Nathalie Kosciusko-Morizet, François Fillon et Jean-Louis Borloo le 13 juin 2008 à Soultz-sous-Forêts. — F. FLORIN / AFP

Société

Ecotaxe: Pourquoi le contrat entre l'Etat et Ecomouv’ pose question

POLEMIQUE – Plusieurs éléments révélés récemment interrogent...

Alors que la fronde contre l’écotaxe continue, la polémique commence à porter sur le contrat signé par l’Etat avec la société Ecomouv’, chargée de la collecte de la taxe. François-Michel Lambert, député écologiste des Bouches-du-Rhône et vice-président de la commission du Développement durable, parle de «scandale d’Etat» et réclame au gouvernement de faire la lumière sur cet accord. 20 Minutes fait le point.

Que dit le contrat?
Ce contrat est un partenariat public-privé, conclu en 2011 et signé par François Fillon, Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’Ecologie (mais engagé par Jean-Louis Borloo, son prédecesseur), et Valérie Pécresse, alors au Budget, pour une durée de treize ans. Fait notable, le décret d'application a été signé le 6 mai 2012, le jour du second tour de l'élection, par Thierry Mariani, l'ex-ministre des Transports. Le dispositif doit rapporter 1,15 milliard d’euros par an, sur lesquels la société italienne Ecomouv’, chargée du financement, de la conception, de la réalisation, de l'entretien, de l'exploitation et de la maintenance de l'écotaxe, doit récupérer 250 millions d’euros. La société Ecomouv’ a été créée spécialement pour la collecte de l’écotaxe, elle appartient à 70% à la compagnie italienne Autostrade per l'Italia. Le reste de son capital est partagé entre le groupe français d'électronique et de défense Thales, Geodis (filiale de la SNCF), l'opérateur de télécommunications SFR et Steria, société d'ingénierie informatique.

Des clauses trop avantageuses?
C’est l’un des aspects qui interroge. D’après le contrat, Ecomouv’ est censée percevoir 20% de la totalité de l’argent perçu, alors que le pourcentage est plutôt de l’ordre de 2% ou 3% en général pour ce type de contrat. «Les 20% qu'ils touchent eux, c'est énorme (par rapport à un partenariat public-privé classique)», reconnaît-on dans l'entourage de l'actuel ministre des Transports, Frédéric Cuvillier. C'est même 27% des recettes espérées, si on lisse le contrat sur 13 ans (durée d'installation comprise), comme l'a fait La Tribune. «Ce qui est surtout critiquable, c'est le montage. De tels coûts de gestion sont aberrants. On ne peut pas imaginer dans un pays moderne un tel coût de collecte d'impôt quel qu'il soit», a même taclé Jean-François Copé ce mercredi sur iTélé. Dominique Bussereau, l’ex-ministre UMP des Transports, qui a géré le début de la procédure pour l’ écotaxe, relativise ce point: «La somme reversée pour gérer la complexité du système ne me paraît pas folle», dit-il auprès de l’AFP, invoquant la «technicité» requise (800.000 camions doivent être équipés de dispositifs de paiement) de l'écotaxe pour justifier l'appel à un partenaire privé.

 Et si l’Etat voulait se dédire de ce contrat, cela coûterait un milliard d’euros, dont 800 millions immédiatement, une «clause léonine» selon Mediapart (article payant). Et le temps de la suspension, l'Etat doit payer 50 millions d'euros par mois en guise de frais de fonctionnement.

Mais François-Michel Lambert veut aussi des éclaircissements «sur les clauses du contrat qui sont extrêmement désavantageuses pour l'Etat d'un point de vue financier», puisqu’Ecomouv peut «bénéficier du service des douanes pour poursuivre et arrêter les contrevenants» sans que ce service ne lui soit refacturé par l'Etat.

Pourquoi parle-t-on de soupçon de conflit d’intérêt?
Pour les mêmes raisons qu’à l’époque de la signature du contrat, en 2011. Alvia, l’un des concurrents d’Ecomouv’ pour l’appel d’offres, avait contesté en justice le choix du gouvernement. Le tribunal administratif avait d’abord invalidé la candidature d’Ecomouv, au motif que le cabinet suisse retenu pour conseiller l’Etat sur cet appel d’offres, Rapp Trans AG, était également le conseiller d’Autostrade… qui possède à 70% Ecomouv’. Et ne pouvait donc pas être impartial. Sauf que le Conseil d’Etat a ensuite cassé cette décision, considérant «que les griefs qui étaient formulés ne concernaient pas le contrat en cours de signature», s’est défendu Ecomouv’. 

La question du choix d’un partenariat privé?
«Depuis la Révolution de 1789 et l'abolition des fermiers généraux, l'Etat dispose du monopole de la collecte de l'impôt», relève François-Michel Lambert. Jean-Luc Mélenchon s’est aussi étonné qu’une entreprise privée collecte un impôt à la place de l’Etat, pour «la première fois» depuis la Révolution. Mais même des membres de l’UMP, Rachida Dati et Xavier Bertrand, se sont étonnés «qu'une entreprise privée et étrangère soit en charge de collecter l'impôt en France». Même Pierre Moscovici s’est dit surpris ce mercredi sur RMC: «On peut s'étonner du fait qu'on ait délégué la collecte d'une taxe nationale à un fournisseur d'origine étrangère». «Il y a une différence fondamentale en matière de fiscalité entre un impôt et une taxe», a corrigé auprès de l’AFP Dominique Bussereau. L'ancien ministre des Transports, présent au début la procédure, souligne que de nombreux organismes privés comme les chambres d'agriculture ou de commerce assurent aujourd'hui la perception de certaines taxes en France.

D'après Le Parisien,  la mission d’appui aux partenariats public-privé avait estimé qu'avoir recours à une entreprise publique aurait coûté moins cher d'environ 250 millions d'euros. Seul bémol, la mise en place aurait été moins rapide. Sauf que l'entrée en vigueur n'a cessée d'être retardée...

Qu’en dit la précédente majorité?
Elle apparaît très divisée sur le sujet, également pour des raisons de rivalités internes. Si Jean-François Copé, Rachida Dati et Xavier Bertrand n’ont pas ménagé leurs critiques, François Fillon et NKM restent droit dans leurs bottes. L’ex-Premier ministre ne s’est pas exprimé publiquement sur le sujet mais dans son entourage, on estime le contrat «inattaquable» car la société choisie est celle qui pouvait mettre l’écotaxe en place le plus rapidement possible. NKM, en pleine campagne municipales, ne peut pas se dérober. Interrogée sur France Inter ce mercredi, elle a assuré: «c'est un contrat qui a été passé dans les règles, en toute transparence, à la suite d'un dialogue compétitif, c'est-à-dire d'une négociation, qui a duré plus d'un an». En tout état de cause, la précédente majorité pourrait avoir à s’expliquer plus précisément: le groupe PS au Sénat va voter ce mardi la proposition de créer une commission d’enquête parlementaire, ce qui devrait être acté mercredi lors de la conférence des présidents. Et d’après François Michel-Lambert, une enquête préliminaire a été ouverte mais elle «semble avoir été bloquée au parquet de Nanterre alors dirigée par le procureur Philippe Courroye», remplacé depuis. Il réclame des éclaircissements sur l’état de l’enquête à la ministre de la Justice, Christiane Taubira, dans une des trois questions écrites qui lui ont été transmises.

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