Adrien, Ali, Baidy… Le poison des violences gratuites

Alors qu’il n’y a jamais aussi peu d’homicides en France, la hausse des violences non liées à un vol augmente. Le passage à l’acte est désormais courant et débouche sur des drames.

 Le 15 septembre, près de Tours (Indre-et-Loire), Ali Unlu a été frappé après un différend autour d’une place de parking. Il est mort deux jours plus tard. Ces actes de violence gratuite se multiplient ces derniers mois.
Le 15 septembre, près de Tours (Indre-et-Loire), Ali Unlu a été frappé après un différend autour d’une place de parking. Il est mort deux jours plus tard. Ces actes de violence gratuite se multiplient ces derniers mois. LP/Guillaume Le Baube

    Il avait 17 ans. R., ado né à Haïti, est mort lors d'une soirée alcoolisée, sur les quais de Seine à Paris, poignardé à trois reprises dans la nuit de samedi à dimanche pour une histoire de trottinette. Le 15 septembre, à Saint-Pierre-des-Corps (Indre-et-Loire), Ali, un père de famille pris dans une bagarre, s'effondre sous les yeux de ses enfants. Enjeu : une place de stationnement.

    Le même jour, Baptiste, 19 ans, décède à Lomme (Nord), lardé de coups de couteau par un voisin exaspéré par le bruit, mais qui se serait trompé de cible. Le 8 août encore, porte de Clignancourt, Baidy, un quinquagénaire qui se rend au travail, a la carotide tranchée, après un simple regard. Parfois, l'histoire retient un visage. Le décès d'Adrien, 26 ans, mort en juillet à la sortie d'une discothèque pour avoir porté secours à des amis, est, lui, devenu le symbole de l'insécurité à Grenoble (Isère).

    Ces drames à répétition marquent durablement les esprits car ils font écho à nos vies quotidiennes. Incivilités, incidents dans les transports, problèmes de voisinage… Histoires banales et de vies brisées à cause d'une simple rencontre. Depuis le début de l'année, 134 personnes sont mortes en France sous les coups, pour des raisons « non crapuleuses » (autres que le vol), selon la terminologie policière*.

    Une hausse de 7,7 % des actes non crapuleux

    Faut-il conclure à une banalisation de la violence ? Les « coups et blessures volontaires non crapuleux », recensés par les services de police et de gendarmerie, sont en hausse de 7,7 % cette année, soit 169 550 victimes recensées entre janvier et août 2018. Ces faits incluent les violences sur la voie publique mais aussi dans la sphère familiale.

    Et ce n'est pas nouveau : l'inflexion a débuté il y a une quinzaine d'années. « C'est l'un des indicateurs qui augmente régulièrement », confirme Christophe Soullez, chef de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) qui ne veut pas en tirer de conclusion hâtive, évoquant notamment une meilleure prise en compte des plaintes et une moindre tolérance de la société. Plus de victimes seraient ainsi tentées de se manifester.

    Baptiste, 19 ans, Ali, 43 ans, et Adrien, 26 ans, ont tous les trois été tués pour une raison futile./DR
    Baptiste, 19 ans, Ali, 43 ans, et Adrien, 26 ans, ont tous les trois été tués pour une raison futile./DR LP/Guillaume Le Baube

    D'ailleurs, la dernière enquête dite « de victimation » réalisée par l'ONRDP (1), donne une autre lecture. Différente de la méthode du ministère de l'Intérieur qui s'appuie sur les plaintes, celle-ci sonde un panel de citoyens. Les chiffres des « violences physiques hors ménage » sont plus élevés : 610 000 personnes se sont dites victimes de tels actes, incluant bousculades et empoignades, en 2016. Mais l'orientation est plutôt à la baisse. Seuls 13 % débouchent sur un certificat d'Incapacité totale de travail (ITT). « Ces faits se maintiennent à un niveau élevé mais ils se caractérisent aussi par leur faible gravité », résume Christophe Soullez.

    D'ailleurs, les homicides restent à un faible niveau. On n'a jamais aussi peu tué en France depuis le Moyen Age ainsi que le souligne Sebastian Roché, directeur de recherches au CNRS. Mais « mourir pour si peu, une cigarette refusée ou une place de parking, crée à juste titre une très forte émotion, concède-t-il. Émotion d'autant plus forte lorsque la loi des séries en accumule plusieurs sur un temps court. Cette réaction d'affect et de colère est absolument légitime et nécessaire. C'est une manière de dire : nous ne voulons pas ça! »

    Des jeunes, excités et intolérants à la frustration

    Magistrats et experts soulignent la futilité du passage à l'acte. « Lors des expertises ou devant les juridictions, les auteurs formulent rarement des regrets et sont incapables d'expliquer leur geste, relève Pierre Lamothe, psychiatre et expert près la Cour de cassation. Leur passage à l'acte relève d'une réaction à fleur de peau non négociable. »

    « Il s'agit souvent d'individus jeunes, excités et intolérants à la frustration, remarque le praticien. Signe d'un fonctionnement narcissique et immature, leur estime de soi doit être préservée coûte que coûte. Lorsqu'un individu se met à être agressif pour une place de parking, il pense que son interlocuteur, en lui refusant la place, ne le reconnaît pas et le blesse dans son ego. » Et frappe…

    * Enquête « Cadre de vie et sécurité » (2017)