la Convention ni le fait que celle-ci est uninstrument visant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles, et que le niveau d’exigencecroissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales implique, parallèlementet inéluctablement, une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales dessociétés démocratiques », Ibid., § 121.2819 A propos duquel l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté deux Recommandations enl’espace de trois ans : Recommandation 1523 (2001) adoptée le 26 juin 2001 : « 1. Depuis quelques années,une nouvelle forme d’esclavage est apparue en Europe : l’esclavage domestique. L’on a ainsi dénombré plus de4 millions de femmes vendues chaque année dans le monde ». Recommandation 1663 (2004) adoptée le 22juin 2004 : « 1. L’Assemblée parlementaire note avec consternation que l’esclavage existe toujours dansl’Europe du XXI e siècle. (…) Les esclaves modernes, comme ceux d’autrefois, sont obligés de travailler(victimes de menaces psychologiques ou physiques) sans aucune contrepartie financière ou pour une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


585Elle a, de surcroît, déclaré que cette garantie implique des obligations à l’égard des Etats, nonseulement négatives, d’abstention, mais aussi des obligations positives, d’intervention pour préveniret réprimer efficacement des atteintes aussi graves à la dignité de la personne, y compris dans lesrelations entre les particuliers 2821 . Font notamment partie de telles obligations, la mise en place d’unelégislation incriminant de tels comportements et l’organisation des voies de recours efficaces. Lepouvoir d’exercer des recours efficaces contre la violation de l’article 4 fait partie intégrante de laprotection requise par cet article à l’instar de l’article 2, 3 et dans certains cas de l’article 8 de laConvention. Les plus efficaces, car les plus dissuasives, sont les voies de recours pénales 2822 . LaCour a ainsi jugé que l’absence d’incrimination en termes express du travail forcé ou obligatoire, del’esclavage et de la servitude dans le Code pénal français 2823 , permettant d’engager des poursuitespénales et d’aboutir à des sanctions pénales à l’encontre des auteurs, constitue une omission qui violel’article 4. Les sanctions civiles sont à cet égard insuffisantes 2824 .Si cette jurisprudence de la Cour a mis fin à la considération des formes de travail énuméréesdans le troisième paragraphe de l’article 4 comme exclues de la notion de travail forcé ou obligatoire,il n’est pas certain que la protection effectivement assurée au travail ressorte renforcée. L’affirmationpar la Cour du caractère absolu de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire est accompagnée parl’élargissement de la notion inverse, celle de travail non forcé ou non obligatoire et, par conséquent,par le rétrécissement du champ de protection de cette interdiction.b. Rétrécissement du champ d’application de l’interdiction du travail forcé ou obligatoirerémunération minime. Ils font l’objet de contraintes physiques ou voient leur liberté de circulation limitée, etsont traités de manière inhumaine et dégradante », Ibid., § 121.2820 Le Conseil de l’Europe a ouvert à la signature le 16 mai 2005 la Convention sur la lutte contre la traitedes êtres humains. Elle énonce dans son préambule : « Considérant que la traite des êtres humains peutconduire à une situation d’esclavage pour les victimes ». Elle définit la traite dans l’article 4, al. a :« L’expression ‘traite des êtres humains’ désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement oul’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contrainte, par<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre oul’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur uneautre aux fins d’exploitation. L’exploitation comprend, au minimum, l’exploitation de la prostitution d’autruiou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiquesanalogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes », Ibid.2821 Ibid., §§ 77-89.2822 « La Cour estime que, conformément aux normes et aux tendances contemporaines en la matière, il y a lieude considérer que les obligations positives qui pèsent sur les Etats membres en vertu de l’article 4 de laConvention commandent la criminalisation et la répression effective de tout acte tendant à maintenir unepersonne dans ce genre de situation », Ibid., § 112.2823 Celui-ci réprime de telles atteintes de manière implicite, par le biais des articles 225-13 et 225-14 quirépriment respectivement : « Le fait d’obtenir d’une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendancesont apparents ou connus de l’auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétributionmanifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli est puni de cinq ans d’emprisonnement et de150 000 Euros d’amende » et « Le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendancesont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec ladignité humaine est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende. »2824 Ibid., §§ 130-149.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


586L’interprétation, selon laquelle il faut voir dans les quatre alinéas du troisième paragraphe del’article 4 de la Convention les critères servant à définir les notions de travail non forcé ou nonobligatoire, a donné lieu à un rétrécissement du champ d’applicabilité des notions de travail forcé ouobligatoire ainsi qu’à un raisonnement proche de celui suivi dans l’application des droits à protectionrelative. Certains de ces critères jouent un rôle analogue à celui des buts légitimes qui servent àjustifier les restrictions apportées dans l’exercice de cette catégorie des droits. Pour définir lesnotions de travail forcé ou obligatoire, la Cour applique dans un premier temps les critères deconsentement, de menace d’une sanction et de rémunération.Le consentement. Au terme de contrat, la Cour préfère celui, plus large, de consentement. Lecontrat, estime cette instance, n’est pas la source exclusive du consentement. Ce dernier peut êtrefondé sur d’autres formes d’engagement. Ainsi, dans les professions libérales, comme celle d’unavocat, l’inscription au barreau est une forme d’assentiment aux modalités normales d’exercice de laprofession d’avocat dans un pays et à une époque déterminés. Toutefois, dans l’appréciation ducaractère forcé ou obligatoire du travail, ces formes de consentement n’ont pas la même valeurdéterminante que le contrat. L’existence de ce dernier présume l’absence d’un caractère forcé ouobligatoire du travail 2825 . En revanche, il n’est pas de même s’agissant d’autres formes deconsentement. Dans l’exemple de la considération de l’inscription des avocats stagiaires au barreaucomme une forme de consentement à accéder à un statut de nature générale, la Cour a expliquéqu’un travail peut tomber sous le coup de ce dernier texte malgré cette forme de consentement 2826 .Pour savoir s’il en est ainsi, la Cour tient compte de deux autres critères sans pour autant qu’ilssoient déterminants : de la menace des sanctions 2827 et de la rémunération : « Un travail rémunérépeut aussi revêtir un caractère forcé ou obligatoire 2828 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En fait ces trois critères ne sont, selon la Cour, que des critères de départ dans l’appréciation ducaractère forcé ou obligatoire du travail. Il faut de surcroît tenir compte des critères dégagés parl’article 4 §3 de la Convention, qualifiés d’« idées maîtresses », à savoir : la normalité, l’intérêt<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082825 « Un travail exécuté en vertu d'un contrat librement conclu ne saurait tomber sous le coup de l'article 4 parle seul motif que l'un des contractants s'est engagé envers l'autre à l'accomplir et s'expose à des sanctions s'iln'honore pas sa signature », CEDH, Van der Mussele c. Belgique, préc., § 34.2826 « A lui seul, l’accord préalable de l’intéressé n’autorise pas à conclure que les obligations du requérant autitre de l’assistance judiciaire ne constituent pas un travail obligatoire au regard de l’article 4 §2 de laConvention », Ibid., § 36.2827 Dans l'arrêt Van der Mussele, la Cour avait assimilé le risque de radiation de la liste des avocats stagiaires,ou de la non-inscription du requérant au tableau à la « menace d'une peine », Ibid., § 34. Il en était de même àpropos de l’exploitation de la crainte des personnes en situation irrégulière d’être arrêtées par la police (CEDH,Siliadin c. France, préc., § 118), des amendes ou autre forme de contribution financière en cas de refusd’accepter d’être juré dans un tribunal (CEDH, Zarb Adami, préc.) ou de l’obligation d’effectuer un service desapeurs-pompiers (CEDH, Karlheinz Schmidt c. Allemagne, préc.).2828 CEDH, Van der Mussele c. Belgique, préc., Ibid., § 40.


587général et la solidarité sociale que représente un travail 2829 . La normalité a trait à la nature du travailrequis : le travail demandé doit être proche de la nature du « travail habituellement exercé » par lapersonne concernée 2830 . L’intérêt général du travail peut être d’ordre général comme personnel.Dans l’affaire Van der Mussele, la Cour a estimé que les avocats stagiaires, qui étaient obligés deconsacrer quelques heures pour défendre gratuitement des justiciables, « trouvaient une contrepartiedans les avantages attachés à la profession, parmi lesquels le monopole professionnel de plaidoirie etde représentation dont les avocats jouissent ». Mais le travail peut ne présenter qu’un intérêt général,comme celui d’être juré dans un tribunal 2831 ou d’assister quelques fois les sapeurs-pompiers 2832 .Quant à la solidarité sociale, la Cour a estimé, toujours dans la même affaire, que défendregratuitement quelqu’un en justice est également une tâche de solidarité sociale 2833 .Mais en réalité, la normalité, l’intérêt général et la solidarité sociale jouent un rôle analogue àcelui des buts légitimes dans la garantie des droits de protection relative. Ils servent à justifier desdérogations à l’exigence d’un consentement clair et explicite ainsi qu’à la rémunération et àl’absence de menace des sanctions. En fait, dans l’appréciation du caractère non forcé ou nonobligatoire du travail, le critère déterminant est celui de proportionnalité entre, d’une part, l’étenduedes restrictions apportées à ces exigences et, d’autre part, les buts poursuivis par le travail requis.Devant « un fardeau à ce point excessif, ou hors de proportion avec les avantages attachés àl’exercice futur de celle-ci (d’une profession) », on ne saurait conclure que l’intéressé s’est paravance « offert de son plein gré », affirmait la Cour dans l’arrêt Van der Mussele 2834 . Et pourapprécier le respect de la proportionnalité, il faut prendre également en compte le temps consacré, lecoût et les autres inconvénients éventuels.La durée du temps de travail. S’agissant du travail requis de la part d’une personne exerçant uneactivité rémunérée, il faut tenir compte de la durée du temps consacré au travail requis. Ainsi dansl’arrêt susmentionné, la Cour ayant tenu compte du temps global que le requérant avait consacré à ladéfense gratuite des justiciables durant les trois années de son stage, a déclaré : « On constate qu’illui restait assez de temps pour son travail rémunéré 2835 . »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082829 Ibid., § 38.2830 Dans la présente affaire « les services à prêter ne sortaient pas du cadre des activités normales d'unavocat ; ils ne différaient pas des tâches usuelles des membres du barreau ni par leur nature, ni par unerestriction à la liberté dans le traitement du dossier », Ibid., § 39.2831 CEDH, Zarb Adami c. Malte, préc.2832 CEDH, Karlheinz Schmidt c. Allemagne, préc.2833 « L'obligation contre laquelle s'insurge Me Van der Mussele constituait un moyen d'assurer à M. X. lebénéfice de l'article 6 §3 al. c de la Convention. Dans cette mesure, elle se fondait sur une idée de solidaritésociale et ne saurait passer pour déraisonnable », CEDH, Van der Mussele c. Belgique, préc., § 39.2834 Ibid., § 37.2835 Ibid., § 39.


588Il faut également tenir compte du coût financier. Le coût financier que le travail requis peutreprésenter doit aussi être pris en compte. A ce propos, la Cour a estimé que des frais légers, mêmes’ils s’ajoutent à l’absence de rémunération, ne sauraient passer pour un inconvénient démesuré 2836 .Ce coût doit être évalué au regard des avantages que la personne peut tirer de l’accomplissementd’un travail de solidarité sociale ou d’intérêt général 2837 .Dans cet arrêt, la Cour, ayant constaté que la proportionnalité avait été respectée, a conclu aucaractère non obligatoire du travail requis. Elle a estimé que du fait que le requérant avaitvolontairement embrassé la profession d’avocat, « seul un déséquilibre considérable et déraisonnableentre le but poursuivi (accéder au barreau) et les obligations assumées pour l’atteindre, pourraitjustifier la conclusion que les services exigés de lui au titre de l’assistance judiciaire revêtaient uncaractère obligatoire malgré son consentement 2838 ». Or, un tel déséquilibre ne ressortait pas deséléments du dossier 2839 .A la lumière de ce raisonnement de la Cour, il résulte qu’en dehors de l’hypothèse où lapersonne serait astreinte physiquement à exécuter un travail, ce qui suffirait en soi pour le qualifierde « travail forcé », les autres critères n’ont qu’une valeur relative. Ce qui est déterminant, c’est lerespect de la proportionnalité entre les restrictions et les buts poursuivis. Or, ce raisonnement permetd’émettre des réserves sur la consécration du caractère absolu de l’interdiction du travail forcé ouobligatoire au sein de la Convention. Il conduit à demander si la Cour ne fait pas une lecture desrapports entre le deuxième et le troisième paragraphe de l’article 4 qui soit proche de celle des droitset libertés de protection relative. Les articles consacrant ces derniers, comportent deux paragraphes :un premier qui énonce le droit ou la liberté garantis, et un second qui énonce les buts légitimant desrestrictions, et exige que la proportionnalité soit respectée entre les restrictions et les buts légitimespoursuivis.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Quoi qu’il en soit, nous pouvons observer que ce raisonnement a conduit à un rétrécissementconsidérable du champ d’application de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire, consécutif de ladéfinition extrêmement large des notions de travail non forcé et de travail non obligatoire. A lalumière de l’arrêt Van der Mussele, la définition du travail non obligatoire serait la suivante. N’est<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008pas considéré comme obligatoire, un travail non rémunéré ou très faiblement, quand bien même ilserait exécuté en absence de consentement expres et même sous la menace d’une sanction, dès lorsqu’il relève des tâches de solidarité sociale, qu’il présente un caractère normal et un intérêt général2836 « Le montant des frais directement causés par les affaires en question se révèle relativement faible», Ibid.,§ 40.2837 Toujours dans l’arrêt précité, cette a estimé que « la situation litigieuse présentait certes pour Me Van derMussele des inconvénients résultant du défaut de rémunération et de remboursement des frais, mais ils allaientde pair avec les avantages et n’apparaissaient pas démesurés », Ibid., § 40.2838 Ibid.2839 Ibid.


ou personnel, que sa durée n’est pas importante par rapport au temps de travail rémunéré et que lecoût financier supporté est faible.589Cette définition est a fortiori valable pour le travail non forcé. Ce dernier est défini par la Courcomme un travail qui doit présenter, outre les caractéristiques du travail obligatoire, également cellesd’une « contrainte physique ou morale 2840 ».Quant aux notions de servitude et d’esclavage, c’est dans l’arrêt Siliadin 2841 (2005) que la Coura eu l’occasion de préciser leur sens. Pour la définition de l’esclavage, elle a retenu celle de laConvention de l’O.I.T relative à l’esclavage de 1927 : « L’esclavage est l’état ou la condition d’unindividu sur lequel s’exercent les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux », leréduisant, ajoute-t-elle, à l’état d’« objet » 2842 . Pour la servitude, cette instance se réfère à sa proprejurisprudence : « Telle qu’entendue par la Convention s’analyse en une obligation de prêter sesservices sous l’empire de la contrainte et qu’elle est à mettre en lien avec la notiond’‘esclavage’ 2843 ». La Commission, elle, avait précisé que cette notion comprend en plus del’obligation pour le « serf » de fournir certains services pour autrui, également celle de vivre sur lapropriété d’autrui et l’impossibilité de changer sa condition 2844 .L’affaire Siliadin portait sur le cas d’une mineure d’origine togolaise envoyée en France par sonpère pour être placée comme fille au pair et pour être scolarisée. Mais peu après son arrivée, elle aété prêtée par la famille d’accueil à un couple chez qui elle vivait et travaillait, sans reposhebdomadaire, 5 heures par jour, sans être rémunérée, ni scolarisée, et en situation irrégulière. Desurcroît, son passeport lui avait été confisqué et elle ne pouvait pas, de ce fait, circuler librement nifaire appel à la police. La Cour a estimé que ces conditions étaient constitutives de l’état deservitude. Outre d’être soumise au travail forcé, la requérante était soumise à la servitude du faitqu’elle était entièrement dépendante de ses « employeurs », elle était vulnérable et isolée, avecl’impossibilité de vivre ailleurs, ne disposait d’aucune liberté de mouvement et d’aucun temps libreni d’aucun espoir de voir sa situation évoluer et elle vivait dans la crainte, entretenue par ses« employeurs », d’être arrêtée par la police 2845 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En tenant compte de ces définitions, notamment de celles de travail non forcé et non obligatoire,la jurisprudence européenne n’est pas à même d’influer vers une évolution significative du statut dedétenu au travail.2840 Ibid., § 34.2841 CEDH, Siliadin c. France, préc.2842 Ibid., § 122.2843 Ibid., § 124. Voir CEDH, Seguin c. France (déc.), n o 42400/98, CEDH 2000-III.2844 D 7906/77 (Van Droongenbroeck/ Belgique), 5.7.1979, D.R. 17, p. 59 et s..2845 CEDH, Siliadin c. France, préc., § § 126-129.


5902. L’interprétation spéciale de la notion de « travail normalement requis des détenus »Eu égard à l’interprétation des dispositions de l’article 4 §2 et §3 de la Convention dans l’arrêtVan der Mussele, ce qu’on peut affirmer c’est que le travail des détenus ne peut plus être considérécomme échappant au champ de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire. La mention de leurtravail par l’article 4 §3 al. a, de la Convention doit être considérée comme un exemple exprimantl’idée maîtresse de la normalité du travail (a) ; le travail requis des détenus doit être apprécié auregard de l’ensemble des critères dégagés par la Cour (b).a. Du travail des détenus exclusif de la notion de « travail forcé ou obligatoire »Si l’on se réfère à la jurisprudence de la Commission européenne des droits de l’homme, letravail requis des détenus échapperait à l’interdiction du travail forcé ou obligatoire pour autant qu’ilcorresponde à la définition du travail au sens de l’article 4 §3, al.a, de la Convention, à savoir d’un« travail requis normalement d’une personne soumise à la détention dans les conditions prévues parl’article 5 de la Convention ou durant sa mise en liberté ». Cette instance considérait que cet alinéa,loin de consacrer une exception des détenus dans la protection contre le travail forcé ou obligatoire,apporterait une garantie supplémentaire compte tenu de leur statut particulier. Cette approche avaitété fondée, d’une part, sur la Convention N° 29 de l’O.I.T. selon laquelle « aux fins de cetteConvention les termes de travail forcé ou obligatoire ne doivent pas inclure... tout travail ou serviceexigé par certaines personnes comme conséquence d’une condamnation par un tribunal, à conditionque ledit travail ou service soit sous la surveillance et le contrôle d’une autorité publique et que lapersonne ne doive pas être engagée ou placée à la disposition des individus, associations oucompagnies privées » (art. 2§2). Elle était, d’autre part, fondée sur les travaux préparatoires del’article 8 §3, al. c, du Pacte International des droits civils et politiques qui « n’ont pas indiqué quele terme « requis normalement » exclut le travail pour le compte d’une entreprise privée » 2846 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Aussi, l’expression « travail requis normalement d’une personne soumise à la détention »revêtirait-il un sens autonome par rapport aux autres formes de travail prévues par l’article 4 §3 de laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Convention. Il serait caractérisé par l’absence d’un contrat de travail et, en général, d’unconsentement, d’une sous-rémunération 2847 , mais aussi par d’autres dérogations par rapport à lalégislation du travail. Notons que nombre de ces dérogations avaient été dénoncées par vingt et un2846 D 3134/67, 3172/62 et 3188 à 3206/67 (X/RFA), 6.4.1968, Rec. 27, 1968, p. 97.2847 En citant les résultats d'une étude réalisée par les Nations Unies, en 1955 : « Les sommes payées auxprisonniers travailleurs étaient, avec quelques rares exceptions, extrêmement maigres et que les prisonniersn'avaient pas normalement droit à une rémunération ; le travail était accompli gratuitement, ou lorsqu'unesomme leur était accordée, celle-ci était considérée comme une "récompense", et elle pouvait leur être retiréepar mesure disciplinaire », D 3134/67, 3172/62 et 3188 à 3206/67 (X/RFA), 6.4.1968, Rec. 27, 1968, p. 97 et s.


591détenus en Allemagne, qui se plaignaient : de travailler pour des entreprises privées sans contratsigné directement entre eux et leur employeur (le contrat était passé entre l’administrationpénitentiaire et le concessionnaire) ; de travailler sous contrainte ; d’être sous-rémunérés ; et, enfin,de ne pas être affiliés aux assurances-accidents. La Commission n’a pas retenu la qualification de cesconditions de travail comme constitutives de travail forcé ou obligatoire au sens de l’article 4 §2 dela Convention. Comme elle n’avait pas retenu cette qualification à propos du travail requis sous lamenace des sanctions physiques, comme la mise à l’isolement avec une faible portion de pain pourune durée de deux semaines 2848 .Les seuls critères pris en compte par la Commission pour s’assurer que le travail d’un détenutombe dans le cadre de normalité requise par l’article 4§3, al.a de la Convention, était, d’une part, lalégalité de la détention et d’autre part, l’âge, l’état de santé et, s’agissant des détenus jeunes, la valeurformative du travail. L’illégalité de la détention entraînerait l’anormalité du travail requis desdétenus 2849 . En effet, concernant des griefs corrélatifs, cette instance se contentait de l’examen de lalégalité de la privation de liberté. Lorsque la légalité a été acquise, les seuls éléments qui pourraientrendre anormal un travail seraient soit un travail nuisible pour la santé de la personne 2850 soit untravail pénible, anormalement long ou, s’agissant de jeunes, dépourvu de valeur formative 2851 .Toutefois le rejet systématique des requêtes des détenus se plaignant du non-respect del’interdiction du travail forcé ou obligatoire, associé, dans certaines décisions, avec la limitation duraisonnement au seul examen de la légalité de la détention, nous amène à nous demander dans quellemesure ce dernier critère n’a pas été surdéterminant de la présomption du caractère normal du travailrequis des détenus. Le raisonnement de la Commission se limitait parfois à cette formule : « Aux finsde l’article 4 §3, al. a, le terme ‘travail forcé obligatoire’ n’inclut pas le travail requis durant unedétention ordinaire conforme à l’article 5 de la Convention 2852 . » A ce propos, il n’est passymptomatique que la seule affaire dans laquelle la Commission ait retenu le caractère anormal dutravail requis des détenus soit celle de « vagabondage ». Sa conclusion sur le caractère non régulierde la détention des requérants en cause l’avait amené à conclure, par voie de conséquence, à la nonconformitéde leur travail avec la Convention 2853 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082848 R 1628/62 (X/RFA) , préc ., p. 612849 Thèse de la Commission dans l’affaire De Wilde, Ooms et Versyp, dit de « vagabondage » rapportée dansl’arrêt de la Cour rendu dans cette affaire le 18 mai 1970, § 88.2850 Ainsi, la Commission avait accepté d’examiner le bien fondé du refus d’un détenu de travailler souffrant dela tuberculose, D 1628/62 (X/RFA), préc., p. 61.2851 Ainsi, concernant le travail d’un mineur de seize ans en détention préventive dans un atelier de menuiserie,elle avait estimé que « ce travail n’aurait pas été anormalement long ou pénible eu égard de l’âge du requérant,ou dépourvu de valeur formative », D 8500/79 (X/Suisse), 14.12.1979, 1980, D. R. 18, p. 238 et s.2852 D 3566/68 (X/RFA), 15.12.1969, Rec. 31, 1970, p. 35 ; D 3485/68 (X/R.U), 5.2.1969, Rec., 29, p 53.2853 CEDH, Wilde, Ooms et Versyp c.Belgique, préc., § 88.


592Il importe également de souligner que la Cour, saisie de cette dernière affaire, n’avait pas mis encause l’interprétation donnée par la Commission à la notion de « travail requis normalement d’unepersonne soumise à la détention ». Mais ayant estimé, contrairement à la Commission, que ladétention était régulière, elle a conclu au caractère normal du travail en cause en se fondant sur lescritères suivants : le but de l’obligation à travailler (cette obligation « tendait au reclassement desrequérants ») ; la pratique majoritaire des Etats membres du Conseil de l’Europe ; et le caractèregénéral du texte légal sur lequel se fondait cette obligation 2854 . Mais à la lumière de la méthoded’interprétation suivie par la Cour dans l’arrêt Van der Mussele et les critères appliqués, telle nedevrait plus être la méthode d’appréciation du travail requis des détenus au regard de l’interdictiondu travail forcé ou obligatoire.b. Le travail requis des détenus apprécié au regard des critères dégagés par la CourPartant du principe établi par la Cour dans cet arrêt, à savoir que le troisième paragraphe del’article 4 ne consacre pas une protection distincte de celle de son deuxième paragraphe, mais qu’ilcontribue seulement à définir le sens de l’interdiction qu’il contient, il est permis d’estimer qu’aumoins le processus d’interprétation de l’article 4 §2 et §3 de la Convention dans son application auxdétenus sera changé. L’expression travail requis normalement d’une personne soumise à la détentionne peut plus revêtir un sens autonome au sein de ce dernier paragraphe. Le travail des détenus doitêtre apprécié au regard de l’ensemble des critères dégagés par la Cour et non seulement de celui denormalité.Aussi, les critères de contrat ou de consentement et de menace des sanctions, écartés par laCommission, doivent-ils constituer les critères de départ dans l’appréciation de la conformité dutravail requis des détenus avec la Convention. Quant au critère de normalité, il doit prendre placeparmi ceux de légitimité et de proportionnalité. Et il doit être apprécié au regard des sous-critèresparmi lesquels, la qualification professionnelle doit jouer un rôle important pour éviter que lesdétenus accomplissent systématiquement des tâches étrangères à celles qu’ils exerçaient avant leurdétention. A défaut d’une qualification professionnelle, doivent être prises en compte les préférencesque chaque détenu doit pouvoir exprimer et l’utilité que présente le travail pour son insertion<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008professionnelle. Pour ce qui est de la légitimité des buts du travail « requis », nous estimons que laréinsertion professionnelle des détenus doit être quasiment le seul but recherché. De fait, il associeintérêt personnel du détenu et intérêt général de la société. Cela implique donc que le travail desdétenus doit présenter un intérêt formatif et non seulement occupationnel. Enfin, dans l’appréciationde la proportionnalité, doivent être pris en compte les critères d’âge et de santé du détenu, mais aussiceux de nature, de durée et de rémunération du travail.2854 Ibid., § 91.


Nous estimons cependant que la protection qui résulterait d’une telle interprétation du travailforcé ou obligatoire ne semble pas être beaucoup plus efficace que celle assurée jusqu’alors par laCommission. La Cour n’accorde pas une importance déterminante à l’absence de contrat de travailet, en général, au consentement explicite, à la menace des sanctions et à la sous-rémunération, voireà son absence. Or, dans le cas des détenus, ces critères devraient avoir une importance déterminante.Car il ne faut pas perdre de vue que les autres cas de travail requis sont examinés en tenant comptedu temps laissé pour l’exercice d’un travail libre, au sens d’un travail expressément consenti et dontla rémunération est librement fixée. Alors que, dans le cas des détenus, les conditions de leur travailn’ont pas un caractère exceptionnel mais sont permanentes et les seules que connaissent les détenus.Si bien que tout leur travail est accompli dans des conditions dérogatoires à la législation du droitcommun : il est largement sous-rémuneré (comme nous verrons à propos de l’examen du droit autravail), non seulement il est exercé sans consentement positif exprimé par un contrat de travail, maisencore le refus de travailler est sanctionné dans la majorité des pays européens 2855 . Concernantprécisément le consentement du détenu, il faut souligner qu’il ne peut pas être présumé comme dansles cas des personnes appartenant à des corps socio-professionnels comme ceux des avocats, desmédecins, etc. Ceux-ci accèdent volontairement à leur profession, ce qui n’est pas le cas dans l’accèsau statut de détenu. Dès lors, si l’absence de contrat de travail ou d’autre forme d’expression deconsentement ne suffit pas pour qualifier le travail requis des personnes exerçant de tellesprofessions ou le travail exceptionnellement requis par d’autres personnes pour faire face à un besoinsocial impératif et urgent, dans le cas des détenus, cette absence devrait suffire pour retenir cettequalification.A cet égard, il importe de souligner que la Commission d’experts pour l’application desConventions et Recommandations de l’OIT concernant le travail des détenus en France estime quecertaines conditions posent des questions de conformité avec cette Convention : la rémunération,largement inférieure au SMIC, l’absence de contrat, et les sanctions indirectes à savoir lesconséquences négatives de l’absence de travail sur les réductions de peine et sur la libérationconditionnelle 2856 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Toujours est-il que si de telles conditions de travail des détenus ne sont pas contraires àl’interdiction du travail forcé ou obligatoire, en revanche elles peuvent l’être au regard de la libertéde travail telle qu’elle est garantie dans les droits nationaux.593B. La garantie assurée par les droits nationaux2855 SENAT, Prison : le travail à la peine, Rapport d'information n° 330 de Paul Loridant, Commission desfinances, 9 juin 2002.2856 Rapport de la Commission d’experts pour l’application des Conventions et Recommandations de l’OITconcernant le travail des détenus en France au regard de la Convention de l’OIT (n°29) sur le travail forcé,2006.


594Au regard de la protection générale qui entoure l’interdiction de l’obligation à travailler au seindes droits grec et français (1), le statut de détenu au travail semble bien constituer une dérogation,notamment en droit grec (2).1. Garantie généraleDans la Constitution grecque, l’interdiction du travail forcé ou obligatoire est prévue par l’article22 §4 dans les termes suivants : « Toute forme de travail obligatoire est interdite. Des lois spécialesrèglent les matières concernant la réquisition des services personnels en cas de guerre ou demobilisation armée, ou pour faire face soit aux besoins de la défense du pays, soit à un besoin socialurgent provoqué par une calamité ou pouvant mettre en péril la santé publique ; elles règlentégalement les matières concernant la prestation du travail personnel aux collectivités territorialespour la satisfaction de besoins locaux ». On remarque alors que ne figure pas parmi les types detravaux susceptibles d’être « requis », le travail des détenus, ce qui constitue une différence notableavec l’article 4 §2, §3 de la Convention.La Constitution française ne contient pas de disposition relative à l’interdiction du travail forcéou obligatoire. Aussi, le fondement du respect de cette interdiction repose sur les lois et sur les textessupranationaux et internationaux signés par la France.Malgré cette différence entre les deux Constitutions, les droits grec et français convergent sur unpoint essentiel : l’importance qu’ils accordent au consentement libre et express dans la définition dutravail obligatoire. Contrairement à la valeur relative qui lui est accordée par la Cour, ces deux droitsnationaux lui reconnaissent une valeur déterminante. Le défaut d’un tel consentement peut suffirepour retenir la qualification de travail obligatoire. Selon la doctrine, liberté de travail au sens négatifsignifie interdiction non seulement de l’obligation à travailler sous la menace d’une sanction, maisaussi absence de « toute autre forme de pression qui conduit au travail sans le consentement del’intéressé indépendamment du but poursuivi 2857 ». Il y va non seulement du respect de la libertéd’une personne, mais aussi du respect de sa dignité : « C’est en particulier un principe de dignité :<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008nul ne peut se trouver engagé dans une relation de travail sans l’avoir voulu 2858 . »L’exemple du travail d’intérêt général, peine prévue par les droits grec et français, en constituela preuve. En droit français, le travail forcé ou obligatoire en tant que peine autonome a été adoptépar la loi n° 83-466 du 10 juin 1983 sous la condition du consentement exprimé par la personneconcernée : « Celle-ci doit donner son consentement au moment où le tribunal lui propose un T.I.G :2857 I. KOUKIADIS, Eléments du droit de travail, éd. Sakkoulas, Thessalonique, 1997, p. 29.2858 G. COUTURIER, Droit du travail, t.1, Les relations individuelles au travail (1990), préc., p. 126.


« La peine de travail d'intérêt général ne peut être prononcée contre le prévenu qui la refuse ou quin'est pas présent à l'audience. Le président du tribunal, avant le prononcé du jugement, informe leprévenu de son droit de refuser l'accomplissement d'un travail d'intérêt général et reçoit sa réponse »(art. 131-8 al.b C. pén.). A la lecture des travaux préparatoires, le motif de cette condition a bien étéd’éviter « que celle-ci prenne le caractère de travail forcé, lequel est condamné par les Conventionsauxquelles la France a adhéré 2859 ». De même, dans le T.I.G. en tant qu’obligation particulière de lamesure du sursis avec mise à l’épreuve prononcée par la juridiction du jugement (art. 132-54 et 132-57 C. pén.), ou décidée par JAP (art. 132-57 C. pén., et 747-2 CPP), l’intéressé doit donner sonaccord. En droit grec où le T.I.G fut adopté, en 1989, en tant que peine de substitution à toute peineprivative de liberté qui n’excède pas dix-huit mois et convertible en peine pécuniaire, l’initiative del’intéressé est requise. C’est lui qui choisit d’exécuter un T.I.G., au lieu de convertir sa peine enpeine pécuniaire, en déposant une demande expresse auprès du tribunal d’exécution des peines.Cependant, même au sein du droit grec et français, nous constatons que le souci de recueillir leconsentement diminue, voire disparaît, lorsqu’il s’agit du travail d’une personne condamnée à unepeine privative de liberté.2. Garantie assurée aux détenusRelevons d’abord que les textes internationaux n’ont pas encore supprimé expressément lecaractère obligatoire du travail comme ce fut le cas du caractère afflictif 2860 . Le texte de l’Ensembledes règles minima pour le traitement des détenus, adopté en 1957 par les Nations-Unies, et celui desRègles pénitentiaires européennes de 2006, contiennent des dispositions interdisant que le travail desdétenus revête un caractère afflictif ou pénal 2861 . Les droits français et grec ont supprimé le caractèreafflictif, le premier par décret du 12 septembre 1972, et le second par le Code des règlesfondamentales pour le traitement des détenus, de 1989 2862 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...En revanche, ces textes internationaux continuent à approuver l’obligation des détenus àtravailler. Dans l’Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus (1957), figure ladisposition selon laquelle « tous les détenus condamnés sont soumis à l’obligation du travail, comptetenu de leur aptitude physique et mentale telle qu’elle sera déterminée par le médecin » (règle 71 §2).Les Règles pénitentiaires européennes continuent, même après leur révision en 2006, à cautionner laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20085952859 JO, Sénat, Débats parlementaires, séance du 6 avril 1983, voir notamment les propos de M. RUDLOFF etR. BADINTER, pp. 80-81.2860 Par le décret français du 12 septembre 1972, en droit français, et par le Code des règles fondamentales pourle traitement des détenus de 1989 en droit grec : « le travail ou occupation des détenus n’a pas un caractère niafflictif ni oppressant », (art. 40 §1 C. pénit.).2861 Article 71 §1, Ensemble des règles minima pour le traitement des détenus : « Le travail pénitentiaire nedoit pas avoir un caractère afflictif ».2862 L’interdiction d’un tel caractère est actuellement mentionnée dans l’article 40 §1 du Code pénitentiaire.


596soumission des détenus à cette obligation : « Les détenus condamnés n’ayant pas atteint l’âge normalde la retraite peuvent être soumis à l’obligation de travailler, compte tenu de leur aptitude physiqueet mentale telle qu’elle a été déterminée par le médecin » (art. 105.2). Ces Règles interdisentseulement que cette obligation soit imposée à titre de sanction et recommandent aux Etats de garantirle travail en tant qu’un « élément positif du régime carcéral » 2863 ainsi que la possibilité laissée auxdétenus de choisir le type de travail 2864 .Le droit grec avait marqué en 1989 un progrès en associant les détenus au choix du travailauquel ils allaient être affectés (art. 65 §1 CRFTD). Ce qui (d’après les auteurs de ce Code) nedevrait pas être interprété comme instituant « ni un droit ni une obligation au travail 2865 . » Dans leCode pénitentiaire actuel, bien que l’obligation de travailler ne soit pas expressément mentionnée, lesauteurs ayant préféré de souligner l’importance de prendre en compte les choix exprimés par lesintéressés, leurs aptitudes et leurs besoins (art. 40-42), cette obligation ne fait aucun doute. Le refusde fournir un « travail dû » constitue une infraction disciplinaire (art. 68 §2 al. a, C. pénit.). Ce qui nemanque pas de soulever des questions sur sa conformité avec la Constitution grecque 2866 . Le travaildes détenus n’étant pas mentionné parmi les cas de travail pouvant être requis sans le consentementde la personne, une exception ou une interprétation spécifique du travail des détenus ne peut êtreexplicitement fondée sur le statut de détenu. Elle ne peut, non plus, y être implicitement fondéedepuis que la Cour européenne a rejeté la théorie des « limitations implicites » dans le respect desdroits de l’homme fondées sur la peine privative de liberté.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082863 « Le travail en prison doit être considéré comme un élément positif du régime carcéral et en aucun cas êtreimposé comme une punition (art. 26.1).2864 « Dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir le type de travail qu’ils désirentaccomplir » (art. 26.6).2865 N.KOURAKIS, K. SPINELLI, Législation Pénitentiaire, Athènes, 1990, pp. 35-38.2866 G. LYXOURIOTIS, « La notion du travail obligatoire et l'anticonstitutionnalité du travail desprisonniers », in Y. PANOUSSIS, Y. LYXOURIOTIS, S. KOUTSOMPINAS, N. KOULOURIS, La notion detravail obligatoire au sens de la CEDH et l'anticonstitutionnalité du travail des détenus selon la Constitutionhellénique, éd. A.N. Sakkoulas, Athènes-Komotini, 1994.


597En revanche, en droit français, le progrès est notable. Le travail obligatoire est implicitement,mais clairement supprimé, depuis la loi n° 87-432 du 22 juin 1987 qui laisse l’initiative de travailleraux détenus 2867 . L’article 717-3 al. b du Code de procédure pénale, modifié par cette loi, est rédigécomme suit : « Au sein des établissements pénitentiaires, toutes les dispositions sont prises pourassurer une activité professionnelle aux personnes qui en font la demande ».Il reste que, si le droit français respecte mieux que le droit grec le consentement des détenus autravail, ni l’un ni l’autre ne respectent pleinement la liberté de travail. De fait, alors que ces droitsnationaux accordent une importance prépondérante au consentement exprimé par le contrat detravail, le travail des détenus continue à être exécuté sans contrat.Cela dit, il faut reconnaître qu’à l’heure actuelle l’intérêt dans la protection de la relation dudétenu au travail s’est déplacé. Le détenu étant de plus en plus demandeur d’emploi, le pouvoir desautorités pénitentiaires s’exerce moins par des sanctions visant l’exécution involontaire d’un travailque par des sanctions visant la privation de travail. Cette demande des détenus peut être expliquée,entre autres, par l’amélioration des conditions de travail dans la prison, mais surtout, par lapossibilité des détenus d’améliorer leur vie quotidienne par l’accès à la cantine, de verser une partiede leur revenu à leurs familles et, en droit grec, par la possibilité de racheter des jours de peine 2868 .Dès lors, eu égard à la pénurie des postes de travail et au pouvoir discrétionnaire des autoritéspénitentiaires dans le placement des détenus, travailler apparaît comme un privilège plutôt quecomme une contrainte. Si bien que les questions relatives au travail des détenus se sont déplacéesvers la garantie de l’emploi, de la rémunération et des droits sociaux dérivés.A ce propos, est révélateur le fait qu’en droit grec, alors que le travail est une obligation pour lesdétenus, les demandes de travail au service général de la prison sont inscrites sur une liste suivantleur ordre chronologique afin d’éviter un traitement défavorable. De surcroît, toute dérogation aurespect de cet ordre, lors du classement des détenus, doit être justifiée de manière circonstanciée (art.41 §4 C. pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 2. Les particularités au regard de la garantie de la liberté de travail et du droit au travailAu-delà de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire, le travail bénéficie actuellement, dansnos sociétés européennes, d’une garantie bien plus large. Il bénéficie de la garantie de la liberté detravail dans un sens large et de l’application du droit social protecteur du statut de travailleur (A). Or,2867 B. BOULOC, Pénologie, 3 e éd., préc.2868 Comme nous le verrons plus loin, cela passe par un système de calcul du nombre de jours travaillés commeun temps de détention plus long : un jour de travail peut être compté comme un jour et demi, voire deux jours,de détention.


à l’exception de certains droits sociaux, la garantie assurée aux détenus est loin d’être comparable àcelle assurée aux personnes libres (B).598A. La garantie généraleLe droit au travail et la liberté de travail jouissent d’une garantie expresse au sein des droitsnationaux (1). Ils sont, en revanche, absents du texte de la Convention et de ses protocoles. Unecertaine protection leur est toutefois assurée par l’article 11 (liberté syndicale) et, de manièreindirecte, par l’applicabilité de l’article 6 §1 (le droit au procès équitable) et de l’article 1 duprotocole n° 1 de la Convention (droit au respect des biens) (2).1. La garantie nationaleEn droit grec, la liberté de travail est protégée sous la forme de la liberté économique qui estconsacrée par la Constitution comme un aspect du libre développement de la personnalité 2869 :« Chacun a droit de développer librement sa personnalité et de participer à la vie sociale,économique et politique du pays, pourvu qu’il ne porte pas atteinte aux droits d’autrui ou aux bonnesmœurs ni ne viole la Constitution » (art. 5 §1). En droit français, la liberté de travail, si elle a étéproclamée dès 1791, n’est pas consacrée expressément par la Constitution. En revanche, ces deuxordres constitutionnels consacrent expressément le droit au travail. La Constitution grecque prévoitque « le travail constitue un droit et est placé sous la protection de l’Etat qui veille à la création desconditions de plein emploi pour tous les citoyens, ainsi qu’au progrès moral et matériel de lapopulation rurale et urbaine qui travaille ». Dans l’ordre constitutionnel français, il figure parmi lesprincipes particulièrement nécessaires à notre temps consacrés par la Constitution de 1946 :« Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le respect de ces deux aspects du travail repose sur les garanties de l’accès à l’emploi (a) etcontre la perte de l’emploi (b).a. L’accès au travail<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le droit au travail, étant un droit social, ne crée pas un droit subjectif. Une personne ne peut pasintenter une action en justice contre l’Etat pour l’obliger à lui fournir un emploi ou pour protestercontre le refus d’embauche. La seule protection juridique est celle qui résulte de la protection de laliberté de travail, au sens positif, dans la mesure où elle exige que l’accès à l’emploi ait lieu sanscontraintes ni entraves ni discriminations. Accès sans contrainte signifie que la personne doit décider2869 A. MANESSIS, Droits constitutionnels, t.1, Libertés individuelles, Théssalonique, Sakkoulas, 1982,pp. 151 et s.


599librement de travailler. Aussi la politique d’accès à l’emploi ne peut être fondée que sur lapersuasion : « Le travailleur sera orienté et formé en fonction de ses vocations, de ses aptitudes et desdébouchés ; les techniques utilisées de placement, de conversion ou de transfert relèveront de lapersuasion par les facilités offertes et non de la contrainte 2870 . » Accès sans entraves nidiscriminations signifie accès au travail sans prise en compte d’autres critères que la compétenceprofessionnelle. Aussi la liberté de travail s’oppose-t-elle, par exemple, au refus abusif oudiscriminatoire de délivrer une autorisation pour exercer une profession libérale, ou d’embaucher àun poste de travail offert dans le marché du travail. Elle s’oppose également aux limitations dans lechoix du lieu, de la nature et de la durée de l’activité professionnelle.Toutefois, concernant le travail salarial, la seule liberté dont on puisse parler est celle dudemandeur d’emploi de disposer de sa force de travail sur le marché du travail. Pour ce qui est de lanégociation des conditions de travail, le demandeur d’emploi étant la partie faible, il n’apratiquement le pouvoir que d’accepter ou de refuser celles proposées par l’employeur. En effet, siles droits nationaux accordent une importance fondamentale au contrat de travail, censé exprimerl’accord libre de deux volontés autonomes 2871 , la doctrine ne manque pas de souligner le caractèreillusoire d’une telle conception du contrat. En réalité, dans un contrat de travail, les rapports entre lesparties sont essentiellement inégalitaires : « L’employeur impose seul les conditions auxquelles lesalarié n’a que le droit d’accepter ou de refuser 2872 . » Par ailleurs, juridiquement, les relationsrésultant de ce contrat sont caractérisées par la subordination du salarié vis-à-vis de sonemployeur 2873 . Cela est exprimé par la définition même du contrat de travail comme « engagementd’une personne à travailler pour le compte et sous la subordination d’une autre, moyennant unerémunération ».En réalité, il s’agit d’un contrat-adhésion du salarié à un statut largement préétabli parl’employeur et les conventions collectives. Cependant, on estime qu’il faut y attacher une importancefondamentale, ne serait-ce que d’ordre psychologique 2874 , dans le respect de la liberté de la personneet de sa dignité 2875 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Toujours est-il que, quelle que soit l’importance accordée au contrat de travail dans le respect dela liberté du travail, son importance capitale est indéniable dans la garantie des droits du travailleur.Le contrat de travail est « la source normale et quasi-exclusive d’acquisition et de détermination du2870 G. LYON-CAEN et J. PELISSIER, Droit du travail, 14e éd. préc., p. 130.2871 A. ROUAST et P. DURAND, Précis du droit du travail, Paris, Dalloz, 1957, p. 498.2872 G. LYON-CAEN et J. PELISSIER, Droit du travail, 14e éd. préc., p. 175.2873 G. COUTURIER, Droit du travail, t.1, Les relations individuelles au travail, préc., p. 74.2874 G. LYON-CAEN et J. PELISSIER, Droit du travail, préc., p. 176.2875 G. COUTURIER, Droit du travail, t.1,Les relations individuelles au travail, préc., p. 126.


statut de salarié 2876 » et, de fait, le fondement du droit à faire prévaloir des garanties protectrices dece statut prévues par le droit du travail.600b. Les garanties contre la perte de l’emploiCes garanties diffèrent suivant qu’il s’agisse d’une perte définitive ou provisoire de l’emploi etd’une profession libérale ou d’un travail salarial. S’agissant d’une profession libérale, les garantiesrésident dans la réglementation des modalités de la suspension ou du retrait de l’autorisationd’exercer une profession ou d’exploiter une entreprise. S’agissant d’un travail salarial, elles résidentdans la réglementation de la suspension et de la rupture du contrat de travail. Ainsi, le droit du travailimpose de suspendre seulement le contrat de travail en cas d’inexécution de la prestation de travailpour des motifs légitimes : maternité, accident du travail, événements familiaux, exercice d’un droitcomme le droit au congé sabbatique, au congé parental d’éducation, etc 2877 . Cela permet d’éviter larupture de contrat de travail et de maintenir tout ou partie des droits du salarié. Quant à la rupture ducontrat de travail, elle est réglementée de manière à éviter les licenciements abusifs. Le licenciementne peut avoir lieu qu’à l’issue d’une procédure (délai de préavis, convocation à un entretien,notification des motifs) et pour des motifs légitimes, réels et sérieux. Le motif abusif ouvre au salariéle droit à sa réintégration ou le droit à des dommages et intérêts.2. La garantie européenneLe droit au travail, la liberté de travail ou la rémunération équitable ne sont pas expressémentconsacrés par la Convention. Ces aspects font l’objet de protection au sein de la Charte socialeeuropéenne qui est le pendant de la Convention européenne des droits de l'homme dans le domainede la protection des droits sociaux et économiques. Ces aspects trouvent cependant une certaineprotection au sein de la Convention par l’applicabilité des dispositions des articles 6 §1 et 1 duProtocole n°1 dans des litiges relatifs à certains aspects du travail. Après la présentation desconditions d’applicabilité de ces dispositions (a), nous déterminerons le champ de leurapplication (b).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008a. L’applicabilité de la Convention par le biais de la notion de biens et des droits civilsC’est en se basant sur le fondement contractuel et/ou sur le caractère patrimonial des litigesrelatifs à l’activité professionnelle et aux droits dérivés, que la Cour a considéré que certains d’entre2876 Ibid.2877 Voir parmi les articles du Code du travail : maladie (L. 12226-7 à L.1226), congé de maternité (L1225-16 àL1225-28), Congé de paternité, Congés d'adoption, Congés d'éducation des enfants, Congé pour enfant maladeet Congé de présence parentale ( L1225-35 à 1225-69). Voir aussi, Répertoire de droit social, « Suspension ducontrat », Fascicule 28-10, 11, 1993.


601eux se situent rationne materiae dans le champ d’application de la Convention. De tels litigespeuvent présenter des aspects constitutifs des notions de « droits civils » au sens de l’article 6 §1 dela Convention, mais aussi du droit au respect des biens au sens de l’article 1 du Protocole n° 1.Dans un premier temps, la Cour s’est essentiellement appuyée sur le fondement contractuel deslitiges pour retenir le caractère civil d’un nombre d’entre eux rendant applicable l’article 6 §1 : lecontrat entre un médecin et ses clients 2878 , entre un commerçant et ses clients 2879 et certes le contratde travail. Celui-ci créé une « relation juridique privée entre l’employeur et le salarié » et « tombemanifestement dans la sphère du droit privé 2880 ». Mais très vite la Cour a accordé une placedominante au critère de la nature patrimoniale de l’objet du litige pour étendre l’application de laConvention à des droits dérivés de l’exercice d’une activité professionnelle (salariale, libérale,commerciale ou dans le secteur public), autre que le droit à la rémunération. Cette évolution a étémarquée dans deux arrêts rendus le 29 mai 1986 : l’arrêt Feldbruge 2881 et l’arrêt Deumeland 2882 . Lepremier concernait le droit aux allocations d’assurance maladie, et le second, le droit à une pensiondu régime d’assurance accident. La Cour a estimé qu’elles figurent parmi les modalités de relationentre employeur et employé. Elles sont « un substitut de la rémunération », et à ce titre, ellesconstituent des « moyens d’existence » et peuvent présenter une « importance souvent capitale »pour un « salarié incapable de travailler pour des raisons de santé, ne disposant d’aucune autre sourcede revenu 2883 ». Dans l’arrêt Salesi (1993), cette instance a affirmé l’applicabilité de l’article 6 §1dans le contentieux de la sécurité sociale en général. Tout en admettant qu’il y a des différences entreles allocations d’aide sociale et les prestations d’assurance sociale, elle a estimé : « On ne saurait lestenir pour fondamentales au stade actuel du développement du droit de la sécurité sociale 2884 ». Lacréance peut être légale. C’est dire qu’une personne peut être détentrice d’un droit patrimonial et, parconséquent civil, dès lors qu’une loi le prévoit de manière claire. Ce qu’exige la Cour, est que lacréance soit certaine et exigible et non hypothétique 2885 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2878 « Même conventionnée, la profession de médecin n'est pas un service public : une fois autorisé, le médecinest libre de pratiquer ou non, et il assure le traitement de ses patients sur la base d'un contrat passé avec eux »,CEDH, König c. Allemagne, n° 6232/73, 28 juin 1978, Série A, n° 27.2879 CEDH, Le Compte, Van Leuven et De Meyere,23 juin 1981, Série A n° 43, § 48.2880 CEDH, Feldbrugge c. Pays-Bas, n° 8562/79, 29 mai 1986, Série A n°99, § 38. Voir CEDH, Deumeland c.Allemagne, n° 9384/81, 29 mai 1986, Série A n° 100, § 72.2881 CEDH, Feldbrugge c. Pays-Bas, préc.2882 CEDH, Deumeland c. Allemagne,.précité.2883 CEDH, Feldbrugge c. Pays-Bas, préc., § 37. C’est ce raisonnement qui avait été suivi dans l’arrêtDeumeland mais aussi dans l’arrêt Duclos à propos des indemnités et allocations familiales dues à un accident.« Le but de ces procédures est la détermination du contrat d'assurance applicable au requérant souscrit par sonemployeur et prévoyant le versement d'indemnités en cas d'accident », avait déclaré la Cour dans ce dernierarrêt (CEDH, Duclos c. France, 20940/92, 17 déc. 1996, Recueil 1996-VI).2884 CEDH, Salesi c.Italie, n°13023/87 26 février 1993, Série A, n° 257-E.2885 CEDH, Saggio c. Italie, n° 41879/98, CEDH 2001-X. Voir °CEDH, Van Marle et autres c. Pays-Bas, n°8543/79, 26 juin 1986, Série A n o 101, § 41.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


Par cette approche, la Cour a pu étendre l’applicabilité de l’article 6 §1 à tous les litiges relatifsaux droits sociaux de nature patrimoniale aussi bien à des revenus de remplacement du salaire qu’àdes aides sociales comme l’allocation d’autonomie pour adulte handicapé (en droit français) 2886 oules allocations compensatrices pour hébergement des personnes dépendantes en raison de handicapou de grand âge (droit français 2887 et droit italien 2888 ). Par cette même approche, la Cour a égalementappliqué l’article 6 §1 dans le domaine de la fonction publique dès lors que l’enjeu de certains litigestels que le paiement d’un salaire 2889 , d’une pension 2890 , des indemnités de maladie 2891 , sont purementou essentiellement patrimoniaux. Avec cette limite émise depuis l’arrêt Pellegrin (1999) : demeurenthors du champ d’applicabilité de l’article 6 §1 2892 les litiges relatifs au recrutement, à la carrière et àla cessation de carrière des agents dont « l’emploi est caractéristique des activités spécifiques del’administration publique dans la mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissancepublique ». Tel est notamment le cas des emplois dans les forces armées et dans la police 2893 .L’intérêt du critère de la nature patrimoniale des litiges est important. Cette qualification permetde faire bénéficier les droits sociaux et économiques de la protection non seulement procédurale del’article 6§1 mais aussi de la garantie substantielle requise par l’article 1 du Protocole n° 1 de laConvention. Ce dernier prévoit que « toute personne physique ou morale a droit au respect de sesbiens ». Il permet alors à la Cour de contrôler la légitimité et la proportionnalité des restrictions 2894 .Les ingérences doivent être justifiées « pour cause d’utilité publique » ou « d’intérêt général »comme la protection des droits d’autrui ou la bonne administration de la justice 2895 et doivent êtreproportionnelles. Dès lors, dans le cas d’exercice des droits patrimoniaux relevant de la protection de2886 Le requérant alléguait en particulier la violation de l'article 6 §1 de la Convention et de l'article 14 de laConvention combiné avec l'article 1 du Protocole n o 1, en raison du refus d'octroi d'une allocation pour adultehandicapé et de la durée de la procédure subséquente, CEDH, Koua Poirrez c. France, n o 40892/98, CEDH2003-IX.2887 Allocation compensatrice pour l’hébergement des personnes invalides (Solana c. France (n° 21542/93),Commission, décision 30 nov. 1994 ).73 . Allocation aux familles qui s'occupent à domicile de handicapés membres de leurs foyers, CEDH, Mennittoc. Italie [GC], n° 33804/96, GC, CEDH 2000-X.2889 CEDH, De Santa c. Italie, n° 25574/94, 2 sept.1997, Recueil 1997-V, § 18.2890 CEDH, Francesco Lombardo c. Italie, n° 11519/85, 26 nov. 1992, Série A n° 249-B, § 17 ; CEDH, Massac. Italie, n° 14399/88, 24 août 1993, Série A n° 265-B, § 26.2891 CEDH, Calvez c. France, n°25554/94, 29 juill. 1998, Recueil 1998-V.2892 CEDH, Neigel c. France, n° 18725/91,17 mars 1997, Recueil 1997-II, § 43 ; CEDH, Huber c. France, n o26637/95, 19 février 1998, Recueil 1998-I.2893 CEDH, Pellegrin c. France ([GC], n o 28541/95, CEDH 1999-VIII.2894 « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriétéque pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droitinternational.Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur leslois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pourassurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »2895 CEDH, Saggio c. Italie, préc., § 29 ; CEDH, Azinas c. Chypre, n o 56679/00, CEDH 2002-VI ; CEDH,Kjartan Asmundsson c. Islande, n° 60669/00, CEDH 2004-X, § 17.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008602


l’article 1 du Protocole n° 1, les ingérences doivent non seulement être légitimes et propositionnellesaux buts recherchés mais doivent aussi ne pas être discriminatoires 2896 .603b. Les droits protégés par l’application de la ConventionPar l’application des notions de « droit civil » et de « biens », se trouvent consacrés au sein de laConvention le droit d’accès à une activité professionnelle, le droit de continuer à exercer une activitéprofessionnelle, ainsi que le droit à la rémunération et à d’autres moyens de subsistance.Le droit d’accès à une activité professionnelleC’est à propos de la soumission de l’exercice des professions libérales et d’activitéscommerciales à une autorisation préalable que la Cour a eu l’occasion de reconnaître que, la libertéde travail et le droit au travail impliquent la garantie de l’accès à l’exercice d’une activitéprofessionnelle. En l’occurrence, ils impliquent le droit pour l’intéressé, à obtenir l’autorisationd’ouvrir un commerce 2897 et d’exercer une profession, du moment où il réunit les conditionsrequises 2898 . Le respect donc de cette liberté et de ce droit consiste en l’absence d’entraves illégitimesou disproportionnées aux buts légitimes poursuivis par la soumission de l’accès au travail et de laliberté d’entreprendre à une autorisation ainsi qu’à l’absence de discriminations 2899 dans lesdomaines relevant du champ d’application de l’article 6§1. Son respect consiste également enl’absence de discriminations. Ce qu’a confirmé la Cour s’agissant d’une embauche dans le secteurprivé en acceptant d’examiner un recours pour violation de l’article 6 §1 dans le cadre d’un litigerelatif au refus d’une embauche basé, selon la requérante, sur des critères sexuels 2900 .Le droit de continuer à exercer une activité professionnelle<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Considérant que les litiges relatifs à la perte définitive, et à des interruptions temporaires d’uneactivité professionnelle, ont des incidences sur des moyens d’existence et, par conséquent, sur desdroits civils, la Cour a reconnu que le droit de continuer à exercer une activité professionnelle setrouve également garanti par la Convention. Aussi, constituent une atteinte à ce droit : le retrait de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082896 CEDH, Gaygusuz c. Autriche, n° 17371/90, 16 sept. 1996, Recueil 1996-IV ; CEDH, Koua Poirrez c.France, préc. ; CEDH, Willis c. R.U, n o 36042/97, CEDH 2002-VI.2897 Droit d'obtenir l'autorisation d'ouvrir un commerce (à l'occasion du refus d’une autorisation d’ouvrir unepharmacie), CEDH, G.S. c. Autriche, n°26297/95, CEDH 1999-I.2898 « Lorsqu'un législateur subordonne à certaines conditions l'admission à une profession et que l'intéressé ysatisfait, ce dernier possède un droit d'accès à la profession... déjà qualifié par la Cour de "civil" au sens del'article 6 §1 », CEDH, De Moor c. Belgique, n° 16997/90, 23 juin 1994, Série A n° 292-A, § 43, § 47. Ce droitavait été déjà consacré dans l'arrêt Kraska c. Suisse, n° 13942/88, 19 avril 1993, Série A, n° 254-B, §24 ;CEDH, Thlimmenos c. Grèce [GC], n o 34369/97, CEDH 2000-IV.2899 CEDH, Thlimmenos c. Grèce [GC], préc.2900 Précisément sur des recours intentés par la requérante pour harcèlement sexuel contre un ex-supérieur,CEDH, Fogarty c. R.U [GC], n° 37112/97, CEDH 2001-XI.


604l’autorisation d’exploiter une clinique 2901 et la suspension d’une telle autorisation 2902 ; les poursuitesdisciplinaires afin de prononcer la suspension du droit d’exercer ou la radiation de l’ordre pour lesprofessions réglementées (telles que la profession de médecin 2903 et d’avocat 2904 ) ; et dans le cadre dutravail salarial, la suspension du contrat de travail 2905 , la non requalification d’un contrat de travail àdurée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée 2906 , et le licenciement 2907 .On peut alors déduire que, à part la limite posée par la Cour concernant la catégorie desfonctionnaires, l’ensemble des litiges relatifs à l’accès à une activité professionnelle, à son exercice(évolution d’une carrière, promotions, suspensions et autres sanctions) et à sa fin (licenciement,révocation, radiation, cessation, fermeture) portent sur des droits de caractère patrimonial et, parconséquent, sur des droits civils. Ils tombent alors dans le champ de protection du droit au procèséquitable, du droit au respect des biens et de l’interdiction des discriminations.La rémunération et autres moyens de subsistanceEn ce qui concerne les litiges relatifs à la rémunération ayant un fondement contractuel, la Coura affirmé que leur « caractère civil ne soulève aucun doute 2908 » au sens de l’article 6 §1 de laConvention. A la lumière de sa jurisprudence, ne soulève aucun doute non plus, le caractère civil deslitiges relatifs à des droits sociaux liés ou pas à une prestation rémunérée. Bien que de fortes réservesaient été exprimées par certains juges de la Commission dans l’affaire Feldbrugge, y voyant uneinterprétation extensive de la notion de « bien », afin d’inclure dans le champ d’application de laConvention des droits de caractère social et économique 2909 , l’applicabilité de l’article 6 §1 dans leslitiges sur des droits sociaux, constitue aujourd’hui la règle 2910 .2901 CEDH, König c. Allemagne, préc., §§ 91-95.2902 La suspension « tendant à ôter temporairement le droit de pratiquer » constitue « à n’en pas douter... uneingérence directe et substantielle dans l’exercice du droit de continuer à pratiquer l’art médical », CEDH, LeCompte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, préc.2903 Le contentieux disciplinaire dont l’enjeu est le droit de pratiquer la médecine à titre libéral (mis en causepar des suspensions et des blâmes) donne lieu à des «contestations sur des droits de caractère civil », CEDH,Gautrin et autres c. France, n os 21257/93 à 21260/93, 20 mai 1998, Recueil 1998-III. Il en est de même duretrait d’autorisation de pratiquer la médecine, CEDH, Kraska c. Suisse, préc.2904 Le droit d'exercer la profession d'avocat est un droit de caractère civil (mis en cause par une sanction desuspension) ; par conséquent, le contentieux disciplinaire dont l'enjeu est le droit de continuer à exercer uneprofession donne lieu à une contestation sur des droits de caractère civil (art. 6), CEDH, W.R. c. Autriche, n°26602/95, CEDH 1999-XII ; la radiation du barreau constitue une ingérence dans le respect des biens, CEDH,Döring c. Allemagne (déc.), n° 37595/97, 9 nov. 1999.2905 « Le litige d'une suspension concerne sans contredit des rapports de droit privé entre employeur ettravailleur ; partant, il revêt un "caractère civil" au sens de l'article 6 §1 qui, par conséquent, s'applique enl'espèce », CEDH, Obermeierc. Autriche, n° 11761/85, 28 juin 1990, Série A n° 179, § 67.2906 R n°21012/92, (Bouakkadia c. France), 18.10.1995.2907. « Un différend issu du licenciement... présente, lui aussi, à l'évidence, pareil "caractère civil" », Ibid. AussiCEDH, Neshev c. Bulgarie, n° 40897/98, CEDH 2004-I.2908 CEDH, Feldbrugge c. Pays-Bas, préc., § 38. Voir CEDH, De Santa c. Italie, préc., § 18.2909 CEDH, Feldbrugge c. Pays-Bas, préc.2910 CEDH, Salesi c.Italie, préc., § 19. Voir CEDH, Kerojärvi c. Finlande, préc., § 36.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


605En effet, la Cour a jugé qu’entrent dans le champ d’application de la Convention : les litigesrelatifs à la rémunération directe (comme, le rappel de salaire, les indemnités de licenciement 2911 , lescongés impayés 2912 ), les litiges relatifs aux revenus de remplacement (indemnités d’accidents 2913 ,indemnités de congés de longue maladie 2914 , pensions d’invalidité 2915 , pensions de retraite 2916 ,indemnités de licenciement 2917 , rente viagère 2918 , allocations de chômage 2919 , allocationsveuvage 2920 ), les litiges relatifs aux allocations d’aide sociale (allocations d’invalidité 2921 ,allocations d’autonomie pour personnes dépendantes 2922 , allocations compensatrices pourhébergement des personnes dépendantes en raison de handicap ou de grand âge prévus en droitfrançais 2923 et en droit italien 2924 ).C’est à la lumière de la protection de l’ensemble de ces aspects relatifs à la liberté de travail et audroit au travail que nous essaierons de déterminer dans quelle mesure les détenus jouissent ou pasd’une protection comparable à celle assurée aux demandeurs d’emploi ou travailleurs libres. Maisnous pouvons d’ores et déjà émettre l’hypothèse que l’importance déterminante accordée aucaractère patrimonial de l’objet des litiges peut s’avérer capitale dans la protection des droits desdétenus relatifs au travail. Le fait que ceux-ci exécutent leur travail sans contrat ne doit pas exclurede la protection de la Convention les litiges relatifs à l’accès au travail, à sa perte, à la non-garantiede la rémunération, ou à des droits sociaux dérivés du travail.B. Le statut particulier de détenu « travailleur »2911 CEDH, Mortier c France, n° 2195/98, CEDH 2001-VII.2912 A propos des actions (après fermeture d’établissement) à des fins de paiement des sommes dues à titre desalaires et des congés non payés, CEDH, Saggio c. Italie, préc.2913 Selon une opinion dissidente au sein de la Commission émise dans le Rapport sur l'affaire Feldbrugge c.Belgique, n°8596/79, 8 juillet 1980, cette application allait de soi. La Commission a confirmé cette thèse dansson rapport sur l'affaire A.Duclos c. France, n° 20940/92, 20941/92 et 20942/92, 17 mars 95, § 33.2914<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>CEDH, Benkessiouer c. France, n°26106/95, 24 juillet 1998, Recueil 1998-V (à propos d’unfonctionnaire).2915 CEDH, Schuler-Zgraggen, n°14518/89, 24 juin 1993, Série A, n°263 ; CEDH, Massa c. Italie, préc., § 26 ;<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...CEDH, Kjartan Asmundsson c. Islande, préc.2916 CEDH, Antonakopoulos, Vorstsela et Antonakopoulou c. Grèce, nº37098/97, CEDH 1999-XII ; CEDH,Azinas c. Chypre, préc.2917 CEDH, Mortier c France, préc. ; CEDH, Focias c. Roumanie, n o 2577/02, CEDH 2005-II.2918 CEDH, Kerojärvi c. Finlande, préc., § 36.2919 Puisqu’une telle reconnaissance a eu lieu à propos des allocations d'urgence qui succèdent à la fin desindemnités de chômage, CEDH, Gaygusuz c. Autriche, préc.2920 CEDH, Willis c. R.U, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082921 CEDH, Salesi c.Italie, préc., § 19.2922 Allocation d’autonomie pour adulte handicapé et l'allocation supplémentaire du Fonds national desolidarité prévues en droit français, mises en cause dans l’arrêt Koua Poirrez, précité : le requérant alléguait enparticulier la violation de l'article 6 §1 de la Convention et de l'article 14 de la Convention combiné avecl'article 1 du Protocole n o 1, en raison du refus d'octroi de ces allocations fondé sur sa nationalité et de la duréede la procédure subséquente.2923 Allocation compensatrice pour l’hébergement des personnes invalides, D n° 21542/93, (Solana c. France),30 nov. 1994.138 Allocation aux familles qui s'occupent à domicile de handicapés membres de leurs foyers, CEDH, Mennittoc. Italie [GC], préc.


606Nous allons constater qu’encore aujourd’hui, tant au sein des droits nationaux, qu’au sein de lajurisprudence européenne, la situation du détenu est caractérisée par des différences significativespar rapport aux personnes libres 2925 , tant au regard du droit au travail et de la liberté de travail (1),que du statut de « travailleur » (2).1. Particularités au regard du droit au travail et de la liberté de travailQu’il s’agisse de l’accès au travail (a) ou de la non-privation du travail (b), le détenu est loin dejouir de la garantie de la législation commune.a. Les atteintes à l’accès au travailL’accès au travail assuré par le respect de la liberté de travail ou par la politique de l’emploi estdans le cas des détenus soumis à des restrictions considérables par rapport aux demandeurs d’emploià l’extérieur.Tout d’abord, la liberté d’accès au travail implique, d’une part, l’accès sans autorisationpréalable, et d’autre part, l’accès sous un contrat librement signé entre l’employeur et l’employé. Or,l’accès des détenus au travail ne jouit d’aucune de ces deux garanties. La liberté de travail est loind’être assurée aux détenus, y compris dans le droit français où l’accès au travail est laissé à leurinitiative.L’accès sous autorisationAlors que la demande et l’offre d’emploi doivent être librement enregistrés dans le marché dutravail, dans le cas des détenus, les deux sont soumis à l’autorisation préalable des autoritéspénitentiaires.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Pour que les demandes d’emploi des détenus aboutissent aux postes offerts, elles doivent obtenirl’autorisation préalable et explicite du directeur de la prison. Cela est clairement affirmé dans le droitfrançais : « En fonction des besoins exprimés par le concessionnaire, ils (les détenus) sont désignéspar le chef d’établissement parmi les demandeurs d’emploi 2926 . » En droit grec, cette condition n’estpas moins explicite dès lors que le droit pénitentiaire prévoit que la décision d’affecter un détenu àun poste de travail appartient au Conseil de travail des détenus qui est composé de 5 membres (art.41 §3 C. pénit.). Par ailleurs, les offres d’emploi par des employeurs privés sont également soumisesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20082925 Le nombre de ces particularités est également souligné par la Sénat français qui a formulé des propositionsafin de « normaliser » le travail des détenus en rapprochant le statut juridique des détenus au travail du statutjuridique de salarié au sein du droit commun, SENAT, Prison : le travail à la peine, préc.2926 Le travail en prison : contrat de concession, Ministère de la justice, DAP, doc. 24 nov. 1987.


607à l’autorisation préalable de l’administration pénitentiaire. En droit français, il est précisé que « parle contrat de concession, l’administration pénitentiaire autorise une entreprise à employer desdétenus demandeurs d’emploi et met à sa disposition des locaux appropriés à son industrie 2927 ». Eten 2007, il a été jugé nécessaire de préciser que « aucun genre de travail ne peut être adopté à titredéfinitif s'il n'a été préalablement autorisé par le directeur interrégional des services pénitentiaires »(art. D 102 al.1, CPP 2928 ). En droit grec, c’est après l’entente préalable entre le conseil de la prison etles employeurs publics ou privés que les détenus peuvent travailler pour ces derniers (art. 41 §5 C.pénit.).Ces offres sont, de surcroît, centralisées à la direction de chaque établissement pénitentiaire qui ale monopole de l’embauche des détenus. Par conséquent, l’employeur privé ne peut atteindre ledétenu demandeur d’emploi autrement que par l’enregistrement de son offre par l’administrationpénitentiaire.Les restrictions dans la liberté des employeurs et des détenus demandeurs d’emploi s’étendentégalement au moment du recrutement. La liberté des employeurs est restreinte du fait que la décisiondu choix des candidats ne lui appartient pas. Les détenus ne sont pas nominalement désignés dans lecontrat de concession. En droit français, par exemple, l’employeur n’a que la possibilité dedemander le déclassement d’un détenu qui, après une période suffisante de formation ou d’emploi,manifesterait une inaptitude ou une insuffisance professionnelle.Quant à la liberté des détenus, elle est réduite au devoir du directeur de la prison de tenir compte,lors de leur affectation à un poste de travail, des souhaits exprimés par eux 2929 . En droit grec, cetteliberté des détenus est encore plus réduite. Car, s’ils sont entendus par le Conseil de travail desdétenus (qui existe dans chaque établissement) avant la décision de leur affectation à un poste detravail, ils sont obligés d’accepter le poste de travail proposé par ce Conseil (art. 41 §3). Sauf si lanature du travail risque de porter un « préjudice grave et permanent à la santé » (art. 40 §2). La seuleliberté dont ils disposent est leur choix de travailler ou non au service général de la prison (art. 41§4) et leur choix de suivre ou non un programme de formation professionnelle et un enseignement(art. 40 §4).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082927 Contrat de concession, Ministère de la justice, DAP, doc. 14 janvier 1986,2928 Décret nº 2007-931 du 15 mai 2007.2929 « L'affectation à un poste de travail résulte d'une décision administrative de classement prise par le chefd'établissement au vu d'une demande dans laquelle, le détenu explicite ses souhaits et ses motivations »,Travail dans la Prison : réponses au questionnaire de l'institut de recherche des Nations-Unies sur la défensesociale, Document de la Direction de l'Administration pénitentiaire, Ministère de la justice, 24 nov. 1987, p.11.


608Une autre atteinte, officieuse à l’accès au travail, est celle signalée aussi bien pour la Grèce quepour la France : le traitement défavorable d’une nouvelle demande de travailler des détenus ayantprécédemment refusé un poste de travail proposé 2930 .L’accès sans contrat de travailAlors que toute activité professionnelle doit être exécutée en vertu d’un contrat librement signéentre les deux parties, tel n’est pas le cas dans le travail des détenus ni en droit français ni en droitgrec.En droit français, il est expressément prévu que « les relations de travail des personnesincarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail 2931 ». En effet, ni dans le système de la Régieindustrielle des établissements pénitentiaires (R.I.E.P.) et du service général 2932 , où l’employeur estl’Etat, ni dans le système concessionnaire dans lequel les employeurs sont des personnes privées, letravail des détenus n’est fondé sur un contrat. Dans ce dernier système, un contrat est signé, mais nonentre les détenus et les employeurs. Le signataire pour le compte des détenus change selon la duréede l a concession proposée ou selon le nombre des détenus employés. Lorsque la concession estaccordée pour une durée supérieure à trois mois ou pour un effectif supérieur à cinq détenus, lecontrat est signé entre le directeur régional et le représentant de l’entreprise concessionnaire. Dansles autres cas, il est signé entre le chef de l’établissement et le concessionnaire (art. D. 104 CPP). Deplus, il s’agit d’un contrat de type spécial, précisément, d’une « convention » qui fixe les conditionsd’emploi et de rémunération du travail des détenus (art. D. 103, al. b CPP), conformément auxclauses et conditions générales arrêtées par le ministre de la Justice (art. D. 104, al. a CPP). Demême, le travail des détenus effectué dans le cadre d’une association agréée ne repose pas sur uncontrat (art. D. 103, al. b CPP). Le travail effectué à l’extérieur de l’établissement pénitentiaireconstitue la seule exception (loi du 2 janvier 1990). Elle se limite donc aux détenus bénéficiaires demesures de placement à l’extérieur et de semi-liberté. Le droit grec, bien qu’il soit silencieux surcette question, ne se démarque pas du droit français. Le travail des détenus s’exécute également sanscontrat.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Or, nous estimons que, si l’absence de contrat de travail signé directement entre employeurs etdétenus, et le mode de recrutement de ces derniers, ne sont pas suffisants pour qualifier le travail des2930 Sur les 19 directeurs de prison en Grèce qui ont répondu à cette question, seulement 7 ont nié absolumentl'application d'une telle sanction pour les détenus condamnés. Les 12 autres personnes sont partagées entre sonapplication systématique ou non-systématique, N. KOULOURIS, « Aspects juridiques du travail obligatoiredans les prisons hélleniques- une première approche interdisciplinaire », in Y. PANOUSSIS, Y.LYXOURIOTIS, S. KOUTSOMPINAS, N. KOULOURIS, La notion de travail obligatoire au sens de laCEDH et l'anticonstitutionnalité du travail des détenus selon la Constitution hellénique, préc.2931 Article 720 al. c et D.103 al. b CP.2932 « En vue de maintenir en état de propreté les locaux de la détention et d'assurer les différents travaux oucorvées nécessaires au fonctionnement des services » (art. D. 105 al. a., CPP).


609détenus de travail « forcé » ou « obligatoire » au sens de la Convention, ces conditions affectentcertainement la liberté de travail au sens large du terme. D’ailleurs, une partie de la doctrinefrançaise, qui distingue les « rapports contractuels » des « situations réglementaires » de travail 2933 etconsidère que ces dernières sont des situations de travail imposées par des mesures autoritaires,classe le travail des détenus parmi ces dernières 2934 . Les répercussions de l’absence de contrat detravail vont bien au-delà de l’atteinte à la liberté du travail.Le contrat de travail étant déterminant pour le statut de salarié, son absence empêche le détenud’acquérir le statut de salarié et le prive de la protection des dispositions du droit du travail, relativesà la garantie de l’emploi et aux droits des salariés. A ce propos, notons qu’une des critiques portées àla loi française ayant supprimé l’obligation des détenus à travailler (loi n° 87-432 du 22 juin 1987), aété de manquer l’objectif de garantir l’égalité aux détenus qui travaillent : « A partir du moment oùun détenu travaille, il doit être considéré comme un travailleur et bénéficier des protectionsauxquelles ont droit les salariés 2935 . »Dans l’avant projet de la loi pénitentiaire préparé en 2002, les rédacteurs avaient adopté uneapproche du droit du travail fondée sur le principe du sens juridique limité de la peine privative deliberté au seul droit d’aller et venir. Partant, ils recommandaient de créer un contrat de travail pourles détenus avec une rémunération minimale de 50% du Smic, 35 heures hebdomadaires ainsi qu’undroit aux congés payés.Mais avant de nous pencher sur les répercussions précises de l’absence de contrat de travail, ilconvient de relever également les restrictions de l’accès des détenus au travail qui sont dues à lapolitique de l’emploi suivie dans les prisons.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Les entraves de la politique de l’emploi<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Ni en droit grec ni en droit français où l’obligation des détenus à travailler est supprimée, on nepeut encore parler de reconnaissance du droit au travail. Il en serait ainsi si ce droit étaitexpressément consacré et si l’obligation de l’Etat de mettre en place une politique d’emploi pourUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008garantir son exercice effectif était clairement affirmée à l’instar par exemple du droit espagnol.L’article 25.2 de la Constitution espagnole prévoit expressément que le condamné « ...aura droit à untravail rémunéré et au bénéfice correspondant à la sécurité sociale... » 2936 . Or, de telles dispositions2933 A. ROUAST et P. DURAND, Précis du droit du travail, préc., p. 502.2934 Ibid., p. 501.2935 JO, Assemblée Nationale, Séance du 11 juin 1987, p. 2257.2936 L'article 100 du Code pénal espagnol, prévoit un jour de remise de peine pour deux jours de travail, et letribunal constitutionnel a interprété cette disposition et celles des articles 26 de la loi générale pénitentiaire et182 du règlement pénitentiaire qui réglementent sa mise en oeuvre, dans le sens suivant : ces dispositionsconsacrent l'obligation de l'Etat d'organiser le service nécessaire afin de fournir à tous les détenus un poste de


610sont absentes dans les droits grec et français, et la politique d’emploi poursuivie en prison nonseulement ne permet pas d’atteindre l’objectif de plein emploi, mais en plus, porte atteinte à l’égalitédes chances d’accès à l’emploi entre les personnes détenues et les personnes libres.L’accès effectif des détenus au travailSi le chômage est un problème commun à toute la société en Europe, son taux dans les prisonsest sans commune mesure. En France et en Grèce, il est supérieur à 50 % de la population carcérale.En France selon les données communiquées par le service de presse du Ministère de la Justice le 19octobre 2006, seuls 21.500 détenus ont touché une quelconque rémunération sur plus de 60.000détenus. En Grèce, en 1991, la dernière année pour laquelle nous disposons de données, seulement219 détenus travaillaient à la prison de Korydallos sur plus de 4 000 détenus. Ce qui n’a pas dûbeaucoup évoluer. En 2001, le CPT a constaté que dans la prison la plus grande de Grèce quihébergeait 2 071 détenus, seuls 371 travaillaient 2937 .Notons au passage que ce taux d’inoccupation serait, ainsi que l’a souligné le Conseiléconomique et social français, la motivation principale du législateur français d’honorer le principed’interdiction du travail forcé et obligatoire à l’égard des détenus, faute pour l’administrationpénitentiaire de rendre effective l’obligation des détenus à travailler 2938 .Ce taux élevé du chômage des détenus s’explique par des causes supplémentaires spécifiques àla prison qui, par ailleurs, affectent l’égalité d’accès au travail. Les types des travaux proposés auxdétenus ne sont pas comparables à ceux auxquels ont accès les demandeurs d’emploi à l’extérieur.Le Conseil économique et social français soulignait encore, en 1989, la médiocre qualité quereprésentent les travaux proposés : « Le plus souvent les postes proposés sont des tâches répétitiveset dénuées d’intérêt de sorte qu’elles ne présentent pas de valeur préparatoire à un avenirprofessionnel 2939 ». Il constatait en effet que, si 65 % des détenus étaient employés à des activitésproductives, ils étaient 27 % à être employés à des activités dites « occupationnelles » à savoir, à desactivités qui concernent l’entretien et la vie quotidienne de la prison. Quant aux activités productives,elles étaient plutôt de type artisanal 2940 . Le tableau dressé par l’étude du Sénat pour l’année 2000-<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008travail et le droit de ceux-ci à une activité rémunérée ou à un poste de travail dans la limite des possibilités duservice pénitentiaire existant, E. RUBI-CAVAGNA, Le respect de la Convention européenne de sauvegardedes droits de l'homme et des libertés fondamentales par la France et l'Espagne concernant la protection de lapersonne du détenu, préc., p. 255.2937 CPT/Inf (2002) 31, Rapport de visite, Grèce, préc.2938 Selon le Conseil économique et social « la réforme législative de 1987 a pour effet de prendre en compte lacarence dont souffre l'administration pénitentiaire en supprimant l'obligation au travail qu'elle n'est pas enmesure d'assumer », in CES, 731/SG, Travail et prison, Rapport du 9.12.1987, p. 109.2939 Avis adopté par le Conseil économique et social, séance 9.12.87, sur le « Travail et prison », Revuepénitentiaire, 1989, n°1, p. 63 et s.2940 Fabrication des meubles, d'articles métalliques, de menuiserie, de confection, de paillage ; de même que lesnouvelles activités tournées vers l'exportation (cosmétique, jouets, montages d'articles en plastique etc.).


6112001 n’est pas très différent : « Le travail le plus répandu est malheureusement le façonnage outravail à façon, le conditionnement, les petits assemblages, le tri d’oignons, la confectiond’échantillons de moquettes, les échantillons de maquillage 2941 . »En Grèce, selon la seule enquête à notre connaissance réalisée sur cette question, entre 1991 et1994, presque la moitié des détenus qui travaillaient étaient affectés à des travaux occupationnels 2942 .Quant aux travaux productifs, ils y demeurent également de type artisanal 2943 et les femmes étaientmajoritairement occupées à des travaux de broderie et de tissage. Le Code pénitentiaire de 1999prévoit que le Conseil de travail des détenus doit collaborer avec tous les partenaires professionnelset sociaux pour la recherche des emplois et des programmes de formation et d’éducationprofessionnelle, et devrait organiser dans la prison des travaux dans des conditions autant quepossible similaires à l’extérieur (art. 40 §5).Quant au travail à l’extérieur, qui aurait pu contribuer à parer à ces inconvénientsd’investissement dans les prisons, nous constatons qu’en France le nombre de détenus qui travaillentà l’extérieur est extrêmement faible. En 2000, ils n’étaient que 1 382 affectés à ces régimes 2944 .Quant aux types de travaux auxquels ces détenus sont affectés, ils sont plutôt occupationnels. Ilsconsistent principalement en l’entretien des espaces verts, le débroussaillement des forêts, lemarquage de sentiers de grande randonnée, la réfection d’ouvrages publics. En Grèce, les régimes desemi-liberté et de placement à l’extérieur, introduits seulement en 1989 (par le Code de règlesfondamentales pour le traitement des détenus) et prévus par les articles 59 à 64 de l’actuel Codepénitentiaire, ne sont pas encore mis en œuvre.Les principales raisons avancées pour expliquer l’inégalité de l’accès des détenus sont ladissuasion des investisseurs privés d’investir en prison et de renouveler les équipements pour desraisons pratiques (comme l’inadaptation des locaux) et budgétaires (faible rentabilité du travail desdétenus à cause notamment de la courte durée de journée de travail). Or pour une bonne partie, cetteinégalité est également due à des limitations imposées par la politique pénitentiaire. Politique qui estdéterminée principalement par le maintien de l’ordre et de la discipline de la prison, par l’objectifpénologique de la réinsertion des détenus, et par la conception de la peine privative de liberté dans<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008un sens englobant celle de la liberté de travail. Nous pouvons en effet mettre au compte de lapolitique pénitentiaire les limitations suivantes.2941 SENAT, Prison : le travail à la peine, préc., p. 26.2942 N. KOULOURIS, « Aspects juridiques du travail obligatoire dans les prisons hélleniques - Une premièreapproche interdisciplinaire », préc.2943 En 1991, 143 détenus étaient employés aux travaux du bâtiment, 119 à des travaux techniques, 175 auxtravaux agricoles, 107 à des travaux d'élevage.2944 Rapport de l’administration pénitentiaire, 2004, qui confirme que de toute manière le nombre de placesdisponibles pour cette mesure est limité à 1 959 .


612La limitation de la liberté d’accès au marché de travail : à cause du système d’autorisation et decentralisation des offres et demandes d’emploi par l’administration pénitentiaire ; à cause de la placeextrêmement restreinte réservée au travail des détenus pour leur propre compte 2945 ; et à cause dufaible nombre de détenus qui travaillent à l’extérieur.La limitation des types de travaux autorisés pour des raisons d’ordre, de discipline et de sécuritéde la prison. En droit français, l’énoncé que « l’organisation, les méthodes et les rémunérations dutravail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieuresafin notamment, de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre » (art. D. 102 al.b CPP), est suivi par la précision : le travail y est organisé compte tenu, outre des possibilités localesde l’emploi, « des nécessités de bon fonctionnement des établissements » (art. D. 101, al. a CPP). Lamême approche est adoptée par le droit grec. Le rapprochement des types de travaux exécutés enprison et de leur organisation de celle à l’extérieur (art. 41 §1 C. pénit.) est soumis à la condition dela compatibilité avec les exigences de sécurité et du bon fonctionnement de l’établissement(art. 41 §5).Enfin, la soumission des détenus candidats au travail à des critères supplémentaires. En droitfrançais, outre l’expérience et la compétence du détenu, doivent être également pris en compte :l’intérêt du travail pour la réinsertion du détenu 2946 ; sa catégorie pénitentiaire (art. D. 101, al. a, bCPP) ; sa dangerosité ; les conditions de sécurité du lieu de travail ; et la composition de l’équipedéjà en place. Le droit grec, en revanche, prévoit simplement que le travail doit être fourni auxdétenus en fonction de leurs compétences et des gages qu’ils offrent pour l’accomplir avecconscience et responsabilité (art. 41 §2 C. pénit.).L’accès des détenus au travail n’est donc pas organisé comme activité économique et comme undroit des détenus mais comme un moyen de gestion de la vie en prison et de la délinquance. Les butsdominants recherchés, ainsi que le reflètent la nature des travaux proposés et les critères d’accès desdétenus au travail, sont l’occupation des détenus et/ou leur réinsertion. Or l’accent mis sur ce dernierobjectif, notamment depuis la suppression du caractère pénal du travail, rapproche la conception del’ensemble du travail des détenus à celle de la formation professionnelle. Le travail est considéré<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008comme une étape préparatoire à l’accès au travail au moment du retour à la vie libre et non commeun droit exercé durant la détention.2945 Tant en droit français (art. D. 101 al. c et D. 103 al. a CPP) qu'en droit grec (art. 41 §5 C. pénit.)2946 « Dans la mesure du possible, le travail de chaque détenu est choisi en fonction non seulement de sescapacités physiques et intellectuelles, mais encore de l'influence que ce travail peut exercer sur les perspectivesde sa réinsertion » (art. D. 101, al. b CPP).


613L’accès à la formation professionnelleBien que la formation professionnelle fasse partie des moyens d’éducation 2947 , nous la traitonsdans le cadre de la garantie de l’accès au travail en raison de son objectif spécifique. Cette formationvise l’élévation du niveau des connaissances générales, l’acquisition d’un savoir faire technique et lapréparation à l’exercice d’un métier.Avec la reconnaissance du chômage comme facteur de la délinquance et avec la mise de l’accentsur la réinsertion des détenus par le travail et l’éducation, la formation professionnelle, est considéréecomme le moyen le plus efficace de lutte contre l’exclusion sociale. Et elle connaît depuis les années‘80, un développement considérable à l’égard des détenus tant en France qu’en Grèce. En effet, bienque la mise en place des programmes de formation dans la prison se heurte, comme l’organisation dutravail, à des problèmes pratiques et budgétaires, des efforts sont faits pour accroître les places deformation et les adapter aux exigences et opportunités offertes par le marché du travail, en combinantles possibilités de formation à l’intérieur de la prison et à l’extérieur.Le droit français prévoit que les détenus doivent pouvoir suivre une formation au sein desétablissements dans les locaux aménagés à cette fin et pourvus du personnel nécessaire (art. D. 457,al. a, CPP). S’il est nécessaire, ils doivent être transférés vers un établissement où la formation qu’ilssouhaitent effectuer est assurée à condition que leur situation pénale le permette (art. D.457, al. b,CPP). A côté de ces dispositions, figurent celles qui prévoient des possibilités de suivre uneformation à l’extérieur. Il s’agit de la possibilité d’assister aux stages de formation par l’octroi durégime de semi-liberté et de placement à l’extérieur (art. D. 458 al. b CPP) ou des permissions desortie (art. 723-3 al. b CPP), lorsque ces mesures « apparaissent indispensables à la réinsertionsociale du condamné », et, à défaut, de la possibilité de suivre une formation par correspondance.L’autorisation de celle-ci est accordée compte tenu des « nécessités du service, de l’ordre et de lasécurité » et des « conditions matérielles d’incarcération » (art. D.458, al. a CPP). Hormis lacorrespondance, l’accès à l’Internet pourrait s’avérer positif dès lors qu’il permet de faire face à ladifficulté de recruter des formateurs capables d’intervenir dans les prisons.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le financement des programmes de formation est principalement assuré par le ministère del’Emploi et de la Solidarité (61 % des dépenses totales de formation.), le Fonds d’action social (FAS)pour une meilleure prise en compte des publics immigrés ou issus de l’immigration, et le Fondssocial européen (FSE) 2948 . La rémunération des détenus est prise en charge par le ministère du2947 . Selon le Comité européen « l'enseignement professionnel est un outil permettant l'acquisition descompétences professionnelles ; il peut aussi être une excellente source d'épanouissement personnel plusgénéral » Conseil de l'Europe, Education en prison, préc., p. 43.2948 Administration pénitentiaire, Rapport annuel d’activité 2004.


Travail 2949 . La combinaison de ces moyens a permis d’assurer un nombre d’actions de formation deplus en plus élevé. En 2005, 20.600 détenus ont bénéficié d’une action de formation 2950 .614En droit grec, la formation professionnelle connaît également une évolution significative depuissa prise en charge par l’O.A.E.D (Organisme de l’Emploi et de l’Effectif Ouvrier), en 1986. Cetorganisme assure la formation professionnelle, à l’intérieur des établissements pénitentiaires et dansses propres locaux, aux détenus bénéficiant des congés éducatifs 2951 . Ces congés, qui sont prévusdans le cadre général de l’enseignement des détenus, sont accordés lorsque la formationprofessionnelle envisagée est considérée nécessaire pour leur réinsertion sociale (art. 58 C. pénit.).Le Conseil de travail des détenus collabore également avec tous les organismes publics et privéssusceptibles d’offrir des possibilités d’éducation ou de formations professionnelles (art ; 40 §5 C.pénit.). Les congés éducatifs sont financés par les Fonds du travail des détenus (art. 58 §6 C. pénit.)A propos de la formation professionnelle, il nous semble intéressant de noter qu’elle paraît êtrele seul aspect, dans le cadre du travail, qui permette le plus à la prison de s’intégrer dans la société.D’abord parce que la formation professionnelle est le seul aspect de la vie des détenus dans lequel ledroit commence à leur reconnaître le même statut juridique qu’à l’extérieur : ces détenus bénéficientdu statut de stagiaire tel qu’il est prévu par le droit commun 2952 . Ensuite, parce que la formationprofessionnelle des détenus s’inscrit dans le même cadre de la politique sociale qu’à l’extérieur, àsavoir dans le cadre de la lutte contre l’exclusion sociale due au chômage. Elle dénote alors lareconnaissance de la délinquance, mais aussi de la détention, comme une conséquence d’exclusionsociale due à des facteurs économiques, en particulier, au chômage. Soulignons à cet égard que leConseil économique et social français prônait, en 1987, de placer les peines de courte durée dans uneperception plutôt des mesures de traitement solidaire des problèmes sociaux : « La période de ladétention, le plus souvent de courte durée, doit pouvoir être l’occasion pour des personnes trèssouvent touchées par le chômage (plus de 40 % des entrants), ayant de graves difficultés d’insertionde s’inscrire dans des projets professionnels d’insertion ouverts sur l’extérieur afin de préparerefficacement leur sortie 2953 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais, mis à part l’évolution de l’organisation de la formation professionnelle, la garantie dutravail en prison demeure encore loin du droit commun. Aux entraves d’accès au travail, s’ajoutentdes dérogations dans les garanties contre la privation du travail.2949 Administration pénitentiaire, Rapport annuel d’activité 1995.2950 Données communiquées par le service de presse du Ministère de la justice le 19 octobre 2005.2951 Arrêté ministériel n° 40114 du 11.4/24.4 1986, et loi n° 1836 du 14.3.1989, in : Législation Pénitentiaire,préc., pp. 832-835.2952 Ils reçoivent la même rémunération et bénéficient de la couverture sociale.2953 CES ,731/SG, Travail et prison, préc., p.13.


615b. Les atteintes au maintien de l’emploiLa protection du droit au travail implique également des garanties contre sa perte ou sesinterruptions. Or, la détention en soi, aussi bien à son commencement qu’à sa fin, interrompt letravail de la personne tout en la privant du droit aux allocations pour la perte de son emploi.L’interruption du travail au moment de la mise en détentionLa condamnation à la peine privative de liberté exécutée en détention entraîne automatiquementdes conséquences sur l’activité professionnelle de la personne, alors qu’elle ne fait pas partie ducontenu légal de cette peine. La détention en soi ne constitue nullement une raison légaled’interdiction d’exercer une profession libérale, ou de résiliation du contrat de travail, lorsque lemotif de la détention est sans rapport avec l’activité professionnelle exercée. Cependant, elle entraînel’interruption du travail, voire sa perte. Dans le cadre d’une profession libérale, cette conséquence estentraînée par l’organisation de la détention qui rend impossible, pour les détenus, de continuer àexercer leur métier. On imagine mal, par exemple, qu’un architecte, un médecin ou un commerçantpuissent installer leur cabinet ou bureau dans la prison, recevoir leurs clients, leur rendre visite outravailler par téléphone.Dans le cadre d’un travail salarié, en droit français, la détention en soi ne peut justifier la rupturedu contrat que si les actes délictueux commis sont considérés comme incompatibles avec la poursuitede la relation contractuelle 2954 . Autrement dit, la résiliation du contrat de travail ne peut être fondéeque sur l’impossibilité physique du détenu de respecter la clause fondamentale de son contrat, àsavoir la prestation de travail. Lorsque la détention est relativement courte et non incompatible avecla nature de l’emploi (deux questions laissées à l’appréciation souveraine des juges du fond), la miseen détention ne peut justifier que la suspension du contrat de travail. En revanche, lorsqu’elle est dedurée indéterminée ou de durée courte mais incompatible avec l’emploi occupé, elle peut êtreconsidérée comme une cause réelle et sérieuse justifiant la rupture du contrat 2955 . L’employeur peutalors licencier l’intéressé pour impossibilité physique d’accomplir ses obligations, mais en luiaccordant les indemnités de licenciement. Une jurisprudence de 2000 permet d’entrevoir une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008évolution vers l’exigence de la preuve de la part de l’employeur, que l’incarcération d’un salarié aitentraîné un trouble dans l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise 2956 .2954 Suspension du contrat, Répertoire de droit social , Fascicule 28-15, 11, 1993.2955 Soc. 28 mai 1997, en note 8 sous l’article L. 122-4 du précédent Code du travail , Dalloz, 2005.2956 Soc. 21 nov. 2000, note 71 sous article L 122-14-3 du précédent Code du travail , Dalloz, 2005.


616Seules quelques professions peuvent continuer à être exercées ne nécessitant pas la mobilitéphysique ou la présence physique de la personne dans un lieu de travail précis. Tel peut, parexemple, être le cas de traducteurs, d’informaticiens, d’écrivains.Ces conséquences de la détention sur le maintien du travail ne peuvent être évitées que parl’exécution de la peine privative de liberté sous le régime de semi-liberté, ou de placement àl’extérieur. Mais, outre que le nombre des détenus admis à ce régime est très faible, ce régime n’estpas prévu comme une modalité d’exécution de la peine privative de liberté dès son commencement,mais seulement après l’exécution d’une certaine durée de la peine : en droit grec, après le 1/5 d’unepeine d’emprisonnement, et après les 2/5 d’une peine de réclusion (art. 60 §2 C. pénit.) ; en droitfrançais, à la dernière année d’exécution de peine (art. 723-1 CPP). Il est donc commandé parl’objectif de la resocialisation du détenu, et non par celui d’éviter la perte de l’emploi. Seuleexception, celle du droit français qui prévoit la possibilité pour le juge de condamnation de déciderqu’une peine inférieure à un an soit exécutée ab initio soit sous le régime de semi-liberté soit souscelui de placement à l’extérieur (art. 132-25 C. pén.).A la privation du travail entraînée par la mise en détention, s’ajoute la privation des droits liés austatut de salarié. La privation du travail due à l’incarcération n’ouvre au détenu, ni un droit à desindemnités pour licenciement, ni un droit à des allocations de chômage.L’interruption du travail durant la détentionLe détenu ne jouit pas non plus de garanties contre la cessation ou la perte du travail dontl’exécution a commencé durant sa détention. Le travail n’étant pas fondé sur un contrat de travail, ilprive le détenu du statut de salarié, et donc des garanties qui l’entourent. Aussi, ni le chômagetechnique ni le renvoi du poste de travail, ne donnent lieu à des indemnités de licenciement ni à desallocations de chômage. D’ailleurs, les notions de licenciement, de chômage ou d’indemnités sontignorées en matière de travail des détenus. Le licenciement correspond aux sanctions disciplinairesdu déclassement d’emploi et d’éloignement (en droit pénitentiaire français et grec), et il peut êtreordonné à titre de sanction disciplinaire, non seulement pour des fautes liées au travail, mais aussi<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008pour des infractions au règlement de la prison. Les congés sont également ignorés, qu’il s’agisse descongés payés, des congés maladie, des congés maternité ou de paternité, etc. Seule exceptionconstitue, et ce uniquement en droit français, le chômage technique partiel des détenus travaillantpour des concessionnaires. Il donne lieu à un système d’indemnités propre à cette catégorie detravailleurs. En effet, l’administration a inséré dans la convention établie avec les concessionnaires


une clause prévoyant que ceux-ci doivent assurer aux détenus au moins six heures de travail par jouret que, à défaut, ils doivent verser des indemnités partielles pour chaque heure chômée 2957 .617L’interruption au moment de la mise en libertéEnfin, le troisième moment où la détention porte atteinte au droit au travail est celui de la miseen liberté du détenu. Les détenus sont classés parmi les personnes ne réunissant pas des référencessuffisantes pour avoir droit aux allocations de chômagePour y remédier, d’autres formes d’aide sont prévues pour ce moment crucial de la vie d’un exdétenu.En droit français, une aide fondée exclusivement sur la détention est prévue depuis la loi du16 juillet 1979 2958 . Elle est actuellement régie par le Décret n°2006-1380 du 13 novembre 2006 et estintitulée « allocation temporaire d’attente ». Peuvent en bénéficier les personnes ayant été détenuesau moins pendant deux mois et inscrites comme demandeurs d’emploi dans les douze mois àcompter de leur mise en liberté. Cette allocation est accordée sur présentation d’un certificat établipar l’administration pénitentiaire. En droit grec, les détenus libérés bénéficient d’une aideexceptionnelle instituée par le décret 2961/54 (art. 17 §3) et réactualisée en 1985 2959 . De surcroît, en1989, un arrêté ministériel 2960 a ouvert aux personnes libérées le droit à une allocation de chômagespéciale prévue pour les personnes ne réunissant pas les conditions requises pour leur inscription auxcaisses ordinaires d’allocations de chômage. Mais l’accès à ce droit est soumis à la condition d’avoirtravaillé avant la détention au moins soixante heures et d’avoir cotisé à la caisse des allocations. Parailleurs, l’O.A.E.D. finance un nombre de places de formation professionnelle et de postes de travaildans le secteur privé, réservés aux détenus libérés et il accorde des aides pour la création de petitesentreprises. Pour accéder à ces possibilités, les détenus doivent être recommandés par le servicesocial de la prison.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Il est toutefois à souligner à propos de ces aides et allocations accordées aux détenus libérés quela qualité d’« ex-détenu » ne suffit pas pour donner droit à l’ouverture de ces droits. Des exceptions ysont prévues. Si le droit français y a mis fin depuis le décret susmentionné, le droit grec en prévoitencore. Parmi les exceptions, figurent les récidivistes mais aussi les détenus ayant un rapport<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...défavorable de la part de l’assistante sociale.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082957 Si le détenu a travaillé au moins quatre heures, le concessionnaire doit lui verser une indemnité égale à lamoitié de son salaire horaire pour les heures de chômage et s'il a travaillé moins de quatre heures, uneindemnité égale à 60 % de son salaire horaire pour les heures non travaillées, B. Bouloc, Pénologie, 2é éd.,Dalloz, 1998, p. 199.2958 CES, 731/SG, Travail et prison, préc., p. 312959 . Circulaire de l'O.A.E.D n° 99043/23. 9.1985, cité dans Législation Pénitentiaire, préc., p. 827. Cette aidepeut être accordée jusqu'à trois fois durant la première année après la libération et si la personne demeure auchômage sans en être responsable.2960 . Arrêté ministériel, n° 30659 du 31.3/5.4.1989.


618Les conditions d’accès des détenus au travail laissent donc apparaître que l’exécution de la peineprivative de liberté n’est pas organisée de manière à s’adapter au respect du droit au travail desdétenus. Au contraire, ce sont les conditions de travail qui sont adaptées aux nécessités de ladétention déterminées principalement par le maintien de l’ordre et de la discipline, et de manièresecondaire par l’objectif de la réinsertion des détenus.2. Particularités au regard des droits des travailleursLe statut de détenu « travailleur » est fortement marqué des particularités à cause notamment del’absence de contrat de travail et de la sous-rémunération. L’absence de contrat de travail étant déjàtraitée à propos des atteintes à l’accès libre au travail, nous nous limitons, ici, à l’examen de leurstatut au regard de la garantie de la rémunération équitable (selon l’expression de l’article 4 de laCharte sociale européenne révisée) (a), ainsi que des droits sociaux dérivés du travail (b).a. La privation du détenu de la garantie d’une rémunération équitableJusqu’à présent, le travail des détenus n’a jamais été considéré comme étant accompli« moyennant un salaire ». Nulle part, dans les textes juridiques, la rémunération des détenus n’estnommée « salaire ». Elle est désignée par les termes de « gratification », de « récompense », de« redevance », etc... Mais les différences vont au-delà de la simple dénomination. Des différencescaractérisent le montant de la rémunération, sa gestion et les droits de recours.En effet, notons d’abord que le travail des détenus demeure largement sous-rémunéré. Si lesRègles pénitentiaires européennes de 2006 recommandent que le travail des détenus soit « rémunéréde façon équitable » (art. 26. 10), en droit français et en droit grec, la rémunération demeureinférieure à la moitié du S.M.I.C. ; elle est dérisoire. En France, en 2005, la moyenne mensuelleétait : pour un travail au service général, 189 euros ; pour un travail en R.I.E.P 482 euros, et pour untravail en concession 350 à 500 euros 2961 . Cette différence serait justifiée par des raisons relativesaux « conditions particulières du travail dans la prison et au niveau de productivité obtenu parrapport au même travail effectué à l’extérieur 2962 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Le droit français, par exemple, prévoit que ce rapprochement doit être fait « autant quepossible » (art. D. 102 al. b CPP). Le droit grec avait tenté lors de la réforme de 1989 de passer dusimple rapprochement à l’assimilation de la rémunération des détenus aux salaires pratiqués àl’extérieur : le travail des détenus doit être rémunéré suivant les dispositions de la législation du2961 Données communiquées par le service de presse du Ministère de la justice le 19 octobre 2005.2962 Le Travail dans la Prison : réponses au questionnaire de l'institut de recherche des Nations-Unies sur ladéfense sociale, préc., p. 25.


619travail (art. 74 §1 CRFTD) 2963 . Toutefois, l’application de cette disposition avait été reportée 2964 ,laissant les détenus en Grèce avec des rémunérations dérisoires : en 1991, ils touchaient, enmoyenne, 200 drachmes par jour, alors que le S.M.I.C était de 3 721 drachmes 2965 . Le Codepénitentiaire de 1999 a tempéré l’ambition du Code de 1989. Il ne prévoit que la prise en compte dela rémunération pratiquée à l’extérieur (art. 43 §1). En revanche, les détenus qui travaillent pour leurpropre compte, ou sur commande d’une personne privée ou publique, fixent librement larémunération (art. 43 §2). En réalité, les personnes détenues qui travaillent en Grèce reçoiventenviron un euro par jour à titre d’argent de poche ; leur principale récompense serait la réduction dejours de punition.La deuxième différence concerne la gestion de la rémunération. Comme nous allons voir, ledétenu ne « touche » et ne gère pas librement sa rémunération.Enfin, la troisième différence concerne le droit de recours. Les litiges relatifs à la rémunérationdes détenus ne peuvent fonder ni en droit français, ni en droit grec, les mêmes actions en justice queceux relatifs au salaire. La raison de cette particularité est l’absence de contrat dans la relation detravail des détenus. Les questions corrélatives ne seraient donc régies que par le droit public, enl’occurrence par le droit pénitentiaire 2966 .C’est dans le domaine des droits sociaux que l’on peut constater une réelle avancée dans lerapprochement du statut du détenu au travail du statut de « salarié ».b. La reconnaissance aux détenus des droits sociauxAlain Sériaux écrivait en 1979, à propos du droit français : « Si l’on veut découvrir de véritablesdroits au profit des détenus, c’est vers la législation sociale qu’il faut se tourner 2967 . » Cela est eneffet vrai pour le droit français. Des progrès notables ont eu lieu grâce à la politique d’humanisationdes conditions de détention, impulsée par l’ensemble des Règles minima pour le traitement desdétenus, adoptées par les Nations Unies en 1957. Dans le domaine du travail, ce texte recommandaitde rapprocher les conditions de son exécution de celles à l’extérieur, en particulier les conditions<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082963 Ce même principe avait été repris par le projet de réforme de ce Code (art. 40 §1).2964 A noter à ce propos, la disparition des critères qui déterminaient le montant de la rémunération du travaildes détenus au sein du Code pénitentiaire grec du 1967 (art. 62 §§3,5) « les capacités techniques », « lerendement », « le zèle du détenu pour le travail », « le degré d'amendement », ou, dans le système progressif del'exécution, « l'avancement d'une classe à une autre supérieure ».2965 En Grèce, les détenus ne touchent, en moyenne, que 200 drachmes par jour, alors que le S.M.I.C est de3.721 drachmes, Chiffres cités par G. LYXOURIOTIS, dans sa contribution, in Y. PANOUSSIS, Y.LYXOURIOTIS, S. KOUTSOMPINAS, N. KOULOURIS, La notion de travail obligatoire au sens de laCEDH et l'anticonstitutionnalité du travail des détenus selon la Constitution hellénique,.précité.2966 Code pénitentiaire grec, Athènes, Sakkoulas, 2001, préc., p.41.2967 A. SERIAUX, « Des intérêts légitimes sans protection juridique : les droits des détenus », R.P.D.P., 1979,pp. 453-476.


620concernant : la sécurité et l’hygiène dans les locaux de travail (art. 74 §1) ; l’indemnisation desdétenus victimes d’accidents du travail et des maladies professionnelles (art. 74 §2) ; et les horairesdu travail et du repos (art. 75 §§1, 2). Ces recommandations ont été adoptées par le Conseil del’Europe depuis 1973 2968 . Elles sont, depuis lors, insérées dans les droits pénitentiaires grec etfrançais.En droit français, figurent actuellement des dispositions relatives à la protection de la sécurité etde l’hygiène dans les locaux de travail (articles D. 109 et D. 353 et s. CPP) à l’alignement desnormes relatives aux horaires et aux repos sur celles appliquées aux travailleurs libres (articlesD. 108 CPP), ainsi que, comme nous allons le voir ci-dessous, aux accidents du travail.En droit grec des dispositions équivalentes qui figuraient dans le code précédent 2969 , ont disparudu Code pénitentiaire de 1999. La réglementation de ces questions est laissée au pouvoir du ministrede la justice. Seule y figure l’obligation de l’assurance des détenus au régime commun de la sécuritésociale des accidents du travail (art. 47). Il est toutefois intéressant de souligner à propos de cettedernière garantie, qu’elle est la seule à être expressément fondée sur le respect de la légalité de peineprivative de liberté, et ce depuis le Code pénitentiaire de 1967. Le ministre de la Justice de l’époqueavait soutenu que « cette assurance est juste du point de vue légal du traitement pénitentiaire, parceque par l’accident ou la maladie se détériore la situation du détenu au-delà de la peine privative deliberté infligée par la loi ». Il avait, par ailleurs, écarté l’argument de l’absence de contrat, longtempsutilisé à l’encontre d’une telle reconnaissance : « Il ne serait pas correct de refuser une telleindemnisation au condamné victime d’un accident, pour la seule raison que son travail n’est paseffectué dans le cadre d’un contrat libre 2970 . » Il est aussi à noter que la première assurance contre lesaccidents remonte à 1954 2971 . Toujours est-il que ce Code n’a pas généralisé cette assurance. Elle aété progressivement étendue à d’autres catégories de détenus « travailleurs » 2972 jusqu’au Code desrègles fondamentales de traitement des détenus de 1989 qui a généralisé cette couverture sociale enconsacrant le principe d’assimilation de leur protection sociale à celle des travailleurs libres<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2968 Ensemble des Règles minima pour le traitement des détenus de 1973 et Règles pénitentiaires européennesde 1987.2969 De la sécurité et de l’hygiène dans les locaux (73 §1 CRFTD) et de l’alignement des horaires et des reposà ceux assurés aux travailleurs libres ( 72 §1 du CRFTD).2970 L. ROZAKIS, Code pénitentiaire grec du 1967, présentation par Y. PANNOUSSIS, Athènes, Sakkoulas,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081981, pp. 43-44.2971 Elle concernait les mineurs détenus dans l’établissement de l’éducation de Korydallos, Arrêté des ministresde la justice et du travail, n° 56599/23.12.1954, mis en application par une Circulaire de l'IKA (Institut nationald’assurances sociales) n° 67/1955, K. SPINELLI et N. KOURAKIS, Législation Pénitentiaire, préc., pp. 843-854.2972 La chronologie de l’assurance : en 1973, les détenus travaillant à la manutention du dépôt central desmatériaux des prisons, par l'arrêté des ministres de la Justice et des affaires sociales, 21/22/240/17.2.1973, misen application par la Circulaire de l'IKA, n° 33635/1973 ; en 1981, les femmes détenues à Korydallos et lesdétenus aux maisons agricoles, par arrêté B1/21/22/2110/14.9.81, mis en application par la Circulaire de l'IKA,n° 184/A21/1985 ; et enfin, en 1985 les détenus des ateliers de la reliure de la maison d'arrêt de Korydallos, pararrêté n° 21/22/1750/5.7.1985, mis en application par la Circulaire de l'IKA, n° 184/A21/1985. K. SPINELLI,N. KOURAKIS, Législation Pénitentiaire, préc., 1990, pp. 843-854.


621(art. 73 §1). Cette garantie est maintenue dans le Code pénitentiaire de 1999 (art. 47 §1). Mais,contrairement au droit français, c’est le seul droit social du droit commun expressément reconnu auxdétenus.Le droit français a progressivement étendu aux détenus la garantie de plusieurs droits sociaux.L’indemnisation pour des accidents du travail 2973 est reconnue depuis la loi du 30 octobre 1946, miseen application par le décret du 10 décembre 1949. Jusqu’à cette date, les tribunaux fondaientl’exclusion des détenus de ce droit sur l’absence de contrat de travail, sauf s’ils prouvaient une fautedu concessionnaire ou de l’administration pénitentiaire 2974 . Ce droit figure dorénavant dans l’articleL.412-8-5° du Code de sécurité sociale et dans l’article D. 110 du Code de procédure pénale français.Selon ce dernier, « le droit à la réparation des accidents du travail et des maladies professionnellesest reconnu aux détenus exécutant un travail ».C’est encore en 1946 qu’il a également été reconnu aux détenus le droit aux prestationsfamiliales (loi du 22 août 1946). L’affiliation obligatoire aux assurances maladie-maternité, qui amarqué le pas décisif dans la protection sociale des détenus, fut progressive. Reconnue dès 1969 auxprévenus (décret du 11 avril 1969) par l’assimilation de la détention provisoire à la maladie, elle n’aété étendue aux détenus condamnés qu’en 1975 (loi du 2 juillet 1975). C’est depuis la loi du 18janvier 1994, relative à la réforme du régime de la santé des détenus, que l’ensemble des détenus estaffilié au régime d’assurance maladie dès leur incarcération 2975 . Outre ces affiliations, ils bénéficientégalement de l’affiliation à l’assurance-vieillesse (loi du 31 décembre 1975, insérée dans l’articleL.381-31 C. séc. soc.) et à l’assurance-veuvage (loi du 17 juillet 1980).L’extension de ces droits sociaux est rendue possible grâce au droit de sécurité sociale françaisqui attache à la rémunération versée « à l’occasion du travail » des conséquences juridiqueséquivalentes à celles liées au salaire. En effet, la définition de la rémunération au sein du droit de lasécurité sociale diffère de celle du salaire. Alors que cette dernière se limite au salaire de basecorrespondant à un type ou une quantité de travail ou à une durée de travail déterminée, celle de larémunération comprend également les sommes versées aux travailleurs à l’occasion du travail ainsique les indemnités, primes, gratifications et avantages en argent ou en nature (art. L. 242-1 C. séc.soc.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082973 Ce droit avait été reconnu aux travailleurs libres depuis la loi du 9 avril 1898.2974 Douai, 2 mars 1903, Rev. pénit. 1903, p. 750 ; Cov. 12 mai 1925, Gaz. Pal. 1925, I, p. 280, Décisionscitées par M. DANTI-JUAN, à propos de refus des accidents du travail, M. DANTI-JUAN, Les droits sociauxdu détenu, in La Condition juridique du détenu, Travaux de l'Institut de sciences criminelles de Poitiers, vol.XIII, éd. Cujas, 1993, p. 107.2975 « Les détenus sont affiliés obligatoirement aux assurances maladie et maternité du régime général àcompter de la date de leur incarcération », (art. L. 381-30 C. sec. soc.).


622En contrepartie, la rémunération des détenus est soumise à des cotisations sociales. Les détenusen France cotisent à l’assurance maladie, à l’assurance vieillesse, à l’assurance veuvage, et sontsoumis aux prélèvements de RDS (remboursement de la dette sociale) et de CSG (contributionsociale généralisée). Ils ne cotisent pas à l’assurance chômage, et de ce fait, sont exclus du bénéficiedes allocations chômage. Ils sont d’ailleurs exclus des indemnités journalières en cas d’incapacité detravail ou de maladie. Les détenus en Grèce qui travaillent pour des employeurs privés ou publicssupportent la part salariale de la cotisation aux assurances accident (art. 50 C. pénit).Mis à part ce rapprochement des droits sociaux et la formation professionnelle, des particularitésconsidérables caractérisent le statut du détenu. Des particularités qui s’étendent à la liberté syndicaleet aux droits syndicaux.§ 3. L’exercice de la liberté syndicaleAlors que la liberté syndicale et les droits liés à son exercice présentent une importance capitalepour la défense des intérêts des travailleurs (A), elle est bannie de l’enceinte de la prison (B).A. La garantie généraleAu sein des droits français et grec, la liberté syndicale, le droit de grève et le droit des syndicatsde mener des négociations collectives et de signer des conventions collectives sont expressémentconsacrés par les Constitutions grecque et française (1). Au sein de la Convention, ils sontimplicitement consacrés par l’article 11 (2).1. La garantie nationale<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Le droit français est un des pionniers dans la reconnaissance des droits syndicaux et de la libertésyndicale. Le droit de grève, reconnu par la loi du 25 mai 1864, est le premier droit conquis par lestravailleurs. Son exercice n’est cependant devenu effectif que par la loi du 21 mars 1884 qui aimplicitement reconnu la liberté syndicale, en rendant licite la liberté d’associationprofessionnelle 2976 . Mais il a fallu attendre la Constitution de 1946 pour la consécration explicite decette liberté. Celle-ci, ainsi que le droit de grève, figurent dans le Préambule de cette Constitution,parmi les Principes particulièrement nécessaires à notre temps. La liberté syndicale y est consacréeen ces termes : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérerau syndicat de son choix ». Elle n’a toutefois pas été immédiatement mise en oeuvre. Pour ce faire, ila fallu attendre la loi du 27 décembre 1968 qui a garanti la liberté de l’organisation des syndicatsdans toutes les entreprises. Et la loi du 28 octobre 1982 est venue étendre son exercice en supprimant<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082976 Syndicats professionnels, Répertoire de droit social, Fascicule 12-10, 2, 1993.


623la condition de l’effectif d’au moins cinquante salariés. Depuis lors, il n’y a plus de condition denombre : « Un syndicat peut exister entre deux personnes 2977 . » La Constitution de 1946 a égalementrenforcé le pouvoir des syndicats, en élevant au rang des Principes particulièrement nécessaires ànotre temps, le droit de grève 2978 et le droit des syndicats de négocier et de signer des conventionscollectives 2979 .Droit de grève et liberté syndicale jouissent de la protection constitutionnelle également en droitgrec : « La grève constitue un droit et s’exerce par les syndicats légalement institués poursauvegarder et promouvoir les intérêts économiques et, en général, les intérêts des travailleurs » (art.23 §2). De cette même garantie jouit également le droit de mener des négociations collectives et designer des conventions collectives : « Les conditions générales de travail sont déterminées par la loi,et se complètent par des conventions collectives conclues par des négociations libres et, en casd’échec, par des règles posées par l’arbitrage » (art. 23 §2).En ce qui concerne la liberté syndicale, il est à noter que dans la mesure où elle est fondée surl’adhésion individuelle mais fonctionne collectivement, elle est entendue à la fois comme une libertécollective dans le sens que l’Etat ne doit pas s’immiscer dans la création des syndicats, leurfonctionnement et leur dissolution, et comme liberté individuelle. Sous cette dernière dimension elleest entendue aussi bien dans une forme positive, la liberté d’adhérer à un syndicat que dans uneforme négative, la liberté de ne pas adhérer à un syndicat et la liberté de s’en retirer 2980 .2. La garantie européenneC’est en interprétant les dispositions de l’article 11 de la Convention, qui consacrent « la libertéde réunion pacifique et la liberté d’association », ainsi que « le droit de fonder avec d’autres dessyndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts », que la Cour a pu affirmerque la liberté syndicale et les moyens d’action syndicale sont garantis par la Convention.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La Cour a estimé que la liberté syndicale constitue « une forme ou un aspect particulier de laliberté d’association 2981 ». De plus, elle a reconnu sa dimension à la fois individuelle et collective.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais avant de déterminer la protection européenne de la liberté syndicale dans sa dimensionindividuelle (a) et collective (b), soulignons que la distinction entre un employeur privé et l’Etat est2977 Ibid.2978 « Le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».2979 Chaque travailleur a le droit de « participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la déterminationcollective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».2980 Ces garanties sont prévues par les articles du Code du travail français, L2141-1, « Tout salarié peutlibrement adhérer au syndicat professionnel de son choix » et L2141-3 « Tout membre d'un syndicatprofessionnel peut s'en retirer à tout instant, même en présence d'une clause contraire ».Voir aussi Syndicatsprofessionnels, Répertoire de droit social, préc.2981 CEDH, Unison c.R.U. (déc.), n° 53574/99, CEDH 2002-I (irrecevable).


624indifférente. Selon la Cour, la Convention ne distingue nulle part les attributions de l’Etat en tant quepuissance publique et sa responsabilité en tant qu’employeur. Par conséquent, l’article 11 s’imposedans toutes les relations de l’Etat employeur avec ses employés, que ces relations obéissent au droitpublic ou au droit privé 2982 .a. La protection de la liberté syndicale dans sa dimension individuelleDans sa dimension individuelle, la liberté syndicale doit être entendue à la fois dans un senspositif, la liberté d’adhérer à un syndicat 2983 , et dans un sens négatif, la liberté de ne pas y adhérer 2984ou de s’en retirer 2985 . Cette jurisprudence européenne s’est notamment appuyée sur l’article 20 §2 dela Déclaration universelle des droits de l’homme et sur l’article 11 §2 de la Charte sociale des droitsfondamentaux des travailleurs (adoptée le 9 décembre 1989 par la C.E.E). En tenant compte de cestextes, Cour et Commission ont estimé qu’il va de la substance même du respect de la libertésyndicale de garantir l’adhésion libre à un syndicat et le retrait libre. Car, « à interpréter l’article 11comme autorisant n’importe quelle sorte de coercition en matière d’appartenance syndicale, ontoucherait à la substance même de la liberté qu’on entend garantir 2986 ».Ainsi, la Cour a condamné les accords de « closed shop » qui consistent à réserver certainsemplois aux membres des syndicats ayant signé de tels accords : ils constituent une forme decontrainte des plus graves à la liberté syndicale, dès lors qu’ils impliquent la menace de la perte demoyens d’existence (en refusant l’embauche ou en licenciant ceux qui n’adhèrent pas à ces syndicatsou qui s’en retirent) 2987 . Constituent également des atteintes graves à la liberté syndicale, les faitssuivants : inciter financièrement les salariés de renoncer à leur affiliation syndicale en leur proposant<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>2982 CEDH, Syndicat suédois de conducteurs des locomotives c. Suède, 6 février 1976, n° 5614/72 Série A,n°20, § 37 ; CEDH, Unison c.R.U. (déc.), préc.2983 CEDH, Young, James et Webster, préc., § 55 ; CEDH, Wilson & the national union of journalists, Palmer,Wyeth, & The national union of rail, maritime & transport workers, Doolan et autres c. R.U, nº 30668/96, nº30671/96 et nº 30678/96, CEDH 2002-VII.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...2984 Voir entre autres : CEDH, Young, James et Webster, préc., § 55 ; CEDH, Sigurur A. Sigurjónsson c.Islande, 30 juin 1993, Série A n o 264, § 35, CEDH, Gustafsson c. Suède, du 25 avril 1996, Recueil 1996-II,§ 45 ; CEDH, Sørensen c. Danemark et Rasmussen c. Danemark, n os 52562/99 et 52620/99, CEDH, 2006-I,§54 Dans ce dernier, les requérants étaient contraints d’accepter parmi d’autres conditions qui figuraient dansleur contrat de travail au moment de l’embauche, celle-ci : « Pour obtenir l’emploi, vous devez obligatoirementêtre membre d’un syndicat affilié à la Confédération des syndicats danois (LO) ».2985 CEDH, Sigurjonsson, 30.6.1993 ; CEDH, Sørensen c. Danemark et Rasmussen c. Danemark, n os 52562/99Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008et 52620/99, CEDH, 2006-I, § 62.2986 CEDH, Young, James et Webster, préc., § 53.2987 « La menace de la perte de moyens d'existence constitue une forme très grave de contrainte... touchant à lasubstance même de la liberté d'association telle qu'elle est consacrée par l'art. 11 ». Tel était le jugement de laCour dans l'arrêt arrêt Young, James et Webster, préc, §§54-55, mais non dans l'arrêt Sibson, 20 avril 1993. LaCour l'a justement distingué de l'arrêt précédent. Elle a estimé que, contrairement à l'arrêt Young, James etWebster, « Sibson ne se trouvait pas devant une menace de renvoi impliquant la perte de ses moyensd'existence », CEDH, Sibson, 20 avril 1993, Série A, n° 258-A, § 27 ; CEDH, A. Sigurjonsson, 30.6.1993.


625des contrats et des salaires plus avantageux 2988 ; infliger un avertissement à titre de sanctiondisciplinaire à l’encontre d’un magistrat en raison de son appartenance à la franc-maçonnerie 2989 ; oumuter un fonctionnaire à cause de ses activités syndicales 2990 .D’ailleurs, on doit souligner que de tels traitements des salariés sont discriminatoires. Fondés surl’exercice de la liberté syndicale, ils constituent à la fois une atteinte grave à l’exercice de cetteliberté et à l’article 14 de la Convention qui interdit les discriminations dans l’exercice des droits etlibertés garantis par la Convention et ses protocoles.En revanche ne constitue pas une atteinte à la liberté syndicale l’exclusion d’un membre d’unsyndicat motivée par l’incompatibilité des convictions et activités politiques de ce membre avec lesidéaux et les objectifs du syndicat. La Cour a reconnu que l’article 11 ne saurait s’interpréter commefaisant obligation aux associations ou organisations d’admettre en leur sein quiconque souhaite endevenir membre. Car de même qu’un employé ou un salarié doit être libre d’adhérer ou de ne pasadhérer à un syndicat sans être sanctionné ou subir des pressions, un syndicat doit pouvoir librementchoisir ses membres. Les associations étant composées de personnes qui, mues par des valeurs ouidéaux particuliers, ont l’intention de poursuivre des buts communs, ce serait aller à l’encontre del’effectivité même de la liberté en jeu si elles n’avaient aucun contrôle sur l’affiliation de leursmembres 2991 .b. La protection de la liberté syndicale dans sa dimension collectiveL’article 11 implique également la garantie de la liberté syndicale dans sa dimension collectiveafin de permettre la défense des intérêts professionnels des adhérents d'un syndicat par l'actioncollective de celui-ci 2992 . Quant à l’exercice effectif de cette liberté, cette instance estime qu’ilincombe aux Etats l’obligation positive non seulement d’autoriser, mais aussi de rendre possibles etefficaces la conduite et le développement de l’action syndicale.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...En ce qui concerne les moyens, tout en affirmant que la Convention laisse le choix des moyensaux Etats, la Cour exerce un contrôle sur leur efficacité dans la défense des intérêts des membresd’un syndicat 2993 . Elle a ainsi eu l’occasion d’affirmer que la négociation collective 2994 et la grève 2995Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082988 CEDH, Wilson & the national union of journalists, Palmer, Wyeth, & The national union of rail, maritime& transport workers, Doolan et autres, précité.2989 CEDH, Maestri c. Italie, GC, n°39748/98, CEDH 2004-II.2990 CEDH, Metin Turan c. Turquie, n° 20868/02, CEDH 2006-XI.2991 Associated Society of Locomotive Engineers & Firemen (AS<strong>LE</strong>F) c. Royaume-Uni, n o 11002/05, CEDH2007-II.2992 CEDH, Syndicat suédois de conducteurs des locomotives c. Suède, préc., § 40.2993 « L'article 11 §1 laisse à chaque Etat le choix des moyens à employer à cette fin... Ce qu'exige laConvention, c'est que la législation nationale permette aux syndicats, selon les modalités non contraires àl'article 11, de lutter pour défendre des intérêts de leurs membres. », Ibid., §§ 39-40 ; CEDH, Syndicat suédois


626constituent des moyens implicitement garantis par l’article 11, sans pour autant leur accorder uneprotection absolue. Certes l’article 11 §1 de la Convention garantit le pouvoir des syndicats « demener des négociations collectives et leur capacité juridique de souscrire des conventions collectivesdans l’intérêt de leurs membres 2996 », mais ne garantit pas l’obligation pour les employeurs d’engagerdes négociations collective 2997 . En revanche, cet article n’autorise pas l’Etat d’annulerrétroactivement une convention collective. Une telle annulation constitue une « ingérence » dans laliberté d'association des requérants, président et membres du syndicat 2998 .Quant au droit de grève, si le droit de grève représente l’un des moyens les plus importantspermettant aux syndicats de remplir cette fonction, sa garantie n’est pas absolue. Il en existe d’autresdont l’exercice peut justifier la restriction du droit de grève, estime la Cour qui a, par exemple, jugéque le recours à l’arbitrage obligatoire après un mouvement de grève de 36 heures avec interdictionde la poursuivre ne constitue pas une restriction qui viole la liberté syndicale 2999 , ni non plusl’interdiction totale de faire grève 3000 .Alors que les droits nationaux et la Convention accordent une importance capitale à la libertésyndicale et aux droits des syndicats dans la détermination des relations de travail dans une sociétédémocratique, le détenu demeure exclu de leur exercice, ce qui ne fait que croître la particularité deson statut au travail et diminuer l’importance de ce statut.B. Le bannissement de la liberté syndicale de l’enceinte des prisonsLa garantie de la liberté syndicale et des droits syndicaux n’est assurée ni dans les prisonsfrançaises ni dans les prisons grecques (1). Mais l’état actuel de la jurisprudence européenne ne nouspermet pas d’apprécier la conformité de cette exclusion avec la Convention. L’application del’article 11 à l’égard des détenus n’a encore fait l’objet que d’un examen très partiel et seulement dela part de la Commission européenne (2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. Au sein des droits nationaux<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de conducteurs des locomotives c. Suède, préc., § 40 ; CEDH, Syndicat national de la police belge c. Belgique,n° 4464/70, 27 octobre 1975, Série A n° 19.2994 CEDH, Syndicat suédois de conducteurs des locomotives c. Suède, préc., § 38.2995 CEDH, Unison c.R.U. (déc.), préc.2996 CEDH, Syndicat suédois de conducteurs des locomotives c. Suède, préc., § 38.2997 CEDH, Unison c.R.U. (déc.), préc.2998 CEDH, Demir et Bayakara c.Turquie, n°34503/97, CEDH 2006 XI.2999 CEDH, Féderation des syndicats de travailleurs offshore et autres c. Norvege (déc.), n° 38190/97, 27 juin2002.3000 CEDH, Unison c.R.U. (déc.), préc.


627En France, à deux reprises, les détenus ont tenté de se syndiquer : en 1981, par la constitution duComité des prisonniers et, en 1985, par la constitution de l’Association syndicale des prisonniers.Mais ces tentatives sont « tombées comme un cheval de Troie pénitentiaire » selon l’expression deJean Favard 3001 . L’administration pénitentiaire n’a pas interdit leur création, mais elle a entravé leurfonctionnement par l’interdiction de réunion à l’intérieur de la prison, ainsi que par la censure ducourrier et le non octroi des permissions de sortir pour assister aux réunions à l’extérieur 3002 . Depuislors, le syndicalisme dans la prison n’a pas évolué.La doctrine française est catégorique : « Si nous raisonnons en termes de revendication sociale,c’est-à-dire en termes de syndicat, de grève, d’expression collective, de représentation destravailleurs, on est bien obligé de constater que les détenus n’ont aucun droit 3003 . » Le Conseiléconomique et social, dans un avis émis en 1987, s’est contenté de suggérer la mise en oeuvre decertains moyens collectifs d’expression : l’affichage dans chaque atelier des informations relatives autravail, l’installation de panneaux ou de boîtes à réclamations ou à suggestions, l’élection d’undélégué d’atelier auprès du concessionnaire et de l’administration, l’organisation de réunionspériodiques des détenus travailleurs par atelier et en présence d’un représentant du concessionnaire etd’un délégué de l’administration pénitentiaire. En droit grec, toute forme d’action syndicale dans laprison est également absente et, jusqu’à aujourd’hui, aucune tentative analogue à celles des détenusen France n’a eu lieu.La raison juridique invoquée est l’absence de contrat de travail. Toutefois, une partie de ladoctrine estime qu’à l’heure actuelle, l’absence de contrat de travail ne doit pas avoir d’incidencessur l’exercice de ces droits. De nombreux travailleurs se sont vus reconnaître des droits de caractèrerevendicatif, alors que leurs relations avec les employeurs sont de nature statutaire et noncontractuelle (comme les agents publics) 3004 . La jurisprudence européenne apporte une validation àce dernier argument. Rappelons que dans l’arrêt du « Syndicat suédois des conducteurs » portant surla liberté syndicale, la Cour avait affirmé que du fait que « la Convention ne distingue nulle partexpressément entre les attributions de puissance publique des Etats contractants et leursresponsabilités d’employeurs », l’Etat est tenu de respecter les libertés de réunion et d’association deses employés indépendamment du droit qui régit les relations de travail, à savoir du droit public oudu droit privé 3005 . Il est, par ailleurs, à souligner que non seulement aucun argument juridique nes’oppose à l’exercice par les détenus de la liberté syndicale, mais au contraire, les argumentsjuridiques majeurs, à savoir le principe de légalité de la peine et le respect des droits de l’homme etdes libertés fondamentales à l’égard de toute personne, militent en sa faveur. Par ailleurs, ainsi que<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083001 J. FAVARD, « Le détenu citoyen », Revue pénitentiaire, n°3, 1989, p. 267.3002 GENEPI, « Le droit d’association des détenus », ARAPEJ, n° 63, 1992, pp. 31-33.3003 M. DANTI-JUAN, « Les droits sociaux du détenu », in La Condition juridique du détenu, préc., p.109.3004 Ibid., p. 110.3005 CEDH, Syndicat suédois de conducteurs des locomotives c. Suède, préc., § 37.


628l’a souligné Jean Favard, la privation des détenus de l’exercice de ces droits contredit l’abandon de la« notion de travail comme châtiment au profit d’une affirmation plus nette du droit au travail avecune référence toujours étroite à ses conditions extérieures... 3006 » .En effet, conformément à l’esprit de la jurisprudence européenne, seuls des motifs pratiquesconcernant l’organisation des moyens d’action syndicale doivent être pris en compte, qui ne peuventd’ailleurs que limiter l’exercice de la liberté syndicale, pas l’anéantir.2. Au sein de la jurisprudence européenneSeule la Commission a eu à se pencher sur l’application de l’article 11 dans le cas destravailleurs « détenus » et ce, à l’occasion d’une affaire concernant un détenu qui exécutait sa peinesous le régime de semi-liberté. Le requérant, suite à son renvoi par son employeur, se plaignait de laviolation de ses droits syndicaux, en raison d’une part, de la rétention par l’administrationpénitentiaire d’une lettre qu’il avait adressée à son syndicat à l’extérieur, lui demandant des conseils,et d’autre part, de l’absence d’appui de la part de l’administration pénitentiaire contre sonemployeur. Cette instance n’a pas saisi cette occasion pour s’exprimer sur le principe qui doit régir lerespect de la liberté syndicale dans le cas des détenus exécutant leur peine sous le régime ordinaire.Elle a fondé son jugement sur la particularité du régime du requérant. Elle a pris en compte, d’abord,que le régime de semi-liberté rend possible l’activité syndicaliste et ensuite, que ce régime justifieune différence de traitement par rapport aussi bien aux personnes libres qu’aux personnes détenuesen régime ordinaire d’exécution de leur peine. La situation du requérant « ne saurait se comparer àcelle des prisonniers purgeant leur peine dans un établissement pénitentiaire normal, ni à celle dessyndicalistes qui ne purgent pas de peine de prison 3007 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La seule question d’ordre général, sur laquelle la Commission s’est prononcée, était celle desavoir si les autorités pénitentiaires devaient appuyer activement les détenus dans la protection deleurs droits syndicaux. Elle a considéré que cela n’était pas inhérent à la liberté de fonder un syndicatou d’y adhérer. Car la disposition de l’article 11 de la Convention exige seulement que les syndicatssoient en mesure de remplir leurs tâches relatives à la protection des intérêts de leurs adhérents. Ellen’oblige donc pas les autorités publiques à appuyer tel syndicat ou tel syndicaliste 3008 .<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Quant au grief de la violation de cette liberté en raison du refus de l’administration pénitentiairede transmettre la lettre du détenu à son syndicat, la Commission a limité son examen sur le terrain del’article 8 de la Convention relative au droit au respect de la correspondance. Elle a refusé de3006 J. FAVARD, « Le détenu citoyen », préc., p. 266.3007. D 7990/77, (X c/R.U), 11.5.1981, Rec. 24, p.70.3008 . Ibid., pp. 69-70.


629considérer la correspondance des détenus comme un moyen contribuant à l’exercice effectif desdroits syndicaux. Cependant, à la lumière de l’arrêt Golder, c. R.U., précité, ce refus suscite desinterrogations.Dans ledit arrêt, le respect de la correspondance avait été mis en cause au regard du droit d’accèsà la justice consacré par l’article 6 §1 de la Convention. Or, la Cour avait estimé que, dans le casd’un détenu, la correspondance constitue un moyen important dans l’exercice de ce dernier droit. Onpeut alors considérer qu’il en est de même à propos de l’exercice des droits syndicaux si l’on tientcompte que les conseils donnés par les syndicats à leurs membres, font partie des moyenscontribuant à la défense efficace des intérêts des travailleurs. D’autant plus que dans le cas desdétenus affiliés à un syndicat à l’extérieur de la prison ou à l’intérieur d’une prison, si un syndicat estconstitué entre détenus des différentes prisons, la correspondance est pratiquement le seul moyenpouvant assurer la garantie de l’exercice effectif de la liberté syndicale. A moins que l’administrationpénitentiaire n’autorise les déplacements des délégués syndicaux pour se rendre aux lieux de réunionà l’extérieur ou dans une prison. Ce qui, d’ailleurs, devrait être le cas, afin d’assurer l’exerciceeffectif de cette liberté.Nous pensons en effet que, bien que la Commission se soit gardée de s’exprimer sur le principeconcernant l’exercice par les détenus en régime ordinaire de la liberté syndicale et des droitssyndicaux, l’obligation de l’administration pénitentiaire de l’assurer, ne doit pas prêter au doute. Ledétenu est sujet de ce droit au même titre qu’il en est de tous les autres droits garantis par laConvention. Dès lors, la question de leur respect ne doit pas être d’ordre de principe mais d’ordrepratique. Seules des considérations liées au fonctionnement de la prison, du point de vue pratique,devraient entrer en ligne de compte. Or celles-ci ne peuvent justifier que des restrictions et non lebannissement de la liberté syndicale de l’enceinte de la prison.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Par ailleurs, l’administration pénitentiaire ne peut pas se retrancher derrière une attitudepassive. L’objectif d’assurer un exercice effectif des droits de l’homme, et non seulement théorique,met à la charge de cette autorité, comme de toute autre autorité nationale, non seulement uneobligation négative de s’abstenir de s’immiscer dans l’exercice des droits de l’homme, mais aussi, si<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008nécessaire, une obligation positive d’intervenir par la prise des mesures nécessaires normatives etmatérielles. Dès lors, s’agissant de l’exercice de la liberté syndicale et l’action syndicale de la partdes détenus, elle a l’obligation positive de prendre des mesures nécessaires pour les rendreeffectives.Avec l’examen de la réglementation de la relation avec le travail du détenu ainsi que de la libertésyndicale, nous avons pu nous rendre compte de l’ampleur des dérogations au droit commun. Cetteampleur, qui confirme que le statut du détenu au travail est bien à part, n’est pas sans nous inciter à


630nous interroger sur les raisons de cette particularité et sur leur légitimité. Les raisons pratiquesd’organisation de la vie en détention, les seules qui devraient dorénavant être compatibles avec lesexigences des droits de l’homme, sont loin d’être suffisantes. Et elles sont certainement loin dejustifier la principale particularité : l’absence de contrat de travail. En effet, alors que celle-ci estinvoquée comme le motif principal pour justifier les autres particularités qui frappent le statut dudétenu au travail, elle doit nous inciter à nous interroger sur sa propre légitimité.A ce propos, la jurisprudence européenne ne nous est pas d’un grand secours. L’absence decontrat de travail ayant été examinée uniquement au regard de l’interdiction du travail forcé ouobligatoire, au sens de l’article 4 §2 de la Convention, n’a pas été considérée comme portantviolation de cette disposition. Nous avons pourtant démontré qu’il n’en est pas de même au regard dela liberté de travail telle qu’elle est entendue au sein des droits nationaux, à savoir comme absence detoute entrave et de tout obstacle à l’accès à l’emploi. Nous avons par ailleurs relevé que l’absence decontrat de travail a de multiples incidences sur le statut du détenu au travail. Elle le prive du statut desalarié et donc de l’application du droit du travail pour la protection de l’emploi, de la rémunération,des droits sociaux et des droits syndicaux. Pour l’instant, cette absence empêche également laprotection de ces droits par des recours exercés devant les juridictions spécialisées en droit dutravail 3009 . En droit français, les prud’hommes rejettent les recours intentés par des détenus au motifque leur travail n’est pas fondé sur un contrat de travail 3010 . Or, estimant qu’a priori aucune raisonpratique ne s’oppose à la conclusion d’un tel contrat entre le détenu et son employeur, nous tenteronsde saisir les raisons sous-jacentes de l’absence de contrat de travail et des autres particularités qu’elleentraîne pour le statut du détenu au travail.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083009 En 2007, c’est le juge administratif qui s’est déclaré compétent pour des griefs des détenus relatifs audéclassement d’un emploi. Il a estimé que le travail constitue pour eux non seulement une source de revenusmais aussi un mode de meilleure insertion dans la vie collective de l’établissement et une possibilité de fairevaloir, le cas échéant, leurs capacités de réinsertion. En revanche, des refus opposés à une demande d’emploiou encore des décisions de classement ne sauraient, sauf s’ils mettent en cause des libertés et des droitsfondamentaux des détenus, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, CE, Ass. Contentieux, 14 déc.2007, Planchenault, http://www.conseil-etat.fr/ce/actual/index_ac_lc0716.shtml.3010 Cass., soc., Glaziou c. Ministre de la Justice, 17 déc. 1996, cité par Geneviève Giudicelli-Delage, et MichelMassé, dans leur article « Travail pénitentiaire : absence de contrat de travail », Droit social, n° 4 avril 1997,pp. 344-346. Cette jurisprudence a été confirmée en janvier 2005. Le conseil de Prud'hommes de Marseille,saisi par une ex-détenue de la prison des Baumettes, qui réclamait le même SMIC horaire que les salariés del'extérieur (le SMIC horaire en maison d'arrêt est de 3,10 euros contre 7,19 euros à l'extérieur), s'est déclaréincompétent au motif que cette dernière n’avait pas le statut de salariéé (19 Janvier 2005), OIP, Les conditionsde détention en France, Rapport 2005, OIP/La découverte, 2005, p. 288.


SECTION 2. <strong>LE</strong>S RAISONS SOUS-JACENTES AUX PARTICU<strong>LA</strong>RITES DU STATUT DU<strong>DE</strong>TENU AU TRAVAIL631Deux arguments sont principalement invoqués par la doctrine pour justifier les particularités dela relation de travail des détenus.Le premier est empreint de paternalisme. C’est pour mieux protéger les intérêts des détenus quel’administration pénitentiaire se place entre eux et l’employeur : en raison de leur statut, les détenusseraient en situation de faiblesse face à l’employeur. Or, cet argument nous semble insuffisant. Outrequ’il n’explique pas l’absence de contrat de travail lorsque les détenus sont employés par l’Etat, nousestimons qu’il ne fait pas de doute que l’existence du contrat protégerait mieux leurs intérêts que sonabsence, étant donné que de son existence dépend l’application des garanties prévues par lalégislation du droit du travail.Le second argument consiste à considérer que le statut de détenu diminue l’importance ducontrat de travail. Ce statut ainsi que celui de travailleur placent la personne en situation desubordination. Or, l’ampleur de la subordination qu’implique le statut de détenu dépasse de loin cellequ’implique le statut de travailleur 3011 . Cet argument, pour être pertinent n’est pas non plus suffisant.D’abord, parce que les particularités de la condition juridique du détenu ne se limitent pas à cellesconcernant sa relation au travail ; elles s’étendent, ainsi que nous le constatons tout au long de laprésente étude, à d’autres relations qui ne présentent aucune subordination entre les partenaires.Ensuite, même si nous abordons la question en termes de degré de subordination, le travail permetjustement de poser celle de l’étendue de la subordination du détenu aux autorités pénitentiaires. Ilfaut voir dans la subordination créée par la relation de travail une subordination distincte de celle dedétenu créée par la privation de la liberté. La première vise d’autres buts, et surtout, est fondée surl’accord libre entre les partenaires, exprimé par le contrat de travail, et composé des droits et desdevoirs réciproques. Aussi, au lieu de voir dans la subordination du détenu à son employeur uneextension de sa subordination à l’administration pénitentiaire, il faut y voir une restriction : larelation établie sur contrat avec son employeur permettrait d’avoir une relation autonome, soustraiteà celle de l’autorité pénitentiaire.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083011 « Le droit du travail ne peut s'inscrire que dans un cadre purement statutaire où il n'y a rien à négocierparce que le degré d'assujettissement du détenu à l'administration pénitentiaire excède de beaucoup le lien quicaractérise ordinairement la subordination d'un salarié à l'égard de son employeur », M. DANTI-JUAN, « Lesdroits sociaux du détenu », préc., p. 106


Nous estimons que les vraies raisons de l’absence de contrat de travail ne sont pas liées à soninutilité ou à la volonté de mieux protéger les intérêts des détenus. Elles sont liées à la volonté demaintenir le travail de ces derniers dans une réglementation à part et avec une valeur hors du marché,pour qu’il puisse y jouer un rôle à part : servir d’instrument pour réaliser les buts de la peine et gérerla vie en détention. Il perpétue ainsi le rôle qu’il a joué dans le système des peines et le rapport qu’ila entretenu avec la privation de liberté tout au long de l’histoire des peines. L’obligation de travaillerfut toujours dans un rapport indissociable avec la privation de la liberté. Au cours de l’histoire, seulle rapport de cause à effet a changé. Depuis la peine d’esclavage jusqu’aux travaux forcés, c’était lacondamnation au travail qui entraînait la privation de liberté. Après l’instauration de la peineprivative de liberté, c’est la condamnation à cette peine qu’entraîne l’obligation de travailler, à tout lemoins, la privation de la liberté du travail. Ce rôle du travail est facilité par le fait qu’il possède unetelle polymorphie dans ses fonctions et représentations qu’il apparaît comme un objet de punitionplus idéal encore que la privation de la liberté physique. Le travail peut servir à la fois les aspectsnégatifs de la peine (afflictif et privatif d’autonomie), et les aspects positifs (utilité publique,réinsertion sociale, maintien de l’ordre).Une présentation rapide de l’évolution de la valeur du travail peut expliquer et mieuxcomprendre ce rôle multiple du travail en prison à commencer par sa représentation d’occupationpénible et dévalorisante. Il puise cette représentation aussi bien dans le mythe du pêché originelselon lequel être obligé à travailler fut la première condamnation de l’homme, que dans la perceptiondu travail rétribué dans les deux grandes civilisations de l’Antiquité, grecque et romaine. Celles-ciconsidéraient le travail comme « ponos 3012 » ou « torture 3013 » et comme une activité indigne d’uncitoyen. Pour Aristote, parce que la qualité de citoyen appartient seulement à ceux « qui netravaillent pas nécessairement pour vivre », car «...les tâches rétribuées... ne laissent à la pensée niliberté ni élévation 3014 ». Et pour Cicéron, parce que « c’est la peine et non pas l’habileté que l’onpaie : dans ces gains, en effet, le salaire est lui-même le gage de la servitude 3015 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20086323012 Par « ponos» (peine) on désignait en Grèce antique le travail : « toutes les activités qui exigent un effortpénible », par opposition à une vie de plaisir et de mollesse, J.-P. VERNANT, Mythe et pensée chez les grecs.II. Le travail et la pensée technique, Maspero, 1974, pp. 16-17.3013 Concernant l'évolution du mot « travail » dans la langue française, L. FEBVRE souligne que celui-ci estparti du sens torture « tripaliare, torturer avec le tripalium, la machine à trois pieux ». Travail : évolution d'unmot et d'une idée, in Journal de psychologie, 1948, p. 19.3014 ARISTOTE, Politique, III, 2-3, cité par A. AYMARD, Journal de Psychologie, 1948, préc., pp. 42-43.3015 CICERON, « Les devoirs », cité par Th. SELLIN, Esclavage et peines dans la Rome antique, in Aspectsnouveaux de la pensée juridique, t.2, Recueil d'études en hommage à M. ANCEL, Pédone, 1975, p. 438.


633Le changement de la conception du travail fut commencé avec l’influence du christianisme, pourqui seule l’oisiveté est honteuse 3016 . Le travail au contraire est l’activité créatrice par laquellel’homme participe à l’œuvre divine 3017 . Mais il a fallu attendre l’ère du capitalisme pour que laconception du travail change significativement. Ainsi que l’a démontré Max Weber, dans « l’éthiquecapitaliste », travailler devient un devoir social pour tous : « Le travail est mis au service d’uneorganisation rationnelle qui fournit à l’humanité ses biens matériels 3018 », l’acquisition desquels doitêtre le fruit d’un effort collectif 3019 .Nous devons cependant noter que, si la conception capitaliste du travail a été entretenue etdéveloppée, c’est aussi parce qu’elle est liée à une nouvelle conception de la formation du pouvoir.En effet, ainsi que l’a démontré Foucault, il faut également voir dans le travail « un principe d’ordreet de régularité : par les exigences qui lui sont propres, il véhicule d’une manière insensible lesformes d’un pouvoir rigoureux... Il donne des habitudes d’ordre et d’obéissance 3020 ». Ne faut-ild’ailleurs, ajouter que si le travail sert le pouvoir, ce n’est pas seulement par sa contribution à formerdes esprits respectueux de la régularité et de l’ordre ; il le sert aussi parce qu’il constitue un excellentmoyen de surveillance et, donc, de police. Durant le travail, l’homme est, en tant qu’agent potentielde désordre, neutralisé par la surveillance exercée sur lui sur les lieux de travail, mais aussi par ladépense de son temps et son énergie physique et mentale à exécuter sa tâche. A cet égard, laréflexion de Nietzsche à propos du travail qui, au XIX e siècle durait toute la journée, est des pluspertinentes : « Un tel travail constitue la meilleure des polices ; il tient chacun en bride, et s’entend àentraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. En fait,il consume une extraordinaire quantité de force nerveuse et la soustrait à la réflexion, à la méditation,à la rêverie, aux soucis, à l’amour et à la haine ; il présente constamment à la vue un but mesquin etassure des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société où l’on travaille dur en permanenceaura davantage de sécurité ; et l’on adore aujourd’hui la sécurité comme la divinité suprême 3021 . »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Toujours est-il que, plus encore que dans sa considération éthique comme devoir social, lacontribution du capitalisme dans l’évolution de la conception du travail réside dans la naissance duUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20083016 « Ce qui est réellement condamnable, du point de vue morale, c'est le repos dans la possession, lajouissance de la richesse et ses conséquences », Max WEBER, L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme,Paris, Plon, 1964, p. 207.3017 Le temps est infiniment précieux car chaque heure perdue est soustraite au travail qui concourt à la gloiredivine», Ibid., p. 208.3018 Ibid., p. 80.3019 Ibid., p.54. Le même auteur ajoute : « Que le devoir s'accomplisse dans l'exercice d'un métier, d'uneprofession, c'est une idée caractéristique de l'éthique sociale de la civilisation capitaliste ; elle en est lefondement », Ibid.3020 M. FOUCAULT, Surveiller et punir, Gallimard, pp. 245-246.3021 NIETZSCHE, Aurore (1880), Ed. Gallimard, 1974, Livre III, pp. 181-182.


statut de salarié et des garanties qui l’ont entouré depuis lors, ayant conduit au changement desconditions matérielles et juridiques de son organisation. Ainsi que l’a souligné Lucien Febvre, laconception du travail a changé lorsque les travailleurs acquirent le statut d’ouvrier ; c’est-à-dire,lorsque les ouvriers cessèrent de former une « classe misérable » pour devenir une « classeouvrière », dotée d’un certain pouvoir face à celui des patrons 3022 . Or, jusqu’au XVII e siècle, letravail portait encore des marques de souffrance et d’humiliation dues aux conditions dans lesquellesil s’exécutait 3023 . C’est grâce à l’organisation du mouvement ouvrier que les salariés ont pu constituerune force de pression légitime, consacrée par la reconnaissance de la liberté syndicale et des moyensd’action collectifs, et acquis progressivement des garanties. Des garanties qui ont renforcé la libertéde travail (liberté de s’engager dans une relation de travail, par la signature d’un contrat, et d’ymettre fin), la sécurité du travail (protection contre les licenciements abusifs), la sécurité du salaire(garantie d’un salaire minimum et de son paiement), la reconnaissance des droits sociaux (qui amarqué le passage de la considération du travail de simple moyen d’échange mercantile à celle departicipation au produit national rémunéré équitablement compte tenu des besoins personnels etfamiliaux des travailleurs) et autres améliorations (comme la diminution progressive des heures detravail, le repos hebdomadaire, les congés payés, l’amélioration des conditions matérielles desécurité et de confort, etc.).Ce sont toutes ces garanties qui ont contribué à diminuer le degré de subordination de l’employéà l’employeur, et donc à diminuer sa considération d’occupation dévalorisante et aliénatrice de laliberté et de la dignité des travailleurs. Plus encore, elles ont contribué à faire évoluer le travail verssa valorisation sociale. Cette évolution a notamment eu lieu entre 1880 et 1940 3024 . La consécrationde l’accès au travail comme un droit de l’homme accompagné de la revendication de l’égalité deschances d’accès au travail ou encore le rôle du travail dans l’émancipation de la condition féminineconstituent des preuves indéniables d’une telle évolution. La valeur sociale attribuée actuellement àl’activité professionnelle constitue de loin le critère le plus déterminant de l’identité sociale desindividus : l’exclusion du monde du travail équivaut purement et simplement à l’exclusionsociale 3025 . On peut même dire que le travail est devenu dans nos sociétés contemporaines, ce quiavait été autrefois suggéré, qu’il le soit dans les prisons, à savoir leur religion : « Le travail est la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20086343022 L. FEBVRE, « Travail : évolution d'un mot et d'une idée », préc., p. 26.3023 « Il est odieux en civilisation par l'insuffisance du salaire, l'inquiétude d'en manquer, l'injustice des maîtres,la tristesse des ateliers, la longue durée et l'uniformité des fonctions », FOURIER, cité par L. FEBVRE,« Travail : évolution d'un mot et d'une idée », préc., p.22.3024 En France, c'est en 1907, que la première chaire de l'histoire du travail a été créée, M. WEBER, L'éthiqueprotestante, p.23.3025 D. MEDA, « La fin de la valeur "travail" ? », in Esprit, août-sept. 1995, pp. 75 et s.


providence des peuples modernes ; il leur tient lieu de morale, remplit le vide des croyances et passepour le principe de tout bien. Le travail devait être la religion des prisons 3026 . »635Par ailleurs, si le travail revêt une telle importance, ce n’est pas seulement en raison de sareprésentation sociale d’activité valorisante et d’utilité collective. C’est aussi parce qu’il constitue unmoyen d’autonomie financière, et pour la majorité des personnes, l’unique moyen d’une telleautonomie, le travail étant le seul bien de valeur d’échange dont ils disposent. On conçoit doncaisément que, pour eux, cette utilité du travail est la plus immédiate et la plus importante.Mais ces rôles et représentations étant dépendants des conditions matérielles et juridiques de sonexécution, le travail maintient la potentialité de revêtir n’importe laquelle des significationssoulignées : des significations négatives, lorsqu’il est considéré comme situation de dépendance etd’activité de besogne, et des significations positives, lorsqu’il est représenté comme moyend’autonomie financière et d’activité sociale utile. Les conditions dans lesquelles le travail s’exécutedans le système pénal en constitue la preuve. La réglementation de son exécution illustre sapotentialité d’embrasser tous les sens et fonctions attachées à la peine. Dès lors, préserver cettepotentialité serait la raison sous–jacente de la particularité de sa réglementation dans les prisons.Loin de permettre au travail de constituer un moyen d’autonomie pour les détenus, en tant qu’activitédétachée du statut pénal du détenu (§ 1), il contribue à perpétuer le sens de la peine privative deliberté comme privation d’autonomie, y compris celle de disposer librement de sa force de travail etd’en tirer pleinement profit : le travail est mis au profit de la peine et de la gestion de la prison (§ 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>§ 1. Empêcher le travail de fonctionner comme moyen d’autonomie<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Nous estimons en effet que l’absence de contrat de travail combinée aux répercussions sur lestatut juridique du détenu au travail, à savoir la privation du statut de salarié et la privation desgaranties qui entourent ce statut, procède d’une hostilité envers l’exercice par le détenu des droits quipeuvent lui assurer une autonomie. Or, le contrat de travail est générateur d’autonomie et d’un statutpotentiellement concurrent de celui de détenu qui serait redouté par l’administration pénitentiaire.Elle y verrait un affaiblissement de la peine et de son autorité. Outre la signature du contrat, qui est3026 L. FAUCHER, De la réforme des prisons, 1838, cité par Michel FOUCAULT, Surveiller et punir, préc., p.246.


une expression de l’autonomie de la volonté (A) les droits et libertés attachés au statut de salariévisent à lui assurer une autonomie effective (B).636A. Empêcher l’autonomie procurée par le libre échange du travailLes particularités qui caractérisent la relation de travail des détenus, absence de contrat et desalaire, s’inscrivent en fait dans la continuité de la conception de la peine privative de liberté commeprivative d’autonomie maximale. La privation du droit de signer un contrat de travail, comme le droitde disposer librement de ses biens, est une expression d’incapacité civile, et donc un reste de laconception de la peine privative de liberté comme emportant la mort civile du condamné. Le fait quela force de travail soit le seul bien d’exploitation dont on ne peut priver le détenu, le droitpénitentiaire vise à l’en déposséder. En témoignent les dispositions qui excluent le travail desdétenus du contrat de travail (1) et celles qui réservent un traitement particulier à sa rémunération(2).1. Autonomie exprimée par la signature du contrat de travailIl convient de prévenir d’emblée que l’approche du travail comme une marchandise évaluée dansle marché du travail et échangée contre un salaire se heurterait à sa conception actuelle comme une« conduite sociale ». Cette évolution est reflétée par la substitution du terme « salaire » par celui de« rémunération », que Gérard Lyon-Caen appelle « salaire social » 3027 . Selon cet auteur, en passantdu terme de « salaire » à celui de « rémunération » (qui a un sens plus large couvrant l’ensemble desavantages attachés à une fonction comme les congés payés, les congés-maladie, les primes), l’accentest mis sur les besoins du travailleur et non plus sur la stricte valeur du travail. Cette évolution de laconsidération du travail est également signifiée, ainsi que l’a souligné François Ewald, par le passagedu « contrat rousseauiste articulé sur la notion d’échange (et supposant du même coup le principe depropriété, car il faut que quelqu’un ait quelque chose à apporter) » à ce qu’on pourrait appeler« contrat de solidarité, fondé sur les notions de juste distribution ou répartition équitable des chargeset profits sociaux ». Sans pour autant que le travail perde sa valeur marchande 3028 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais concernant l’évolution de la conception du travail des détenus, nous sommes obligés deconstater qu’elle n’est même pas encore parvenue à la phase de la distinction totale entre l’homme et3027 La substitution du terme de « rémunération » à celui de « salaire » a eu lieu avec la loi du 2 août 1949, G.LYON-CAEN, Le droit du travail : Le salaire, t. 2, 2 ème Paris, Dalloz, 1981, pp. 5-7.3028 « Toutefois, le contrat de travail pour être étendu vers une dimension solidariste, et la rémunération pouravoir dépassé le prix strict du travail fourni, n'empêche que la relation fondamentale demeure synallagmatiqueentre deux valeurs échangées : le travail et l'argent. La personne n'a pas accès à cette société solidariste si ellen'a pas pendant une période de sa vie échangé son travail par contrat, avec un employeur dans un travailsalarial, avec le client, dans un travail libéral », F. EWALD, « Le droit du travail : une légalité sans droit ? »,Droit Social, n° 11, nov.1985, p. 725.


637sa force de travail. Pourtant, c’est cette distinction qui a permis la création du rapport salarial apparuavec le capitalisme 3029 . Et, à l’inverse, c’est l’absence de la distanciation de la force de travail ducorps du travailleur qui, dans l’histoire, équivalait tout simplement au statut d’esclave :« L’originalité de l’esclavage, répétons-le, tient du fait que c’est le travailleur lui-même qui est lamarchandise et non pas simplement son travail ou sa force de travail 3030 », soulignait Moses I. Finley.Or, si l’on estime que cette in-dissociabilité peut être expliquée par la privation d’autonomie del’esclave, et donc du pouvoir de posséder -car il était lui-même un bien de possession-, on peut y voirune explication dans la survivance de la privation du détenu du droit au contrat de travail.Considérer que la privation du détenu du droit de signer un contrat de travail ait un lointainrapport avec l’esclavage n’est pas dépourvu de fondement. Selon M. I. Finley et Thorsten Sellin 3031 ,qui ont étudié l’influence d’ergastule sur l’évolution du système des peines, celle-ci avait succédé,dans le droit romain, à celle de servi poenae 3032 . Cette peine réduisait les condamnés à des « esclavesde la peine 3033 » qui, comme Buckland le confirme, « ne pouvaient pas conclure des contrats 3034 ».Mais la peine de servi poenae porterait atteinte aux droits de propriété des maîtres d’esclaves. Dèslors les juristes avaient inventé l’ergastule qui permettait d’associer châtiment des esclaves et respectdes droits de propriété de leurs maîtres. L’ergastule consistait en l’emprisonnement des esclaves à lapropriété de leurs maîtres où ils étaient enchaînés et forcés à travailler au profit de ces derniers 3035 .Cette peine allait, sous l’Empire, être appliquée sous la forme d’opus publicum ou damnatio admetala (caractérisée par le travail forcé au profit de l’Etat), aux hommes libres, en l’occurrence auxdélinquants des basses classes 3036 . Cette extension serait due à la dégradation progressive du statutdes humiliores. Dégradation, qui les avait placés dans une telle proximité avec les esclaves, quel’application à leur égard de mêmes peines n’était plus inconcevable 3037 . On retrouve ce type de3029 « C'est avec le capitalisme que le travail salarié est apparu comme la forme caractéristique de travail pourautrui. La force de travail devient alors l'une des principales marchandises proposées sur le marché », M.I.FIN<strong>LE</strong>Y, L'esclavage antique et l'idéologie moderne, 1990, préc. ; Th. SELLIN, « Esclavage et peines dans laRome antique », Recueil d'études en hommage à M. Ancel, Aspects nouveaux de la pensée juridique, t. II,Paris, Pedone, 1975, p. 89.3030 Th. SELLIN, « Esclavage et peines dans la Rome antique », préc., p. 97.3031 M.I. FIN<strong>LE</strong>Y, L'esclavage antique et l'idéologie moderne, préc.3032 Selon W.W. BUCK<strong>LA</strong>ND, il semble qu'en droit romain, la marque qualitative de l'esclave résidait dans lesdroits diminués : « Un esclave est un homme, sans droits, i.e ; Sans pouvoir mettre la loi en mouvement poursa protection propre », The Roman law of Slavery, The condition of the slave in private law from Augustus toJustinian, Cambridge, 1970, 1 e éd., 1908, p. 2.3033 Ibid., p. 277.3034 Ibid.3035 M.I. FIN<strong>LE</strong>Y, L'esclavage antique et l'idéologie moderne, p. 13.3036 Th. SELLIN, Esclavage et peines dans la Rome antique, préc., p. 449.3037 M.I. FIN<strong>LE</strong>Y, l'esclavage antique et l'idéologie moderne, préc., p. 194. Thorstein SELLIN, en présentantl'évolution du droit pénal par une influence directe ou indirecte de l'esclavage, explique l'applicationprogressive de certaines peines propres aux esclaves à des citoyens pour les motifs suivants : la proximité où lastratification sociale a placé la classe la plus inférieure, celle des humiliores, avec les esclaves ; la dégradationdu concept de la citoyenneté, avec son extension à des esclaves affranchis et des étrangers ; la ruine de la classedes décurions, pendant la période de l'empereur Dioclétien (284-305), poussés par le système écrasant desimpôts, à céder la propriété de leurs terres et à devenir des metayers sur leurs propres terres (coloni) ; le méprisdes tâches des classes laborieuses : les fabricenses étaient affectés dans les industries de l'Etat aux mêmes<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


638peine vers la fin du XVe siècle 3038 dans la peine des galères et dans celle qui lui a succédé, lestravaux forcés. Ces peines, lorsqu’elles n’entraînaient pas la mort civile du condamné, entraînaient ladiminution de son statut civil et civique. Le condamné perdait le pouvoir de disposer librement de sapersonne, y compris de sa force de travail. Celle-ci était gratuitement mise au service, d’abord du roi,et ensuite, de la collectivité. Ce qui a permis à des historiens, comme Georg Rusche et OttoKircheimer 3039 , de soutenir la thèse que ce sont des considérations économiques qui ont déterminé lesystème des peines. Les éléments caractéristiques de ces peines, privation de liberté physique,obligation au travail et dégradation du statut civil et civique sont perpétués dans la peine de prison etla peine privative de liberté.A ce propos, il ne serait pas inutile de rappeler les positions de Beccaria, le principal inspirateurde l’évolution du système des peines de l’Ancien régime, et notamment de l’abandon de la peine demort au profit de la peine privative de liberté, ainsi que les positions de Thomas More. Ellesrenforcent notre hypothèse de l’explication du lien actuel entre peine privative de liberté et absencede contrat de travail, par ce lointain rapport avec l’esclavage. Entre autres louanges de la peined’emprisonnement figure sa présentation comme « esclavage perpétuel » car elle permettrait decombiner utilité publique et pénibilité du travail forcé, ajoutées à la privation de la liberté 3040 .Rappelons que les réformateurs français allaient, en 1791, adopter la peine privative de liberté avecl’obligation des détenus à travailler 3041 ; et que, malgré l’accent également mis sur le rôlemoralisateur du travail dans l’amendement des détenus, punition et exploitation sont les deux butsrecherchés par le travail des détenus jusqu’à la fin de la dernière guerre mondiale. Comme l’a montréJacques-Guy Petit, tout au long du XIX e siècle, les prisons ressemblaient à de grandes usinesd’esclaves. En effet, les vertus expiatrices par l’épuisement des détenus, accompagnées d’unediscipline de fer, s’accordaient à la perfection avec le désir des concessionnaires de surexploiter lestâches que les esclaves qui y travaillaient, si bien que seules des différences techniques subsistaient entre cesdeux catégories et leurs enfants étaient, également, liés à leur métier ; et de manière générale, les membres dechaque métier ayant été organisés en corporations, leurs membres étaient considérés comme des « esclaves demétier », le métier devenait héréditaire, Th. SELLIN, Esclavage et peines dans la Rome antique, préc.,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...pp. .442- 446.3038 Sa réapparition serait expliquée par les besoins d'une main d’œuvre gratuite pour affréter les galères trèsconsommatrices de main d’œuvre humaine, lorsque s'amorça l'époque des grandes guerres maritimes entrepuissances chrétiennes et musulmanes en méditerranée, coûteuses en hommes et en argent (chaque galèrenécessitait 350 hommes, G. RUSCHE et O.KIRCHEIMER, Peine et structure sociale, éd. Cerf, 1994, p. 183.3039 Ibid.3040 « La plupart de grands crimes ont l'esclavage pour sanction, châtiment qui leur semble aussi redoutablepour les coupables, et beaucoup plus avantageux pour l'Etat, que la mort ou la relégation. Car les coupablesrendront plus de services par leur travail que par la mort et leur exemple intimidera durablement ceux quiseraient attirés par des fautes semblables», de même que « s'ils n'étaient pas astreints à un labeur continuel,leur vie n'aurait rien de pénible » Thomas MORE, L'Utopie, Flammarion, Paris, 1987, pp. 194-195, et p. 108.Quant à Beccaria, il avait loué l'esclavage perpétuel pour remplacer la peine de mort comme comportant plusde degré de rigueur afin de détourner l'homme d'un crime : « Ainsi donc l'esclavage perpétuel, substitué à lapeine de mort, a toute la rigueur qu'il faut pour éloigner du crime l'esprit le plus déterminé » ; car « lefanatisme et les vanités s'évanouissent dans les chaînes, sous les coups, au milieu des barreaux de fer : ledésespoir ne termine pas les maux ; il les commence », Cesare BECCARIA, Des délits et des peines,Flammarion, Paris, 1979, p. 93.3041 Code des prisons de 1670 à 1845, préc.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


détenus. Par ailleurs, l’expression « esclavage pénal », rencontrée dans les écrits jusqu’au milieu denotre siècle pour désigner la peine privative de liberté, est à ce propos significative 3042 .639Certes le statut actuel du détenu ne peut pas être comparé à celui d’esclave ni de forcçat. Mais onne peut s’empêcher de voir dans le refus du contrat de travail un reste de la conception de la peineprivative de liberté comme privative de volonté libre. Conception qui d’ailleurs n’est pas démentiepar le législateur français qui justifiait, encore en 1995, l’absence de contrat par la « nature desrelations existantes entre le détenu et l’institution pénitentiaire, marquée par la force de contraintequi découle de la décision de justice et qui écarte l’existence d’un libre accord de volonté entre lesdeux personnes 3043 ».La réglementation de la rémunération de leur travail en constitue une preuve supplémentaire.2. Autonomie assurée par la libre gestion de la rémunérationLe droit du travail prévoit de nombreuses dispositions qui visent à garantir la rémunération :l’obligation de prévoir un salaire lors de la conclusion du contrat du travail, la fixation d’un montantminimum par des conventions collectives, sa perception effective par le salarié (diverses garantiesvisent à protéger la saisie du salaire par les créanciers dans les mains de l’employeur) et certes salibre gestion.Or, la rémunération des détenus est caractérisée par plusieurs particularités. Elle est nettementinférieure à celle d’un travailleur libre ; elle ne jouit pas de mêmes garanties contre les saisies ; sagestion par le détenu, comme nous le verrons dans la section suivante relative au droit au respect desbiens, n’est pas totalement libre ; et les litiges corrélatifs ne relèvent pas de la compétence desjuridictions communes.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La justification de ces particularités, la plus largement acceptée jusqu’à une date récente, étaitfondée sur la conception du statut légal du détenu comme comportant la privation des droitssubjectifs. L’exposé introductif au Code pénitentiaire grec de 1967 était explicite sur ce point. Il yUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008était affirmé que le fait que la détention place la personne « sub poena » crée un rapport juridique quiexclut la naissance d’un droit subjectif comme le droit à un salaire. C’est en effet cette considérationqui avait conduit les rédacteurs dudit Code à parler non pas de salaire mais d’« indemnisation dutravail pénal » ou de « gratification » 3044 . Et c’est toujours la même perception qui caractérise la3042 En droit anglais par exemple, l'on trouve le titre « penal servitude act 1853 », et Fox utilisait encore en1950 e terme de servitude pénale, L.FOX., « Le système pénitentiaire de la Grande Bretagne d'après le criminaljustice act de 1948 », in Les grands systèmes pénitentiaires actuels, Paris, Sirey, 1950, p. 307 s.3043 OIP, Dedans-dehors, n° 4, nov. déc. 1997, p. 11.3044 Code pénitentiaire grec, p. 41.


640rémunération du travail des détenus, y compris en droit français 3045 . Or, nous estimons que cesparticularités constituent des preuves supplémentaires de l’empêchement délibéré à ce que le travailfonctionne comme un moyen assurant aux détenus une certaine autonomie.En plus des considérations attachées à la conception de la peine, les particularités du statut dudétenu au travail peuvent être expliquées également par des incompatibilités structurelles entre ledroit pénitentiaire et le droit du travail.B. Empêcher l’autonomie assurée par le statut de salariéL’absence de reconnaissance au détenu du statut de salarié permet de mieux justifierl’inapplication du droit du travail dans la prison. Ce statut accorderait des droits aux détenus quiseraient redoutés par l’administration pénitentiaire (1) comme serait redouté l’esprit général du droitsocial avec lequel le droit pénitentiaire devrait se rendre compatible (2).1. Les incompatibilités entre le statut de détenu et le statut de travailleurLe statut juridique de la personne détenue serait incompatible aussi bien avec le statut de« salarié » (a) qu’avec le statut de « salarié syndiqué » (b).a. Les incompatibilités des statuts de « détenu » et de « salarié »La pleine reconnaissance au détenu du statut de salarié devrait entraîner l’application du droit dutravail dans sa relation avec son employeur. Dès lors, les ateliers devraient être considérés commedes espaces de l’entreprise et être régis, sinon exclusivement, du moins de manière prédominante,par le règlement d’entreprise 3046 . Or, tel n’est pas le cas. De même que les autres aspects de vie dudétenu, ceux qui concernent le travail sont régis par le droit pénitentiaire. Rappelons que lesinfractions, mais aussi les sanctions liées au travail, sont prévues par le droit pénitentiaire sous desformes altérées par rapport à celles prévues par le droit du travail. Par exemple, le licenciementdevient « éloignement » et la faute justifiant le licenciement peut être fondée aussi bien sur la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008mauvaise qualité du travail que sur une infraction à la discipline générale de la prison commise dansles lieux du travail. Aussi, le travail au lieu de soustraire le détenu à l’application du droit3045 Ph. AUVERGNON, C. GUIL<strong>LE</strong>MAIN, Travail pénitentiaire en question. Une approche juridique etcomparative, Rapport d’étude, Ministère de la Justice français, Septembre 2005.3046 L'application d'un tel règlement, est en effet devenu obligatoire à partir de la loi de 1982 afin d’assurer unecertaine protection du salarié à l'égard du pouvoir disciplinaire de l'employeur.


pénitentiaire, et par conséquent, à la subordination totale au pouvoir pénitentiaire, contribue-t-il àétendre cette dernière.641En effet, nous ne pouvons pas nous empêcher de poser cette question : le maintien parl’administration pénitentiaire d’une autorité monocéphale dans la prison serait-il l’effet d’uneattitude paternaliste à l’égard des détenus (argument souvent avancé par celle-ci et justifié parl’intention de mieux défendre les intérêts des détenus qui seraient en situation défavorable pournégocier directement avec l’employeur) ou bien serait-il l’effet d’une prérogative qu’elle gardejalousement ? Certes la dualité d’autorité, pénitentiaire et patronale, n’est pas inconnue dansl’histoire de la prison. Tout au long du XIX e siècle, où le travail en prison avait été organisé selon lesystème d’entreprise générale, l’entrepreneur se trouvait avec le directeur de la prison dans unrapport de dyarchie. Elle fut toutefois, d’après Jacques-Guy Petit, une expérience déplorable.Lorsque les rapports entre le directeur de l’administration pénitentiaire et l’entrepreneur n’étaient pasconflictuels, ils étaient d’une complaisance spéculative. En réalité, l’entrepreneur faisait figured’« homme fort dans la prison 3047 », ce qui a eu comme conséquence la quasi-assimilation del’institution de la prison à celle de l’esclavage. L’obligation de travailler 3048 était accompagnée d’unediscipline de fer. Les sanctions sévères étaient prévues par le règlement pénitentiaire 3049 . De surcroît,l’entretien des détenus était assuré par l’entrepreneur à moindres frais 3050 . Dans ces conditions,l’éloignement de l’entrepreneur était apparu comme une mesure protectrice pour le détenu.Toutefois, si la détention en tant que situation matérielle affaiblit le détenu face à l’employeur, ilne fait aucun doute aujourd’hui que l’absence de contrat de travail contribue à renforcer sonaffaiblissement par l’inapplication de la législation du travail. Si l’employeur est guidé par le butlucratif et donc l’exploitation (ce qui n’a rien de propre à son investissement en prison), le droit dutravail vise justement à trouver un équilibre entre les intérêts de celui-ci et ceux des travailleurs. Du<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3047 Dans ces prisons, le directeur assurait la direction de la maison, le commandement des gardiens, lasurveillance et le pouvoir punitif. Mais c'est l'entrepreneur qui possédait le pouvoir réel en assurant toutes lescharges, à l'exception du personnel administratif et de surveillance, à savoir l'éclairage, le chauffage, l'entretiendes détenus (nourriture, vêtements, propreté), ainsi que les frais de culte, des médicaments, de l'infirmerie, de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...la bibliothèque, J.G. PETIT, Ces peines obscures, préc., p. 333.3048Ce système d'organisation devenu « l'âme du régime pénitentiaire », « le système du systèmepénitentiaire », Benjamin Constant n'a pas hésité à parler de « mise en esclavage du travail pénal forcé », Ibid.,pp. 410 et 413.3049 Ainsi dans la prison de Fontainebleau, parmi les sanctions recensées en 1825, figuraient : 15 jours decachot avec fers, pour refus de travail ; 1 mois de cachot avec fers, mains attachées derrière le dos, pourdistraction pendant le travail et réponse insolente à la réprimande du directeur ; 20 jours de cachot avec fers,pour refus de travail ; 1 mois de cachot, dont 15 jours avec fers, pour insultes et voies de fait, envers unpréposé de l'entrepreneur ; un mois de cachot avec 15 jours de fers, pour endommagement d'une pièce de toile ;2 mois de cachot dont un avec fers pour bris de métier, Ibid, pp. 380-381.3050 Au point de faire éclater le scandale de Clairvaux de « mise à mort d'une population carcérale » : 117 décèspendant les deux mois d'avril et mai de 1847, pour 1 968 détenus et pour une moyenne annuelle de 116 décèsentre 1835 et 1844. L'enquête aurait révélé une fraude généralisée du boucher aux fabricants des ateliers. Unenourriture pourrie, refus de l'infirmerie de recevoir les détenus, non administration de soins et de repos afin dene pas interrompre le travail aux ateliers. L'autopsie relèvera une sorte d'empoisonnement par la nourriture etdes corps exténués par le travail dans les ateliers, Ibid, pp. 334, 341-342.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


642fait que, depuis notamment l’après-guerre, ce droit a progressé vers une meilleure protection dessalariés à l’égard du pouvoir patronal, il ne peut qu’avoir un impact également positif sur le détenu« travailleur ». Si bien que la protection de ce dernier par l’application du droit du travail estcertainement plus efficace que son inapplication. Aussi, l’absence de rapports directs entre lesdétenus et l’employeur ne peut-il plus être mise sur le compte d’une attitude paternaliste à l’égarddes détenus, mais plutôt sur l’hostilité des autorités pénitentiaires à appliquer le droit du travail dansles prisons et se voir ainsi privées d’une partie de leur pouvoir sur le détenu.L’application du droit du travail dans la prison serait par ailleurs redoutée par l’exercice desdroits syndicaux que les autorités pénitentiaires devraient assurer aux détenus qui souhaiteraient sesyndiquer.b. Les incompatibilités des statuts de « détenu » et de « salarié syndiqué »Rappelons que la liberté syndicale n’est pas garantie aux détenus, ni en droit français ni en droitgrec. Quant à la jurisprudence européenne, la Commission, saisie d’une seule affaire qui portait surcette question, était réservée quant à s’exprimer sur le principe du respect de la liberté syndicale dansles prisons.Nous estimons que l’explication la plus évidente de l’absence de la liberté syndicale dans laprison réside dans l’opposition foncière entre le statut de « salarié syndiqué » et le statut de« détenu » déterminé par le droit pénitentiaire. Le respect du droit du travail aurait accordé au détenule statut de salarié et lui aurait permis de faire partie d’un syndicat, de le placer donc dans desrapports de groupe et de le doter des moyens d’action collective et revendicative. Or, dans la prison,les manifestations de nature revendicatives, loin de constituer des moyens légaux protégés par ledroit en vue de mener des négociations collectives, sont réprimées. Elles sont constitutives demutinerie, infraction à la fois pénale et disciplinaire. Et le détenu est un sujet isolé, passif etobéissant.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Les dispositions relatives à la police dans la prison en témoignent de manière assez éloquente. Ledevoir d’obéissance des détenus est prévu aussi bien dans le droit français que dans le droit grec. Endroit français, l’obéissance des détenus est le pilier de l’ordre pénitentiaire énoncée en termespositifs : « Les détenus doivent obéissance aux fonctionnaires ou agents ayant autorité dans la prisonen tout ce qu’ils leur prescrivent pour l’exécution des règlements » (art. D. 243 CPP). En droit grec,elle est énoncée en termes négatifs. Ce dernier érige en infraction disciplinaire « l’inobservation auxinjonctions légales du personnel de l’établissement » (art. 68 §2 al. a, C. pénit.). La seule avancée enla matière de ces deux droits pénitentiaires c’est qu’ils ont supprimé l’interdiction des réunionscollectives et bruyantes, le droit français en 1996 et le droit grec en 1999.


643Enfin la mise en compatibilité du droit pénitentiaire avec le droit du travail peut se heurter à unedifférence inhérente à la logique de la structure même de ces deux droits.2. Les incompatibilités structurelles entre le droit du travail et le droit pénitentiaireLa structure du droit du travail, dialectique et évolutive (a), est bien aux antipodes de celle dudroit pénitentiaire qui est déterminée de manière unilatérale et quasiment figée (b).a. Le caractère dialectique et évolutif du droit du travailSelon François Ewald, l’examen, d’une part, des rapports entre le conflit et la norme de droit et,d’autre part, du raisonnement suivi pour trancher le conflit, relève des différences entre le droit dutravail et les autres branches de droit. Au sein de ces dernières, le conflit est extérieur au droit. Enrevanche, au sein du droit du travail, on observe d’abord que le conflit lui est intérieur : ce droitprésente cette « profonde nouveauté... d’avoir lui-même une structure de conflit », car « la normen’est pas ce en fonction de quoi on pourra dire le droit, trancher le conflit ; elle est l’enjeu même duconflit... dans la mesure où la valeur de ses normes, le contenu qu’il faut leur donner, est l’objetmême du conflit 3051 ».Quant à la norme appliquée pour résoudre les conflits en droit du travail, elle n’est pas fondéesur la logique binaire de l’interdit et du permis, mais sur celle de l’équilibre entre les parties enconflit : « Le droit du travail dit moins aux acteurs sociaux ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire,qu’il ne vise à mettre en rapport des intérêts, des conduites, des activités, des revendications aussilégitimes les unes que les autres 3052 . » Cette dernière caractéristique serait expliquée, selon le mêmeauteur, par le fait que la relation juridique au sein du droit du travail est « structurellementinégalitaire ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...On peut alors dire que le droit du travail et, de manière générale, le droit social peuvent être lesprécurseurs de la transformation de la rationalité du droit en ce que « le droit social ne se réfère plusà un droit abstrait, extérieur et absolu mais à la société, à l’état des forces et de leurs rapports 3053 ». Ilreflète l’état d’équilibre des rapports sociaux. Et puisque la société est pensée comme une structuresociologique composée de groupes, de classes et de corporations qui entretiennent entre eux desrapports à la fois conflictuels et solidaires, le droit social évolue en permanence et parUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20083051 . EWALD, « Le droit du travail : une légalité sans droit ? », préc., p. 727.3052 Ibid., p. 724.3053 Ibid., p. 726.


autorégulation : l’équilibre social est en négociation collective permanente sous l’interaction de cesgroupes 3054 .644Au vu de ces caractéristiques du droit du travail et du droit social, les différences entre ce dernieret le droit pénitentiaire sont encore plus profondes.b. Le caractère unilatéral et figé du droit pénitentiaireLégitimité du conflit, évolution perpétuelle par autorégulation, de surcroît, guidée par larecherche de l’équilibre entre les intérêts de groupes opposés, sont des éléments antinomiques avecle droit pénitentiaire. Comme il l’a été précédemment souligné à propos du statut de salarié syndiqué,le droit pénitentiaire vise à neutraliser le détenu en tant qu’acteur actif. En réprimant l’inobeissanceet les réunions collectives non autorisées, il le maintient dans un statut d’isolement et de passivité etle confine entre obéissance et mutinerie. Il exclut ainsi toute forme d’expression collective en vued’une négociation des rapports entre les différents acteurs dans la prison. Le terme « mutinerie » estsignificatif de la conception des rapports des détenus avec les autres acteurs dans la prison. Celui-cirenvoie à un état de subversion à réprimer et nullement à un simple état conflictuel à négocier pourparvenir à un nouvel équilibre en tenant compte des revendications exprimées par les détenus.Le statut figé auquel le détenu est réduit par le droit pénitentiaire témoigne que, plus encore qu’ànier la légitimité du conflit, il vise à rendre impossible sa naissance. En assignant au détenu un statutde personne isolée et obéissante, il le prive de toute interaction avec autrui, alors que celle-ci est lacondition de la naissance du conflit. D’ailleurs, le but moteur du conflit, qui est le rééquilibrage desrapports existants, n’est pas de mise en prison. Si évolution il y a, celle-ci ne résulte aucunementd’un processus d’autorégulation : le détenu, privé de la légitimité et donc de la possibilité d’agir,l’est encore plus de la possibilité de contribuer à l’orientation de sa propre évolution. Le statut dudétenu et son évolution sont déterminés par la politique pénitentiaire programmée de l’extérieur etguidée par les objectifs de la peine privative de liberté fixés par l’idéologie politique et la doctrinepénologique dominantes. Au sein du droit pénitentiaire, le conflit est illégitime. Les rapports entreles détenus et les autorités sont imposés de manière unilatérale de la part de ces dernières.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais la réglementation spéciale du travail des détenus, n’empêche pas seulement que le travailfonctionne comme moyen d’autonomie de ces derniers. Elle vise aussi à changer la nature de lavaleur du travail en l’adaptant aux fonctions de la peine et aux besoins de la gestion de la détention.§ 2. Maintenir le travail au rôle d’outil au service de la peine et de la prison3054 Ibid.


645Ce qui est clair c’est que le travail des détenus n’est pas un but en soi. Il est maintenu hors dumarché du travail, avec une valeur à part, une valeur évaluée en termes de réalisation des buts de lapeine aussi bien punitifs que resocialisants. En effet, au cours de l’histoire, deux fonctions et valeurssont officiellement reconnues au travail des détenus : une fonction négative, punitive, ajoutée à cellede la privation de liberté, et une fonction positive, resocialisante. Ces deux fonctions ont toujourscoexisté 3055 . Le seul changement observé est la domination de l’une par l’autre.La domination de la fonction punitive du travail n’a commencé à reculer qu’à partir de la fin dela deuxième guerre mondiale au profit de sa fonction resocialisante. Ce changement fut progressif.Si, au niveau international, l’abandon du caractère afflictif du travail a été affirmé dès 1955 (dans lesRègles minima pour le traitement des détenus, adoptées par les Nations-Unies), il a fallu attendre1973 pour le voir affirmer également au niveau européen (dans les Règles minima pour le traitementdes détenus, adoptées par le Conseil de l’Europe).Dans les droits nationaux, notons un grand espacement entre l’affirmation du rôle resocialisantdu travail (en droit français, dès 1945 par les principes directeurs relatifs à la réforme del’organisation des prisons et, en droit grec, depuis le Code pénitentiaire de 1967), et l’abandon de soncaractère afflictif. En droit français, cet abandon fut amorcé après les révoltes des détenus en 1970,pour être officialisé seulement en 1978 (décret du 12 mai 1978). Les dernières traces ont disparuavec l’avènement de la loi du 22 juin 1987 qui a supprimé le caractère involontaire du travail et a misl’accent sur le rôle primordial du travail dans la réintégration professionnelle et sociale desdétenus 3056 . En droit grec, l’abandon officiel du caractère afflictif du travail a été encore plus tardif.Il n’a eu lieu qu’en 1989. Dans l’article 64 §1 du Code des règles fondamentales pour le traitementdes détenus était affirmé que « le travail n’a pas un caractère punitif mais a comme objectif lemaintien et l’amélioration des aptitudes des détenus pour se réintégrer dans la société ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Mais quel que soit le but dominant du travail des détenus, ce qui est incontestable, c’est que letravail dans le système des peines est maintenu hors du marché du travail. Le rapport introductif aucode pénitentiaire grec de 1967 est à ce propos assez clair : « N’oublions pas que le travail n’est pasun but en soi, mais la combinaison des moyens vers l’atteinte d’un certain objectif 3057 ».<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008L’objectif du travail des détenus est actuellement double : traiter les détenus et gérer la vie endétention. Soizic Lorvellec fait observer qu’à partir du XIX e jusqu’à aujourd’hui, le travail devient le3055 J.G. PETIT, Ces peines obscures, préc.3056 « L'élaboration, pendant la détention, de projets réalistes d'insertion sociale et professionnelle ou l'initiationde leur préparation, constitue pour l'administration pénitentiaire un objectif lié à sa mission de réinsertion etparticipe à la prévention efficace de la récidive. Cet objectif ne peut être réellement atteint que s'il s'inscrit danscelui du développement de l'accès à l'emploi », Note du 15 février 1988, B.O., n° 29, p. 235.3057 Introduction au Code pénitentiaire du 1967, préc., p. 3.


646pivot, la clé de la voûte de tout dispositif mis en place pour le traitement des détenus mais surtout dela gestion de la vie quotidienne en prison en tant que moyen de discipline, au point de s’interroger siles discours sur la réinsertion et socialisation ne deviennent pas « incantatoires » 3058 . Des textes duConseil de l’Europe attribuent expressément ces deux objectifs au travail 3059 . Et un directeur desprisons françaises reconnaissait, en 1998, que parmi les méthodes de traitement des détenus le travailserait « la méthode la plus commode susceptible d’être appliquée au plus grand nombre desdétenus 3060 .Quel que soit l’aspect dominant de cette triple fonction potentielle du travail des détenus,punitive, resocialisatrice ou disciplinaire, il est incontestable que toutes les trois sont toujoursprésentes. L’impact du travail sur l’aménagement des modalités de l’exécution de la peine privativede liberté et sur sa durée valide cette analyse. Ainsi, les modes d’évaluation dont il fait objetmontrent que, si officiellement seules les vertus resocialisatrices du travail sont louées, il n’a paspour autant perdu ses vertus punitives, encore moins celles de moyen d’ordre et de discipline.Comme l’avait souligné Foucault, le travail des détenus est récompensé suivant un systèmed’évaluation fondé sur une forme « morale » du salaire. Il entendait par cela, la valeur que représentele salaire comme « condition d’existence sociale 3061 », à savoir la reconnaissance sociale.Reconnaissance dont le condamné est privé et qui doit la gagner. Foucault estimait précisément que« le salaire du travail pénal ne rétribue pas une production ; il fonctionne comme moteur et repèredes transformations individuelles ». De fait, le temps pénal est un « temps finalisé » poursuivant « latransformation utile du détenu », ce qui permet « de donner au châtiment légal la forme plus oumoins d’un salaire » évalué suivant le degré de la transformation du détenu 3062 .En effet, le fait que dans le système de politique pénale et pénitentiaire, à tout le moins dans celleappliquée en France et en Grèce, le temps du travail puisse remplacer le temps passé endétention (A) ou raccourcir sa durée (B) témoigne qu’on lui reconnaît des fonctions quasiéquivalentesà celles accordées à la privation de liberté.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A. La vie en détention remplacée par le travail accompli à l’extérieurUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20083058 S. LORVEL<strong>LE</strong>C, « Travail et peine », RPDP, n° 3, 1997, pp. 207-226.3059 Au niveau européen, une telle conception de moyen continue d'être affirmée.Le préambule de la Résolution(75)25, du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur le travail des détenus affirme la « valeur du travailen tant qu'élément important et pertinent de formation et de réadaptation des détenus et en tant que moyen degestion opérationnelle des établissements pénitentiaires ». Dans les Règles pénitentiaires européennes de 1987,« le travail en prison doit être considéré comme un élément positif du traitement, de la formation et de lagestion de l'établissement » (art. 71 §1). Dans leur version révisée en 2006 l’utilité gestionnaire n’est plusmentionnée : « Le travail en prison doit être considéré comme un élément positif du régime carcéral et enaucun cas être imposé comme une punition » (règle 26. 1).3060 CES, 731/SG, Travail et prison, préc., p. 2.3061 M. FOUCAULT, Surveiller et punir, Gallimard, 1975, p. 246.3062 Ibid., pp. 246-247.


647Le rapport de la peine privative de liberté avec le travail d’intérêt général (TIG), d’une part (1),et avec le travail accompli à l’extérieur dans le cadre de ces modalités d’exécution de la peineprivative de liberté, d’autre part (2), illustre bien l’équivalence de valeur attribuée au temps de travailet au temps de détention.1. Le « travail d’intérêt général » en tant que peine substitutive à la peine privative de libertéLe travail d’intérêt général, qui est une peine introduite dans le droit français en 1983 (art. 131-3et 131-8C. pén.) et dans le droit grec en 1989 (elle est actuellement prévue dans l’article 64 §1 duCode pénitentiaire), constitue la preuve irréfutable que le travail peut revêtir les traits aussi biend’une occupation sociale valorisante que d’une activité empreinte des traits punitifs suivant lesconditions tant matérielles que juridiques de son exécution. Dans le T.I.G., la fonction punitive dutravail est explicite au regard des conditions juridiques de son organisation, notamment du caractèrecontraignant de la décision de l’exécuter et de l’absence de rémunération. Tant en France qu’enGrèce, la condamnation à un T.I.G a été ménagée de manière à maintenir un caractère contraignantconsidéré comme élément inhérent à la peine, tout en évitant son caractère obligatoire en raison de saprohibition par les textes internationaux signés par ces deux pays. Ils y sont parvenus en accordant àl’intéressé le choix de cette peine, mais sous la menace de l’application de la peine privative deliberté 3063 . De plus, le droit français a organisé le T.I.G. de manière à ce que l’intéressé n’ait pasl’initiative dans le choix. Ce choix doit lui être proposé soit par le tribunal du jugement dans le casdu recours au T.I.G. en tant que peine autonome soit par le JAP dans le cadre de recours à un teltravail en tant que modalité du sursis à l’exécution de la peine d’emprisonnement inférieure à un an(art. 132-57 du Code pénal). En droit grec, le T.I.G. est prévu en tant que modalité d’exécution de lapeine convertie en peine pécuniaire (art. 64 §1 C. pénit.) 3064 . Pour cela, il faut auparavant avoir étéadmis au régime d’exécution fractionnée de la peine. La décision est prise par le TAP sur un rapportdu Conseil de travail des détenus et après audition du détenu (art. 64 §2) 3065 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Dès lors, comme l’a fort pertinemment souligné Soizic Lorvellec, cette organisation du T.I.G.montre qu’il s’agit plutôt d’un refus de la prison que d’un consentement positif au travail 3066 .Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20082. Le travail à l’extérieur en tant que modalité d’exécution de la peine privative de liberté3063 L'article 131-8 al.2 du Code pénal français prévoit : « La peine de travail d'intérêt général ne peut êtreprononcée contre le prévenu qui la refuse ou qui n'est pas présent à l'audience. Le président du tribunal, avantle prononcé du jugement, informe le prévenu de son droit de refuser l'accomplissement d'un travail d'intérêtgénéral et reçoit sa réponse. »3064 L’organisation de son exécution est réglementée par la décision ministérielle n° 108842/1997.3065 Dans les faits, cette mesure demeure très marginale. Selon le rapport annuel du Procureur AGHELIS,rendu public en décembre 2004, moins de cinquante personnes en ont bénéficié en 2004 dans les prisonsd’Athènes et de Pirée, hébérgeant près de la moitié des détenus en Grèce.3066 S. LORVEL<strong>LE</strong>C, « Travail et peine », préc., p. 213.


648Travailler ou suivre une formation professionnelle, sont les principaux motifs dansl’aménagement des modalités d’exécution de la peine privative de liberté permettant aux détenus depasser une partie du temps de leur peine, hors de la prison.En droit français, les régimes qui permettent une telle modalité d’exécution de la peine privativede liberté sont : le placement à l’extérieur, qui « permet au condamné d’être employé au dehors d’unétablissement pénitentiaire à des travaux contrôlés par l’administration » (art. 723 al. a CPP), et lerégime de semi-liberté, qui permet de travailler à l’extérieur, mais aussi de suivre une formationprofessionnelle ou un stage (art. 132-25, 132-26 C. pén.).En droit grec, ce sont les régimes de semi-liberté (art. 59-62) et le fractionnement de lapeine (art. 63 C. pénit.). La première tend à assurer le retour progressif d’un détenu à la vie en libertéen lui permettant de travailler à l’extérieur ou de suivre un stage ou une formation professionnelle.Elle est accordée après l’exécution de 1/5 de la peine pour les condamnés à une peined’emprisonnement, et de 2/3 pour ceux condamnés à une peine de réclusion temporaire (avec unminimum d’exécution de 2 mois). Pour les condamnés à la réclusion à perpétuité, elle peut êtreaccordée deux ans avant la date où ils peuvent déposer une demande de libération conditionnelle (art.60 §2). Un recours est prévu devant le TAP. Ce régime peut, sur demande du détenu, être égalementaccordé par le TAP à la place d’une demande de libération conditionnelle refusée par ce mêmetribunal (art. 60 §5). Le fractionnement de la peine peut être accordé aux détenus qui exécutent unepeine reconvertie en peine pécuniaire. Ce régime est accordé sur demande des intéressés par le TAP,après rapport du Conseil disciplinaire de la prison (art. 63 §3). La peine s’exécute en prisonseulement pendant quelques jours de la semaine. Ceux qui travaillent ou sont scolarisés peuventexécuter leur peine en fin de semaine ou pendant les jours fériés. Les autres peuvent l’exécuterdurant la semaine.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>B. La durée de la peine privative de liberté abrégée par la durée du travail<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La rétribution du travail par le « salaire de peine » est encore plus manifeste au regard de laconséquence du travail des détenus sur la durée de la peine privative de liberté. Le travail contribue àUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008raccourcir la durée de leur peine par un système d’évaluation discrétionnaire (1) ou légale (2) de savaleur (re)socialisante et punitive.1. L’évaluation discrétionnaire du travail en temps de peine en droit françaisAussi bien le droit grec que le droit français comportent des mesures raccourcissant la duréeprononcée de la peine privative de liberté, et dont l’octroi repose essentiellement sur l’évaluation


discrétionnaire du travail effectué durant l’exécution de la peine, ou sur la perspective de travailler àla sortie de la prison.649En droit français, tel est le cas dans la réduction de peine supplémentaire, et la libérationconditionnelle. Ces deux mesures, qui contribuent au raccourcissement du temps d’incarcération,sont accordées sur l’appréciation d’un critère commun : les gages de réadaptation sociale du détenu.La réduction de peine supplémentaire est accordée aux détenus qui « manifestent des efforts sérieuxde réadaptation sociale » (art. 721-1, al. a CPP). Dans l’octroi de la libération conditionnelle, letravail effectué durant la détention et/ou la perspective de travailler après la mise en liberté, sontdéterminants. Selon l’article 729 al. a du Code de procédure pénale français, « les condamnés ayant àsubir une ou plusieurs peines privatives de liberté peuvent bénéficier d’une libération conditionnelles’ils manifestent des efforts sérieux de réadaptation sociale ». Or, le fait d’avoir travaillé durant ladétention et/ou la certitude de travailler à la sortie, sont les critères principaux de ces gages.En droit grec, l’octroi de la libération conditionnelle n’est plus fondé sur de tels critères. Afind’inciter les instances compétentes à prononcer cette mesure, le Code pénal prévoit que la libérationconditionnelle est accordée sauf s’il est, par décision motivée, estimé que, vu le comportement dudétenu durant sa détention, son maintien en milieu fermé est « absolument nécessaire pour prévenirla récidive » (art. 106 C. pén.). La réduction de peine n’est pas prévue dans ce droit national. Enrevanche, il y est prévu un système de décompte des jours de peine pour les détenus qui travaillentdans la prison, appelé « calcul bénéfique » des jours de travail.2. Le travail tarifé en jours de peine en droit grecLe droit grec connaît le « calcul bénéfique » du travail 3067 qui est indiscutablement le système leplus frappant de la rétribution du travail des détenus par le « salaire de la peine ». Il s’agit d’unvéritable système de tarification du temps de travail en temps privatif de liberté.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Ce système a été introduit en 1952 3068 . L’article 46 §2 du Code pénitentiaire prévoit que le décretprésidentiel ne peut pas prévoir des durées supérieures à deux jours, excepté de manièreUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008exceptionnelle. De surcroît, ce Code a étendu cette mesure de faveur à d’autres occupations des3067 Système connu également du droit espagnol. L'article 100 du Code pénal espagnol prévoit un jour deremise de peine pour deux jours de travail, E. RUBI-CAVAGNA, Le respect de la Convention européenne desauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par la France et l'Espagne concernant laprotection de la personne du détenu, préc., p. 257.3068 Par la loi 2058 du 18/18.4.1952. Elle a depuis été modifiée par les Décrets n° 178 du 16/29.2.1980, n°107/2001 et n°333/2003. Ceux-ci établissent une triple tarification selon les types de travaux exécutés. Un jourde travail peut être l’équivalent d’un jour et demi de détention (en font partie tous les travaux d'entretien àl'exception de ceux mentionnés dans le paragraphe précédent), d’un jour et trois quarts de détention (pour lespostes de coiffeur, de cuisinier, d'infirmier, de plombier, ou pour des travaux de nettoyage) ou de deux jours dedétention (pour les travaux agricoles, d'électricien, de maçon, tout travail effectué dans un sanatorium, etc.)


650détenus. Il l’a étendu aux détenus suivant des programmes éducatifs et de formation professionnelle.De même, le décret n° 75/2005 l’a étendu aux détenus inscrits aux écoles de « deuxième chance »qui visent à obtenir un diplôme. La décision appartient au juge de l’application des peines surproposition du Conseil du travail des détenus.L’ensemble des règles qui régissent ce calcul du travail des détenus démontre bien que lesfonctions attribuées au travail sont certes, la fonction resocialisatrice, mais aussi les fonctionsdisciplinaires et punitives. Pour que les jours de travail ou d’autre occupation, soient effectivementcomptabilisés en jours de peine, il est exigé non seulement que le travail soit satisfaisant, mais aussique le détenu respecte la discipline de la prison. Le JAP peut décider de ne pas accorder totalementou partiellement le bénéfice d’un tel calcul, si le détenu a fait l’objet de sanction disciplinaire aucours de trois mois précédents. Comme il peut, pour le même motif survenu durant les six moisprécédents, décider de révoquer totalement ou partiellement les jours accordés. Les détenusdisposent d’un droit de recours devant le TAP (art. 46 §3 C. pénit.).Les directeurs des prisons grecques confirment que le « calcul bénéfique » des jours de travailconstitue de loin la première motivation des détenus à travailler 3069 . Or ce calcul est une sorte d’achatdes jours de peine qui vient compléter la rémunération du travail en espèce.Il est donc indéniable que le travail trouve en matière de peines une valeur d’échange à part. Il yest évalué suivant les résultats escomptés de la privation de liberté : resocialiser mais aussi punir,discipliner et respecter l’ordre. Alors que le travail et la formation professionnelle devraient viser àassurer l’autonomie des détenus pendant leur détention et/ou après leur sortie, ils sont plutôt utiliséscomme des preuves de bonne conduite pendant leur détention. A ce propos, l’administrationpénitentiaire française reconnaissait encore en 1986, dans une note 3070 , que l’organisation du travailn’était pas encore orientée vers sa considération comme une activité qui prépare la réinsertion socialeet professionnelle des détenus mais comme une simple occupation. Elle demandait alors auxdirecteurs des prisons que l’organisation du travail des détenus ne soit plus déterminée uniquementpar des exigences d’ordre et de discipline de la prison, et que les détenus soient de plus en plusreconnus comme des agents économiques. Pourtant un usage du travail principalement comme<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008moyen de gestion de la détention est, selon le Sénat français, toujours le trait dominant de sonorganisation 3071 .3069 Ils sont dix-neuf à le confirmer sur les vingt-cinq interrogés. Parmi eux, trois estiment que la principalemotivation est « l'occupation du temps », deux estiment que c’est « l'amélioration des conditions de vie », et unestime que c’est l'aspect économique, N. KOULOURIS, « Aspects juridiques du travail obligatoire dans lesprisons helléniques »- préc.3070 Note, AP 86-03 G3/14.01.86, B.O, n° 21, p. 121 et s.3071 SENAT, Prison : le travail à la peine, préc., pp. 26, 34.


De manière générale, la place réservée au travail des détenus dans leur ensemble aussi bien dansles droit grec et français, que dans la jurisprudence européenne permet de constater que leur travailn’est pas dissocié de leurs statuts pénal et pénitentiaire. Cette dissociation s’effectuera lorsque leurtravail sera entouré de mêmes garanties juridiques qu’à l’extérieur. C’est-à-dire, lorsqu’il s’exécuteraen vertu d’un contrat de travail, dans le respect de la liberté syndicale, et qu’il sera rémunéré selonles dispositions de la législation du travail. Dissociation qui, estimons-nous, ne desservira pas laréinsertion des détenus. Garantir au statut du détenu au travail un statut identique à celui detravailleur à l’extérieur, renforcera la capacité d’autonomie du détenu ainsi que ses liens identitairesavec l’homme libre. Le statut de travailleur contrebalancerait l’effet d’exclusion produit par le statutde détenu. Il contribuera en outre ainsi, à diminuer l’effet de désocialisation de la prison alors quetoute dérogation au statut de travailleur accroît celle déjà entraînée par la privation de liberté et lamise en détention.De plus cette dissociation témoignerait d’un changement significatif de la conception de la peineprivative de liberté et de la dignité du détenu sous l’ère des droits de l’homme. La relation del’homme au travail fut, dans l’histoire, déterminante du rapport de l’homme avec la citoyenneté, etmême tout simplement avec son humanité. L’esclave était réduit à sa seule force de travail et lecondamné fut très proche du statut d’esclave. Cette relation possède alors en elle seule le pouvoir derompre avec la conception archaïque de la peine qui associe privation de liberté et dégradation de lavaleur de citoyen, voire de la valeur d’homme.Toutefois, l’apport de la jurisprudence européenne est, jusqu’à présent, loin d’inciter à un telchangement. Peut être qu’une évolution positive pour les détenus viendra sous l’impulsion des droitsnationaux. A part l’Italie qui a recours pour le travail des détenus au contrat de travail de droitcommun et l’Espagne à un contrat spécifique 3072 , des études officielles réalisées en France, entre2000 et 2004 3073 recommandent le rapprochement effectif du statut juridique du détenu au travail dustatut de salarié. Parmi ces travaux, l’étude menée par la Commission des finances du Sénat au coursde 2000-2001 est particulièrement intéressante. Consacrée spécialement au travail des détenus, ellepropose un nombre de réformes positives tout en tenant compte des particularités de la prison. Entreautres, elle propose : d’introduire dans la prison le contrat de travail signé entre le détenu et son<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008employeur, en soulignant qu’« un travail sans droit et sans contrat n’est pas un travail » ; de qualifierla rupture du travail de licenciement même lorsque les motifs sont fondés sur le droit pénitentiaire6513072 Ph. AUVERGNON, C. GUIL<strong>LE</strong>MAIN, Travail pénitentiaire en question. Une approche juridique etcomparative, préc.3073 Ces études ont été initiées dans le cadre d’un projet de réforme du droit pénitentiaire qui n’amalheureusement pas abouti. Elles ont été menées par la Commission Canivet, le Sénat et l’Assembléenationale qui ont, à cette fin, mis en place des commissions d’enquête spéciales. La Commission nationaleconsultative des droits de l’homme a, par la suite, entrepris également une étude intitulée Etude sur les droitsde l’homme dans la prison et rendue publique le rendu le 11 mars 2004 ; CES, Les conditions de la réinsertionsocioprofessionnelle des détenus en France, Rapport, Paris, 7 octobre 2005.


652(comme la fin de peine, le transfèrement, le mitard, l’isolement) pour que le détenu puisse bénéficierde la protection des dispositions relatives au licenciement ; de soumettre la rémunération auxcotisations d’assurance chômage pour que le détenu puisse bénéficier de cette assurance lorsqu’il estprivé d’emploi durant la détention ainsi qu’au moment de la sortie de la prison ; de garantir le droitaux congés et aux indemnités journalières pour maladie et accidents du travail ; d’assurer un salaireminimum au moins égal à 50 % du Smic ; de déterminer la juridiction compétente en matière decontentieux nés de la relation de travail des détenus 3074 . En revanche, les propositions s’arrêtentdevant les droits collectifs du travail (droit d’expression, représentation par des délégués élus, droitsyndical et droit de grève) estimant que leur exercice pourrait compromettre la sécurité desétablissements qui est « absolument prioritaire » 3075 .Ces propositions (à l’exception de la dernière) ne peuvent qu’être encouragées dans l’optiqued’une normalisation des conditions de travail des détenus dans une société démocratique engagée àrespecter les droits fondamentaux individuels mais aussi les droits économiques et sociaux. Ellesdevraient aussi être enrichies par l’extension de la réflexion et, donc des propositions, à tous lestypes d’activité professionnelle. Toute la réglementation du travail des détenus et tous les travaux etétudes se limitent au travail subordonné des détenus. L’exercice des professions libérales, parexemple, n’est jamais abordé. Or la privation tant de ce type d’activité que de l’activité salariale nepeut plus être considérée comme une conséquence légale et légitime de la peine privative de libertéde sorte que les autorités compétentes n’aient pas d’obligation d’aménager son exécution afin depermettre aux personnes concernées à continuer à travailler et à exercer leur métier. Cetteconséquence, comme d’ailleurs la privation de la liberté syndicale, posent clairement la question deslimites du contenu légal de la peine privative de liberté.*<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>C’est en étudiant également l’application à l’égard du détenu condamné du droit au respect<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...des biens, que nous aurons l’image complète des conséquences de la peine privative de liberté sur lesaspects économiques de la vie d’une personne et saisirons à travers elles, le degré du sens de cetteUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008peine à termes de perte de privation d’autonomie et d’indépendance.3074 SENAT, Prison : le travail à la peine, préc., pp. 62-67.3075 Ibid., pp. 63-64.


CHAPITRE 2. L’ETENDUE <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> GESTION<strong>DE</strong>S BIENS653La propriété, consacrée en tant que droit « naturel » et « imprescriptible » 3078 , « inviolable »et « sacré » 3079 dans la Déclaration française des Droits de l’Homme de 1789, est évoqué dans laConvention seulement dans son premier Protocole additionnel. Sa protection y est consacrée en cestermes :1. « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriétéque pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droitinternational.2. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats à mettre en vigueur leslois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pourassurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».L'incorporation a posteriori de ce droit parmi les droits fondamentaux, s'explique parl'hésitation de certains Etats d'y inclure un droit de nature économique 3080 . Mais c'est feindre ignorerson importance en le limitant à sa dimension économique. Ce droit est, de plus, déterminant desrapports inter-individuels et des rapports entre l'individu et le pouvoir, et de là, de l'organisationgénérale d'une société. Il l'est d'autant plus, qu'il est au cœur des différences idéologiques dessystèmes politiques. A la lumière des travaux préparatoires de la rédaction de ce Protocole, ce seraitplutôt cette importance qui empêchait les Etats de trouver un compromis 3081 . Si la propriété privéeest le fondement des systèmes capitalistes, les systèmes communistes, loin de la reconnaître commeun droit, de surcroît, naturel, sacré et inviolable, la rejettent, la considérant comme le facteuressentiel des inégalités sociales, et donc, d'injustice sociale. Les systèmes socialistes, bien qu’ils yvoient aussi un facteur d'inégalités, ne préconisent pas sa suppression, mais seulement saréglementation visant à préserver à la fois l’intérêt individuel et l’intérêt collectif.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...C’est dans l’esprit du compromis que les Constitutions des pays européens occidentauxd’après guerre ainsi que le premier Protocole additionnel à la Convention garantissent ce droit. Il estsoumis à des limitations dans l’intérêt collectif. Ainsi, au sein de la Constitution grecque, il esténoncé en ces termes : « La propriété est sous la protection de l'Etat ; les droits qui en dérivent neUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20083078 « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles del'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression »(art. 2).3079 « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessitépublique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité »(art. 17).3080 Brigitte STERN, « Le droit de propriété, l'expropriation et la nationalisation, dans la Conventioneuropéenne des Droits de l'Homme », Droit et pratique du commerce international, 1991, n° 3, vol. 17, 1991,pp. 394-412.3081 Ibid.


654peuvent s'exercer au détriment de l'intérêt général » (art. 17 §1) 3082 . Le mode de sa consécration endroit français est également significatif. Alors que la propriété privée y est encore consacrée entermes de droit sacré et inviolable par le renvoi du préambule de sa Constitution à la Déclaration de1789, le Préambule de la Constitution de 1946, repris par celle de 1958, a introduit la notion depropriété collective : « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'unservice public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Notonsaussi que, en 1982, le Conseil Constitutionnel a reconnu au droit de propriété et à la libertéd’entreprendre une valeur constitutionnelle 3083 .La Convention est régie par le même esprit. La consécration du droit au respect des biens estassortie des limitations dictées par la préservation de l'utilité publique et de l'intérêt général. Ceslimitations ainsi que le choix du terme « droit au respect des biens » au lieu de « droit au respect dela propriété », semblent bien être le fruit du compromis recherché par les Etats signataires du premierarticle du Protocole n° 1. Sa rédaction devrait permettre de tenir compte des différences despolitiques socio-économiques des pays européens dans l'espace et le temps (des plus socialistesjusqu'aux plus libérales). Le terme « biens », plus neutre idéologiquement, mais aussi plus généralque celui de « propriété », s'est avéré un choix assez judicieux, permettant ainsi une applicationsouple de cette disposition.En effet, cet article a déjà connu une application assez extensive. La notion de « biens » adonné lieu à une interprétation susceptible d'englober l'ensemble de l'activité économique. Elle estinterprétée dans un sens dépassant la propriété des biens matériels pour englober toute « valeurpatrimoniale 3084 ». Sont progressivement reconnus comme portant sur des droits de valeurpatrimoniale, des litiges relatifs : à la jouissance et la gestion des biens immobiliers (par ex.protection contre les expropriations de droit ou de fait 3085 , les expulsions 3086 , les interdictions de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3082 L'importance que représentent les limitations de l'exercice de ces droits tant pour l’intérêt général que pourl’intérêt privé a conduit les rédacteurs de la Constitution à cerner les formes d'immixtion qui peuvent êtreprévues par la loi et le contenu de l’intérêt général (l’expropriation pour cause d’utilité publique dûmentétablie, la propriété et la concession de certains types de domaines, comme les sites archéologiques, les mines,les grottes, les terrains apparus après des travaux d'assèchement, la concession des terres vacantes au profit del'économie nationale ou des personnes sans terre ; la redistribution des terres après leur remembrement pourassurer une exploitation plus rationnelle et profitable ; les réquisitions en cas de guerre ou de nécessité sociale(comme la mise en danger de l'ordre ou de la santé).3083 Décisions du 16 janvier 1982 et 11 février 1982, citées par R. CHAVRIN ET J.J. SUEUR, Droits del'homme et libertés de la personne, Litec, 2 ème éd., 1997. La reconnaisance de la liberté d’enreprendreUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008remonterait à la décision du Cosneil constitutionel du 2-17 mars 1791 relative à la loi fiscale, par R.CHAVRIN ET J.J. SUEUR, Droits de l'homme et libertés de la personne, Litec, 5 e éd., 2007, p. 109.3084 « Les litiges relatifs à la réparation des dommages dus à des accidents, et engageant la responsabilité civilede leur auteur, ont trait à des créances qui s'analysent à des "valeurs patrimoniales" et ont donc le caractère d'un"bien" au sens de la première phrase de l'article 1, qui s'applique donc en l'espèce », CEDH, Pressos CompaniaNaviera S.A et autres c. Belgique, n°17849/91, 20 nov. 1995, Série A, n°332, § 31.3085 CEDH, Garrett, Falcão et autres c. Portugal, n os 29813/96 et 30229/96, CEDH 2000-I.3086 Expulsion d’un cinéma en location, dans l’arrêt Iatridis c. Grèce [GC], n° 31107/96, CEDH 1999-II, §55.


655construire 3087 , la chasse 3088 ) ; au commerce et à l'exercice d'une profession libérale 3089 (par ex. lerefus de délivrer une autorisation d'exercer une profession, de la retirer ou de la suspendre) ; à lacarrière des fonctionnaires 3090 (empêchement de participer aux concours, cessation de carrière,avancement, paiement du salaire) ; au statut de salarié (refus d'embauche pour des motifs illégauxtels que la non-adhésion préalable à un syndicat 3091 , licenciements, suspension de travail, paiementdu salaire et des congès 3092 ) ; et à des droits sociaux 3093 (indemnités d'accidents 3094 , allocations dechômage 3095 , pensions d'invalidité 3096 , allocations d'urgence 3097 , allocations d'assurance-maladie 3098 ,pensions de vieillesse 3099 , allocation pour handicap 3100 ). La Cour estime que dès lors que les litigesportent sur des « moyens de subsistance », ils sont déterminants pour les droits subjectifs decaractère patrimonial 3101 . Peu importe que leur fondement soit un contrat 3102 , une décision dejustice 3103 ou une loi 3104 . Ce qui importe, c’est qu’il s’agisse des créances qui puissent être analysées3087 CEDH, Terazzi c.Italie, (déc.), n°27265/95, 17 oct. 2002.3088 Chasse autorisée sur les terres de petites propriétés contre la volonté de leurs propriétaires, CEDH,Chassagnou et autres c. France, n os 25088/94, 28331/95, 28443/95, CEDH 1999-IV.3089 CEDH, Kraska c. Suisse, préc., §24 ; CEDH, De Moor c. Belgique, préc., § 43, § 47 ; CEDH, König c.Allemagne, préc., §§ 91-95 ; CEDH, Albert et Le Compte, n os 7299/75, 7496/76, 10 février 1983, Série A,n° 58, § 27 ; CEDH, Le Compte, Van Leuven et De Meyere c. Belgique, §§ 46-50 ; CEDH, Döring c.Allemagne (déc.), préc.3090 CEDH, Neigel c. France, préc., § 43 ; et Couez c. France, 24 août 1998, § 24.3091 CEDH, Young, James et Webster c. R.U, n° 7601/76, 7806/77, 13 août 1981, Série A, n°44 préc., § 55.3092 CEDH, Saggio c. Italie, préc.3093 CEDH, Salesi c. Italie, préc., § 19.3094 Concernant les accidents du travail, la Commission, dans une décision corrélative (n° 596/79, c/Belgique,du 8 juillet 1980), n’avait pas pris la peine de se positionner sur la nature d'un litige afférent, tant elleconsidérait qu'il allait de soi, affaire citée dans le Rapport sur l'affaire Feldbrugge, précitée. Cette considérationfut confirmée dans l'affaire Duclos c. France, R 20940/92, 20941/92 et 20942/92, 17.03.95, § 33.3095 Reconnaissance des allocations d’urgence, suite à la fin des allocations de chômage, donc a fortiori desallocations de chômage, CEDH, Gaygusuz c. Autriche, préc., § 41.3096 CEDH, Schuler-Zgraggen, préc. ; CEDH, Massa c. Italie, préc., § 26. « Les litiges en matière de pensions,quant à eux, relèvent tous du domaine de l'article 6 § 1 », CEDH, Caille c. France, n°3455/02, CEDH 2004-X,§ 20.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3097 CEDH, Gaygusuz c. Autriche, préc., § 41 : « La Cour estime que le droit d’allocation d'urgence -dans lamesure où il est prévu pat la législation interne- est un droit patrimonial au sens de l'article 6 du Protocole n° 1.Cette disposition s'applique par conséquent sans qu'il faille se fonder uniquement sur le lien qui existe entre<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...l'attribution de l'allocation d'urgence et l'obligation de payer "des impôts ou autres contributions" ».3098 CEDH, Feldbrugge c. Pays-Bas, préc. Même raisonnement suivi dans l'affaire Duclos à propos desindemnités et allocations familiales d’un cadre dues à un accident de circulation : « Le but de cette procédureest la détermination du contrat d'assurance applicable au requérant souscrit par son employeur et prévoyant leversement d'indemnités en cas d’accident ».3099 Selon la Cour, la Convention ne reconnaît pas un droit à une pension, sauf si elle a un fondement légal oucontractuel et l’intéressé a payé des cotisations ou elle fait partie de la rémunération prévue dans le contrat detravail, (la pension avait été retirée à titre de sanction disciplinaire), CEDH, Azinas c. Chypre, préc., §§ 32-34.3100 « Une prestation sociale non contributive, telle que l'AAH » (Allocation Adulte Handicapé prévue en droitfrançais), fonde, elle aussi, un droit patrimonial au sens de l'article 1 du Protocole n o 1 », CEDH, Koua Poirrezc. France, préc., § 37.3101 La Cour a répété que la requérante « atteinte dans ses moyens d'existence, invoquait un droit subjectif decaractère patrimonial », CEDH, Schuler-Zgraggen, préc.3102 CEDH, Saggio c. Italie, préc., (à propos d’une créance contractuelle : salaire et congés fondés sur unUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008contrat de travail).3103 CEDH, Georgiadis c. Grèce, n° 41209/98, CEDH 2000-II, § 31.3104 Voir CEDH, Almeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal, préc. (à propos d’une créancelégale fondée sur la législation concernant les expropriations).


comme des biens au sens de la Convention, c’est-à-dire qu’elles soient « suffisamment établies pourêtre exigibles 3105 ».656Si bien que, de droit suspecté de ne servir que les intérêts des propriétaires, le respect desbiens est devenu, pourrait-on dire, le siège du droit social au sein de la Convention. Cela, malgré laforte opposition de certains juges européens qui y voyaient une extension implicite des engagementsdes Etats vers des droits sociaux non incorporés dans la liste des droits consacrés par laConvention 3106 .La Cour n'est pour autant pas allée jusqu'à reconnaître un « droit à la propriété », ne serait-ceque le droit à un minimum de moyens de subsistance. Même si l'on est tenté de voir une tellereconnaissance implicite dans le refus d'octroyer des droits sociaux, force est de constater que cetteprotection est limitée aux Etats dont la législation prévoit de tels droits. Concernant les requêtesdirigées contre des Etats qui n'en prévoient pas, elles n'ont aucune chance d'aboutir même si ellesconcernent des situations de dénuement matériel total. Pourtant, une telle reconnaissance seraitl'évolution la plus conforme à une interprétation de l’article 1 du premier Protocole additionnelsoucieuse de la protection des valeurs fondamentales défendues par la Convention, qui sont la dignitéet la liberté. Le respect effectif de ces valeurs et droits passe dans nos démocraties d'économielibérale, par un minimum d'autonomie matérielle. Leur protection est amoindrie, voire anéantie, si ledegré de la dépossession va jusqu'à priver la personne de la possibilité de s'abriter du regard d'autrui,de se soigner, de s'habiller et de se nourrir convenablement.Notons, par ailleurs, que l’importance du droit au respect des biens ne se limite pas à sadimension financière. L’activité économique est également considérée comme une activité sociale etcréatrice. Elle est ainsi le prolongement de la personnalité de l'individu 3107 , de son identité sociale etde son épanouissement. Le droit grec lui reconnaît expressément une telle ampleur. La Constitutiongrecque proclame que « chacun a le droit de développer librement sa personnalité et de participer à lavie sociale, économique, et politique du pays... » (art. 5 §1).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083105 CEDH, Georgiadis c. Grèce, préc.,§ 31 ; CEDH, Antonakopoulos, Vorstsela et Antonakopoulou c. Grèce,préc. ; CEDH, Saggio c. Italie, préc., § 24.3106 Selon l'opinion dissidente émise par six juges de la Commission dans l'affaire Feldbrugge, ces droits sontassimilés à des « biens» ou à des « possessions » au sens de l'article 1 du Protocole n° 1, d'où découleautomatiquement l'applicabilité de l'article 6 §1 aux litiges ayant un effet décisif sur la naissance ou l'extinctionde ces droits (cf., mutatis mutandis l'arrêt Sporrong et Lönnroth). La Commission concluait : « En effet, unecréance créée par la loi ou fondée sur la loi est effectivement un bien de possession au sens du Protocole n° 1 »,CEDH, Feldbrugge c. Pays-Bas, préc.3107 La propriété individuelle des biens d'usage permet un renforcement de l'autonomie du citoyen vis-à-vis despouvoirs publics et des autres : c'est une projection de la personnalité dans le domaine des choses. Lorsque, parexemple, on est propriétaire de son logement R. CHARVIN ET J.J. SUEUR, Droits de l'homme et libertés dela personne, Litec, 5 ème éd., 2007, p. 104.


657On peut donc voir dans le droit de posséder des biens et de les gérer librement, un pouvoirparmi les plus déterminants de l'autonomie de l'individu, si ce n'est le plus déterminant, et en mêmetemps le moyen le plus tangible, et pour nombre de personnes, le seul moyen de participation activeà la vie sociale. Celle-ci est tissée par des échanges incessants et divers, des plus importants aux plusinfimes 3108 .Pourtant, concernant l'application de ce droit aux détenus, le même esprit anime lajurisprudence européenne aussi bien que les droits français et grec : empêcher que ce droitfonctionne comme moyen de tels pouvoirs. Sa réglementation constitue une preuve irréfutable decontinuité d'une conception de la peine privative de liberté comme privation maximale de pouvoird'autonomie et comme exclusion de la vie sociale. Si cette peine n'entraîne plus la mort civile, ellecontinue à justifier des conséquences sur le statut civil de la personne. En effet, des restrictions dansl'exercice des droits patrimoniaux sont toujours expressément attachées à certaines condamnations àla peine privative de liberté (Section 1). De surcroît, la réglementation pénitentiaire vise à soumettrel'ensemble des détenus au même pouvoir de possession et de gestion des biens en prison, le moindrepossible (Section 2).SECTION 1 <strong>DE</strong>S RESTRICTIONS PRIVATIVES D’AUTONOMIE FINANCIERELe droit des détenus au respect des biens peut être limité à la fois par sa situation pénale, àsavoir par les sanctions automatiques ou facultatives entraînées par la condamnation à une peineprivative de liberté (§ 1), et par sa situation pénitentiaire, à savoir par les restrictions imposées par ledroit pénitentiaire ( ! 2).§ 1. Les restrictions entraînées par le statut pénal<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En droit français et grec, la condamnation à une peine privative de liberté peut entraîner desrestrictions des droits patrimoniaux. De telles restrictions sont en effet prévues par le droit pénal, ledroit civil ou encore par les statuts professionnels (A). Mais elles ne manquent pas de soulever desquestions de conformité avec le droit au respect des biens consacré par l'article 1 du Protocole n° 1de la Convention (B).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008A. Les restrictions au sein des droits nationaux3108 « Le droit de prorpiété est plus en relation aux hommes qu'une relation aux choses », R. CHARVIN et J.J.SUEUR, Droits de l'homme et libertés de la personne, Litec, 2 ème éd., 1997, p.248.


658Depuis la mise en vigueur des Codes pénaux en Grèce en 1950 et en France en 1994, lesincapacités civiles entraînées par la condamnation à la peine privative de liberté ont été suppriméesdans le droit pénal (1), mais elles n'ont pas pour autant disparu de ces deux ordres juridiques (2).1. La fin de l’incapacité à gérer ses biens résultant de plein droit d’une condamnation pénaleAvant la mise en vigueur des Codes pénaux actuels en France et en Grèce, un condamné àune peine privative de liberté pouvait être frappé de restrictions dans son statut civil sous une doubleforme : l'incapacité de jouissance et l'incapacité d'exercice. La première incapacité se manifestait parla confiscation des biens et la seconde par la privation de la disposition et de la gestion des biens, entant que conséquence de l'incapacité générale d'exercice des droits civils. En droit français si, depuisl'abolition de l'esclavage (Constitution de 1848 ) et de la mort civile (loi du 31 mai 1854 ), lesincapacités d'exercice des droits civils étaient devenues partielles 3109 , celles concernant les biensdemeuraient importantes. L'incapacité d'exercice résultant de l'interdiction légale qui frappait lescondamnés à une peine afflictive et infamante (prévue par l'article 29 du Code pénal) était, en cas decondamnation à une peine afflictive perpétuelle (art. 29 C. pén.), complétée expressément par unedouble incapacité : celle de disposer et de recevoir des biens (art. 36 C. pén.). Concernant lesincapacités de l'interdit légal, en général, bien que la jurisprudence ait apporté certaines limitations àleur étendue 3110 , celles concernant les biens sont restées intactes.Celles-ci étaient conçues de telle manière qu'en réalité, elles paralysaient totalement lajouissance des droits corrélatifs. Par exemple, la confiscation des biens, même lorsqu'elle n'était pasaccompagnée de l'interdiction légale, rendait illusoire la capacité du détenu à en disposer et à lesgérer, faute d'objet. Comme l'a fait remarquer P. Voirin, « on ne peut disposer que de ce qu'on a 3111 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Or, selon les explications sur les origines du lien entre la peine et ses conséquences, lemaintien de celles-ci ne pourrait qu'être critique eu égard à l'évolution de la conception de la peine.Selon la doctrine, la confiscation des biens était conçue, sous l'ancien régime, comme un châtimentsupplémentaire frappant le condamné à travers ses proches et, après la Révolution, comme moyen<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083109 G. RAYMOND, Droit civil, 2 e éd., Paris, Litec, 1993, p. 111.3110 L'interdit légal, à la différence de l'interdit judiciaire, peut exercer une action en justice pour diffamation,conclure un mariage, adopter ou reconnaître un enfant naturel ; mais pas une action en désaveu de paternité, ouune demande de divorce. Et, selon une décision de la Chambre criminelle rendue le 29 novembre 1966,l'interdit légal, étant privé du droit d'ester en justice, ne pourrait pas se constituer partie civile ; il devrait doncêtre représenté par son tuteur (Crim., 29 nov. 1966, JCP, 1967.I., note Henri BLIN). Mais sur ce point, laChambre d'accusation de la Cour de Cassation, par une décision du 31 octobre 1980, en a décidé autrementconcernant les actions relatives aux droits de la personne : « L'interdit légal, qui s'estime victime d'un délit deviolence, peut lui-même se constituer partie civile », D. 1981, 227.3111 « Le condamné conserve intacte la plénitude de sa capacité civile à l'effet, notamment, de contracter et des'obliger, d'acquérir et de disposer. Cependant il est impuissant à conserver des biens ; son patrimoine est àpeu près vidé de tous les éléments actifs », P. VOIRIN, « Les effets civils de la confiscation générale desbiens », JCP, 1946.I.504.


659d'empêcher un délinquant politique réfugié à l'étranger de jouir de ses biens 3112 . Quant auxincapacités civiles, justifiées initialement par la fonction éliminatrice de la peine 3113 , et étant ainsirapprochées de la mort civile, leur subsistance dans le Code pénal français précédent s'expliquerait,d'après certains auteurs, par leur valeur répressive mais aussi par l'indignité dont elles sontporteuses : « Les peines privatives de droits constituent pour le condamné une sorte de capitisdiminutio ; il est frappé d'une marque d'infamie qui le gêne dans sa vie civique, familiale oupatrimoniale. Leur effet afflictif est peu contestable, quoique modéré 3114 ». Elles seraient, de surcroît,expliquées par le but d'empêcher l'amélioration de la vie quotidienne du détenu en disposant de sonéventuelle fortune 3115 . Du fait donc que les incapacités civiles tenaient de la mort civile et de lafonction éliminatrice de la peine, leur maintien serait à la fois un anachronisme et une entrave à lafonction re-socialisatrice fixée à la peine depuis la fin de la seconde guerre mondiale.Le droit grec a précédé le droit français de quarante-quatre ans en supprimant l'interdictionlégale dès 1950, date de la mise en vigueur de l'actuel Code pénal. Parmi les motifs de sasuppression, l'accent avait justement été mis sur sa considération comme vestige de la mort civile 3116 .En droit français, c'est seulement en 1994, date de la mise en vigueur du nouveau Codepénal, que ces incapacités ont été supprimées. Seules sont maintenues, et uniquement à titre depeines complémentaires, la confiscation spéciale et les interdictions professionnelles. Les autresincapacités ont été jugées contradictoires à l'esprit du nouveau Code pénal. Dans le rapportcommuniqué à l'Assemblée Nationale à l'occasion de son adoption, il avait été souligné que cenouveau Code devrait répondre à la nécessité de son adaptation au changement, d'une part, de laconception du crime (considéré autrefois comme une atteinte à l'ordre moral, il est aujourd'huiconsidéré comme une atteinte à l'ordre social) et, d'autre part, de la représentation du délinquant(moins qu'un homme indigne, il est actuellement considéré comme un homme dangereux pour l'ordresocial). Les incriminations, mais aussi la nature des peines, devraient alors s'adapter aux objectifs dudroit pénal actuel : préserver l'ordre social, d'une part, et respecter la dignité et assurer la réadaptationsociale des détenus, d'autre part 3117 . En effet bien que, selon l'auteur de ce rapport, le débat futdifficile, et bien que le Sénat ne fut pas favorable à la suppression des incapacités civiles en tant queconséquences automatiques de certaines condamnations pénales, l'Assemblée l'a finalement adoptée,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083112 R. MER<strong>LE</strong>, A. VITU, Traité de droit criminel, Paris, Cujas, 1984, p. 920.3113 Selon JOUSSE, « la mort civile est celle, qui sans priver de la vie naturelle, fait priver tous les droitsattachés à la qualité de citoyen », JOUSSE, Traité de la justice criminelle de France, t. 1, 1771, p. 84. La« mort civile» a été abolie en droit grec en 1862.3114 B. BOULOC, Pénologie, 3 e éd., préc., p. 40. Voir aussi M.-H RENAUT, « Les conséquences civiles etciviques des condamnations pénales (Le condamné reste citoyen à part entière) », RSC. (2), avr.-juin, 1998,pp. 265-277.3115 W. JEANDIDIER, Droit pénal général, 2 ème éd., préc., p. 453.3116 Code pénal grec, commandé par A. KONTAXIS, Athènes, Sakkoulas, 1987, p. 532.3117 J.O, Assemblée Nationale, Débats, Séance du 2 juillet 1992, notamment, pp. 3083-3085.


en mettant en avant le motif que, pour les condamnés, « elles constituent de véritables obstacles àleur réinsertion 3118 ».660Pour autant, toutes les conséquences de la condamnation à une peine privative de liberté surla capacité civile ne sont pas effacées dans les droits nationaux.2. La survivance d’autres conséquences de nature patrimonialeLe droit grec a encore devancé le droit français. La privation des droits civils ne figure plusparmi les sanctions complémentaires ou automatiques à une condamnation pénale. Et, en 1996, la loin°2447/96 a supprimé l’interdiction légale qui figurait dans l'article 1700 du Code civil, en tant queconséquence automatique de certaines condamnations à la privation de liberté.En revanche, le droit français est caractérisé par le maintien d’un nombre important de tellesconséquences 3119 (a) auxquelles s’ajoutent les diverses interdictions professionnelles prévues par unbon nombre de statuts professionnels (b).a. La survivance des sanctions complémentaires de nature patrimonialeEn droit français, la fermeture d’établissement, la confiscation des biens, et les interdictionsprofessionnelles continuent à constituer des sanctions complémentaires. La fermetured’établissement 3120 est limitée aux établissements dont le fonctionnement a été l'occasion decommettre l'infraction sanctionnée. En revanche, la confiscation des biens peut ne pas se limiter auxobjets qui ont servi ou étaient destinés à servir à commettre une infraction et aux objets qui sont leproduit de l'infraction. Elle peut aussi s’étendre « sur tout ou partie des biens appartenant aucondamné 3121 ». Il en est de même des interdictions professionnelles. Elles peuvent s’étendre au-delà<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3118 Ibid., p. 3085.3119 « Lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d'une ou de plusieurs peinescomplémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent interdiction, déchéance, incapacité ouretrait d'un droit, injonction de soins ou obligation de faire, immobilisation ou confiscation d'un objet,confiscation d'un animal, fermeture d'un établissement ou affichage de la décision prononcée ou diffusion decelle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique », art.131-10 C. pén.3120 Cette sanction est annoncée expressément dans de nombreux articles en précisant la nature desétablissements visés, ceux ayant servi à commettre les faits incriminés, et la durée. Voir à titre d’exemple, lesarticles 131-48, 223-15-3 al.3, 213-1, 223-17 du Code pénal.3121 Cela est prévu par un nombre de dispositions. Elle est régie de manière générale par l’article 131-21 duCode pénal, qui est introduit par cet alinéa : « La peine complémentaire de confiscation est encourue dans lescas prévus par la loi ou le règlement. Elle est également encourue de plein droit pour les crimes et pour lesdélits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse ».S’y ajoutent un certain nombre d’articles de ce même Code qui prévoient la possibilité de prononcer cettepeine en matière de contravention (131-14, 6°, 131-16, 5 , 131-42, 222-44, 222-49, 223-15-3, al. 4.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


de celles liées à la nature de l’infraction commise. Elle peut s’étendre à l’interdiction généraled’exercer une « fonction publique » 3122 .661Or si les conséquences liées au type d’infraction commise peuvent être justifiées par le butde préserver la confiance dans l'exercice légal et non abusif et d'une profession ou d'une activitésociale, celles qui élargissent ces champs le sont moins. Car il ne faut pas oublier que, à l'origine, detelles interdictions visaient à porter atteinte au pouvoir pécuniaire et à la réputation sociale de lapersonne concernée 3123 et qu'elles continuent à s'apparenter à des sanctions pécuniaires. Rappelons àcette occasion que la jurisprudence européenne a reconnu le caractère de sanction à des sanctionsrelatives à l'interdiction d'exploiter un commerce et d’exercer une profession 3124 . On peut doncestimer que celles dépassant la profession ou l’activité de nature connexe à l’infraction commisecontinuent à tirer implicitement leur légitimité de la conception de la peine privative de libertécomme une peine infamante visant à amoindrir le statut juridique de la personne condamnée.A ce propos, les conséquences d’une condamnation pénale qui se répercutent dans les textesréglementant l’exercice de certaines activités professionnelles valident cette considération.b. La survivance d’autres conséquences sur la vie professionnelleLes textes régissant l’accès à la fonction publique mais aussi un bon nombre des statutsprofessionnels, comportent des conditions qui étendent le champ des conséquences sur la vieprofessionnelle d’une personne condamnée.En effet, l’accès à la fonction publique est non seulement interdit par le Code pénal françaispour un nombre important d’infractions 3125 , mais aussi par le Code de la fonction publique. Celui-ci,comme celui des collectivités territoriales, soumet l’exercice d’une telle fonction à la condition de lajouissance des droits civils, en tout cas, à l’absence de condamnation à une sanction pénale. Cettedernière condition est également prévue par le droit grec pour les condamnations pour crime(art. 22§ 1Code de la fonction publique).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008A ces empêchements, s’ajoutent ceux prévus par un bon nombre de statuts professionnels. Ledroit français offre une large palette d’exemples de tels empêchements. Ainsi, l’absence de casier3122 Voir entre autres, les articles 131-48, 213-1, 221-9, 223-15-3, 226-31, 311-14, 435-5, 441-10 du Codepénal.3123 B. BOULOC, Pénologie, 3 e éd., préc., pp. 37-39.3124 CEDH, Kraska c. Suisse, préc., § 24 ; CEDH, De Moor c. Belgique, préc., § 43, § 47 ; CEDH, König c.Allemagne, préc., §§ 91-95 ; CEDH, Albert et Le Compte, préc., § 27 ; CEDH, Le Compte, Van Leuven et DeMeyere, préc., §§ 46-50 ; CEDH, Döring c. Allemagne (déc.), préc.3125 Voir entre autres dispositions du code pénal, les articles 131-48, 213-1, 223-15-3, 226-31, 311-14, 435-5,441-10.


662judiciaire et/ou la jouissance des droits civils figurent dans les statuts de différents ordresprofessionnels comme celui des avocats, des médecins, des architectes, des experts comptables, ainsique dans les textes réglementant les conditions requises pour travailler dans les banques, les douanes,les assurances, les établissements de crédit, l’enseignement supérieur privé, l’aviation civile, lecommerce, etc. 3126 .De manière générale, la survivance des interdictions, déchéances ou incapacités, ici et là,dans les ordres juridiques nationaux français et grec, portent atteinte à l'intégrité du statut juridiquedu détenu au-delà de celle portée par la privation du droit à la liberté physique. On doit alorss'attendre à ce que ces exclusions du domaine des activités professionnelles soulèvent des questionsde conformité avec la Convention.B. De la conformité des restrictions nationales avec la ConventionLa subsistance des incapacités civiles et interdictions professionnelles attachées à lacondamnation à la peine privative de liberté susciterait certaines interrogations sur leur conformitéavec la Convention notamment avec le droit au respect des biens consacré par l'article 1 du Protocolen°1 de la Convention (1) et avec le droit au procès équitable (2).1. Au regard du droit au respect des biensCertes le droit au respect des biens ne jouit pas, au sein de la Convention, d'une protectionabsolue. Le premier paragraphe de l'article 1 du Protocole n°1, qui énonce le principe de la garantiedudit droit 3127 , est suivi d'un deuxième paragraphe précisant les conditions dans lesquelles desrestrictions peuvent être conformes à la Convention : « Les dispositions précédentes ne portent pasatteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pourréglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement desimpôts ou d'autres contributions ou des amendes ». Nous constatons donc que la seule atteinteautorisée au respect des biens à titre de sanction est l'amende et, plus généralement, les sanctionspécuniaires. La privation de la jouissance des biens et de leur gestion ainsi que l’interdiction<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d’exercer certaines professions ne figurent pas parmi les buts légitimes énoncés dans ce dernierparagraphe. Dès lors, même à supposer qu'elles puissent trouver une justification implicite dans lebut général de l'« usage des biens conformément à l'intérêt général », cette justification ne constituepas une panacée pour l'ensemble des questions qui peuvent être soulevées.3126 Voir à ce propos le dossier d’étude intitulé « De l’Enfermement au Bannissement...Les empêchements à laréintégration », publié sur le site de l’association « BAN PUBLIC » : www.prison.eu.org.3127 « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriétéque pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droitinternational ».


6632 Au regard du droit au procès équitableA l'exception des conséquences patrimoniales prévues par le droit pénal à titre de sanctionscomplémentaires à la condamnation à une peine privative de liberté, toutes les autres conséquencesse heurteraient au respect du procès équitable consacré par l'article 6 §1 de la Convention. S'agissantdes restrictions déterminantes des droits de caractère civil, elles ne peuvent être décidées qu'à l'issued'un procès équitable. C'est en ce sens que la Cour a statué dans l'arrêt Winterwerp (1979) 3128 .Appelée à se prononcer sur la compatibilité avec la Convention de la perte automatique par unmalade mental de la gestion personnelle de ses biens, suite à son enfermement, cette instance a rejetél'argument du gouvernement néerlandais selon lequel il s'agissait d'une question de « statut » et nondes « droits civils ». Selon la Cour, « la capacité de gérer son patrimoine comprend l'exercice desdroits privés et, de là touche aux "droits et obligations de caractère civil" au sens de l'article 6 §1 » ;dès lors, ôter à quelqu'un cette capacité équivaut à « décider » de pareils droits 3129 . Or cette décisionrequiert un jugement rendu conformément à l'article 6 de la Convention 3130 . Nous estimons que ceraisonnement doit a fortiori être valable pour les personnes privées de leur liberté à titre de sanction.La capacité mentale de ces personnes à gérer leurs biens n'est pas mise en cause. Dès lors, leurcondamnation à la peine privative de liberté ne peut impliquer la restriction de la capacité à gérer lesbiens 3131 , à moins que le tribunal se soit également prononcé sur la capacité civile de l'intéressé.D’autant plus que les sanctions patrimoniales contribuent à étendre implicitement le contenu de lapeine privative de liberté, elles portent atteinte au principe de légalité des peines. Au regard de lajurisprudence européenne, le seul effet légal de la condamnation à une peine privative de libertédevrait être la privation de cette liberté au sens de son article 5 3132 . Dès lors, les restrictions dansl'exercice d'autres droits de l'homme protégés par la Convention doivent être justifiées dans chaquecas d'espèce. Ainsi, les restrictions des droits patrimoniaux entraînées par la condamnation à unepeine privative de liberté devraient être décidées par un tribunal à l'issue d'un procès équitable. Lacondamnation à la peine privative de liberté ne peut pas être leur unique fondement. Elles devraientêtre justifiées par des considérations supplémentaires prouvant, dans chaque cas d'espèce, leurnécessité pour l'intérêt public, le seul but légitime prévu par l'article 1 du Protocole n° 1.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 2. Les restrictions entraînées par le statut pénitentiaire3128 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc.3129 Ibid., § 73.3130 Selon la Cour, « de quelque manière qu'il se justifie de retirer à un aliéné la capacité d'administrer sesbiens, le respect des garanties de l'article 6 §1 ne s'en impose pas moins », Ibid., § 75.3131 Ibid., § 74.3132 « …La Cour souligne tout d’abord que les détenus en général continuent de jouir de tous les droits etlibertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté lorsqu’une détentionrégulière entre expressément dans le champ d’application de l’article 5 de la Convention », CEDH, Hirst c.R.U., (n o 2), [GC], 74025/01, CEDH 2004-III, § 70.


664La jurisprudence européenne sur l'application de l'article 1 du Protocole n° 1 en prison, étantcomposée uniquement des décisions de la Commission qui, de surcroît, portent sur des aspects trèslimités, ne permet pas d'établir une comparaison globale avec l'application générale dudit article. Ellepermet néanmoins de saisir certains traits significatifs de l'esprit qui régit son application en prison.Un esprit en continuité de celui développé dans les droits nationaux et en retrait considérable de celuiqui régit son application à l'extérieur (A) ; ce qui n'incite guère à une évolution des droitspénitentiaires favorables pour les détenus (B).A. La garantie européenne insatisfaisanteL’exercice du droit au respect des biens n’est pas encore expressément garanti en prison (1).Seule une infime protection est indirectement assurée par les exigences du droit au procès équitableen cas de naissance d’un conflit relatif à la gestion des biens (2).1. Garantie inefficace par l'application du droit au respect des biensConcernant la gestion des biens que le détenu possède à l'intérieur (a) ou à l'extérieur de laprison (b), la jurisprudence européenne corrélative n'est pas encore incitatrice à une évolution del'état de protection du droit au respect des biens à l'égard des détenus.a. La gestion des biens à l’intérieur de la prisonSeule la Commission a eu à se pencher sur la question de la gestion des biens dont lesdétenus disposent à l'intérieur de la prison, et seulement dans deux affaires concernant la gestion deleur compte nominatif. La première affaire portait sur le refus opposé à un détenu d'envoyer del'argent de ce compte à sa sœur souffrante 3133 . La deuxième portait sur le non-placement de la sommeréservée au pécule de sortie sur un compte bancaire avec intérêts 3134 . La Commission avait conclu àl'inapplication de l'article 1 du Protocole n° 1. Elle avait jugé qu'« un droit au paiement des intérêtsne peut pas être déduit des dispositions dudit article 3135 ». Elle avait refusé de qualifier la rétention<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008obligatoire d'une partie de l'argent des détenus pour constituer un pécule de sortie comme uneingérence dans l'usage de leurs biens. Or, tant ces conclusions que le raisonnement suivi sontcritiquables, puisque pour la Commission, ces restrictions seraient implicites au statut du détenu àl'instar de celles prévues par les articles 4 §3, al.a et 5 §1, al.a de la Convention 3136 . Seulement, à la3133 D 4984/71 (X/RFA), 5.10.1972, Rec. 43, 1973, pp. 35-36.3134 D 8346/78 (X/Autriche), 6.03.1980, D.R 19, 1980, pp. 230-231.3135 Ibid.3136 Ibid.


différence de ces dernières, l'article 1 du Protocole n° 1 ne comporte aucune clause spécifiant lestatut de détenu.665Par ailleurs, même si la Commission avait estimé qu'il s'agissait des ingérences dansl'exercice du droit au respect des biens, elle n'aurait pas abouti à une conclusion sensiblementdifférente. Selon cette instance, ces restrictions seraient de toute manière justifiées en application ducritère d'« usage des biens conformément à l'intérêt public » prévu par l'article 1 du Protocole n° 1 dela Convention. Ainsi, la rétention d'une somme d'argent pour constituer le pécule de sortie a, dans lesdeux affaires, été considérée comme un usage des biens des détenus plus conforme à l'intérêt publicque le fait de leur laisser le choix d'en envoyer une partie à un membre de leur famille. Or, ce modede gestion, il convient de le noter, méprise également un autre droit dont le respect sert plutôt que nedessert l'intérêt public : le droit au respect de la vie familiale qui implique l'entraide familiale 3137 .Au fond, la Commission n'entendait pas tirer de la Convention un droit des détenus à unegestion personnelle et libre de leurs biens. Ce qui confirme également sa jurisprudence sur la gestiondes biens à l'extérieur de la prison. Soulignons cependant que les Règles pénitentiaires de 2006recommandent expressément la possibilité pour les détenus d’envoyer une partie de leur argent à leurfamille 3138 .b. La gestion des biens à l’extérieur de la prisonC'est dans l'affaire Silver et autres que la Commission avait eu à se prononcer sur le respectdu droit des détenus à gérer leurs biens à l'extérieur de la prison, plus précisément sur le droit àpoursuivre des activités lucratives. Dans cette affaire, un des requérants condamné pour escroquerie,se plaignait de la censure d'une de ses lettres dans laquelle il donnait à son mandataire desinstructions relatives à la gestion de ses biens. La Commission n'avait pas retenu ce grief en estimantque « c'est en principe une conséquence normale et raisonnable de la détention, nécessaire à ladéfense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, que les condamnés détenus cessent leursactivités professionnelles durant leur détention 3139 ». La Cour, saisie de cette affaire, ne s'est pasexprimée sur les principes qui devraient régir la gestion des biens des détenus. Elle a cantonné son<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008examen aux questions soulevées dans cette affaire au regard du droit au respect de la correspondanceconsacré par l'article 8 de la Convention. Tenant compte du fait que, dans ce cas, il s'agissait d'uncondamné pour « escroquerie », elle avait estimé que « eu égard à la marge d'appréciation duRoyaume-Uni, les autorités étaient en droit de croire à la nécessité de saisir cette lettre-là - traitant3137 D 8346/78 (X/Autriche), 6.3.1980, D.R 19, 1980, préc.3138 « Les détenus doivent pouvoir consacrer au moins une partie de leur rémunération à l’achat d’objetsautorisés destinés à leur usage personnel et à en envoyer une autre partie à leur famille », (règle 26.11).3139 Rapport sur l'affaire Silver et autres, 14 mars 1981, Série B-51 (Plaidoiries), §§ 398-399.


d'une transaction immobilière - pour assurer "la défense de l'ordre" et "la prévention des infractionspénales", au sens de l'article 8 §2 de la Convention 3140 ».666Bien que, dans cet arrêt, la Cour ait jugé conforme à l'article 8 de la Convention la censurede cette lettre, l'examen de sa jurisprudence ainsi que celle de la Commission relative au droit desdétenus au respect de leurs biens, montre que ce droit ne jouit pour l’instant que d’une protectionindirecte par l'effet du respect d’autres droits.2. Garantie indirecte par l'application du droit au procès équitableEn l'état actuel de la jurisprudence européenne, nous pouvons constater que les seulesgaranties assurées à la gestion des biens des détenus sont celles qui peuvent résulter des garantiesexigées par le droit au respect du procès équitable (art. 6). L'objet de tels litiges étant par excellencede caractère patrimonial, l'applicabilité de l'article 6 § 1 ne doit plus faire de doute. La Cour a déclaréque « l'article 6 s'applique à toute action ayant un objet "patrimonial "3141 ».Nous ne disposons malheureusement pas de jurisprudence corrélative de la Cour concernantles détenus. Toutefois l'arrêt Winterwerp, dans lequel elle a eu à s'exprimer sur le droit d'unepersonne privée de sa liberté pour cause de maladie mentale à bénéficier des garanties de l'article6 §1 de la Convention dans la gestion de ses biens, nous permet de déduire que le même principedoit également s'appliquer dans le cas des détenus condamnés. Dans cet arrêt, la Cour avait affirméque ôter à quelqu'un la capacité de gérer son patrimoine, équivaut à décider de l'exercice des droitsprivés et, de là, sur des « droits et obligations de caractère civil » au sens de l'article 6 §1 3142 .Il faut cependant préciser que dans cet arrêt, il s'agissait de la gestion des biens à l'extérieur,alors que nous nous intéressons ici également à la capacité des détenus à gérer les biens qu'ilspossèdent à l'intérieur de la prison et notamment leur argent. L'applicabilité de l'article 6 §1 de laConvention dépendra alors de la qualification ou non de la qualification des contestations desdétenus relatives à la gestion de leurs biens comme des griefs portant sur des droits de caractère civilau sens de cet article. Cette qualification doit être considérée comme incontestable concernantl’argent provenant d’autres sources que le travail. Quant à la rémunération de leur travail, rappelonsque la Commission avait écarté l'application de l’article 6§1 dans les griefs corrélatifs des détenus ens’appuyant sur l’absence de contrat de travail. Estimant pour cette raison que leur rémunération nepeut pas être qualifiée de salaire, elle avait conclut que ces griefs se situaient hors de sa compétence<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083140 CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., §100.3141 Voir entre autres : CEDH, Raimondo c.Italie, n o 12954/87, 22 février 1994, Série A n° 281, § 43 ; VoirCEDH, Saggio c. Italie, préc., § 29 ; CEDH, Azinas c. Chypre, préc. ; CEDH, Koua Poirrez c. France, préc.,§ 56 ; CEDH, Kjartan Asmundsson c. Islande, préc., § 17.3142 CEDH, Winterwerp c. Pays-Bas, préc., § 73.


667rationae materiae 3143 . Mais cette jurisprudence serait en contradiction avec celle de la Cour 3144 . Car,outre l’interrogation du bien fondé de la privation des détenus du droit au contrat de travail, laqualification de salaire pourrait bien ne pas être indispensable pour l’applicabilité du droit au procèséquitable. Rappelons que la Cour a reconnu le caractère patrimonial à des ressources ne provenantpas d'un contrat de travail (comme les allocations d'assurance-maladie 3145 ou les allocations d'aidesociale 3146 ). Il suffit qu’elles soient prévues par une loi ou reconnues par une décision de justice.L'absence de contrat de travail ne devrait, par conséquent, pas être déterminante dans la qualificationdes litiges des détenus relatifs à leur rémunération et à la gestion de leurs biens en général, commedes litiges portant sur des droits de caractère civil.Pour l'instant, force est de constater que la jurisprudence européenne n’a guère progressédans la direction d'une amélioration du statut de détenu par la garantie d’une certaine autonomie dansla gestion des biens.Malgré l'absence d'une jurisprudence européenne concernant le droit des détenus à gérerleurs biens, y compris de ceux qu'ils possèdent dans la prison, nous partons de l'hypothèse que cesdroits doivent être considérés comme acquis. C'est alors que les droits pénitentiaires nationauxpeuvent soulever des questions de conformité avec la Convention.B. De la conformité des restrictions nationales avec la ConventionEn premier lieu, c’est la gestion indirecte qui caractérise la gestion des biens des détenusaussi bien à l'extérieur qu’à l’intérieur de la prison. Le droit grec (art. 4 C. pénit.) et le droit français(art. D. 321 al. a CPP) prévoient la possibilité du détenu de gérer ses biens à l’extérieur soitpersonnellement soit par mandataire 3147 . Seulement, l’administration pénitentiaire n’était pas tenuede prendre les mesures permettant aux détenus de les gérer personnellement. C’est leur gestion parmandataire qui devient le mode de gestion courant.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Mais si cette situation peut encore ne pas être considérée comme une atteinte à la liberté degérer ses biens, tel n’est pas le cas de la gestion des biens à l’intérieur de la prison, et notamment deUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20083143 D 3959/69, Collection des Décisions, n° 35, p. 109, et D 4984/71 (X/RFA), 5.10.1972, Rec. 43, p. 35. A cepropos, voir aussi la partie traitant la question de la protection du travail des détenus par la voie judiciaire.3144 Pour la Cour, le « caractère civil de tels griefs ne soulève aucun doute », CEDH, Feldbrugge c. Pays-Bas,préc., §38.3145 Ibid.3146 CEDH, Salesi c.Italie, préc., § 19.3147 Ce choix, prévu dans l’article 4 du Code pénitentiaire grec, n’est devenu possible en droit français quedepuis le décret n° 98-1099 du 8 décembre 1998. Auparavant, seule la gestion par mandataire était possible.Actuellement, il est prévu que « le détenu conserve la gestion de ses biens patrimoniaux extérieurs, dans lalimite de sa capacité civile. Le cas échéant, cette gestion peut s'effectuer par l'intermédiaire d'un mandataire,celui-ci devant être étranger à l'administration pénitentiaire (art. D321 CCP).


668l’argent du détenu. La gestion du « compte nominatif » du détenu demeure bien ancrée dans l’espritde la dépossession des détenus de leurs biens et du pouvoir d’en jouir. Plusieurs aspects de laréglementation corrélative sont symptomatiques. En premier lieu, la dépossession physique del’argent. Tant en Grèce qu'en France, le détenu ne « touche » pas son argent : son compte nominatifest tenu par le service comptable de l'établissement (art. D319 CPP français, et art. 45 C. pénit. grec).La possession de l'argent est même illégale. En droit grec, elle constitue une infraction disciplinaire(art. 68 §3, al.b C. pénit.). En droit français, la privation du détenu de porter de l’argent est prévuepar l’article D318 du Code de procédure pénale. Seules sont autorisées à en porter les personnesbénéficiant de la mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur ou d’une permission de sortie(art. D 122 CPP). Toutefois, comme nous allons le voir, même ces derniers ne sont pas libres degérer cet argent à leur guise.En deuxième lieu, le compte du détenu n’est pas seulement tenu, mais il est aussi géréd'office par le service comptable de l'établissement. Il est obligatoirement divisé en trois parties endroit français et en deux parties, en droit grec. Au sein du droit français, la première partie estdestinée à l'indemnisation des parties et créanciers d'aliments (20 %), la deuxième partie à laconstitution du pécule de libération (de 10 %) et la troisième est laissée à la libre disposition desdétenus (art. D320-1 à D320-3 CCP). Ces trois parties sont principalement alimentées par larémunération du travail (art. D111 CPP) 3148 et les mandats envoyés de l’extérieur. Ces derniers sontversés sur la part disponible à la hauteur de la somme fixée régulièrement par décret (elle estactuellement fixée à 200 euros) ; le surplus est soumis à la répartition précitée (art. D32, al.2 CPP).Les gratifications sont, par dérogation, entièrement versées à la part disponible ( art. D111 CPP) etles rentes des accidents de travail sur le pécule de libération 3149 . En droit grec, le pécule de libérationest supprimé. Notons à ce propos, alors que la Commission considérait que la rétention obligatoired'une partie de l'argent des détenus pour constituer le pécule de sortie constitue une gestion conformeà l'intérêt public, nous observons que cette gestion, de connotation paternaliste, ne figure plus dans ledroit grec. Le compte des détenus est divisé en deux parties. Une partie, fixée par décision duministre de la justice, est déposée sur un compte bancaire rémunéré. L’autre reste au servicecomptable de l’établissement et est composée : de la part disponible, de la part réservée au paiementdes peines pécuniaires, et de celle destinée à l’indemnisation des victimes (art. 45 C. pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En troisième lieu, même s’agissant de la gestion de la part disponible, si les droits nationauxont noté des progrès par rapport à la jurisprudence européenne en reconnaissant une certaine libertédans la gestion du compte nominatif du détenu, celle-ci demeure très limitée. Les détenus ont lapossibilité de placer de l’argent sur un compte bancaire rémunéré, alors que la Commission a estimé3148 « La rémunération du travail est répartie conformément aux dispositions des articles D. 320 à D. 320-3,après qu'ont été précomptées les cotisations à caractère social mises à la charge des détenus »,(art. D111 CPP).3149 Le capital représentatif des rentes d'accidents du travail dont la conversion a été rendue obligatoire par ledécret nº 59-734 du 15 juin 1959 est intégralement versé au pécule de libération », (art. D324 CPP).


que cet aspect n'est pas garanti par l'article 1 du Protocole n° 1 de la Convention. Le droitpénitentiaire grec prévoit que l'argent correspondant à la part non disponible du compte des détenusest placé sur un compte bancaire avec des intérêts (art. 45 §2 C. pénit.). Le droit français prévoit,quant à lui, que le détenu peut placer des sommes de cette même part sur son livret d'épargne (D. 331CPP 3150 ) dès lors que la somme figurant sur sa part disponible dépasse un seuil fixé par décret 3151 . Enrevanche, ils ne sont pas entièrement libres de disposer de cette somme. Le droit français prévoitprécisément que les retraits de ce compte 3152 ainsi que les versements à la famille des détenus (art.D 323, 330 et 421 CPP) 3153 sont soumis à l'autorisation du directeur de l'établissement 3154 . En droitgrec, une telle possibilité est également prévue sur autorisation du directeur de l’établissement, àcondition qu'il s'agisse de « cas urgents », de « toute sorte de permission » ou de « paiement d’unesanction reconvertie en sanction pécuniaire ou d’indemnisation des victimes » (art. 45 §2 C. pénit.,art. 13-5 Règlement intérieur) ». En revanche, les détenus ne peuvent ni de leur vivant, ni partestament, disposer de leur argent au profit d'autres détenus à moins qu'ils soient des parents, frères,sœurs ou conjoints (art. 46 §3 C. pénit., art. 13-5 Règlement intérieur).Notons que l'administration pénitentiaire française prônait, dans un plan d'action triennal,une plus grande liberté des détenus en vue de leur responsabilisation 3155 . Mais pour l’instant aussibien en France qu’en Grèce, à part la décision de placer de l’argent de la partie disponible sur uncompte bancaire, et d’effectuer sous autorisation des versements à des proches, la liberté des détenusdans la gestion de leur argent se limite, comme nous le verrons plus loin, dans la consommation desbiens autorisés en prison.Mis à part ces différences relevées entre la jurisprudence européenne et les droitspénitentiaires nationaux, l'esprit de ces trois ordres juridiques est identique concernant la conceptiondu rapport des détenus à la propriété. Cette conception est dominée par la justification de la quasiprivationde l'exercice du droit de posséder des biens et de les gérer librement. Les actes autorisés degestion de leur compte qui viennent d’être mentionnés ne constituent que des exceptions de faibleimportance.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083150 « Les détenus peuvent verser sur leur livret d'épargne des sommes prélevées sur leur part disponible » (art.D 331 CPP).3151 En 2007, il était fixé à 229 euros : « La somme prévue à l'article D.324 du code de procédure pénale àpartir de laquelle les dépôts sur livrets de caisse d'épargne doivent être effectués est fixée à 229 euros », (art.A41 CPP).3152 « Les détenus peuvent verser sur leur livret d'épargne des sommes prélevées sur leur part disponible. Lesopérations éventuelles de retrait sont subordonnées, pendant la détention, à l'accord du chef d'établissement »,(art. D 331 CPP).3153 « Tout versement effectué à l'extérieur sur la part disponible d'un détenu doit non seulement avoir étédemandé ou consenti par ce détenu, mais aussi, avoir été autorisé expressément par le magistrat saisi du dossierde l'information, s'il s'agit d'un prévenu, ou sinon, par le chef de l'établissement », (art. D 330 CPP).3154 Le refus peut toutefois donner lieu à un recours administratif. Ainsi à propos du refus de restituer à deuxdétenus des sommes bloquées sur leurs comptes (CE 3 nov 1989, Pitaluque, Rec, tables, p 830.3155 « Plan d'action de l'administration pénitentiaire », 1991-1993, Ministère de la justice, p. 55.669


SECTION 2. <strong>DE</strong>S RESTRICTIONS REDUISANT <strong>LE</strong> <strong>DE</strong>TENU A UN ETAT <strong>DE</strong> PAUVRETEEGA<strong>LE</strong>670L'examen des rapports des détenus avec la propriété et, en général avec les biens, montre quela prison est le revers de l'ordre libéral qui règne à l’extérieur. Alors que dans cet ordre, la libertéd'initiative privée est exaltée en tant que moyen suprême d'autonomie individuelle, le lieu dedétention est dominé par le principe inverse, à savoir l'égalité matérielle. Cela non dans le butd'assurer l'égale distribution des richesses, mais dans celui de maintenir les détenus dans une égalepauvreté. On ne peut, en effet, s'empêcher de voir dans l'égalité matérielle en prison, justifiéeofficiellement par le principe d'égalité devant la peine, la recherche également de privation du détenudes moyens d’expression de son autonomie et de réalisation de ses envies.Cette conception apparaît clairement dans certaines dispositions des droits pénitentiairesfrançais et grec relatives à la gestion des biens dans la prison. Ces dispositions tendent à affaiblir lepouvoir financier des détenus (§ 1). L'exemple, notamment des dispositions relatives à laconsommation, domaine le plus ostentatoire du pouvoir financier, mais aussi de liberté et de plaisir,sont les plus éloquentes § 2).§ 1. Les restrictions du pouvoir de posséder et de jouir de ses biensAu regard du droit de posséder des biens, de les échanger à titre lucratif et, en général, de lesgérer librement, nous pouvons dire que le détenu est une personne dépossédée de ses biens (A), etinterdite de les exploiter à but lucratif ou de s’enrichir (B).A. Les restrictions du pouvoir de posséder des biens<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Les dispositions pénitentiaires relatives aux objets (1) et aux sommes d'argent autorisés enprison (2), concourent manifestement à maintenir les détenus dans un état de privation matérielle.1. Limitation des biens autorisés<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Quelle que soit la situation financière d'une personne, en franchissant les murs de la prison,elle est réduite à néant. Des biens dont le détenu n'est pas séparé par le droit, il s'en sépare par lesmurs. Il est vrai qu'il est difficile d'imaginer une personne arrêtée arrivant à la prison avec un camionde déménagement ou même avec sa valise. Il y arrive avec ses habits et éventuellement de l'argent depoche. C'est peut être la première image - et la plus symbolique - de la dépossession de l'homme, quise livre nu à la justice pénale.


Cette forme de dépossession du détenu est reflétée par les articles D. 319 et 335-341 du Codede procédure pénale français. Même si, par hasard, le détenu portait sur lui des objets de valeur, il enest dépossédé au moment de son écrou. Ces objets sont retirés et gardés par le service comptable del’établissement pénitentiaire. Ils lui sont remis à sa sortie. Le détenu n'est, en principe, autorisé àgarder que son alliance et sa montre. Le Code pénitentiaire grec ne contient plus de dispositionsanalogues. Il parle d’objets et de sommes d’argent que le détenu « souhaite » déposer au servicecomptable (art. 23 §6 C. pénit.). Pourtant, au moins concernant l’argent, si l’on se réfère auxdispositions de l’article 45 de ce même Code sur le compte nominatif (selon lequel c’est une décisionministérielle qui détermine le montant d’argent déposé sur le compte courant du détenu) et à cellesde l’article 68 §3, al.b sur les fautes disciplinaires (la détention de l’argent sans autorisation enconstitue une), il est clair que le détenu ne décide pas si, et quelles sommes d’argent, il souhaitegarder avec lui.Il est significatif à cet égard de noter également, en anticipant sur le pouvoir du détenu deconsommer, que l'acquisition des biens, ultérieure à son écrou, est régie par les critères dedangerosité et de coût mais aussi de mobilité. Les biens que les détenus sont autorisés à posséderdans la prison se réduisent à un petit nombre d'objets strictement personnels et mobiles pour êtretransportables lors des transferts d'une prison à l'autre 3156 . Si ces critères sont justifiés par desconsidérations pratiques( défaut de place 3157 ), nous pouvons aussi y voir la préservation de l'imaged'un homme dépossédé. L'image du détenu en route vers la prison, et d'une prison à l'autre, doit êtrecelle d'un homme sans pouvoir, d'un homme réduit à son corps physique. Alors que l'image d'uncamion de déménagement qui accompagnerait le transfert du détenu serait déjà celle d'un hommeentouré de biens sur lesquels il exercerait un pouvoir de possession, et qui prolongeraient sonexistence physique et son identité sociale. Nous pouvons aussi y voir la préservation de ce que lanotion de peine privative de liberté comporte comme élément fondamental : la privation de la libertéde choisir l'endroit de vie. L'image d'un homme avec son sac à dos ou son sac à main est bien celled'un homme sans attache à un sol ou à un cercle de personnes ; d'un homme qui peut se trouver ets'expédier partout. Elle est ainsi plus conforme à l'essence de la peine privative de liberté en tant queprivation de la liberté physique et, conséquemment, de la privation de la liberté de s'installer à unendroit précis. Serait donc contraire à cette représentation de la peine privative de liberté, l'image<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20086713156 Ce sont des raisons pratiques qui sont avancées par le personnel pénitentiaire pour expliquer l'option dusystème de location plutôt que celui de l'achat des biens de mobilité réduite par les détenus. Ainsi MoniqueSEY<strong>LE</strong>R rapporte un exemple concernant l'autorisation de vente à la cantine des modules en matière plastiquepermettant de monter une sorte de bibliothèque. La condition était que le détenu abandonne ses droits depropriété lors de son transfert : « En cas de transfert, le détenu concerné ferait cadeau des modules qu'il auraitachetés au service social », M. SEY<strong>LE</strong>R, « La consommation dans les établissements pénitentiaires », inDéviance et Société, 1985, n° 41, pp. 235-236.3157 A ce propos le Règlement intérieur des prisons grecques est explicite : le volume des objets que les détenuspeuvent garder avec eux ne doit pas dépasser la taille d’une valise (art.11).


d'un déménagement lors des transferts des détenus et de l'installation des biens lourds etvolumineux : le détenu est transféré ; il ne déménage pas 3158 .6722. Limitation des sommes d'argent autoriséesQue l'appauvrissement accompagne la peine privative de liberté, est également déduit ducontrôle des sommes d'argent que les détenus sont autorisés à posséder. Ce contrôle est opéré pardeux procédés : par le contrôle des sources de leur provenance et par le contrôle de leurs montants.Le contrôle des sources de provenance de l'argent s'opère par leur énumération limitative. Desdispositions des droits pénitentiaires grecs et français précisent bien la composition du comptenominatif des détenus. Il peut être composé du produit de leur travail (lui-même faiblementrémunéré 3159 ) ; de la somme portée le jour de l'écrou et des mandats versés de l'extérieur (art. 45 §1C. pénit. et art. D319 CPP) ; et des prix pécuniaires que le détenu peut recevoir à titre de récompense(art.67 §1 C. pénit.) ou des gratifications (art. D111 CPP). Le contrôle de la quantité de l'argents'opère lui, de manière explicite, par la fixation d'un montant maximum que les détenus puissentrecevoir de l'extérieur 3160 . Notons que le respect de ce plafonnement a reçu la légitimation desinstances européennes. Dans l'affaire Silver et autres précitée, le contrôle de la correspondance desdétenus, afin d'empêcher la circulation illégale de l'argent, a été considéré comme conforme àl'article 8 de la Convention.Certes ce contrôle vise à assurer l'égalité matérielle des détenus devant la peine. Mais nousne pouvons pas nous empêcher de constater que cette égalité se fait dans le sens d'une pauvretéégale. Cela peut être du à une raison d’ordre pragmatique : les caractéristiques de la populationcarcérale. La majorité d'entre elle provient des populations défavorisées et le demeurera après leurmise en liberté 3161 . Et au lieu de leur apprendre comment sortir de la pauvreté, on leur apprendcomment la gérer. Cette raison ouvertement admise par Tocqueville en son temps -il craignait queles détenus ne « contractent des habitudes de dépenses que leur travail ne saurait désormais suffire »à satisfaire 3162 -, est toujours d’actualité. Mais cette égalité par le maintien dans un état de pauvretépeut également être due à une raison d’ordre symbolique : la réalisation de l’image de l’homme<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083158 A ce propos, l'exclamation d'un surveillant lors de l'enquête précitée est significative : « Quelle serait laréaction de mes collègues, s'ils voyaient arriver un vrai déménagement ! », M. SEY<strong>LE</strong>R, « La consommationdans les établissements pénitentiaires », préc.3159 Voir dans la partie relative au travail des détenus.3160 « Toutes les sommes qui échoient aux détenus sont considérées comme ayant un caractère alimentaire,dans la mesure où elles n'excèdent pas chaque mois 200 Euros. Cette somme est doublée à l'occasion des fêtesde fin d'année », (art. D 320 CPP).3161 Voir à ce propos le livre de Anne-Marie MARCHETTI, Pauvretés en prison, éd. Erès (trajets), 1997.3162 L'extrait de cette citation de Tocqueville est significatif : « Le détenu, recevant chaque semaine presqueautant d'argent qu'il pourrait en gagner en liberté et n'ayant à pourvoir à aucun de ses besoins personnels, nonplus qu'à ceux de sa famille, se trouve par ce fait cent fois plus riche, c'est-à-dire cent fois plus en état desatisfaire ses goûts et ses plaisirs, que s'il n'était pas en prison... il aurait contracté des habitudes de dépensesauxquelles son travail ne saurait désormais suffire », M. PERROT, TOCQUEVIL<strong>LE</strong>, Ecrits sur le systèmepénitentiaire en France et à l'étranger, Oeuvres Complètes, t. IV, préc., p. 59.


673détenu comme un homme affaibli et frustré par la privation de pouvoir financier, de confort et deplaisir. Car, le contrôle se fait en fixant un plafonnement à la somme des mandats que les détenuspeuvent recevoir de l’extérieur, sans pour autant garantir un minimum de ressources assuré par l'Etat.Une telle garantie n'est pas non plus assurée même aux détenus en France où un tel droit socialexiste, en l’occurrence le droit à un minimum de revenus d'insertion (RMI) 3163 . A propos de cetteexclusion des détenus, il conviendrait de noter que, au regard de l'application générale de l'article 1du protocole n°1 de la Convention dans la jurisprudence européenne, elle pourrait s'analyser commeune ingérence au droit des détenus au respect des biens. Rappelons que la Cour a jugé, à propos d'undroit similaire en droit allemand, le droit à l'allocation d'urgence, que « dans la mesure où cetteallocation est prévue par la législation nationale, elle est un droit patrimonial au sens de l'article 1 duProtocole n° 1 3164 ».Certains détenus ne peuvent donc pas être plus riches que les autres, mais ils peuvent êtreplus pauvres, voir si pauvres que, pour une fois, l'égalité est dans les systèmes d'économie libéraleune valeur plus absolue que la dignité mise à mal par le dénuement matériel.B. Privation de la liberté d'exploiter ses biensLe cercle d'activités lucratives est sérieusement circonscrit : autant dire qu'il est limité à laseule activité du travail salarial. Sont ainsi interdites, non seulement l'activité la plus propre dusystème d'économie libérale, l'activité commerciale, mais aussi tout échange lucratif. Cetteinterdiction est valable aussi bien pour les échanges avec l'extérieur (1) que pour les échanges àl'intérieur de la prison (2).1. Privation des échanges avec l'extérieur<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>L'interdiction de continuer à gérer ses biens dans un but lucratif résulte, dans les droits grecet français, des dispositions qui instaurent le principe de gestion des biens des détenus à l'extérieurpar un représentant légal ; mais elle résulte surtout de celles qui excluent les détenus d'une jouissancedirecte et entière des gains. En droit français, plus détaillé sur ce dernier point, cela est explicite :<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d'abord par le plafonnement du montant des mandats envoyés aux détenus ; et ensuite, par le fait qu'ily est précisé que « les sommes qui échoient aux détenus sont considérées comme ayant un caractère3163 Les détenus sont exclus du RMI par un décret de 1988 : (Décret n° 88-1111 du 12 déc. 1988) enapplication de la loi du 1 er déc. 1988 qui prévoyait seulement la réduction du montant à l’instar des personneshébergées dans un établissement sanitaire ou d'hébergement. Soulignons que le Sénat dans son Rapport rendusur l’état des prisons en France suite à une enquête courant 1999-2000, a préconisé la mise en place d’un« RMI carcéral », c’est-à-dire que son montant serait moindre qu’à l’extérieur, compte tenu de la gratuité dulogement et de la nourriture en prison, Prisons : une humiliation pour la République, Les Rapports du Sénat, n°449, 1999-2000, p.196.3164 CEDH, Gaygusuz c. Autriche, préc., § 41.


674alimentaire » dans la mesure où elles n'excèdent pas 200 euros par mois (art. D 320 CPP). Or, cetteprécision, si elle vise à garantir que cet argent soit comptabilisé dans la partie disponible du comptedu détenu, vise aussi à l'exclure des revenus pouvant être investis à des fins lucratives. D’ailleurspour le surplus, ces sommes sont soumises à répartition dans les proportions ci-après déterminées,sous réserve des dispositions particulières concernant les rentes, les pensions et les indemnités (art.D. 320 CPP).2. Limitation des échanges dans la prisonJusqu’en 1996, la notion même d’« échange » était proscrite du droit pénitentiaire français.Les décrets régissant le droit d’exécution des peines prévoyaient que les détenus n’avaient droit àéchanger que des livres (art. D246, al. a et b. CPP). Depuis cette date, l’échange des biens à butlucratif demeure toujours étranger. Quant aux échanges à titre gracieux ou de prêt, il est simplementprévu, au vu de l’article D249-2, 8° du Code de procédure pénale relatif aux fautes disciplinaires,que leur détermination est laissée au règlement intérieur de chaque prison.Le droit grec, en revanche, ne réglemente que les échanges à but lucratif. L’interdictiongénérale des échanges à but lucratif, qui régissait les échanges des détenus avant le Codepénitentiaire actuel 3165 , a disparu. Actuellement, seule est expressément interdite « la vente des objetspersonnels », notamment des médicaments (art. 68§3, al. d C. pénit.). Ce qui permet de déduire queles échanges à titre gracieux ou de prêt sont autorisés. Ce qui ne signifie pas pour autant unchangement significatif. En recourant à la formule « vente d'objets personnels » au lieu de « toutéchange à but lucratif », le droit grec ne modifie pas profondément l’ampleur de l’interdiction. Dansla prison, les ventes ne peuvent, a priori, concerner que les objets personnels des détenus.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Nous estimons qu’une reconnaissance de la liberté de gestion des biens, constituerait une desactivités les plus tangibles et opérationnelles de participation des détenus à la vie sociale. Au lieu decela, la suppression de la dynamique qui implique l'activité des échanges est parachevée par larestriction, voire la privation, de la liberté des détenus à gérer leur argent. Les seuls échangesaccessibles aux détenus concernent la consommation des biens autorisés en prison.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 2. Les restrictions du pouvoir de consommerC'est en soulignant la place de la consommation dans nos sociétés, qu'on peut mesurer cellequ'elle occupe dans l'exécution de la peine privative de liberté. La consommation, plus qu'un actevisant à satisfaire des besoins vitaux, représente le plaisir, le bien-être, voire la liberté et ladémocratie. Elle représente la liberté en raison de l'ampleur du choix des produits de consommation,3165 Elle figurait dans l’article 87 § 2, al. f du Code des règles fondamentales pour l’exécution des peines.


675et la démocratie en raison de l'offre des produits adressée à l'ensemble de la population. Certes, ondoit parler plutôt d’une « démocratie du standing », selon les termes de Baudrillard, à savoir d’uneégalité devant l'objet 3166 . La puissance de l'affichage des biens destinés à tous, masquerait la réalitéde l'inégalité d'accès : « Tous les hommes sont égaux devant la valeur d'usage des objets et des biensalors qu'ils sont inégaux et divisés devant la valeur d'échange », fait encore remarquer le mêmeauteur 3167 . Toujours est-il que si la consommation ne permet pas de réaliser cette démocratie dustanding, elle présente toutefois une importance certaine, si symbolique soit-elle, pour la liberté. Cegeste quotidien et banal qu’est l'achat exprime un acte élémentaire de liberté, aussi minime soit leprix du produit acheté. Et c'est surtout cet aspect-là qui nous intéresse dans l'examen du statut dudétenu en tant que consommateur.Son rapport à la consommation pourrait à lui seul composer le tableau des privationsentraînées par la peine privative de liberté. La liberté et la capacité de consommer étant, dans nossociétés, les manifestations de la liberté et du bien-être les plus tangibles et les plus ostentatoires, laprivation de celles-ci serait la plus significative des deux dimensions principales de cette peine :privation d'autonomie, frustration et souffrance. Privation d'autonomie puisqu’à part la liberté dechoix, ces échanges expriment l'accord de deux volontés autonomes et impliquent le choix des biensles plus vitaux comme ceux de se nourrir et de s'habiller. Frustration et souffrance par la soumissionà des conditions de vie matérielles qui ne doivent pas être synonymes de bien-être. La vie luxueusedans la prison est toujours un scandale pour l'opinion publique et la notion de bien-être en prisoncommence à peine à être acceptée.Certes, les effets de cette privation sont actuellement atténués. La reconnaissance pourl'ensemble des détenus de la possibilité d'accéder aux biens de consommation (réservée autrefois auxdétenus méritant une récompense pour bonne conduite) 3168 , l'entrée de la cantine dans la prison et lamise en place des modes d'achat des produits à l'extérieur (tels que la commande à la direction del'établissement, l'achat par correspondance ou la vente directe par la venue des marchands dansl'enceinte de la prison 3169 ) ont pu recréer un espace de liberté et procurer un certain confort 3170 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3166 « Le principe démocratique est transféré d'une égalité réelle des capacités, des responsabilités, des chancessociales, du bonheur à une égalité devant l'objet et autres signes évidents de la réussite sociale et du bonheur.C'est la démocratie du standing, la démocratie de la T.V., de la voiture et de la chaîne stéréo, démocratieapparemment concrète, mais tout aussi formelle, qui répond, par delà les contradictions et inégalités sociales, àla démocratie formelle inscrite dans la Constitution. Toutes deux, l'une servant d'alibi à l'autre, se conjuguenten une idéologie démocratique globale, qui masque la démocratie absente et l'égalité introuvable », J.BAUDRIL<strong>LA</strong>RD, La société de consommation, Paris, Folio, 1970, pp. 60-61.3167 Ibid. p. 61.3168 Jusqu'en 1970, pour accéder à la cantine, il fallait gagner « les galons de bonne conduite ». Et, jusqu'en1975, cet accès avait conservé le caractère de récompensé. C'est à partir de 1975 que ce caractère a étéabandonné, M. SEY<strong>LE</strong>R, « La consommation dans les établissements pénitentiaires », préc., p. 53.3169 Ibid.3170 « La part disponible du compte nominatif peut être utilisée par le détenu, conformément aux règlements,pour effectuer des achats à l'intérieur de l'établissement pénitentiaire », (art. D323 CPP). Le Code pénitentiairegrec, dans son article 32, prévoit la même possibilité.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


676Cependant, cette évolution, si elle a ouvert au détenu un espace de liberté, n'a pas cessé deconstituer un champ d'observation des éléments de la peine privative de liberté et de l’organisationde la vie en prison : appauvrissement, dangerosité, surveillance, réeducation, brimades et privationsreflètent la réglementation du choix des produits auxquels les détenus peuvent avoir accès (A) et dela décision d’y accéder ou non (B).A. Un accès aux produits de consommation sévèrement limitéAlors qu'à l'extérieur, la liberté de consommer est déterminée par la liste de produits interditsou d'accès non libre (comme la prohibition des stupéfiants ou la vente des médicaments surordonnance médicale), dans la prison, elle se détermine par la liste des produits autorisés. Cetteautorisation vise à contrôler à la fois la qualité et la quantité des produits entrant en prison. Or, cecontrôle, s'il est justifié par des raisons pratiques et de sécurité, notamment ne pas encombrer lescellules et faciliter les transferts des détenus, il l'est également par des raisons tenant à uneconception de la prison comme un cadre de vie réduit au niveau minimum ou, en tout cas, à unniveau inférieur à celui des classes pauvres 3171 On constate en effet que l'austérité (1) et lanécessité (2) sont les critères qui guident le choix des produits de consommation accessibles auxdétenus.1. Le critère d'austéritéSi le pouvoir de choisir les produits représente une liberté, le moment de les utiliser, de lesconsommer, représente également le confort, le bien-être, le plaisir. Ce qui aggrave encore sonincompatibilité avec la représentation de la vie en prison. Un des éloges faits, en France, en 1791, enfaveur de l'adoption de la prison comme peine était que l'essentiel de cette peine résiderait dans lesprivations des infimes joies de la vie : « La peine efficace doit être recherchée dans la privationmultiple des jouissances dont la nature a placé le désir dans le cœur de l'homme 3172 ». L'histoire descantines dans les prisons françaises montre que leur introduction a rencontré de l'hostilité et que,initialement, elle n'avait pas été acceptée pour améliorer la vie quotidienne des détenus mais pour les<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008motiver à travailler 3173 . D'ailleurs, si la cantine dans la prison avait été acceptée dans son principe, laréglementation de son usage était telle que la vie quotidienne ne changeait pas de manièresignificative. Elle devait continuer à être peinte des couleurs de la souffrance, de la pénibilité, de latristesse et de la gravité. Les propos tenus par Tocqueville sur le fonctionnement de la cantine sonttrès éloquents à ce sujet : le luxe dans la prison serait scandaleux et la joie des détenus répulsive. Le3171 G. RUSCHE et O. KIRCHEIMER, Peine et structure sociale, préc.3172 J.-G. PETIT, Ces peines obscures, préc., p. 47.3173 M. SEY<strong>LE</strong>R, « La consommation dans les établissements pénitentiaires », préc.


scandale du luxe : « Tous les dimanches une cantine très bien fournie est ouverte dans la prison ; desviandes de toutes espèces, des mets recherchés sont mis à la disposition des plus riches. Doutantnous-mêmes qu'un pareil ordre pût exister, nous avons pris la peine de nous rendre à Poissy, undimanche à l'heure du repas ». La joie répulsive des détenus : « Nous ne saurions rendre l'impressionprofondément pénible qu'a fait naître en nous la vue du réfectoire. Qu'on se figure plusieurs centainesd'hommes, dont presque tous avaient les stigmates de la corruption et du vice imprimés sur la face,occupés gaiement à manger et à boire, dans l'oubli grossier de leur position et de leur ignominie ; onles voyait réunis par sociétés, autour de tables bien servies, paraissant avoir le vin à discrétion, tantles précautions sont mal prises pour en empêcher l'abus. Tous parlaient haut, riaient, fumaient etjouaient entre eux. On avait enfin sous les yeux le coup d’œil que présenterait un immense cabaret.La seule différence, c'est que ce lieu était peuplé de misérables, et que la joie, au lieu d'y être francheet naïve, y était contrainte et ordurière... C'est ainsi que le mauvais emploi du pécule détruit tous lesbons effets du travail. C'est ainsi qu'un seul abus rend funeste une institution salutaire 3174 ».Actuellement le niveau de vie dans les prisons est marqué par une certaine amélioration. Iln'en demeure pas moins qu'il reste à un niveau représentant la prison comme un lieu de privations.Ainsi, si la notion du bien-être des détenus commence à percer l'univers carcéral et à être acceptéepar l'opinion publique, elle ne doit pas s'entendre comme « confort ». Le bien-être des détenusdevrait correspondre au niveau de vie assuré « aux populations vivant à la barre ». Aussi, soin est-ilpris pour que l'austérité et la pauvreté soient reflétées dans le choix des produits accessibles auxdétenus. Les objets, les prix, les modes et les lieux de leurs achats sont déterminés par les critères deconsommation des pauvres, à savoir par l'achat des « produits les moins chers et d'usage courant », et« des produits vendus dans les grandes surfaces commerciales, et parmi des articles similaires, ceuxdont les prix sont les plus bas 3175 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La seule exception qu'on puisse noter par rapport au scandale du luxe en prison, concerne lesproduits de maquillage pour les femmes. Cependant, l'accès des femmes détenues à ces produits n’aété autorisé que lorsque leur usage a été banalisé dans nos sociétés 3176 .Un autre critère déterminant le choix des produits de consommation accessibles aux détenusest leur non-dangerosité.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20086773174 C'est encore Tocqueville qui avait été outragé en qualifiant de « prisons bonbonnières » les prisons deGenève du fait que leur règlement prévoyait, dès 1840, « lit complet, bain tous les mois, bibliothèque,récréation le dimanche, entraves aux punitions, pécule » ; « Tout est soigné comme un boudoir de petitemaîtresse » écrivait Tocqueville, cité par M. PERROT, TOCQUEVIL<strong>LE</strong>, Ecrits sur le système pénitentiaire enFrance et à l'étranger, Oeuvres Complètes, t. IV, préc., pp. 58-59.3175 M. SEY<strong>LE</strong>R, « La consommation dans les établissements pénitentiaires », préc., pp. 52 et 151.3176 Ibid., p. 145.


6782. Le critère de dangerositéLe critère de dangerosité des produits entrant en prison tient à une autre représentation dudétenu et de la prison : la prison serait un lieu de haut risque, hébergeant des personnes dangereuses.Cette représentation se répercute sur celle des objets. Considérés à l’extérieur comme parfaitementinoffensifs, dans la prison un grand nombre deviennent potentiellement dangereux. L'histoire del'évolution de l'approvisionnement de la cantine offre des exemples parlants à cet égard.L'autorisation du poivre dans les cantines des prisons françaises avait fait l'objet d'un long débat. Lessurveillants craignaient que le poivre ne pût être utilisé par les détenus pour les aveugler. Quant auxparfums, ils demeurent interdits sous prétexte que les détenus peuvent s'en servir pour s'enivrer (voirl’article 12, §1, al.2 du Règlement intérieur des prisons en Grèce). Les produits d'emballage en verresont strictement proscrits de crainte que les détenus ne s'auto-mutilent 3177 . Ces exigences sécuritairesse reflètent également dans l'interdiction a priori d'envoi ou de remise de colis aux détenus 3178 .A propos de cette propriété que possède la prison de « convertir » des objets inoffensifs enobjets dangereux, il est à remarquer que même le papier y devient dangereux. Signalons que legouvernement anglais avait, dans une affaire relative à des restrictions de possession du papier parles détenus, fondé sa défense devant la Commission sur les motifs que le papier peut servir à fairepasser des messages clandestins, mais aussi à mettre le feu à la cellule 3179 .Mais au-delà des restrictions dans le choix des produits accessibles aux détenus, l'ensembledu comportement consommateur du détenu est soumis à des restrictions.B. Un accès aux produits de consommation non garanti<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Ainsi, la réglementation de l'accès aux produits autorisés est conçue de manière à ce que laconsommation ne représente pas pour le détenu un véritable espace de liberté. La libertédécisionnelle lui échappe. Son comportement de consommateur est contrôlé comme s'il s'agissaitd'une personne incapable de s'auto-gérer (1) et la possibilité même d'avoir accès à ces biens deconsommation peut lui être retirée à titre de sanction (2).<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083177 Ibid., pp. 149-150.3178 Selon l'article D 423 du Code de procédure pénale français, « l'envoi ou la remise de colis est interdit danstous les établissements à l'égard de tous les détenus. Les seules exceptions qui peuvent être apportées à ceprincipe, par décision du chef d'établissement, concernent la remise de linge et de livres brochés n'ayant pasfait l'objet d'une saisie dans les trois derniers mois et ne contenant aucune menace précise contre la sécurité despersonnes et celle des établissements ».3179 D 8231/78 (T/R.U), 12.10.1983, D.R. 49, 1986, p. 33.


6791. L’obligation à une consommation raisonnableLe détenu en tant que consommateur est soumis à des formes de surveillance propres à unepersonne non émancipée. Il ne peut ni détenir de l'argent ni faire des achats lui-même. Il ne peutacheter qu'en passant commande auprès de la direction de son établissement en utilisant des « bonsd'achats ». L'autre élément, éloquent à cet égard, est fourni par le Code français de procédure pénale,selon lequel le détenu doit être un consommateur raisonnable. Son comportement consommateur estsurveillé et le constat d'abus peut donner lieu au rappel à l'ordre de la part du directeur del'établissement. L'article D 343 CPP prévoit effectivement que les détenus ont la possibilité d'achetersur leur part disponible, divers objets, denrées ou prestations de service en supplément de ceux quileur sont octroyés. Mais il prévoit aussi que cette faculté s'exerce sous le contrôle du chef del'établissement qui peut la limiter en cas d'« abus ».Que les détenus soient considérés comme des hommes non émancipés, s'observe égalementdans le traitement de ceux qui sont en régime de semi-liberté et en permission de sortir. C'est encorele droit français, plus détaillé sur ce point, qui nous en offre la preuve. Les détenus bénéficiant de cesrégimes sont les seuls à détenir de l'argent lors de leurs séjours à l'extérieur, mais leur dépense estsoumise à un double contrôle. Avant la sortie, la somme emportée par les détenus est fixée par ledirecteur de l'établissement, et au retour, ceux-ci doivent rendre des comptes sur l'usage qu'ils en ontfait 3180 . La forme la plus radicale de l'atteinte à la liberté de consommer est la privation à des finsdisciplinaires.2. La privation de la consommation à titre de sanctionL'accès des détenus à la consommation, d'exception accordée à titre de récompense ou parsimple tolérance 3181 , est devenu la règle pour l'ensemble des détenus. Il n'est pas pour autant reconnucomme un droit des détenus. Il continue à constituer une faveur et à servir les fins disciplinaires de laprison. La consommation faisant partie des « plaisirs infimes », elle demeure la cible d'une sanctiondisciplinaire idéale dans le système des « micro-pénalités », selon l'expression de Foucault 3182 . Ellen'a pas cessé de faire partie de l'arsenal des sanctions disciplinaires dans la prison. Ce « plaisir » fait<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008partie de ces espaces où l'administration pénitentiaire exerce son pouvoir discrétionnaire de manièresouveraine et il s'offre comme un objet idéal de sanction.3180 « Le chef de l'établissement apprécie, au moment de la sortie des intéressés, l'importance de la somme quidoit leur être remise, par prélèvement sur leur part disponible ; lorsqu'ils réintègrent la prison, et à intervallesréguliers en ce qui concerne les semi-libres, les détenus doivent justifier des dépenses effectuées et le reliquatde la somme qui avait été mise à leur disposition est déposé au service comptable » (art. D 122, al.b CPP).3181 « Il faut que les détenus sachent, Monsieur le Préfet, que c'est par pure tolérance que l'administration leurlaisse arriver des secours en argent ou en nature », affirmait une circulaire de 1836 », cité par M. SEY<strong>LE</strong>R,« L'illégitime : histoire de la cantine pénitentiaire », RPDP, 1983, pp. 243-257. pp. 243-257.3182 M. FOUCAULT, Surveiller et punir, préc.


680Le droit français en témoigne. Des restrictions d'accès à la consommation de certains biensfigurent parmi les sanctions disciplinaires énumérées dans le Code de procédure pénale. L'article D251-3 de ce Code prévoit la privation pendant une période maximum de deux mois de la facultéd'effectuer en cantine tout achat autre que des produits d'hygiène, du matériel nécessaire à lacorrespondance et du tabac. Et l’article D 251-1-4° prévoit la privation des biens loués ou achetés(comme la télévision, la radio ou autres objets) 3183 . En droit grec, des dispositions similaires quifiguraient dans le Code précédent (art. 88 §1-f CRFTD) sont, à l'exception de l'accès à la cantine,supprimées dans le Code pénitentiaire actuel.Deux autres formes de restriction d'accès à la consommation, moins directes, sont àmentionner. D'abord, des restrictions du pouvoir d'achat. Par exemple, en droit français, ce pouvoirest affecté par la rétention d'une somme sur la part disponible du compte des détenus en cas dedommages matériels causés par eux (art. D 332, al.a CPP) 3184 . Cette sanction ne figure pas dans laliste des sanctions disciplinaires, mais il est prévu qu'elle soit prononcée conformément à laprocédure disciplinaire. Ensuite, la privation de la faculté de recevoir des subsides de l'extérieur.Cette sanction figure parmi les sanctions disciplinaires énumérées à l'article D 251-2° du Code deprocédure pénale 3185 .L'accès à la consommation des détenus n'est donc pas encore considéré comme un aspectprotégé par le droit au respect des biens ainsi que par le droit au respect de la vie privée. L'accès àdes produits vendus à la cantine ou à l'extérieur continue à relever du pouvoir discrétionnaire del'administration pénitentiaire ; pouvoir dont l'exercice est déterminé par les courants dominants de lapolitique pénitentiaire. Le champ de liberté laissé aux détenus varie suivant que la politiquepréconisée est de durcir les conditions de détention ou, au contraire, de les assouplir. Une étude surl'histoire de la cantine en France a montré qu'en périodes d'endurcissement de la politiquepénitentiaire, l'éventail de produits vendus à la cantine était réduit, le fonctionnement de celle-cipouvant même être supprimé 3186 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais, à supposer que la consommation soit reconnue comme une forme de gestion des biens(ce qui doit être le cas, les échanges de consommation constituant la forme la plus élémentaire de3183 Cet article prévoit « la privation temporaire de tout appareil acheté ou loué par l'intermédiaire del'administration lorsque l'infraction disciplinaire a été commise à l'occasion de l'utilisation de ce matériel ».Voir aussi l'article D 343 CPP, selon lequel, « à moins d'en être privés par mesure disciplinaire, les détenus ontla possibilité d'acquérir avec les sommes figurant à leur part disponible, divers objets ou denrées ou prestationsde service en supplément de ceux qui leur sont octroyés ».3184 « L'administration pénitentiaire a la faculté d'opérer d'office sur la part disponible des détenus des retenuesen réparation de dommages matériels causés » (art. D.332, al. a CPP).3185 Voir aussi l'article D. 422 al. a CPP qui prévoit la faculté pour les détenus de recevoir de l'argent del'extérieur « à moins d'en être privés par mesure disciplinaire ».3186 M. SEY<strong>LE</strong>R, « L'illégitime : histoire de la cantine pénitentiaire », préc., pp. 251-252.


681vente et d'achat de biens), l'examen de l'application du droit au respect des biens (tel qu'il est garantipar l'article 1 du Protocole n° 1 de la Convention) à l’égard des détenus nous permet de conclure quesa protection n'en serait pas mieux assurée. La réglementation de la possession et de la gestion desbiens en général est encore laissée au pouvoir discrétionnaire de l'administration pénitentiaire.L'ampleur des restrictions justifiées tant par la jurisprudence européenne que par les droits nationauxest synonyme de privation du droit au respect des biens. Elles contribuent ainsi à maintenirdélibérément le détenu dans un état de pauvreté et à le priver de la liberté de gestion et de lajouissance de ses biens.On peut conclure sur le droit des détenus au respect des biens qu'il fait partie de ceux quiopposent une forte résistance à une garantie effective dans la prison. Tant au niveau européen quenational, la prison limite la faculté pour les détenus de tirer profit de la possession et l'exploitation deleurs biens. Toutefois, ces restrictions de la liberté de gérer ses biens ne vont pas sans soulever desquestions au regard de l'article 1 du Protocole n° 1 de la Convention. Suivant cet article, le seul butlégitime qui puisse être visé par les restrictions est d'assurer un usage des biens conforme à l'intérêtpublic. Or, à part la rétention d'une partie de l'argent du compte des détenus pour les frais de justice,l’indemnisation des victimes ou le paiement des pensions, on voit mal la légitimité des autreslimitations, et en particulier celle qui porte sur la gestion personnelle de leurs biens. Si, concernantleurs biens à l'extérieur, les détenus sauvegardent encore l'initiative des décisions, concernant leursbiens à l'intérieur de la prison, tant la décision que l'exécution appartiennent au pouvoirdiscrétionnaire de l'administration pénitentiaire. De ce fait, leur statut est proche de celui despersonnes atteintes d’incapacité (malades mentaux et mineurs). On notera toutefois une différencefoncière : alors que les restrictions dans la gestion des biens de ces catégories de personnes sontmotivées par leur incapacité à les gérer en raison d'un manque de discernement, dans le cas desdétenus (à moins de considérer l'infraction comme manifestation d'une défaillance mentale),l'incapacité n'est pas la cause mais l'effet des restrictions en question. Celles-ci participent auprocessus de diminution du statut juridique de la personne détenue. Mais elles contribuent aussi àson exclusion sociale. Ce qui ne permet guère de les faire passer pour des restrictions conformes àl'intérêt public. Ces restrictions desservent manifestement la responsabilisation sociale et l'autonomiedes détenus, objectifs fixés par la politique pénitentiaire actuelle et dont la réalisation exigerait de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008leur inculquer une meilleure gestion de leurs affaires personnelles que celle dont ils ont fait preuvedurant leur vie en liberté ainsi que de prévenir les effets néfastes de la détention : dépendance,assistance, inertie.*L’examen de l’application à l’égard des détenus d’un dernier groupe de droits et libertés, lesdroits relatifs à la vie intellectuelle, politique et, en général, citoyenne confirme l’existence dans lesrestrictions sans commune mesure par rapport aux personnes libres des motifs autres que la nature dela peine ou la sécurité de la prison et de la société en général.


682TITRE 3<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE <strong>DE</strong>TERMINE PARL’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> SPHERE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIEINTEL<strong>LE</strong>CTUEL<strong>LE</strong> ET CITOYENNENous consacrerons le dernier titre à l'étude de l’application des droits politiques, les droits àl'éducation, à la formation, à l’information, à la liberté de religion et à la liberté d’expression (articles9, 10, et 11 Conv. Eur. DDH). L’exercice de ces droits, qui relèvent du monde des opinons, descroyances, des idées et de la culture, n’implique pas forcément présence physique ou intimité. Dèslors, la peine privative de liberté ou la prison ne devraient pas entraîner de conséquences restrictives,à tout le moins, pas de restrictions nettement plus sévères qu’à l’extérieur. Pourtant, l’exercice de laplupart de ces droits est soumis à des restrictions du même ordre que la vie privée et la vieéconomique. En effet, la garantie de ces droits est variable selon que l’individu est placé en statutpassif ou en statut actif dans l’exercice de ces droits.L’exercice des droits dont le sujet est plutôt passif, en l’occurrence les droits relatifs àl’éducation, la formation, l’apprentissage ou les croyances, est le mieux garanti. Leur garantiemontre en effet une nette réorientation de la conception du traitement des détenus comme unesynergie des moyens mis à disposition des détenus vers leur réinsertion sociale etprofessionnelle (Chapitre 1).En revanche, l’exercice des droits dont le sujet est celui de citoyen actif, qui participe audevenir social et politique de la cité, connaît le même sort que les droits examinés dans les titresprécédents. Leur exercice est soumis à des restrictions considérables. Si le droit électoral a marquéun certain progrès, initié par les droits nationaux, la jurisprudence de la Cour n’est intervenue en cesens qu’à partir de 2005, l’exercice de la liberté d’expression demeure quasi-nulle : son exercicecontinue à être soumis à l’autorisation et à la censure préalables des autorités pénitentiaires(Chapitre 2).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


CHAPITRE 1. L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS A SE FORMER, S’INFORMER ET CROIRE683Assurer dans la prison l'exercice des droits et libertés contribuant à la formation démocratique del'esprit de l'individu peut être plus impératif qu'à l'extérieur. En particulier à l'égard des détenuscondamnés. Ces derniers ont, de par leur infraction, exprimé un disensus autour des valeurscommunes, à tout le moins celles protégées par le droit. Un dissensus qui peut être volontaire maisaussi involontaire si l'on tient compte des taux élevés d'analphabétisation et de chômage des détenusmontrant que la plupart d'entre eux sont victimes d'exclusion sociale.Aussi convient-il de leur assurer l'exercice de tous les droits et libertés contribuant à la formationd'un consensus autour des valeurs communes sans pour autant l'imposer. La prison a longtempsfonctionné comme un moyen de formation forcé du consensus, pour que la vigilance y soit accrue ausujet du respect de l'objectivité, de la tolérance et du pluralisme. D'ailleurs, le Comité européen surles problèmes criminels a attiré l'attention sur ce point à propos de l'éducation en prison. Celle-ci,souligne ce Comité, doit « s'inspirer du monde de l'éducation au dehors et se distinguer desperspectives pénales ». La resocialisation des détenus ne peut être atteinte qu'à « condition de ne pasleur imposer un comportement... ». Car « lorsque les détenus voient que l'éducation qui leur estproposée est de haute qualité, qu'elle les respecte et leur offre du choix et de la variété, et qu'elle nevise pas à les manipuler, ils participent volontiers et y trouvent des chances d'épanouissementpersonnel 3187 ».Cependant, si dans les droits nationaux et dans la jurisprudence de la Convention, on note ence qui concerne l'éducation (Section 1), l'information (Section 2) et la religion (Section 3), uneévolution vers la perte de leur considération comme moyens de manipulation du détenu, la protectionqui leur est actuellement assurée demeure bien faible par rapport à l'extérieur.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...SECTION 1. <strong>LE</strong> DROIT A L’EDUCATIONUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008C’est sous le terme « instruction », que l'article 2 du Protocole additionnel à la Conventionconsacre le droit à l'éducation et à l'enseignement 3188 . Mais nous utiliserons le terme éducation. Cedernier est, selon la Cour, entendu dans un sens plus général que l’instruction ou l’enseignement :« La Cour précise que l'éducation des enfants est la somme des procédés par lesquels, dans toutesociété, les adultes tendent d'inculquer aux plus jeunes leurs croyances, coutumes et autres valeurs,3187 Recommandation R(89)12, Education en prison, préc.3188 « Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dansle domaine de l'éducation, et de l'enseignement, respectera le droit des parents à assurer cette éducation et cetenseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques » (art. 2 du Protocole additionnelà la Convention).


tandis que l'enseignement ou l'instruction vise notamment la transmission des connaissances et laformation intellectuelle 3189 ». Ces droits revêtent incontestablement une importance clé dans laformation de l'esprit démocratique des individus et, de fait, dans la formation et la sauvegarde d'unesociété démocratique. Elle revêt une telle importance lorsque acquisition et partage desconnaissances les plus diversifiées sont accompagnés de la formation des esprits tolérants, éveillés etcritiques. Mais elle peut aussi se révéler une arme redoutable pour créer des esprits obéissants, voirefanatiques. Pire que l'ignorance est l'usage de l'instruction à des fins d'endoctrinement. La plus hauteimportance doit alors être accordée au pluralisme du contenu des programmes scolaires et auxméthodes d'enseignement. Développer un esprit critique à l'égard de toute forme de connaissance, siobjective et fondée qu'elle puisse paraître, est une des premières qualités de l'individu citoyen,d'autant plus que durant toute sa vie, il est exposé à la diffusion des connaissances et informationssusceptibles d'être utilisées à des fins d'orientation de la pensée et d'endoctrinement. Ce risque guettetoute société, y compris la société démocratique.L'éducation, tout comme l'information, peut, à l'inverse des moyens violents, et par conséquentvisibles, être un objet subtil, donc discret, de domination par la manipulation des modes de pensée,que tout régime politique peut être tenté d'utiliser à de telles fins. De ce fait, elle possède ce potentielcontre lequel la Cour a mis en garde les Etats à savoir de « saper, voire de détruire la démocratie aumotif de la défendre » 3190 . Une vigilance toute particulière s'impose à propos de l'éducation, du faitqu'elle est obligatoire jusqu'à un certain niveau et que, étant devenue indispensable tant pour la viesociale que pour la vie professionnelle, l'individu ne peut s'en passer.Que les sociétés démocratiques puissent être tentées d'utiliser l'instruction à des finsd'endoctrinement, tout au moins à des fins d'orientation de la pensée autour des valeurs dominantes,en témoigne le fait qu'elle en a fait ouvertement usage à l'égard des détenus. Dans la recherche d'uneffet également préventif de la peine sur la délinquance et la criminalité (celles-ci étant interprétéesautant comme des actes sciemment dirigés contre les valeurs dominantes que comme conséquencesinévitables de l'échec des moyens de socialisation), l'éducation était apparue comme le meilleurmoyen pour redresser les modes de pensée et d'agir. La prison serait l'ultime école de rattrapage. Untel usage de l'éducation fut clairement affiché dès la naissance de la peine de prison. Pour lesréformateurs, la prison devrait « confectionner des hommes nouveaux 3191 ». Lucas, qui fut inspecteurdes prisons au XIX e siècle, affirmait que « les prisons sont aussi des écoles... où le gouvernementpeut, de manière la plus directe et la plus complète, faire de l'éducation 3192 ». Durant toute la périodeoù l'objectif dominant du traitement des détenus était leur amendement, l'instruction, parfoisdispensée par des religieux, faisait bien partie des pratiques pouvant être qualifiées d'endoctrinement.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20086843189 Campbell et Cosans, 25 févr.1982, série A n° 48.3190 CEDH, Klass et autres c. Allemagne, préc., § 49.3191 R. ROTH, Pratiques pénitentiaires et théorie sociale, l'exemple de la prison de Genève, 1981, pp. 99-100.3192 J.-G. PETIT, Ces peines obscures, préc., p. 34.


685Un tel usage de l'éducation n'a été remis en cause qu'à partir de 1975, lorsque la politique detraitement des détenus a, dans son ensemble, été dénoncée par le mouvement de défense des droitsde l'homme des détenus comme un « lavage de cerveau ».Toutefois, encore aujourd’hui, la plus grande vigilance s'impose. Dans les Règles minimapour le traitement des détenus de l’ONU (article 67) et, jusqu’en 2005, dans les Règles pénitentiaireseuropéennes, l'instruction fait partie de la notion de traitement des détenus 3193 . Or les objectifs deleur traitement étant la re-éducation, re-insertion ou re-socialisation, on peut se demander s'ils necontinuent pas à impliquer la connotation d'une éducation à contenu spécial. Ces objectifs peuventimpliquer l'idée que l'on est en présence de personnes ayant des modes de pensée nécessitant uneréorientation. Pour dissiper tout doute de tentative de manipulation et d'orientation dudéveloppement de la pensée des détenus par l'éducation, il serait pertinent de dissocier l'éducationd'autres moyens de traitement. L'éducation doit poursuivre des buts qui lui sont propres. C’est queles Règles pénitentiaires européennes, lors de leur révision en 2006, ont fait. L’éducation s’inscritdans le chapitre sur les conditions de détention et il est expressément recommandé que « dans lamesure du possible, l’instruction des détenus doit être intégrée au système d’éducation et deformation professionnelle publique » et « elle doit être dispensée sous l’égide d’établissementsd’enseignement externes » (Règle 28).La question est alors de savoir si, et dans quelle mesure, la Convention a contribué à assurer auxdétenus, d'une part, un enseignement de contenu identique à celui assuré à l'extérieur, qui ne soitdonc pas compromis par l'influence des objectifs de leur peine, et d'autre part, un accès égal du pointde vue de son organisation matérielle : niveaux d'enseignement et possibilités de choix, nombre desdétenus ayant accès à l'enseignement, critères de sélection, etc.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Concernant la position des instances européennes, notons que seule la Commission a eu à sepencher sur l'application du droit à l'instruction à l'égard des détenus. C'est alors au regard desprincipes dégagés par la jurisprudence de la Cour sur l'application générale de ce droit, ainsi que deceux formulés par le Conseil des Ministres du Conseil de l'Europe dans sa Recommandation surl'éducation en prison (1989), que nous pouvons cerner les principes européens qui doivent guider<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008l'application de ce droit en prison (§ 1), et comparer l'état de sa protection dans les droits grec etfrançais (§ 2).3193 Les auteurs, par exemple, des Règles pénitentiaires européennes de 1987 avaient déclaré que toutes lesrègles relatives au travail, instruction, éducation physique, préparation à la libération - visent l'objectif detraitement des détenus, Règles pénitentiaires européennes, Recommandation n°(87)3, Conseil de l'Europe,1987, p. 60.


686§ 1. L’application au sein de la jurisprudence européenneLa principale caractéristique de la jurisprudence européenne est le décalage entre l’importanceprimordiale accordée à la qualité de l’éducation dans la société démocratique, et la grande margelaissée aux Etats dans la mise en œuvre du point de vue matériel (A). Si bien que l'application de laConvention risque de n'avoir que peu d'impact sur le respect de cette dimension du droit àl'instruction en prison. Les exigences de la Convention restent en deçà des recommandations duConseil de l’Europe (B).A. L’application généraleSelon la jurisprudence européenne, le droit à l’éducation comprend deux aspects : l’aspectmatériel sur lequel la Cour n’exerce pas un contrôle strict, le considérant comme un droit social, etl’aspect qualitatif du contenu de l’enseignement sur lequel elle entend exercer un tel contrôle. Ladisposition de l'article 2 du Protocole additionnel doit être interprétée comme mettant à la charge desEtats contractants l'obligation « d'organiser et financer un enseignement public 3194 ». Cette obligationdoit être appréciée de manière réaliste. C'est ce qui résulte de la déclaration de la Cour suivantlaquelle ledit article garantit le droit « de se servir des moyens existants à un moment donné », sansimposer « d'obligations déterminées » quant « à l'étendue de ces moyens et à la manière de lesorganiser ou de les subventionner 3195 ».Cela dit, au regard de la jurisprudence européenne, les Etats sont obligés d’assurer au moinsl’enseignement primaire et secondaire. Saisie de la plainte d'un détenu sur l'impossibilité depoursuivre des études supérieures en technologie, la Commission avait estimé que « le droit àl'instruction, au sens de l'article 2 du Protocole additionnel, vise en premier chef l'instructionélémentaire et pas nécessairement des études supérieures comme celles de la technologie 3196 ». Par lasuite, c’est la Cour qui a eu l’occasion d’affirmer que le fait de ne pas organiser un cycled’enseignement secondaire en langue grecque dans la partie Nord de Chypre porte atteinte au droit àl’instruction des jeunes Grecs qui y habitent 3197 . En revanche, a-t-elle déclaré dans l’arrêt Sahin(2005), les Etats n’ont pas l’obligation d’organiser un enseignement supérieur 3198 . Toutefois, si un<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008enseignement supérieur existe, il entre dans le champ d’application de l’article 2 du protocoleadditionnel et, par conséquent, le droit d’accès sans discrimination ainsi que l’organisation ducontenu et des méthodes d’enseignement s’appliquent.3194 CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, n os 5095/71, 5920/72, 5926/72, 7 déc.1976,Série A, n° 23, § 50.3195 Affaire "Linguistique" c. Belgique, 23 juillet 1968, Série A, n°8.3196 D 5962/72 (X/R.U), 13.3.1975, D.R., 2, pp. 50-513197 CEDH, Chyprec. Turquie, n°25781/94, CEDH 2001-V, §§ 278-280.3198 Sahin Leyla et autres c. Turquie, n° 53147/99, CEDH 2005-XI, §137.


687Compte tenu du contexte européen, à savoir que tous les Etats assurent des études de tous lesniveaux, le droit à l’instruction doit comprendre, à l’instar de ce qui a été affirmé dans l’affairelinguistique belge, l'accès réglementé mais sans discrimination à l'enseignement primaire, secondaireet supérieur 3199 . En revanche, la marge des Etats se rétrécit en ce qui concerne la qualité del'enseignement.Il résulte de la jurisprudence de la Cour que les Etats sont tenus d'assurer un enseignementpublic qui, au regard du contenu des programmes et des méthodes d'enseignement, réponde auxexigences d'une société démocratique.Le contenu de l'enseignement. Le principe fondamental qui doit guider la conception desprogrammes scolaires est le pluralisme : « La seconde phrase de l'article 2 du Protocole additionnelvise en somme à sauvegarder la possibilité d'un pluralisme éducatif, essentiel à la préservation de la"société démocratique" telle que la conçoit la Convention 3200 », affirma la Cour. Quant àl’enseignement religieux, la Cour ne l’interdit pas mais elle demande des arrangements afin derespecter les convictions religieuses de tous les élèves. Ainsi, la dispense des cours constitue, selonla Cour, une mesure permettant d’assurer ce respect 3201 et devrait être envisagée par tous les Etats 3202 .Les méthodes d'enseignement. L'enseignement doit être dispensé de manière objective, critiqueet pluraliste. Cette triple qualité est requise par la première phrase de l'article 2 du protocoleadditionnel, mais aussi par les articles 8 à 10 de la Convention ainsi que par l'esprit général de celleci,qui vise à sauvegarder et à promouvoir les idéaux et valeurs d'une société démocratique 3203 .Quant au droit des parents et des élèves au respect de leurs convictions religieuses etphilosophiques qui est également requis par l'article 2 du protocole additionnel, la Cour a préciséqu'il implique qu’elles ne soient pas heurtées par « imprudence », « manque de discernement » ou« prosélytisme intempestif » 3204 . Toutefois, du fait que la définition et l'aménagement desprogrammes d’études relèvent du pouvoir des Etats, et qu'ils varient selon les pays et les époques, laCour ne peut pas se prononcer sur la solution à adopter. Elle peut seulement fixer une limite à la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008marge nationale en cette matière : éviter l'endoctrinement 3205 . Quant aux obligations imposées parl'école, qui peuvent contrarier les convictions des parents sans pour autant atteindre l'endoctrinement,3199 Ibid., § 137. Voir Affaire « linguistique belge », 28 juil. 1968, Série A n° 6.3200 CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, préc., § 50.3201 CEDH, Valsamis c. Grèce, n° 21787/93, 18 déc. 1996, Recueil 1996-VI, § 36.3202 CEDH, Folgero et autres c. Norvège, n°15472/02, CEDH 2007-VI.3203 CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, préc., § 53 ; CEDH, Valsamis c. Grèce, préc., §28.3204 CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, préc., § 54 ; CEDH, Valsamis c. Grèce, préc., §§27-28.3205 CEDH, Valsamis c. Grèce, préc., § 28.


688la Cour estime qu'elles n'enfreignent pas la Convention dès lors que les parents peuvent toujoursexercer leur droit « d'éclairer et de conseiller leurs enfants, d'exercer envers eux leurs fonctionsnaturelles d'éducateurs, et de les orienter dans une direction conforme à leurs propres convictionsreligieuses ou philosophique 3206 ». Ainsi, à propos de l’éducation sexuelle mise en cause à deuxreprises, la Cour a jugé que, dès lors qu'elle vise à donner aux élèves une information objective etscientifique sur la sexualité de l’être humain, elle ne peut heurter les convictions d’aucune nature desparents 3207 .Obligations positives des Etats. Enfin, cette instance a affirmé que ces garanties d'enseignementrequièrent non l'abstention des autorités, mais leur intervention. Parce que des abus peuvent seproduire dans le cadre de l'enseignement, « il incombe aux autorités compétentes de veiller, avec leplus grand soin, à ce que les garanties susmentionnées soient effectives 3208 . L’Etat a le rôle« d’arbitre neutre » 3209 , et il doit veuiller à la garantie d’accès à l’enseignement sans discrimination nid’origine 3210 ni religieuse ni autre. Toutefois ne constitue pas une discrimination le refus d’accès àl’enseignement des élèves ou étudiants fondé sur des critères objectifs, comme le non respect ducode vestimentaire prévu par le règlement interne d’une école et applicable à tous sans distinction.Aussi, l’interdiction de porter à l’école le foulard islamique, souvent abordée dans les saisines de laCour, constitue un critère objectif et justifié par les principes de neutralité et de laïcité adoptés parcertains Etat 3211 .Le droit à l'instruction, tel qu’il est garanti par la Convention, peut alors être défini comme ledroit d’accès sans discrimination aux moyens d'éducation existants à un moment donné, y compris àl’enseignement supérieur, dans une société donnée pour recevoir un enseignement dispensé demanière objective, critique et pluraliste.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>B. L’application en prison<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Seule la Commission s'est prononcée sur l'application du droit à l'instruction dans la prison.Le sens dans lequel cette instance s'est exprimée montre le peu d'influence que l'application de laConvention peut avoir dans l'évolution du respect de ce droit en prison. S'agissant de l'impossibilitéUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d'un détenu de suivre des études de technologie, elle a justifié l'absence de garantie de telles étudesen prison comme à l'extérieur : « Partant de l'idée que la prison est dépourvue des moyensnécessaires à la poursuite des études de technologie, la Commission n'estime pas que les autorités3206 Ibid., § 31 (Valsamis) ; CEDH, Köse et 93 autres c. Turquie, n o 26625/02, CEDH 2006-I.3207 CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, préc. ; et décision Alonso et Jimenez c. Espagne(déc.), n° 51188/99, 25.5.2000.3208 CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, préc., § 54.3209 CEDH, Köse et 93 autres c. Turquie, préc.3210 Affaire Sampanis c. Grèce (Communiqué).3211 CEDH, ahin c. Turquie [GC], n° 44774/98, CEDH 2005-XI ; CEDH, Köse et 93 autres c. Turquie, préc..


689pénitentiaires aient manqué de se conformer aux obligations résultant de l'article 2 du Protocoleadditionnel 3212 ». Or la question qui devrait être posée est, nous semble-t-il, de savoir si, dans ce cas,le manquement n'est pas situé dans l'absence d'organisation de telles études dans la prison et/ou dansl'absence des mesures permettant aux détenus de suivre de telles études à l'extérieur.En revanche, pour ce qui est de la qualité de l'enseignement dispensé et des méthodesd'enseignement, ni cette instance ni la Cour n'ont eu à se prononcer. Ainsi nous ne disposons en cettematière que de la Recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe sur l'éducationdans la prison (1989). Celle-ci montre que le risque d'une éducation orientée par les objectifs detraitement des détenus subsiste. Ledit Comité insiste sur l'importance de dissocier les objectifs del'éducation de ceux de la peine privative de liberté. En même temps qu'il souligne que « l'éducation aun sens intrinsèque quelles que puissent être les fins du système pénitentiaire dans son ensemble », ilrecommande aux Etats d'assurer une « éducation en prison qui s'inspire du monde de l'éducation audehorset qui peut se distinguer des perspectives pénales ».Notons que si ce Comité incite les Etats à « s'efforcer de rendre l'éducation en prison équivalenteà l'éducation des adultes à l'extérieur 3213 », il le fait en invoquant des motifs associant l'idéal etl'utile : respecter le droit des détenus à l'éducation, mais aussi optimiser la réinsertion des détenus etfaciliter la gestion de la prison par le développement d'une sécurité dynamique. En effet, le Comitédes Ministres du Conseil de l'Europe souligne, d'une part, que l'objectif de leur re-socialisation peutêtre atteint « à condition de ne pas imposer un comportement aux individus » : « Une véritableéducation suppose le respect de l'intégrité et de la liberté de choix des élèves... Dans cette mesure,elle peut les aider à décider d'eux-mêmes de renoncer à la délinquance ». Il insiste, d'autre part, surl'intérêt que cela présente également pour la sécurité de la prison : « Parce que les activitéséducatives aident les hommes et les femmes incarcérés à se défendre, à libérer leurs tensions, às'exprimer et à développer des aptitudes mentales et physiques », elles contribuent à garantir une« sécurité dynamique » dans la prison. Mais, pour que les détenus aient envie d'y participer, il fautgarantir la liberté et la qualité de l'enseignement 3214 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 2. L’application au sein des droits nationauxDans les droits grec et français, l'enseignement assuré aux détenus s'est progressivementrapproché de celui dispensé à l'extérieur. Deux facteurs ont essentiellement contribué à cela.3212 D 5962/72, (X/R.U), préc., pp. 50-51.3213 Recommandation R(89)12, Education en prison, préc , p. 20.3214 « Lorsque les détenus voient que l'éducation qui leur est proposée est de haute qualité, qu'elle les respecteet leur offre du choix et de la variété, et qu'elle ne vise pas à les manipuler, ils participent volontiers et ytrouvent des chances d'épanouissement personnel », Ibid.


Tout d'abord, le rattachement des enseignants au Ministère de l'Education Nationale. Celui-ci acontribué à garantir l'indépendance du personnel enseignant par rapport à l'administrationpénitentiaire et la similitude des matières enseignées ainsi que des méthodes d'enseignement aveccelles assurées à l'extérieur. En France, ce rapprochement remonte à 1964, date de la création despremiers postes d'instituteurs à plein temps dans la prison 3215 . En 1995, ont été créées des unitéspédagogiques régionales 3216 , une pour chaque région pénitentiaire, avec mission d'organiserl'ensemble des activités éducatives dans les prisons. Le responsable de chaque unité reçoit sa missionconjointement par le recteur du siège de la direction régionale et par le directeur régional desservices pénitentiaires afin de mieux intégrer l'enseignement dans la politique de la réinsertion desdétenus. En Grèce, le rattachement des enseignants au ministère de l'éducation nationale fut plustardif. Il n'a eu lieu qu'en 1989 avec la mise en vigueur du nouveau Code des règles fondamentalespour le traitement des détenus (article 47).L'extension des moyens d'enseignement constitue le deuxième facteur du rapprochement del'enseignement accessible aux détenus à celui de l'extérieur. Les détenus peuvent avoir accès, outre àl'enseignement dispensé sur place, également à celui dispensé à l'extérieur. L'accès à ce dernier estproposé soit par correspondance, soit par la fréquentation d'une école ou d'un centre de formationhors de la prison.Actuellement, la question à propos de la garantie du droit des détenus à l'instruction ne se posepas tant à propos du choix du contenu des programmes d'enseignement qu'à propos de l’organisationmatérielle. Cette question est valable aussi bien pour l'enseignement général que pour l'enseignementprofessionnel. Ce dernier ayant été traité dans la partie sur le droit d'accès au travail, nous nouslimitons ici à l'examen de l'enseignement général (A). En revanche, nous aborderons également lesactivités sportives. Celles-ci, bien qu'elles n'aient pas encore été examinées au regard du droit àl'instruction dans la jurisprudence européenne, font partie intégrante de l'éducation, aussi bien dansles droits nationaux que dans la Recommandation du Conseil de l'Europe sur l’éducation en prisondu 13 octobre 1989 (B).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A. Accès à l'enseignement généralUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008690Soulignons au préalable que la garantie du droit à l'instruction constitue, en Grèce, uneobligation constitutionnelle de l'Etat et, en France, un devoir de l'Etat. La Constitution grecqueprévoit que le développement et la promotion de l'enseignement, mais aussi de l'art, de la science etde la recherche, constituent une « obligation de l'Etat » (art. 16 §1) et que l'instruction constitue une« mission fondamentale » (art. 16 §2). En outre, égalité d'accès et gratuité de l'enseignement, y3215 P. PONCE<strong>LA</strong> P., Droit de la peine, Paris, PUF, 1995, p. 289.3216 Par une Convention signée le 19 janvier 1995.


691compris de l'enseignement supérieur, sont des droits constitutionnels (art. 16 §4) 3217 . En droitfrançais, l'organisation des études à tous les niveaux, l'égalité d'accès et la gratuité constituent desdevoirs constitutionnels de l'Etat (Préambule à la Constitution du 1946).Cependant, alors que, dans ces deux pays, l'enseignement public est gratuit et assuré à tous lesniveaux, et l'accès est fondé sur les connaissances et capacités de chaque candidat, dans la prison enGrèce et en France, seul l'accès à l'enseignement primaire jouit de ces garanties (articles 35 §2 C.pénit. et D. 452, al. a, CPP respectivement). Certes les détenus peuvent suivre des études supérieures.Ils peuvent les suivre soit par correspondance, soit en assistant aux cours dispensés à l'extérieur (pardes congés éducatifs, en droit grec, et par le placement en régime de semi-liberté, en droit français).Mais au regard de leur organisation, on discerne des atteintes à la gratuité et partant à l'égalitéd'accès.Les conditions d'accès à l'enseignement supérieur portent atteinte à sa gratuité. En droit français,les détenus doivent supporter les frais des cours par correspondance (art. D. 454, al.c, CPP) et, endroit grec, ils doivent supporter les frais des congés éducatifs. Avec cette différence que les frais deces derniers ne reviennent pas à chaque détenu individuellement. Les congés éducatifs sontsubventionnés par les Fonds du travail des détenus (art. 58§6 C. pénit.).Les conditions d'accès à l'enseignement portent également atteinte à sa liberté. L'accès à desniveaux supérieurs d'enseignement est organisé comme une possibilité, et non comme un droit desdétenus. En réalité, à l'exception de l'accès à l’enseignement supérieur par correspondance, cettepossibilité est sévèrement limitée.Ainsi le droit grec prévoit certes la possibilité des détenus d’accéder à tous les niveaux d’étudessupérieures par le moyen des congés éducatifs. Ils sont autorisés à suivre des cours à l'extérieur avecl’obligation de regagner quotidiennement la prison après la fin des cours. Mais cela constitue bien unmoyen d’accès restreint. La décision appartient au conseil disciplinaire qui dispose d'un pouvoird’appréciation entier. Outre la condition de ne pas encourir le risque de récidive pendant les sorties(art. 51§1 C. pénit.), rien n’est prévu quant aux critères de décision et des recours contre une décision<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de refus. Seules sont précisées les conditions de révocation de tels congés. Ils peuvent être révoquéspar le même conseil, sur proposition du travailleur social ou du criminologue, pour des fautesdisciplinaires de première et deuxième catégorie, pour risque de récidive, ou pour mauvais usage descongés, notamment pour mauvais résultats et suivi irrégulier (art. 58 §5 C. pénit.).3217 « Tous les Hellènes ont droit à l'instruction gratuite à tous ses degrés dans les établissementsd'enseignement de l'Etat » (art. 16 §4).


692Une autre précision mérite d’être soulignée. Le droit grec prévoit que les programmes éducatifsne doivent pas être suspendus pour des raisons de discipline ou de transfert. Lorsque la mesure demise en cellule disciplinaire est prononcée, son exécution doit avoir lieu durant les vacancesscolaires ou les jours fériés (art. 35§9 C. pénit.).En droit français, la poursuite des études autres que l'enseignement primaire est soumise à lacondition de sa compatibilité avec la situation pénale et les conditions de détention des détenusintéressés (art. D. 453, al. a, CPP). Quant à la poursuite d'autres cours que ceux organisés par lesservices du Ministère de l'Education nationale, elle dépend de l'autorisation du directeur del'établissement (art. D. 454, al.b, CPP). Pour ce qui est des moyens, les détenus peuvent effectuer cesétudes soit par correspondance 3218 , soit par le placement en régime de semi-liberté 3219 .Il est enfin à noter que, aussi bien en droit grec qu’en droit français, des précautions sont prisespour la garantie de l'anonymat des diplômes obtenus par les détenus. Il est prévu que le lieu de leurobtention ne doit pas être mentionné sur le diplôme 3220 .B. Accès à des activités sportivesAu sein de la jurisprudence européenne, les activités sportives ne sont pas, jusqu'à présent,examinées dans le cadre du droit à l'éducation, mais dans celui du droit à l'intégrité physique etmorale. Elles n'ont, de surcroît, pas fait l'objet d'un examen en elles-mêmes. Elles ont toujours faitpartie des griefs concernant les privations entraînées par l'isolement carcéral ou la mise en celluledisciplinaire. Privations qui sont considérées comme nuisibles à l'intégrité physique et psychique desdétenus. Toujours est-il que, si l'on tient compte que, même la restriction de la promenade à unedemi-heure par jour, dans un petit espace, voire la privation temporaire de promenade, ne sont pascondamnées par la jurisprudence européenne, il est encore moins certain que la privation d'activitéssportives le soit au titre du droit à l’éducation.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Seules alors les Recommandations et Résolutions du Conseil de l'Europe peuvent inciter lesEtats à assurer aux détenus l'exercice des sports et à favoriser leur développement. Les RèglesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008européennes pénitentiaires (1987) et la Recommandation du Comité des ministres du Conseil del'Europe sur l'Education en prison de 1989 3221 classe l'exercice des sports dans les moyensd'éducation des détenus, et leur accordent un rôle important dans le traitement du détenu. L'accent estmis sur leur contribution dans l'apprentissage des règles et leur respect par un groupe, dans3218 A cette fin, il leur est permis de disposer du matériel et des documents nécessaires (art D. 453, al.b, CPP).3219 Article D. 454, al.d, CPP.3220 Prévus respectivement dans les articles D. 455, al.d, Code de procédure pénale et 35 §3 Code pénitentiaire.3221 Cette dimension du sport dans la prison a été mise en avant par la Recommandation adoptée par le Comitédes Ministres le 13 octobre 1989, sur l'éducation en prison, Recommandation, précitée, pp.9-53.


693l'apprentissage de la défaite et de la maîtrise de soi, dans la libération des tensions psychologiques,ce qui facilite la gestion quotidienne de la vie en prison, et enfin dans le décloisonnement de laprison. Dans la mesure où l'organisation des activités sportives peut impliquer la participation depersonnes extérieures, elle peut avoir lieu à l'extérieur.Les vertus du sport sont bien reconnues par les droits pénitentiaires grec et français qui leurréservent une part entière parmi les moyens d'éducation. En droit grec, le devoir des autoritéspénitentiaires à assurer des exercices physiques individuels et collectifs et organiser des compétitionsfigure dans l'article 36 du Code pénitentiaire. A cette fin, il y est prévu que des dispositions doiventêtre prises pour aménager des espaces dédiés à l'exercice du sport, et pourvoir à l'équipementadéquat, et au personnel d'encadrement composé exclusivement de professeurs d'éducation physique(art. 36 §2 et 4 C. pénit.).En droit français, la pratique des activités physiques et sportives est mise en œuvre en liaisonavec le Ministère de l’Education Nationale, de la Jeunesse et des Sports (art. D 459-1, al. b CPP). Laparticipation est volontaire et, en principe, « tout détenu peut être admis » (art. D. 459-3, al.a CPP).Des équipements doivent être mis en place et permettre l’exercice des sports en salle couverte et enplein air, ainsi que des rencontres sportives (art. D 459-2 CPP). Toutefois, comme pour la majoritédes droits, les impératifs du maintien de l'ordre et de la sécurité dans la prison, ainsi que l'exercice dupouvoir disciplinaire prévalent sur le droit des détenus à pratiquer un sport. L’exclusion de tellesactivités constitue une sanction disciplinaire autonome (art. D 251-1-6° CPP) et elle est accessoire àcelle de la mise en cellule disciplinaire (art. D 251-3 al. a CPP). De plus, le chef de l'établissementpeut en écarter tout autre détenu pour des raisons « d'ordre et de sécurité » (D 459-3 al. 3 CPP).Si l'exercice des sports est organisé et favorisé dans la prison, force est de constater quel’éventail accessible aux détenus est bien limité. En fait, ils ne peuvent exercer que des sports ensalle ou en plein air, sur des surfaces ne dépassant pas les dimensions d'un terrain de football. Al’exception des initiatives isolées de certains éducateurs qui amènent certains groupes de détenuspour pratiquer des sports nautiques ou de montagne.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En conclusion, sur l'ensemble des moyens éducatifs, on peut soutenir qu'actuellement la questionà propos de l'éducation des détenus, a progressivement cessé de se poser en termes négatifs, à savoirla protection des détenus contre l'intervention étatique coercitive et suspecte d'endoctrinement. Cetteintervention est vue de manière positive. L'Etat doit intervenir pour garantir au détenu une éducationégale et identique à celle assurée à l'extérieur. Cette garantie est exigée, notons-le, non seulement pardes raisons de droit, le respect du droit à l'instruction et de la légalité de la peine privative de liberté,mais aussi par l’objectif de la réinsertion socio-professionnelle des détenus. Or cet objectif est atteintnon seulement par l'acquisition des connaissances et compétences utilisables à la sortie de la prison,


mais aussi, en temps réel, par la réduction des différences entre le statut de détenu et celle d'hommelibre. Le rapprochement de l'enseignement assuré aux détenus de celui dispensé à l'extérieur,contribue à la multiplication de leurs statuts juridico-sociaux. Le détenu n'est pas seulement détenu,mais aussi « élève », « étudiant », « apprenti », ou « athlète », soit autant de statuts porteurs d'uneidentité sociale commune avec les personnes libres. Cet effet de rapprochement identitaire se trouve,à n'en pas douter, renforcé lorsque le détenu suit ses études à l’extérieur. Au sein d'une classe àl’extérieur, l'identité de détenu recule au profit de celle « d'élève », « d'étudiant », d'« apprenti ». Unetelle fonction de l'éducation est, par ailleurs, reconnue par le Comité des Ministres du Conseil del'Europe. Tout en insistant sur le rôle de l'éducation dans la normalisation des conditions de vie dans« la situation anormale qui est la détention », tout au moins, sur la limitation de la « dégradation de lapersonnalité » entraînée par les effets néfastes de la privation de liberté, il reconnaît au statutd'« étudiant », une fonction de « réhabilitation sociale » du détenu, notamment lorsque celui-ci suitses études à l'extérieur 3222 . Ce Comité attribue, par ailleurs, un autre rôle positif de l'éducation dans lalimitation des effets néfastes de la prison : alors que le système de sécurité de la prison est souventconçu en fonction d'une image négative des détenus, considérés comme dangereux, l'éducation, elle,est conçue en fonction du potentiel positif des détenus. Pour l'ensemble de ces considérationspositives, ce Comité recommande, en cas de conflit entre les intérêts de la prison et ceux del'éducation du détenu, de ne pas privilégier systématiquement ceux de la prison 3223 . Nous estimonsque ces considérations doivent constituer autant d'éléments pris en compte dans la jurisprudence quela Cour sera amenée à rendre en la matière.De même que l’éducation, l’information ne doit plus être utilisée comme un moyen de traitementdes détenus en sélectionnant l’information à laquelle les détenus doivent avoir accès ni commemoyen d’exclusion des choses de la cité. Au contraire, l’exercice de la liberté d’information doitcontribuer à la limitation des effets privatifs de l’emprisonnement ainsi qu’au développement d’unesprit pluraliste, ouvert et tolérant des différences.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...SECTION 2. <strong>LA</strong> LIBERTE D’INFORMATIONUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Comme pour la plupart des droits de l'homme, l'accès à l'information n'est reconnu commeun droit des détenus que depuis l'application de la Convention en prison. Jusqu'alors, cet accès faisaitpartie des moyens de traitement des détenus et était déterminé par les exigences de celui-ci. Celles enparticulier de l'amendement et de l'éducation, lorsqu'elles ne commandaient pas l’isolement socialcomplet des détenus, commandaient la censure de l'information qui leur parvenait. Pour faire un6943222 Recommandation R(89)12, Education en prison, préc., p. 66.3223 Par exemple, il recommande d'éviter dans la mesure du possible de transférer un détenu ou de lui imposerune sanction disciplinaire, si ces mesures entravent son éducation, Ibid., p. 22.


695« travail utile de réformation et de rééducation 3224 », les détenus devaient être empêchés d'êtreinformés des choses de la cité, et de former une opinion libre. Malgré la reconnaissance de l'accès àl'information comme un droit des détenus, son application est encore loin d'être satisfaisante tant ausein de la jurisprudence européenne (§ 1) que des droits nationaux (§ 2).Avant d'examiner l'application effective de ce droit dans la prison, il convient de préciser soncontenu européen, sans pour autant anticiper sur sa définition complète, que l'on déterminera lors del'examen de la liberté d'expression au sens de l'article 10 de la Convention. L'accès à l'information estun des aspects de cette liberté ; le premier paragraphe de l'article 10 est rédigé comme suit : « Toutepersonne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté derecevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérenced'autorités publiques et sans considération des frontières... » On peut définir le droit d'accès àl'information, d'une part, comme le droit d'accéder à tous les moyens de diffusion de l'information,notamment à ceux permettant d'écouter, lire et voir ce que les autres pensent. Ces moyenscorrespondent à ceux considérés par la Commission européenne comme des moyens naturelsd'expression, à savoir permettant de dire, écrire et montrer ce que l'on pense. On peut, d'autre part, ledéfinir comme le droit d'accéder à tout type d'information : la liberté d'expression telle qu’elle estgarantie par l'article 10 « vaut non seulement pour les informations ou des idées accueillies avecfaveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent,choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population ; ainsi le veulent le"pluralisme", la "tolérance" et l'"esprit d'ouverture" sans lesquels il n'est pas de sociétédémocratique 3225 ».En ce qui concerne son application en prison, c'est la Commission qui a eu l'occasion d'affirmerque « ce droit concerne avant tout les sources générales d'information 3226 », à savoir « les quotidienset journaux à grand tirage ainsi que les livres régulièrement publiés, et stockés par l'administrationdans la bibliothèque de la prison » 3227 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...§ 1. L’application au sein de la jurisprudence européenneUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Après une période durant laquelle l'application de la liberté d'accès à l'information dans la prisonétait privée de toute effectivité, la jurisprudence européenne a connu une évolution positive, quidemeure cependant peu significative.3224 M. SEY<strong>LE</strong>R, « La banalisation pénitentiaire ou le vœu d'une reforme impossible », Déviance et société,1980, vol 4, n° 2, pp.131-147, p. 140.3225 CEDH, Handyside c R.U., préc.,, § 49 ; CEDH, Otto-Preminger-Institut c. Autriche, préc., § 49 ; arrêtWorm, 29 août 1997, § 47 ; CEDH, Hertel c. Suisse, préc., § 46 ; CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc., § 44 ;CEDH, Zana c. Turquie, préc., § 51.3226 . D 5270/72 (X/R.U), 8.7.1974, Rec. 42, pp. 54-61.3227 .Ibid.


696La théorie des limitations de l’exercice des droits de l'Homme implicites à la peine privative deliberté à laquelle la Commission avait recours dans sa jurisprudence initiale, mais aussi laprééminence qu'elle accordait systématiquement aux besoins de fonctionnement de la prison, ontempêché d'assurer aux détenus l'exercice effectif de la liberté en question. Dans une affaire quiremonte à 1963, la Commission avait souscrit, sans réserve, aux conclusions de la Courconstitutionnelle allemande, à propos du refus d'autoriser un détenu à s'abonner à un journal, àacheter un livre et à se procurer le règlement de la prison. Selon la haute instance allemande, « leslimites apportées au droit visé par l'article 10 découlent pour un détenu de la situation particulière oùil se trouve », et « le but même d'une peine privative de liberté implique une limitation de certainsdroits et libertés 3228 ». C'est dans ce sens que cette instance européenne avait, en 1969, conclu àpropos du refus d'autoriser un détenu d'acheter un commentaire du Code de procédure pénale pourpréparer la révision de son procès 3229 . Le requérant alléguait que, bien qu'il ait pu consulter le livre àla bibliothèque de la prison, son droit d'accès était entravé car il ne pouvait prendre connaissance quede certains articles qui, de surcroît, lui étaient lus à haute voix et en la présence d'un magistrat. LaCommission avait estimé que ces restrictions sont « inhérentes à l'état de détention de celui qui purgeune peine privative de liberté 3230 ».Si ce raisonnement est propre à la période de la jurisprudence européenne dominée par la théoriedes limitations dans l'exercice des Droits de l'Homme inhérentes à la situation des détenus, leraisonnement qui lui a immédiatement succédé (basé sur l'obligation des Etats à justifier leslimitations apportées) n'a pas été à même d'assurer au droit d'accéder à l'information une meilleuregarantie. Le raisonnement de la Commission était limité à l'examen de la légitimité des buts invoqué.Cette instance avait, par exemple, pleinement justifié les limitations tant des sources d'informationque de la quantité d'information accessible aux détenus pour des raisons de sécurité de la prison,mais aussi de surcharge de travail pour le personnel pénitentiaire. En effet, ces limitations prévuespar le règlement d'une prison anglaise étaient justifiées par le gouvernement défendeur en raison desrisques de passage frauduleux d'argent, de messages, de drogues, ainsi que par l'éventuelencouragement des détenus à la violence. Risques dont la prévention exigerait le contrôle de chaquearticle entrant en prison, ce qui présenterait un fardeau lourd pour le personnel pénitentiaire si l'on<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008autorisait l'accès illimité des détenus à l'information.Il a fallu attendre 1983 et une affaire associant interdiction d'accès à l'information et isolementcarcéral, pour que la Commission adopte un raisonnement caractérisé par des considérationsantagonistes de la détention : d’un côté, sa considération comme une situation d'isolement social,3228 . D 1860/63 (X/RFA), 15.12.1965, Rec. 18, p. 47.3229 . D 2795/66 (X/RFA), 22.5.1969, Rec. 30, p. 23.3230 . Ibid.


697rendant alors très important l'accès à l'information et, d’autre, comme un lieu de vie collectif ayantdes exigences de sécurité renforcées, justifiant alors des restrictions plus amples qu'à l'extérieur. « Ledegré exceptionnel d'isolement du requérant par rapport à ses codétenus exigeait de la direction de laprison qu'elle envisage des méthodes propres à assurer le maintien de ses possibilités d'accès àl'information... », avait-elle estimé 3231 . C'est pour la première fois que cette instance avait conclu, à lalumière du degré et de la longueur de l'isolement du requérant, que les restrictions en questionn'étaient pas justifiées sous l'angle de l'article 10 §2 de la Convention 3232 . Nous estimons que cetteapproche est valable pour l'ensemble des détenus, dès lors qu'ils se trouvent tous, à des degrés divers,en état d'isolement social.Mais pour l’instant, le raisonnement européen est construit autour de la notion de restrictionsnormales de l’exercice des droits de l'Homme dans la prison et dont la nécessité n'est pas à prouver.La Commission estimait qu’il faut partir de l'ensemble des mesures que la direction d'unétablissement pénitentiaire prenne « pour satisfaire aux exigences de l'article 10 dans descirconstances normales, où le fait même de la détention restreint automatiquement le droit d'accèsdes détenus à l'information 3233 ». Le trait général de la jurisprudence corrélative est que le droitd'accès à l'information continue d'être considéré comme un droit dangereux, s'il s'exerce sanslimitation, et surtout sans contrôle du contenu et des sources d'information de la part des autoritéspénitentiaires. Il en découle l'acceptation de l'exercice d'un tel contrôle de l'information qui sedécline aux formes suivantes.Contrôle du contenu de l’information. La Commission n'avait, en effet, pas mis en cause lacensure préalable des imprimés entrant en prison. Elle avait, par exemple, souscrit à l'argumentinvoqué par le gouvernement anglais pour justifier la censure des écrits contenant des « mentionsinacceptables », à savoir que ce contrôle vise à « éviter qu'ils ne soient utilisés pour transmettre desmessages clandestins à un détenu 3234 ». Quant à la Cour, la seule fois où elle a eu à s'exprimer sur laquestion, elle a limité son examen au cas d'espèce, ce qui ne permet pas de déduire sa position sur leprincipe qui doit régir la matière. Saisie de la requête d'un détenu à propos du refus del'administration pénitentiaire de l'autoriser à recevoir copie d'un article paru au sujet de sacondamnation, elle s'était contentée de déclarer que les détenus disposaient d'un tel droit<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...conformément au droit national en cause 3235 .Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083231 . R 8231/78, (T/R.U), préc., p. 37.3232 . Ibid., p. 39-40.3233 . Ibid., p. 38.3234 . Ibid., p. 29.3235 . En l’occurrence, le détenu avait demandé par écrit au directeur du Daily Record de lui envoyer une tellecopie, CEDH, McGallum c. R.U, préc.,.§ 31.


698Contrôle des sources et moyens de l'information. C'est pour la raison précédente d'efficacité de lacensure que la Commission avait également justifié la limitation de l'accès à l'information eu égardaux sources et aux moyens de sa diffusion. Elle a ainsi justifié la limitation à des « quotidiens etpériodiques adressés par la poste à un détenu », provenant uniquement d'un « dépositaire de journauxou d'un éditeur ».Contrôle de la quantité de l'information. C'est pour la même raison qu'elle n'a pas considérécomme contraire au droit d'accès à l'information, que le nombre d'imprimés autorisés aux détenussoit limité à un quotidien, deux périodiques et un hebdomadaire par semaine 3236 .Considération du papier comme objet dangereux. La Commission est allée jusqu'à considérercomme légitimes les restrictions quantitatives de l'accès à l'information pour le motif que le papierest un objet dangereux pour la prison. Elle a, par exemple, souscrit à l'argument du gouvernementanglais, que le papier n'implique pas seulement le risque d'être utilisé pour un trafic frauduleux demessages avec l'extérieur, mais aussi pour provoquer le désordre ainsi que des incendies 3237 . C'est eneffet par cet ordre d'arguments que ce gouvernement défendeur (le gouvernement anglais) avaitjustifié, d'une part, la limitation des journaux à deux quotidiens que les détenus ont droit deconserver dans leur cellule, et d'autre part, l'autorisation de conserver des coupures de presse àcondition qu'elles ne deviennent pas envahissantes 3238 . La Cour n'a pas non plus condamné le droitanglais qui interdit « d'envoyer des journaux et des revues usagés à un détenu ».Les Règles pénitentiaires, lors de leur révision en 2006, ont marqué un pas vers une netteamélioration de l’accès des détenus à l’information. Elles recommandent que les détenus y aientaccès sans limites sauf interdiction « prononcée par une autorité judiciaire », « dans un casindividuel » et pour une « durée spécifiée » 3239 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...L'accès des détenus à l'information par des moyens audiovisuels n'a pas fait l'objet d'examen parles instances européennes. Mais à l'examen des droits nationaux, l'accès par ces moyens est encoreplus libre que l’accès par écrit.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083236 . D 8231/78 (T/R.U), préc., p.29.3237 . Les autorités pénitentiaires anglaises estiment que, si elles autorisaient les détenus à en conserverdavantage, cela pourrait présenter des « risques d'incendie et favoriser le désordre dans la cellule ».3238 . Dans ce dernier cas, elles sont rangées avec les effets personnels du détenu, R 8231/78, (T/R.U), préc.,p.29.3239 « Les détenus doivent pouvoir se tenir régulièrement informés des affaires publiques, en pouvant s’abonneret en lisant des journaux quotidiens, des périodiques et d’autres publications, et en suivant des émissions deradio ou de télévision, à moins qu’une interdiction n’ait été prononcée par une autorité judiciaire dans un casindividuel et pour une durée spécifiée » (règle 24.10).


699§ 2. L’application au sein des droits nationauxL'accès à l'information, sévèrement restreint jusqu’en 1975 en France et jusqu’en 1989 en Grèce,s’est depuis lors nettement amélioré aussi bien concernant l’information écrite (1) qu’audiovisuelle(2).A. L'accès des détenus à l'information écriteIl y a lieu de distinguer accès à l'information extérieure à la prison (1) et accès à l'informationintérieure à la prison (2).1. Accès à l'information extérieure à la prisonDans la garantie de l'accès des détenus aux sources écrites d'information extérieures à la prison,le droit pénitentiaire grec a, depuis 1989, marqué un progrès notable. Auparavant, l'accès desdétenus aux journaux ou autres imprimés était expressément interdit, à l'exception des livres etrevues scientifiques dont le contenu était jugé « ‘éthicoplastique’, éducatif ou d'un saindivertissement » (article 90 du Code pénitentiaire de 1967). Or, après l’entrée de la télévision enprison, en 1982, l'accès à l'information a, en 1989, été reconnu comme un droit des détenus 3240 .Actuellement, il est consacré dans l’article 37 §1 du Code pénitentiaire en ces termes : « Chaquedétenu a le droit de s’informer par des journaux, des revues et des émissions de radio et detélévision ». D’autres moyens peuvent être autorisés par le conseil de la prison. Le choix de la lecturedes livres et de la presse écrite est libre, précise le Règlement intérieur (art. 18 §1), à condition queleur contenu ne soit pas indécent.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>En droit français, c'est par le décret du 23 mai 1975 3241 que l'accès des détenus aux sourcesd'information à l'extérieur s'est nettement amélioré. Alors qu'auparavant seules certaines publicationsétaient admises dans la prison, ce décret a reconnu aux détenus la possibilité de se procurer tous lesjournaux, périodiques et livres. « Les détenus peuvent se procurer, par l'intermédiaire de<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008l'administration, et dans les conditions déterminées par une instruction de service, les journaux, lespériodiques et les livres français et étrangers de leur choix n'ayant pas fait l'objet d'une saisie dansles trois derniers mois 3242 . » Il n'a toutefois ni transformé la nature de l'accès à l'information en droitdes détenus ni garanti un accès illimité. Cet accès est soumis à une autorisation préalable dont l'octroiest soumis à deux critères : le premier, commun au droit général, est l’absence de saisie de l'ouvrage3240 Il était énoncé dans l’article 43 § 1 du Code des règles fondamentales pour le traitement des détenus.3241 . B. BOULOC, « Les droits culturels du détenu », in La condition juridique du détenu, (1992), préc., p. 120.3242 Art. D.444 al. a, CPP.


700dans les trois derniers mois, et un critère spécifique à la prison, celui d'absence de risque présentépar l'ouvrage pour la sécurité des personnes et de l'établissement 3243 . Si bien que les détenus ne sontpas maîtres du choix final de leur lecture. Celui-ci appartient aux autorités pénitentiaires. Unecertaine garantie réside toutefois dans le fait que la décision interdisant l'entrée dans la prison d'unpériodique, magazine ou livre doit être prise par l'administration centrale. Les chefs d'établissementne peuvent que faire des propositions en vue d'une telle interdiction. Tel est, en effet, le sens d'uneinstruction ministérielle datée du 10 janvier 1978, ainsi que d'une décision rendue par le tribunaladministratif de Limoges du 11 février 1982 3244 .2. Accès à l'information intérieure à la prisonLa bibliothèque et l'affichage dans des espaces communs de la prison constituent les deuxmoyens, internes à la prison, assurant l'accès des détenus à l'information.L'importance de l'accès à la bibliothèque, qui pour certains détenus est le seul moyen d'accès à laculture et à l'information (faute de moyens financiers pour pouvoir s'en procurer de l'extérieur), a étéparticulièrement soulignée par le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe dans laRecommandation relative à l'éducation dans la prison. Il y est recommandé qu'il soit assuré auxdétenus l'accès à la bibliothèque « au moins une fois par semaine » et que « la privation des livres nefigure pas au nombre des sanctions 3245 ». La réglementation de l’organisation et de l’accès à labibliothèque dans les droits pénitentiaires grec 3246 et français 3247 témoigne de l'importance accordée àce moyen d'accès à l'information et, en général, à la culture.L'affichage dans les espaces communs de la prison du règlement de la prison et de tout autredocument relatif à l'organisation de la vie des détenus constitue également un moyen d'informationessentiel. Une circulaire du Ministère français de la Justice (1988) rappelait aux directeurs des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3243 « Toutefois, les publications contenant des menaces précises contre la sécurité des personnes ou celles desétablissements pénitentiaires peuvent être, à la demande des chefs d'établissement, retenues sur décision duGarde des Sceaux » (art. D.444 al. b CPP).3244 . E. KERGARIOU (de), Le détenu et ses relations avec l'extérieur, Mémoire de <strong>DE</strong>A, 1996, p.67.3245.Recommandation R(89)12, Education en prison, préc, p. 49.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083246 . Le même article qui consacre le droit des détenus d'accès à l'information (art.37 § 1, C. pénit.), prévoitdans le quatrième et le cinquième paragraphes que le conseil d’éducation des détenus organise dans chaqueprison « des lieux de lecture et une bibliothèque enrichie continuellement avec des livres littéraires,scientifiques et professionnels ». Le Règlement intérieur précise que la bibliothèque doit, dans la mesure dupossible, être liée à la bibliothèque municipale la plus proche et organisée par un bibliothécaire (art. 18 § 2).3247. Le droit français précise que l’emplacement de la bibliothèque doit être tel qu’il permette l’accès direct etrégulier des détenus. Ce sont des détenus qui assurent la gestion quotidienne, mais c’est le service pénitentiaired’insertion et de probation qui assure les achats, et qui organise la formation et encadre ces détenus (art. D 441-2 CPP). On peut aussi noter le progrès, en droit français, du contenu de l'information depuis le Décret du 6 août1985. Toute connotation d’orientation dans l’accès à l’information est supprimée. Auparavant, l'article D 440du Code de procédure pénale prévoyait que l'« action éducative exercée à l'égard des détenus a pour objet decréer et développer en eux la volonté et les aptitudes qui leur permettront après leur libération de vivre enrespectant la loi et de subvenir à leurs besoins ».


701prisons l'importance que représente pour les détenus l'affichage du règlement intérieur : celui-ciconstitue pour les détenus une « référence à leurs obligations et leurs devoirs » mais aussi un« instrument normatif et pédagogique 3248 ».Il est à noter, alors que la crainte majeure légitimant la restriction de l'accès des détenus àl'information demeure, tant au sein du droit français qu'au sein de la jurisprudence européenne, lamenace pour la sécurité de la prison, une enquête effectuée en France démontre que les moyensd'information auxquels s'intéressent principalement les détenus est la télévision. Dans une statistiquesur les achats à la cantine de la prison des magazines et des périodiques durant une semaine, ontrouve en premier lieu, et de très loin, les magazines sur les programmes de la télévision 3249 .B. L'accès à l'information par les moyens audiovisuelsL’accès à des moyens d’information audiovisuels est prévu aussi bien dans les deux droitsnationaux : le droit français 3250 et le droit grec 3251 .En ce qui concerne les conditions concrètes d'usage des moyens audiovisuels, rien n'est prévu endroit grec. Cette tâche est laissée au conseil de la prison sans autre précision (art. 37 §1 C. pénit.). Endroit français, il est précisé que ces moyens peuvent être procurés par l’intermédiaire del'administration (art. D. 444 al.c CPP). Quant au choix des programmes, depuis l’usage individuel deces moyens, seuls y sont soumis les radios et télévisions d’usage collectif (art. D. 447 CPP).Pour ce qui est de la place des moyens audiovisuels en prison, ils ont, notamment depuis l'entréede la télévision dans les cellules, connu une véritable expansion. Expansion qui n'est certes pas dueau souci des autorités pénitentiaires de respecter un quelconque droit des détenus mais à laconcordance de l’intérêt de ces autorités et du plaisir des détenus. Alors que ces autorités étaienthostiles à l'idée d'introduire ces moyens dans la prison, les considérant comme un « luxe » pour lesdétenus, elles ont rapidement changé d'attitude : la radio et la télévision furent révélés, dès leurfonction divertissante, des moyens bien efficaces et économiques pour le maintien de l'ordre dans laprison. Quant à l'importance qu'ils représentent pour les détenus, on peut la mesurer si l'on tient<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083248 . Circulaire du 27 décembre 1988, BO, n°32, p. 113. Par ailleurs, en droit français, la circulaire A.P. 85-81G1, du 13 novembre 1985 prévoit la communication aux détenus des documents administratifs.3249 . Alors que cent quarante sept commandes concernaient de tels magazines, dix commandes seulementétaient passées pour un journal local de nature générale, deux pour l’hebdomadaire L'événement du jeudi, unepour l’hebdomadaire Le nouvel observateur et une pour le journal Libération (la statistique en question a eulieu dans une prison de province en France), E. KERGARIOU (de), Le détenu et ses relations avec l'extérieur,préc., pp. 68-69.3250 . Article D. 444, al.c Code de procédure pénale. C'est en 1974 et 1975 que la radio et la télévision sontrespectivement entrés en prison, en France ; la télévision est entrée en cellule, en 1985, BOULOC, « Les droitsculturels du détenu », préc., p. 121.3251 Article 37 § 1 Code pénitentiaire.


compte que, en droit français, leur privation fait partie des sanctions disciplinaires 3252 , et que lesdétenus se plaignent du coût élevé d'une location de la télévision.702Certes l'usage excessif de ces moyens, en particulier de la télévision, peut être critiqué pourl'effet négatif qu'il peut avoir sur le maintien en éveil de la conscience des détenus. Les laisser sanstravail, sans autre activité que celle de regarder la télévision dans leur cellule, voilà un substitutefficace aux tranquillisants médicamenteux. A ce propos, Bernard Bouloc note que « l'usage de latélévision a diminué l'angoisse du soir, ce qui s'est traduit par une moindre consommation detranquillisants », et il doute que la télévision soit classée parmi les moyens culturels tendant àl'élévation du niveau culturel des détenus 3253 . Mais pouvons-nous accuser les détenus de faire un telusage de la télévision ?D'abord, un usage excessif de la télévision n'est pas spécifique à la prison ; on le rencontreégalement à l’extérieur. Ensuite, le pouvoir magique de la télévision de faire voyager vers des lieuxinaccessibles est naturellement multiplié en prison, par excellence lieu d'enfermement. D'autant plusque ce média constitue un moyen facile de lien avec l'extérieur, pratique, direct et non censuré encomparaison avec d'autres moyens de communication, comme la correspondance et les visites : lecontact avec l'écran de télévision a lieu sans autorisation, en l'absence d'un gardien, sanschronomètre.Nous pouvons conclure, en notant tout d'abord que la comparaison des droits pénitentiaires grecet français, met en évidence une différence significative. Alors que le droit pénitentiaire grec areconnu à la liberté de l'accès à l'information le statut d'un « droit des détenus », le droit françaiscontinue de le considérer comme une possibilité accordée aux détenus dans le cadre de leur insertionsociale 3254 . Quoi qu’il en soit, ces deux droits nationaux ne souffrent pas d’anti-conformité avec laConvention telle qu’elle est actuellement appliquée par la jurisprudence européenne. Celle-ci acceptede larges restrictions à l’exercice de ce droit dans la prison par rapport à l’extérieur. Celle-ci devraitévoluer, d’une part, vers la limitation à des restrictions équivalentes à l’extérieur et, d’autre part, versle dégagement d’une obligation positive des Etats à l’égard des détenus. Etant donné que l'accès àl'information dépend non seulement de la réglementation juridique mais aussi des moyens financiersdes individus, et que la plupart des détenus se trouvent dans une pauvreté extrême 3255 , il devraitrevenir aux autorités compétentes d’assurer, du moins aux détenus indigents, l’accès gratuit.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083252 Lorsque l'infraction a été commise à l'occasion de l'usage de ce matériel ou lorsque la personne estcondamnée au confinement en cellule individuelle(art. D.251-1, 3°CPP)3253 .B. BOULOC. « Les droits culturels du détenu », préc., p. 122.3254 . Ibid., p. 121.3255 .A_M., MARCHETTI, Pauvretés en prison, Paris, éd. Erès, 1997.Par exemple, en France, le coût mensuel de location de la télévision était, en 1996, de 100 francs pour unetélévision en noir et blanc et 200 francs pour une télévision en couleurs. Ces sommes peuvent s'avérer très


703Enfin l’éducation et l’information religieuses contribuent grandement à la formation de l’esprit.Dans l’histoire de la pénalité, la religion a été longtemps utilisée comme moyen au service del’amendement des détenus. Si la croyance religieuse relève des convictions personnelles et du forintérieur, la liberté de pratiquer une religion, de diffuser les idées religieuses et d’en recevoir dans lerespect des autres religions, participe à la formation d’un esprit ouvert et respectueux du pluralisme.SECTION 3. <strong>LA</strong> LIBERTE RELIGIEUSEOn serait tenté de voir dans la liberté religieuse une des premières libertés reconnues aux détenusdans les droits nationaux. La possibilité d'assister à la messe, de s'entretenir avec un aumônier,d'avoir accès à des livres religieux, a toujours été assurée aux détenus. Mais à y regarder de plus près,nous pouvons observer que, si la pratique religieuse fut assurée aux détenus, ce n'est pas par sonacceptation en tant que liberté mais en tant que moyen de traitement. Cela peut être expliqué par lefait que la vie monacale a fortement influencé la naissance de la peine de prison, et a servi de modèlepour déterminer ses objectifs et son organisation. Expier la faute et s'amender par le travail, la prièreet le recueillement furent longtemps des objectifs dominants de la politique pénitentiaire ; d'ailleurs,l'origine religieuse du terme français établissement « pénitentiaire » est à cet égard symptomatique.Que l'accomplissement des devoirs religieux ait toujours été favorisé en raison du rôle reconnu àla religion dans le cadre du traitement des détenus, en témoigne, en droit français, l'instruction del'administration pénitentiaire française du 22 mars 1816 : « Combien la salutaire influence des loisdivines est plus efficace pour atteindre ce but important que toute la rigueur des lois humaines 3256 »,ainsi que cette déclaration du Ministre de l'Intérieur, datée de 1837 : « L'instruction religieuse nedevrait jamais être séparée de l'instruction morale dans les prisons : l'une est sanction de l'autre, ellesont besoin mutuellement de s'unir 3257 ». A cette fin, les aumôniers avaient des postes d'employésinternes à la prison et ils devaient y loger pour pouvoir consacrer tout leur temps à leur mission. Apartir de 1875, une série de lois dites laïques avaient commencé à exclure la religion des servicespublics, et les postes d'aumôniers étaient supprimés, d'abord dans les lycées, en 1882, puis dans leshôpitaux, en 1884. Mais il n'en fut pas de même dans les prisons. Le seul pas marqué dans la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008considération de la pratique religieuse comme une liberté des détenus date de 1889. C'est au cours decette année que l'administration pénitentiaire française a supprimé l'obligation d'assister aux officesreligieux 3258 et admis que la « liberté de conscience implique la faculté de ne pas croire comme celleélevées si l'on tient compte que le salaire mensuel des détenus se situe autour de 300 francs, E. KERGARIOU(de), Le détenu et ses relations avec l'extérieur, préc., p. 713256 Père C<strong>LA</strong>VIER, « Les droits religieux des détenus », R.P.D.P, 1984, n° 1, pp. 9-23, (p.11).3257 Ibid.3258 Ibid., pp. 13-14.


de croire 3259 ». En droit pénitentiaire grec, il a fallu attendre 1989, soit encore un siècle, pour voirdisparaître l'obligation des détenus d'assister aux offices religieux 3260 .704Actuellement, cette obligation est supprimée et, en général, la pratique religieuse est devenuefacultative pour les détenus. La liberté religieuse est-elle pour autant respectée dans la prison ? C'estce à quoi nous essaierons de répondre en examinant la garantie exigée par la jurisprudenceeuropéenne (§ 1) et celle assurée par les droits grec et français (§ 2).§ 1. L’application au sein de la jurisprudence européenneL'article 9 de la Convention consacre la liberté religieuse en ces termes : « Toute personne adroit à la liberté de pensée, de conscience et de religion : ce droit implique la liberté de changer dereligion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa convictionindividuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiqueset l'accomplissement des rites ». En se référant à ce texte, la Cour a dégagé une double dimension dela religion. Une dimension d'intériorité avec la personne : « La liberté religieuse relève d'abord du forintérieur » ; et une dimension d'extériorité : « Si la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur,elle "implique" de surcroît la liberté de "manifester sa religion" 3261 ». Elle a confirmé la garantie demanifester sa religion ou ses convictions collectivement ou individuellement, en privé ou enpublic 3262 .Cette instance a, en outre, précisé la nature des obligations des Etats dans la garantie effective dela liberté religieuse. Outre leur obligation négative de s'abstenir, elle a estimé que les Etats ontégalement l'obligation positive d'intervenir pour défendre une religion. Elle a jugé en ce sens, àpropos de la nécessité de limiter la liberté d'expression dans le but de protéger les sentimentsreligieux des offenses, en l'occurrence à propos de la confiscation des tableaux de peinture 3263 et du<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3259 Déclaration de cette administration lors de l'Exposition Universelle de 1889. Mais pour reconnaître desdroits religieux, il fallait attendre 1905, le moment de la séparation de l'Eglise et de l'Etat (loi des 9-11 déc.1905, JO du 11 déc. 1905), Ibid., p. 14.3260 Avec l'adoption du Code des règles fondamentales pour le traitement des détenus ayant réformé le Codepénitentiaire de 1967 qui prévoyait cette obligation (art. 72 § 2).3261 « Si la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sareligion, non seulement de manière collective, en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi: onpeut aussi s'en prévaloir individuellement et en privé. (réf. arrêt Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, Série An° 260-A, § 31). L'article 9 énumère diverses formes que peut prendre la manifestation d'une religion ou d'uneconviction, à savoir le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites », CEDH, Kalaç c.Turquie, n° 20704/92, 1er juil. 1997, Recueil 1997-IV.3262 CEDH, Kalaç c. Turquie, préc., § 27 ; CEDH, Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, 25 mai 1993, Série An° 260-A, § 31; CEDH, Agga c. Grèce, n° 50776/99, 52912/99), CEDH 2002-XII, § 54 ; CEDH, Agga c.Grèce (n°4), n° 33331/02, CEDH 2006-VII, §22.3263 Müller et autres c. Suisse, 24 mai 1988, n° 10737/84, Série A, n°133.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


705refus d'accorder à des films le visa de censure 3264 . En s'exprimant sur la compatibilité de tellesingérences avec la liberté d'expression consacrée par l'article 10 de la Convention, la Cour a reconnuque le respect des convictions religieuses garanti par l'article 9 de la Convention constitue un butlégitime au sens du second paragraphe de l'article 10 3265 . Et de même que le respect de la libertéd’expression, la liberté religieuse contribue au pluralisme de la démocratie. « La cour rappelle que laliberté de pensée, de conscience et de religion est un des fondements de la société démocratique ausens de la Convention. Le pluralisme, inhérent à cette société et chèrement acquis au cours dessiècles, en dépend 3266 ». Dès lors, son exercice ne peut être restreint que par « une nécessité socialeimpérieuse » 3267 , un « besoin social pressant 3268 ».Nous allons examiner la protection générale assurée à cette liberté (A) pour pouvoir, ensuite,comparer celle assurée dans la prison (B).A. L’application généraleLes questions traitées, jusqu'à présent, à propos de l'exercice de cette liberté ont trait à la libertéde manifester et de pratiquer la religion.Liberté de pratiquer le culte et d’accomplir des rites. Cette liberté peut, estime la Cour, êtreviolée par la soumission à une autorisation préalable de l'ouverture des lieux de prière : « Le droit àla liberté de religion tel que l'entend la Convention exclut toute appréciation de la part de l'Etat sur lalégitimité des croyances religieuses ou sur les modalités d'expression de celles-ci 3269 ». Cette libertéest certainement violée lorsque l'autorisation en question ne constitue pas une simple formalité maisimplique l'appréciation de l'opportunité et de la légitimité des motifs. En effet, cette instance a jugécomme contraires à l'article 9 de la Convention les conditions exigées par le droit grec pour autoriserles témoins de Jéhovah à ouvrir des lieux de culte et de prière 3270 . Cette instance a notamment retenuque ces conditions sont rigides, voire prohibitives, et que l'autorité compétente (le Ministre del'Education et des Cultes) jouit en la matière d'un large pouvoir discrétionnaire 3271 . Elle en a jugé demême à propos du refus d’enregistrer les modifications dans les statuts d’une associationreligieuse 3272 . En revanche, elle a estimé, dans une décision d’irrecevabilité, que des considérations<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083264 CEDH, Wingrove c. R.U., préc., § 48 ; CEDH, Otto-Preminger-Institut c. Autriche, préc., §§ 44-453265 CEDH, Otto-Preminger-Institut c. Autriche, préc., §§ 44-45.3266 CEDH, Agga c. Grece (n°4), préc., § 26.3267 CEDH, Agga c. Grece, préc., § 58.3268 CEDH, Agga c. Grece (n°4), préc., § 29.3269 CEDH, Manoussakis et autres c. Grèce, n° 18748/91, 26 sept. 96, 1996-IV, § 47.3270 « Les témoins de Jéhovah » est considérée comme religion par le Conseil d'Etat depuis 1975 (arrêts duConseil d'Etat n° 2105 et 2106/1975 cités dans l'arrêt de la Cour rendu dans l'affaire Tsirlis et Kouloumpas, 29mai 1997, § 43).3271 CEDH, Manoussakis et autres c. Grèce, préc., § 48.3272 CEDH, Svyato-Mykhaïlivska Parafiya c. Ukraine, n° 77703/01, CEDH 2007-VI.


706liées à la protection de l’environnement et à l'aménagement du territoire peuvent justifier desrestrictions en la matière (en l'occurrence le droit de construire une chapelle et un cimetière sur unterrain situé dans un parc naturel) 3273 .Liberté d'enseigner et, de manière générale, de diffuser les idées religieuses. C'estessentiellement à l'occasion de la répression du prosélytisme que la Cour s'est penchée sur cesaspects de la liberté religieuse 3274 . Pour cette instance, la liberté de manifester sa religion comprendégalement le « droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple, au moyend'enseignement 3275 ». Ce droit n'est toutefois pas illimité : « L'article 9 ne protège pas n'importe quelacte motivé ou inspiré par une religion ou croyance 3276 ». Ainsi le prosélytisme de mauvais aloi peutconstituer une des limites. On doit entendre par prosélytisme de mauvais aloi, « une activité offrantdes avantages matériels ou sociaux ou l'exercice d'une pression abusive en vue d'obtenir desadhésions à une Eglise 3277 ».Liberté de porter des signes d’appartenance religieuse. Jusqu’à présent, cette question estsoulevée devant la Commission et la Cour à propos du port du foulard islamique au sein desuniversités laïques en Turquie autant de la part des étudiants que du personnel enseignant. Dans lesdeux cas, la jurisprudence européenne a accepté des limites dans la liberté de manifester sa religionpar le port des signes extérieurs ostentatoires. Comme l’avait résumé la Commission, « la liberté depratiquer une religion ne garantit pas toujours le droit de se comporter dans le domaine public d’unemanière dictée par une telle conviction. Notamment le terme ‘‘pratique’’ au sens de l’article 9§1 nedésigne pas n’importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction 3278 ». Approcheconfirmée par la Cour aussi bien à propos de l’interdiction faite à une professeur d’universités deporter le foulard islamique dans le cadre d’exercice de ses fonctions 3279 que des étudiantes. Ce quinous amène à la question de la religion et de l’école.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Respect de la liberté religieuse à l’école. Cette question a été abordée à propos du port dessignes religieux, de l’enseignement religieux, des manifestations scolaires ou encore de l’éducationsexuelle. Concernant le port des signes religieux, en l’occurrence du foulard islamique, comme ilvient d’être noté, la Cour a justifié son interdiction 3280 , y compris dans des établissements<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008secondaires publics à vocation religieuse 3281 , au nom de la préservation des principes de laïcité et de3273 CEDH, Johannische Kirche et Peters (déc.), n° 41754/98, 10.7.2001.3274 CEDH, Kokkinakis c. Grèce, préc. ; CEDH, Manoussakis et autres c. Grèce, préc., CEDH, Larissis etautres c. Grèce, n os 23372/94, 26377/94, 26378/94, 24 févr. 1998, Recueil 1998-I.3275 CEDH, Larissis et autres c. Grèce, préc., § 45 ; CEDH, Kokkinakis c. Grèce, préc., § 31.3276 Larissis et autres, préc., § 45 ; CEDH, Kokkinakis c. Grèce, préc., § 48.3277 Ibid.3278 D 16278/90 (Karadyman/Turquie), 3.5.1993.3279 CEDH, Kurtulmus c. Turquie (déc.), n° 65500/01, CEDH 2006-I.3280 CEDH, ahin c. Turquie [GC], préc.3281 CEDH, Köse et 93 autres c. Turquie, préc.


neutralité de la fonction publique, en particulier de l’enseignement public dès lors que le codevestimentaire s’applique à l’ensemble des élèves. Quant à l’enseignement religieux, c'est eninvoquant la protection de la liberté religieuse en termes négatifs, à savoir le droit de ne pas recevoird'enseignement religieux 3282 , qu’il a été mis en cause. C’est ainsi, par exemple, que des témoins deJéhovah, parents d'élèves, ont mis en cause devant la Cour le système éducatif grec dans les écolespubliques. Ils ont invoqué en plus de l'article 9, l'article 2 du Protocole n° 1 à la Convention quiconsacre le droit à l'instruction. Ils mettaient précisément en cause le fait que le programme scolairecomporte un enseignement religieux qui ne correspond pas à leurs convictions et oblige les élèves àparticiper à des défilés scolaires pour célébrer des événements historiques. Or la Cour a jugé que cesobligations ne sont pas contraires à la Convention ; elles sont prévues par une « règle disciplinaired'application générale et neutre 3283 ». De surcroît, elle a noté que le défilé en question ne constituaitpas une manifestation religieuse. Il visait à manifester l'attachement de la Grèce aux idéaux de ladémocratie d'après-guerre. Par ailleurs, les élèves ne souhaitant pas recevoir un enseignementreligieux en sont dispensés. C’est l’absence de la possibilité d’une telle dispense qui a valu à laNorvège sa condamnation pour violation de la liberté religieuse dans ses écoles 3284 . De même, lesEtats n'ont pas l'obligation d'aménager les horaires scolaires de manière à permettre aux élèvesd'observer les prescriptions de leur religion (comme le repos absolu du samedi 3285 ), ni l’obligation des’abstenir de dispenser une éducation sexuelle aux élèves dès lors qu'elle vise à leur donner uneinformation objective et scientifique sur la sexualité de l’être humain 3286 . Pour la Cour, entre le droitde l'enfant à s'instruire et celui des parents au respect de leurs croyances religieuses, le premier primesur le second 3287 . De manière générale, concernant les obligations des Etats en matière d'éducation, laCour considère qu'ils n'ont pas obligation de dispenser les élèves des obligations scolaires pour peuque leurs parents les considèrent contraires à leurs convictions religieuses. Ces derniers peuventtoujours exercer leur droit « d'éclairer et de conseiller leurs enfants, d'exercer envers eux leursfonctions naturelles d'éducateurs, et de les orienter dans une direction conforme à leurs propresconvictions religieuses ou philosophiques 3288 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Respect de la liberté religieuse au travail. Le respect de cette liberté a été mis en cause à proposde l’accès à une profession et de son exercice, ainsi que de l’organisation d’un travail salarial.Concernant l’accès à une profession, la Cour a condamné toute discrimination fondée directement ouUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008indirectement sur des convictions religieuses. En effet, en tenant compte de l’interdiction de7073282 Le programme scolaire comporte des cours de religion dont la majeure partie est consacrée à la religionorthodoxe.3283 « L'article 9 de la Convention ne confère pas le droit de se soustraire à des règles disciplinairesd'application générale et neutre », CEDH, Valsamis c. Grèce, préc., § 36.3284 CEDH, Folgero et autres c. Norvège, préc.3285 Demande de dispense des cours le samedi pour repos absolu (exigence de l'église adventiste du 7 ème jour),D 44888/98 (Martins Casimiro et Cerveira Ferreira/Luxembourg), 27.4.99.3286 CEDH, Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark, préc. ; et CEDH, Alonso et Merino (déc.), préc.3287 CEDH, Martins Casimiro et Cerveira Ferreira/Luxembourg (déc.), n° 44888/98, 27.4.99.3288 CEDH, Valsamis c. Grèce, préc., § 31.


discrimination fondée, entre autres motifs, sur les convictions religieuses, la Cour a estimé quel’exclusion d’un témoin de Jéhovah d’exercer la profession d’expert comptable au motif de sacondamnation pour refus d’accomplir le service militaire constituait bien une atteinte à cetteinterdiction. Si la condamnation pénale est un motif en soi non discriminatoire dans laréglementation de l’accès à cette profession, en revanche le fait de ne faire aucune distinction entreles motifs de condamnation peut conduire à un traitement discriminatoire des personnesconcernées 3289 . De même, cette instance a condamné le licenciement d’une personne fondéimplicitement sur ses convictions religieuses 3290 . En revanche la Cour a rejeté une requête ayant traitau respect des convictions religieuses dans la réglementation de l’exercice d’une profession. Enl’occurrence, elle a estimé que des pharmaciens ne peuvent pas refuser de vendre certains produits enfaisant prévaloir, et imposant ainsi à autrui, leurs convictions religieuses 3291 et que les professeuresne peuvent pas faire prévaloir leurs convictions religieuses sur le code vestimentaire applicable à toutle personnel enseignant d’une école sans distinction 3292 . La Commission a, quant à elle, eu l’occasiond’exprimer qu'il n’incomberait pas une quelconque obligation aux Etats de garantir un aménagementdes horaires de travail pour permettre aux travailleurs de différentes religions d'accomplir leursobligations religieuses 3293 .Respect de la liberté religieuse dans l’armée. Pour la Cour, la vie militaire implique par nature lapossibilité d'apporter des restrictions à l'exercice de certains droits et libertés afin de maintenirl'ordre. Ces restrictions ne peuvent cependant pas aller jusqu'à la suppression de l’exercice de cesdroits et libertés 3294 . Ainsi, a-t-elle justifié la sanction disciplinaire d'un magistrat à la Cour militairepour avoir été influencé dans l'exercice de ses fonctions par ses convictions religieuses 3295 . Et elle a3289 « La Cour estime qu'en principe les Etats ont un intérêt légitime à exclure certains délinquants de laprofession d'expert-comptable. Toutefois, elle considère par ailleurs que, contrairement à des condamnationspour d'autres infractions majeures, une condamnation consécutive à un refus de porter l'uniforme pour desmotifs religieux ou philosophiques ne dénote aucune malhonnêteté ou turpitude morale de nature à amoindrirles capacités de l'intéressé à exercer cette profession », CEDH, Thlimmenos c. Grèce [GC], préc., §47.3290 La requérante, employée en qualité d’agent administratif dans une école de la ville de Ruse, était membre<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>d’une communauté chrétienne évangélique connue sous le nom de « Verbe de Vie », laquelle agissait dans laclandestinité car les autorités avaient refusé de procéder à son enregistrement, CEDH, Ivanova c. Bulgarie, n o52435/99, 2007-IV.3291 CEDH, Pichon et Sajous/France (déc.), n° 49853/99, 4.10.2001.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3292 CEDH, Kurtulmus c. Turquie (déc.), préc.3293 Personne de religion juive, travaillant aux chemins de fer, se plaignant de la violation de la libertéreligieuse : elle a été licenciée suite à son abstention de se présenter au lieu du travail le vendredi soir et cesuite au refus de la direction de le dispenser de l'obligation de travailler pendant ce moment précis de lasemaine. La Commission a déclaré irrecevable sa requête, estimant que son licenciement n'était pas dû à sesconvictions religieuses mais au non-respect de ses obligations contractuelles du travail. Pour la Commission,ellel avait la possibilité de démissionner, ce qui constitue l'ultime garantie de sa liberté religieuse. (D 24949/94(Konttinen/Finlande), 3.12.1996:3294 Surtout que le requérant a embrassé la carrière militaire ; il s'est donc volontairement plié au systèmedisciplinaire a précisé la Cour à propos de la limitation d’un magistrat à la cour militaire de manifester desconvictions et opinions religieuses dans l'exercice de sa profession. Celle limitation découle de manièregénérale « de sa situation particulière ». Il découle donc de manière générale que la discrétion sur lesconvictions religieuses est requise sur le lieu de travail de la part d'un supérieur hiérarchique, CEDH, Kalaç c.Turquie, préc., §§ 27-28.3295 Ibid.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008708


709retenu le prosélytisme exercé sur un soldat de la part d’un supérieur hiérarchique qui avait engagédes conversations sur ses convictions religieuses. La Cour a estimé qu’en raison du pouvoirhiérarchique qui caractérise l’organisation de l’armée le manque de discrétion sur les convictionsreligieuses peut être considéré comme une forme de pression contraire à la liberté religieuse dessubordonnés 3296 .En ce qui concerne la protection de cette liberté à l’égard des détenus, elle jouit d’une protectioninégale suivant les aspects concernés.B. L’application en prisonLe droit des détenus au respect de la liberté religieuse, comme de la pensée et de conscience telqu’il est entendu au sens de l’article 9 de la Convention, ne fait pas de doutes. A ce propos, notonsque les Règles pénitentiaires de 2006 n’annoncent plus la pratique religieuse comme une formed’assistance religieuse et morale, mais comme un droit des détenus au même titre que la liberté depensée et de conscience. Elles recommandent aux Etats d’assurer aussi bien la pratique d’unereligion individuellement et en groupe, que les visites des représentants religieux ainsi que lapossession des livres ou publications à caractère religieux ou spirituel 3297 . Mais la question qui sepose toujours est celle des limitations acceptables dans le respect effectif de ces aspects.Les questions abordées jusqu'à ce jour dans la jurisprudence européenne ont porté, d'une part, sursa pratique en détention (1), et sur la relation entre l’exercice de cette liberté et le respect de la libertéd'expression et d’information des détenus (2). Les deux révéleront que la liberté religieuse estappliquée dans la prison de manière inégale par rapport à l’extérieur.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>1. La pratique de la religion<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Le non-respect du pluralisme religieux fut allégué par les détenus à propos du port des signesreligieux, des restrictions alimentaires, des contacts avec des représentants des cultes et de lapratique en groupe. Concernant l’ensemble de ces aspects, la Commission avait estimé que lesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008restrictions litigieuses n’avaient pas porté atteinte à l’exercice de la liberté religieuse. La Cour, dansune seule affaire, où elle avait été invitée de se prononcer sur des questions corrélatives, précisémentsur le régime juridique d’un condamné à mort qui ne lui permettait pas d’assister au service religieux3296 CEDH, Larissis et autres c. Grèce, préc., §§ 45-55.3297 « Le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion des détenus doit être respecté »., (règle29. 1). »Le régime carcéral doit être organisé, autant que possible, de manière à permettre aux détenus depratiquer leur religion et de suivre leur philosophie, de participer à des services ou réunions menés par desreprésentants agréés desdites religions ou philosophies, de recevoir en privé des visites de tels représentants deleur religion ou leur philosophie et d’avoir en leur possession des livres ou publications à caractère religieux ouspirituel » (règle 29. 2).


710hebdomadaire ouvert aux autres détenus ni de recevoir la visite d’un aumônier, les a analysés commedes ingérences. Mais, ayant conclu à leur illégalité, n’étant pas fondées sur une loi au sens européen,elle n’est pas entrée dans l’appréciation de leur légitimité ni de leur nécessité dans une sociétédémocratique 3298 .Le port des signes religieux. Pour aucune des requêtes dans lesquelles les détenus se sont plaintsd’un empêchement de manifester leur religion par un mode vestimentaire particulier, une coupe decheveux, le port d'un chapelet etc, la Commission n'avait fait prévaloir le respect de ces aspects de lavie religieuse sur les raisons opposées par les autorités pénitentiaires, essentiellement fondées sur lemaintien de l'ordre de la prison. Par exemple, à propos du refus d'autoriser un détenu bouddhiste à selaisser pousser une barbiche et à porter un chapelet, la Commission a fait siens les arguments desautorités pénitentiaires : le refus était justifié « par la nécessité de pouvoir identifier facilement lerequérant », et, en général, d'assurer la sécurité de la prison 3299 .Les prescriptions alimentaires. A propos des prescriptions alimentaires exigées par une religion,la Commission, alors qu'elle estimait que les autorités pénitentiaires doivent en tenir compte et lessatisfaire, s'était montrée peu exigeante quant à l'étendue de leurs obligations concrètes. Ainsi, àpropos de la demande d'un détenu de confession juive de bénéficier d'un régime kasher, elle avaitconsidéré qu'en lui offrant un régime végétarien, « les autorités ont fait leur possible pour respecterles convictions du requérant 3300 ».Les contacts avec un représentant de son culte. Quant à l'obligation d'assurer aux détenus descontacts avec un représentant de leur culte, elle peut être réduite à des formes très élémentaires. C'estpar un raisonnement identique à celui précité, à savoir que les autorités « ont fait leur possible pourrespecter les convictions du requérant », que la Commission avait estimé conforme à l'article 9 de laConvention l'autorisation accordée à un détenu qui demandait à s'entretenir avec un représentant duculte juif de recevoir un visiteur juif laïc en présence de l'aumônier de la prison 3301 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...La pratique de la religion en groupe. Le respect de la liberté religieuse comporte également ledroit de pratiquer la religion en groupe. Cette question n'a pas encore fait l'objet d'examen par lesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008instances européennes, depuis que la théorie « des limitations implicites » des droits de l'homme àl'égard des personnes privées de leur liberté fut abandonnée. Signalons seulement que, durantl'application de cette théorie, la Commission avait estimé, à propos du refus d'autoriser un détenu àmanifester sa religion en communauté avec d'autres par la prière, l'enseignement religieux, la3298 CEDH, Poltoratski c. Ukraine, préc., §§ 163-171.3299 D 1753/63 (X/Autriche), Ann. 19653300 D 5947/72 (X/R.U), 5.3.1976, D.R. 5, pp. 8-9.3301 Ibid.


pratique et l'observance, que « certaines restrictions à ce droit (au droit à la liberté religieuse) sont unélément inhérent à une détention légale 3302 ».711Même lorsque le droit de manifester sa religion ou de recevoir l'enseignement religieuxcomporte des aspects impliquant la liberté d'expression et d'information en général, sa protection nes'en trouve pas plus renforcée.2. Absence d’influence de la liberté d'expression et d'information dans le respect de la libertéreligieuseS'agissant des moyens d'expression communs (oraux, écrits, audiovisuels), la liberté demanifester des idées religieuses et d'en recevoir devrait être renforcée par l'application conjointe desarticles 9 et 10 de la Convention. Or tel n'est pas encore le cas dans la jurisprudence relative aurespect de la liberté religieuse dans la prison.Négation de l'implication de la liberté d'expression par la liberté religieuse. Dans l'affaireprécitée, le détenu bouddhiste s'était plaint, de surcroît, de l'interdiction d'envoyer des écrits à unerevue pour y être publiés. Or la Commission n'avait pas tenu compte de l'argument du requérant, àsavoir que « l'échange des idées est un élément de la pratique de cette religion 3303 ». Elle a estimé que« le requérant n'a pas démontré en quoi la religion impliquait la publication d'articles dans une revuebouddhiste 3304 ».Limitation de l'accès à l’information et à l’enseignement. La Commission avait égalementjustifié des restrictions dans l'accès des détenus aux livres, même régulièrement publiés. Ce fut le casà propos du refus opposé au requérant précédent de recevoir un livre commandé à l'extérieur 3305 .Tout en analysant ce refus comme une ingérence dans la liberté religieuse, la Commission l'avaitjustifiée en souscrivant aux raisons invoquées par le gouvernement défendeur, à savoir le contenurépréhensible du livre. Celui-ci comportait un chapitre consacré aux arts martiaux et aux techniquesde défense. Pour conclure que « la tâche légale de l'autorité pénitentiaire est de prévenir ladissémination des connaissances des techniques de self-défense à l'intérieur de la prison » ; par<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008conséquent, la rétention de ce livre était « nécessaire dans une société démocratique... pour laprotection des droits et libertés des autres 3306 ».3302 D 4517/70, (Hubert/Autriche), préc.3303 D 5442/72 (X/R.U), 20.12.1974, DR. 1, p.41.3304 Ibid., p.41. (D 5442/72 (X/R.U)3305 D 6886/75 (X/R.U), 18.5.1976, DR 5, pp. 100-102.3306 Ibid.


712Aussi, alors qu'on s'attendait à ce que la force jointe de la liberté religieuse et de la libertéd'expression et d'information contribuerait à renforcer le respect mutuel de ces deux libertés, dans laprison il n'en est rien jusqu'à présent. Peut-être la venue d’une jurisprudence de la Cour en la matièreet le caractère évolutif de l’interprétation de la Convention contribueront-ils à une meilleure garantiede la liberté religieuse dans la prison.Au vu de cette jurisprudence, nous ne pouvons pas affirmer que la protection de la libertéreligieuse des détenus requise par la Convention soit plus importante que celle assurée par les droitsnationaux.§ 2. L’application au sein des droits nationauxLa liberté religieuse fait partie des libertés constitutionnelles aussi bien dans le droit grec quedans le droit français.Protection constitutionnelle en droit grec. C'est en termes de « liberté inviolable » que la libertéreligieuse est consacrée par le premier paragraphe de l'article 13 de la Constitution grecque, suiviepar la proscription de discrimination fondée sur les convictions religieuses : « La liberté de laconscience religieuse est inviolable. La jouissance des libertés publiques et des droits civiques nedépend pas des convictions religieuses de chacun ». Toutefois, les paragraphes suivants de cet articleprévoient des restrictions qui ont donné lieu à des lois et à une jurisprudence mises en cause àplusieurs reprises devant la Cour européenne. Le deuxième paragraphe de l'article 13 précise :« Toute religion connue est libre » ; l'exercice du culte ne doit pas porter atteinte « à l'ordre public etaux bonnes mœurs » ; le prosélytisme est interdit. Enfin, le quatrième paragraphe de ce même articleprévoit que le devoir d'accomplir les obligations envers l'Etat et de se conformer aux lois prévaut surle respect de la liberté religieuse.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Or la protection effectivement assurée par les lois et les tribunaux aux religions connues s'estavérée défaillante au regard de la protection conventionnelle. En plus de la différence de statut entrela religion orthodoxe et les autres 3307 , qui, bien qu'elle ne soit propre ni à la Grèce ni àl'orthodoxie 3308 , peut en soi être condamnable pour discrimination, la première étant déclarée religionUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20083307 Parmi les religions connues, seule la religion musulmane dans les trois provinces du Nord-Est de la Grèce(où la présence des musulmans est forte) et la religion juive jouiraient d'une protection satisfaisante. Leproblème rencontré par les autres confessions est la non-reconnaissance de statut de personne morale de droitpublic ; elles sont organisées sous forme d'association régie par le droit civil Ch. PAPASTATHIS, « Le régimeconstitutionnel des cultes en Grèce », In Le statut constitutionnel des cultes dans les pays de l'Unioneuropéenne, Actes de colloque, Université Paris XI, 18-19 Nov. 1994, Litec, 1995, pp. 153-170).3308 Par exemple, jouissent d'un traitement privilégié, au Danemark, l'église luthérienne, et, au Royaume-Uni, lareligion protestante réformée. J. DUFFAR, « Le régime constitutionnel des cultes », Rapport de synthèse, In Lestatut constitutionnel des cultes dans les pays de l'Union européenne, Actes du colloque, Université Paris XI,18-19 nov. 1994, Litec, 1995, pp. 11.


713officielle de l'Etat grec, la liberté des autres religions connaît deux limitations. Il s'agit de larépression du prosélytisme et de l'exigence d'une autorisation pour ouvrir un lieu de culte ou deprière. Limitations dont le seul fondement devrait suffire à les rendre critiquables 3309 : ces ingérencessont fondées sur les lois n° 1363/1938 et n° 1672/1939, dites « lois de nécessité », qui datent desannées de la dictature de 1936-1941. Ces lois ont d'ailleurs déjà valu la condamnation de la Grècedans certains arrêts de la Cour, pour violation de l'article 9 de la Convention.Protection constitutionnelle en droit français. La protection de la liberté religieuse fut reconnuecomme fondamentale dès la Déclaration française des droits de l'homme de 1789 : « Nul ne doit êtreinquiété pour ses opinions même religieuses » (art. 10). Sa protection fut renforcée par laproclamation de la laïcité de la République française (instaurée depuis la séparation de l'église et del'Etat par la loi du 9 décembre 1905 3310 ), et par la valeur constitutionnelle qu'ont acquis tant ceprincipe que la liberté religieuse, ainsi que l'égalité religieuse, depuis la Constitution de 1958. Enplus de l'incorporation de la Déclaration de 1789 dans le texte de cette Constitution, par le renvoi deson Préambule, son article 2 est rédigé ainsi : « La France est une République indivisible, laïque,démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinctiond'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».Toutefois la laïcité, qui proscrit la manifestation et la pratique de toute religion dans la viepublique, ne manque pas non plus de soulever des questions au regard du respect de la libertéreligieuse. La question fut, par exemple, soulevée devant les tribunaux français à propos del'interdiction des élèves de religion musulmane de porter le « foulard islamique » dans les écolespubliques sous peine d'exclusion. Partant du principe que la liberté de manifester la religion estgarantie dans une société démocratique, cette interdiction peut paraître comme une ingérence danscette liberté : si l'école laïque ne tolère pas la manifestation de la religion en son enceinte, l'écoledémocratique le doit. Tel fut d'ailleurs la position du Conseil d'Etat. Saisi pour se prononcer sur cettequestion, il n'a pas mis en cause l'interdiction du foulard mais la généralité des termes des règlementsintérieurs des écoles en cause qui stipulent l'interdiction du port de tout signe distinctif d'ordrereligieux, politique ou philosophique. Pour cette instance, il faut établir si les conditions danslesquelles le foulard est porté est de « nature à lui conférer le caractère d'un acte de pression, de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008provocation, de prosélytisme ou de propagande, ou à perturber l'ordre dans l'établissent ou le3309 Ph. VEG<strong>LE</strong>RIS, « Quelques aspects de la liberté de religion en Grèce », Rev. trim. DH, 1995, pp. 355-566.3310 « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seulesrestrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public » (art. 1, al. 1).


déroulement des activités d'enseignement » 3311 . Dans ces cas, ainsi que dans ceux où le signereligieux est ostentatoire ou revendicatif, son port devient répréhensible 3312 .714Les garanties dont jouit l'application de la liberté religieuse dans les prisons en Grèce et enFrance sont théoriquement conformes aux exigences conventionnelles (A), bien que certaines d'entreelles soient énoncées comme des prérogatives des représentants des religions plutôt que comme desdroits des détenus (B).A. L’application assurée par la considération de la religion comme un moyen d'éducationMalgré l'évolution notable des droits pénitentiaires grec (1) et français (2) vers la garantie dela pratique religieuse comme une liberté des détenus, sa pratique n'a pas totalement perdu sesmarques de moyen éducatif intégré dans le traitement des détenus.1. L’application au sein du droit grecLa liberté religieuse fait partie des droits et libertés expressément reconnus aux détenus. Elleest même une des rares libertés qui figuraient dans le Code pénitentiaire de 1967, à l’époque donc dela dictature. Elle était également la seule à figurer au sein du Code précédent (Code des règlesfondamentales pour le traitement des détenus) dans la disposition consacrée aux droits fondamentauxdes détenus (art. 5§4). Mais la déposition réglementant son exercice continuait à être intitulée« Education religieuse (art. 44).Dans le Code pénitentiaire actuel, cet intitulé a disparu. La disposition qui réglemente l’exercicede la liberté religieuse, l’article 39, est intitulée : « Exercice des devoirs religieux ». En même temps,elle a perdu sa place privilégiée parmi les droits fondamentaux des détenus. Elle n’y est plusmentionnée. Sa réglementation demeure pourtant inchangée, et elle est plutôt conforme auxexigences de sa pratique en tant que liberté des détenus. L’article 39 assure en effet les garantiessuivantes. Le caractère facultatif de la pratique religieuse : « L'éducation religieuse estfacultative... » (art. 39§1) ; et « les détenus peuvent, s'ils le souhaitent, signaler au moment de leur<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008écrou, leur religion ou dogme » (art. 39§2). Le droit de pratiquer sa religion individuellement :« L'éducation religieuse est facultative et implique le droit du détenu d'accomplir ses devoirsreligieux et de s'entretenir avec le représentant de son culte ou de son dogme » (art. 44 § 1). Le droitde pratiquer sa religion en groupe. Il est également prévu que dans chaque établissement existe une3311 Arrêts du Conseil d'Etat du 2 novembre 1992 (Kheronoa, Kachour, Balo, Kizic), et du 14 mars 1994(Ylmaz) cités in Droits et libertés fondamentaux (CABRIL<strong>LA</strong>C R., FRISON-ROCHE M.-A., REVET Th.,dir.), 1997, 4e éd., Dalloz, pp. 278-279.3312 CE, 20 mai 196 et CE, 5 nov. 1977, cités par Jean Loup CHARRIER, Code de la Convention européennedes droits de l’homme, 2003-2004, Litec, p. 153.


715chapelle ou un autre espace adéquat, où les détenus peuvent assister à l'office ou à d'autrescélébrations religieuses (art. 39§3). Enfin une disposition, incluse dans l’article consacré àl’alimentation, prévoit le respect des convictions religieuses dans la préparation du régimealimentaire (art. 33§4).2. L’application au sein du droit françaisEn droit français, la question de la religion continue à être traitée uniquement dans le chapitreconsacré aux « actions de préparation à la réinsertion des détenus » (art. D 432 et s. C.P.P.). Il y estprévu que « chaque détenu doit pouvoir satisfaire aux exigences de sa vie religieuse, morale ouspirituelle » (art. D. 432, al.a, C.P.P). Les dispositions suivantes assurent les mêmes garanties que ledroit grec. La possibilité de pratiquer sa religion. « A son arrivée dans l'établissement, chaquedétenu est avisé qu'il lui est loisible de recevoir la visite du ministre d'un culte et d'assister auxoffices religieux » (art. D. 436, al.a, C.P.P). La possibilité de pratiquer sa religion individuellement.Sont prévus à cet effet : l'entretien des contacts avec le ministre de leur culte (que nous venons deciter) et la disposition des outils pour accomplir les rites : « Les détenus sont autorisés à recevoir ou àconserver en leur possession les objets de pratique religieuse et les livres nécessaires à leur viespirituelle » (art. D. 439, al.a, C.P.P). La possibilité de pratiquer sa religion en groupe. Les détenuspeuvent participer aux offices ou réunions organisés par les personnes agréées à cette effet (art.D 432, al.b, C.P.P).D'autres garanties dont jouit l'entretien des contacts avec l'aumônier de la prison laissentapparaître, quant à elles, qu'il s'agit plutôt des prérogatives accordées à l'institution de la religion surses fidèles.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>B. L’application assurée par la force de la religion en tant qu'institution<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...On peut dire que, de même que le détenu ne perd pas le statut de « membre de famille » parsa détention, il ne perd non plus celui de « fidèle » au sein d'une religion. De même que le respect dela vie familiale est un droit reconnu à la fois au détenu et aux membres de sa famille, le respect de laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008religion est reconnu comme un droit à la fois du détenu et des représentants de sa confession. Mais laprotection des contacts avec ces derniers présente une différence notable. Contrairement aux contactsfamiliaux, ceux avec les aumôniers jouissent du respect du secret (1) et de la liberté (2).Paradoxalement, cela est encore plus flagrant en droit français (dominé par la laïcité) qu'en droitgrec.1. Le secret des contacts


716Le respect de la correspondance entre détenus et représentants de culte ne dénote plus, endroit grec, aucun privilège. Le secret de la correspondance est, depuis 1989, assuré à toute lacorrespondance des détenus. Il est actuellement garanti par l’article 53§4 du Code pénitentiaire. Endroit français, en revanche, le respect de cette correspondance est une dérogation expresse auprincipe d'ouverture et de lecture du courrier des détenus : « Les détenus peuvent toujourscorrespondre librement et sous pli fermé avec l'aumônier de l'établissement » (art. D. 438, al.a, CPP).Le secret des visites est également une preuve des liens privilégiés entre détenus etreprésentants de culte. En droit français, il est prévu que « l'entretien a lieu en dehors de la présenced'un surveillant, soit dans un parloir ou bureau, soit dans la cellule du détenu et, s'il se trouve enquartier disciplinaire, dans un local spécial » (art. D. 437, al.b, CPP). En droit grec la disposition quiassurait jusqu’en 1999 la même garantie (art. 44§5 CRFTD) a disparu dans le nouveau Code. Celuicilaisse la réglementation des contacts avec le représentant religieux au règlement intérieur sansautre précision (art. 3§1 C. pénit.). Notons toutefois qu’en droit pénitentiaire grec, toutes les visitess’effectuent sans surveillance acoustique (art. 52§3 C. pénit.)2. La liberté des visitesLa liberté des visites, dont jouissent les aumôniers, constitue une preuve supplémentaire dela place privilégiée accordée à la religion dans la vie des détenus. En même temps, elle témoigne quecette liberté est un pouvoir accordé à cette institution, plutôt qu'un droit des détenus. Cela est clair endroit français où les visites des aumôniers et leur fréquence sont énoncées comme un pouvoir de cesderniers : « Les aumôniers nommés auprès de l'établissement peuvent s'entretenir aussi souvent qu'ilsl'estiment utile avec les détenus de leur culte » (art. D. 437, al. a, Cpp). De surcroît, le maintien deces visites prévaut sur les exigences de la discipline de la prison : « Aucune sanction disciplinaire nepeut entraîner la suppression de cette faculté » (articles D. 437, al.a, CPP). En droit grec, il estsimplement prévu que les détenus reçoivent la visite de l'aumônier pour leur réconfort dans des lieuxspéciaux de détention (art. 39§4 C. pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Que ce soit sous le poids de l'institution de la religion ou du progrès du respect des droits etlibertés dans la prison, les dispositions relatives à la pratique religieuse des détenus laissentapparaître que celle-ci fait partie des libertés les mieux protégées dans les droits grec et français.Quant à savoir si cette protection est conforme à la Convention, nous ne pouvons l'affirmer tant quedes requêtes ne sont pas introduites par des détenus devant la Cour, ou devant les instancesnationales, pour permettre de s'assurer, d'une part, de l'application effective et sans discrimination deces dispositions et, d'autre part, du respect de tous les aspects de pratique et de manifestation requispar les différentes religions. Des questions peuvent, par exemple, être posées sur le respect desprescriptions alimentaires ou vestimentaires, sur le port de signes religieux, etc. Si les prescriptions


717alimentaires ainsi que le pouvoir des visites des représentants d'autres religions sont a priorirespectés 3313 , il n'est pas certain que les contacts des détenus avec ces derniers jouissent de garantiesde la liberté des visites et du secret comme avec les aumôniers chrétiens. Il n'est pas non plus certainque les prescriptions réglementaires concernant, par exemple, le port du foulard par des femmesmusulmanes, le port de certains habits ou d'une barbiche par des bouddhiste ou encore le port d'unebarbe et d'une kippa par des juifs, permettent aux détenu,s en Grèce et en France, de respecter lesprescriptions de leur religion. Quant à la recommandation faite aux détenus souhaitant pratiquer leurreligion, de la signaler aux autorités pénitentiaires, on peut se demander si elle n'est pas contraire àl'interdiction de constituer des fichiers contenant des informations pouvant être discriminatoires.Cette question se pose avec plus d'acuité en droit français, où la loi du 6 janvier 1978, dite« Informatique et libertés », interdit la constitution de fichiers manuels ou informatisés relatifs àl'identité religieuse des individus 3314 .*Malgré les restrictions signalées dans l'exercice par les détenus du droit à l'éducation, àl'information et à la liberté religieuse, l'application de ces droits est marquée d’une nette améliorationpar rapport à celle des droits qui garantissent la participation active des individus au devenir de lasociété démocratique.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083313 Mais il semble que les dignitaires musulmans ne sont pas très enclins à s'y rendre, Père C<strong>LA</strong>VIER, « Lesdroits religieux des détenus », préc., p. 20.3314 A. GARAY, « Liberté religieuse et prosélytisme : l'expérience européenne », Rev. trim. DH, (1994), n°17,p.17.


718CHAPITRE 2. L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS D’EXPRESSIONIl fut un temps où toute condamnation à la peine privative de liberté marquait d'infamie ledétenu à tel point que celui-ci était automatiquement condamné à l'ostracisme. Il perdait lesindispensables vertus pour exercer la fonction « noble » de citoyen : le vote. Il perdait aussi lesqualités nécessaires pour participer au débat politique et, en général, à toute forme de débat public.La propagation des idées des détenus à l'extérieur serait nuisible à la société, ce qui commandait lecloisonnement de la prison par rapport à la société environnante. Mais il fut également un temps oùtoute parole des détenus était considérée comme néfaste au point de les avoir condamnés au silencequasi total entre eux. La règle du silence ne devrait être dérogée qu'en cas de « nécessité absolue » etles détenus doivent parler à voix basse 3315 . Il allait sans dire que le détenu, considéré inapte à semêler de la gestion des affaires publiques, l'était également à gérer les siennes. D'où le besoin de lepriver de certaines capacités civiles, plus spécifiquement celles nécessaires à gérer ses biens, ycompris son « pécule ». Le détenu était aussi privé de toute forme d'échange social, politique etcommercial à l'intérieur de la prison ainsi qu'avec l'extérieur.Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les droits nationaux ont marqué certainsprogrès, notamment dans l'exercice du droit de vote. En revanche, en ce qui concerne la libertéd'expression, les progrès ne sont pas significatifs. La jurisprudence européenne relative àl'application de ces droits en prison, dans son état actuel, n'est pas à même d'impulser une évolutionvers une meilleure garantie de ces droits et libertés. Ce que nous allons voir en examinantsuccessivement la liberté d'expression (Section 1), et les droits électoraux (Section 2). Comme l’aconfirmé la Cour, dans l’affaire Zdanoka, (2006) : « L'article 3 du Protocole n o 1 s'apparente àd'autres dispositions de la Convention protégeant divers droits civiques et politiques tels que, parexemple, l'article 10, qui garantit le droit à la liberté d'expression, ou l'article 11, qui consacre le droità la liberté d'association, y compris le droit de chacun à la liberté d'association politique avec d'autrespersonnes au sein d'un parti. Il existe indéniablement un lien entre toutes ces dispositions, à savoir lanécessité de garantir le respect du pluralisme d'opinions dans une société démocratique par l'exercicedes libertés civiques et politique 3316 . »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008SECTION 1. L’EXPRESSION GENERA<strong>LE</strong>Pas de société démocratique sans liberté d'expression. Tel est l'adage que l'on peut formulerau vu des déclarations de la Cour : « La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels3315 Règle imposée en France par l'instruction et l'arrêté sur la nouvelle réforme disciplinaire des maisonscentrales, du 10 mai 1839, Code des prisons de 1670 à 1845, préc., p. 242.3316 CEDH, danoka c. Lettonie [GC], n° 58278/00, CEDH 2006-III, § 115.


719de pareille société, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement dechacun 3317 » ; elle est « la pierre angulaire des principes de la démocratie et des droits de l'hommeprotégés par la Convention 3318 . De même cette déclaration du Conseil Constitutionnel français : cetteliberté « est d'autant plus précieuse que son existence est l'une des garanties essentielles du respectdes autres droits et libertés 3319 ».L’identification entre respect des droits de l'homme et démocratie 3320 étant particulièrementmis en avant, à propos du droit à la liberté d'expression (ne serait-elle pas la vitrine des libertés, étantforcement la plus médiatisée), le défi est alors de taille dans son application en prison. Celle-ci est lelieu le plus critique pour une application des droits de l'homme conforme à l'esprit démocratique.Excepté l'importance de ce défi général pour la société démocratique, l'application de la libertéd'expression en prison présente également une importance propre, dès lors qu’elle contribue à ladétermination de l'évolution du sens de cette peine. Une évolution, tout d'abord, vers la minimisationdes effets privatifs de liberté et d'exclusion sociale. Les moyens d'expression, notammentaudiovisuels, sont du point de vue psychologique pour les détenus et leurs proches, et du point devue symbolique pour l'ensemble de la société, les plus à même de suppléer aux effets de la privationde contacts immédiats qu'implique l'enfermement physique. De par leur nature, ils constituent lesmoyens les plus puissants pouvant contrebalancer les effets des murs de la prison. Alors que les mursenferment, éloignent et excluent physiquement, les moyens de communication libèrent, rapprochentet maintiennent les liens entre les individus. Aux limites de la liberté physique, s'oppose la liberté decirculation de l'image et de la voix dont la diffusion ne connaît plus aucune sorte de frontière. Deplus ces moyens de communication permettant d'entendre et de voir des détenus sont indéniablementles moyens les plus efficaces de démystification de l'image du détenu comme un autre (être étrange)3317 . CEDH, Sunday Times c. R.U., n° 6538/74, 27 oct. 1979, Série A n° 30, § 65. La Cour a constammentrappelé ce principe, dans des arrêts rendus ultérieurement en cette matière. Voir entre autres : CEDH,Handyside c R.U., n° 5493/72, 7 déc. 1976, Série A n°24, § 49 ; CEDH, Müller c. Suisse, 24 mai 1988,n° 10737/84, Série A, n°133, § 33; CEDH, Lingens c. Autriche, n°9815/828 juillet 1986, Série A, n°103, § 41 ;CEDH, Jersild c. Danemark, n° 15890/8923 sept. 1994, Série A n°298, § 37 ; CEDH, Chorherr c. Autriche,<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...n°13308/87, 25 août 1993, Série A, n°266-B, § 32 ; CEDH, Otto-Preminger-Institut c. Autriche, n°13470/87,20 sept. 1994, A295-A, § 49 ; CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc., § 44 ; CEDH, Hertel c. Suisse, n° 25181/94,25 août 1998, Recueil 1998-VI, § 46 ; CEDH, Steel et autres c. R.U., n°24838/94, 23 sept. 1998, Recueil 1998-VII, § 101 ; CEDH, Ôztürk c. Turquie, n° 24914/94, CEDH 2002-X, § 67 ; CEDH, Association Ekin c. France,n o 39288/98, CEDH 2001-VII, § 56 ; CEDH, Perna c. Italie, n° 48898/99, CEDH 2001-VII, § 38 ; CEDH,Tammer c. Estonie, n° 41205/98, CEDH 2001-II, § 59 ; CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie,n°57829/00, CEDH 2004-V, § 40 ; CEDH, Dupuis et autres c. France, n°1914/02, CEDH 2007-VI, § 33.3318 R 17851/91 (Vogt/Allemagne), 30.11.93, § 71.3319 CC. 10 et 11 octobre 1984, GDCC, 574, citée par P. Wachsmann dans « La liberté d'expression » , inDroits et Libertés fondamentaux, Dalloz, 4e éd., 1997, pp. 281 et s.3320 « La démocratie représente un élément fondamental de « l'ordre public européen ; Cela ressort d'abord dupréambule à la Convention, qui établit un lien très clair entre la Convention et la démocratie en déclarant que lasauvegarde et le développement des droits de l'homme et des libertés fondamentales reposent sur un régimepolitique véritablement démocratique, d'une part, et sur une conception et un respect commun des droits del'homme, d'autre part… la Cour a ainsi rappelé à plusieurs reprises que la Convention était effectivementdestinée à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d'une société démocratique. En d'autres termes, ladémocratie est l'unique modèle politique envisagé par la Convention et, partant, le seul qui soit compatibleavec elle », CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 98.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


720et de la prison comme un lieu mystérieux et lointain. Ils permettent de prendre conscience que lesdétenus continuent à vivre parmi nous et que la prison est une composante de la vie de la cité. Lesmoyens d'expression présentent enfin, une autre importance notable : une importance dans lecontrôle et la transparence de la prison. Ayant, au fil du temps, conquis un pouvoir d'investigation etde dénonciation, ces moyens se sont érigés en instance de protection supplémentaire contrel'arbitraire et les dysfonctionnements de nos sociétés. Ce rôle peut être d'autant plus déterminant pourl'évolution positive de l'image de la prison comme institution qui se plie aux règles de la démocratie,qu'elle est longtemps restée dans l'ombre, synonyme d'arbitraire.Notons aussi que, pour que les moyens d'expression accomplissent ces multiples rôles, laliberté d'expression des détenus doit être conjuguée avec celle des personnes extérieures et surtoutdes journalistes et des cinéastes. Le droit des détenus à s'exprimer ne peut s'exercer sans la garantieconcomitante du droit des journalistes et des cinéastes de s'exprimer sur la prison et sur les détenus,et d'avoir accès à ces derniers comme source d'information.Or, en comparant l'application de la liberté d'expression dans ce domaine par rapport auxprincipes établis de son application dans une société démocratique, aussi bien au sein de lajurisprudence européenne (§ 1) qu'au sein des droits nationaux (§ 2), les défis pour la sociétédémocratique semblent demeurer entiers. Les progrés réalisés sont peu importants pour qu'ilspuissent témoigner d’une quelconque évolution signifiante de la société démocratique eu égard àl'évolution du fonctionnement de ses prisons.§ 1. L’application au sein de la jurisprudence européenneAlors que les garanties dont la Cour exige d'entourer l'application de la liberté d'expressionen général sont, nous allons le voir, à la hauteur de l'importance qu'elle lui accorde dans une sociétédémocratique (A), il n'en est pas de même, loin s'en faut, en ce qui concerne son application dans laprison et sur la prison. Les restrictions justifiées sont telles qu'elles nous laissent dubitatifs quant auxlimites distinctives d'une société démocratique par son rapport à une société non démocratique (B).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>A. L’application générale<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008La définition européenne large de la liberté d'expression (1) et le seuil de nécessitédémocratique élevé dans la justification des restrictions de son exercice (2) confirment l'importancecapitale accordée à cette liberté.1. Définition large de la liberté d'expression


Par liberté d'expression telle qu’elle est consacrée par l’article 10 de la Convention 3321 , onentend aussi bien le contenu d'expression (a) que les moyens d'expression (b).721a. La définition au regard du contenu d'expressionSeule la garantie d'un contenu large de la liberté d'expression est propre à une sociétédémocratique. C'est ce que révèlent deux séries de déclarations de la Cour, constamment réitéréesdans ses arrêts. Une première porte sur la nature des informations et des idées : l'article 10 garantit« la liberté de recevoir et de communiquer des informations et des idées qui permettent de participerà l'échange public des informations et des idées culturelles, politiques et sociales de toute sorte 3322 ».Une seconde porte sur l'étendue du contenu de chaque type d'information et d'idée : dans une sociétédémocratique, cette liberté « vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avecfaveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent,choquent ou inquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population ; ainsi le veulent le"pluralisme", la "tolérance" et l'"esprit d'ouverture" sans lesquels il n'est pas de sociétédémocratique 3323 ».b. La définition au regard des moyens d'expressionL'étendue de la liberté d'expression est également déterminée par les moyens d'expressionprotégés par l'article 10 de la Convention. L'écriture, la parole, mais aussi l'image sont en principeprotégés quel que soit leur support technique. A propos de l'écrit et de la parole, la Commissionavait déclaré que leur protection relève de l'ordre de l'évidence : « Le droit de dire et d'écrire ce quel'on pense sont deux aspects fondamentaux de la liberté d'expression : ce sont là les moyensessentiels et les plus simples de s'exprimer et ils sont manifestement garantis par l'article 10 de laConvention 3324 ». Quant à l'image, et en général toute forme d'expression artistique, elles sont<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3321 « 1. Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté derecevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autoritéspubliques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre lesentreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certainesformalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires,dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à ladéfense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de laréputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantirl'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».3322 CEDH, Groppera radio AG et autres c. Suisse, n° 10890/84, 28 mars 1990, Série A, § 55 ;3323 CEDH, Handyside c R.U., préc., § 49 ; CEDH, Otto-Preminger-Institut c. Autriche, préc., § 49 ; CEDH,Worm c. Autriche, n° 22714/93, 29 août 1997, Recueil 1997-V, préc., § 47 ; CEDH, Hertel c. Suisse, préc.,§ 46 ; CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc., § 44 ; CEDH, Zana, 25 nov. 1997, § 51 ; CEDH, Perna c. Italie,préc., § 38 ; CEDH, Tammer c. Estonie, préc., § 59 ; CEDH, Ôztürk c. Turquie, préc., § 67 ; CEDH, VidesAizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 40.3324 . R 8231/78, (T/R.U), 12.10.1983, D.R., 49, p. 5 s.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


protégées de manière implicite dès lors que la télévision et le cinéma sont mentionnés dans l'article10. Plus précisément, les supports techniques d'expression protégés par l'article 10 sont les suivants.722Edition et distribution des livres et des imprimés. Etant les moyens les plus anciens dediffusion des idées et des opinions, la question de leur protection par l'article 10 n'a même pas étédiscutée devant la Cour 3325 .Réalisation et diffusion des émissions par des moyens audiovisuels. Si leur protection paraîtégalement incontestable, la radiophonie et la télévision étant expressément mentionnées dans l'article10 de la Convention, la Cour a toutefois été invitée à le confirmer : « La diffusion des programmespar voie hertzienne comme leur retransmission par câble relèvent du droit consacré par les deuxpremières phrases de l'article 10 §1, sans qu'il faille distinguer selon le contenu des programmes », a-t-elle déclaré, en 1990, dans l'arrêt Groppera radio AG et autres 3326 .Journalisme écrit et audiovisuel. Non seulement la Cour a confirmé que les moyensaudiovisuels sont protégés par l'article 10 de la Convention, mais elle a, de surcroît, fini par leurreconnaître, en tant que moyens également d'information, un rôle aussi important que la presse écrite.Les principes sur la liberté de la presse, « formulés d'abord pour la presse écrite, s'appliquent à n'enpas douter aux moyens audiovisuels », a-t-elle affirmé à propos des poursuites d'un journaliste pourun reportage télévisé qu'il avait réalisé 3327 . En ce qui concerne la garantie de la presse dans ce sensgénéral, soulignons d’abord que, bien que l'article 10 de la Convention ne lui réserve pas untraitement particulier, la Cour lui consacre une garantie privilégiée parmi les moyens d'expression.Cette instance a, à plusieurs reprises, déclaré que les principes qui régissent la garantie de la libertéd’expression au sein de la jurisprudence européenne « revêtent une importance particulière pour lapresse 3328 ». La considérant comme le moyen qui, par excellence, contribue au débat public sur desidées d'intérêt général, la jurisprudence européenne lui reconnaît un « rôle éminent dans un Etat dedroit 3329 », « dans le bon fonctionnement d’une démocratie politique 3330 » et d’une « sociétédémocratique 3331 ». Un rôle qualifié de « pourvoyeur d'information 3332 », de « chien de garde<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083325 CEDH, Handyside c R.U., préc., (à propos de la saisie d'un livre).3326 CEDH, Groppera radio AG et autres c. Suisse, préc., § 55.3327 CEDH, Jersild c. Danemark, préc., § 31.3328 CEDH, Lopez Gomes da silva c. Portugal, n o 37698/97, CEDH 2000-IX, § 30 ; CEDH, Özgür Gündem c.Turquie, n° 23144/93, CEDH 2000-III, § 58 ; CEDH, Colombani et autres c. France, n°51279/99, CEDH2002-VI, § 56.3329 CEDH, Prageret Oberschlick, n° 15974/90, 26, 26 avril 1995, Série A n°313, § 28 ; CEDH, VidesAizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 40 ; CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., n°1914/02, CEDH 2007-VI, § 33.3330 CEDH, Ôztürk c. Turquie, préc., § 67.3331 CEDH, Tammer c. Estonie, préc., § 62 ;3332 R 15153/89 (Vereinigung Demokratischer Soldaten Ödterreichs et Berthold Gubi/Autriche), 30.6.93, § 75.


public 3333 », ou encore de « gendarme au service du public 3334 ». Cette dernière expression futemployée à propos du rôle des moyens audiovisuels dans la diffusion des informations et lacontribution aux débats publics. Soulignons, ensuite, que ce rôle est renforcé par la considération dela diffusion des informations et des idées par des journalistes comme l'exercice non seulement d'undroit individuel mais aussi d'une fonction et donc d'un devoir social : « Il incombe à la presse decommuniquer des idées et des informations sur des questions d'intérêt public 3335 . En fait, il s'agit d'undroit dans l'exercice duquel intérêt individuel et intérêt collectif, loin de s'opposer, se rejoignent et serenforcent réciproquement : « A la fonction de la presse qui consiste à en diffuser, s'ajoute le droit,pour le public, d'en recevoir 3336 ». Il est donc de l'intérêt de la société démocratique d'assurer et demaintenir la liberté de la presse 3337 . Soulignons que la Cour a accordé le rôle de « chienne degarde » également aux associations militantes telles que les ONG qui militent pour la protection del’environnement 3338 .Arts. Tout en soulignant que « l'article 10 de la Convention ne précise pas que l'expressionartistique entre dans son champ d'application », la Cour a reconnu qu'elle doit être entendue dans unsens large. Par conséquent, le terme « art » doit comprendre aussi bien la création, l'interprétation,l'exposition et la diffusion, elle a affirmé que le droit à la liberté d'expression « englobe à l'évidencel'expression artistique, car celle-ci fait partie des moyens de communication et d'information quipermettent de participer à l'échange public des informations et des idées culturelles, politiques etsociales 3339 » ; et de préciser que « ceux qui créent, interprètent, diffusent ou exposent une œuvred'art contribuent à l'échange d'idées et d'opinions indispensables à une société démocratique. D'oùl'obligation pour l'Etat de ne pas empiéter indûment sur leur liberté d'expression 3340 ». Par ailleurs, letexte de l'article 10 §1 de la Convention mentionnant les activités des « entreprises de radiodiffusion,de cinéma ou de télévision », il ne fait pas de doute que celles-ci « s'étendent au domaine del'art 3341 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3333 Ibid., § 75. Voir aussi R 19983/92 (De Haes et Gijsels c/Belgique), préc., § 79 ; CEDH, Jersild c.Danemark, préc., § 31 ; CEDH, Colombani et autres c. France, préc., § 55 ; CEDH, Vides Aizsardzibas Klubsc. Lettonie, préc., § 40 ; CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 46.3334 . R 15890/89 (Jersild/Danemark), 8.7.93.3335 CEDH, De Haes et Gijsels c. Belgique, n° 19983/92, 24 févr. 1997, Recueil 1997-I, § 47 ; CEDH,Colombani et autres c. France, préc., § 55.3336 CEDH, De Haes et Gijsels c. Belgique, préc., § 47 ; CEDH, Sürek et Özdemir c. Turquie, n os 23927/94,24277/94, CEDH 1999-VII, § 58 ; CEDH, Ôztürk c. Turquie, préc., § 67 ; CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c.Lettonie, préc., § 40 ; CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 35.3337 CEDH, Fressoz et Roire c. France, n° 29183/95, CEDH 1999-I, § 45, § 56. Elle a précisément souligné : «Lorsqu’il y va de la presse, le pouvoir d’appréciation nationale se heurte à l’intérêt de la société démocratique àassurer et à maintenir la liberté de la presse », CEDH, Thoma c. Luxembourg, n° 38432/97, CEDH 2001-III, §48 ; CEDH, Colombani et autres c. France, préc., § 57.3338 CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 42.3339 . CEDH, Müller c. Suisse, préc., § 27.3340 . Ibid., § 33.3341 . Ibid., § 27.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008723


724Réunions, manifestations et distributions des tracts. En se fondant sur l’article 10 seul ou enlien avec l’article 11 de la Convention, qui garantit la liberté de réunion et d’association, la Cour aétendu la liste aux moyens suivants : la distribution des tracts 3342 , les réunions et manifestations denature pacifique (ex. rassemblements en brandissant des banderoles et en distribuant des tracts 3343 ,ou immixtions dans la foule lors d'une cérémonie en brandissant des banderoles et en distribuant destracts 3344 ), mais aussi les manifestations de nature musclée (ex. blocage des passages des chasseurspour s'opposer à la chasse et blocage des terrains pour s'opposer à l'extension d'une autoroute 3345 ).Action et expression des associations. A propos de la condamnation d’une ONG pour descritiques exprimées sur le comportement des autorités locales en matière d’aménagement desespaces, la Cour a déclaré que l’expression de telles associations est essentielle pour les sociétésdémocratiques. Elles accomplissent un rôle similaire à celui de la presse tel que défini par sajurisprudence constante. Elles doivent alors, pour mener leurs tâches à bien, pouvoir divulguer desfaits de nature à intéresser le public, à leur donner une appréciation et contribuer ainsi à latransparence des activités des autorités publiques. Par conséquent, a-t-elle conclu à propos de lacondamnation de l’ONG en question, « en tant qu’organisation non gouvernementale spécialisée enla matière, la requérante a exercé son rôle de ‘chien de garde’ conféré par la loi sur la protection del’environnement 3346 ».Engagement actif à un parti politique et candidature aux élections. On déduit de l'arrêt Vogt 3347 ,portant sur la suspension d'un professeur de lycée, en Allemagne, pour avoir exprimé ses opinionspolitiques (communistes) en restant membre actif d'un parti politique et en se portant candidate auxélections, que ces formes d'engagement politique constituent des moyens d'expression. La Cour aexaminé la mesure litigieuse essentiellement sous l'angle de l'article 10. Par ailleurs, cette instanceconsidère l’article 3 du Protocole n o 1 relatif aux élections comme « une lex specialis » par rapport àl’article 10 3348 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083342 Ce grief fut soulevé à propos de la limitation du nombre des tracts distribués contre l'avortement en périodepréélectorale informant les électeurs des positions des candidats sur l'avortement. Motif de cette limitation : cespersonnes ne faisant pas partie de celles autorisées à engager à des fins de publication et d'autres formes decommunication en période préélectorale des dépenses dépassant cinq livres, CEDH, Bowman c. R.U.,n° 24839/94, 19 févr. 1998, Recueil 1998-I, § 42.3343 . Distribution des tracts devant un centre de conférence et usage des banderoles contre la vente d'armes,CEDH, Steel et autres c. R.U., préc.3344 Contre l'armée (en perturbant une cérémonie militaire, CEDH, Chorherr c. Autriche, préc., § 333345 Pour la Cour il s'agissait d'une forme d'expression d'opinion au sens de l'article 10, CEDH, Steel et autres c.R.U., préc., § 92.3346 CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 42.3347 CEDH, Vogt c. Allemagne, n° 17851/91, 26 sept. 1995, Série A n°323.3348 Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], 74025/01, CEDH 2005-X, § 89.


725Publicité. Elle fait partie des moyens d'expression quels que soient les modes d'expression (textesaccompagnés ou pas d'images), les supports techniques (presse écrite, radio, télévision, affichageetc.) et la nature du message 3349 , y compris les messages commerciaux 3350 .Enfin, il est certain qu'avec le progrès des moyens technologiques de communication, la listedes moyens d'expression protégés va s'élargir. Ainsi, il ne fait pas de doute, bien que la Cour n'ait paseu à se prononcer, que la protection de l'article 10 s'applique à l'internet et, en général, auxmultimédias.2. Nécessité démocratique stricteSi l'article 10 consacre la liberté d'expression, par excellence identifiée à la sociétédémocratique, c'est aussi lui qui comporte le champ le plus large des buts légitimant des restrictionsdans son exercice. Cette liberté peut être restreinte pour les raisons suivantes : la sécurité nationale,l'intégrité territoriale, la sûreté publique, la défense de l'ordre, la prévention du crime, la protectionde la santé, de la morale et de la réputation ou des droits d'autrui, l'empêchement de la divulgationd'informations confidentielles, et la garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire.Toutefois, la liberté d'expression étant trop précieuse pour la société démocratique, la Coureuropéenne a déclaré qu'elle entendait exercer un contrôle étendu sur son application par les droitsnationaux 3351 .Avant de déterminer le seuil de la nécessité démocratique, quelques remarques sont à faire àpropos de la prévisibilité légale des restrictions de la liberté d’expression. La jurisprudenceeuropéenne a rappelé les principes communs aux restrictions de tous les droits ou libertés consacréspar la Convention. Elles doivent avoir une base légale et accessible aux justiciables 3352 , êtreannoncées avec « assez de précision » 3353 et délimiter le pouvoir de réglementation dont disposent lesautorités compétentes en matière de restrictions 3354 . Mais elle a aussi apporté certaines précisions àpropos des restrictions de la liberté d’expression. Ainsi la Cour a jugé que les termes « contenurépréhensible » et « publication de provenance étrangère » sont assez vagues pour répondre aux<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083349 CEDH, Lehideux et Isorni c. France, n° 24662/94, 23 sept. 1998, Recueil 1998-VII. Voir Ch. JACQ, F.TEITGEN, « Affaires de presse », in M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY (dir.), Raisonner la raison d'Etat, pp. 89-120.(notamment pp. 105-109).3350 CEDH, VGT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, n° 24699/94, CEDH 2001-VI, § 69.3351 Voir à propos du contrôle européen exercé sur l'application de la liberté d'expression par les droitsnationaux, F. MASSIAS, Restrictions nécessaires dans une société démocratique et politique criminelle…,préc.3352 CEDH, VGT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, préc., § 52. Voir Amann c. Suisse [GC], n° 27798/95,CEDH 1999-II.3353 CEDH, VGT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, préc., § 55. Voir CEDH, Hertel c. Suisse, préc., § 35 ;CEDH, Malone c. R.U., préc., § 66 ; CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc., § 37.3354 CEDH, Vereinigung demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c. Autriche, n° 15153/89, 19 déc. 1994,Série A n°302, § 31.


exigences de prévisibilité légale. A moins que la loi qui prévoit de tels termes contienne desprécisions ou que l’autorité compétente pour en apprécier le contenu ait élaboré des règlespermettant de les cerner. Elle a, par exemple, jugé que l'interdiction de distribuer une revue dans lescasernes au motif que le contenu était répréhensible ne respectait pas les exigences de clarté de laloi 3355 ni de délimitation du pouvoir d’appréciation du ministre compétent. Ce dernier n'avait pasétabli des règles de procédure et des critères clairs et précis concernant les autorisations relatives àl’entrée des revues dans les casernes 3356 . Par ailleurs, l’interdiction prévue en droit français depublier des publications étrangères souffre des mêmes défauts. La loi qui la prévoit (en l’occurrencel'article 14 de la loi de 1881) donne compétence au ministre de l'Intérieur d'interdire, de manièregénérale et absolue sur l'ensemble du territoire français, la circulation, la distribution ou la mise envente de tout écrit rédigé en langue étrangère ou, même s'il est rédigé en français, considéré commede provenance étrangère 3357 .Quant au seuil de nécessité démocratique, la Cour veille, en effet, à ce qu’il soit assez élevé.Tout en soulignant que, selon l’article 10, « l’exercice de cette liberté est soumis à des formalités,conditions, restrictions et sanctions 3358 », elle a affirmé : ces conditions « appellent une interprétationétroite 3359 » ; « leur nécessité doit être établie de manière convaincante 3360 » ; elles doivent poursuivreun « besoin social impérieux 3361 », une « nécessité sociale pressante 3362 » ; et même les exigences desécurité et d'ordre les plus impératives, comme la lutte contre le terrorisme, ne peuvent justifier desdérogations à l'obligation des Etats de respecter cette liberté 3363 . En définitive, bien que les autoritésnationales disposent d’une marge d’appréciation dont l’ampleur varie suivant, notamment, la naturedes informations, elle n’est pas illimitée. La marge nationale d’appréciation « va de pair avec un<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3355 . « Publications qui propagent des idées négatives au sujet du service militaire ou dénigrant les forcesarmées autrichiennes », Ibid., § 63. Ni la loi sur le service national ni le règlement de service sur la procéduresuivie en vue d'autoriser une revue d'être diffusée dans les casernes n'énoncent de principes clairs, Ibid.3356 . « De plus le ministère fédéral de la Défense n'a manifestement pas adopté en pareil cas une procédure qui<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...pourrait effectivement limiter son pouvoir d'appréciation et servir de protection contre l'arbitraire », Ibid., § 65.3357 Cette loi est alors rédigée en termes très larges : elle ne précise pas la notion de « provenance étrangère » nin'indique les motifs pour lesquels une publication considérée comme étrangère peut être interdite, CEDH,Association Ekin c. France, préc., §§ 58-60.3358 CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 403359 . CEDH, Sunday Times c. R.U., préc., § 65, CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 40.3360 CEDH, Tammer c. Estonie, préc., § 59 ; CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc., § 44 ; CEDH, Lingens c.Autriche, préc., § 41 ; CEDH, Jersild c. Danemark, préc., § 37 ; CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie,préc., § 40 ; CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 36.3361 . R 17851/91 (Vogt/Allemagne), préc., § 72 ; R 19983/92 ( De Haes et Gijsels/Belgique), 29.11.95, § 64 ;Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008CEDH, Tammer c. Estonie, préc., § 60.3362 R 15890/89 (Jersild/Danemark), préc., § 30.3363 CEDH, Zana c. Turquie, n° 18954/91, 25 nov. 1997, Recueil 1997-VII, § 55; CEDH, Sürek et Özdemir c.Turquie, préc., §§ 7-64; CEDH, Sürek c. Turquie (n°4), n° 24762/94, CEDH 1999-VII, §§ 54-61 ; CEDH, Ayseöztürk c. Turquie, préc., § 80 ; CEDH, Erdogdu c. Turquie, n°25723/94, CEDH 2000-VI, §§ 60-73.726


contrôle européen exercé par la Cour, qui doit dire en dernier ressort si une restriction se concilieavec la liberté d’expression telle que la protège l’article 10 3364 ».727Eu égard à la jurisprudence de la Cour sur la détermination du seuil de nécessité démocratique, lecritère prépondérant dans la détermination de ce seuil est l'intérêt du débat (a). Plus l'intérêt du débatest général et important, plus le respect de la liberté d'expression l'emporte sur des considérationsopposées 3365 . Les autres critères applicables sont : le type du média d’expression (presse écrite ouautre) (b) ; le contexte (par exemple, conflit armé, terrorisme, taille du pays) (c), le style utilisé et lanature des propos (d) ; nature de l’ingérence (censure préventive, type de sanctions) (e) ; et lesobligations positives (f).a. L’intérêt du débatC’est la vie politique d’un côté, et la vie privée et la justice de l’autre, qui déterminentl’étendue de l’ampleur des restrictions nécessaires à la liberté d’expression.La vie politique étant au cœur du débat démocratique, c’est elle qui justifie la liberté d’expressionla plus large : « La Cour rappelle que l'article 10 §2 de la Convention ne laisse guère de place pourdes restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ou de questionsd'intérêt général... Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doiventse trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, maisaussi de l'opinion publique 3366 ». D’où une ampleur de la critique admissible large aussi bien àl'égard du gouvernement 3367 et de la politique officielle en général (on doit être libre d’exprimer unecritique virulente de la politique officielle et de présenter un point de vue partial, aussi désagréablesqu'ils puissent être 3368 , y compris sur des sujets qui divisent l’opinion 3369 ) que des questionspolitiques au sens large du terme 3370 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3364 CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 40 ; « Son rôle de surveillance commande à la Courde prêter une extrême attention aux principes propres à une société démocratique », CEDH, Handyside c R.U.,préc., § 49.3365 CEDH, Handyside c R.U., préc., §§ 48-49. Voir aussi R 15890/89 (Jersild/Danemark), préc., § 43; § 63.3366 CEDH, Sürek et Ösdemir c. Turquie, préc., § 60; CEDH, Ôztürk c. Turquie, préc., § 67 ; CEDH, LopezUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Gomes da silva c. Portugal, préc., § 30.3367 « Dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placéessous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi de l'opinion publique »,CEDH, Sürek et Ösdemir c. Turquie, préc., § 60.3368 Ibid., § 61.3369 CEDH, Ôztürk c. Turquie, préc., § 67.3370 « Il est fondamental, dans une société démocratique, de défendre le libre jeu du débat politique. La Couraccorde la plus haute importance à la liberté d'expression dans le contexte du débat politique et considère qu'onne saurait restreindre le discours politique sans raisons impérieuses. Y permettre de larges restrictions dans telou tel cas affecterait sans nul doute le respect de la liberté d'expression en général dans l'Etat concerné »,CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 40.


Il en va de même des hommes politiques 3371 . Ceux-ci sont plus exposés à la critique que lesparticuliers 3372 . Certes un homme politique a le droit de protéger sa réputation, « même en dehors ducadre de sa vie privée » ; mais « en s'exposant inévitablement et consciemment à un contrôle attentifde ses faits et gestes, tant par les journalistes que par la masse des citoyens, il doit montrer une plusgrande tolérance 3373 ». Et la Cour de préciser : « Dans ce domaine, l'invective politique débordesouvent sur le plan personnel : ce sont là les aléas du jeu politique et du libre débat d'idées, garantsd'une société démocratique 3374 ». Il va sans dire qu’accorder à certaines personnes politiques uneprotection quasi sans limite contre la critique de la presse viole incontestablement la libertéd’expression dans une société démocratique 3375 . En revanche, les hommes politiques jouissent d’uneprotection de la liberté d’expression plus grande qu’un simple individu. « Précieuse pour chacun, laliberté d'expression l'est tout particulièrement pour un élu du peuple ; il représente ses électeurs,signale leurs préoccupations et défend leurs intérêts ». Dès lors, la Cour entend y exercer « uncontrôle des plus stricts 3376 ».De même, concernant les fonctionnaires, la Cour a reconnu que les « limites de la critiqueadmissible à leur encontre étaient plus larges qu’à l’encontre de simples particuliers, même si l’on nepeut pas leur appliquer les mêmes critères qu’à l’égard des hommes politiques 3377 ».Et il peut en être ainsi des personnes publiques influentes telles que les principaux collaborateursdu Président d’un Etat 3378 , notamment lorsqu’elles sont impliquées dans une affaire d’un intérêtgénéral 3379 .3371 CEDH, Oberschlick (n°2) c. Autriche, n° 20834/92, 1 juill. 1997, Recueil 1997-IV, § 29 ; CEDH, Lingensc. Autriche, préc. ; CEDH, Lopez Gomes da silva c. Portugal, préc. ; CEDH, Tammer c. Estonie, préc., § 623372 « Quant aux limites de la critique admissible, elles sont plus larges à l'égard d'un homme politique, agissanten sa qualité de personnage public, que d'un simple particulier », CEDH, Oberschlick (n°2) c. Autriche, préc.,§ 29.3373 CEDH, Oberschlick (n°2) c. Autriche, préc., § 29 ; CEDH, Lingens c. Autriche, préc. ; CEDH, Lopez<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Gomes da silva c. Portugal, préc., § 30 ; CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 40.3374 CEDH, Lopez Gomes da silva c. Portugal, préc., § 34.3375 Telle que la protection accordée par le délit d'offense publique à chef d'Etat étranger par l'article 36 de laloi française du 29 juillet 188. Cette loi « tend à conférer aux chefs d'Etat un statut exorbitant du droit commun,les soustrayant à la critique seulement en raison de leur fonction ou statut, sans aucune prise en compte del'intérêt de la critique. La Cour considère que cela revient à conférer aux chefs d'Etat étrangers un privilègeexorbitant qui ne saurait se concilier avec la pratique et les conceptions politiques d'aujourd'hui », CEDH,Colombani et autres c. France, préc., § 68.3376 CEDH, Selim Sadak et autres c. Turquie, n os 25144/94, 26149/95 à 26154/95, 27100/95 et 27101/95,CEDH 2002-XI, § 34 (Des élus de l’opposition avaient été déchus de leur mandat parlementaire et sanctionnésdes peines de prison, suite à la dissolution de leur Parti par une décision de justice). Voir CEDH, Castells c.Espagne, n° 11798/85, 23 avril 1992, Série A n° 236, § 42.3377 CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 40. Voir CEDH, Oberschlick (n°2) c. Autriche, préc.,§ 29 ; CEDH, Janowski c. Pologne préc., § 33 ; CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 40.3378 Ainsi, à propos d’un collaborateur du Président de la République française, la Cour avait jugé que, « s'il nepeut être qualifié d'homme politique stricto sensu, il présente néanmoins toutes les caractéristiques d'unhomme public influent, évidemment impliqué dans la vie politique et ce, au plus haut niveau de l'exécutif »,CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 40.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008728


729Complétons encore à propos de la relation entre liberté d’expression et vie politique que,précieuse pour la démocratie en général, la liberté d’expression l’est d’abord pour la garantie desélections libres, qui est l’assise du régime démocratique. Les élections, a souligné la Cour, sont unedes « conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choix du corpslégislatif 3380 ». Cela implique, entre autres, d'assurer la libre circulation d'informations et d'opinionsde tout ordre, notamment en période préélectorale 3381 .La limite qu'émet cette instance européenne en la matière, au nom des devoirs et desresponsabilités des professionnels de l'information, est que les médias ne deviennent pas un supportde diffusion de discours de haine et d'incitation à la violence 3382 , ni d’incitation au soutien desterroristes 3383 .A l'opposé de la vie politique, se trouve la liberté d'expression concernant la vie privée et lajustice. La vie privée se trouve, par définition, aux antipodes de la vie publique : le régime juridiquede sa protection est dominé par les principes d'intimité et de secret. En témoignent des considérationsde la Cour précitées sur la justification d’une plus large liberté d’expression concernant la viepublique d’une personne en opposition avec sa vie privée ainsi que toute la jurisprudence relative àl’application de l’article 8 de la Convention qui protège la vie privée. La presse « ne doit pas franchircertaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d'autrui ainsi qu'à lanécessité d'empêcher la divulgation d'informations confidentielles 3384 ».Quant au domaine de la justice, bien qu’il relève des questions d’intérêt général 3385 , il justifiedes limitations larges de la liberté d'expression. Elles sont fondées sur l’importance de la confiancedes justiciables en son autorité, impartialité, équité et en sa bonne administration 3386 . La préservation<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3379 Comme il s’agissait dans l’affaire citée qui portait sur un système illégal d'écoutes et d'archivages visant denombreuses personnalités de la société civile, organisé au sommet de l'Etat, le public avait dès lors un intérêtlégitime à être informé et à s'informer sur ce procès, CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 41.3380 CEDH, Bowman c. R.U., préc., § 42.3381 Ibid.3382 CEDH, Sürek et Ösdemir c. Turquie, préc., § 62 ; CEDH, Ayse öztürk c. Turquie, préc., § 80.3383 Pour la Cour, dès lors que les rédacteurs en chef ou directeurs d’un journal ont en charge sa ligneéditoriale, ils ne sauraient s’exonérer de toute responsabilité quant à son contenu, CEDH, Falakaoglu et Saygilic. Turquie, n° 22147/02 et 24972/03, 2007-I, § 34.3384 CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 34.3385 « Les questions d'intérêt général sur lesquelles la presse a le droit, dans le respect de ses devoirs et de sesresponsabilités, de communiquer des informations et des idées comprennent celles concernant lefonctionnement du pouvoir judiciaire. Cependant, l'action des tribunaux, qui sont garants de la justice et dont lamission est fondamentale dans un État de droit, a besoin de la confiance du public. Aussi convient-il de laprotéger contre des attaques dénuées de fondement, alors surtout que le devoir de réserve interdit auxmagistrats de réagir », CEDH, Perna c. Italie, préc., § 38.3386 « L'action des tribunaux, qui sont garants de la justice et dont la mission est fondamentale dans un Etat dedroit, a besoin de la confiance du public. Aussi convient-il de la protéger contre des attaques dénuées defondement, alors surtout que le devoir de réserve interdit aux magistrats de réagir », CEDH, De Haes et Gijselsc. Belgique, préc., § 37.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


730de ces qualités peut justifier des restrictions à la fois de la nature des informations diffusées et de lacritique acceptable 3387 . Ainsi, le but de préserver l'autorité de la justice 3388 et la bonneadministration de la justice peut l'emporter sur la liberté de commenter une décision de justice 3389 oude commenter l'attitude des juges qui l'ont rendue 3390 , notamment lorsque les commentaires sontformulés par des hommes de la justice 3391 . Les juges comme les procureurs sont des fonctionnairesqui font partie du système judiciaire au sens large. Aussi est-il de l’intérêt général qu’ils bénéficientde la confiance des citoyens. Si, dans une société démocratique, les individus ont le droit de critiquerl’administration de la justice et les fonctionnaires qui y participent, leurs critiques doivent respectercertaines limites 3392 .Toutefois les tribunaux ne sont pas à l’abri des critiques et d’un examen rigoureux 3393 . Ainsi,il n’est pas interdit à un avocat de formuler des critiques envers, par exemple, l’attitude du parquetdans le cadre d’un procès lorsqu’il est l’adversaire de l’avocat de la défense et que les critiques nedébordent pas sur le plan personnel 3394 et même d’exprimer des propos méprisants à l’égard d’untribunal 3395 . De même, peuvent être justifiées des expressions utilisées par un journaliste pourcritiquer un procès en l’assimilant aux « procès de sorcières au Moyen Age » et propre à entretenir« une campagne venimeuse inspirée par la haine contre les homosexuels » 3396 . Concernant lescritiques des magistrats, la Cour a précisé que ces personnes ne doivent pas être exposées ellesmêmesà des critiques d’impartialité et d’indépendance, en militant par exemple au sein d’un partipolitique de manière ouverte, voire ostentatoire 3397 , ou en tenant, lors d’un procès, des propos3387 Voir Ch. JACQ, F. TEITGEN, « Affaires de presse », in Raisonner la raison d'Etat, pp. 89-120.(notamment pp. 113-120)3388 Dans la garantie de «l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire», les Etats doivent tenir compte durôle fondamental des tribunaux dans une société démocratique, CEDH, Schöpfer c. Suisse, n° 25405/94, 20 mai1998, Recueil 1998-III, § 29. Voir CEDH, Worm c. Autriche, préc., § 40.3389 A propos des accusations d'impartialité et de lâcheté à l’encontre des magistrats ayant accordé la garde d'unenfant à son père leur reprochant d’avoir été influencés par le statut social du père (notaire), CEDH, De Haes etGijsels c. Belgique, préc.3390 « L'action des tribunaux, qui sont garants de la justice et dont la mission est fondamentale dans un Etat de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>droit, a besoin de la confiance du public. Aussi convient-il de la protéger contre des attaques dénuées defondement, alors surtout que le devoir de réserve interdit aux magistrats de réagir », CEDH, De Haes et Gijselsc. Belgique, préc., § 37.3391 Affirmation faite à propos des avocats, CEEDH, Schöpfer c. Suisse, préc., §§ 32-34 ; et CEDH, Nikula c.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Finlande, n°31611/99, CEDH 2001-VII, §§ 47-56.3392 CEDH, Lesnik c. Slovaquie, n° 35640/97, CEDH 2003-III.3393 CEDH, Skalka c. Pologne, n° 43425/98, CEDH 2003-V.3394 CEDH, Nikula c. Finlande, préc., §§ 47-56.3395 CEDH, Amihalachioaie c.Moldova, n° 60115/00, CEDH 2004-IV.3396 CEDH, Kobenter et Standard Verlags GmbH c. Autriche, n°60899/00, CEDH 2006-XI.3397 CEDH, Perna c. Italie, préc., § 42. Et la Cour de préciser : « En militant dans un parti politique, quellequ'en soit l'orientation, un magistrat met en péril l'image d'impartialité et d'indépendance que la justice se doittoujours et invariablement de donne. Face au militantisme politique actif d'un magistrat, une protectioninconditionnelle de celui-ci contre des attaques de la presse ne se justifie guère par la nécessité de protéger laconfiance des citoyens dont le pouvoir judiciaire a besoin pour prospérer, alors que c'est justement pareilmilitantisme politique qui est susceptible de nuire à cette confiance. Par un tel comportement, un magistrats'expose inévitablement aux critiques de la presse, pour laquelle l'indépendance et l'impartialité de lamagistrature peuvent à bon droit constituer un souci majeur d'intérêt général », CEDH, Perna c. Italie, préc.,§ 41.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


731discriminatoires ou méprisants envers les homosexuels 3398 . Seulement ces critiques ne doivent pasporter sur la personne des magistrats en exprimant des jugements de valeur de manière à portergratuitement atteinte à leur réputation 3399 ou en exprimant des critiques sur des faits non étayés 3400 .Dans ces cas, la limitation à la liberté d’expression peut être justifiée à condition que, comme nousverrons plus loin, les sanctions prises ne soient pas disproportionnées.Les buts de préserver l’équité et l’impartialité de la justice peuvent égalemnt l'emporter surla liberté de publier des faits ou de commenter le déroulement d'une instruction ou d'un procès encours 3401 . La Cour a, dès 1992, fermement mis en garde la presse en cette matière : « Si l'ons'habitue au spectacle de pseudo-procès dans les médias, il peut en résulter à long terme desconséquences néfastes à la reconnaissance des tribunaux comme les organes qualifiés pour juger dela culpabilité ou de l'innocence quant à une accusation pénale 3402 ». Dans sa jurisprudence ultérieure,cette instance a pu fixer les limites dans ce domaine. La tâche de la presse englobe la rédaction decomptes-rendus et commentaires sur les procédures judiciaires et la publication des photos desaccusés. Ces moyens non seulement contribuent à faire connaître les procès en cours 3403 , maisparticipent aussi à la garantie de la publicité des procès exigée par l’article 6 §1 de la Convention 3404 .« Cependant, le commentaire admissible sur une procédure pénale ne peut pas englober desdéclarations qui risqueraient, intentionnellement ou non, de réduire les chances d'une personne debénéficier d'un procès équitable ou de saper la confiance du public dans le rôle tenu par les tribunauxdans l'administration de la justice 3405 ». Quant à la publication des photos, les circonstances del’espèce doivent être prises en considération et notamment les commentaires dont elles sontaccompagnées 3406 .Autres thèmes. Entre ces types de débats qui déterminent les deux extrémités de l'étendue dela liberté d'expression, se situent les débats sur des sujets suivants. Sujets sociaux. Il peut s’agir dessujets comme la santé 3407 , le racisme 3408 , les conflits sociaux 3409 , l’écologie 3410 , la vie des grandes<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3398 CEDH, Kobenter et Standard Verlags GmbH c. Autriche, préc.3399 CEDH, Saday c. Turquie, n° 32458/96, CEDH 2006-III ; CEDH, Skalka c. Pologne, préc.3400 Ainsi cette personne qui, n’étant pas parvenue à déclencher les poursuites pénales contre une autrepersonne, avait écrit au procureur en l’accusant d’avoir été payé pour ne pas poursuivre, CEDH, Lesnik c.Slovaquie, préc.3401 CEDH, Weber c. Suisse, n° 11034/84, 22 mai 1992, Série A n° 177, à propos du secret de l'instructionexaminé dans circonstances particulières de l'affaire : conférence de presse donnée par l’inculpé le jour où lerapport de l’instruction était terminé ; l'accusé était renvoyé en jugement ; de plus il n’y a pas eu divulgationd’informations qui n’étaient pas déjà connues du public.3402 CEDH, Worm c. Autriche, préc., § 54.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083403 CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 44.3404 CEDH, News Verlags GmbH & CoKG c. Auriche, n° 31457/96, CEDH 2000-I, § 56.3405 Ibid, § 56. CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 35.3406 CEDH, News Verlags GmbH & CoKG c. Auriche, préc., §§ 58-60.3407 CEDH, Hertel c. Suisse, préc.3408 CEDH, Jersild c. Danemark, préc.3409 CEDH, Fressoz et Roire c. France, préc.


entreprises 3411 , l’école 3412 . Sujets historiques. Leur traitement jouit d’une large liberté d’expression.Ainsi la réflexion sur les diverses causes possibles de l’extermination des Juifs en Europe constitueun débat d’intérêt général dans une société démocratique appelant alors une interprétation étroite desrestrictions y étant apportées 3413 . Même s’agissant des faits sensibles, comme des faits decollaboration avec l’ennemi pendant une occupation, la publication ne doit pas êtresystématiquement sanctionnée : « La recherche de la vérité historique fait partie intégrante de laliberté d’expression » 3414 . A ce propos, la Cour a déclaré qu’ « il ne lui revient pas d’arbitrer » unequestion historique de fond 3415 . Sujets religieux et moraux. Ces sujets justifient une large marged’appréciation nationale. Toutefois, le but de protéger les croyances et sentiments religieux pour êtrelégitime ne doit pas justifier la censure des propos ou des images pour peu qu'ils soient jugésoffensants 3416 . Ainsi, concernant la censure des œuvres artistiques, la Cour a estimé qu'il doit s'agirde propos ou d’œuvres « gravement offensants 3417 », « gratuitement offensants 3418 » ou« injurieux 3419 ». Sujets scientifiques. S'agissant de domaines où la certitude est improbable, il faut3410 Publication des extraits d'un rapport officiel sur la chasse aux phoques classé secret par le ministèrecompétent et poursuite pour diffamation des personnes citées dans le rapport en l’absence des faits vérifiés. LaCour a jugé que lorsque les faits rapportés s'appuient sur des rapports officiels (dont le contenu n'a pas étédémenti par les autorités), les journalistes n'ont pas obligation de mener des recherches de vérification. Apropos de la condamnation d’une association de protection de l’environnement à la suite de critiques envers unmaire pour avoir signé des décisions et attestations illégales, favorisant une construction illégale dans la zonedes dunes, la Cour a estimé que cette association avait exercé « son rôle de ‘chien de garde’ conféré par la loisur la protection de l’environnement », CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 42.3411 Des principes analogues s'appliquent également aux personnes ayant des fonctions sociales importantes, sil'on en juge d'après un arrêt de la Cour concernant la divulgation des avis d'imposition du P.-D.G. d'une grandeentreprise, CEDH, Fressoz et Roire c. France, préc.3412 A propos d’une critique de la part des parents d’élèves caractérisant « d’abus de pouvoir » la décision desenseignants aux écoles publiques de diminuer le nombre de voyages scolaires prévus pour l’année scolaire2001-2002 et d’en raccourcir la durée, en guise de protestation contre les réductions effectuées par legouvernement dans le budget de l’éducation 3412 . Pour la Cour, le vice-président de l’association des parentsd’élèves qui a exprimé ces propos n’a pas outrepassé les limites de la liberté d’expression, CEDH, Ferihumerc. Autriche, n°30547/03, CEDH 2007-II.3413 A propos de l’ article d’un journaliste, sociologue et historien, dans un quotidien au sujet de l’Encyclique<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>« Splendeur de la vérité » du Pape Jean-Paul II dans lequel il élaborait la thèse sur la portée du dogme chrétienet sur ses liens possibles avec les origines de l’Holocauste, CEDH, Giniewski c. France, n°64016/00, CEDH2006-I, § 51.3414 C'est en tout cas dans ce sens que la Cour a jugé dans l'affaire Lehideux et Isorni. Ces deux requérants ont<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...été poursuivis et sanctionnés pénalement en France pour apologie des crimes ou délits de collaboration (Ilss’étaient exprimés au nom d'une association de défense de la mémoire de Pétain, sur le rôle de Pétain durant ledeuxième guerre mondiale et ses rapports avec le III Reich, en donnant une version fortement controversée).Pour la Cour, vu que l'existence de cette association est légale en droit français, la sanction pénale constituaitune limitation disproportionnée. Elle a estimé que d'autres moyens de préservation de son but seraientsuffisants, comme les sanctions civiles. CEDH, Lehideux et Isorni c. France, préc., §§ 57-58.3415 Voir Chauvy et autres c. France, n° 64915/01, CEDH 2004-VI, § 69. Rappel de ce principe, à propos del’Holocauste, CEDH, Giniewski c. France, préc., § 51.3416 CEDH, Giniewski c. France, préc., §§ 52-53.3417 La limitation de la liberté d'expression ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique que sielle vise à «fournir une protection contre des attaques gravement offensantes concernant des questionsconsidérées comme sacrées par les chrétiens » a-t-elle déclaré à propos de la considération d'un film commeblasphématoire, CEDH, Wingrove c. R.U., n° 17419/90, 25 nov. 1996, Recueil 1996-V, § 57.3418 CEDH, Otto-Preminger-Institut c. Autriche, préc., § 49 ; CEDH, Giniewski c. France, préc., § 43.3419 Voir, a contrario, CEDH, .A. c. Turquie, n o 42571/98, CEDH 2005-IX, § 29.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008732


admettre l'expression des thèses même si elles semblent dénuées de fondement, notammentlorsqu'elles portent sur des sujets d'intérêt général et importants, comme la santé 3420 .733b. Type du médiaNotons aussi que la presse étant considérée comme le principal pourvoyeur d'information etde circulation d'éléments de débat public, elle jouit d’une protection accrue. « Lorsqu'il y va de lapresse, comme en l'espèce, le pouvoir d'appréciation national se heurte à l'intérêt de la sociétédémocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse 3421 ». Lorsque l'intérêt du débat estgrand, seules des « raisons particulièrement sérieuses 3422 » ou un « impératif prépondérant d'intérêtpublic 3423 » peuvent justifier des restrictions à la liberté du contenu.A l’opposé se trouve la publicité. Les Etats disposent d’une large marge d’appréciation nonseulement concernant la publicité des messages commerciaux, qui jouissent d'une protectionmoindre 3424 , mais aussi d’autres messages, comme les messages religieux. Pour autant, la publicitén’échappe pas au contrôle européen. Ainsi la Cour a jugé que les juridictions nationales ontoutrepassé leur marge d’appréciation en condamnant un journal qui diffusait une publicité comparantle prix d’abonnement avec l’abonnement à un autre journal sans, au moins, comparer les différencede la nature des deux journaux 3425 . Quant à la publicité religieuse, la Cour a souligné que « sil’article 10 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions au discours politique ou audébat sur des questions d’intérêt public 3426 », l’Etat jouit d’une ample marge d’appréciations’agissant des questions susceptibles d’offenser les convictions personnelles intimes dans la sphèrede la morale ou, spécialement, de la religion. Ainsi, elle a justifié l’interdiction de la diffusionradiophonique des messages religieux pour des raisons de préservation de principe de neutralité et de<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3420 Aussi, a-t-elle estimé à propos de la publication de l'information selon laquelle les micro-ondes auraientdes effets nocifs sur la santé (ce qui a valu à son auteur l’accusation pour concurrence déloyale), qu’il s’agissaitd’une information touchant un débat d'intérêt public, en l’occurrence la santé, et qu'elle était fondée sur desrecherches menées par son auteur : «... Peu importe que l’opinion dont il s'agit est minoritaire et qu'elle peutsembler dénuée de fondement : dans un domaine où la certitude est improbable, il serait particulièrement<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...excessif de limiter la liberté d'expression à l'exposé des seules idées généralement admises », CEDH, Hertel c.Suisse, préc., § 503421 CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 36.3422 A propos de sanctions d'un journaliste pour des propos des tiers exprimés lors des reportages d'actualitécomme sur le racisme (poursuivi pour complicité à la propagation des idées et opinions racistes), CEDH,Thoma c. Luxembourg, préc., § 62. Voir aussi CEDH, Jersild c. Danemark, préc., § 35.3423 Ainsi à propos des informations sur des problèmes d'emploi et de rémunération, CEDH, Fressoz et Roire c.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008France, préc., § 20.3424 « Pareille marge d’appréciation est particulièrement indispensable en matière commerciale, spécialementdans un domaine aussi complexe et fluctuant que la publicité », CEDH, VGT Verein Gegen Tierfabriken c.Suisse, préc., § 69. Voir CEDH, Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, n° 10572/83, 20novembre 1989, Série A n° 165, § 33 ; CEDH, Jacubowski c. Allemagne, n° 15088/89, 23 juin 1994, Série An° 291-A, § 26.3425 CEDH, Krone Verlag GmbH & Co. KG c. Autriche (n o 3), nº 39069/97, CEDH 2003-XII.3426 CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 40.


734partialité dans le traitement de différentes religions 3427 . En revanche, s’agissant de la publicité àcaractère politique, la marge des Etats se réduit. Ce type de message participe à des débats touchantà l’intérêt général 3428 .c. Le contexteLe contexte joue un rôle plus ou moins déterminant. Ainsi la taille d’un pays, la lutte contrele terrorisme ou la préservation d’une institution spécifique, comme la caserne et l’armée, peuventêtre pris en compte dans l’appréciation de la nécessité des restrictions. L’anonymat d’une personneest plus difficilement préservé dans un petit pays, lorsque par exemple on parle d’un hautfonctionnaire ayant agi dans le cadre de ses fonctions, même sans citer son nom 3429 . Quant à la luttecontre le terrorisme, elle justifie des restrictions de la liberté d’expression et de communication desinformations y compris de la presse : « Le droit de communiquer des informations ne pouvant servird’alibi ou de prétexte à la diffusion de déclarations de groupements terroristes 3430 ». Pour ce qui estde la caserne et de l’armée, la liberté d'expression corrélative présente un intérêt à part dans le cadrede notre étude. La Cour ayant souvent fait des rapprochements entre la caserne et la prison, sajurisprudence relative à la caserne permet d'entrevoir certaines spécificités qui peuvent égalementrégir l'application de cette liberté au sein de la prison. Le point qui mérite d'être mis en exergue est sadéclaration solennelle : « L'article 10 ne s'arrête pas aux portes de la caserne. Il vaut pour lesmilitaires comme pour l'ensemble des personnes 3431 . » Mais une fois ce principe énoncé, cetteinstance tient compte, lors de l'examen de son application effective, des particularités de la casernenotamment la spécificité de son ordre, un ordre disciplinaire comme l'a souligné la Commission 3432 ,et de sa mission, la défense militaire : « La défense militaire effective requiert le maintien d'unniveau approprié de discipline au sein des forces armées 3433 », qui ne se conçoit guère sans règlesjuridiques destinées à empêcher de saper la discipline 3434 . Aussi, « l'état doit-il pouvoir imposer des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3427 A propos du refus d’une station radiophonique de diffuser une annonce concernant la projection d’unevidéo traitant d’un thème religieux préparé par le « Irish Faith Centre », CEDH, Murphy c. Irlande,n°44179/98, CEDH, 2003-VII.3428 Il s’agissait en l’occurrence d’un spot télévisé d’une association militant pour la protection des animaux,CEDH, VGT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, préc., § 1.3429 CEDH, Thoma c. Luxembourg, préc.3430 Pour la Cour, les rédacteurs en chef ou directeurs d’un journal, en charge de la ligne éditoriale, peuvent êtreresponsables du contenu, CEDH, Falakaoglu et Saygili c. Turquie, préc., § 34.3431 CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc., § 45 ; CEDH, Vereinigung demokratischer Soldaten Österreichs etUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Gubi c. Autriche, préc., § 36.3432 . « La Commission rappelle que le terme ‘ordre’ tel qu'il figure à l'article 10 § 2, ne désigne pas seulement‘l'ordre public’ au sens des articles 6 § 1 et 9 § 2 de la Convention et de l'article 2 § 3 du Protocole n°4 ; il viseaussi l'ordre devant régner à l'intérieur d'un groupe social particulier tel que les forces armées », R 15153/89(Vereinigung Demokratischer Soldaten Ödterreichs et Berthold Gubi/Autriche), préc. ; R 24348/94 (Grigoriadis/Grèce), 25.6.96.3433 CEDH, Grigoriades c.Grèce, préc., §41.3434 CEDH, Vereinigung demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c. Autriche, préc., § 36 ; CEDH,Grigoriades c. Grèce, préc., § 45.


estrictions à la liberté d'expression là où existe une menace réelle pour la discipline militaire 3435 », a-t-elle affirmé. Il ne peut cependant pas se soustraire à l'obligation de respecter cette liberté égalementà la caserne : « L'armée d'un Etat démocratique, pas plus que la société qu'elle sert, ne saurait fairel'économie des débats d'idées 3436 ». Les autorités nationales ne peuvent toutefois pas s'appuyer sur detelles règles (spécifiques à l'armée) pour faire obstacle à « l'expression d'opinions, quand bien mêmeelles seraient dirigées contre l'armée en tant qu'institution 3437 ». Saisie de l'interdiction de diffuserdans les casernes une revue spécialisée sur les questions de l'armée (la revue « Igel », en Autriche),elle a simplement cerné les limites à ne pas dépasser par la presse dans la critique de l'armée. Elle aestimé que les limites de tels débats ne sont pas franchies tant que la presse ne conteste pas l'« utilitéde l'armée », et n'incite pas les militaires à l'« inobéissance » ou à la « violence » 3438 . Lajurisprudence Grigoriadis (1997) a précisé que les propos ne doivent pas être « insultants » ; enrevanche, doivent être tolérées des expressions considérées comme « virulentes », voire« outrancières » 3439 .d. Style utilisé et nature des proposQuant au style, la protection de la liberté d'expression peut exiger de tolérer le recours à destermes « exagérés » ou « provocants » 3440 , voire « virulents » ou encore « outranciers » 3441 .Les éclaircissements apportés par la Cour sur la véracité et l'exactitude des faits, et sur lesopinions et jugements de valeur sont également capitaux pour la protection de la liberté d'expression.La Cour estime qu'il faut distinguer avec soin, d'une part les faits, et d'autre part, les opinions etjugements de valeur. « Si la matérialité des premiers peut être prouvée, les seconds ne se prêtent pasà une démonstration de leur exactitude 3442 » ; « l'opinion, par définition, ne se prête pas à une<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3435 CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc., § 45.3436 CEDH, Vereinigung demokratischer Soldaten österreichs et Gubi c. Autriche, préc., § 38.3437 CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc.,§ 45.3438 « Aucun des numéros de l'Igel ne prône le refus d’obéissance ou la violence, ni même ne conteste l'utilitéde l'armée. La plupart, il est vrai contiennent des doléances, proposent des reformes ou incitent à intenter desprocédures légales de réclamation ou de recours. Il n'apparaît pas toutefois qu'en dépit de leur ton souventpolémique, ils aient franchi les limites d'un simple débat d'idées dont l'armée d'un Etat démocratique, pas plusque la société qu'elle sert, ne saurait faire l'économie », CEDH, Vereinigung demokratischer Soldatenösterreichs et Gubi c. Autriche, préc., § 38.3439 CEDH, Grigoriades c.Grèce, préc., § 47.3440 « La liberté journalistique comprend le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire même deprovocation », CEDH, De Haes et Gijsels c. Belgique, préc., § 46. Voir CEDH, Prageret Oberschlick c.Autriche, préc, § 38.3441 CEDH, Grigoriades c. Grèce, préc., § 47.3442 A propos de l'accusation contre des journalistes de ne pas fonder les opinions avancées sur deux juges, àsavoir que ceux-ci auraient de la sympathie pour l'extrême droite et auraient manqué à leur devoird’impartialité, CEDH, De Haes et Gijsels c. Belgique, préc., § 42 ; CEDH, Perna c. Italie, préc., § 38 ; CEDH,Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 40 ; CEDH, Ferihumer c. Autriche, préc., § 24. En revanche,concernant les faits, est intéressante de rappeler cette précision de la Cour : lorsque les faits rapportéss'appuient sur des rapports officiels (dont le contenu n'a pas été démenti par les autorités), les journalistes n'ont<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008735


736démonstration de véracité 3443 ». Cette instance n'en pose pas moins certaines limites à respecter. Il nedoit pas s'agir, a-t-elle précisé à propos des opinions et jugements de valeur, d'une « attaquepersonnelle gratuite ou excessive 3444 » et « il convient d’établir une nette distinction entre lescritiques et les insultes 3445 ». La critique doit être provoquée par le comportement et les proposexprimés en public par la personne concernée et doit être à la hauteur de ceux-ci. Effectivement, c'esten tenant compte de ces éléments qu'elle a, par exemple, jugé à propos des termes « immoral » et« dépourvu de dignité » 3446 ou « imbécile » 3447 , utilisés par des journalistes à l'égard de certainshommes politiques qu'ils n'étaient ni injustifiés ni excessifs. En revanche, les expressions « clownirresponsable » et « crétin », employés par un condamné à l’encontre d’un magistrat, fût-ce dans unelettre adressée à un autre magistrat, ont été jugés abusifs, même si, comme nous allons le voir, ils nedevraient pas justifier des sanctions pénales lourdes 3448 .e. Type d’ingérenceLa Cour accorde également de l’importance à la nature de l’ingérence. Ainsi, la censurepréventive et les sanctions pénales sont jugées comme des entraves parmi les plus graves à la libertéd’expression.La censure préventive, bien que considérée comme une restriction d’un « grand danger », neserait pas, d’après la Cour, interdite de manière absolue par la Convention 3449 . Elle nécessiteseulement l’examen le plus scrupuleux : « De telles restrictions présentent pourtant de si grandsdangers qu'elles appellent de la part de la Cour l'examen le plus scrupuleux 3450 ». Ces considérationssont valables pour la presse - « L'information est un bien périssable et en retarder la publication,même pour une brève période, risque fort de la priver de toute valeur et de tout intérêt » - mais aussipour la publication de livres ou d'écrits autres que ceux de la presse périodique 3451 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>pas obligation de mener des recherches de vérification, CEDH, Bladet Tromso et Stensaas c. Norvège,n° 21980/93, CEDH 1999-V ; CEDH, Vides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, préc., § 42.3443 CEDH, De Haes et Gijsels c. Belgique, préc., § 47 ; CEDH, Oberschlick (n°2) c. Autriche, préc., § 333444 CEDH, Oberschlick (n°2) c. Autriche, préc., § 33.3445 CEDH, Saday c. Turquie, préc.3446 CEDH, Lingens c. Autriche, préc.3447 Le terme «imbécile» utilisé par un journaliste pour traiter les propos prononcés dans un discours d'unhomme politique, celui-ci avait été condamné pour injure. Dans ce discours, cet homme politique avait soutenuque tous les soldats ayant servi pendant la seconde guerre mondiale ont combattu pour la paix et la liberté etont contribué à fonder et édifier la société démocratique d'aujourd'hui et que seuls ces soldats ayant risqué leurvie peuvent réclamer de bénéficier de la liberté d'opinion., CEDH, Oberschlick (n°2) c. Autriche, préc., § 31.3448 CEDH, Skalka c. Pologne, préc.3449 CEDH, Observer et Guardian c. R.U, n°13585/88, 26 nov. 1991, Série A n° 216. « L'article 10 n'interditpas en tant que telle toute restriction préalable à la publication. En témoignent les termes ‘conditions’,‘restrictions’, ‘empêcher’ et ‘prévention’ qui y figurent », Voir aussi : CEDH, Sunday Times c. R.U., préc. ;CEDH, Markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagn, préc., CEDH, Association Ekin c. France,préc., § 56-57.3450 CEDH, Association Ekin c. France, préc.3451 Ibid., §§ 56-57.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


737Le type de sanctions. Dans l’appréciation de la proportionnalité de l’ingérence et de sanécessité démocratique, la Cour tient également compte de la nature et de la lourdeur dessanctions 3452 . Seules peuvent être justifiées des « sanctions appropriées ». Partant du principe quemême les condamnations à une amende et/ou à des dommages et intérêts, quand bien même ilsseraient modérés, risquent d’avoir un effet dissuasif sur l'exercice de cette liberté 3453 . « La Courrappelle que la position dominante occupée par les autorités de l'Etat leur commande de témoigner dela retenue dans l'usage de la voie pénale 3454 » Celle-ci n’est pas interdite, mais il faut privilégier lessanctions civiles qui sont plus conformes à l'esprit de la société démocratique 3455 . Ainsi, si despropos tenus à l’encontre des magistrats, à l’audience ou non, peuvent justifier des sanctions, ycompris pénales, celles d’emprisonnement de six mois 3456 ou de huit mois 3457 ont été jugés par laCour excessives.f. Obligations positivesEnfin, la Cour estime que la protection efficace de la liberté d’expression crée à l’égard desEtats des obligations positives. Cette exigence découle de l’importance cruciale de la libertéd’expression dans la société démocratique 3458 . Ces obligations impliquent, par exemple, l’obligationd’intervenir dans le cadre des violences, des meurtres et des menaces de la part d’inconnus visant àempêcher la parution et la distribution d’un journal. Dans ce cas, il incombe à l’Etat de mener uneenquête effective et d’assurer une protection efficace des personnes concernées 3459 . Mais ellespeuvent aussi impliquer l’obligation d’intervenir dans des relations privées comme dans le cadred’un licenciement, pour des propos tenus par l’employé dans un article publié dans un quotidien 3460 ,3452 CEDH, Sürek c. Turquie, (n° 1), n° 26682/95 CEDH 199-VII, § 64 ; CEDH, Paturel c. France, n o54968/00, CEDH 2005-XII, § 47.3453 CEDH, Dupuis et autres c. France, préc., § 48.3454 CEDH, Incal c. Turquie, n° 22678/93, 9 juin 1998, Recueil 1998-IV, § 54 ; CEDH, Sürek et Özdemir c.Turquie, préc., § 60, CEDH, Özgür Gündem c. Turquie, préc., § 60.3455 CEDH, Lehideux et Isorni c. France, préc., § 57, § 58.3456 Ainsi, dans le cadre de la condamnation pour outrage à magistrat d’un accusé ayant lui-même assuré sadéfense pour des propos tenus dans sa plaidoirie, cette instance, tout en estimant que cette condamnationpoursuivait le but légitime tenant à « garantir l’autorité du pouvoir judiciaire », a considéré comme nonnécessaire dans une société démocratique une ingérence consistant à la condamnation à six moisd’emprisonnement dont deux à purger en isolement cellulaire, CEDH, Saday c. Turquie, préc.3457 Alors qu’il purgeait une peine de prison, le requérant écrivit au président du tribunal régional pour seplaindre d’un juge qui avait répondu à une lettre écrite par lui antérieurement. Le requérant utilisait desexpressions telles que « clown irresponsable » et « crétin ». Il fut condamné à huit mois d’emprisonnement,CEDH, Skalka c. Pologne, préc.3458 « La Cour rappelle l'importance cruciale de la liberté d'expression, qui constitue l'une des conditionspréalables au bon fonctionnement de la démocratie. L'exercice réel et efficace de cette liberté ne dépend passimplement du devoir de l'Etat de s'abstenir de toute ingérence, mais peut exiger des mesures positives deprotection jusque dans les relations des individus entre eux », CEDH, Özgür Gündem c. Turquie, préc., § 43,CEDH, Fuentes Bobo c. Espagne, n°39293/98, CEDH 2000-II, § 38.3459 CEDH, Özgür Gündem c. Turquie, préc., § 43.3460 CEDH, Fuentes Bobo c. Espagne, préc.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


et certes l’obligation de légiférer dans un domaine donné tel que l’octroi des autorisations pourdiffuser une publicité à la télévision 3461 .738B. L’application critique dans la prisonEn son état actuel, la jurisprudence européenne ne permet pas de cerner toutes les exigencesde la Convention dans l'application de la liberté d'expression aux détenus. Composée essentiellementdes décisions de la Commission, elle est de surcroît limitée à la publication des écrits et aux contactsavec des journalistes. Elle permet toutefois d'observer un écart significatif par rapport à l'applicationgénérale de cette liberté. Un écart qui était synonyme d'une application inefficace de cette libertédans la prison au sein de la jurisprudence initiale de la Commission, et qui demeure critique pour lasociété démocratique.C'est en minimisant l'importance du droit à la liberté d'expression pour les détenus et enmaximisant celle des motifs opposés par les autorités pénitentiaires, que la Commission justifiaitdans ses premières décisions l'interdiction totale des détenus de publier leurs écrits : « Lescommunications adressées par les prisonniers à la presse ne peuvent en aucune façon êtreconsidérées comme présentant une importance telle qu'elles ne devraient pas rentrer dans la catégoriedes exceptions prévues par l'article 10 §2, si les autorités élevaient des objections à l'encontre detelles communications 3462 ». La seule invocation de ces objections suffisait pour justifier toutes lesrestrictions sans entrer dans l'appréciation de leur nécessité dans une société démocratique. Ainsi,c'est en mettant en avant le travail supplémentaire que cela représenterait pour le personnelpénitentiaire et les difficultés pratiques d’exercer un contrôle sur tout le matériel qui peut être envoyéà l'extérieur par les prisonniers en vue d'une publication, que la Commission avait justifié le refusd'autoriser un détenu à publier ses écrits 3463 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Mais le respect de la liberté d’expression des détenus demeure toujours critique. Plus qu'unsimple écart aux principes qui doivent régir son application dans une société démocratique, nous yobservons une véritable dérogation. Rappelons que ce qui caractérise l'application de cette liberté est,d'abord, l'absence de censure préventive. A part l'expression cinématographique, une telle censure est<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008exceptionnelle dans les autres domaines d'expression. La Cour a confirmé ce principe en déclarantqu'elle présente un « grave danger », appelant la « vigilance la plus scrupuleuse » 3464 . Rappelons,ensuite, la sévérité de la Cour dans la détermination de la nécessité de censurer l'expression a priori3461 CEDH, VGT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, préc., § 45.3462 . D 1753/63 (X/Autriche), 15.2.65, Ann. 1965, p. 175.3463 . D 5442/72 (X/R.U), 20.12.1974, DR. 1, p.41.3464 Une telle restriction présente de si graves dangers qu'elles appellent de la part de la Cour l’examen le plusscrupuleux. Il en va spécialement ainsi dans le cas de la presse : l’information est un bien périssable et enretarder la publication, même pour une brève période, risque fort de la priver de toute valeur et de toutintérêt », CEDH, Observer et Guardian c. R.U, précité, § 60. Voir aussi Ôztürk c. Turquie, préc., § 67.


739ou a posteriori. Sévérité reflétée par cette déclaration constamment réitérée dans ses arrêts : « Laliberté d'expression... "vaut non seulement pour les informations ou des idées accueillies avec faveurou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ouinquiètent l'Etat ou une fraction quelconque de la population" ; ainsi le veulent le "pluralisme", la"tolérance" et l'"esprit d'ouverture" sans lesquels il n'est pas de "société démocratique" 3465 ».Rappelons encore que c'est dans ce même esprit que le Comité des Ministres du Conseil de l'Europes'exprimait à propos de la garantie de la liberté d'expression artistique à l'égard des détenus : « Ilimporte que la liberté d'expression maximale soit accordée aux détenus, qui va jusqu'à permettrel'expression des sentiments hostiles et négatifs. Autrement, les détenus peuvent soupçonner lespossibilités qui leur sont offertes d'être destinées à les manipuler 3466 . »Certes le principe que la Commission a fini par consacrer en matière d'ingérences dans laliberté d'expression des détenus était que les autorités prouvent leur nécessité : « Toutes lesingérences - formalités, conditions, restrictions ou sanctions - enfreignent l'article 10 de laConvention lorsqu'elles ne constituent pas des mesures nécessaires au sens de l'article 10 3467 ».Toutefois, force est de constater que les restrictions admises sont inconcevables à l'extérieur. Lesseuls aspects justifiés par la jurisprudence comme incompatibles avec l’article 10 de la Conventionsont la privation du matériel de base permettant d’exprimer ses idées, comme l’interdiction dedisposer du papier, jugée par la Commission injustifiée quelles que soient les raisons invoquées 3468 ,la privation totale de publier des écrits, y compris de contenu scientifique 3469 , et la privation totalede s’entretenir avec des médias 3470 , ou encore l’impossibilité de taper à la machine et de sculpter 3471 .Pour le reste, ce qui caractérise la garantie actuelle de la liberté d’expression de la part desdétenus est d’abord qu’elle obéit à un principe inverse par rapport à l’extérieur. L’exercice par lesdétenus de la liberté d’expression est soumis à l’autorisation préalable et à la censure préalable. Cequi est l’exception dehors devient la règle dans la prison. Ces ingérences sont analysées comme uncontrôle normal de la liberté d'expression. Saisie du grief d'un détenu selon lequel l'éventualité queses écrits destinés à la publication soient préalablement contrôlés affectait sa liberté d'expression, laCommission avait déclaré : « Dans un environnement carcéral, le degré restreint de contrôle que<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083465 . CEDH, Handyside c R.U., préc., § 49 ; CEDH, Ôztürk c. Turquie, préc., § 67.3466 Conseil de l'Europe, Recommandation R(89)12, Education en prison, Comité des Ministres, 13 octobre1989, p.56.3467 « Toutes les ingérences - formalités, conditions, restrictions ou sanctions - enfreignent l'article 10 de laConvention lorsqu'elles ne constituent pas des mesures nécessaires au sens de l'article 10 », R 8231/78,(T/R.U), préc.3468.En l’occurrence, la crainte d'un usage abusif et d'un usage dangereux : le papier pourrait servir àtransmettre des messages clandestins ou à allumer des feux, R 8231/78, (T/R.U), préc.3469 . « Rien n'indique que l'interdiction totale d'expédier les écrits en question... était "nécessaire" au sens del'article 10 §2 de la Convention- autrement dit qu'elle a été proportionnée et justifiée par un besoin spécialpressant », Ibid.3470 CEDH, Sotiropoulou c. Grèce (déc.), n° 40225/02, CEDH 2007-I.3471 CEDH, Boyle et Rice c. R.U, préc.


740l'examen éventuel de ses écrits a représenté pour le requérant était une condition de l'exercice de saliberté d'expression nécessaire dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la défense del'ordre, à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, et à la protection desdroits d'autrui 3472 ».Cette instance a ultérieurement confirmé la nécessité d'un tel contrôle en même temps qu'ellel'a élargi à l'expression par les médias audiovisuels 3473 . Elle a, en effet, rejeté la requête d'un détenuqui alléguait la violation de l'article 10 de la Convention pour avoir été interdit de participer en direct(par téléphone) à une émission radiophonique. Motif principal du rejet : le contrôle de l'expressiondes détenus étant en général normal, la privation de ceux-ci de s'exprimer en direct par ce média estpleinement justifiée car ce mode d'expression empêche l'exercice d'un contrôle efficace des proposdes détenus.La Cour, dans l’affaire Sotiroupulou, 2007, est venue confirmer la condamnation del’interdiction totale des détenus de s’exprimer par les médias, y compris pour dénoncer les conditionsde détention et critiquer le fonctionnement de la prison et les fonctionnaires. En revanche, elle acontinué à justifier le contrôle préalable. On pourrait toutefois y voir une avancée dès lors qu’elle n’apas fondé la légitimité de ce contrôle sur les besoins de la détention en général, mais sur la situationconcrète de la personne en cause. Celle-ci était accusée d’appartenir au plus grand groupe terroristequi agissait en Grèce depuis la fin de la dictature, le « 17 novembre », et l’instruction de cette affaireétait en cours. C’est sur ces deux motifs que la Cour s’est appuyée pour justifier à la fois lasoumission de l’expression de ces personnes à une autorisation préalable et la sanction infligée suiteà la violation de cette condition. La requérante avait donné une interview à un journaliste par un destéléphones qui se trouvent en accès libre dans toutes les prisons grecques. Cette interview, danslaquelle elle critiquait ses conditions de détention, avait été diffusée sur une chaîne de télévision etdans une revue. Cela lui a valu la sanction d’isolement dans sa cellule 3474 . La Cour a estimé qu’ilétait raisonnable de la part des autorités d’imposer des restrictions plus sévères à son droit decommunication, pour empêcher tout contact éventuel par le biais de tierces personnes avec d’autresmembres présumés du groupe terroriste ou la divulgation d’informations sur ses conditions dedétention. Cette éventualité aurait pu nuire au bon déroulement de l’instruction en cours et mettre en<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008danger la sécurité de la requérante ou d’autres détenus. Par ailleurs, la sanction de cinq joursd’isolement dans sa cellule était, en l’espèce « proportionnée aux buts légitimes poursuivis ».Une autre particularité qui caractérise l’exercice de la liberté d’expression des détenus est laconfusion de son approche avec le droit à la correspondance. En effet, celui-ci étant quasiment le3472 . R 8231/78, (T/R.U), préc.3473 D 33742/96 11.9.1997.3474 CEDH, Sotiropoulou c. Grèce (déc.), préc.


741seul moyen de communication dont disposent les détenus, le droit de correspondance et laliberté d’expression se confondent. Ce qui joue tantôt en faveur de cette dernière, évitantl’interception de la lettre, tantôt en sa défaveur justifiant la censure préventive.Ainsi dans deux affaires, l’affaire Silver et autres 3475 , et l’affaire Boyle et Rice, la Cour acondamné l’interception des lettres adressées par des détenus, dans la première à un réalisateur d'uneémission concernant le crime pour lequel le requérant avait été condamné 3476 , et dans la seconde, àune personnalité des mass médias. Elle a estimé que le caractère privé de la correspondance prévautsur son contenu et sur la qualité du destinataire. C’était alors à tort que ces lettres étaient tombéessous l'interdiction des détenus (prévue en droit écossais) de communiquer des éléments destinés àune publication ou à une diffusion à la radio ou à la télévision 3477 . On ne peut que regretter que laCour n'ait pas saisi ces deux occasions pour énoncer les principes qui doivent régir l'exercice par lesdétenus du droit à la liberté d'expression, droit bien distinct du droit au respect de la correspondance.En revanche, dans deux autres affaires, cette confusion a justifié la censure des écrits. Ainsi,alors qu’un détenu avait critiqué un magistrat en le qualifiant de « clown irresponsable » et de« crétin » dans une lettre envoyée à un autre magistrat, il a été sanctionné, par l’emprisonnement dehuit mois, pour avoir franchi les limites de la liberté d’expression et porté atteinte à la réputation dumagistrat en question. Pourtant la lettre n’était pas destinée à être diffusée publiquement. Seule lagravité de la sanction avait été sanctionnée par la Cour en la considérant comme disproportionnée etdonc non nécessaire dans une société démocratique 3478 .C’est lorsque l’ingérence a dépassé la censure et pris la forme de saisie préventive d’un écritqui, de surcroît, n’était pas destiné à être diffusé ni auprès des détenus ni auprès du grand public, quela Cour a estimé qu’il pourrait s’agir d’une ingérence excessive. Mais dans le cas d’espèce, il avaitbeaucoup compté dans le raisonnement de la Cour la nature de la seconde ingérence : la sanction desept jours d’isolement cellulaire accompagnée d’une sanction humiliante, celle du rasage de force ducrâne. En l’occurrence, dès lors que le document litigieux, un texte dactylographié à l’attention del’avocat du détenu, comportait des critiques du système judiciaire et pénitentiaire et de certainsfonctionnaires, mais qui n’étaient ni insultantes ni destinées à être diffusées, la Cour a estimé que cesingérences ont violé l’article 10 de la Convention 3479 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083475 . CEDH, Silver et autres c. R.U., préc., § 91.3476 Interception conforme au droit anglais qui prévoyait l'interdiction totale pour les détenus de communiquerdes éléments destinés à une publication ou à une diffusion à la radio ou à la télévision.3477 . CEDH, Boyle et Rice, préc., § 50.3478 CEDH, Skalka c. Pologne, préc.3479 CEDH, Yankov c. Bulgarie, in Note d’information n°59, sur la jurisprudence de la Cour, décembre 2003,Conseil de l’Europe.


742De manière générale, dans l’appréciation du respect de la liberté d’expression des détenus par lesdroits nationaux, doit être pris en compte l’ensemble des moyens d’expression auxquels ont accès lesdétenus. Ce qui est sanctionné par la jurisprudence européenne, c’est l’impossibilité totale de cespersonnes de pouvoir s’exprimer par écrit et par les mass médias. En revanche, elle justifie lalimitation à la fois des moyens et du contenu, y compris la censure préventive qui devient la règle. Ilest pourtant intéressant de noter à ce propos que les Règles pénitentiaires européennes, lors de leurrévision en 2006, recommandent que les détenus soient autorisés à communiquer avec les médias etque l’accès ne soit limité que par « des raisons impératives » (Règles 24-12) 3480 .§ 2. L’application nationaleQue le droit à la liberté d'expression soit fondamental pour le fonctionnement démocratiqued'une société, voire consubstantiel, l'histoire des droits français et grec en témoigne également. Endroit français, la liberté d'expression avait été énoncée par la Déclaration des Droits de l'Homme de1789 comme « un des droits les plus précieux 3481 ». Le « projet de Constitution » pour la Grècelibérée de l'occupation turque prévoyait de garantir la « liberté illimitée » de la presse 3482 . Mais seulela censure préventive de la presse et de tout autre moyen d'expression fut interdite en termes absolusdans le texte final de la première Constitution grecque, dite Constitution de Troizine, votée le 1 er mai1827.Concernant la garantie actuellement assurée au sein de ces deux droits nationaux, encomparaison avec celle assurée à l’extérieur (A), celle concernant les détenus est quasimentnulle (B).A. Le cadre de la protection générale<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>La liberté d’expression constitue toujours une valeur fondamentale aussi bien au sein dudroit grec que du droit français. La Constitution grecque actuelle (1975/1986/2001) fait à la libertéd'expression une large place. Elle lui consacre trois articles qui garantissent l'expression par laparole, l'écrit et la presse (art. 14) 3483 , par les moyens audiovisuels (art. 15) et par l'art (art. 16). En<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083480 « Les détenus doivent être autorisés à communiquer avec les médias, à moins que des raisons impérativesne s’y opposent au nom de la sécurité et de la sûreté, de l’intérêt public ou de la protection des victimes, desautres détenus et du personnel ».3481. « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme; toutcitoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les casdéterminés par la loi » (art. 11).3482. A. YOTOPOULOU-MARANGOPOLOU, « Les droits de l'homme dans les Constitutions de laRévolution héllenique », NOV, (1980), t.1, p. 1023.3483 . « Chacun peut exprimer et diffuser ses pensées oralement, par écrit et par la voie de presse, en observantles lois de l'Etat » (art. 14 § 1).


droit français, c'est seulement en 1982, que le Conseil Constitutionnel a expressément consacré unetelle valeur à la liberté d'expression, sous les termes de liberté de communication 3484 .743Parmi les moyens d'expression, celui qui jouit de la protection la plus renforcée, tant au seindu droit grec qu'au sein du droit français, est la liberté de la presse. L'article 15 de la Constitutiongrecque exclut expressément l'application du régime de protection de la presse prévue par l'article 14sur les autres moyens d'expression (cinéma, radio, télévision et à tout autre moyen similaire detransmission de la parole et de l'image). Ce régime est en effet à même d'assurer à la presse uneprotection encore plus renforcée que celle de la Convention. La Constitution grecque interditabsolument la censure préventive (art. 14 §2) et la saisie des journaux et d'autres imprimés avant leurcirculation (art. 14 §3). De surcroît, elle limite considérablement le pouvoir du législateur en matièrede saisie, après leur mise en circulation, en prévoyant limitativement les raisons pour lesquelles ellepeut avoir lieu. Elles sont au nombre de quatre : la sécurité de l'Etat ; la protection de la personne duPrésident de la République contre des offenses ; la protection des religions connues contre desoffenses ; la protection de la pudeur publique contre des publications manifestementoutrancières (art. 14 §3). Cependant, cette énumération limitative n'a pas empêché le législateur grecd'étendre ce champ des restrictions. Par exemple, la loi n° 1729/87 a institué le délit de provocationet d'incitation à l'usage de drogues par la voie de presse.En droit français, le principe qui régit le régime de protection de la liberté de la presse estégalement l'interdiction de la censure préventive. Ce principe, consacré dès la loi du 27 juillet 1881,fut élevé au rang des principes de valeur constitutionnelle en 1984. Le Conseil Constitutionnel a,dans sa décision n° 84-181 DC 10 et 11 octobre 1984 dite « Entreprise de presse », déclarél'autorisation préalable incompatible avec la Constitution 3485 . Toutefois, contrairement au droit grec,ce principe n'est pas absolu. Deux exceptions subsistent : les publications présentant un danger pourla jeunesse (en raison de leur caractère licencieux, pornographique ou de la place faite au crime, à laviolence, à la discrimination et à la haine raciale, à l'incitation à l'usage, détention ou trafic destupéfiants) et les publications de provenance étrangère ou rédigées en langue étrangère (décret-loidu 6 mai 1939) 3486 . Rappelons à propos de cette dernière qu’elle est sanctionnée par la Cour pourincompatibilité avec les exigences à respecter dans le cas des restrictions préalables à la publication.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Après avoir rappelé que de telles restrictions doivent s’inscrire dans un « cadre légal particulièrementstrict quant à la délimitation de l'interdiction et efficace quant au contrôle juridictionnel contre leséventuels abus 3487 », elle a estimé que tel n’est pas le cas. Elle a relevé que : la loi ne précise pas la3484 CC n°92-141 CD 27 juillet 1982, J.J. ISRAEL, Droit des libertés fondamentales, L.G.D.J., 1998, pp 454-475.3485 Voir P. WACHSMANN, (dir.), « La liberté d'expression », in Droits et libertés fondamentaux, 4e éd.,Dalloz, 1997, pp 281-308.3486 Ibid. ; J.J. ISRAEL, Droit des libertés fondamentales, préc.3487 CEDH, Association Ekin c. France, préc., § 59.


744notion de « provenance étrangère », n'indique pas les motifs pour lesquels une publication considéréecomme étrangère peut être interdite et donne compétence au Ministre de l'Intérieur d'interdire, demanière générale et absolue sur l'ensemble du territoire français, la circulation, la distribution ou lamise en vente de tout écrit rédigé en langue étrangère ou, même s'il est rédigé en français, lorsqu'ilest considéré comme de provenance étrangère 3488 . « Un tel texte semble heurter de front le libellémême du paragraphe 1 de l'article 10 de la Convention », a-t-elle souligné 3489 .Or la prison apparaît encore une fois dans le domaine des droits de l'homme comme un lieud'entorse aux principes qui doivent régir leur application dans une société démocratique.B. L’application en prisonLes droits pénitentiaires grec et français oscillent entre le silence et une réglementation desmoyens d'expression ouvertement dérogatoire aux principes consacrés sur l'exercice de la libertéd'expression. En effet, un silence entoure toujours l'expression des détenus par les moyensaudiovisuels.Si bien que leur possibilité de s'exprimer par ces moyens, qui passe nécessairement parl'autorisation donnée aux journalistes et aux documentaristes, semble être laissée au bon vouloir desautorités pénitentiaires. Seule l'expression écrite et artistique est réglementée. Réglementation quicependant est loin d'être satisfaisante. La réglementation de l'expression par écrit, outre le fait qu'elleoffre l'exemple d'une réglementation de l'exercice des droits de l'homme privative d'une applicationeffective, constitue une dérogation flagrante au principe le plus fondamental qui régit l'exercice de laliberté d'expression : l'interdiction de l'autorisation préalable. La publication des écrits des détenusest systématiquement soumise à une telle autorisation lorsqu'elle n'est pas purement et simplementreportée à leur libération. Cette dérogation met alors en cause le caractère absolu de cette interdictionen droit grec et le caractère limitatif des deux dérogations susmentionnées prévues en droitfrançais (1). Quant à la réglementation de l'expression artistique, tout en témoignant que cette formed'expression est la plus favorisée, elle laisse voir que cela est dû à sa considération comme un moyende resocialisation des détenus et de gestion de la vie quotidienne de la prison plutôt qu'à sa<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...considération comme un droit des détenus (2).Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20081. L’expression écrite sous régime dérogatoire au droit communDans les droits pénitentiaires grec et français, il y a lieu de distinguer l’expressionindividuelle des détenues (a) et leur expression collective (b). La seconde de ces deux formes3488 Ibid., §61.3489 Ibid., § 62.


745d'expression est nettement plus favorisée. La raison sous-jacente serait, au regard de leurréglementation réciproque, que l'expression collective est considérée comme un moyen favorisant laresocialisation des détenus plus que comme l'exercice d'un droit individuel des détenus.a. L'expression individuelle : entre silence et réglementation dérogatoire au droit communLa défaillance du droit grec quant aux exigences du respect de la liberté d'expression est tropfrappante pour être même discutée. Le Code pénitentiaire est totalement silencieux sur cettequestion. Ce silence pourrait signifier que c'est le droit commun qui s'applique en la matière. Or ilsemble que dans la pratique il y a eu pendant les dix dernières années une évolution certaine passantd’une absence totale d’expression orale ou écrite vers la consécration du principe de la libertéd’expression. Ce que, d’une part, laisse entendre l’affaire Sotiropoulou examinée par la Cour quiconcernait, entre autres, la punition disciplinaire de la requérante du fait d’avoir accordé un entretientéléphonique à un journaliste depuis sa prison. Le gouvernement grec a précisé que la requérante,membre du groupe terroriste de « 17 novembre », était soumise à un régime de détention préventivecomportant, pour des raisons de sécurité et de la préservation du bon déroulement de l’instruction, uncertain nombre de restrictions supplémentaires à celles du droit pénitentiaire commun. Parmi cesrestrictions figurait celle de privation de la liberté de communication et d’expression sansautorisation préalable avec des personnes autres que ses proches 3490 . Ce que montrent également denombreux entretiens donnés par les personnes détenues y compris en direct sur les radios et leschaînes de télévision depuis leur lieu de détention.Le droit français réglemente cette matière. Mais réglementation ne signifie pas protectionefficace. Celle de la liberté d'expression des détenus en droit français, non seulement le confirme,mais constitue un exemple de réglementation opposé à l'esprit de la société démocratique. D'abord,contrairement au droit commun, où le contrôle préalable des écrits avant leur publication est, commenous venons de le souligner, l'exception et non la règle, le contrôle est ici la règle. Toute publicationet divulgation des écrits des détenus est soumise à l'autorisation préalable du directeur régional desservices pénitentiaires. Ensuite, le pouvoir de cette autorité est illimité, aucune précision n'étantprévue concernant son étendue. En effet l'article D. 444-1 du Code de procédure pénale relatif à cette<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008autorisation est rédigé en ces termes : « La sortie des écrits faits par un détenu en vue de leurpublication ou de leur divulgation, sous quelque forme que se soit, est autorisée par décision dudirecteur régional des services pénitentiaires territorialement compétent ». De surcroît, le deuxièmealinéa de ce même article prévoit que tout manuscrit rédigé en détention peut être confisqué pour des3490 CEDH, Sotiropoulou c. Grèce (déc.), préc.


aisons d'ordre jusqu'à la libération de son auteur 3491 . Cette réglementation de la liberté d'expressiondes détenus comporte donc des limitations qui sont indéniablement incompatibles avec les conditionsrequises par l'article 10 de la Convention dans les limitations de l'exercice de cette liberté, au moinsavec la première, la prévisibilité légale des limitations. Outre le fait que le motif de confiscation,l'« ordre », pourrait ne pas être considéré comme suffisamment précis pour être conforme à cettecondition, tel est incontestablement le cas à propos des conditions de l'autorisation pour lapublication des écrits : le directeur régional des services pénitentiaires dispose d'un pouvoir quasidiscrétionnaire. Rappelons que par prévisibilité légale on doit entendre qu'une ingérence soit prévuepar une loi au sens d'un texte précis, clair et accessible aux justiciables. C'est seulement dans cesconditions que la loi peut remplir sa fonction primordiale : protéger les justiciables contre l'arbitraireen leur permettant de connaître le champ de leur liberté d'action et de contrôler de manière efficacel'exercice du pouvoir par les autorités. Or, à supposer que les détenus puissent former un recoursjuridictionnel contre le refus du directeur régional des services pénitentiaires d'autoriser lapublication de leurs écrits, ce recours ne permet pas d'exercer un contrôle efficace de cette décision,faute de précision des limites dans lesquelles cette autorité est tenue d'exercer son pouvoir.b. L'expression collective : entre absence et haute surveillanceLe droit français favorise l'expression collective. Les détenus peuvent réaliser des bulletinset des journaux d'information (art. D 441-1 al.c CPP). Mais cette possibilité est loin de remédier auxdéfaillances soulignées de l'expression individuelle. L’expression par ces moyens est soumise àl'autorisation préalable. Selon l'article D. 441-1, al.c du Code de procédure pénale, c’est « avecl'accord et sous le contrôle de l'administration » que les bulletins ou les journaux rédigés par lesdétenus peuvent être diffusés à l'intérieur de chaque prison, et à l'extérieur. Une circulaire du 19décembre 1986 précise qu'il appartient au chef de l'établissement d'exercer personnellement un strictcontrôle sur le contenu des publications avant leur diffusion. Ce contrôle porte sur « leur adéquationaux objectifs de la réinsertion de la peine privative de liberté et sur leur impact au regard de l'ordrepublic général mais aussi spécifique, tel qu'il est conçu à l'intérieur de la prison 3492 ». Dès lors, àsupposer que leur diffusion à l'extérieur soit effectivement autorisée 3493 , elle serait dénuée d'intérêt.Car alors que l'essence de la liberté d'expression est d'attirer l'attention de l'opinion publique, de la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008remuer, et, si nécessaire, de la « heurter », de la « choquer » ou de l'« inquiéter », d'après les proprestermes de la Cour 3494 , les conditions de réalisation des journaux ou périodiques par les détenustendent à « aseptiser » leur contenu, rendant ainsi l'exercice de cette liberté totalement anodin.7463491 « Sans préjudice d'une éventuelle saisie par l'autorité judiciaire, et sous réserve de l'exercice des droits de ladéfense, tout manuscrit rédigé en détention peut au surplus être retenu, pour des raisons d'ordre, pour n'êtrerestitué à son auteur qu'au moment de sa libération », (art. D 441-1, al.b, CPP).3492 . Circulaire du 19.12.1986, in : B.O n°24, p.145.3493 Faute d'avoir pu constater que c’est effectivement le cas.3494 . CEDH, Handyside c R.U., préc., § 49.


747De surcroît, ces moyens d'expression ne sont pas considérés comme des moyens departicipation au débat public mais plutôt comme des moyens de réinsertion ou de simple occupationdes détenus. Cela est clair à la lecture, par exemple, des Cours de réglementation pénitentiairedispensés à l'ENAP, en France. Il y est souligné que la finalité de la publication d'un journal s'inscritdans la perspective de la réinsertion des détenus 3495 .En droit grec, le maigre pouvoir des détenus de s’exprimer qui leur était reconnu par le Codedes règles fondamentales pour le traitement des détenus (1989-1999), à savoir la possibilité deréaliser des imprimés « pour information ou ayant un caractère littéraire » (art. 46 §1 CRFTD), estsupprimé. Dans le Code pénitentiaire actuel, l’expression écrite des détenus, sous quelque formequ’elle soit, n’est même pas mentionnée.2. L’expression artistique encouragéeCe n'est que dans l'expression par des activités socioculturelles (théâtre, musique, cinéma,peinture, sculpture, danse, etc.), que la liberté d'expression est la mieux assurée.Le droit français consacre dans la partie Décrets du Code de procédure pénale une sectionentière à l'organisation des activités socioculturelles. Mais seuls les articles D. 440 à 442, et D 445-446 CPP concernent les activités artistiques. Leur organisation incombe principalement au personneldu SPIP (service pénitentiaire d’insertion et de probation) qui peut faire appel également à despersonnes extérieures. Ces dernières peuvent animer des activités socioculturelles avec l’autorisationdu chef d’établissement (D 446 CPP). En outre, une association fonctionne dans chaqueétablissement sous le régime de la loi du 1 er juillet 1901 en vue de soutenir le développement desactions socioculturelles et sportives (art. D 442, CPP). Entre autres formes d’expression, lapossibilité de réaliser des vidéos est mentionnée. Leur diffusion hors de l’établissement pénitentiaireest soumise à l’autorisation du Ministre de la Justice ou du directeur régional suivant l’intérêt localou national du sujet (art. D 445 CPP) 3496 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083495 La mission de l'A.P étant également la réinsertion des détenus, elle implique dans le domaine d’expression,en premier lieu d'obtenir l’adhésion des intéressés aux normes sociales telles qu'elles résultent des textesconstitutionnels, législatifs et réglementaires.La finalité de publication d'un journal devant être inscrite dans la perspective de réinsertion, ne peut êtreacceptée la mise en cause des institutions publiques, Cours de réglementation pénitentiaire, ENAP, Ministèrede la Justice, vol. 2, 1990, pp. 29-30.3496 . Ainsi, à la prison de Fleury-Merogis, en France, une radio fonctionne, depuis 1982 pour la prison deshommes et depuis de dates ultérieures pour les prisons des femmes et des mineurs. Elle est diffusée à l'intérieurde chaque prison par les interphones, Le Monde du 24/25 avril 1994. Dans la prison « la santé » de la régionparisienne, un canal de diffusion interne fonctionne depuis de nombreuses années et assuré par des détenus.


748Le droit grec est plus bref en cette matière. L’article 38 du Code pénitentiaire qui laréglemente prévoit seulement que les détenus peuvent participer à l'organisation des manifestationsculturelles, collectives ou individuelles, à savoir à l'organisation d'une troupe de théâtre, d'un chœur,d'une exposition de peinture et d'art artisanal, de projections de films. Leur organisation est confiéeau conseil de la prison avec la collaboration des autorités locales chargées des affaires artistiques etdes détenus. Ces activités des détenus sont favorisées puisqu’il est prévu qu’elles soient prises encompte pour l’octroi des mesures favorables ou des privilèges (art. 38 §4 C. pénit.).Mais, si ces formes d'expression, comme celles d'expression par l'écriture collective,reçoivent un soutien particulier de la part des autorités pénitentiaires, il est clair que cela n'est pas dûà leur considération par les autorités pénitentiaires comme l'aspect du droit à la liberté d'expression leplus important. Il est dû à leur considération comme un moyen utile aussi bien pour la réinsertion desdétenus que pour la gestion de la vie quotidienne de la prison.Premièrement, la contribution de ces activités à la réinsertion des détenus est indiscutable.D’abord, parce que leur organisation permet aux détenus d'avoir une vie associative et une certaineliberté d'initiative. Le droit français, par exemple, prévoit que « les détenus peuvent (sous lecontrôle du SPIP) être associés à l'organisation de ces activités et certains d'entre eux être chargés deles préparer et de les animer » (art. D. 446 CPP). Ensuite, parce que de par leur nature, ellescontribuent au travail de connaissance de soi et de découverte des dimensions valorisantes,compensant ainsi l'image négative renvoyée par le jugement pénal et la peine. Cette contribution estd'autant plus efficace que l'organisation de ces activités est l'occasion de contacts avec des artistesplus intéressés à faire découvrir aux détenus leur potentiel créatif et à les aider à exprimer leurssentiments et idées que de porter des jugements sur eux et corriger leurs conduites sociales. A cetégard, il est à rappeler que le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe a, dans saRecommandation sur l'éducation en prison, insisté sur l'importance des artistes venant de l'extérieur,en ce qu'ils apportent un « esprit de stimulation et d'espérance 3497 » et le rôle irremplaçable de laliberté d'expression dans la « réinsertion authentique » des détenus, c'est à dire dans la possibilité quileur est donnée de choisir eux-mêmes le sens et l'orientation de leur vie. Une telle réinsertion ne peutêtre réalisée que « dans le cadre d'une liberté de choix permettant aux détenus d'analyser ce qu'ils<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008ressentent et ce qu'ils ont vécu, et de définir eux-mêmes "où ils en sont" ».Deuxièmement, la contribution des activités culturelles à la gestion de la vie quotidienne dela prison et à l'image de celle-ci, est également indiscutable. S'adonner aux activités culturelles est àla fois un moyen d'occupation et un excellent moyen psychologique de libération des tensions desdétenus, et donc d'apaisement des rapports relationnels en prison. De plus, dans la mesure où lesautorités pénitentiaires font appel au concours de personnes extérieures pour organiser les activités3497 . Recommandation R(89)12, Education en prison, préc., p.56.


culturelles, celles-ci contribuent à l'image de la prison comme institution ouverte en même tempsqu'à l'entretien des contacts avec le monde extérieur (art. D. 446 CPP).749Enfin, que ces activités soient considérées plus comme un moyen de politique pénitentiaireque comme un aspect du droit des détenus à la liberté d'expression, en témoignent au moins deuxéléments fournis par le droit grec et français. D’abord, en droit grec, l’article corrélatif (37 C. pén.)est intitulé Loisirs et temps libre. Ensuite, aussi bien au sein de ce droit national que dans le droitfrançais, leur réglementation ne permet guère de considérer la participation à ces activités comme undroit des détenus. Leur organisation est laissée au pouvoir discrétionnaire des autorités pénitentiaires(art. D 446 al.c CPP). Les détenus qui le souhaitent peuvent y participer sur autorisation du chef del’établissement mais rien ne garantit leur participation ni ne permet de les protéger par un recours enjustice.La conclusion sur la garantie assurée à la liberté d'expression des détenus, tant au niveaueuropéen que national, est sans appel. Leur parole n'a pas encore droit de cité même dans les sociétésdémocratiques pourtant censées être pluralistes, ouvertes à la critique et respectueuses de leursminorités et de leurs ennemis. La parole des détenus est considérée soit comme dangereuse (elle nepeut être exprimée qu'après contrôle préalable), soit comme inintéressante (elle peut alors attendre lamise en liberté des détenus pour être exprimée). Cette conception de la parole du détenuaccompagne, par ailleurs, celle de son image. Il est frappant de constater que le détenu est lapersonne la plus étrangère dans les débats publics le concernant directement. Il est le grand absent,aussi bien des émissions radiophoniques (même lorsqu'elles portent sur des questions pénitentiaires)que des émissions télévisées et des colloques savants. D'autres prennent sa place, à titre despécialistes, de connaisseurs du terrain ou de porte-parole non mandatés par les détenus, porteurs,eux, d'un raisonnement droit et digne d'être exprimé et écouté. Alors que les deux interlocuteursprincipaux dans de tels débats devraient être l'administration pénitentiaire et les détenus, sur lesplateaux de débats publics, un seul est l'invité obligé sans lequel le débat perdrait automatiquementsa légitimité : l'administration pénitentiaire.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Critique pour la société démocratique, l'application de la liberté d'expression l'est égalementpour la peine privative de liberté et de la prison. Son application en prison, d'une part, contreditl'évolution de la peine privative de liberté vers un sens juridique conforme au principe de limitationde cette peine à la privation de liberté physique : la règle fondamentale de l'exercice de la libertéd'expression y étant inversée, l'autorisation préalable constituant la règle et non l'exception, prouveque la peine privative de liberté continue à inclure également la privation de la liberté d'expression.D'autre part, elle constitue un des indicateurs les plus signifiants de l'état d'avancement de lapolitique pénitentiaire vers son but affiché : minimiser l'exclusion sociale des détenus. L'éloignementde ceux-ci des moyens d'expression de grande diffusion, moyens qui possèdent un pouvoir effectif


750autant que symbolique de la participation d'une catégorie d'individus à la vie sociale, renforce encoreplus leur représentation comme des exclus. Cet état d'application de la liberté d'expression témoigne,de surcroît, que la mission de la prison de rééduquer le détenu perdure. Celui-ci ne pourra recouvrirsa pleine liberté d'expression tant qu'il n'aura pas fini son ré-apprentissage à penser et à s'exprimer,ré-aprentissage signifié avec sa mise en liberté.A propos de cet état d'application de la liberté d'expression, il nous semble important denoter que l'attitude de la société civile n'est pas étrangère. Voilà un droit dont l'exercice estintimement lié à son exercice de la part des personnes à l'extérieur, et surtout des professionnels del'information (éditeurs, journalistes, documentaristes) pour qui, plus que l'exercice d'un droitindividuel, informer et s'exprimer constitue une fonction sociale. Dimension qui leur vaut laprotection la plus renforcée de la liberté en question au sein de la jurisprudence européenne. Dèslors, si ces personnes, en cas de non-obtention de l'autorisation de faire participer des détenusphysiquement, au moins par téléphone ou en duplex à un débat ou une émission ou d'éditer leursécrits, joignaient leurs griefs à ceux des détenus, ils contribueraient au renforcement de la garantie dela liberté d'expression à l'égard de ces derniers. De tels refus s'analyseraient au moins comme desingérences dans la liberté d'expression et d'information, donnant lieu à un contrôle juridictionnelquant à leur légitimité et leur nécessité. Il ne fait d'ailleurs pas de doute que cette contribution seraitd'autant plus importante que les professionnels de l'information s'accordent, et on le reconnaît dansles sociétés démocratiques, outre un rôle clé dans la formation et l'évolution des idées, également unpouvoir de contrôle et de dénonciation assez important pour qu'ils soient considérés comme uneinstance supplémentaire de protection des individus contre l'arbitraire. Cette importance est d'autantplus cruciale dans le cas des détenus que ceux-ci sont murés, coupés du monde et en situation defaiblesse pour faire valoir leurs droits ou simplement leurs opinions. La preuve en est que lapossibilité de s'adresser à la presse accompagne systématiquement leurs revendications lors desmutineries. Or les Etats européens se gardent bien de permettre à la liberté d'expression de jouer untel rôle dans la prison, et la jurisprudence européenne n'est encore guère incitatrice vers une telleévolution.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008SECTION 2. L’EXPRESSION POLITIQUE EN PARTICULIERLa peine privative de liberté continue à porter des marques d'ostracisme. La condamnation àcette peine peut entraîner la privation, de droit ou de fait, de l'exercice des droits politiques.Pour savoir si cette privation soulève des questions de conformité avec la Convention, il fautau préalable, déterminer si cette dernière consacre des droits politiques à titre de droits individuels.La seule disposition de la Convention qui se rapporte à la vie politique est celle de l'article 3 duProtocole n°1 qui prévoit uniquement l'obligation des Etats à organiser des élections : « Les Hautes


751Parties Contractantes s'engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres auscrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l'opinion du peuple sur le choixdu corps législatif ». Dès lors, il importe de déterminer de quel statut et de quelles garanties jouissentles droits politiques au sein de la Convention et comment sont elles appliqués aux détenus (§ 1),avant de nous pencher sur la garantie assurée dans les droits grec et français (§ 2).§ 1. La garantie européenneC'est en comparant l'application générale de l'article 3 du Protocole n° 1 de laConvention (A) avec son application dans le cas des détenus, que nous pouvons saisir l'éventuelretrait de cette dernière et les interrogations que cela peut soulever ().A. La consécration des droits individuels de vote et d’éligibilitéDans ses deux premières décisions en la matière, la Commission estimait que « le droit devote d'un individu n'est pas garanti par l'article 3 3498 ». Au regard des termes de l'article 3 duProtocole n° 1 de la Convention, à savoir que « les Hautes Parties s'engagent à organiser à desintervalles raisonnables des élections libres », on peut seulement affirmer que cet article consacre undroit institutionnel. C'est à partir de sa troisième décision dans ce domaine, en 1967, que l'on observeun revirement. La Commission avait admis qu'elle était amenée à revenir partiellement surl'interprétation dudit article pour reconnaître qu'il « implique le suffrage universel 3499 », et parconséquent, « énonce un droit de caractère individuel 3500 ». Elle avait ultérieurement précisé qu'ilconsacre le droit de vote et le droit d'éligibilité 3501 .C'est cette dernière interprétation qui a été consolidée par la Cour lors de son premier arrêtrendu, en 1987, en cette matière, l'arrêt Mathieu-Mohin et Clerfayt 3502 . Pour y parvenir, elle a rejetéla méthode littéraire d'interprétation de l'article 3 du Protocole n° 1, considérée comme restrictive.Une telle interprétation conduirait à déduire que cet article ne donne pas naissance à des droits etlibertés individuels reconnus à quiconque relève de la juridiction des Parties contractantes à laConvention, mais uniquement à des obligations entre Etats. Certes, nota la Cour, à la différence<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083498 Il s'agissait en l'occurrence de l'empêchement d'un condamné à vingt mois de privation de liberté pourhomosexualité d'exercer le droit de vote lors du référendum organisé en Allemagne, le 23 octobre 1955, D530/59 (X/R.F.A), Rec. 2. Dans la deuxième décision en la matière, la Commission confirmait encore que le« droit de vote n'est pas en tant que tel, consacré par l'article 3 », D 1065/61 (X/Belgique), 30.5.1961, Rec. 6, p.261.3499 D 2728/66 (X/R.F.A), 6.10.1967, Rec. 25, p. 38 ; D 6573/74 (X/Pays-Bas), 19.12.1974, D.R. 1, p. 87 ;D 6573/74 (X/Pays-Bas), 19.12.1974, D.R. 1, p. 87.3500 D 6745/74, 6746/74 (W., X., Y., Z.,/Belgique), 30.5.1975, D.R.,. 2, p. 110.3501 Ibid. Voir D 7730/76 (X/R.U), 28.2.1979, DR. 15, p. 137 ; D 9914/82 (H/Pays-Bas), 4.7.1983, DR. 33,p. 241.3502 CEDH, Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, n° 9267/81, 2 mars 1987, Série A n°113.


d'autres articles de la Convention, qui énoncent les valeurs protégées par les expressions telles que« toute personne a droit » ou « nul ne peut », l'article 3 du Protocole n° 1 a recours à l’énoncé : « LesHautes parties contractantes s'engagent... 3503 ». Il ne faut toutefois pas en rester au texte. Il fautrecourir au contexte de la clause examinée : « Une interprétation aussi restrictive ne résiste pas àl'examen », d'abord du préambule du Protocole n° 1, qui assure « la garantie collective des droits etlibertés autres que ceux qui figurent déjà dans le titre I de la Convention », ensuite de l'article 5 dumême Protocole, qui précise que « les Hautes Parties Contractantes considéreront les articles 1, 2, 3,et 4 comme des articles additionnels à la Convention », et enfin, du préambule du Protocole n° 4 quivise notamment les « droits et libertés protégés par les articles 1 à 3 du Protocole n° 1 3504 ». Elle nerésiste pas non plus à l'importance de la valeur protégée. L'organisation des élections libres est unprincipe caractéristique du régime démocratique sur lequel repose le maintien de l'ensemble deslibertés fondamentales consacrées par la Convention 3505 . En tenant compte de l'ensemble de ceséléments, la Cour a estimé que le mode rédactionnel de l'article 3 « ne reflète aucune différence defond avec les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles » ; il « s'explique plutôtpar la volonté de donner plus de solennité à l'engagement assumé, et par la circonstance que dans ledomaine considéré se trouve au premier plan, non une obligation d'abstention ou de non-ingérence,comme pour la majorité des droits civils ou politiques, mais celle à la charge de l'Etat, d'adopter desmesures positives pour "organiser" des élections démocratiques 3506 ». Et cette instance de conclureque la Convention consacre les droits subjectifs de vote et d’éligibilité individuels qui sont« cruciaux », « vitaux » pour l’établissement et le maintien des fondements d’une véritabledémocratie régie par l’état de droit 3507 ; ils sont « inhérents à la notion de régime véritablementdémocratique 3508 ». Cette jurisprudence est, depuis lors, largement consolidée 3509 .Aussi, quelle que soit la qualification du vote au sein des droits nationaux 3510 , du fait que,comme nous l'avons établi, au sein de la Convention, il est considéré comme un droit individuel, sonrespect en tant que droit de telle nature s'impose aux droits nationaux. Il convient alors de déterminerpréalablement qu'elle est, selon les instances européennes, la garantie effective exigée par laConvention tant de ce droit que du droit à l’éligibilité.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...6 Ibid., § 46.3504 Ibid., § 49.3505 Ibid., § 47. L’importance particulière de l’organisation des élections libres a, par la suite, été soulignéedans l'arrêt Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janv. 1998.3506 CEDH, Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, préc., § 50.3507 Ibid., § 51.3508 CEDH, Lykourezos c. Grece, n o 33554/03, CEDH 2006-VI, § 56.3509 CEDH, Gitonas et autres c. Grèce, n os 18747/91, 19376/92, 19379/92, 1 er juillet 1997, Recueil 1997-IV,§ 39 ; CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 201 ; CEDH, Selim Sadak et autres c. Turquie, préc., § 31 ;CEDH, Podkolzina c. Lettonie, n 46726/99, CEDH 2002-IV, § 33, CEDH, Aziz c. Chypre, n o 69949/01, CEDH2004-VI, § 25 ; CEDH, Albanese c. Italie, préc., § 44 ; CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 103 ; CEDH,Lykourezos c. Grece, préc., § 50 ; CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc., § 58.3510 Celle-ci, considérant que le vote est de nature mixte, à la fois un droit et un devoir civique, tire laconclusion qu'il ne s'agit pas d'un droit subjectif mais plutôt d'un « pouvoir légal », voir Max GOUNEL<strong>LE</strong>,Introduction au droit public français, Paris, éd. Montchrestien, 1989, p. 121.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008752


753Soulignons d'emblée que, d'après la Cour, si ces droits sont « cruciaux » et « vitaux » pourl’établissement et le maintien des fondements d’une véritable démocratie régie par la prééminence dudroit, ils ne sont pas absolus 3511 . L’article 3 du Protocole n°1 ne s’oppose pas aux conditions émisesdans leur exercice pour les différents ordres jurudiques narionaux. Les Etats jouissent même en lamatière d'une « large marge d'appréciation 3512 » en raison de la « multitude de différences au sein del’Europe notamment dans l’évolution historique, la diversité culturelle et la pensée politique ». Ceséléments, estime la Cour, sont déterminants dans la formation de la vision de la démocratie danschaque pays et, donc, dans l’organisation des systèmes électoraux 3513 . Cela permet que descaractéristiques inacceptables dans le cadre d'un système peuvent être justifiées dans le contexte d'unautre 3514 . Ainsi, alors que Chypre a été condamnée pour l’exclusion du vote des membres de lacommunauté chypriote turque relevant de l’autorité du Gouvernement chypriote 3515 , la Lettonie a étéépargnée pour l’exclusion des élections des candidats communistes dont le parti avait soutenu, dixans auparavant, une tentative de renversement de l’ordre démocratique établi dans ce pays 3516 .La marge nationale n’est toutefois pas illimitée. Elle est soumise au contrôle européen. Elle estsoumise au contrôle de légalité, de légitimité des buts, de la proportionnalité des restrictions et de lapréservation de la substance du droit en cause, le tout étant interprété à la lumière du « principed’effectivité des droits, inhérent à tout le système de la Convention 3517 ». Mais ce contrôle est plusfaible par rapport à celui exercé sur les restrictions apportées aux droits « relatifs » de la Conventionà savoir à ceux consacrés par les articles 8 à 11 qui sont susceptibles de subir des limitations dansleur exercice 3518 . La Cour admet en effet une plus large marge d’appréciation tant au regard duchamp de légitimité des restrictions que de leur nécessité démocratique. En raison des limitationsimplicites auxquelles laisse place la rédaction de l’article 3 du protocole n°1, la Cour estime ne pas<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3511 CEDH, Mathieu-Mohin et Clerfayt, préc., § 38; CEDH, Gitonas et autres c. Grèce, préc., § 39 ; CEDH,Labita c. Italie [GC], préc., § 201 ; CEDH, Mattews c. R.U., n°24833/94, CEDH 1999-II, § 63 ; CEDH, SelimSadak et autres c. Turquie, préc., § 31 ; CEDH, Podkolzina c. Lettonie, préc., § 33 ; CEDH, Albanese c. Italie,<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...préc., § 44 ; CEDH, Lykourezos c. Grece, préc., § 51 ; CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc., § 60.3512 CEDH, Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, préc., Ibid., § 52 ; CEDH, Gitonas et autres c. Grèce, préc.,§ 39; CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 201 ; CEDH, Mattews c. R.U., préc., § 63 ; CEDH, Selim Sadak etautres c. Turquie, préc., § 31 ; CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc.,§ 61 ; CEDH, Podkolzina c. Lettonie,préc., § 33 ; CEDH, Albanese c. Italie, préc., § 44 ; CEDH, Lykourezos c. Grece, préc., § 51.3513 CEDH, Lykourezos c. Grece, préc., § 51 ; CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 103.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083514 CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 115.3515 « Elle estime toutefois que ces règles ne peuvent avoir pour effet d'interdire à certaines personnes ou àcertains groupes de prendre part à la vie politique du pays, notamment par la désignation des membres du corpslégislatif, droit garanti tant par la Convention que par les constitutions de tous les Etats contractants », CEDH,Aziz c. Chypre, préc., § 28.3516 CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., §§ 132-135.3517 Voir entre autres, CEDH, Podkolzina c. Lettonie, préc., § 35 ; CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc.,§ 104 ; CEDH, Lykourezos c. Grece, préc., § 52.3518 « Bien que cette disposition ait été interprétée par la Cour comme impliquant également des droitsindividuels spécifiques, les normes à appliquer pour établir la conformité à l'article 3 du Protocole n o 1 doiventdonc être considérées comme moins strictes que celles qui sont appliquées sur le terrain des articles 8 à 11 dela Convention », CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 115.


être liée par la liste exhaustive des buts énumérés dans les articles susmentionnés de la Convention.Ainsi outre les conditions d’âge, de résidence et de nationalité, elle peut admettre la légitimitéd’autres buts sous réserve que leur compatibilité avec le principe de la prééminence du droit et lesobjectifs généraux de la Convention soit démontrée dans les circonstances particulières d'une affairedonnée 3519 . Elle a ainsi reconnu le caractère de but légitime à la « nécessité d’assurer unfonctionnement normal du système institutionnel 3520 », ou encore à « la protection de l’indépendancede l’Etat, du régime démocratique et de la sécurité nationale 3521 ». Ce sont en effet ces derniers buts,liés au contexte historico-politique qui ont justifié, en 2002, l’exclusion d’une candidate communistedont le parti avait soutenu, en 1991, une tentative de renversement du nouvel ordre démocratique dece pays. La Cour a accepté que l’élection de telles personnes puisse représenter une menace à savoirla « résurgence d’idées qui risqueraient de conduire à la restauration d’un régime totalitaire si on leslaissait gagner du terrain 3522 ».La Cour estime, d’autre part, ne pas être obligée d’utiliser le critère de « besoin socialimpérieux » appliqué dans le cadre des articles 8 à 11 de la Convention. Elle peut, dans le cadre del’article 3 du protocole n°1, se contenter de rechercher, d'une part, s'il y a eu arbitraire ou manque deproportionnalité, et, d'autre part, si la restriction a porté atteinte à la libre expression de l'opinion dupeuple 3523 . Le critère déterminant pour cette garantie est le résultat des élections : les restrictionsapportées au droit de vote ou d'éligibilité ne doivent pas entraver « la libre expression de l'opinion dupeuple sur le choix du corps législatif 3524 » ni l’indépendance des élus 3525 .En revanche, seul un « motif impérieux pour l’ordre démocratique » peut justifier l’applicationimmédiate d’une incompatibilité 3526 , souligna la Cour à propos d’une loi ayant établi après lesélections une incompatibilité professionnelle générale avec l’exercice des mandats électifs et ayantentraîné l’annulation de l’élection d’un représentant du peuple 3527 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Aussi, contrairement à l’exigence d’individualiser la légitimité et la nécessité des mesuresrestrictives de l’exercice des autres droits relatifs consacrés par la Convention, une individualisationmoindre, voire l'exclusion d’une catégorie de personnes peut être admise à condition que la nature, le<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083519 CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 105 ; CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc., § 63.3520 CEDH, Podkolzina c. Lettonie, préc., § 35.3521 CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 118.3522 Ibid., §§ 132-135.3523 Ibid., § 115.3524 CEDH, Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, préc., § 52; CEDH, Gitonas et autres c. Grèce, préc., § 39 ;CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 201 ; CEDH, Mattews c. R.U., préc., § 63 ; CEDH, Selim Sadak et autresc. Turquie, préc., § 31 ; CEDH, Podkolzina c. Lettonie, préc., § 33 ; CEDH, Albanese c. Italie, préc., § 44 ;CEDH, Lykourezos c. Grece, préc., § 52. « Autrement dit, elles doivent refléter, ou ne pas contrecarrer, le soucide maintenir l'intégrité et l'effectivité d'une procédure électorale visant à déterminer la volonté du peuple parl'intermédiaire du suffrage universel », CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 104.3525 CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 107.3526 CEDH, Lykourezos c. Grece, préc., § 57.3527 Ibid., § 56.754


755type, la durée et les conséquences de la restriction légale litigieuse « se concilient avec les principessous-tendant l'article 3 du Protocole n o 1 3528 ». Ainsi la Cour a estimé que l’exclusion de l'exercice dudroit de vote fondée sur l’âge minimum, la résidence mais aussi sur les condamnations pour desinfractions graves ou financières, sont en principe compatibles avec l'article 3 du Protocole n o 1 3529 .Elle a jugé de même s’agissant de la connaissance insuffisante de la langue officielle de l'Etat 3530 .Enfin, la Cour a dégagé une garantie procédurale qui doit entourer l’exercice du droitd’éligibilité. Après avoir souligné l’importance capitale des droits de se porter candidat à desélections 3531 et d’exercer les mandats électoraux 3532 , elle a affirmé que toute décision empêchant uncandidat à se porter candidat aux élections doit répondre aux exigences de l’équité. En particulier,elle doit être prise par un organe présentant un minimum de garanties d’impartialité ; cet organe nedoit disposer que d’un pouvoir d’appréciation limité (il doit être à un niveau suffisant de précisioncirconscrit par le droit interne) ; enfin, la procédure doit être équitable et de nature à éviterl’arbitraire de la part de l’autorité compétente. A défaut, « le droit de se porter candidat auxélections, garanti par l’article 3 du Protocole n°1 et inhérent à la notion d’un régime véritablementdémocratique, ne serait qu’illusoire si l’intéressé pouvait, à tout moment, en être arbitrairementprivé 3533 ». Ce qui peut être le cas si un empêchement de se porter candidat, même fondé sur uncritère légitime (tel que la résidence), ne peut pas faire l’objet de contestation devant un tribunalalors que la loi interne régissant les preuves relatives à ce critère manque de la certitude et de laprécision nécessaires pour assurer au requérant des garanties adéquates contre un traitementarbitraire 3534 .Depuis l’arrêt Hirst, la Cour a déduit les mêmes garanties procédurales s’agissant del’exercice du droit de vote. « Il ne faut toutefois pas recourir à la légère à la mesure rigoureuse que3528 « Il découle de l'analyse ci-dessus que, tant que la mesure législative elle-même est proportionnée et n'a pasde caractère discriminatoire envers l'ensemble de la catégorie ou du groupe définis par la législation en cause,la tâche des juridictions internes peut se limiter à établir si une personne en particulier relève de cette catégorieou de ce groupe. L'exigence « d'individualisation », c'est-à-dire la nécessité d'un contrôle par les autorités<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...judiciaires internes de la proportionnalité de la restriction légale litigieuse à la lumière des particularités dechaque espèce, ne constitue pas une condition préalable à la conformité de cette restriction à la Convention »,CEDH, danoka c. Lettonie [GC], préc., § 114, § 105.3529 De même, les organes de la Convention ont déclaré qu'il était loisible au législateur de déchoir de leursdroits électoraux des personnes condamnées pour des infractions graves ou financières, D 24827/94, (PatrickHolland/Irlande), 14 avril 1998, DR 93, p.15 ; CEDH, M.D.U. c. Italie (déc.), préc.3530 CEDH, Podkolzina c. Lettonie, préc.3531 CEDH, Podkolzina c. Lettonie, préc., § 35 ; CEDH, Selim Sadak et autres c. Turquie, préc., § 33 ; CEDH,Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Lykourezos c. Grece, préc., § 50.3532 « La Cour estime, comme la Commission, que cette disposition garantit le droit de tout individu à se portercandidat aux élections et, une fois élu, à exercer son mandat », CEDH, Selim Sadak et autres c. Turquie, préc.,§ 33 ; CEDH, Lykourezos c. Grece, préc., § 50.3533 CEDH, Podkolzina c. Lettonie, préc., § 35.3534 La Cour a précisé concernant la marge d’appréciation nationale que, « si les Etats contractants disposaientd'une grande marge d'appréciation pour établir des conditions d'éligibilité in abstracto, le principe d'effectivitédes droits exigeait que la procédure permettant de déterminer l'éligibilité s'accompagnât de suffisamment degaranties pour éviter l'arbitraire », CEDH, Melnitchenko c. Ukraine, n o 17707/02, §§ 53-67 ; CEDH, danokac. Lettonie [GC], préc., § 108.


756constitue la privation du droit de vote » , « comme dans d’autres contextes, un tribunal indépendantappliquant une procédure contradictoire offre une solide garantie contre l’arbitraire ». A ce propos, laCour a pris note de la recommandation de la Commission de Venise selon laquelle la suppression desdroits politiques doit être prononcée par un tribunal dans une décision spécifique 3535 .Aussi, si l'article 3 du protocole n°1 consacre des droits individuels, ceux-ci loin d’êtreabsolus, peuvent subir des restrictions, de surcroît, plus amples que les autres droits de l’hommeconsacrés par la Convention. L’effectivité de ces restrictions s’apprécie au regard du critère collectifde la libre expression du peuple ce qui peut justifier des restrictions allant jusqu’à exclure del’exercice de ces droits des catégories même de personnes. Ce qui avait permis à la Commission dejustifier d’emblée l’exclusion de l’ensemble de détenus de l’exercice des droits politiques. La Courest venue dans l’arrêt Hirst, poser certaines limites.B. Le champ large de la légitimité des limitations à l’égard des détenusEn effet, c’est seulement en 2004 que la Cour a eu à examiner de manière globale l’exercicedu droit de vote et d’éligibilité des personnes détenues condamnées 3536 . Dans l’affaire Labita (2000),où cette question avait été soulevée, elle concernait la subsistance de la privation de l’exercice dudroit de vote d’une personne qui, après avoir subi une détention, avait été innocentée. Et dans arrêtM.D.U. (2003), cette privation concernait des infractions de nature fiscale et était limitée à deuxans 3537 .Quant à la jurisprudence de la Commission, elle était caractérisée par une approchecatégorielle de l’exercice de ce droit par les détenus et niveleuse de leurs statuts pénaux à savoirentre ceux privés de leurs droits politiques et ceux demeurant titulaires de ces droits. Cette approcheétait fondée sur les motifs qu’une telle exclusion figurait dans un bon nombre d'Etats, qu’elle sefondait sur des critères objectifs (condamnation et/ou détention) et qu’elle n'influençait pas la libreexpression de l'opinion du peuple. Partant du principe que le Protocole n°1 « implique le suffrageuniversel », la Commission avait estimé « qu'il ne s'ensuit toutefois pas que l'article 3 du Protocole<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083535 Ce document, adopté par la Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission deVenise) lors de sa 51 e session plénière (5-6 juillet 2002) et soumis à l’Assemblée parlementaire du Conseil del’Europe le 6 novembre 2002, comprend les lignes directrices élaborées par la Commission quant auxcirconstances dans lesquelles il peut y avoir privation du droit de vote ou d’éligibilité :« d. (...) i. une exclusion du droit de vote et de l’éligibilité peut être prévue, mais elle est soumise auxconditions cumulatives suivantes : ii. elle doit être prévue par la loi ; iii. elle doit respecter le principe de laproportionnalité ; l’exclusion de l’éligibilité peut être soumise à des conditions moins sévères que celle du droitde vote ; iv. elle doit être motivée par une interdiction pour motifs liés à la santé mentale ou descondamnations pénales pour des délits graves ; v. en outre, l’exclusion des droits politiques ou l’interdictionpour motifs liés à la santé mentale doivent être prononcées par un tribunal dans une décision spécifique. »3536 « La Cour précise toutefois que c’est la première occasion qu’elle a d’examiner une privation générale etautomatique du droit de vote pour les détenus condamnés », CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc., § 68.3537 CEDH, M.D.U. c. Italie (déc.), préc.


757n°1 de la Convention garantisse à toute personne et sans aucune limite le droit de prendre part auxélections 3538 ». Dès lors, « certaines catégories limitées de personnes peuvent être privées du droit devote 3539 », dont les détenus pourraient faire partie 3540 .Nous estimons que cette approche était critiquable à double titre. Elle uniformisait les statutspénaux des détenus, annulant l’effet recherché par la privation des droits politiques à titre desanction, qui était celui de souligner le caractère grave de certaines infractions au regard ducomportement citoyen. Et elle allait à l’encontre des principes qui doivent régir l’appréciation del’application de l’exercice des droits de l’homme de la part des personnes détenues. La considérationselon laquelle la condition de détenu justifie d'emblée la privation de l’exercice des droits politiquess'inscrit dans la théorie des limitations des droits de l'homme implicites à la détention ou à la peineprivative de liberté. Or cette théorie fut rejetée par la Cour dès l'arrêt Golder (1975). Le principe quirégit, depuis lors, le respect des droits de l'homme à leur égard est l'application d'un raisonnementindividualisé. Dès lors, si l'on privilégie la dimension collective des élections, l'exclusion decertaines personnes, et même des catégories de personnes, peut en effet être considérée comme unerestriction qui n'affecte pas la libre expression du peuple. Mais si l'on tient compte également de sadimension individuelle, la privation de l’exercice du droit de vote, tout en n'affectant pas lesrésultats, peut être contraire à la Convention.C’est dans ce sens que la Cour a statué dans l’arrêt Hirst, en 2005. Le requérant dans cetteaffaire s’était plaint d’être victime de la législation britannique qui prévoyait la privation del’exercice des droits politiques de tous les détenus, y compris des prévenus. Cette instance a déclaréqu’une distinction doit être faite entre les détenus privés de ces droits en raison de leur condamnationet ceux qui ne le sont pas. Il n’y a plus de place pour des limitations implicites dans l’exercice desdroits politiques de la part des détenus. Toute restriction doit être justifiée de manière individualiséecomme les restrictions de l’exercice de tous les autres droits de l’homme. Même si la Cour admetque cette dernière exigence est moindre dans ce type de droits, les Etats doivent au moins s’assurerque les restrictions ne sont pas arbitraires ni disproportionnées par rapport aux motifs invoqués.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008En effet, la Cour a déclaré que les détenus qui ne sont pas privés de leurs droits politiques enraison de leur condamnation pénale demeurent sujets de ces droits comme des autres droits garantispar la Convention à l’exception du droit à la liberté 3541 : Ni le fait qu’ils se trouvent en prison nil’opinion publique ne peuvent, dans le système de la Convention, qui reconnaît la tolérance et3538 D 6573/74, (X/Pays-Bas), préc., p. 88.3539 Ibid. Voir aussi, D 6745/74, 6746/74 (W., X., Y., Z.,/Belgique), préc.3540. D 9914/82 (X/Pays-Bas), préc.3541 « En ce qui concerne la présente cause, la Cour souligne tout d’abord que les détenus en général continuentde jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la libertélorsqu’une détention régulière entre expressément dans le champ d’application de l’article 5 de laConvention », CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc., §69.


758l’ouverture d’esprit, justifier qu’ils soient déchus de leurs droits politiques 3542 , ni qu’ils subissent deslimitations générales de manière indifférenciée de leur statut pénal 3543 . Les restrictions devraient êtrejustifiées par des motifs concrets au risque de passer pour arbitraires : « Toute restriction à ces autresdroits doit être justifiée, même si pareille justification peut tout à fait reposer sur les considérationsde sécurité, notamment la prévention du crime et la défense de l’ordre, qui découlent inévitablementdes circonstances de l’emprisonnement 3544 . La Cour rappelle à propos des buts qu’« une grandevariété de buts peuvent se trouver compatibles » du fait que l’article 3 du Protocole n°1 ne comportepas de liste exhaustive des buts légitimes à l’instar des articles 8 à 11 de la Convention 3545 .En revanche, si la détention en tant que situation de fait ne peut justifier ni déchéance niprivations générales de l’exercice des droits politiques, la condamnation le peut. La Cour estime quecertains types d’infractions peuvent être incompatibles avec l’exercice des droits politiques :« L’article 3 du Protocole n o 1, qui consacre la capacité de l’individu à influer sur la composition ducorps législatif, n’exclut donc pas que des restrictions aux droits électoraux soient infligées à unindividu 3546 ». Mais ce fondement, à savoir la commission des infractions, ne justifie pas non plus delimitations illimitées et indifférenciées fondées sur toute condamnation à une peine privative deliberté. De telles limitations peuvent être justifiées soit à cause de la nature des infractions commises(comme de graves abus dans l’exercice de fonctions publiques, de comportement menaçant l’état dedroit ou les fondements de la démocratie, des infractions fiscales nuisibles pour l’intérêt public,l’appartenance à la mafia (Labita 3547 ), soit à cause de la gravité des infractions. Ce qui aurait pu êtrele cas dans l’affaire Hirst, condamné à perpétuité pour homicide. En revanche, des interdictionsautomatiques frappant tous les détenus condamnés sont disproportionnées et ont des effetsarbitraires 3548 . De surcroît, elles doivent être limitées dans le temps. Ainsi, dans l’affaire Hirst, aprèsavoir constaté que la loi « dépouille du droit de vote, garanti par la Convention, un grand nombred’individus, et ce de manière indifférenciée », puisqu’elle concerne toutes sortes de peinesd’emprisonnement allant d’un jour à la réclusion à perpétuité, la Cour a conclu : « Cette disposition<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>3542 « Il n’est donc nullement question qu’un détenu soit déchu de ses droits garantis par la Convention dusimple fait qu’il se trouve incarcéré à la suite d’une condamnation. Il n’y a pas non plus place dans le systèmede la Convention, qui reconnaît la tolérance et l’ouverture d’esprit comme les caractéristiques d’une sociétédémocratique, pour une privation automatique du droit de vote se fondant uniquement sur ce qui pourrait<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...heurter l’opinion publique », CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc., § 70.3543 Ainsi, les « restrictions générales au droit des détenus de correspondre ont été jugées contraires à l’article 8mais l’interception de certaines lettres contenant des menaces ou d’autres références contestables a étéconsidérée comme justifiée aux fins de la prévention des infractions pénales et de la défense de l’ordre »,CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc., § 69.3544 Ibid.3545 Ibid., § 74. Voir CEDH, Podkolzina c. Lettonie, préc., § 34.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083546 CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], préc., § 71.3547 « La Cour ne saurait douter que la suspension temporaire du droit de vote d'une personne sur qui pèsent desindices d'appartenance à la mafia poursuit un but légitime », CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 203.3548 « La Cour rappelle que la chambre a jugé la mesure en cause disproportionnée notamment parce qu’ils’agissait d’une interdiction automatique frappant tous les détenus condamnés, ayant des effets arbitraires et nepouvant plus passer pour viser à punir le requérant dès lors que celui-ci avait fini de purger la partie de sa peinedevant répondre aux impératifs de répression et de dissuasion (tariff) », CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC],préc., § 76.


759inflige une restriction globale à tous les détenus condamnés purgeant leur peine et s’appliqueautomatiquement à eux, quelle que soit la durée de leur peine et indépendamment de la nature ou dela gravité de l’infraction qu’ils ont commise et de leur situation personnelle. Force est de considérerque pareille restriction générale, automatique et indifférenciée à un droit consacré par la Conventionet revêtant une importance cruciale outrepasse une marge d’appréciation acceptable, aussi large soitelle,et est incompatible avec l’article 3 du Protocole n o 1 3549 ».Dans cet arrêt, la Cour s’est appuyée également sur le Code de bonne conduite en matièreélectorale adopté, en 2002, par la Commission de Venise 3550 qui n’interdit pas la privation des droitspolitiques en raison de la commission des infractions, mais la limite à des infractions graves, desurcroît, prononcées par un juge. Quant à l’exercice des droits politiques de la part des détenus quin’en sont pas privés, la Cour aurait pu s’appuyer également sur la Résolution (62)2 du Comité desMinistres du Conseil de l'Europe sur la Charte des droits électoraux, civils et sociaux du détenu.L’exercice du droit de vote fait partie des premiers droits dont le respect fut recommandé par leConseil de l'Europe afin de préciser « les limites que le régime de détention peut légitimementapporter à l'exercice par le détenu des droits inséparables de sa personnalité ». Il figure en effet dansl'article 5 de cette Résolution qui prévoit que « si la loi permet de voter sans comparution personnelledans le local de vote, cette faculté est reconnue au détenu dans la mesure où il n'est pas privé de sondroit de vote par une disposition légale ou par une décision judiciaire 3551 ». D’ailleurs, depuis 2006,les Règles pénitentiaires européennes recommandent aux autorités pénitentiaires de veiller à ce queles détenus, non privés de leurs droits civiques, puissent participer aux élections, aux référendums etaux autres aspects de la vie publique (Règles 24-11) 3552 .Actuellement l’obligation pèse alors sur les Etats d’une part, de limiter la privation des droitspolitiques à titre de sanction. Elle ne doit être prévue que pour des infractions de nature touchant desactivités d’intérêt public ou pour des infractions graves (condamnation à la peine privative de libertésupérieure à un certain nombre d’années) et pour une période limitée. Dans le cas contraire, outred’être disproportionnées, ces privations nuisent à l’intégration sociale des détenus qui passe entreautres par la recouverte des devoirs civiques. D’autre part, l’obligation pèse sur les Etats d’assurerl’exercice des droits politiques de la part des détenus qui n’en sont pas privés en raison de leur<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008infraction. A ce propos, les Etats loin de s’abstenir, ont l’obligation positive d’intervenir en prenantdes mesures nécessaires pour permettre aux détenus de les exercer. Par ailleurs, c'est en faveur d'unetelle interprétation que milite la déclaration de la Cour, selon laquelle le mode de rédaction de3549 Ibid., §82, §85.3550 « Commission européenne pour la démocratie par le droit ».3551 Résolution (62)2 sur les droits électoraux, civils et sociaux du détenu, Recommandation 195.3552 « Les autorités pénitentiaires doivent veiller à ce que les détenus puissent participer aux élections, auxréférendums et aux autres aspects de la vie publique, à moins que l’exercice de ce droit par les intéressés nesoit limité en vertu du droit interne ».


760l'article 3 du protocole n°1 « semble s'expliquer plutôt par la volonté de donner plus de solennité àl'engagement assumé et par la circonstance que dans le domaine considéré se trouve au premier plan,non une obligation d'abstention ou de non-ingérence, comme par la majorité des droits civilspolitiques, mais celle, à la charge de l'Etat, d'adopter des mesures positives pour organiser desélections démocratiques 3553 ».C’est dans cet esprit que s’inscrivent les législations grecques et françaises. Elles figurent parmicelles qui donnent l’exemple d’une telle évolution des législations nationales. D’après les élémentscomparés apportés par le gouvernement britannique dans l’affaire Hirst, fournis par sesreprésentations diplomatiques, dans dix-huit pays les détenus sont autorisés à voter sans aucunerestriction 3554 , dans quatorze pays tous les détenus sont frappés de l’interdiction de voter ou dansl’impossibilité de le faire 3555 , et dans douze autres, le droit de vote des détenus peut se trouver limitéd’une autre manière : Autriche 3556 , Bosnie-Herzégovine 3557 , Espagne 3558 , France, Grèce et Italie 3559 ,Luxembourg 3560 , Malte 3561 , Norvège 3562 , Pologne 3563 , Roumanie 3564 , Lettonie 3565 .§ 2. La garantie nationaleTant le droit français que le droit grec assurent aux détenus une bien meilleure garantie àl’exercice des droits politiques que celle exigée par la jurisprudence européenne. Meilleure garantiecontre leur privation au motif aussi bien de leur condamnation à une peine privative de liberté (A),que de leur détention (B).A. Une privation limitée des droits politiques en raison de la condamnation pénale3553 CEDH, Mathieu-Mohin et Clerfayt, préc., § 80.3554 Albanie, Allemagne, Azerbaïdjan, Croatie, Danemark, ex-République yougoslave de Macédoine, Finlande,Islande, Lituanie, Moldova, Monténégro, Pays-Bas, Portugal, République tchèque, Slovénie, Suède, Suisse,Ukraine.3555 . Dans ces pays, il n’existe pas d’interdiction mais rien n’est fait pour permettre aux détenus de voter, :Arménie, Belgique, Bulgarie, Chypre, Estonie, Géorgie, Hongrie, Irlande, Royaume-Uni, Russie, Serbie,Slovaquie, Turquie, Liechtenstein.3556 . Le droit de vote est retiré aux détenus condamnés à une peine de plus d’un an pour des infractionsintentionnelles.3557 . Des restrictions au droit de vote sont appliquées aux détenus accusés de graves violations du droitinternational ou inculpés par le tribunal international.3558 . Sauf si le juge qui fixe la peine supprime expressément le droit de vote, ce qui se produit rarement.3559 . Les auteurs d’infractions graves et les faillis condamnés à une peine de cinq ans ou plus perdentautomatiquement le droit de vote, tandis que les auteurs d’infractions mineures exclus de la fonction publiqueperdent le droit de vote ou non selon l’appréciation du juge.3560 . Sauf si la suppression des droits civiques fait partie de la peine prononcée par le juge.3561 . Les détenus condamnés pour une infraction grave perdent le droit de vote.3562 . Le droit de vote peut être supprimé par un tribunal bien que cela soit très rare et puisse se limiter aux cas<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008de trahison et d’atteinte à la sécurité nationale.3563 . Les détenus condamnés à une peine de trois ans ou plus lorsque l’infraction est blâmable (très grave)peuvent être privés du droit de vote.3564 Les détenus peuvent se voir interdire de voter si la peine principale est supérieure à deux ansd’emprisonnement.3565 Les détenus purgeant une peine dans un pénitencier n’ont pas le droit de voter.


761En examinant successivement l'état du droit français (1) et du droit grec (2) en matière deprivation des détenus des droits politiques à titre de sanction, nous allons voir que, depuis la réformedu Code pénal et du Code électoral, en 1994, le droit français a, non seulement effacé l'écart qu'ilaccusait par rapport au droit grec, mais il l'a même devancé.1. Au sein du droit françaisAvec la dernière réforme du Code pénal, mise en vigueur, le 1 er mars 1994, le droit français amarqué une évolution significative en matière de droits électoraux des détenus. D'abord, il asupprimé la privation des droits politiques en tant que peine accessoire à certaines condamnations àla peine privative de liberté 3566 . La privation des droits politiques n'a depuis lors qu'un caractère depeine complémentaire et facultative : son prononcé est laissé à l'appréciation du tribunal dejugement 3567 . Ensuite, il a limité cette privation aux infractions pour lesquelles le texte du Code pénalla prévoit expressément 3568 . Cette privation est effectivement prévue dans vingt-quatre dispositionsdu nouveau Code pénal réprimant des infractions contre les personnes 3569 , les biens 3570 et la sécuritépublique 3571 .Enfin c'est également depuis 1994 que le code électoral s'est conformé au Code pénal.Auparavant, les condamnations à une peine privative de liberté qui entraînaient l'exclusion des listes3566 L'article 28 du Code pénal prévoyait que « la condamnation à une peine criminelle emportera ladégradation civique ».3567 Il est à souligner que la volonté de l'Assemblée Nationale était de supprimer ces conséquences, considéréescomme de véritables peines. Mais le Sénat s'y étant opposé, la Commission paritaire a trouvé un compromis :les maintenir à titre de peine complémentaires et facultatives sans mettre en cause les dispositions relatives duCode électoral, in JO., Débats, Assemblée Nationale, 2 juillet 1992, p. 3085.3568 Selon l'article 131-10 du nouveau texte, « lorsque la loi le prévoit, un crime ou délit peut être sanctionnéd'une ou plusieurs peines complémentaires qui, frappant la personne physique, emportent interdictions,déchéances, incapacité ou retrait d'un droit... » ; et selon l'article 131-26, « l'interdiction des droits civiques,civils et de famille porte sur 1° : le droit de vote, 2° : l'éligibilité ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3569 Article 221-9 pour des infractions de l'atteinte volontaire à la vie ; article 222-45 pour des infractions àl'intégrité physique ou psychique de la personne : tortures ou actes de barbarie, agressions sexuelles, trafic destupéfiants ; article 223-16 pour des infractions de la mise en danger de la personne : de délaissement d'unepersonne, de l'expérimentation, de l'interruption de la grossesse sans le consentement de l'intéressé ; article224-9 pour des atteintes aux libertés de la personne ; article 225-19, à l'exception du droit de vote, pour lesinfractions de discrimination et conditions de travail contraires à la dignité humaine ; article 226- 25 pour desatteintes à la personnalité, la vie privée ; article 227-29 pour des atteintes aux mineurs et à la famille.3570 Article 311-14 pour le vol ; article 312-13 pour l'extorsion ; article 313-7 pour l'escroquerie ; article 314-10pour l'abus de confiance ; article 321-9 pour le recel ; article 322-15 pour destruction, détérioration,dégradation ; article 323-5 pour les atteintes aux traitements automatisés des données.3571 Article 431-11 pour participation à une manifestation publique en étant porteur d'armes ; article 431-18pour participation à des groupes de combat ou des mouvements dissous ; article 432-17 pour des atteintes àl'administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique ; article 433-22 pour desatteintes à l'administration publique commises par des particuliers ; article 441-10 pour des atteintes à laconfiance publique ; article 442-11 pour la fausse monnaie ; article 443-6 et 444-7 pour la falsification ; etarticle 450-3 pour la participation à une association des malfaiteurs. Ce nombre s'élevait, en 1988, à 222 533personnes, Code électoral, commenté et annoté par J.-Y. VINCENT et M. <strong>DE</strong> VILLIERS, Paris, LITEC, 1991,p. 15.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


762électorales étaient, en vertu de l'article L. 5 du Code électoral, beaucoup plus nombreuses que cellesprévues dans le Code pénal. De surcroît, cette exclusion était automatique et pour des durées plusimportantes que celles prévues par la loi ou fixées par le jugement. Le nombre de personnes frappéesd'interdiction de vote a été si élevé qu'on a pu soutenir qu'il porte atteinte à l'universalité dusuffrage 3572 . Depuis la loi électorale n° 94-89 du 1 er février 1994 (modifiant la loi n° 92-1336 du 16décembre 1992), le Code électoral a effacé cet écart. Dorénavant, ne sont interdites des listesélectorales, que les personnes privées expressément de leurs droits électoraux par la juridiction dejugement et durant le délai fixé par celle-ci (art. L.6, C. élect.) 3573 .En ce qui concerne la conformité de cette législation à la Constitution, elle ne soulève pas apriori de questions. Une telle législation relève de la marge laissée au législateur par l'article 3,dernier alinéa de la Constitution : « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous lesnationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques » .2. Au sein du droit grecContrairement au droit français, au sein du droit grec, la privation des droits civils continuede constituer aussi bien une peine complémentaire et facultative, qu’une peine accessoire etautomatique. Elle est complémentaire et facultative dans la condamnation à la peine de détentioncriminelle à temps (art. 60 C. pén.), mais aussi dans la condamnation à la peine d'emprisonnement« si l'infraction commise témoigne par les mobiles, la nature et le mode de son exécution ainsi quedes circonstances générales, une perversité de l'auteur » (art. 61 C. pén.). Elle est accessoire etautomatique dans la réclusion criminelle à temps (art. 59-2 C. pén) et dans la peine à perpétuité. Lesdispositions corrélatives du Code pénal grec, à l'exception de la condamnation à perpétuité, fixentégalement la durée de la privation des droits politiques : dix ans pour la condamnation à la réclusioncriminelle à temps ; de deux à dix ans pour la condamnation à la détention criminelle à temps ; et deun à cinq ans pour la condamnation à une peine d'emprisonnement supérieure à un an suivant lescirconstances dans lesquelles l'infraction a été commise.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008L'exclusion de ces catégories de détenus du droit du vote n'est pas non plus incompatibleavec la Constitution grecque. Cette exclusion est expressément prévue par son article 51 §3.L'énoncé que « les parlementaires sont élus par le suffrage direct, universel et secret par les citoyensayant le droit de vote, conformément à la loi... », est suivi de la détermination du pouvoir laissé aulégislateur pour réglementer son exercice : « La loi ne peut restreindre le droit de vote que pour des3572 Ce nombre s'élevait, en 1988, à 222 533 personnes, Ibid., p. 15.3573 La circulaire (Note Crim. 94-01 CJN) du 21 février 1994 détermine les effets rétroactifs de cette loi sur despersonnes ayant commis des infractions ou ayant été condamnées avant le 1 er mars 1994, Code électoral,Dalloz, 1998, pp. 10-11.


aisons de minorité, d'incapacité légale et de l'effet d'une condamnation pénale irrévocable pourcertains crimes et délits ».763La loi électorale grecque se contente, en effet, de renvoyer aux dispositions corrélatives duCode pénal. Selon l'article 5 du décret n° 265 du 19 mai 1989, portant modification de la Loiélectorale, sont exclus du droit de vote et d’éligibilité ceux qui sont privés des droits politiques parune condamnation pénale irrévocable pour des infractions prévues par les Codes pénal et militaire etdurant la période déterminée par ces Codes.Mais continuer de jouir de ses droits politiques ne signifie pas pour les détenus qu’ilspuissent les exercer effectivement.B. Des moyens prévus pour l’exercice du droit de vote des détenusLe droit de vote par les détenus non privés de leurs droits politiques est longtemps demeuréinerte dans ces deux droits nationaux, faute de réglementation des modalités de sa mise en œuvre.C'est depuis 1975 que le droit français a autorisé le vote par procuration. Et depuis 1996, seul lemode d'exercice de ce droit diffère entre les droits français (1) et grec (2).1. Au sein du droit françaisAinsi que l'a souligné Jean Favard, « le droit de vote des détenus est resté "suspendu" depuisle décret du 2 février 1852 3574 ». C'est la loi du 31 décembre 1975 qui a permis de l'exercer eninstituant le « vote par procuration ». Ce mode de vote des détenus est, depuis lors, prévu par l'articleL. 71, al.c du Code électoral : « Peuvent exercer, sur leur demande, le droit de vote par procurationdans les conditions fixées par la présente section... les personnes placées en détention provisoire etles détenus purgeant une peine n'entraînant pas une incapacité électorale ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Dans la réalité, ce mode de vote ne favorise pas la participation aux élections. Le fait de nepouvoir donner mandat pour le vote qu’à une personne inscrite sur les listes électorales de la mêmeUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008commune constitue une restriction sérieuse étant donnée la difficulté de créer des liens avecl’extérieur. Car si la personne n’a plus d’adresse privée, et ne peut donc pas rester inscrit dans sacommune de résidence antérieure à son incarcération, elle doit s’inscrire sur les listes électorales à lamairie du lieu de détention. Ensuite, il faut qu’un agent du commissariat de police se déplace à laprison pour faire signer la procuration. Par ailleurs, des lenteurs sont régulièrement constatées dansla diffusion de l’information en prison, mettant de fait les détenus hors délais pour accomplir lesformalités administratives. Si bien qu’aux élections présidentielles de 2007, seules 2700 personnes3574 J. FAVARD, « Le détenu citoyen », RSC, 1989, n° 3, p. 258.


764détenues ont voté au 2ème tour de l’élection présidentielle sur environ 60 000 personnes détenuesavait annoncé le 9 mai 2007 l’administration pénitentiaire 3575 . Depuis cette année, un décret a prévula possibilité pour les détenus de voter personnellement à l’extérieur en bénéficiant d’une permissionde sortir d'une durée n'excédant pas la journée (art. D. 143 CPP) 3576 . Mais il ne faut pas s’attendre àune ruée des détenus vers les urnes à l’extérieur au moment des prochaines élections. Compte tenudes conditions des délais et d’appréciation de la personnalité du détenu auxquelles est soumis l’octroid’une telle mesure, l’efficacité de ce moyen de vote sera limitée.Le droit grec ayant opté pour le vote dans les lieux de détention assurerait alors unemeilleure garantie de l’exercice effectif de ce droit.2. Au sein du droit grecLa première tentative pour permettre aux détenus de voter en Grèce a eu lieu en 1991. Unprojet de réforme du Code des règles fondamentales pour le traitement des détenus prévoyaitl'aménagement d'une procédure pour rendre effectif l'exercice du droit de vote par les détenus ayantconservé leurs droits politiques. Mais il est resté au stade de projet 3577 . C'est quelques années plustard, en 1996, qu'une loi fut votée permettant aux détenus non privés de leurs droits politiques departiciper, pour la première fois, aux élections législatives de septembre 1996. Il s'agit de la loin° 2408/96 qui prévoit, dans son troisième article, la mise en place dans la prison des bureaux devote. Actuellement, ce droit figure en bonne place dans le Code pénitentiaire de 1999. Il prend placejuste après la disposition intitulée « droits des détenus », dans l’article 5, sous le titre « droit devote ». Il y est précisé que les détenus votent d’après des listes électorales spécifiques à l’instar desfonctionnaires. Une décision ministérielle (des Ministres de l’Intérieur, de la Justice et del’administration publique et de la décentralisation) réglemente les modalités pratiques de sonexercice. Actuellement, il est réglementé par la décision n°6161 du 22.2.2000. Un bureau de vote estinstallé dans les locaux de leur détention. Le jour de l’annonce officielle de la date des élections, ledirecteur de chaque établissement informe les détenus de la procédure à suivre pour pouvoirs’inscrire sur les listes électorales spécifiques aux détenus. Le droit de vote étant reconnu commefondamental, il ne peut pas faire l’objet de privation à titre de sanction disciplinaire (art. 66§2,C. pénit.).<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Dès lors, ces deux droits nationaux non seulement ne soulèvent plus de questions deconformité avec la Convention à propos de l’exercice du droit de vote par les détenus non privés deleurs droits politiques, mais constituent des exemples d'évolution pour les autres droits nationaux3575 http://www.justice.gouv.fr.3576 Décret n° 2007-1627 du 16 novembre 2007.3577 Chronique du Laboratoire de Criminologie et de psychiatrie légale, Faculté de droit, Université de Thrace,Sakkoulas, 1991, vol. 2, p.46.


765ainsi que pour la jurisprudence européenne. Leur exemple montre qu'il suffit de prévoir desmodalités de vote (par procuration ou par installation des urnes dans la prison) pour que les détenuspuissent voter. Constat qui rend difficile de continuer à soutenir que des questions pratiques ouautres liées au fonctionnement de la prison puissent justifier la non-garantie aux détenus du droit devote.En revanche, il n'en est pas de même concernant la continuité de la privation des droitspolitiques à titre de sanction. Le motif principal de cette privation est, comme l’a souligné ladoctrine, l'effet infamant attaché à certaines peines privatives de liberté : « La dignité d'électeur estjugée incompatible avec le prononcé de certaines condamnations qui mettent en doute la moralité despersonnes qui y sont exposées 3578 ». Cette considération avait été approuvée par la Commission :« De telles limitations (des droits politiques) s'expliquent par l'idée que certaines condamnationsmarquent d'infamie pour un temps déterminé qui peut être prise en considération quant à l'exercicedes droits politiques 3579 . »Mais nous estimons que la privation des droits politiques à titre de sanction est contraire àl'esprit de la Convention. Car, outre le fait que cette privation ne fasse pas dépendre la qualité desujet des droits de l'homme des vertus de citoyen, elle serait contraire au principe qui ressort de sajurisprudence en matières de peines : la préservation de celles-ci d'un caractère dégradant, à tout lemoins, la non aggravation d'un tel caractère inhérent à toute sanction pénale. Or, la privation desdroits politiques étant en soi une peine dégradante, (rappelons que l'article 8 de l'ancien Code pénalfrançais classait la dégradation civique parmi les peines « infamantes »), il ne fait pas de doutequ'elle aggrave ce caractère de la peine privative de liberté. Aussi, devrait-elle être une peineuniquement complémentaire, laissée à l'appréciation du juge de condamnation, de surcroît, réservée àdes infractions ayant un rapport avec la vie politique ou la sécurité de l'Etat ou le bien public. Ainsique l’a souligné, Gerard Soulier, qui qualifie d'« hasardeux » l'argument d'indignité (celui-ci dénoteune « manière plutôt idéologique que véritablement morale de déterminer qui a qualité pour exercerle droit de vote... »), ce droit, « inhérent à la notion de citoyenneté, ne devrait pas être aussifacilement remis en cause » ; le bannissement de la vie politique, dans nos sociétés démocratiques<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083578 Extraits des débats au Sénat concernant les dispositions susmentionnées du Code électoral français, in JOdéb. Sénat, (Q), déc. 1989, p. 2192, cité dans le Code électoral, préc, p. 15. Voir dans le même sens, M.PRELOT, Institutions politiques et droit constitutionnel, DALLOZ, 6 eme éd., 1972, p. 627 : « L'indignitéconstitue l'accessoire d'une faute sanctionnée pénalement ; l'idée étant que quiconque s'est exposé à tombersous le coup de la loi pénale s'est montré indigne de participer à la formation d'une volonté générale qu'il nerespecte pas ». Voir aussi Roger MER<strong>LE</strong> et André VITU, Traité de droit criminel, 1984, Cujas, p. 931 : « Lelégislateur veut aussi assainir la vie politique en écartant les personnes indignes d'y jouer un rôle » ; Marie-H.RENAUT, « Les conséquences civiles et civiques des condamnations pénales », RSC, (2), avr-juin, 1998,pp. 265-277. Au Canada aussi, l'exclusion des détenus du droit de vote est justifié par « le devoir de préserverl'exclusion symbolique des criminels pour renforcer le concept du citoyen responsable et décent et pourpréserver la pureté de l'urne ». P. <strong>LA</strong>NDREVIL<strong>LE</strong> et L. <strong>LE</strong>MON<strong>DE</strong>, « Le droit de vote des personnesincarcérées au Canada », RSC, (2), avr.-juin, 1994, p. 305.3579 D 9914/82, (X/Pays-Bas), préc., pp. 243-244 (à propos de la privation de l'exercice des droits électorauxdes condamnés à une peine privative de liberté supérieure à un an).


contemporaines, « ne devrait intervenir que lorsque la personne a véritablement mis en danger la citéelle-même... Or, tel n'est évidemment pas le cas du délinquant ordinaire 3580 ». En outre, la Courdevrait exercer un contrôle de conformité sur l'usage de la marge nationale d'appréciation (légale oujudiciaire) aux exigences de la Convention. Quant à sa durée, elle devrait être moindre que celle de lapeine privative de liberté ; en tout cas, elle ne devrait pas survivre à la mise en liberté des détenus.L'exercice de ces droits, étant au cœur des droits et devoirs des responsabilités sociales et politiques,fait partie des moyens de re-socialisation de l'ensemble des détenus. Citons à ce propos MaxGounelle : « Il ne faut pas négliger le caractère liturgique que revêt l'acte de voter dans le ritueldémocratique. De ce point de vue, le fait de voter est un acte d'intégration sociale 3581 ». C’étaitégalement l’avis de la Commission, exprimé dans l’affaire Labita. Elle y avait souligné que laradiation temporaire du requérant des listes électorales (radiation qui avait survécu à sonacquittement) risquait de l'« éloigner ultérieurement de la société civile 3582 ».Pour toutes ces raisons, le fait qu'il s'agit d'un « anachronisme punitif, reliquat de la mortcivile 3583 », la jurisprudence de la Cour devrait évoluer vers la garantie de l'exercice effectif desdroits politiques de la part des détenus qui n’en sont pas privés à titre de sanction, et vers un contrôlestrict de la légitimité de leur privation à titre de sanction et de la durée. D’autant plus que lesconséquences de la privation des droits civiques ne se limitent pas aux élections. Elles s’étendentdans le domaine du travail, du syndicalisme, de l’activité associative, de la fonction de justice. Ainsi,en France, la jouissance des droits civiques fait partie des conditions émises dans l’accès à certainesprofessions, et généralement à la fonction publique, dans les élections des délégués du personnel,dans la composition du corps des jurés à la Cour d’assises.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20087663580 G. SOULIER, Citoyenneté et nationalité, préc., p. 353.3581 Max GOUNEL<strong>LE</strong>, Introduction au droit public français, p. 122.3582 CEDH, Labita c. Italie [GC], préc., § 200.3583 P. <strong>LA</strong>NDREVIL<strong>LE</strong> ET L. <strong>LE</strong>MON<strong>DE</strong>, « Le droit de vote des personnes incarcerées au Canada », préc.,pp. 305


767CONCLUSION PARTIE 2La prison est le reflet en négatif de la société démocratique. C’est l’image que lui imprimel’étude de l’application dans son enceinte des droits et libertés les plus déterminants des régimespolitiques : la vie privée, le secret, la liberté d’expression, l’autonomie d’entreprendre, la libertésyndicale. Surveillance, contrôle, autorisations préalables, censure, obéissance, dépossession desbiens, privation d’échanges, tels sont les traits qui caractérisent l’organisation de la vie en prison.Des conditions qui révèlent que l’essence de cette peine ne se limite pas à la soumission de lapersonne au contrôle physique extérieur, à savoir au contrôle spatial du périmètre de vie autorisée ;elle s’étend au contrôle de son mode de vie au plus intime. Voire, elle consiste à organiser la vieentière de ces personnes, de surcroît, d’une manière visant à plus que le contrôle de la vie privée, latransparence du détenu. Ce qui montre clairement la surveillance totale des espaces de la prison, descommunications et des contacts en général, y compris les plus intimes, avec comme point culminantle rituel des fouilles corporelles jusqu’aux parties intimes. Or, ces immixtions ne sont passimplement en simple écart par rapport à l’extérieur ; elles sont à l’opposé. Le détenu est réduit auseul statut d’homme public au sens de l’exposition permanente au regard d’autrui.En effet, l’apport de l’application des droits de l’homme est très limité. Certes, lajurisprudence de la Cour a dégagé certaines garanties, notamment : le rapprochement familial, lesprécautions dans le cadre de transfert pour préserver les visites familiales programmées, la garantiedu mariage en tant que conclusion d’un contrat, le principe de maintien de l’autorité parentale,l’incitation à la limitation de la fréquence des fouilles et la garantie de la correspondance sansrestriction des destinataires et du nombre de lettres. Mais elles sont insuffisantes pour changersignificativement la structure du fonctionnement de ce lieu. C’est le principe d’autorisation et desurveillance qui domine la vie privée des détenus y compris la correspondance et les visites au pointd’accepter la privation de relations sexuelles qui est à la fois un aspect garanti de la vie privée, du<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...droit de procréer et de fonder une famille. C’est l’autorisation et la censure qui dominentl’expression publique. Et c’est la privation de pouvoir contractuel qui caractérise ses échanges.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008L’étude des droits et libertés relatifs à l’activité économique a, elle, permis de voir que ledétenu subit non seulement des restrictions inhérentes à cette peine, en tant que conséquencesphysiques directes, notamment l’activité professionnelle, mais aussi des conséquences ajoutées parl’organisation du travail et la gestion des biens en prison. Ainsi, à la réduction de l’activitéprofessionnelle du détenu à la seule forme de travail dépendant, s’ajoute la privation de contrat detravail pourtant étranger à la condition physique d’une personne. A la sous-rémunération, s’ajouteune gestion quasiment « sous tutelle » de l’argent des détenus quelle qu’en soit la ressource. Desconditions qui laissent montrer que le but recherché est de priver la relation de travail de sa


768potentialité d’être source d’autonomie. Car celle-ci peut résider aussi bien dans les garanties dusalaire que dans le statut de « salarié » qui concurrencerait celle de détenu, ou encore celle de« salarié syndiqué ». Les conditions d’accès à la consommation sons venues appuyer la thèse que lessoubassements de ces aspect de la vie du détenu résident dans la conception de la peine comme perted’autonomie et soumission à la frustration, la pauvreté, l’inconfort et l’obéissance. C’est le domainedans lequel l’application des droits de l’homme n’a apporté aucune avancée dans le statut de détenu.La Cour n’a condamné ni la privation de l’activité professionnelle à cause de l’incarcération, nil’absence de contrat ni la sous-rémunération ni la gestion imposée de son argent, ni la privation del’accès aux biens de consommation.L’étude des droits politiques complète la palette des raisons sous-jacentes de la nature et del’ampleur qui caractérisent l’exercice des droits de l’homme dans la prison. La privation des droitsde vote et de la liberté d’expression a toujours été justifiée par la considération de la peine commeune infamie portant atteinte à la dignité du citoyen. Celui qui a enfreint les règles communes n’a pasvocation à participer à leur élaboration ni à exercer des fonctions de direction et de pouvoir. Maiscette considération est, encore aujourd’hui, plus clairement admise dans les conséquences postcarcéraleset post-pénales. La preuve en est le casier judiciaire : l’inscription sur ce casier d’unecondamnation pénale constitue un obstacle à l’accès à un nombre important d’activitésprofessionnelles parmi lesquelles celle de fonctionnaire 3584 . Dans ce domaine, la Cour s’est limitée àappuyer, et cela seulement à partir de 2004 3585 , la garantie de l’exercice du droit de vote de la partdes détenus qui n’en sont pas privés au titre d’une sanction pénale accessoire ou complémentaire.Ce n'est que l’exercice des droits relatifs à l’apprentissage, la formation, l’information et lareligion, des droits dans lesquels le détenu se trouve dans le statut d’« apprenti » aussi bien du pointde vue intellectuel, que professionnel et citoyen, qui s’est le plus rapproché du droit commun. Lespersonnes détenues ont accès au même contenu d’éducation générale et professionnelle, à la mêmeinformation, la censure ayant quasiment disparu depuis l’entrée de la télévision et des radios dans lescellules. Quant à la pratique religieuse, elle a toujours bénéficié d’une garantie appuyée, carconsidérée comme partenaire dans le travail de rédemption et de correction du délinquant. Mais làencore, les progrès sont venus des droits nationaux et dépassent les exigences européennes. Ces<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008dernières sont, par exemple en matière d’éducation, limitées à l’instruction de niveau secondairen’incluant l’obligation d’assurer ni la formation professionnelle ni les études universitaires. Enmatière d’information, la Cour n’a pas condamné le principe de la censure des publicationsautorisées à l’extérieur.3584 BAN PUBLIC, « Guide pratique des empêchements à la réintégration des anciens prisonniers », 6 janvier2007, www.prison.eu.org.3585 CEDH, Hirst c. R.U., (n o 2), [GC], 74025/01, CEDH 2005-X.


769En somme, les quelques avancées apportées par la Cour et réalisées par les droits nationauxne sont pas satisfaisantes, ni au regard du principe de légalité des peines, ni de la sociétédémocratique. Voire, les conditions de l’exercice quasiment de l’ensemble de ces droits et libertéscompromettent gravement l’identité d’une telle société.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


770CONCLUSION<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


771Avec la réaffirmation de la valeur fondamentale de la liberté dans la nouvelle conception desdroits de l'homme, la peine privative de liberté n'est pas mise en cause. Celle-ci n'est pas considéréecomme contraire ni à la dignité humaine ni aux droits de l'homme en général. Cette réaffirmation n'estaccompagnée que du renforcement de la protection des droits de l'homme à l’égard des détenus.Renforcement qui demeure pourtant insuffisant pour changer significativement le sens de cette peineainsi que la structure de la prison.Si la jurisprudence européenne concilie la privation de liberté avec le respect de la dignité etl’ensemble des libertés en affirmant que « la liberté de la personne n'est pas un préalable nécessaire àl'exercice des droits » 3586 , elle le fait en adaptant le raisonnement au statut juridique et matériel dudétenu. Si bien que l’impact des droits de l’homme demeure faible, sans provoquer de changementsignificatif ni du lien entre la peine privative de liberté et la prison ni du fonctionnement structurel decelle-ci afin de les rendre conformes au principe de légalité des peines et de la société démocratique. Aucontraire, notre étude démontre la thèse que la prison demeure un moyen d’exécution de la peineprivative de liberté défiant le principe de légalité des peines et mettant en même temps à l’épreuve lasociété démocratique entière. Cela est vrai aussi bien pour les droits de l’homme à valeur relative, àsavoir soumis à des restrictions, que des droits de l’homme à valeur absolue, exclus de restrictions.En ce qui concerne les droits à valeur absolue ou renforcée, cette adaptation a eu lieu parl’élévation du seuil de gravité qualificatif des actes ou traitements interdits par la Convention ; et pour cequi est des droits de protection relative, elle a eu lieu par la substitution du critère général de nécessitédémocratique par celui de nécessité carcérale dans l’appréciation des restrictions compatibles avec la<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...société démocratique. Or la nécessité carcérale se traduit par la justification explicite « des ingérencesplus amples à l'égard d'un détenu que d'une personne en liberté ». Cela est affirmé dès le premier arrêtrendu par la Cour en matière d'application des droits de l'homme dans la prison, l’arrêt Golder et autres(1975), jusqu'aujourd’hui 3587 . Ainsi, même les droits de l'homme n'ont pas échappé à cette règle quisemble régir l’organisation de la prison, à savoir celle du maintien d'une différence entre la vie àl'extérieur et celle intra muros. Comme l'affirment Georg Rusche et Otto Kircheimer, « aucunUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20083586 R 8186/78 (Draper/R.U), 10.7.1980, D.R., 24, p. 72.3587 Voir entre autres, les arrêts : Golder, préc., Silver et autres, préc., Campbell et Fell, préc., Boyle et Rice, préc.,Scomenberger et Durmaz, préc.


772programme de réforme n'a pu jusqu'à maintenant se défaire du principe que le niveau de vie en détentiondoit être restreint pour maintenir l'effet dissuasif de la détention 3588 . »L'acception de restrictions des droits de l'homme plus amples qu'à l'extérieur est fondée sur lareconnaissance de la prison comme un contexte spécial et, par conséquent, comme un ordre spécial, dontla préservation constitue un but légitime pour la préservation de l'ordre général dans une sociétédémocratique. En effet, aux buts communs à la société démocratique s'ajoutent ceux spécifiques à laprison : les nécessités de son fonctionnement en tant que lieu de vie collective, la facilitation du travaildu personnel pénitentiaire et la sauvegarde du moral de celui-ci; l'empêchement de l'évasion, et surtout lemaintien d'un ordre disciplinaire. Spécificité qui ne devrait s'estomper que devant deux impératifsabsolus : la sauvegarde de la substance des droits de l'homme, et le respect intégral des droits deprotection absolue.Il importe toutefois de souligner que la situation de fait du détenu ne sert pas seulement àjustifier des limitations plus amples qu'à l'extérieur. Elle sert également à renforcer les obligationspositives des Etats dans le respect des droits de l'homme. Tout d'abord, la situation de dépendance dudétenu vis-à-vis de l'Etat crée, à l'égard de ce dernier, une obligation positive, à savoir une obligationd'intervention plus accrue qu'à l'extérieur pour assurer l'exercice effectif des droits de l'homme dans laprison. La Commission avait déjà affirmé que l'exercice des droits de l'homme ne dépend pas seulementde la situation matérielle des détenus, mais aussi, et surtout, des mesures prises par les autoritéspénitentiaires à cet effet 3589 . Ainsi, à propos du droit au mariage, cette instance a déclaré : « L'exercice dece droit exige quelque action positive de la part des autorités pénitentiaires », à savoir que les autoritésdoivent « prendre certaines dispositions administratives afin qu'un détenu puisse contracter lemariage 3590 ».<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>L'état de dépendance du détenu est également pris en compte dans l'application de l'article 3 dela Convention. Cet état est, depuis l'arrêt Tomasi, la privation de liberté est considérée comme unesituation de vulnérabilité de la victime. Cela a conduit à l'abaissement du seuil de gravité exigé pour quedes agissements tombent sous l’interdiction de la torture, des traitements inhumains ou des traitementsdégradants.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083588 G. RUSCHE ET O. KIRCHEIMER, Peine et structure sociale, préc., notamment pp. 247-248, 300, 312.3589 . R 7114/75 (Hamer/R.U), préc., p 60 ; R 8186/78 (Draper/R.U), préc., p. 203.3590 . Obligation affirmée dans les affaires Golder, préc. ; Hammer préc. p. 29; Draper, préc., p. 93 ; D 4623/70(X/RU), 19.7.1971, Rec. 39, p. 63; D 5229/71 (X/R.U), 15.10.1972, Rec. 42, p. 140.


773L'isolement social des détenus à cause de sa détention constitue également un argument enfaveur du respect de certains droits de l'homme à leur égard. Il en est ainsi du droit au respect de lacorrespondance. Les instances européennes ont reconnu aux détenus le droit de correspondre avec toutepersonne et sans censure, et exigent de la part de l'administration pénitentiaire d'apporter la preuve de laremise effective des lettres aux détenus 3591 . De même, à propos des droits familiaux, il est exigé, afin defaciliter les visites familiales, que l'administration pénitentiaire informe à temps la famille detransfèrements des détenus, et que des efforts soient faits pour assurer le rapprochement familial.Certaines améliorations ont en effet eu lieu dans les droits nationaux. L'étude des droits grec etfrançais a fait apparaître l'amorce de leur évolution vers une meilleure prise en compte des droits del'homme à l'égard des détenus qui, parfois, va même plus loin que ne l'exige la Convention dans sonapplication actuelle.Parmi les effets directs de la mise en application des droits de l'homme dans la prison, sont àsignaler, dans le droit grec, la fermeture d'une de plus vieilles prisons suite à une décision de laCommission selon laquelle les conditions générales de vie dans cette prison soulevaient des questions defond au regard de l'article 3 de la Convention 3592 . Dans le droit français, il est à signaler l'extension durespect du secret à la correspondance échangée avec les instances du Conseil de l'Europe, suite à unedécision de la Commission estimant que l'absence du secret soulevait des questions de fond au regard dela Convention. Mais ce sont les effets indirects qui sont les plus nombreux, grâce au mouvementinternational et européen pour la mise en oeuvre d'une politique de limitation des effets de la privation deliberté et du respect des droits de l'homme dans la prison.En droit grec, ce mouvement a débouché, en 1989, sur la réforme générale du Codepénitentiaire. Ce Code consacre expressément les principes de limitation des effets de la privation deliberté et de conception de la prison comme un simple moyen d'exécution de la privation de liberté. Ence qui concerne la mise en oeuvre effective de ces principes, nous avons pu constater que certainesdispositions de ce Code consacrent une meilleure protection des droits de l'homme par rapport à celleassurée par la jurisprudence européenne. Il en est ainsi du respect de la correspondance. Le droit grecérige en principe la garantie de son secret et assortit les dérogations des garanties similaires à celles du<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008droit commun. Il en est de même à propos des demandes de libération conditionnelle et de suspension de3591 La Commission a, par exemple, estimé « que l'Etat ne saurait affirmer avoir satisfait aux obligations qui luiincombent au regard de la Convention en fournissant un simple relevé des courriers adressés aux détenus »,R 13803/88 (M/Italie), 20.2.1992, § 60 et 64.3592 D 14986/89 (Petronella Van Kuijk/Grèce), 3.7.1991 ; R 14986/89 (Petronella Van Kuijk/Grèce), 19.3.1992(règlement amiable).


774la peine. Alors que les griefs corrélatifs sont en majeure partie rejetés par les instances européennes aumotif qu'ils ne relèvent pas ratione materiae de la Convention, en droit grec, toutes ces demandes sontentourées de certaines garanties exigées par le droit au respect du procès équitable. Elles sont examinéespar le tribunal correctionnel (siégeant en chambre de conseil). Et les détenus disposent de droits àdisposer d'un délai pour préparer la défense, à être assistés par un avocat et à exercer un recours. Desurcroît, le décision doit être motivée. Un autre progrès du droit grec, très important dans l'histoire dudroit pénitentiaire, est la brèche qu'il a marquée dans le devoir d'obéissance des détenus : il leur estreconnu le droit à la désobéissance à un ordre manifestement illégal. Enfin, les procureurs près la Courde cassation ont émis un avis limitant le recours à l'usage des armes lors des tentatives d'évasion oud'arrestation d'un détenu évadé. Ils estiment que l'usage des armes doit être soumis au droit commun dudroit pénal, c'est-à-dire au cas où cela est rendu nécessaire par la nature de l'agression ou du dangerencouru pour la vie ou la propriété de la victime ou d'autrui. Danger qui doit être présent et non évitablepar d'autres moyens.Ces avancées constituent des progrès par rapport également au droit français. Il convient d’yajouter la reconnaissance expresse dans le droit grec de certains droits des détenus, alors qu'en droitfrançais l'expression « les détenus ont droit » continue d'être absente, mais aussi l'institution d'un jugedes libertés (le TAP), chargé d'examiner toute plainte des détenus relative à la violation de leurs droits.Dans le droit français, si la politique de limitation des effets de la privation de liberté aux seulseffets directs de la prison a été affirmée, dès 1975, et des réformes dans ce sens sont, depuis lors,effectuées, nous n'avons constaté que peu de progrès notables par rapport au droit grec et à lajurisprudence européenne. Il s'agit notamment du renforcement de la garantie de la liberté du travail,avec la suppression du travail involontaire en 1987, de l'amélioration du système des soins des détenusdepuis son rattachement au système de santé général, en 1994, mais aussi d'une meilleure protection desdroits sociaux et la juridictionnalisation de l’ensemble des aspects de l’application de la peine privativede liberté.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Mais le droit français et le droit grec présentent également des points communs concernant uneprotection des droits des détenus plus importante que celle assurée par la jurisprudence européenne. Ils'agit du droit de vote (ces deux droits nationaux assurent son exercice effectif par tous les détenus nonprivés de leur droits électoraux), de l'accès à l'information (plus large par rapport à celui assuré par lajurisprudence européenne), de l'accès à l'éducation (des facilités pour poursuivre des études techniquesou supérieures sont mises en oeuvre, alors que cela n'est pas rendu obligatoire par la Convention), ainsique de la reconnaissance de certains droits sociaux.


775Contrairement donc aux craintes exprimées par certains auteurs à propos de l'abandon del'objectif de traitement des détenus, à savoir qu'il serait accompagné d'une détérioration des conditionsde détention 3593 , et à leur scepticisme à propos de la capacité des droits de l'homme de l'empêcher, notreétude confirme les résultats des recherches menées aux Etats-Unis 3594 , au Canada 3595 et en Europe 3596 .Celles-ci ont fait état d'une amorce d'effectivité des droits de l'homme dans la prison et de la limitationdu pouvoir de punir lors de l'exécution de la peine privative de liberté. Cela se traduit, dans la pratique,par la réduction des illégalités à l'encontre des détenus et, en conséquence, par l'humanisation desconditions de la vie carcérale 3597 . L'accent est également mis sur l'importance psychologique quereprésente pour les détenus le pouvoir d’intenter une action légale par laquelle ils peuvent modifier lesrapports de force avec l'institution 3598 .Toutefois, force est de constater qu'il ne s'agit encore que d'une amorce et qu’un long cheminreste à parcourir aussi bien en droit grec 3599 et en droit français qu’à la propre jurisprudence de la Cour.Premièrement, à propos du respect de certains droits de l'homme, nous avons constaté que leraisonnement de cette instance n'a pas été véritablement éloigné de celui de la Commission fondé sur leslimitations implicites. Outre la justification de la privation du droit de circuler et de quitter le pays,considérée comme implicite à la notion de privation de liberté, conformément au principe que lemaximum contient le minimum, nous avons également relevé des restrictions implicites de nombred’autres droits. A commencer par le respect de la dignité. La Cour part du principe que toute peineimplique une atteinte à la dignité. Pour que les traitements ou conditions de vie portent atteinte à la3593 Les résultats de l'inefficacité de traitement et la pression du mouvement des droits des détenus aux USA et auRoyaume-Uni auraient provoqué une crise d'identité du service de la prison à propos de sa mission, P. <strong>LE</strong>JINS,« Programmes non correctionnels pour condamnés criminels », in Melanges PINATEL, préc., p. 43 ; HallWILLIAMS, « Le changement du concept de la prison », in Melanges PINATEL, préc., p. 162.3594 H. PONTELL and W. WELSH, « Incarcération as a deviant form of social control : jail overcrowding inCalifornia », In Crime and delinquency, janvier 1994, vol. 40, n° 1, pp. 18-36.3595 G. <strong>LE</strong>MIRE, Intervention au colloque « La Condition juridique du détenu », (Poitiers), préc.3596 MIKA and THOMAS, The dialectics of prisonner litigation : reformist idealism or social praxis ? SocialJustice, vol. 15, n° 1, 1988, p. 63. J. FEEST, Institutional Resistance against prisoners'rights, The Howard journalof criminal justice, vol. 32, n° 2, mai 1993, pp. 127-135.3597 . Selon A.-J. FOW<strong>LE</strong>S, c'est ce que Hawkins et Mitford (1976) ont essayé de démontrer, A.-J FOW<strong>LE</strong>S,Prisoner's rights, in England and United States, Aldershot-Brookfield, 1989. Même si le rôle des « droits desdétenus » peut être à double tranchant : légitimer socialement l’existence de la prison plutôt que la mettre en cause,et même si l’impact de ces droits ne vas pas jusqu’à détruire la primauté sécuritaire de l’institution carcérale ni d’enfinir avec sa vocation disciplinaire, G. CHANTRAINE et D. KAMINSKI, « La politique des droits en prison »,Champ Pénal/Penal field, 27 septembre 2007, site : http://champpenal.revues.org.3598 MIKA and THOMAS, “The dialectics of prisonner litigation : reformist idealism or social praxis ?”, SocialJustice, vol. 15, n° 1, 1988, pp. 48-65.3599 A. MANITAKIS, « Les droits constitutionnels des détenus et leur protection judiciaire », in Mélanges enhommage de G. PAPAHATZI, Athènes, Sakkoulas, 1989, pp. 973-1001<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


776dignité, ils doivent dépasser le seuil habituel d'humiliation impliqué par une peine 3600 . Cela signifie quele seuil requis pour qualifier un acte ou condition comme contraire à l'article 3 de la Convention est plusélevé qu'à l'égard d'une personne libre. Le cas de l'isolement carcéral en est la preuve incontestable. Ceseuil décisif est si élevé que, comme l'a écrit Rusen Ergec, il « n'est pas sans énerver le caractère absoludes prohibitions de l'article 3 » 3601 . Nous avons fait le même constat à propos du droit au respect de la vieprivée. Cour et Commission ont admis que la détention entraîne inévitablement une ingérence dans lavie privée et familiale qui, cependant, ne serait pas contraire à l'article 8 car elle est inhérente à ladétention. De même, le contrôle du contenu de la correspondance est à ce point considéré comme unaspect normal de la détention, qu'il ne s'analyse même pas comme une ingérence dans l'exercice du droitau respect de la correspondance.Ensuite, en ce qui concerne l'ampleur des limitations admises, celle-ci rend souvent inintelligiblela sauvegarde d'une quelconque substance des droits de l'homme. Premièrement, aucun des droits visantà garantir la liberté de participation des détenus à la vie sociale et politique n'est effectivement respecténi au sein de la jurisprudence européenne ni au sein des droits nationaux (à l'exception pour ces derniersdu droit de vote). Par exemple, la liberté d'expression des détenus est soumise à plusieurs entraves : leursécrits destinés à la publication sont soumis au contrôle durant l'écriture, puisque le détenu n'a le droit ni àun temps, ni à un lieu ni à des objets intimes; leur publication est soumise à une autorisation préalable;et, à défaut d'une telle autorisation, leur publication est retardée jusqu'à la fin de l'exécution de la peineprivative de liberté. La seule limite qui avait été émise par la Commission européenne dans ceslimitations, concerne le refus d'autoriser la publication des écrits scientifiques. A ces entraves, s'ajoute laprivation complète du détenu de s'exprimer dans la presse écrite ou audiovisuelle, en tout état de cause,de s'exprimer en direct. Il est de même de la liberté syndicale et de la vie professionnelle libérale et dudroit au travail. Elles sont totalement absentes de la prison. Quant à la liberté dans la gestion des biens, ycompris la liberté de consommation, l'image du détenu que reflète la jurisprudence corrélative desinstances européennes demeure archaïque. La privation d'autonomie dans sa manifestation élémentaire, àsavoir les petits gestes d'échange quotidiens, est flagrante. La privation de tout échange entre détenus etdes échanges directs de ceux-ci avec l'extérieur, y compris ceux impliqués par l'achat des produits deconsommation, démentent la volonté de faire fonctionner la prison suivant les mêmes règles que le restede la société démocratique et donc de limiter la peine privative de liberté à la seule privation de libertéphysique.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083600 Voir parmi d’autres : Costello-Roberts préc. ; Tyrer préc. ; Kuda précité, §§ 92-94 ; Ilacu et autres [GC],n° 48787/99, CEDH-2004-VIII ; Kalashnikov c. Russie (nº 47095/99), 15 juillet 2002, § 95, Ramirez Sanchez c.France [GC], n° 59450/00, CEDH 2006-VII, § 119 ; Popov v. Russie, n° 26853/04, CEDH 2006-VII, § 208 ;Kadiis c. Lettonie (n° 2), n o 62393/00, CEDH 2006-V, § 56.3601 R ERGEC, « Les droits de l'homme à l'épreuve des circonstances exceptionnelles », in Etude sur l'article 15 dela CEDH, Bruxelles, Bruyland, 1987, p. 263.


777Quant au respect de la vie privée, après la justification de l'immixtion majeure que constitue ladétention en soi, les garanties assurées ne concernent que des aspects secondaires. Ainsi, le respect de lavie familiale est réduit au maintien des rapports familiaux uniquement par la correspondance et lesvisites familiales (les sorties des détenus ne sont pas garanties), de surcroît, non intimes. Mais lesrestrictions dans le respect de la vie privée, dues à l'absence d'intimité des visites privées, vont jusqu'àpriver le détenu du droit de fonder une famille par la procréation à cause d'absence de garantie desrapports sexuels.A propos du droit au respect de la correspondance, la Cour avait affirmé, dans l'arrêt Klass etautres, que le contrôle de la correspondance privée étant « caractéristique de l'Etat policier », il faitencourir « le risque de saper, voire de détruire la démocratie au motif de la défendre 3602 ». On en déduitdonc que, dans une société démocratique, le respect du secret relève de la substance de ce droit. Or,s’agissant de la vie des personnes détenues, à l'exception du droit grec, le respect du secret constitue uneexception hormis la correspondance échangée avec les instances européennes et certaines autoritésnationales et internationales.Enfin, en ce qui concerne le respect du consentement médical et du secret médical assuré auxdétenus, il nous laisse, lui-aussi, perplexes concernant la substance de ce droit dans une sociétédémocratique.Dans son ensemble, le fonctionnement de la prison sous l’angle des droits de l’homme a montréqu’elle constitue inévitablement plus qu’une privation de liberté physique; elle constitue un systèmed’organisation de vie restrictif des libertés et des droits fondamentaux d’une ampleur compromettantepour la société démocratique.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Eu égard à cette ampleur, on ne peut pas affirmer que le respect des droits de l'homme dans laprison se limite à un simple écart par rapport à l'extérieur justifié par les particularités de son ordre. Lesderniers exemples des restrictions citées atteignent la substance même des droits de l'homme. Affirmer lecontraire, à savoir que, malgré leur ampleur, il s'agit seulement des restrictions, de surcroît propres à laUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008société démocratique, ce n'est pas seulement mettre en cause les principes pénaux (de légalité et depersonnalisation des peines) ; c’est aussi mettre en danger la conception des droits de l'homme dans unesociété démocratique et l'identité même d'une telle société. A moins de reconsidérer le sens du terme« substance des droits de l'homme ». Auquel cas, on donnerait raison aux critiques faites à propos de la3602 . Klass et autres, 6 sept. 1978, Série A, n° 28, § 49.


778judiciarisation des droits de l'homme, à savoir que ceux-ci ne sont devenus des normes juridiques quelorsqu'ils sont réduits à des « squelettes 3603 ».Même si l’on peut reconnaître une spécificité à l'ordre de la prison, les différences entre sonordre et celui à l'extérieur devraient s'estomper, rappelons-le, devant une exigence commune à toutesociété démocratique : le respect de la substance des droits de l'homme quel que soit le contexte.Or l’ampleur de l’écart constaté implique l'inversement même des fondements de l'ordredémocratique. Certes, « pas plus qu'aucun ordre étatique, la démocratie ne saurait se passer de lacontrainte » 3604 . Mais, dans l'ordre démocratique, « la contrainte répond à une fin bien définie qui n'estautre que l'épanouissement des libertés » 3605 . La garantie d'un tel ordre de liberté repose essentiellementsur la discontinuité entre l'espace de vie privée et de vie publique, nécessaires pour assurer l'intimité etl'autonomie, entendue comme non soumission à l'autorisation préalable des initiatives privées 3606 . Maiselle repose aussi sur le respect du pluralisme et de l'ouverture, nécessaires pour garantir un équilibredynamique et évolutif propre à la société démocratique.Le respect de ces garanties exige que l'interprétation des droits de l'homme se base sur leprincipe d'abstention de l'Etat. Son intervention n'est sollicitée que pour mieux assurer l'exercice desdroits de l'homme et des libertés fondamentales. Toute immixtion visant à les restreindre ne peut êtreconsidérée que comme une exception au principe de l'abstention, et doit être limitée au minimumnécessaire pour le respect de l'intérêt général. C'est la garantie d'un tel ordre que vise le mécanisme deprotection des droits de l'homme consacré par la Convention européenne des droits de l'homme et deslibertés fondamentales.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Or, dans la prison, nous observons l'inverse. Le raisonnement part du principe d’une immixtiontotale de l'Etat dans le domaine de la vie privée et de l’autonomie. Si bien que le raisonnement sur lesdroits de l'homme corrélatifs vise à établir la nécessité de l'abstention de l'Etat afin de préserver quelquesaspects minimes de la vie privée de la personne détenue.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083603 VIRALY M., La Pensée juridique, LGDJ, 1960.3604 IR. ERGEC, Les droits de l'homme à l'épreuve (…), préc., p. 32.3605 Ibid.3606 . « Le régime des autorisations préalables dans le domaine des libertés collectives irait de toute façon àl'encontre de l'idée qui préside actuellement le constitutionnalisme des démocraties pluralistes, à savoir le libredéveloppement de la personnalité dans un contexte d'intérêts collectifs diversifiés et autonomes ; elle affecterait lasubstance même de la liberté protégée et équivaudrait pratiquement à son anéantissement », G. V<strong>LA</strong>CHOS, « Lastructure des droits de l'homme et le problème de leur réglementation en régime pluraliste », RIDC, 1972, n°2,p. 339.


779En effet, ni la soumission de tout acte des détenus à l'autorisation préalable des autoritéspénitentiaires, ni la considération de tout l'espace de la prison et de toute la vie des détenus commepublics ne sont mis en cause. En observant le raisonnement des instances européennes, nous constatonsque l'exercice des droits de l'homme dans la prison s'arrête devant les nécessités d'une surveillance desdétenus constante et totale : la surveillance de l'espace de la prison (des cours de promenade jusqu'auxcellules), des rapports des détenus avec l'extérieur (correspondance, expression, visites) et même de leurcorps (fouilles corporelles).Ces considérations liées à l'affirmation par la Cour que l'ordre de la prison est disciplinaire (« LaCour n'ignore pas que, dans le contexte carcéral, des raisons pratiques et de politique militent pour unrégime disciplinaire spécial 3607 ») et uniforme (les exigences normales et raisonnables del'emprisonnement justifient « d'ordinaire, on doit le reconnaître, d'imposer aux détenus un régimeuniforme évitant toute apparence d'arbitraire ou de discrimination 3608 ») promeuvent un ordre uniforme,fermé et figé contraire donc à celui de la société démocratique qui se veut pluraliste, diversifiée, ouvere,dynamique et évolutive.Cependant, après l'affirmation que la privation de liberté ne doit consister que dans l'obligationde vivre dans la prison, et qu'aucune contrainte, à part celles qui sont nécessaires à l'organisation de lavie collective, ne doit venir s'ajouter, celle-ci est la seule institution parmi celles qui présentent desaspects similaires (comme l'armée, l'hôpital, l'école ou l'usine) qui ne soit pas assortie de buts spéciaux(comme le but thérapeutique dans les hôpitaux psychiatriques, l'apprentissage dans les écoles et l'armée,la productivité dans l'usine) pouvant justifier d'emblée des écarts dans le respect des droits de l'hommepar rapport à l'extérieur. Certes, à la différence de ces institutions, il existe pour la prison la crainte del'évasion, à cause de l'absence d'adhésion volontaire à son ordre et de l'absence de récompense par lerenvoi d’une 'image positive ou par un intérêt personnel (comme c'est le cas dans l'armée, l'école,l’hôpital ou l'usine) qui pourraient contrebalancer les effets de contrainte de ces institutions. Toutefois,comme l'a souligné le Comité européen pour les problèmes criminels, la crainte de l'évasion peut êtrecontrecarrée par la sécurité des murs. Dès lors, à l'intérieur, peut, et doit, être assurée une certaineliberté 3609 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083607 CEDH, Campbell et Fell c. R.U. préc., § 693608 CEDH, Boyle et Rice c. R.U, préc, §§ 74-75.3609 « Il convient de mentionner que dans les institutions où des exigences d'une plus grande sécurité s'imposent,des normes de sécurité raisonnables vers l'extérieur permettent généralement d'accorder plus de liberté à l'intérieurde l'établissement», souligne le Comité pour les problèmes criminels dans son rapport Traitement des détenus delongue durée, Conseil de l'Europe, 1973, p. 14.


780Certes, note encore ce Comité, les améliorations par le droit sont limitées 3610 . Et divers auteursont souligné les limites de la Convention dans la protection effective des intérêts des détenus. Seules degrandes violations tombent dans le champ de protection des droits de l'homme 3611 , laissant dehors toutesles atteintes légères 3612 .Mais nous estimons que les juges européens, en justifiant systématiquement les restrictions desdroits de l'homme dans la prison dans une ampleur atteignant leur substance même, n'épuisent pas toutela protection que la Convention pourrait assurer.Pour faire changer significativement la prison, il faut parvenir à faire entrer la liberté dans sonenceinte. Il faut, comme le souligne Monique Seyler, que « la vie en prison laisse de la place à une viequotidienne conforme aux leçons intégratives de notre maître à tous, en la matière, la société » 3613 . Or,pour cela, il faut que la prison fonctionne de manière vraiment démocratique. En 1973, le Comitéeuropéen pour les problèmes criminels constatant, dans son rapport intitulé « La communautépénitentiaire », que la prison constitue « un bastion de l'autoritarisme dans une société où les processuset structures démocratiques sont en développement rapide », recommandait de faire des efforts pour sadémocratisation. Mais ceux-ci se sont avérés difficiles 3614 . Dans un rapport datant de 1986 sur Lesrégimes des institutions pénitentiaires, ce Comité a renouvelé la recommandation de poursuivre lesefforts vers une véritable démocratisation du fonctionnement des prisons 3615 .Or le raisonnement des instances européennes reste en-deçà d'une telle exigence dès lors qu'iljustifie un ordre de non-liberté et, par conséquent, non-démocratique dans la prison. Quelles peuvent êtreles causes profondes qui continuent à justifier un tel ordre depuis l'affirmation de la limitation de la peineprivative de liberté dans la seule privation de la liberté physique, et du respect effectif des droits del'homme dans la prison ?<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Les véritables buts de la peine dépassent le but punitif et donc les seuls besoins de la justice.Nous avons observé que, parmi les buts les plus fréquemment invoqués pour justifier les restrictions,figurent le maintien de la discipline et du bon ordre, mais aussi la prévention des infractions et desUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 20083610 CDPC, Les régimes des institutions pénitentiaires, préc., p. 10.3611 R. ROTH, « La judiciarisation de l'exécution des peines », in Présence et actualité de la Constitution dansl'ordre juridique, Helbing et Lichtenhahn, Faculté de Genève, 1991, pp. 301-322. Voir R. RYSSDAL, Allocutionprononcée au cours de la conférence organisée par la Faculté de droit de l'Université de Potsdam, 3-5 juin 1992,portant sur la protection des droits de l'homme en Europe, Conseil de l'Europe, Doc.Cour(92) 173, p. 11.3612 . R. ROTH, « La judiciarisation de l'exécution des peines », préc., pp. 301-322.3613 M. SEY<strong>LE</strong>R, La banalisation pénitentiaire, préc., p.139.3614 . « La démocratie est-elle possible en prison ? », RDPC (1992), 3.3615 CDPC, Les régimes des institutions pénitentiaires, Conseil de l'Europe, 1986, p. 10.


781atteintes aux droits d'autrui. Or ces deux derniers correspondent également à des buts politiques : laneutralisation du détenu dans le sens de sa mise hors d'état de nuire à la société. Et la jurisprudenceeuropéenne laisse apparaître que la prévention de l'infraction et des atteintes aux droits d'autrui revêtentdans la prison un sens spécial, à savoir un sens de prévention, si possible, de la commission de touteinfraction. Aussi, si le but punitif de la peine privative de liberté ne justifie pas d'autres restrictions desdroits de l'homme, à part la privation de la liberté physique, il n'en est pas de même des autres buts visés,et notamment de celui de la neutralisation de la personne. Ce dernier contribue à contrecarrersérieusement la limitation du contenu légal de la peine en question. La neutralisation du détenu justifiel'élimination de toute marge de liberté pouvant permettre la commission d'une infraction et va àl'encontre du respect de la liberté au sens large. Car il faut avoir présent à l'esprit que liberté peutsignifier répression mais non prévention : « On est libre d'accomplir les comportements prohibés,seulement on n'est pas libre à les accomplir sans en subir les conséquences 3616 . »Aussi l'affirmation par Foucault que la peine de prison est tournée vers l'avenir par la conformitéfuture des comportements recherchée, se confirme également à la lumière du raisonnement relatif aurespect des droits de l’homme dans la prison. Car on peut affirmer que le but de la peine n'est passeulement punitif, visant à sanctionner un acte commis, mais également préventif, visant à empêcher, sipossible, la commission de nouvelles infractions durant, au moins, l'exécution de la peine.Or la réalisation de cet objectif exige l'élimination de toute liberté ne pouvant être obtenue quepar une organisation de la société contraire à la nature de l'homme. Beccaria se demandait déjà « à quoiserions-nous réduits si tout ce qui peut amener à commettre un délit était interdit. Il faudrait priverl'homme de l'usage de ses sens » 3617 . Et selon Mireille Delmas-Marty, « s'il était possible de supprimertout crime, et si tout crime était supprimé, c'est que la société elle-même serait devenue machined'ordre... Et ne serait certainement plus une société d'hommes » 3618 .<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...En effet, elle ressemblerait plus à l'organisation d'un système entropique, au sens du secondprincipe de la thermodynamique, à savoir d'un système fermé de dégradation croissante d'énergie librejusqu'au moment où l'état d'équilibre devient statique, car plus rien ne se produit. Or un tel principe nes'applique qu'à des systèmes fermés n'échangeant pas d'énergie avec le milieu extérieur et composéUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008d'éléments inanimés, ayant une quantité d'énergie initiale donnée. Mais tout système composé d'élémentsvivants ne peut pas être en état d'équilibre statique, et surtout pas l'homme. Même ses cellules, « bien3616 J.-M. <strong>DE</strong>NQUIN, « Sur les conflits de libertés », in Service public et libertés, Mélanges offerts à R.-E.CHARLIER, Paris, éd. Université de l'enseignement moderne, 1981, p. 547.3617 . Cité par M. Van de KERCHOVE, « Culpabilité et dangerosité », préc., p. 300.3618 M. <strong>DE</strong>LMAS-MARTY, Le flou du droit, préc., 232.


782que leurs composantes chimiques puissent avoir l'apparence d'une concentration stationnaire, sont dansun état d'équilibre dynamique » 3619 . Concernant la société humaine, une telle organisation estinconcevable. Les hommes sont des êtres animés, complexes et porteurs d'un potentiel de comportementdont tout ne peut et ne doit pas être prévisible, afin de préserver la vie qui rime avec création etévolution. A moins de créer artificiellement une organisation de « vie humaine ». Mais cela nécessited'éliminer le temps 3620 , ce qui ne peut être obtenu que par la création d'un système fermé – « Pourpouvoir obtenir un système d'équilibre, il faut le protéger des flux qui constituent la nature, il faut lemettre en boîte... ce qui est artificiel réclame un espace fermé 3621 »-, et par la réduction du «divers et duchangeant à l'identique et au permanent». Mais il ne s'agirait plus d'une société humaine : « L'innovationet la création des êtres sont opposés à la prévisibilité et au contrôle des comportements 3622 . » Car« prévoir signifie vouloir que le devenir (le temps, l'histoire) s'adapte à l'ordre prévu : mais cet ordre doitêtre immuable afin que la menace du devenir ne redevienne pas une possibilité réelle » 3623 . Mais celasignifie également d'aller tout simplement contre la vie, car « la vie cherche à gagner sur la mort, danstous les sens du mot... la vie gagne contre l'entropie croissante » 3624 .En langage socio-politique, ce qui s'approche du système entropique, c'est le système totalitairedécrit en ces termes : « Le totalitarisme résulte d'une volonté de maîtriser totalement le temps : le tempsest le lieu de surgissement de l'altérité radicale... le temps est création. Car le totalitarisme repose surl'idée qu'il existe un lieu central du pouvoir, lieu de la raison d'où il est possible d'accéder au sens global,donc à la maîtrise et au contrôle total de la société. Dès lors, il n'y a pas de place pour aucun imprévu...le sens est définitivement figé 3625 . »Or force est de constater que l’organisation de la prison non seulement présente ces traits dutotalitarisme mais est un désordre pour l’ordre de la nature. En effet, toute l'organisation de la prison estguidée par l'objectif de prévenir l'imprévisible par le contrôle total des comportements des détenus et deleurs rapports avec l'extérieur. Transparence et régularité rythment la « vie » dans la prison visant àassurer un ordre uniforme et statique au nom de l'élimination de tout danger. Tout est potentiellementdangereux dans la prison : les objets, les échanges, les déplacements et même le corps des détenus. Ettout est minutieusement réglementé pour pouvoir être contrôlé. Tout homme et objet ont leur place. Toutmouvement, acte, échange et possession d'objet est soumis à l'autorisation préalable. Chaque<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083619 Al. -L. <strong>LE</strong>HNINGER, Bioénergétique, Paris, Ediscience, 1969.3620 PRIGOGINE ET STRENGERS, La nouvelle alliance, Paris, Gallimard, 1986, p. 365.3621 Ibid., p. 199.3622 Ibid., p. 360.3623 Em. SEVERINO, La loi et le hasard, Paris, Rivages, 1979, p. 24.3624 G. GANGUI<strong>LE</strong>M, Le normal et le Pathologique, Paris, PUF, 1972, pp. 173, 183.3625 J.-P. DUPUY, Ordres et désordres (enquête sur un nouveau paradigme), Paris, Seuil, 1982, p. 83.


783déplacement doit se dérouler comme programmé d'avance : personne ne doit se déplacer sansautorisation préalable, et tout déplacement doit avoir lieu par l'emprunt des passages autorisés, pour allerà des endroits autorisés et accomplir des choses autorisées; le tout se déroulant sous surveillancecontinue. Même durant le sommeil, les détenus sont soumis à la surveillance. Tous doivent se plier àcette régularité et uniformité, comme si chaque détenu devait fonctionner comme un élément biologiquesimple, d'énergie calculable et de comportement prévisible. Toute tentative de déroger à cet ordre estréprimé immédiatement.Cette organisation est doublée par le contrôle des rapports avec l'extérieur. Là aussi, et malgréune certaine ouverture de la prison vers l'extérieur (en France, celle-ci est amorcée depuis 1975 3626 , etrenforcée sous l'influence des associations comme celle, des années 80’, « Culture/prison », fondée en1982 par Gerard Soulier, militant pour le « décloisonnement de la prison 3627 »), il est illusoire de dire quela prison ne fonctionne pas, encore aujourd’hui, comme un système fermé. Toute entrée et sortied'information sont calculées d'avance puisque toute communication a lieu sous autorisation et contrôlede contenu (correspondance, expression, visites). Personne ne peut entrer ou sortir sans autorisationdélivrée pour une date et une heure précise, sans être fouillé et sans rester sous contrôle constant.En fait, aucun échange avec l'extérieur n'est porteur d'une véritable information. AndrewScootter, qui a décrit les institutions en termes de théorie de l'information, estime que « plus uncomportement est prédictible, moins il est porteur d'information ». « Dans une structure institutionnelle...l'expérience du passé est intégrée aux règles de l'institution de façon à guider les prévisions pour le futur.Les institutions encodent les probabilités, mieux, elles servent à contrôler les facteurs d'incertitude, avecen outre le fait que les comportements ont tendance à se conformer aux prévisions institutionnelles: sil'on atteint le degré de coordination, le désordre et la confusion n'ont plus de place 3628 . »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Or les instances européennes ont rarement mis en cause la « pansurveillance » de la vie dans laprison et des échanges avec l'extérieur. En ce qui concerne ces derniers, elles n'ont dérogé au principe desurveillance qu'à propos du secret de la correspondance échangée entre elles-mêmes et les détenus, ensoulignant qu'il présenterait un « risque négligeable » pour la sécurité de la prison 3629 . Et le mouvement<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083626 . P. COUVRAT, « La politique pénitentiaire à l'image de l'expérience française depuis 1945 », RSC, 1985, p.238.3627 . Voir à ce propos les publications de Gerard SOULIER : « Le décloisonnement de la prison », in Psychologie etscience administrative, Paris, PUF, 1985, pp. 93-101; « Le ciel est par-dessus le toit si bleu, si calme ! », Chimères,n° 4, 1987-1988, pp. 58-75.3628 Cité par Mary DOUG<strong>LA</strong>S, Ainsi pensent les institutions, USH_R,1989, p. 43.3629 . « Le risque de voir fabriquer des faux papiers à l'en-tête de la Commission, afin d'introduire en prison desobjets ou messages prohibés, est si négligeable qu'il faut l'écarter », CEDH, Campbell et Fell c. R.U., préc.


784en général des droits de l'homme n'est pas encore traduit, ainsi qu'il a été mis en évidence par les étudeseffectuées aux Etats-Unis, par un changement significatif de la structure de la prison 3630 .Dès lors, même depuis l’application des droits de l’homme dans la prison, de manièreindiscutable, privation de liberté ne signifie pas seulement privation de liberté du mouvement physique,mais de toute liberté permettant à l'homme de vivre naturellement. La privation de la liberté physiquecontinue à être doublée d'un « ordre de vie de non-liberté ». En fait, l'élément constitutif fondamental dela notion de peine privative de liberté est bien celui de la mise d'une personne sous surveillancepermanente et totale visant à l'empêcher de récidiver et même de provoquer un quelconque désordre aumoins durant sa peine.Ce qu'on peut alors déduire de l'application des droits de l'homme dans la prison, est la mutationdu concept de privation de liberté de son identification avec la prison et, en général, de mise à l'écart dela société, à celle de mise sous surveillance totale et continue d'une personne. Celle-ci peut alors seréaliser en dehors de la prison, si les moyens techniques de surveillance le permettent. Cela est amorcépar l'application du bracelet électronique 3631 .Mais une autre mutation dangereuse pour nos sociétés démocratiques peut également être entrain de se produire. Celle de concevoir la société démocratique comme une société surveillée. Car,affirmer que l'interprétation des droits de l'homme dans leur application en prison est conforme auxexigences, même minimales, de la société démocratique engendre le risque de voir dans la prison le lieude création d'une légitimité qui, puisqu'elle a lieu dans un espace d'une société démocratique, pourraitêtre justifiée en d'autres circonstances et en d'autres lieux. Dès lors, en affirmant que la prison est incluedans la société environnante, réalise-t-on l'extension de l'ordre démocratique vers la prison, ou l'inverse,à savoir l'extension de l'ordre de celle-ci vers la société environnante ?<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Gary T. Marx, défend la thèse que la prison sert de lieu d'expérimentation des moyens decontrôle pour une société de sécurité maximale, à savoir la discontinuité entre le privé et le public quitend à s'estomper 3632 . Et, si l'on tient compte de l'extension des moyens de surveillance vers les lieuxpublics et semi-publics, même dans la société démocratique, qui prolifère depuis quelques années, cettethèse ne peut qu'être validée.<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 20083630 H. MIKA an J. THOMAS, The dialectics of prisonners, préc., p. 64.3631 P. TOURNIER, Un bracelet à demi-teinte, Dedans-dehors, 1977, n°1, p. 18; Th. PAPATHEODOROU, « Leplacement sous surveillance électronique des délinquants en droit comparé », in La surpopulation pénitentiaire enEurope, Bruxelles, Bruyland, 1999.3632 G.-T. MARX, « La société de sécurité maximale », Déviance et Société, 1988, vol. 12, n° 2, p. 149.


785Dès lors, ne serait-il pas préférable d'admettre que la prison est le lieu désignant les frontièresintérieures de la société démocratique, et qu'une démocratie, pas plus que n'importe quel système sociopolitique,n'assure sa survie qu'en excluant ceux qui n'adhèrent pas à ses règles et valeurs ? Auquel cas, ilfaudrait reconnaître qu'en réalité ce qui est cherché par les discours sur l'intégration de la prison dans lasociété démocratique, n'est pas l'inclusion de l'exclu dans la société, mais « l'intégration... du rapportmême de l'exclusion dans l'idéologie légitimante de l'Etat social », comme le soutient AllessandroBaratta 3633 .En tout état de cause, compte tenu des entorses aux droits de l'homme et au fonctionnement de lasociété démocratique qu’engendre la prison, on ne peut pas s'empêcher de s'interroger sur les raisons desa survie. Alors qu’elle est l’objet de nombreuses critiques peu après son institution en peine.Premièrement, car elle porte indubitablement atteinte à la dignité par la seule soumission del'homme dans un rapport de contrainte entraînant la perte de son autonomie. Rappelons que c'est pourcette raison que dans les démocraties anciennes la privation de liberté en tant que peine étaitinconcevable à l'égard des citoyens 3634 . A Rome, la seule peine qui se rapproche de la peine de prison,l'ergastule, n'était prévue que pour des esclaves 3635 .Deuxièmement, car dès le XIX e siècle, des criminalistes se sont interrogés sur la légitimité del'Etat de priver l'homme de sa liberté physique en se fondant sur la distinction entre les droits relatifs auxbiens naturels et les droits relatifs aux biens acquis par l'organisation des hommes en société :« L'hypothèse est qu'il existe pour l'homme des droits (naturels) dont l'exercice est indépendant de l'étatsocial... » et qui ne peuvent pas offrir de matière à une peine légale 3636 . Cette interrogation n'a pas cesséd'être posée. Ainsi, Michel Villey soutient que « dans le langage des classiques, le droit a son champd'action spécifique. L'office du droit est de partager entre les hommes les biens extérieurs qui sont des<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3633 En analysant le discours sur l'échec de la réinsertion de la prison dans la société capitaliste, il a relevé que cetéchec est dû à la contradiction interne de sa propre idéologie, A. BARATTA, « Remarques sur la fonctionidéologique du pénitencier dans la reproduction de l'inégalité sociale », Déviance et société, 1981, vol., 5 n° 2, p.119.3634 . « La peine, qui est pourtant mentionnée comme possible, est sans application connue », Louis GERNET, « Ledroit pénal de la Grèce ancienne », in Du châtiment dans la cité : supplices corporelles et peine de mort dans lemonde antique, Ecole française de Rome, 1984, p. 29. Roger GRAND souligne que l'ergastolum était pratiqué dansl'Antiquité à Rome seulement contre les esclaves : « La détention pénale de l'homme libre est interdite par le droitde la République, comme par celui de l'Empire "carcer enim haber debet". Cette opinion défavorable de la prisonafflictive découlait certainement de la conception romaine de la liberté du citoyen, répugnant à l'idée de voir unhomme libre subir un châtiment à peine admissible, même pour les esclaves », R. GRAND, « La prison et la notiond'emprisonnement dans l'ancien droit », Revue historique de droit français et étranger, 1940-1941, p. 61.3635 Ibid. p. 61.3636 R. GARRAUD, Traité théorique et pratique de droit pénal français, 1888-1894, pp. 5-6.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


786choses matérielles ou des avantages incorporels susceptibles d'être distingués selon le droit romain. Il nes'agit pas de la liberté ni de la dignité infinies de la personne humaine, qui ne sont pas objets departage ».Enfin, la prison a également, dès le milieu du siècle dernier, été critiquée pour être un état contrela nature de l'homme. Ainsi, Emile Desprez la dénonçait en ces termes : « Qu'on perfectionne autant quepossible l'ordre et la discipline, on arrivera toujours au même résultat, parce que le vice radical etirrémédiable de l'emprisonnement est d'être en contradiction complète avec les conditions essentielles dela nature humaine 3637 ». Pour cette raison, il préconisait son abolition 3638 .Tocqueville, pourtant défenseur de la prison, admettait, lui aussi, que la prison est un état contrenature. Mais il le justifiait comme étant l'essence même de la peine : « Il est bon de s'entendre d'abordsur un premier point. Il est bien certain que l'emprisonnement est un état contre nature qui, en seprolongeant, ne peut guère manquer d'apporter certain trouble dans les fonctions de l'esprit et du corps.Cela est inhérent à la peine et en fait partie 3639 . »Mais la justification de cet inconvénient de la prison serait compensée par les effets positifs surle détenu. La prison viserait non seulement à punir, mais également à traiter le détenu : l'amender, lerééduquer, le guérir, le resocialiser, le réintégrer.Toutefois, avec l'acceptation de l'échec de ces buts positifs, la prison reste avec ses multipleseffets négatifs : lieu criminogène ; lieu de détérioration la vie globale du détenu et de sa famille, maisaussi de stigmatisation et de fabrication des exclus à vie ; état contraire à la nature et à la dignité del'homme ; enfin lieu posant de sérieux défis au respect effectif des droits de l'homme et, par conséquent,lieu critique de l'identité de la société démocratique.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Il ne reste alors à la prison comme justification que celle de servir le maintien de l'ordre, demanière préventive, par sa fonction symbolique, et de manière répressive, par l'exclusion et laneutralisation des personnes perturbatrices de son ordre. Claude Faugeron souligne que c'est peut-être làsa vérité de toujours, mais qui a été masquée par le centrage des discours sur la prison en tant que peineUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008visant à lui donner un visage social par le but de la resocialisation des détenus. A ce propos, l'auteur cite3637 Extrait publié in Face à la justice, vol. XIII, n° 1, 1990, p. 3.3638 « Il n'y a donc plus rien à espérer de l'emprisonnement comme régime pénitentiaire; toutes les combinaisonsdont il forme la base ont été essayées et condamnées par l'expérience. C'est un système sans issue...L'emprisonnement n'est qu'un cercle vicieux qu'il ne faut plus songer à perfectionner; il a donné tous ses résultats,et il n'y a plus qu'à le briser définitivement », Ibid., p. 10.3639 M. PERROT, M., TOCQUEVIL<strong>LE</strong>, Ecrits sur le système pénitentiaire en France et à l'étranger, préc., p. 142.


787Foucault qui affirmait que « l'enfermement exclut de fait, mais il se donne comme justification lanécessité de corriger, d'améliorer, de conduire à résipiscence, de faire revenir à des bons sentiments » 3640 .Et Claude Faugeron met en évidence ce rôle des discours en soulignant qu’ils sont focalisés sur la prisonen tant que peine, alors qu'ils ne concernent qu'une partie réduite de sa population, au mieux sa moitié.L'autre est constituée des prévenus et des personnes détenues pour d’autres motifs 3641 .En effet, on ne peut voir dans ces discours qu’une recherche de la légitimation de la prison parla création et l'entretien d'un large consensus autour de son existence. D'ailleurs, la perte de la spécificitépénale de la prison que nous avons signalée par sa réduction en simple moyen de privation de libertéquel que soit le motif, et l'uniformisation du contenu de la privation de liberté renforcent cette hypothèse.Priver de la liberté et seulement de la liberté physique, est la seule ingérence dans l'exercice des droits del'homme dont la légitimité est d'emblée reconnue à la prison. Aussi, les différences des statuts légaux desdétenus disparaissent, en tout cas, s'affaiblissent. Toute ingérence dans l'exercice de leur part des autresdroits de l'homme obéit au même raisonnement.La légitimité de la prison serait alors réduite à la simple évidence de sa nécessité par l'incapacitéd'imaginer une société sans prison ? Mais, si tel est le cas, il ne serait peut-être pas inutile de se rappelerles propos de Marc Ancel qui, après avoir milité pour faire de la prison une « institution utile », a fini pars'interroger sur la légitimité de son existence en la qualifiant d'institution périmée, et pour cela abusive,en rejetant sa justification du seul fait qu'elle existe : « La défense sociale demande, écrivait-il, à la foisla révision des valeurs et un effort de dépassement. Révision des valeurs d'abord, car elle suppose unexamen critique de toutes les institutions existantes, sans que celles-ci puissent être justifiées par le seulfait qu'elles existent. Il n'y a rien de plus respectable, disait déjà Voltaire, qu'un ancien abus. Il n'y a riende plus respecté pourrait-on dire, qu'une institution dont on ne se demande plus si elle n'a pas perdu saraison d'être. Or un système de droit périmé, et plus encore un système anachronique d'application despeines, constituent en fait une oppression de l'individu, ou tout au moins une méconnaissance de sondroit fondamental à se réaliser et à s'épanouir dans son milieu social 3642 . »<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008On pourrait s’attendre à ce que la conception moderne des droits de l'homme ait pu permettre deporter une interrogation plus radicale sur la légitimité de la prison : « Est-il besoin, de rappeler, écrivaitencore M. Ancel, que c'est par un semblable effort de révision critique des institutions existantes et dedépassement des traditions nationales que s'est affirmé, à la fin du XVIIe siècle, le mouvement de3640 . M. FOUCAULT, Histoire des systèmes de pensée, Cours polycopiées, Collège de France, p. 336.3641 . Claude FAUGERON et Jean-Michel Le BOU<strong>LA</strong>IRE, « Prisons, peines de prison et ordre public », RevueFrançaise de Sociologie, vol. XXXIII, n° 1, 1992, pp. 3- 35.3642 M. ANCEL, La défense sociale nouvelle, préc., p. 9.


788reconnaissance et de protection des droits de l'homme... N'est-ce pas la meilleure remise en discussiondes institutions existantes, au nom des droits essentiels des citoyens menacés par un système oppresseuret désuet ? »De plus, il ne serait pas inutile de se rappeler également les propos de Beccaria, principalinspirateur de la réforme du système des peines de l'Ancien Régime, effectuée en France juste après laDéclaration des droits de l'homme de 1789. Beccaria, parlant de l'évidence de légitimité d'une autrepeine, de la peine de mort, disait : « L'histoire des hommes est un immense océan d'erreurs, où l'on voitsurnager çà et là quelques vérités mal connues. Que l'on ne m'oppose donc point l'exemple de la plupartdes nations, qui, dans presque tous les temps, ont décerné la peine de mort contre certains crimes; car cesexemples n'ont aucune force contre la vérité qu'il est toujours temps de reconnaître. Approuverait-on lessacrifices humains, parce qu'ils ont été généralement en usage chez tous les peuples naissants. Mais si jetrouve quelques peuples qui se soient abstenus, même pendant un court espace de temps, de l'emploi dela peine de mort, je puis m'en prévaloir avec raison; car c'est le sort de grandes vérités de ne brillerqu'avec la durée de l'éclair, au milieu de longues nuits de ténèbres qui enveloppent le genre humain 3643 . »La crainte est que l’argument de l'évolution de la civilisation ne sert pas actuellementd'argument contre la prison. Car la société, y compris la société démocratique, semble évoluer vers unesociété sécuritaire où dormir tranquillement est plus important que vivre dignement en homme libre.Pour paraphraser Camus qui écrit dans La peste : « Le sommeil des hommes est plus sacré que la vie despestiférés. On ne doit pas empêcher les braves gens de dormir 3644 . » L'impératif de l'ordre de nos sociétéssemble ne pas être celui de garantir la liberté. Celle-ci est en perte de vitesse, remplacée par l'obsessionde la prévention de l'insécurité avec l'objectif de le ramener au degré zéro. Ce qui justifie une sociétésurveillée afin de bannir l'imprévisible, l'accidentel, le hasard, bref les éléments indispensables pourmaintenir la société créative et vivante.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Il va donc falloir attendre que les nouvelles technologies trouvent des moyens d'efficacitééquivalente à celle de la prison puisque telle semble être la condition constante dans la suppression d'unepeine. Sauf que ces moyens, tels qu'ils se dessinent, laissent entrevoir que la prison ne perdra son rôled'efficacité qu'aux dépens de la métamorphose de toute la société en une grande prison : une société deUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008surveillance continue pour anticiper la commission de toute infraction et même de tout désordre.3643 BECCARIA, Des délits et des peines, préc., 97.3644 CAMUS, La peste, Paris, Folio, 1947, p. 226.


789Mais cette perspective dans l’évolution de nos sociétés démocratiques mérite de poser denouveau cette question fondamentale : l'acceptation d'un certain risque ne serait-il pas le prix à payer sil'on veut sauvegarder une parcelle de liberté ? « Un Etat respectueux des droits de l'homme coûte cher,écrivait Georges Vedel. Il coûte cher non seulement en argent mais aussi en périls réels, courus par lesindividus et par la société 3645 . »Dès lors, si la société veut rester libre, le but ne peut pas être celui du risque zéro du désordre.Des auteurs, soucieux de la sauvegarde de la liberté mettent en cause un tel objectif. Pour Rusen Ergec,juge à la Cour européenne, l'élimination du « désordre », ne peut pas être un objectif absolu si l'on veutpréserver un ordre de liberté. Car « la survie de l'Etat de droit, valeur suprême de la sociétédémocratique, est à ce prix. C'est pourquoi les démocraties peuvent être amenées à tolérer un certaindésordre. Celui-ci, loin d'être un signe de faiblesse, témoigne de leur attachement à la liberté » 3646 . SelonGeorges Burdeau : « Si les libertés doivent être conçues en fonction de l'ordre, l'ordre à son tour ne doitêtre compris qu'à travers les libertés dont il assure l'exercice. Il en résulte qu'on ne saurait apprécier unemesure de police en ne tenant compte que de son utilité pour l'ordre; il faut considérer aussi l'étendue dela gêne qu'elle cause à la liberté visée... En ce sens, le souci de la liberté est une composante de l'ordre.On peut donc dire, sans paradoxe, que la conception de l'ordre dépend moins du résultat auquel il tendque de l'idée que l'on se fait des libertés 3647 . » Elle dépend également, pourrions-nous ajouter, de l'idéequ'on se fait de la dignité. Car, comme le souligne de son côté Georges Vlachos, la réglementation desdroits de l'homme « se présente comme un art particulièrement délicat ou subtil, destiné à assurer le librejeu des antagonismes collectifs (le jeu des équilibres mouvants et dynamiques) au sein desquels se joueen définitive le sort de la dignité humaine » 3648 .Vouloir la sécurité à tout prix peut être aussi un objectif dangereux pour une société quel'insécurité, et l'ordre imposé sans limites aussi dangereux que le désordre.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Dès lors, la prison telle qu’elle fonctionne actuellement n’a pas sa place dans une sociétédémocratique. Elle ne le pourra que si elle se transforme radicalement. Si, d’un lieu fermé et d’un ordred’organisation de la vie privatif de liberté, elle devient un lieu de vie. Son fonctionnement devrait êtreproche de celui d’un foyer en ajoutant seulement le contrôle des allées et venues, conformément auUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008projet de l’exécution de la peine qui sera établi pour chaque détenu entrant en prison. Quant au temps3645 « Modernisation de l'Etat et droits de l'homme: l'enjeu de la sécurité », Les cahiers de la sécurité intérieure,IHESI, 1990.3646 R. ERGEC, Les droits de l'homme à l'épreuve des circonstances exceptionnelles, préc. p. 33.3647 G. BUR<strong>DE</strong>AU, Libertés publiques, préc., préc., p. 33.3648 G. V<strong>LA</strong>CHOS, La structure des droits de l'homme et…, préc., p. 341.


790passé dehors, il devrait s’étendre au-delà des horaires de travail. La personne devrait disposerquotidiennement du temps pour pouvoir s’occuper de sa santé, de sa famille, de sa scolarité, de saformation, de la recherche d’un emploi, ou encore faire du sport. Bref, elle devrait disposer de tempspour pouvoir accomplir tout ce qui compose la vie quotidienne d’une personne. La prison ne devrait pasavoir à gérer les aspects de la vie quotidienne de la personne qui sont déterminants dans la relation del’individu avec l’Etat et avec les tiers et, par conséquent, déterminants de l’identité d’une société. Dansson fonctionnement actuel, la prison défie le principe de légalité des peines et en même temps constitueun lieu de mise à l’épreuve de l’ordre de la société démocratique. Celui-ci étant un ordre de liberté,implique l’acceptation d’un risque. Le risque est inhérent à toute société ouverte et donc démocratique.L’actuel projet de la loi pénitentiaire ne va pas radicalement changer le visage de la prison ni lesens juridique de la peine privative de liberté. D’après les informations qui ont pu être renduespubliques 3649 , cette loi, bien qu’elle reconnaisse certains droits et recours aux personnes détenues,continue à s’inscrire dans l’esprit d’amélioration matérielle et juridique de la condition du détenu. Ellen’est donc pas en mesure de changer la prison de manière structurelle et radicale pour la rendrecompatible avec la société démocratique. Ce n’est pas non plus l’orientation actuelle de la politiquepénale française qui nous permettra de voir se dessiner un ordre faisant place à un certain risque,pourtant inhérent à la liberté. La loi sur la rétention de sûreté, votée le 25 février 2008 3650 et validée, àl’exception de son application rétroactive, par le Conseil constitutionnel 3651 , en permettant la privation deliberté illimitée à des fins sécuritaires et non punitives, des personnes considérées comme dangereuses àl’issue de l’exécution de leur peine, s’inscrit dans une conception de l’ordre opposée : un ordre sansrisque physique au détriment d’une société libre.Il faudra peut-être attendre l’évolution technologique pour voir un jour la fin de la prison. Cellecipourra alors être remplacée par des moyens assurant le même degré de contrôle physique de lapersonne dans la communauté, comme le bracelet mobile 3652 ou les puces sous-cutanées. C’est ainsi que<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...3649 OIP, De la loi pénitentiaire à la loi de… l’administration pénitentiaire, n°65 avril 2008, pp. 3-5.3650 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilitépénale pour cause de trouble mental. Elle prévoit la possibilité pour des personnes condamnées pour certains typesde crimes graves à des peines supérieures à 15 ans de réclusion criminelle à demeurer privées de liberté au terme del’exécution de leur peine. Cette possibilité est fondée sur le critère de dangerosité. L’évaluation de celle-ci esteffectuée par une commission pluridisciplinaire. La décision est prise par la juridiction régionale de la rétention desûreté (spécialement créée pour cette mesure) pour une durée d’un an renouvelable (sur avis favorable de lacommission pluridisciplinaire) pour la même durée sans limite dans le temps (art. 706-53-13 à 706-53-21 du CPP).3651 Décision n° 2008-562 DC du 21 février 2008 publiée au Journal officiel de ce jour.3652 Introduit en France par la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales,dans le cadre de trois mesures : de la surveillance judiciaire (nouveau régime juridique institué par cette même loiqui s'applique pendant la durée correspondant aux crédits de réduction de peine ou aux réductions de peinessupplémentaires obtenues par le condamné) ; d’un suivi socio-judiciaire, à titre de mesure de sûreté ; et deUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


791le veut cette loi historique d’abolition des peines les plus graves pour chaque époque, à l’instar de lapeine d’emprisonnement venue remplacer la peine de mort et les tortures : on est prêt à abolir une peinesi l’on en invente une autre de même efficacité mais perçue comme plus humaine et plus conforme àl’évolution des idéaux d’une société. Mais une telle évolution serait-elle réellement plus respectueuse dela liberté et de la démocratie ?<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008libération conditionnelle pour les personnes condamnées pour un crime ou délit pour lequel la mesure de suivisocio-judiciaire est reconnue.


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XIVGRECENATIONA<strong>LE</strong>SFRANCECOMMISSION NATIONA<strong>LE</strong> CONSULTATIVE <strong>DE</strong>S DROITS <strong>DE</strong> L’HOMME, Rapport du21 avril 2008CCNE (Académie de Médecine)La santé et la médecine en prison, Avis n° 94 (2006)CNCDH (Commission nationale consultative des droits de l’homme)Etude sur l’accès aux soins des personnes détenues, Rapport d’Etude, Janvier, 2006Etude sur les droits de l’homme dans la prison, Rapport d’étude, 2004Réflexions sur le sens de la peine, Rapport d’étude, 2002CES (Conseil économique et social)Travail et prison, Rapport du 9.12.1987Les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus en France, Rapport, Paris, 7octobre 2005731/SG, Travail et prison, Rapport, Paris, 9 décembre 1987SENATLe maintien des liens familiaux en prison, Étude de législation comparée n° 163 - mai 2006Prison : le travail à la peine, Rapport d'information n° 330 de Paul Loridant, Commission desfinances, 9 juin 2002Projet de loi de finances pour 2008 : Justice-Administration pénitentiaireLa libération conditionnelle, Étude de législation comparée n° 152, Service des étudesjuridiques, novembre 2005La Libération des détenus âgés, Etude du Service des affaires européennes, novembre 2001Prisons : une humiliation pour la République, Rapport n° 449, 1999-2000Prison : le travail à la peine, Rapport d'information n° 330, de Paul Loridant à la Commissiondes finances, 9 juin 2002ASSEMB<strong>LE</strong>E NATIONA<strong>LE</strong>La France face à ses prisons, Rapport, t.I, n° 2521, 2000CCNE (Comité Consultatif National d’Ethique)La santé et la médecine en prison, Avis n° 94 (2006)IGAS/IGSJ (Inspection générale des services judiciaires)L’organisation des soins aux détenus, Rapport d'évaluation, juin 2001.OFDT (Observatoire français des drogues et des toxicomanies)<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Addictions en milieu carcéral, Rapport, décembre 2004MINISTERE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> JUSTICE FRANÇAISAUVERGNON (D’), GUIL<strong>LE</strong>MAIN C., « ravail pénitentiaire en question. Une approche<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...juridique et comparativ », Rapport d’étude, Septembre 2005BOURGOIN N., Etude multifactorielle portant sur cent quarante suicides dans les prisonsfrançaises (1989-1991), Ministère de la Justice, Direction de l'administration pénitentiaire, InTravaux et Documents, n° 42, nov. 1991CANIVET G., « Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires : rapportau garde des Sceaux, ministre de la justice », 2000Cours de réglementation pénitentiaire, ENAP, Ministère de la Justice, vol. 2, 1990PRADIER P., La Gestion de la santé dans les établissements du programme 13000, Rapport,Ministère de la justice, sept. 1999.Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XVTERRA J.-L., Prévention du suicide des personnes détenues, Evaluation des actions mises enplace et propositions pour développer un programme complet de prévention, Rapport demission à la demande du ministre de la Justice et du ministre de la Santé, décembre 2003« Raport du groupe de réflexion sur les UVF » 1985CENTRES <strong>DE</strong> RECHERCHESCREDOC, Cahier de Recherches n° 147, novembre 2000INSEE, Le handicap est plus fréquent en prison qu’à l’extérieur, INSEE Première, n°854, juin2002AUTRES SOURCESBAN PUBLIC, « De l’Enfermement au Bannissement...Les empêchements à laréintégration », publié sur le site de l’association », www.prison.eu.orgBAN PUBLIC, « Guide pratique des empêchements à la réintégration des anciensprisonniers », 6 janvier 2007, www.prison.eu.orgCHAMP PENAL/FIELD, « La politique des droits en prison », G. CHANTRAINE et D.KAMINSKI,: http://champpenal.revues.orgEU<strong>DE</strong>S M., « La révision des règles pénitentiaires européennes, les limites d’un droitcommun des conditions de détention », Droits Fondamentaux, n° 6, 2006, inwww.droits-fondamentaux.org.FIDH, Les Prisonniers palestiniens en Israël : conditions inhumaines des détenus politiques,Rapport n° 365, juillet 2003GENEPI, « Le droit d’association des détenus », ARAPEJ, n° 63, 1992OIP, De la loi pénitentiaire à la loi de… l’administration pénitentiaire, n°65 avril 2008OIP, Les conditions de détention en France, Rapport 2005, OIP/La découverte, 2005Syndicats professionnels, Répertoire de droit social, Fascicule 12-10, 2, 1993TOURNIER Pierre, ACP - ARPENTER <strong>LE</strong> CHAMP PENAL, Lettre d’information sur lesquestions pénales et criminologiques, http://www.eleves.ens.frHCSP, Santé en milieu carcéral, rapport sur l'amélioration de la prise en charge sanitaire desdétenus, éd. Ecole nationale de la Santé publique, janv. 1993NATIONS-UNIESINTERNATIONA<strong>LE</strong>S- Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants,adoptée par l'ONU le 10 décembre 1984- Convention internationale relative aux Droits de l'Enfant, 20 novembre 1989- Déclaration sur la protection des personnes contre la torture et autres peines ou traitementsinhumains ou dégradants (1975)- Déclaration universelle des droits de l’homme (1948)- Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pourmineurs (Règles de Beijing), 29 novembre 1985)- Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (1957)- Protocole facultatif à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,inhumains ou dégradants (18 décembre 2002)- Feuille d'information, n° 20, mai-oct. 1986.- Rapport du groupe de travail sur la détention, E/CN. 4/Sub. 2/1988/28, 29 août 1988- Doc. A/Conf./56/9, Aspects sanitaires des mauvais traitements sur les prisonniers, NationsUnies, 1975- Doc. A/10403, point 74, Nations Unies, 1975AMM (Association médicale mondiale)- Principes éthiques applicables aux recherches médicales sur des sujets humains (1964)<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XVI- Déclaration de l'Association médicale mondiale adoptée, Tokyo, (1975)- Déclaration de l'Association médicale mondiale sur les grévistes de la faim (adoptée par la43 e Assemblée médicale mondiale à Malte (novembre 1991)Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l’hommeRésolution 37/194 du 18 décembre 1982 sur les Principes d’éthique médicaleGroupe de travail sur la détention, E/CN. 4/Sub. 2/1988/28, 29 août 1988OMS (Organisation mondiale de la santé)« Aspects sanitaires des mauvais traitements intuitivement infligés aux prisonniers etdétenus »,5 e Congrès des Nations-Unies pour la prévention du crime et le traitement desdélinquants, A/CONF.56/9OITConvention (N 105) concernant l'abolition du travail forcé (25 juin 1957)Recommandations de l’OIT concernant le travail des détenus en France au regard de laConvention de l’OIT (n°29) sur le travail forcé, 2006UNESCOROD<strong>LE</strong>Y N.-S., Unesco, The Treatment of prisoners under international law, 1987“Prisoners are People : When the Punishment too becomes a Crime”, The Unesco Courrier, n°10, 1954PAR<strong>LE</strong>MENT EUROPEENMAMPAEY L., RENAUD J.-Ph., « Technologies dans les prisons », Rapport final, Documentde travail pour le STOA Panel, Parlement européen ; juillet 2000CONSEIL <strong>DE</strong> L’EUROPETextes de baseConvention sur la lutte contre la traite des êtres humains, (6 mai 2005)Convention sur les droits de l'homme et la biomédecine (1997)Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitementsinhumains ou dégradants (26 novembre 1987)Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales (1950)Protocoles additionnels à la Convention européenne des droits de l'homme et des libertésfondamentalesCommDH (Commissaire aux droits de l’Homme)CommDH(2006)2, Le respect effectif des droits de l’homme en France, Rapport de visite du 5au 21 septembre 2005, Alvaro Gil-Roblès, Commissaire aux droits de l’Homme, Conseil del’Europe, 15 février 2006.CommDH(2006)13, Rapport de suivi sur la République Hellénique, (2002-2005), Strasbourg,29 mars 2006.CPT<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>(Comité européen pour la prévention de la torture)CPT/Inf/E (2002) 1, Les normes du CPT, Rev. 2006Rapports généraux d'activités<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008CPT/Inf (2001) 16, 11e rapport général d'activités du CPT, du 1er janvier au 31 décembre 2000CPT/Inf (2000)13, 10e rapport général d’activités du CPT, du 1 er janvier au 31 décembre1999CPT/Inf (97) 10, 7e rapport général d'activités du CPT, du 1 er janvier au 31 décembre 1996CPT/Inf (92) 3, 2e rapport général d'activités du CPT, du 1er janvier au 31 décembre 1991


XVIIRapports de visiteGrèceCPT/Inf (2008) 3, Rapport de visite, Grèce, du 20 au 27 février 2007CPT/Inf (2006) 41, Rapport de visite, Grèce, du 27 août au 9 septembre 2005CPT/Inf (2002) 31, Rapport de visite, Grèce, du 23 septembre au 5 octobre 2001CPT/Inf (2001) 18, Rapport de visite, Grèce, 26 octobre au 2 novembre 1999CPT/Inf (2001) 17, Rapport de visite, Grèce, du 4 novembre 1996 au 6 juin 1996CPT/Inf (94) 20, Rapport de visite, Grèce, du 14 au 26 Mars 1993FranceCPT/Inf (2007) 44, Rapport de visite, France, du 27 septembre au 9 octobre 2006CPT/Inf (2005) 21, Rapport de visite, France-Département de la Réunion, du 13 au 20décembre 2004CPT/Inf(2004) 6, Rapport de visite, France, du 11 au 17 juin 2003CPT/Inf (2001) 10, Rapport de visite, France, du 14 au 26 mai 2000CPT/Inf(98) 7, Rapport de visite, France, du 6 au 18 octobre 1996CPT/Inf(96) 2 ; Rapport de visite, France, du 20 au 22 juillet 1994CPT/Inf (93) 2, Rapport de visite, France, du 27 octobre au 8 novembre 1991Autres paysCPT/Inf (2001) 20, Rapport de visite, Ex-République yougoslave de Macédoine, du 17 au 27mai, 1998CPT/Inf(97)12, Rapport de visite, Italie, du 22 octobre au 6 novembre 1995CPT/Inf (91) 12, Rapport de visite, Danemark, du 2 au 8 décembre 1990.COMITE <strong>DE</strong>S MINISTRESRecommandationsR (2006) 2, Règles pénitentiaires européennes, 2006R (87)3, Règles pénitentiaires européennes, 1987R(73)5, Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, 1973R (2003) 23, La gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité etdes autres détenus de longue durée, l9 octobre 2003R (99) 22, Le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, 30 septembre 1999R(90)3, La recherche médicale sur l'être humain, 1990R (98) 7, Aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, 8avril 1998R (93) 6, Les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladiestransmissibles et notamment du Sida, et les problèmes connexes de santé en prison, 18 octobre1993R(89)12, Education en prison, Comité des Ministres, 13 octobre 1989R (90) 3, La recherche médicale sur l'être humain, 6 février 1990R (82) 17, La détention et au traitement des détenus dangereux, 24 septembre 1982RésolutionsRésolution (76)2, Le traitement des détenus en détention de longue durée, 1976.Résolution (75)25, Le travail des détenusRésolution (62)2, La Charte des droits électoraux, civils et sociaux du détenuTravaux préparatoiresRecueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l'homme, vol.III, 2 fév.-10 mars 1950<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XVIIIExposé des motifs de la Recommandation Rec(2003) du Comité des Ministres aux Etatsmembres concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés àperpétuité et des autres détenus de longue durée.Projet de Rapport général sur le traitement des détenus en détention de longue durée,Rapport, 18 août 1975, CDPC, Conseil de l'EuropeSPACESPACE I (Statistique pénale annuelle du Conseil de l’Europe), 2005Autres documents- Actes de la 20e Conférence de Recherches Criminologiques, novembre 1993, Conseil del’Europe, novembre 1993- Doc.Cour(92) 173, Allocution prononcée par R. Ryssdal, au cours de la conférence organiséepar la Faculté de droit de l'Université de Potsdam, 3-5 juin 1992, portant sur la protection desdroits de l'homme en Europe- Doc.Cour (95) 253, Allocution prononcée par R. Ryssdal, à la Réunion avec le présidentsdes Cours constitutionnelles et suprêmes- CDPC, Les régimes des institutions pénitentiaires, Conseil de l'Europe, 1986- HUNAULT, M., Charte pénitentiaire européenne (2004), assembly.coe.int/Documents/- REYNAUD R., Les droits de l'homme dans les prisons, Strasbourg, Conseil de l'Europe,1995- Recueil des travaux préparatoires de la Convention européenne des droits de l'homme, vol.III, 2 fév.-10 mars 1950- TRECHSEL S., Rapport sur les Droits de l'homme des personnes privées de liberté, in 7èmecolloque international sur la Convention européennes des droits de l'homme, 30 mai-juin 1990- TULKENS F., « Les effets de la détention sur le plan familial et social », Rapport présenté àl'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, en vue de la préparation d'uneRecommandation visant à limiter ces effets, Conseil de l'Europe, (Doc. 7816) 15 mai 1997.ASSEMB<strong>LE</strong>E PAR<strong>LE</strong>MENTAIRERecommandation n°1257(1995) relative aux conditions de détention dans les Etats membresdu Conseil de l'EuropeRecommandation n° 1469 (2000) concernant les Mères et bébés en prison, 30 juin 2000<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Recommandation 1523 (2001) adoptée le 26 juin 2001, sur l’Esclavage domestiqueRecommandation 1663 (2004) adoptée le 22 juin 2004 sur l’Esclavage domestique: servitude,personnes au pair et «épouses achetées par correspondance»<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...COUR EUROPEENNE <strong>DE</strong>S DROITS <strong>DE</strong> L’HOMME (CEDH)Arrêts et Décisions citéesUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008A. B. c. Pays-Bas, nº 37328/97, CEDH 2002-IA. c. R.U, n°25599/94, 23 sept. 1998, Recueil 1998-VIA.A. et autres c. Turquie, n o 30015/96, CEDH, 2004-VIIA.D.T. c. R.U, n° 35765/97, CEDH 2000-VIIAbdulaziz, Cabales et Balkandali c. R.U., 28 mai 1985, Série A n o 94Aerts c. Belgique du 30 juillet 1998, Recueil 1998-VAgga c. Grèce (n°4), n° 33331/02, CEDH 2006-VIIAgga c. Grèce, n° 50776/99, 52912/99, CEDH 2002-XIIAhmed c. Autrice, n° 25964/94, 17 déc. 1996, Recueil 1996-VIAhmut c. Pays-Bas, n° 21702/93, 28 nov. 1996, Recueil 1996-VIAkdeniz et autres c.Turquie, n° 23954/94, CEDH 2001-V


XIXAksoy c. Turquie, n° 21987/93, 18 déc. 1996, Recueil 1996-VIAlbanese c. Italie, n o 77924/01, CEDH 2006-IIIAlbert et Le Compte, n os 7299/75, 7496/76, 10 février 1983, Série A, n° 58Aliev c.Ukraine, n° 41220/98, CEDH IVAlikhadzhiyeva c. Russie, n° 68007/01, CEDH 2007-VIIAlikhadzhiyeva c. Russie, n o 68007/01, CEDH, 2007-VIIAlmeida Garrett, Mascarenhas Falcão et autres c. Portugal, n os 29813/96 et 30229/96, CEDH 2000-IAlonso et Jimenez c. Espagne (déc.), n° 51188/99, 25.5.2000Altay c. Turquie, n° 22279/93, CEDH, 2001-VAmann c. Suisse [GC], n o 27798/95, CEDH 2000-IIAmihalachioaie c.Moldova, n° 60115/00, CEDH 2004-IVAmuur c. France, n° 9776/92, 25 juin 1996, Recueil 1996-IIIAndronikou et Constantinou c. Chypre, n°25052/94 9 oct. 1997, Recueil 1997-VIAnguelova c. Bulgarie, 38361/97, §109, CEDH 2002-VIAntonakopoulos, Vorstsela et Antonakopoulou c. Grèce, nº37098/97, CEDH 1999-XIIAshingdane c. R.U., 28 mai 1985, Série A n° 93Assenov et autres c. Bulgarie, n° 24760/94 , 28 oct. 1998, Recueil 1998-VIIIAssociation Ekin c. France, n o 39288/98, CEDH 2001-VIIAtaman c. Turquie, n o 46252/99, CEDH, 2006-IVAvar c. Turquie, n o 25657/94, CEDH, 2001-VIIAydın c. Turquie, n°23178/94, 25 septembre 1997, Recueil 1997-VIAzinas c. Chypre, n o 56679/00, CEDH 2002-VIAziz c. Chypre, n o 69949/01 CEDH, 2004-VIB. c. France, 25 mars 1992, Série A n°232-CBalyemez c. Turquie, n°32495/03, CEDH 2005-XIIBastone c. Italie, n° 59638/00, CEDH 2005-IBati et autres c. Turquie, n os 33097/96 et 57834/00, CEDH 2004-IXBekos et Koutropoulos c. Grèce, n°15250/02, CEDH 2005-XIIBenjamin et Wilson c.R.U., n°28212/95, CEDH, 2002-IXBenkessiouer c. France, n°26106/95, 24 juillet 1998, Recueil 1998-VBerktay c. Turquie, n o 22493/93, CEDH, 2001-VBerrehab c. Pays, Bas, n o 10730/84, 21 juin 1988, Série A n° 138Biyan c. Turquie, n°56363/00, CEDH 2005-VBizzotto c. Grèce du 15 nov. 1996, Recueil 1996-VBladet Tromso et Stensaas c. Norvège, n° 21980/93, CEDH 1999-VBoicenco c. Moldova, n o 41088/05, CEDH 2006-VIIBollan c. RU, n° 42117/98, CEDH 2000-VIBone c. France, n° 69869/01, CEDH, 2005-IIIBoso c. Italie, (déc.,) n° 50490/99, CEDH, 2002-IX<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Botta c. Italie, n°21439/93, 24 février 1998, Recueil 1998-IBouamar c. Belgique, n° 9106/80, 29 fév. 1988, Série A n° 129Bowman c. R.U., n° 24839/94, 19 févr. 1998, Recueil 1998-IBoyle et Rice c.R.U.,n° 9659/82; 9658/82, 27 avril 1988, Série A, n°131<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Bozano c. Italie, n°9990/8218 déc. 1986, Série A n° 111Brogan et autres c. R.U, n os 11209/84 ; 11234/84 ; 11266/84, 29 nov.1988, Série A 145-BBubbins c. R.U., n° 50196/99, CEDH 2005-IIIBuck c. Allemagne, n o 41604/98, CEDH 2005-IBuckley c. R. U., 25 sept. 1996, Recueil 1996-IVBurghartz c. Suisse du 22 février 1994, Série A n° 280-BBursus c. Roumanie, n° 42066/98, CEDH 2004-XC. c. Belgique, 21794/93, 7 août 1996, Recueil 1996-III, § 25.Cafer Kurt c. Turquie, n o 56365/00, CEDH 2007-VIICaille c. France, n°3455/02, CEDH 2004-XÇakici c. Turquie [GC], n° 23657/94, 8 juillet 1999, Recueil 1999-IVCaloc c. France, n°33951/96, CEDH 2000-VII


XXCalogero Diana c. Italie, n° 15211/89, 15 nov.1996, Recueil 1996-VCalvelli et Ciglio c. Italie [GC], n o 32967/96, CEDH 2002-ICalvez c. France, n°25554/94, 29 juill. 1998, Recueil 1998-VCamenzind c. Suisse, 16 déc. 1997, Recueil 1997-VIIICampbell c. R.U., 25 mars 1992, Série A n° 233Campbell et Fell c. R.U, n °s 7819/77, 7878/77, 28 juin 1984, Série A, n° 80.Campbell et Fell c. R.U, n os 7819/77, 7878/77, 28 juin 1984, Série A, n° 80Castells c. Espagne, n° 11798/85, 23 avril 1992, Série A n° 236Ceku c. Allemagne (déc.), n°41559/06), CEDH 2007-III.Celniku c. Grèce, n o 21449/04, CEDH, 2007-VChahal c. R.U, n°22414/93 , 15 nov. 1996, Recueil 1996-VChassagnou et autres c. France, n os 25088/94, 28331/95, 28443/95, CEDH 1999-IVCheydaïev c. Russie, n°65859/01, CEDH 2006-XIIChitayev c.Russie, n°59334/00, CEDH 2007-IChorherr c. Autriche, n°13308/87 25 août 1993, Série A, n°266-BChypre c. Turquie [GC], n o 25781/94, CEDH 2001-IVCiorap c. Moldova, n o 12066/02, CEDH 2007-VIColombani et autres c.France, n°51279/99, CEDH 2002-VIComingersoli S.A. c. Portugal, n°35382/97, CEDH, 2000Copland c. R.U., n° 62617/00, CEDH 2007-IVCorsacovc c. Moladavie, n°18944/02, CEDH 2006 IVCostello- Roberts c. R.U., 25 mars 1993, Série A n°247-cCotlet c. Roumanie, n°38565/97, CEDH 2003-VICouillard Maugery c. France, n° 64796/01, CEDH 2004-VIICovezzi et Morselli c. Italie, n o 52763/99, CEDH 2003-VCraxi c. Italie, n°25337/94, CEDH 2003-VIICrémieux c. France, 25 février 1993, Série A n o 256-BCruz Varas et autres c. Suède, n° 15576/89, 20 mars 1991, Série A n° 201D 1628/62 (X/RFA), 12.12.1963, R 12D 4149/69 (X/RFA), 13.7.1970, R 36D 31368/96 (D. T. /Pologne) 21.5.1997D. c. R. U., n° 30240/96, 2 mai 1997, Recueil 1997-IIID.G. c. Irlande, n o 39474/98, CEDH 2002-IIIDacosta Silva c. Espagne, n° 69966/01, CEDH, 2006-XIDankevitch c. Ukraine, n° 40679/98, CEDH 2003-IVDe Haes et Gijsels c. Belgique, n° 19983/92, 24 févr. 1997, Recueil 1997-IDe Moor c. Belgique, n° 16997/90, 23 juin 1994, Série A n° 292-ADe Santa c. Italie, n° 25574/94, 2 sept.1997, Recueil 1997-VDe Wilde, Ooms et Versyp, c. Belgique, 18 juin 1971, Série A<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Delbec c. France, n o 43125/98, 18 juin 2002Delcourt c. France, 17 janv. 1970, Série A n°11Demir et Bayakara c.Turquie, n°34503/97, CEDH 2006 XIDemirtepe c. France, n° 34821/97, 21 déc. 1999, CEDH 1999-XII<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Deumeland c. Allemagne, n° 9384/81, 29 mai 1986, Série A n° 100Deweer c. Belgique, n° 6903/75, 27 févr.1980, Série A n° 35Di Giovani c. Italie, n° 39920/98, CEDH 2001-VIIDikme c. Turquie, n o 20869/92, CEDH 2000-VIIIDickson et Dickson c. R.U, n° 44362/04, CEDH 2004-IVDikson et Dickson c. R.U., [GC], CEDH, 2007-XIIDoerga c. Pays Bas, n° 0210/99, CEDH 2004-IVDombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, n° 14448/88 27, oct. 1993, Série A n°274Domenichini c. Italie, n° 15943/90, 15 nov. 1996, Recueil 1996-VDöring c. Allemagne (déc.), n° 37595/97, 9 nov. 1999Dougoz c. Grèce, n o 40907/98, CEDH 2001-IIDuclos c. France, 20940/92, 17 déc. 1996, Recueil 1996-VI


XXIDudgeon c. R.U., n° 7525/76, 22 octobre 1981, Série A n° 45Dupuis et autres c. France, n°1914/02, CEDH 2007-VIE c. Norvège (Eriksen n°1), 29 août 1990, Série A n° 181E.L., R.L. et J.O.-L., c. Suisse, 29 août 1997, Recueil 1997-VEdwards c. R.U., n° 46477/99, CEDH 2002-IIIEkinci et Akalın c. Turquie, n o 77097/01, CEDH 2007-IIIEngel et autres c. Pays-Bas, n os 5100/71 ; 5101/71 ; 5102/71, 8 juin 1976, Série A n° 22Erdem c. Allemagne, nº 38321/97, CEDH 2001-VIIErdoçan Yagiz c. Turquie, n°27473/02, CEDH 2007-IIIErdogdu c. Turquie, n°25723/94, CEDH 2000-VIErgi c. R..U., n° 23818/94, 28 juill. 1998, Recueil 1998-IVEriksen c. Norvège (n°2), 27 mai 1997, Recueil 1997-IIIEriksson c. Suède,n°11373/85, 2 juin 1989, Série A n° 156Ernst et autres c. Belgique, n°33400/96, CEDH 2003-VIIErtak c. Turquie, n o 20764/92, CEDH, 2000-VEsen c. Turquie, n o 29484/95, CEDH 2003-VIIEstrikh c.Lettonie, n°73819/01, CEDH 2007-IEzeh et Connors c. R.U, n° 39665/98 et 40086/98, CEDH 2002-VIIFahriye Çaliskan c. Turquie, n o 40516/98, CEDH, 2007-XFalakaoglu et Saygili c. Turquie, n° 22147/02 et 24972/03, 2007-IFarbtuhs c. Lettonie, n°4672/02, CEDH, 2004-XIIFatma Kaçar c. Turquie, n° 35838/97, CEDH 2005-VIIFaulkner C. R.U, n° 37471/97, CEDH 2002-VIFazıl Ahmet Tamer et autres c. Turquie, n°19028/02, CEDH 2007- VIIFéderation des syndicats de travailleurs offshore et autres c. Norvege (déc.), n° 38190/97, CEDH2002-VIFedotov c.Russie, n° 5140/02, CEDH, 2005-XFeldbrugge c. Pays-Bas, n° 8562/79, 29 mai 1986, Série A n°99Ferihumer c. Autriche, n°30547/03, CEDH 2007-II.Filip c. Roumanie, n° 41124/02, CEDH, 2006-XIIFindlay c. R.U., 25 février 1997, Recueil 1997-IFinucane c. R.U., n° 29178/95, CEDH, 2003-VIIFocias c. Roumanie, n o 2577/02, CEDH 2005-IIFogarty c. R.U [GC], n° 37112/97, CEDH 2001-XIFolgero et autres c. Norvège, n°15472/02, CEDH 2007-VI.Foucher c. France, n°22209/93, 18 mars 1997, Recueil 1997-IIFox, Campbell et Hartley c. R.U., n os 12244/86, 12245/86, 12383/86, 30 août 1990, Série A, n° 182Francesco Lombardo c. Italie, n° 11519/85, 26 nov. 1992, Série A n° 249-BFrérot c. France, n°70204/01, CEDH-2007-VI<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Fressoz et Roire c. France, n° 29183/95, CEDH 1999-IFretté c. France, n o 36515/97, CEDH 2002-IFuentes Bobo c. Espagne, n°39293/98, CEDH 2000-IIFunke c. France, 25 février 1993, Série A n o 256-AG.S. c. Autriche, n°26297/95, CEDH 1999-I<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Gallico c. Italie, n o 53723/00, CEDH 2005-VIGautrin et autres c. France, n os 21257/93 à 21260/93, 20 mai 1998, Recueil 1998-IIIGaygusuz c. Autriche, n° 17371/90, 16 sept. 1996, Recueil 1996-IVGelfmann c. France, n°25875/03, CEDH 2004-XIIGeorgiadis c. Grèce, n° 41209/98, CEDH 2000-IIGeorgiev c. Bulgarie, n° 47823/99, CEDH 2005-XIIGiniewski c. France, n°64016/00, CEDH 2006-IGitonas et autres c. Grèce, n os 18747/91, 19376/92, 19379/92, 1 er juillet 1997, Recueil 1997-IVGiulia Manzoni c. Italie, 1 er juillet 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-IIIGlaser c. R.U., n° 32346/96, CEDH 200-IXGlass c. R.U., n o 61827/00, CEDH 2004-II


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XXVIPiersack c.Belgique, * 1 oct. 1982, Série A n° 53Pini, Bertani, Manera et Atripaldi c. Roumanie, n° 78028/01;78030/01, CEDH 2003 XIPloski c.Pologne, n°26761/95, CEDH 2002-XIPodkolzina c.Lettonie, n 46726/99, CEDH 2002-IVPoltoratski c. Ukraine, n o 38812/97, CEDH 2003-IVPopescu c. Roumanie (n°2), n°71525/01, CEDH 2007-IVPopov c. Russie, n° 26853/04, CEDH 2006-VIIPrado Bucallo c. Espagne, n°58496/00, CEDH 2003-IIPrageret Oberschlick c. Autriche, n° 15974/90, 26 avril 1995, Série A n°313Pramov c. Bulgarie, n°42986/98, CEDH 2004-IXPretto c. Italie, * 8 déc. 1983, Série A n°71Pretty c. R.U., nº 2346/02, CEDH, 2002-IVPrice c. R.U. , n° 33394/96, CEDH 2001-VIIQuinn c. France, n° 18580/91, 22 mars 1995, Série A n o 311R 15473/89 (H.M. Klaas/RFA) 21.5.1992, D.R.,*R. L. et M. J.D. c. France, n° 44568/98, CEDH 2004-VRaimondo c.Italie, n o 12954/87, 22 février 1994, Série A n° 281Ramirez Sanchez c. France [GC], n° 59450/00, CEDH 2006-VIIRamirez Sanchez c.France, n° 59450/00, CEDH 2005-IRaninen c. Finlande, n° 20972/92, 16 déc. 1997, Recueil 1997-VIIIReggiani Martinelli c. Italie, (déc.), n°22682/02, CEDH 2005-VIRehbock c. Slovénie, n o 29462/95, CEDH, 2000-XIIRibitsch c.Autriche, n° 18896/91, 4 déc. 1995, Série A n° 336Rinzivillo c. Italie, n° 31543/96, CEDH 2000-XIIRivas c. France, n° 59584/00, CEDH 2004-IVRivière c. France, n o 33834/03, CEDH 2006-VIIRohde c. Danemark, n° 69332/01, CEDH 2005-VIIRotaru c. Roumanie, [GC], n° 28341/95, CEDH 2000-VRozanski c.Pologne, n° 55339/00, CEDH 2006-VRuiz-Mateos c. Espagne, 23 juin 1993, Série A n° 262Rushiti c. Autriche, (n° 28389/95, CEDH 2002-IIIS. c. Suisse, n os 12629/87, 13965/88, 28 nov.1991, Série A n° 220S. et Marper c. R.U., (déc.), n o 30562/04 et n o 30566/04, CEDH 2007-ISabou et Pircalab c. Roumanie, nº 46572/99, CEDH 2004-IXSaday c. Turquie, n° 32458/96, CEDH 2006-IIISaggio c. Italie, n° 41879/98, CEDH 2001-XSahin c. Allemage, (GC), n o 30943/96, CEDH, 2003-VIISahin c. Allemagne, n° 30943/96, CEDH 2001-XSahin et autres c. Turquie, n° 53147/99, CEDH 2005-II<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Saidi c. France, 20 sept. 1993, Série A, n°261-CSakkopoulos c. Grèce, n o 61828/00, CEDH 2004-ISalesi c.Italie, n°13023/87 26 février 1993, Série A, n° 257-ESalman c. Turquie [GC], n o 21986/93, CEDH, 2000-VII<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Sanchez-Reisse c. Suisse, 21 octobre 1986, Série A n o 107Sander c. R.U., n°34129/96, CEDH, 2000-VSaoud C. France, n o 9375/02, CEDH, 2007-XSawoniuk c. Royaume-Uni (déc.), n o 63716/00, CEDH 2001-VIScavuzzo-Hager et autres c. Suisse, n°41773/98, CEDH, 2006-IISchönenberger et Durmaz c. Suisse, n° 11368/85, 20 juin 1998, Série A n° 137Schöpfer c. Suisse, n° 25405/94, 20 mai 1998, Recueil 1998-IIISchuler-Zgraggen, n°14518/89, 24 juin 1993, Série A, n°263Scozzari et Giunta c. Italie [GC], n os 39221/98 et 41963/98, CEDH 2000-VIISelim Sadak et autres c. Turquie, n os 25144/94, 26149/95, CEDH 2002-XISelmouni c. France [GC], n o 25803/94, CEDH, 1999-VSen c. Pays-Bas, n o 31465/96, CEDH 2001-XII


XXVIIShaal c. Luxembourg, n o 51773/9,CEDH 2003-IISheffield et Horsham c. R.U., 30 juillet 1998, Recueil 1998-VSiliadin c. France, n o 73316/01, CEDH 2005-VIISilva Rocha c. Portugal, n° 18165/91, 15 nov. 1996, Recueil 1996-VSilver et autres c. R.U., n os 5947/72, 6205/73, 7052/75, 25 mars 1983, Série A n°61imek et autres c. Turquie, nos 35072/97 et 37194/97, CEDH 2005-VIISkalka c. Pologne, n° 43425/98, CEDH 2003-VSlimane-Kaïd c. France, n°29507/95, CEDH, 2000-ISlimani c. France, n°57671/00, CEDH, 2004-VIISmirnov c. Russie, n°71362/01, CEDH 2007-VISociété Colas Est et autres c. France, n o 37971/97, CEDH 2002-IIISoering c. R.U., n° 14038/88, 7 juillet 1989, Série A n°161Soner et autres c. Turquie, n o 40986/98, CEDH-IVSotiropoulou c. Grèce (déc.), n° 40225/02, CEDH 2007-IStafford c.R.U., n° 46295/99, CEDH 2002-IVSteel et autres c. R.U., n°24838/94, 23 sept. 1998, Recueil 1998-VIIStorck c.Allemagne, n°61603/00, CEDH, 2005-VIStubbings et autres c. R.U, n° 22083/93, 22095/93, 22 oct. 1996, Recueil 1996-IVSunday Times c. R.U., n° 6538/74, 27 oct. 1979, Série A n° 30Sürek c. Turquie, (n o 1), n° 26682/95 CEDH 199-VIISürek et Özdemir c. Turquie, n os 23927/94, 24277/94, CEDH 1999-VIISutter c.Suisse, n° 8209/78, 22 févr. 1984, Série A, n°74Svyato-Mykhaïlivska Parafiya c. Ukraine, n° 77703/01, CEDH 2007-VI.Syndicat national de la police belge c. Belgique, n° 4464/70, 27 octobre 1975, Série A n° 19Syndicat suédois de conducteurs des locomotives c. Suède, 6 février 1976, n° 5614/72 Série A, n°20T. c. R.U, [GC], n° 24724/94, 16 déc. 1999, Recueil 1999-IXTahsin Acar c. Turquie [GC] n° 26307/95, CEDH 2004-IVTaïs c. France, n°39922/03, CEDH, 2006-VITammer c. Estonie, n° 41205/98, CEDH 2001-IITanı et autres c. Turquie, n o 65899/01, CEDH, 2005-VIIITanli c. Turquie, n o 26129/95, CEDH 2001-IVTarariyeva c. Russie, n°4353/03,§88, CEDH 2006-XIITakin et autres c. Turquie, n° 46117/99, CEDH 2004-XITekdag c.Turquie, n° 27699/95, CEDH 20004-ITekin c. Turquie, n° 22496/93, 9 juin 1998, Recueil 1998-IVTekin Yıldız c. Turquie, n° 22913/04, CEDH 2005-XITepe c. Turquie, n° 27244/95, CEDH, 2003-VTerazzi c.Italie, (déc.), n°27265/95, 17 oct. 2002Testa c. Croatie, n o 20877/04, CEDH 2007-VII<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>Thlimmenos c. Grèce [GC], n o 34369/97, CEDH 2000-IVThoma c. Luxembourg, n° 38432/97, CEDH 2001-IIIThynne, Wilson et Gunnell c. R.U, 25 oct. 1990, Série A, n°190Timurta c.Turquie, n° 23531/94, CEDH, 2000-VI<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Tolstoy Miloslavsky c. R. U., 13 juillet 1995, Série A n o 316-BTomasi c. France, n° 12850/87, 27 août 1992, Série A n° 241-ATremblay c. France, n°37194/02, CEDH, 2007-IITrepachkine c. Russie, n o 36898/03, CEDH 2007-VIITroubnikov c. Russie, n o 49790/99, CEDH, 2005-VIITürkmen c. Turquie, n o 43124/98, CEDH 2006-XII,Twalib c. Grèce, n° 24294/94, 9 juin 1998, Recueil 1998-IVTyrer c. R.U., 25 avril 1978, Série A n° 26Tysiac c. Pologne, n°5410/03), CEDH 2007-IIIUnison c.R.U. (déc.), n° 53574/99, CEDH 2002-IV. c. R.U., [GC], n° 24888/94, CEDH 1999-IXValainas c. Lituanie, n o 44558/98, CEDH 2001-VIII


XXVIIIValenzuela Contreras c. Espagne, n° 27671/95 30 juillet 1998, Recueil 1998-VValsamis c. Grèce, n° 21787/93, 18 déc. 1996, Recueil 1996-VIVan der Graaf c. Pays-Bas, (déc.), n° 8704/03, CEDH, 2004-VIVan der Leer c. Pays-Bas, n° 11509/85 , 21 fév. 1990, Série A, n° 170Van der Mussele c. Belgique, n° 8919/80, 23 nov. 1983, Série A n°70Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), n° 29514/05, CEDH 2006-XIIVan der Ven c. Pays-Bas, n°50901/99 CEDH 2003-IIVan Droogenbroeck c. Belgique, n° 7906/77, 24 juin 1982, Série A n° 50Van Marle et autres c. Pays-Bas, n° 8543/79, 26 juin 1986, Série A n o 101Van Oosterwijck c. Belgique, n° 7654/76, 16 nov. 1980, Série A n° 40Varbanov c. Bulgarie, n o 31365/96, CEDH 2000-XVelikova c. Bulgarie, n o 41488/98, CEDH 2000-VIVereinigung demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c. Autriche, n° 15153/89, 19 déc. 1994,Série A n°302Vermeulen c. Belgique, n° 19075/91, 20 févr. 1996, Recueil 1996-IVetter c. France, n o 59842/00, CEDH 2005-VVGT Verein Gegen Tierfabriken c. Suisse, n° 24699/94, CEDH 2001-VIVides Aizsardzibas Klubs c. Lettonie, n°57829/00, CEDH 2004-VVilvarajah et autres c. R.U., n os 13163/87, 13164/87, 13165/87, 30 oct. 1991, Série A n° 215Vogt c. Allemagne, n° 17851/91, 26 sept. 1995, Série A n°323Von Hannover c. Allemagne, n° 59320/00, CEDH 2003-VIIW.R. c. Autriche, n° 26602/95, CEDH 1999-XIIWagner et J.M.W.VL. c. Luxembourg, n o 76240/01, CEDH 2007-VIWainwright c.R.U., n°12350/04, CEDH 2006-IXWassink c. Pays-Bas, 27 sept. 1990, Série A n o 185-AWeber c. Suisse, n° 11034/84, 22 mai 1992, Série A n° 177Weeks c. R.U., 2 mars 1987, Série A, n° 114Welch c. R.U, 9 fevr. 1995, Série A n° 307-AWieser c. Autriche, n°2293/03, CEDH 2007-IIWilde, Ooms et Versyp c.Belgique, n os 2832/66, 2835/66, 2899/66, 18 juin 1971, Série A n° 12Wilde, Ooms et Versyp, préc. V° Wilde, Ooms et Versyp, Série B, plaidoiries.Willis c. R.U, n o 36042/97, CEDH 2002-VIWingrove c. R.U, n° 17419/90, 25 nov. 1996, Recueil 1996-V,Winterwerp c. Pays-Bas, n° 6301/73, 24 oct. 1979, Série A, n°33Worm c. Autriche, n° 22714/93, 29 août 1997, Recueil 1997-VWretlund c. Suède, (déc.), n° 46210/99, CEDH 2004-III,Wynne c.R.U., n° 15484/89 18 juillet 1994, Série A294-AX c. R.U., n° 7215/75, 5 nov. 1981, Série A n° 46X, Y et Z c. R.U, [GC], n° 21830/93, 22 avril 1997, Recueil 1997-IIX. et Y. c. Pays-Bas, n° 8978/80, 26 mars 1985, Série A n° 91<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Y. F. c. Turquie, nº 24209/94, CEDH 2003-VIIYankov c.Bulrgarie, n° 39084/97, CEDH 2003-XIYaa c. Turquie, 2 sept. 1998, Recueil 1998-VIUniversité Paris I - Panthéon Sorbonne 2008Young, James et Webster c. R.U, n° 7601/76, 7806/77, 13 août 1981, Série A, n°44Younger c. R.U., n° 57420/00 (déc.), CEDH, 2003-IYüksel Erdoan et autres c. Turquie, n°57049/00, CEDH, 2007-IIZ. et autres c. RU [GC], 29392/95, CEDH 2001-VZana c. Turquie, n° 18954/91, 25 nov. 1997, Recueil 1997-VIIZarb Adami c. Malte, n°17209/02, CEDH 2006-VIZawadka c. Pologne, n°48542/99, CEDH 2005-VIdanoka c. Lettonie [GC], n° 58278/00, CEDH 2006-IIIZelilof c. Grèce, n o 17060/03, CEDH, 2007-V


XXIXSITES E<strong>LE</strong>CTRONIQUES CITEShttp://cmiskp.echr.coe.intSite de la Cour européenne des droits de l’hommehttp://cpt.coe.intSite du Comité européen pour la prévention de la torturewww.un.org/french/Site de l’ONUhttp://www.ilo.org/Site de l’OITwww.cicr.orgCroix-Rougehttp://www.synigoros.gr/Défenseur du citoyen (Grèce)www.ministryofjustice.grMinistère de la justice ((Grèce)http://champpenal.revues.org Champ Pénal/Penal fieldwww.syndicat-magistrature.org Syndicat de la magistraturewww.collectif2001.org/Sanctionner dans le respect des droits de l’hommewww.Senat.frSénat françaishttp://www.legifrance.gouv.fr/ Service public de la diffusion du droit (France)www.presse.justice.gouv.frSite du Ministère de la justice françaisewww.conseil-etat.frSite du Conseil d’Etat (français)www.amnesty.fr/Amnesty internationalwww.prison.eu.orgSite de l’association Ban Publichttp://www.nchr.gr/Commission nationale consultative des droits de l’homme<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XXXSOMMAIREABREVIATIONSINTRODUCTION GENERA<strong>LE</strong> 1Le nouveau cadre pour la question du sens de la peine privative de liberté 4L’état actuel de la définition de la peine privative de liberté 9L’exemple français du rôle historique de la prison dans la détermination du sens de 12la privation de libertéL’exemple français du rôle des fonctions de la peine dans le sens de la peine 15La période de la résistance de la peine et de la prison aux droits de l’homme 17La mutation de la peine en notion juridique 20« Une peine privative du droit à la liberté » au sein de la jurisprudence européenne 23Eléments de droit comparé 31Délimitation de l’objet de l’étude 35PREMIERE PARTIE. UNE PEINE <strong>DE</strong> DIMENSION PHYSIQUE<strong>DE</strong>PASSANT <strong>LA</strong> PRIVATION <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> LIBERTE D’AL<strong>LE</strong>R ET VENIRINTRODUCTION 41Titre I. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE AU REGARD <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITSRE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> LIBERTE ET L’INTEGRITE PHYSIQUE SOUMIS A <strong>DE</strong>S<strong>DE</strong>ROGATIONSINTRODUCTIONCHAPITRE 1. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’EXERCICE DU DROIT A<strong>LA</strong> LIBERTE<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...SECTION 1. <strong>LE</strong> CONTRO<strong>LE</strong> EUROPEEN <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> « <strong>LE</strong>GALITE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong><strong>DE</strong>TENTION ULTERIEURE »Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 1. La reconnaissance du droit au contrôle de la légalité de la détention aprèscondamnation4043454748A. Un droit fondé sur la notion européenne d’« état privatif de liberté » 481. La définition européenne de l’état privatif de liberté 49a. Une approche matérielle 49b. Une approche évolutive 50c. Un champ d’applicabilité de l’état privatif de liberté dépassant les lieux 50« classiques » d’enfermement


XXXI2. Le rôle de la notion d’état privatif de liberté dans le cadre d’une détention après 51condamnationB. Un droit fondé sur un sens européen de “ légalité de la détention ” 521. Un sens européen autonome 542. Un sens européen évolutif 56§ 2. Un champ limité d’applicabilité du contrôle de la légalité de la détention 58A. Applicabilité du contrôle de la légalité temporelle limitée aux détentions 58évolutives1. Application déterminée par la nature évolutive de la détention concernée 58a. Applicabilité reconnue dans l’exécution des mesures de sûreté 59b. Applicabilité reconnue dans l’exécution des peines de type particulier en droit 60britanniquec. Vers la reconnaissance de l’applicabilité à tout type de détention 652. Application déterminée par la nature de la décision concernée 67a. Contrôle de légalité requis du maintien en détention et de la réincarcération dans 68le cadre des peines évolutivesb. Contrôle non expressément requis dans les mesures modulant indirectement la 72durée de la détentionc. Contrôle européen de certaines mesures d’aménagement de peine par 73l’applicabilité des articles 6 et 7 de la ConventionB. Application quasi-exclue dans le contrôle de la légalité matérielle de la 76détention1. L'approche non-matérielle de la légalité de la détention 76a. Approche matérielle partielle de la légalité de la détention à but éducatif ou 78thérapeutiqueb. Absence totale d’une approche matérielle de la légalité de la détention pénale 802. Les interrogations 82a. Au regard de la légalité de la détention au sens de l’article 5 de la Convention 82b. Au regard du principe de légalité des peines au sens de l’article 7 de la 85Convention<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 3 Les garanties procédurales du contrôle de la légalité de la détention 86A. L’« accès effectif » devant un « tribunal » 871. L'accès « effectif » 88a. Accès suffisamment certain 88b. Accès à des intervalles raisonnables 88c. Accès rapide 89d. Accès ouvrant un contrôle de l'ensemble des points de légalité au sens européen 892. Le « tribunal » 89


XXXIIa. Les critères d'indépendance et d'impartialité 90b. Critère d'étendue de compétence 91c. Critère de pouvoir décisionnel 93B. Les garanties fondamentales du procès équitable 941. Droit à être informé des raisons de la privation de liberté 942. Droit à la célérité du recours 953. Droit à une participation adéquate à la procédure 96a. Respect du contradictoire 97b. Respect de l'égalité des armes 98SECTION 2. <strong>LE</strong> CONTRO<strong>LE</strong> NATIONAL INDIRECT <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>LE</strong>GALITETEMPOREL<strong>LE</strong> <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> <strong>DE</strong>TENTION99§ 1. Un contrôle résultant de la juridictionnalisation de certaines mesuresd’aménagement des peinesA. L’état de juridictionnalisation au sein du droit grec 1001. Les mesures susceptibles de déterminer la légalité de la détention 101a. La libération conditionnelle 101b. Le calcul bénéfique du temps de détention 102c. La semi-liberté 103d. Les transferts 1032. Les garanties procédurales 104a. La libération conditionnelle 104b. Le calcul bénéfique 105c. Les transferts 105d. La semi-liberté 106B. L’état de juridictionnalisation au sein du droit français 1061. Les mesures susceptibles de déterminer la légalité de la détention 107a. Les réductions de peine 107b. La libération conditionnelle 108c. Le placement sous surveillance électronique 109d. La semi-liberté et le placement à l’extérieur 110e. Les transferts 1122. Les garanties procédurales 113<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 200899§ 2. Un contrôle par ricochet résultant de l’application du procès équitabledans la justice disciplinaire pénitentiaire119A. La reconnaissance européenne de l’application du procès équitable 119B. L’état d’application du procès équitable au sein des droits nationaux 1231. L’impact de la sanction de mise en cellule sur la durée de la détention 123


XXXIIIa. Au sein du droit grec 123Les poursuites devant le prétoireLes recoursb. Au sein du droit français 123Les poursuites devant le prétoireLes recours2. La procédure appliquée dans le cadre de la sanction de mise en cellule 124a. Au sein du droit grec 125b. Au sein du droit français 127CHAPITRE 2. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’EXERCICE DU DROIT A <strong>LA</strong>VIE137Définition de la « vie » et détermination du champ d’applicabilité du droit à la vie 139SECTION 1. <strong>LA</strong> GARANTIE DU DROIT A <strong>LA</strong> VIE AU REGARD <strong>DE</strong>SOBLIGATIONS NEGATIVES§ 1. Application générale 143A. Le champ d'autorisation du recours à la force 145B. La « nécessité absolue » de la force utilisée 1471. Le critère de danger pour l'intégrité ou la vie 1482. Le critère de proportionnalité rigoureuse entre le danger et l’usage de la force 149a. Les sous-critères communs à tout usage de force de la part des forces de l’ordre 149b. Les sous-critères supplémentaires dans le cadre des opérations planifiées 152§ 2. Application à l’égard des détenus 155<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>A. Amoindrissement de la protection en raison du statut pénal 1551. Les exigences européennes 1562. L’application nationale 157B. Amoindrissement de la protection en raison du statut pénitentiaire 1581. Les exigences européennes 1582. L’application nationale 160a. Au sein du droit français 160b. Au sein du droit grec 162<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...142Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XXXIVSECTION 2. <strong>LA</strong> GARANTIE DU DROIT A <strong>LA</strong> VIE AU REGARD <strong>DE</strong>SOBLIGATIONS POSITIVES164§ 1. La garantie européenne 1651A. Application générale 1651. Les obligations préventives 165a. Les obligations contre des risques communs 165b. Les obligations contre des risques personnels 1672. Les obligations procédurales 170a. Obligation de mener une enquête effective 170b. Les obligations supplémentaires lors de l’exercice des recours 177B. Application à l’égard des détenus 1781. Les obligations préventives 179a. La protection contre des défaillances en matière de soins 181b. La prévention du suicide 183c. La protection contre des comportements des codétenus 1862. Les obligations procédurales 188§ 2. La garantie nationale 189A. Le régime de responsabilité de l’Etat 1901. Droit français 1912. Droit grec 192B. Le champ d’application du régime de responsabilité de l’Etat 1931. Les défaillances en matière d’organisation matérielle 1932. Les défaillances en matière de soins médicaux 1943. Les défaillances en matière de violences des codétenus 1964. Les défaillances en matière de prévention du suicide 198C. L’obligation de mener une enquête 200<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...TITRE II. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’INTERDICTION ABSOLUE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong>TORTURE ET <strong>DE</strong>S PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU<strong>DE</strong>GRADANTS205Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008PARAGRAPHE INTRODUCTIF. <strong>SENS</strong> ET PROTECTION <strong>JURIDIQUE</strong> <strong>DE</strong><strong>LA</strong> DIGNITE207A. Observations liminaires sur la définition de la dignité et sur sa valeur absolue 207B. La définition européenne 213


XXXV1. La définition établie par la Cour 2132. La définition de la dignité au sein des droits nationaux 223a. En droit grec 223b. En droit français 224C. Le mécanisme européen de protection renforcée 2261. Le mécanisme répressif renforcé par la Cour 226a. Les obligations préventives au titre de l’article 3 227b. Les obligations procédurales 2292. La protection complémentaire préventive assurée par le CPT 235D. Les principes sur l’application du respect de la dignité dans les prisons 237CHAPITRE 1. APPLICATION <strong>DE</strong>S INTERDITS DANS <strong>LA</strong> GARANTIE <strong>DE</strong>L’INTEGRITE PHYSIQUE <strong>DE</strong>S <strong>DE</strong>TENUSSECTION 1. <strong>LE</strong>S GARANTIES CONTRE TOUS TYPES <strong>DE</strong> VIO<strong>LE</strong>NCES 241§ 1. La protection contre les violences physiques 242A. La protection européenne 2421. Les obligations négatives 2422. Les obligations positives 247B. La protection nationale 2501. Les obligations négatives 2512. Les obligations positives 252a. Les obligations préventives 252b. Les obligations répressives 252§ 2. La protection contre certains moyens coercitifs 253<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>A. La protection européenne 2541. Les garanties générales 2542. Les garanties concernant certains moyens coercitifs 255a. L’isolement 255b. Les menottes 256c. Les fouilles corporelles 259d. Les transfèrements 263B. La protection nationale 2631. Les garanties générales 2632. Les garanties supplémentaires concernant certains moyens coercitifs 265a. Les garanties lors de l’usage des menottes et des entraves 265b. Les garanties lors du recours aux fouilles corporelles 266c. Les garanties entourant les transfèrements 267<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...241Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XXXVISECTION 2. <strong>LE</strong>S GARANTIES CONTRE <strong>LE</strong>S CONDITIONS MATERIEL<strong>LE</strong>S<strong>DE</strong>GRADANTES269§ 1. Les exigences européennes 271A. Garantir la salubrité et l’intimité 273B. Garantir un minimum d’espace vital contre la surpopulation carcérale 276C. Les critères déterminant la gravité des conditions matérielles et de la 279surpopulation§ 2. Les garanties au sein des droits nationaux 280A. La réglementation 280B. La réalité 282SECTION 3. <strong>LE</strong>S GARANTIES CONTRE <strong>LE</strong>S REGIMES <strong>DE</strong> SECURITERENFORCEE§ 1. Des régimes à risque mais non prohibés au sein du Conseil de l’Europe 288A. L’isolement : un régime susceptible de constituer un traitement inhumain ou 288dégradant1. L’absence de définition de l’isolement 2892. Les critères d’appréciation de la gravité de l’isolement 291B. Les garanties lors du recours à l’isolement 3001. Les garanties de fond 3002. Les garanties de forme 302<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>§ 2. L’application des régimes à risque dans les droits nationaux 304<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A. L’application des régimes de sécurité renforcée 3041. Le régime de D.P.S. en France 3042. Le régime d’isolement 305B. Les garanties lors de leur application 3061. Les garanties de fond 3072. Les garanties de forme 309287Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008SECTION 4. <strong>LE</strong>S QUESTIONS <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> CAPACITE A SUBIR UNE<strong>DE</strong>TENTION314§ 1. Les questions fondées sur les états physiques 316


XXXVIIA. Handicap physique et de dépendance physique en général 317B. Femmes enceintes ou accompagnées de nourrissons 323§ 2. Les questions fondées sur l’âge 327A. Grand âge 327B. Minorité 332§ 3. Les questions fondées sur la longueur des peines 336A. L’absence de limites claires au sein de la jurisprudence européenne 337B. Des limites garanties au sein des droits nationaux et recommandées par le 340Comité des Ministres du Conseil de l’EuropeCHAPITRE 2. APPLICATION <strong>DE</strong>S INTERDITS DANS <strong>LA</strong> GARANTIE <strong>DE</strong><strong>LA</strong> SANTE <strong>DE</strong>S <strong>DE</strong>TENUSSECTION 1. <strong>LE</strong>S OBLIGATIONS POSITIVES VISANT A GARANTIR <strong>DE</strong>SSOINS A<strong>DE</strong>QUATS§ 1. Les garanties européennes requises par les « soins médicaux adéquats » 349A. Le tronc commun des garanties 3511. Le principe d’équivalence des soins 3512. Les garanties précises 352B. Les garanties supplémentaires concernant certains types de maladies 3581. Les troubles mentaux 3582. Les maladies transmissibles 360<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>§ 2. Les garanties assurées au sein des droits nationaux 361<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A. Les garanties en droit français 3621. Les soins en général 3632. Des soins ou des mesures spécifiques 368a. Maladies mentales 368b. Maladies transmissibles 370c. Conduites addictives 371B. Les garanties en droit grec 3731. Les soins en général 3742. Les mesures spéciales 376a. Le traitement des séropositifs au VIH 376b. La toxicomanie 377346348Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XXXVIIISECTION 2. L’OBLIGATION <strong>DE</strong>S ETATS <strong>DE</strong> S’ASSURER <strong>DE</strong> <strong>LA</strong>COMPATIBILITE <strong>DE</strong> L’ETAT <strong>DE</strong> SANTE AVEC <strong>LA</strong> <strong>DE</strong>TENTION378§ 1. Une garantie en devenir au sein du droit européen 378A. Garantie potentielle en cas de maladies physiques graves 381B. Garantie potentielle en cas de maladie mentale et autres problèmes de santé 3851. L’état de garantie en cas de maladies mentales 3852. L’état de garantie aux détenus souffrant du VIH ou de toxicomanie 387§ 2. Une garantie largement reconnue au sein des droits nationaux 388A. Le champ de reconnaissance en droit grec 3881. Etats de santé incompatibles avec une détention ordinaire 388a. Malades mentaux : détention dans des lieux hospitaliers 388b. Toxicomanes : détention dans des lieux de désintoxication 3892. Etats de santé incompatibles avec tout type de détention 390a. La libération conditionnelle des détenus malades du VIH 390b. La suspension de la peine en cas de gravité exceptionnelle 390B. Le champ de reconnaissance en droit français 3911. La suspension de la peine 3912. L’exécution de la peine en milieu psychiatrique 3943. Absence de mesures spéciales concernant les personnes souffrant du VIH ou de 397toxicomanieSECTION 3. L’OBLIGATION <strong>DE</strong>S ETATS <strong>DE</strong> RESPECTER <strong>LE</strong> SECRET ET<strong>LE</strong> CONSENTEMENT MEDICAL<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>§ 1. Les obligations dictées par le respect de la vie privée 399<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...A. L’obligation de respecter le secret médical 3991. La garantie européenne 3992. La garantie nationale 401B. L’obligation de respecter le consentement libre et éclairé 4031. La définition européenne du consentement libre et éclairé 4042. L’application aux détenus du consentement libre et éclairé 405a. En droit français 406b. En droit grec 408398Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 2. Les obligations complémentaires dictées par l’interdiction des traitementsinhumains, dégradants ou de la torture408


XXXIXA. Le renforcement des garanties concernant certaines dérogations au respect du 409consentement1. Les dérogations à certaines fins thérapeutiques 409a. Les traitements forcés des malades mentaux 410b. L’alimentation forcée des grévistes de la faim 4112. Les dérogations à des fins répressives 415B. La vigilance particulière concernant les risques d’un consentement biaisé 4171. Les expérimentations médicales 4172. Les traitements médicaux des délinquants sexuels 421CONCLUSION PARTIE 1 426<strong>DE</strong>UXIEME PARTIE. UNE PEINE A DIMENSION MULTIP<strong>LE</strong>RESTRICTIVE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> LIBERTE AU <strong>SENS</strong> <strong>LA</strong>RGEINTRODUCTION 431TITRE I. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFSA <strong>LA</strong> SPHERE <strong>DE</strong> VIE PRIVEEINTRODUCTION 434CHAPITRE 1. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR <strong>LE</strong> RESPECT <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIEPRIVEE EN GENERALPARAGRAPHE INTRODUCTIF : <strong>SENS</strong> ET PROTECTION <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE PRIVEE 437A. Définition et garanties de la vie privée 4371. Les garanties exigées par les droits nationaux 437a. Droit français 437b. Droit grec 4392. Les garanties exigées par la Convention 441B. Les défis de la prison 4441. L'équilibre inversé dans le rapport abstention/intervention de l'Etat dans la vie 444privée2. L'hétéronomie des détenus opposée au respect de l'autonomie 4453. La surveillance des détenus opposée au respect de l'intimité 447<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...430436Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008SECTION 1. <strong>LA</strong> PRISON RESTRICTIVE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE PRIVEE INDIVIDUEL<strong>LE</strong> 448§ 1. Le détenu privé de lieu privé 449


X<strong>LA</strong>. Le cadre d’interrogation du droit des détenus au respect du domicile 4501. Champ d'application et garanties du droit au respect du domicile 4502. La question de l’applicabilité du droit au respect du domicile en prison 452B. Transparence de la cellule 4541. Les modalités des fouilles et des perquisitions de la cellule 455a. Non-exigence d'une autorisation judiciaire 456b. Non-exigence d'assentiment et de présence des détenus 4582. La surveillance et la dépossession des clés de la cellule 458C. Usage non-libre de la cellule 4591. Absence d'un droit à rester seul dans la cellule 4592. Dépersonnalisation de l'espace et du temps de vie en cellule 460§ 2. Le détenu quasiment privé de l'intimité et de la libre disposition de soncorpsA. Le corps transparent 4611. Le corps surveillé 4612. Le corps fouillé 463B. Le corps défiguré 4661. Le choix vestimentaire 4672. Le paraître du visage 468SECTION 2. <strong>LA</strong> PRISON RESTRICTIVE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE PRIVEEINTERINDIVIDUEL<strong>LE</strong>§ 1. Les restrictions au respect des rapports de distance 472A. Faiblesse de la garantie européenne dans le respect de la correspondance écrite 4761. La légalité des restrictions équivalente à l’extérieur 477a. La notion de prévisibilité 477b. L’application de la prévisibilité légale 4792. La nécessité démocratique sensiblement plus large qu’à l’extérieur 481a. Justifications de violation du secret 481b. Justification de la censure 485c. Justification de la limitation du cercle des correspondants 484B. Progrès et retards de la protection nationale par rapport à la protection 494européenne1. Au regard de la correspondance écrite 494a. Protection renforcée en droit grec 494b. Protection faible en droit français 4962. Au regard de la communication téléphonique 499a. Les progrès en droit grec 499<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...461471Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XLIb. Les progrès en droit français 499§ 2. Les restrictions au respect des rapports de proximité 502A. Les restrictions des moyens 5031. Le droit à des contacts avec la communauté carcérale 5032. Le droit à des contacts avec des personnes extérieures 504a. Les visites 504b. Les sorties 507B. Les restrictions qualitatives 5081. Privation de contacts intimes 508a. Intimité non garantie en prison 509b. Intimité non garantie lors des sorties 5092. Privation de relations sexuelles 5093. Interrogations et critiques 511CHAPITRE 2. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR <strong>LE</strong> RESPECT <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIEFAMILIA<strong>LE</strong>SECTION 1. <strong>LE</strong>S RESTRICTIONS DANS <strong>LA</strong> CREATION D'UNE VIEFAMILIA<strong>LE</strong>§ 1. Garantie limitée du droit à se marier 526A. Reconnaissance aux détenus du droit à se marier 5271 La reconnaissance européenne 527a. Responsabilité du détenu écartée dans le respect du droit à se marier 528b. Responsabilité retenue de l'administration pénitentiaire dans le respect du droit à 529se marier2. La reconnaissance nationale 530B. Application limitée 531<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...§ 2. Privation du droit de fonder une famille 532A. La prison privative de la vie en couple 5321. Impossibilité de fonder une famille par le mariage 5332. Impossibilité de fonder une famille par le concubinage 533B. La prison privative du droit de procréer 5341. La réticence de la jurisprudence européenne de reconnaître aux détenus le droit 535d’avoir un enfant2. La reconnaissance timide aux détenus du droit d’avoir un enfant au sein des 539droits nationaux520526Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XLIISECTION 2. <strong>LE</strong>S RESTRICTIONS AU MAINTIEN <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE FAMILIA<strong>LE</strong> 541§ 1. Les restrictions du droit à une "vie familiale normale" 543A. Les visites familiales : un droit du détenu et de sa famille 5441. La protection européenne 5442. La protection nationale 547B. Les sorties familiales : un droit des détenus en devenir 5491. La protection nationale 549a. Les sorties familiales exceptionnelles 550b. Les sorties familiales ordinaires ou régulières 5502. La protection européenne 552C. Le rapprochement familial 5551. Choix de la prison 555a. Choix de la prison dans un pays donné 555b. Choix du pays de la détention 5582. Les transferts 559§2. Les conséquences sur la famille nucléaire 560A. Le détenu : un divorcé potentiel 5611. A cause de la condamnation 5612. A cause de la détention 562a. Le divorce pour défaut de communauté de vie 562b. Le divorce pour défaut de liens effectifs 562B. Le détenu : un parent désavoué 5641. Amour du parent/intérêt de l'enfant : un équilibre brisé 5662. L'autorité parentale retirée ou diminuée 571a. Le retrait total de l'autorité parentale 571b. La diminution de l'autorité parentale 572<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008TITRE 2. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE AU REGARD <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>SDROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> VIE ECONOMIQUE578INTRODUCTION 578CHAPITRE 1. L’ETENDUE <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFSAU TRAVAIL580SECTION 1. <strong>LA</strong> SOUMISSION DU <strong>DE</strong>TENU A UNE RE<strong>LA</strong>TION <strong>DE</strong> 581


XLIIITRAVAIL PARTICULIERE§ 1. Les particularités au regard de l’interdiction du « travail forcé ouobligatoire »582A. La garantie au sein de la jurisprudence européenne 5821. L’application générale de l’« interdiction du travail forcé ou obligatoire » 582a. Affirmation du caractère absolu de l’interdiction du travail forcé ou obligatoire 583b. Rétrécissement du champ d’application de l’interdiction du travail forcé ou 586obligatoire2. L’interprétation de la notion de « travail normalement requis des détenus » 590a. Le travail des détenus exclusif de la notion de « travail forcé ou obligatoire » 590b. Le travail requis des détenus apprécié au regard des critères dégagés par la Cour 592B. La garantie assurée par les droits nationaux 5941. Garantie générale 5942. Garantie assurée aux détenus 595§ 2. Les particularités au regard de la garantie de la liberté de travail et dudroit au travailA. La garantie générale 5981. La garantie nationale 598a. L’accès au travail 598b. Les garanties contre la perte de l’emploi 6002. La garantie européenne 600a. L’applicabilité de la Convention par le biais de la notion de biens et des droits 600civilsb. Les droits protégés par l’application de la Convention 603B. Le statut particulier de détenu « travailleur » 6061. Particularités au regard du droit au travail et de la liberté de travail 606a. Les atteintes à l’accès au travail 606b. Les atteintes au maintien de l’emploi 6152. Particularités au regard des droits des travailleurs 618a. La privation du détenu de la garantie d’une rémunération équitable 618b. La reconnaissance aux détenus des droits sociaux 620<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...597Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 3. L’exercice de la liberté syndicale 622A. La garantie générale 6221. La garantie nationale 6232. La garantie européenne 624a. La protection de la liberté syndicale dans sa dimension individuelle 624


XLIVb. La protection de la liberté syndicale dans sa dimension collective 626B. Le bannissement de la liberté syndicale de l’enceinte des prisons 6271. Au sein des droits nationaux 6272. Au sein de la jurisprudence européenne 628SECTION 2. <strong>LE</strong>S RAISONS SOUS-JACENTES AUX PARTICU<strong>LA</strong>RITES DUSTATUT DU <strong>DE</strong>TENU AU TRAVAIL631§ 1. Empêcher le travail de fonctionner comme moyen d’autonomie 635A. Empêcher l’autonomie procurée par le libre échange du travail 6361. Autonomie exprimée par la signature du contrat de travail 6362. Autonomie assurée par la libre gestion de la rémunération 639B. Empêcher l’autonomie assurée par le statut de salarié 6401. Les incompatibilités entre le statut de détenu et le statut de travailleur 640a. Les incompatibilités des statuts de « détenu » et de « salarié » 640b. Les incompatibilités des statuts de « détenu » et de « salarié syndiqué » 6422. Les incompatibilités structurelles entre le droit du travail et le droit pénitentiaire 643a. Le caractère dialectique et évolutif du droit du travail 643b. Le caractère unilatéral et figé du droit pénitentiaire 644§ 2. Maintenir le travail au rôle d’outil au service de la peine et de la prison 644A. La vie en détention remplacée par le travail accompli à l’extérieur 6461. Le « travail d’intérêt général » en tant que peine substitutive à la peine privative 647de liberté2. Le travail à l’extérieur en tant que modalité d’exécution de la peine privative de 647libertéB. La durée de la peine privative de liberté abrégée par la durée du travail 6481. L’évaluation discrétionnaire du travail en temps de peine en droit français 6482. Le travail tarifé en jours de peine en droit grec 649<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...CHAPITRE 2. L’ETENDUE <strong>DE</strong> L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS RE<strong>LA</strong>TIFS A<strong>LA</strong> GESTION <strong>DE</strong>S BIENS653Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008SECTION 1 <strong>DE</strong>S RESTRICTIONS PRIVATIVES D’AUTONOMIEFINANCIERE657§ 1. Les restrictions entraînées par le statut pénal 657A. Les restrictions au sein des droits nationaux 6571. La fin de l’incapacité à gérer ses biens résultant de plein droit d’une 658condamnation pénale


XLV2. La survivance d’autres conséquences de nature patrimoniale 660a. La survivance des sanctions complémentaires de nature patrimoniale 660b. La survivance d’autres conséquences sur la vie professionnelle 661B. De la conformité des restrictions nationales à la Convention 6621. Au regard du droit au respect des biens 6622. Au regard du droit au procès équitable 663§ 2. Les restrictions entraînées par le statut pénitentiaire 663A. La garantie européenne insatisfaisante 6641. Garantie inefficace par l'application du droit au respect des biens 664a. La gestion des biens à l’intérieur de la prison 664b. La gestion des biens à l’extérieur de la prison 6652. Garantie indirecte par l'application du droit au procès équitable 666B. De la conformité des restrictions nationales avec la Convention 667SECTION 2. <strong>DE</strong>S RESTRICTIONS REDUISANT <strong>LE</strong> <strong>DE</strong>TENU A UN ETAT <strong>DE</strong>PAUVRETE EGA<strong>LE</strong>§ 1. Les restrictions du pouvoir de posséder et de jouir de ses biens 670A. Les restrictions du pouvoir de posséder des biens 6701. Limitation des biens autorisés 6702. Limitation des sommes d'argent autorisées 672B. Privation de la liberté d'exploiter ses biens 6731. Privation des échanges avec l'extérieur 6732. Limitation des échanges dans la prison 674<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...§ 2. Les restrictions du pouvoir de consommer 674A. Un accès aux produits de consommation sévèrement limité 6761. Le critère d'austérité 6762. Le critère de dangerosité 678B. Un accès aux produits de consommation non garanti 6781. L’obligation à une consommation raisonnable 6792. La privation de la consommation à titre de sanction 679670Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008


XLVITITRE III. <strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>DE</strong>TERMINE PAR L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITSRE<strong>LA</strong>TIFS A <strong>LA</strong> SPHERE <strong>DE</strong> <strong>LA</strong> VIE INTEL<strong>LE</strong>CTUEL<strong>LE</strong> ET CITOYENNE682INTRODUCTION 682CHAPITRE 1. L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS A SE FORMER, S’INFORMERET CROIRE683SECTION 1. <strong>LE</strong> DROIT A L’EDUCATION 683§ 1. L’application au sein de la jurisprudence européenne 685A. L’application générale 686B. L’application en prison 688§ 2. L’application au sein des droits nationaux 689A. Accès à l'enseignement général 690B. Accès à des activités sportives 692SECTION 2. <strong>LA</strong> LIBERTE D’INFORMATION 694§ 1. L’application au sein de la jurisprudence européenne 695§ 2. L’application au sein des droits nationaux 699A. L'accès des détenus à l’information écrite 6991. Accès à l'information extérieure à la prison 6992. Accès à l'information intérieure à la prison 700B. L'accès à l'information par les moyens audiovisuels 701<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...SECTION 3. <strong>LA</strong> LIBERTE RELIGIEUSE 703Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008§ 1. L’application au sein de la jurisprudence européenne 704A. L’application générale 705B. L’application en prison 7091. La pratique de la religion 7092. Absence d’influence de la liberté d'expression et d'information dans le respect de 711la liberté religieuse§ 2. L’application au sein des droits nationaux 712


XLVIIA. L’application assurée par la considération de la religion comme un moyen 714d'éducation1. L’application au sein du droit grec 7142. L’application au sein du droit français 715B. L’application assurée par la force de la religion en tant qu'institution 7151. Le secret des contacts 7112. La liberté des visites 716CHAPITRE 2. L’EXERCICE <strong>DE</strong>S DROITS D’EXPRESSION 718SECTION 1. L’EXPRESSION GENERA<strong>LE</strong> 718§ 1. L’application au sein de la jurisprudence européenne 720A. L’application générale 7201. Définition large de la liberté d'expression 720a. La définition au regard du contenu d'expression 721b. La définition au regard des moyens d'expression 7212. Nécessité démocratique stricte 725a. L’intérêt du débat 727b. Type du média 733c. Le contexte 734d. Style utilisé et nature des propos 735e. Type d’ingérence 736f. Obligations positives 737B. L’application critique dans la prison 738§ 2. L’application nationale 742<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong>A. Le cadre de la protection générale 742B. L’application en prison 7441. L’expression écrite sous régime dérogatoire au droit commun 744a. L'expression individuelle : entre silence et réglementation dérogatoire au droit 745communb. L'expression collective : entre absence et haute surveillance 7462. L’expression artistique encouragée 747<strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008SECTION 2. L’EXPRESSION POLITIQUE EN PARTICULIER 750§ 1. La garantie européenne 751A. La consécration des droits individuels de vote et d’éligibilité 751


XLVIIIB. Le champ large de la légitimité des limitations à l’égard des détenus 756§ 2. La garantie nationale 760A. Une privation limitée des droits politiques en raison de la condamnation pénale 7601. Au sein du droit français 7612. Au sein du droit grec 762B. Des moyens prévus pour l’exercice du droit de vote des détenus 7631. Au sein du droit français 7632. Au sein du droit grec 764CONCLUSION PARTIE 2 767CONCLUSION GENERA<strong>LE</strong> 770BIBLIOGRAPHIE1. Ouvrages2. Ouvrages anciens3. Contributions à des ouvrages4. Articles5. Travaux ou publications collectifs6. Mélanges7. Sources InstitutionnellesNationalesInternationalesConseil de l’EuropeCEDH- Arrêts et Décisions8. Sites WEB XXIX<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008I


RésuméDepuis les années 1970, nous assistons à un accroissement considérable de la force juridique desdroits de l’homme. Cela a entraîné de nombreuses mutations des concepts juridiques. Le droit pénalest notamment marqué par l’évolution du concept de la peine. D’un concept criminologique, la peinedevient un concept juridique, régi par le Droit. Les droits de l’homme ont amené dans le champ pénalla question des limites du pouvoir punitif au nom du respect de la liberté de l’individu. Ainsi la « peineprivative de liberté » fait son apparition à la place de la peine de « prison » accompagnée de laprécision que cette peine doit être entendue dans le sens de la limitation à la privation de la libertéphysique. Or nous estimons d’une part, que ce terme n’est pas suffisamment précis juridiquement.D’autre part, si la prison n’est censée servir que de moyen d’exécution de cette peine, dans la réalité lefonctionnement de cette institution continue à déterminer le sens de la privation de liberté. La questionqui se pose est de savoir si les droits de l’homme peuvent parvenir à encadrer et limiter les effets de laprison à la seule privation de la liberté physique. Cette question est d’autant plus cruciale si l’onl’envisage du point de vue du principe de légalité des peines qui exige que les peines soient claires etprécises. C’est à ces interrogations que la présente étude propose de répondre. Si la peine privative deliberté doit se limiter à la seule privation de la liberté physique, alors l’exercice des autres droits nedevrait pas subir de limitations plus significatives qu’à l’extérieur. Pourtant la Cour européennejustifie elle-même des limitations dans l’exercice des droits de l’homme de la part des personnesdétenues « plus amples » par rapport aux personnes libres. Certaines limitations sont telles qu’ellesinterfèrent avec les principes d’une société démocratique. Aussi, en dehors du champ pénal, enfiligrane de l’étude de l’application des droits de l’homme dans la prison, c’est l’identité de la sociétédémocratique qui se pose. Celle-ci est mise à l’épreuve dans et par la prison.AbstractTHE <strong>LE</strong>GAL MEANING OF THE SENTENCE OF <strong>DE</strong>PRIVATION OF LIBERTYUN<strong>DE</strong>R THE APPLICATION OF HUMAN RIGHTS IN PRISONA comparative study of the jurisprudence of the European Court of Human Rights,French right and Greek rightSince the 1970's, we have been witnessing a considerable increase in the legal force of humanrights. This has led to many changes in legal concepts. The criminal law is especially marked by theevolution of the concept of punishment. The sentence has moved from a criminological to a legalconcept, governed by the law. The human rights have brought in the criminal field the question oflimits of the punitive power on behalf of respect for individual freedom. Thus the "deprivation ofliberty" makes its appearance in place of the penalty of "prison", with the precision that the sentencemust be understood in the sense of limitation to the deprivation of physical liberty. But we believe onthe one hand that this term is not sufficiently accurate legally. On the other hand, if the prison issupposed to serve as means of carrying out the penalty, in reality the functioning of this institutioncontinues to determine the meaning of deprivation of liberty. The question that arises is whetherhuman rights can limit the effects of prison only to the deprivation of physical liberty. This issue iseven more crucial if we consider the point of view of the principle of legality of sentences whichrequires that sentences are clear and precise. It is these questions that this study proposes to answer. Ifthe deprivation of liberty must be limited solely to the deprivation of physical liberty, then the exerciseof other rights should not suffer more significant limitations than outside the prison. Yet, in terms ofthe exercise of human rights, the court itself justifies the application of more important limitations topersons detained than to free people. Some limitations are such that they interfere with the principlesof a democratic society. So, outside the criminal field, the identity of democratic society arisesunderneath the studying of human rights’ application in prison.<strong>GEORGIA</strong> <strong>BECHLIVANOU</strong> <strong>MOREAU</strong><strong>LE</strong> <strong>SENS</strong> <strong>JURIDIQUE</strong><strong>DE</strong> <strong>LA</strong> PEINE PRIVATIVE <strong>DE</strong> LIBERTE...Université Paris I - Panthéon Sorbonne 2008

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