Pierre Efratas – Sagas des mers grises

Je vous propose un voyage chez les Vikings, ça vous dit ? Sagas des mers grises est un ensemble de trois textes de Pierre Efratas. Cette intégrale est sortie en juin 2021 chez Noir d’Absinthe. Je remercie infiniment la maison et Audrey Weisseldinger pour l’envoi de ce service de presse ! En ces temps caniculaires (ahem), voici un peu d’air frais scandinave : voguons ensemble sur les flots et allons à la rencontre d’Ingvarr le Réprouvé…

Synopsis

« Femmes et hommes libres, nobles jarls, bienvenue dans ma grand-salle, prenez vos aises auprès du feu qui danse ! Sur les flots dorés de l’amitié, par l’écume des mers grises, je vous ferai partager le destin aventureux d’un jeune Viking que tout destinait à la réussite et qui fut le jouet des Nornes, des dieux, des déesses et d’étranges créatures. Ecoutez la saga d’Ingvarr le Réprouvé… »

Un texte entre l’écrit et l’oral

La tradition des textes oraux

Les Sagas des mers grises s’inscrivent dans la tradition du récit oral. Aèdes et bardes dans l’antiquité, trouvères et troubadours au Moyen-Age : de la même manière, Genovefa se fait conteuse. Mais attention, point de récit sans bonne bouffe. Nous voici, lecteurs, conviés à ce gargantuesque banquet, où l’on mange (beaucoup) et où l’on boit (beaucoup). J’avoue que je me suis fondue dans cette foule avec grand plaisir, à la recherche d’un verre de vin et de bonne chère, avant de poser mon auguste fessier pour écouter ces histoires.

Les fonctions du narrateur

Genovefa est donc la narratrice de ce récit et elle en rassemble toutes les fonctions. Elle raconte les histoires d’Ingvarr, en organisant son récit. Par exemple, elle manie à merveille le suspense, fait quelques analepses et prolepses (flash-back et anticipation) interrompt son récit pour aller se resservir une pinte (ou soigner son tournis). Genovefa prend aussi le temps d’expliquer son récit à son auditoire : elle pose le cadre, détaille, afin qu’on puisse se représenter visuellement les scènes rapportées.

Mais surtout, elle rend vivant son récit. D’abord, en apportant son opinion et ses émotions sur les personnages et les scènes qu’elle rapporte. Mais surtout en interpelant son auditoire, dont elle anticipe même parfois les réactions. Alors, elle rappelle son rôle de rapporteuse.

Un récit qui s’écoute

Tout ceci concourt donc à créer un fantastique trompe-l’œil. Pierre Efratas nous fait croire que nous lisons un roman, mais en fait non : les Sagas des mers grises s’écoutent. Moi qui ai toujours eu quelques réticences quant à l’audio lecture, là ça aurait été parfait.

Pourquoi ? Mais parce que tout dans ce texte vit ! Ca bouffe, ça boit, ça se coupe, ça chante, ça récite… et Genovefa nous fait même du grand théâtre, avec les bruitages. C’est sonore. Vous le savez, j’aime énormément quand l’écriture rend les choses vivantes. Je connaissais les plumes qui donnaient à voir, ici Pierre Efratas donne à écouter. Et derrière le récit de Genovefa on décèle la plume amusée de l’auteur, dont on imagine qu’il a dû déclamer quelques passages avant de coucher les mots sur le papier. C’est du grand théâtre.

Une plongée à pieds joints dans la Scandinavie des Vikings

Alors tout ceci, pour quoi ? Hé bien pour nous emmener dans des épisodes de la vie d’Ingvarr.

Poupées russes

Evidemment, on ne pouvait pas s’attendre à un récit monotone et linéaire. Donc, à la manière des poupées russes, on a des récits emboîtés, qui fonctionnent en miroir. Par exemple, dans le premier livre, Gudmund raconte son épopée en Islande de la même manière que Genovefa : à table (encore) ! Plusieurs voix se mêlent ainsi, créant un joyeux vacarme digne de banquet qui résonne contre les parois de ces pièces.

De la même façon, ces histoires sont emboîtées dans la Grande Histoire. En effet, on rencontre des personnages bien connus, tant mythologiques (Odin, Loki…) qu’historiques (enfin bien connus des gens qui ont quelques notions en histoire Viking, ce qui n’était pas mon cas mais je me suis renseignée après). C’est par exemple le cas d’Olaf, roi de Birka. On a aussi un arrière-plan historique véridique (la guerre contre les Saxons).

Couleur locale

Pour que l’immersion soit totale, Pierre Efratas s’est beaucoup documenté, en atteste l’impressionnante bibliographie en fin d’ouvrage. L’auteur nous offre là un texte très vraisemblable. On s’y croirait. Le vocabulaire est riche et précis (merci le glossaire en fin d’ouvrage, qui nous apprend que les Vikings avaient plusieurs mots pour désigner un « bateau »), mais ne gêne pas la compréhension du texte. On retrouve également pas mal de chants et de poésies typiques, intégrées au récit.

Pour accompagner le tout, l’ouvrage est joliment décoré, de runes en tête de chapitres, d’une typographie bien nordique et de dessins dans le corps du texte. Enfin, la splendide carte en début de récit permet de bien situer les différentes terres et royaumes de l’époque.

Le lecteur est donc pleinement embarqué en terres boréales, et l’illusion est parfaite.

Des personnages inégaux

Ingvarr le Réprouvé m’a un peu endormie

Je dois cependant dire que les histoires de notre cher Ingvarr ne m’ont pas vraiment passionnée. C’est le récit de Genovefa qui rend les choses amusantes, mais quand on y pense, la vie de ce jarl n’est pas très poilante. Ingvarr se bat, chouine, se remet, repart au combat, chouine de nouveau, se remet, puis se bat encore, re chouine etc. etc. Entre tout ça, il mange, il boit et il s’amuse. Ah et il s’émerveille à la vue de cailloux qui brillent aussi, j’oubliais. A la longue, l’ennui a un peu pointé le bout de son nez.

Il est assez plon plon comme bonhomme finalement. Il ne révèle pas beaucoup de surprises. D’accord, le récit suit son évolution. En gros, le fiston devient adulte, apprend et mûrit. Ca prend du temps, mais bon, c’est un homme (rhhhhôôô). Plus sérieusement, ce n’est pas lui qui est intéressant.

Des personnages féminins secondaires extraordinaires

Finalement, ce n’est pas tant Ingvarr qui m’a marquée, mais plutôt toute cette bande de femmes au second plan.

En effet, ce récit est très féminin. A noter que le conteur est une conteuse. Qui picole dur d’ailleurs. Et ne se rêve pas entourée de marmaille. Très vite, le ton est donné. Genovefa, il ne faut pas l’embêter.

Et toute la vie d’Ingvarr se trouve menée par des femmes finalement. Cerydwen, qui fait le premier pas; Hervör, valeureuse guerrière qui est sacrément flippante avec son épée; et puis les Nornes aussi, qui tissent le destin des Hommes et des Dieux. N’oublions pas Frigg non plus, qui mène son époux Odin à la baguette.

Au-delà des affaires des hommes (faire pipi le plus loin, vengeance, faire pipi le plus loin, vengeance), il y a des femmes guerrières, libres, qui regardent le Pape dans les yeux, affrontent les rois, se moquent, s’affranchissent des règles et se montrent égales des hommes. Ce sont elles qui donnent au récit sa couleur, sa tonalité et son dynamisme.
J’ai beaucoup aimé cette représentation des femmes, en parfaite corrélation avec les récentes découvertes sur les femmes Vikings, qui figuraient non seulement parmi les rangs de ces guerriers redoutables, mais aussi à leur tête.

Vous prendrez bien un petit extra ?

Je vous recommande chaudement l’interview de Pierre Efratas par Volia Crevot, que vous pouvez retrouver sur le blog de Noir d’Absinthe. Passionnant à écouter/lire, l’auteur dévoile ses inspirations, ses trucs d’écrivain, sa vision du récit…

 

Dans ses Sagas des mers grises, Pierre Efratas propose de nous attabler devant un bon repas et un bon pichet de vin pour écouter des récits vivants, qui invitent au voyage à la fois géographique et temporel. Si j’ai ressenti par moments un peu d’ennui, j’ai néanmoins beaucoup apprécié ce récit oral, cette plongée dans cet univers Viking très vraisemblable et aux personnages hauts en couleurs. Un ouvrage que je recommande !

2 commentaires sur “Pierre Efratas – Sagas des mers grises

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