Le soutien-gorge sert-il à quelque chose ? Une étude menée sur 15 ans par le professeur Jean-Denis Rouillon du CHU de Besançon remet en cause l’utilité du dessous fétiche des Françaises.  Au lieu d’être bénéfique pour la poitrine, il pourrait au contraire contribuer à son relâchement. Pour ELLE.fr, le médecin chercheur revient sur cette enquête qui a beaucoup fait réagir.

ELLE.fr. Comment avez-vous réalisé cette étude ?

Dr Jean-Denis Rouillon. Il y a quelques années, j’avais été surpris de découvrir que certaines sportives ne portaient pas de soutien-gorge. En me penchant sur la question, j’ai réalisé qu’il n’y avait aucune étude démontrant les bénéfices de ce dessous. On partait juste du principe que c’était un outil magique. En 1997, j’ai donc lancé cette étude, validée par le ministère, sur un groupe de femmes ne portant pas de soutien-gorge. Au début, les sujets étaient surtout des jeunes adultes de 18 à 35 ans et des sportives. L’échantillon a été élargi, mais il n’est toujours pas représentatif de la population française. Au fil du temps, en prenant des mesures, j’ai pu constater que le mamelon remontait et que les seins avaient un aspect plus ferme. Les femmes se sentaient aussi plus à l’aise et avaient une meilleure posture. Mais ce ne sont que des résultats préliminaires. Il ne faut pas non plus s’emballer et jeter ses soutifs.

ELLE.fr. Comment expliquer que l’absence de soutien-gorge puisse avoir un résultat bénéfique ?

Dr Jean-Denis Rouillon. L’anatomie du sein est encore peu connue. Mais l’idée, c’est qu’il n’est pas fixé en profondeur sur la cage thoracique. Il est en fait suspendu au niveau des clavicules grâce à un tissu fin. A cause du port du soutien-gorge, celui-ci finirait par s’étioler. Laisser la poitrine libre l’inciterait, au contraire, à se mettre en tension et à se renforcer.

ELLE.fr. Arrêter de porter un soutien-gorge, c’est aussi affronter le regard des autres…

Dr Jean-Denis Rouillon. La question du conditionnement social est capitale. En Scandinavie, par exemple, 95 % des femmes ne portent pas de soutien-gorge. Pour elles, c’est aussi contraignant qu’un corset. Alors qu’en France, la perception est différente. C’est pourquoi nous avons l’intention avec des collègues sociologues d’approfondir cet aspect-là en interrogeant les volontaires de l’étude sur les freins à ce changement. Qu’est-ce qui les a incitées à arrêter de porter un soutien-gorge ? Quelles ont été les critiques auxquelles elles ont dû faire face ? C’est un peu ce qu’a fait Jean-Claude Kaufmann dans son livre « Corps de femmes, regards d’hommes ».

ELLE.fr. Est-ce que ces conclusions s’appliquent aux femmes plus âgées ?

Dr Jean-Denis Rouillon. Les seins commencent à vieillir dès 18 ans. Pour une femme de plus de 30-35 ans qui a eu des enfants ou présente un surpoids, c’est déjà trop tard. Après, il peut y avoir des exceptions. La doyenne de mon étude, âgée de 60 ans, a vu beaucoup d’amélioration deux ans après avoir arrêté de mettre un soutien-gorge. En parallèle, elle s’était remise au karaté et à la course à pied. Or, l’activité physique aide car elle nourrit les tissus et peut muscler le haut du corps. Dans mon groupe d’étude, ce sont les femmes qui faisaient du judo, de la lutte ou de la gymnastique qui ont eu la meilleure évolution.

ELLE.fr. Le soutien-gorge peut-il être nocif dans certains cas ?

Dr Jean-Denis Rouillon. C’est du bon sens biologique. Les wonderbras et autres push-up compriment les tissus, gênent la circulation sanguine et lymphatique. Se pose alors la question d’un éventuel lien avec le cancer du sein. Je pense que c’est une hypothèse qui mérite d’être étudiée par des organismes de recherche.