En 2014, cette femme avait bravé l'interdiction faite aux femmes de conduire en Arabie saoudite, une interdiction que vient de lever le roi Salmane. — Hasan Jamali/AP/SIPA

INTERVIEW

VIDEO. Saoudiennes autorisées à conduire: «C'est une véritable révolution»

Propos recueillis par Anissa Boumediene

Clarence Rodriguez, journaliste et ex-correspondante en Arabie saoudite, analyse pour « 20 Minutes » la portée de la levée de l’interdiction faite aux femmes du royaume de conduire…

  • Le roi Salmane a signé un décret autorisant les Saoudiennes à conduire.
  • L’Arabie saoudite était le dernier pays au monde dans lequel les femmes avaient interdiction de prendre le volant.

C’était le dernier pays au monde où les femmes n’avaient pas le droit de prendre le volant. Une réalité bientôt révolue, puisque l’Arabie saoudite vient d’autoriser les femmes à conduire, brisant un tabou dans ce royaume ultraconservateur régi par une vision rigoriste de l’islam, qui continue d’imposer d’autres restrictions. Mardi soir, le roi Salmane a ordonné la délivrance de permis de conduire « indifféremment aux hommes et aux femmes », selon un décret qui a résonné comme un séisme dans le royaume. Une décision historique saluée par la communauté internationale.

Clarence Rodriguez, journaliste et ex-correspondante en Arabie saoudite, où elle a vécu douze ans, et auteure de Arabie saoudite 3.0* (éd. Erick Bonnier) revient sur cette décision pour 20 Minutes.

Des Saoudiennes qui ont tenté de braver l’interdiction de conduire ont déjà été arrêtées par le passé. Que signifie la levée de cette interdiction ?

C’est une véritable révolution en Arabie saoudite ! Surtout quand on se remémore ce qui est arrivé ces dernières années, on est parti de très loin. Dès le début des années 1990, des Saoudiennes ont milité pour avoir le droit de conduire dans leur pays : 47 d’entre elles ont alors été arrêtées. En 2011, Manal al-Charif, jeune femme qui s’était filmée au volant dans le royaume et avait posté la vidéo sur YouTube, passait plusieurs semaines en prison pour avoir osé prendre le volant. Et fin 2014, deux militantes étaient inculpées et emprisonnées pour terrorisme pour avoir revendiqué le droit pour les femmes de conduire.

En pratique, ce décret va permettre aux femmes d’être autonomes dans leur quotidien, sans être cornaquées par un chauffeur. L’image est marquante : les femmes vont passer de la banquette arrière au volant, c’est quelque chose de très fort ! En apprenant la levée de l’interdiction de conduire, l’une de mes amies saoudiennes m’a dit : « On retrouve enfin notre dignité. »

Mais ce n’est pas véritablement l’intérêt pour les droits des femmes qui a motivé ce décret royal…

C’est vrai, cette décision du roi d’autoriser les femmes intervient dans un contexte délétère, que ce soit sur le plan économique ou du fait des relations du royaume avec le Qatar. L’Arabie saoudite est en pleine mutation économique : le pays, pétro-dépendant, a besoin de se diversifier économiquement pour sortir de la crise dans laquelle il se trouve depuis la chute du cours du brut. Et, de ce point de vue, l’interdiction faite aux femmes de conduire a un coût pour le royaume et pour les familles, qui ont de plus en plus de mal à financer l’emploi d’un chauffeur privé pour véhiculer les femmes. Désormais, la population saoudienne est moins sous perfusion économique de l’Etat, qui a dû pratiquer de franches coupes budgétaires pour limiter son déficit public.

Le décret autorisant les femmes à conduire doit entrer en vigueur en juin 2018. Pensez-vous que, dans cette société ultraconservatrice, tout le monde va jouer le jeu ?

D’ici à l’entrée en vigueur du texte, les autorités saoudiennes vont devoir se mettre en conformité, mettre en place des infrastructures dédiées, des auto-écoles, mais aussi former une police féminine : mixité oblige, un policier homme ne pourra pas procéder à un contrôle de police envers une femme. Tout cela va prendre du temps. Les choses vont se faire, je n’ai pas de doute là-dessus, mais elles se feront au rythme de l’Arabie saoudite, qui n’a pas la même notion du temps que nous.

Il y a quelques jours, un autre grand pas était accompli en permettant aux femmes de participer aux manifestations culturelles publiques organisées par le royaume à l’occasion de la fête nationale, alors que la mixité est interdite dans l’espace public. Vu de France, cela peut sembler presque anecdotique, mais là-bas, c’est un bouleversement total pour cette population qui, à 65 %, a moins de 30 ans.

Pouvoir enfin conduire est un grand pas pour les femmes du royaume. Mais qu’attendent les Saoudiennes aujourd’hui ?

En Arabie saoudite, les femmes font encore l’objet de très fortes restrictions, et dépendent totalement des hommes. Les Saoudiennes sont ainsi soumises à la tutelle d’un homme de leur famille : leur père, mari ou frère, voire leur fils pour celles qui sont veuves. En pratique, cela signifie qu’elles ont besoin de l’autorisation d’un homme de la famille pour voyager, subir une intervention médicale, faire des études ou encore signer un contrat de travail.

Tout doucement, les choses évoluent. Déjà, sous l’impulsion du roi Abdallah, les femmes ont obtenu le droit de pouvoir travailler dans d’autres secteurs que l’éducation et le médical, ce qui a donné naissance à une génération de femmes travaillant dans la finance ou encore le marketing. Mais, ce que veulent les Saoudiennes aujourd’hui, c’est ne plus être inféodées à un tuteur masculin. Ce n’est que lorsque la tutelle masculine des Saoudiennes sera abolie qu’elles auront gagné leur liberté.

* Arabie saoudite 3.0, Parole de la jeunesse saoudienne, aux éditions Erick Bonnier, en librairie le 12 octobre.

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