La France réclame les vestiges d'une épave découverte au large de la Floride

Les trois canons en bronze et le monument en marbre portant la fleur de lys proviennent, selon l'ambassade de France, du vaisseau de guerre «La Trinité», disparu en mer en 1565.

Les restes découverts au large de Cap Canaveral par l'entreprise GME portent les armoiries du royaume de France.
Les restes découverts au large de Cap Canaveral par l'entreprise GME portent les armoiries du royaume de France. Global Marine Exploration Inc.

    Les chasseurs de trésors de Global marine exploration (GME) jurent que les restes proviennent de l'épave d'un navire marchand espagnol. La France n'y croit pas et assure qu'il ne peut s'agir que de l'épave de «La Trinité», le vaisseau amiral de la flotte militaire du navigateur de Dieppe (Seine-Maritime), Jean Ribault, coulée en 1565 au large de la Floride. L'ambassade de France vient de réclamer la propriété de l'épave devant le tribunal d'Orlando. Entre intérêt commercial d'un côté, intérêt historique et patrimonial de l'autre, le bras de fer a débuté.

    Un monument en marbre orné des armoiries du royaume de France


    C'est en mai de cette année, au large de Cap Canaveral, en Floride, que la firme américaine réalise l'incroyable découverte. Au milieu des restes de fusées de la Nasa, à une profondeur de 5 à 8 mètres, GME déniche de nombreux canons, ancres et éléments d'appareillage de grands navires du XVIe siècle. Parmi eux : trois canons en bronze et un monument en marbre ornés des armoiries du royaume de France, la fameuse fleur de lys.

    Dans un premier temps, GME juge probable que les restes proviennent d'un des navires commandés par le corsaire français Jean Ribault en 1565... avant de changer d'avis. «D'importantes preuves matérielles et des recherches historiques réalisées par (notre) équipe archéologique ont écarté cette hypothèse, puisque l'identité de la ou des épaves découvertes ne sera jamais connue», estime l'entreprise dans un communiqué publié en juillet dernier.


    Son PDG, Robert H. Pritchett, est encore plus formel : il ne peut être question de «La Trinité» ou de tout autre navire de la flotte de Ribault, mais bien d'un navire marchand espagnol au vu des ancres retrouvées dans la zone. Si GME reconnaît que ces canons et ce monument appartenaient aux colons français du XVIe siècle, cela ne prouve en rien, selon elle, que ses chercheurs de trésors aient exhumé au printemps l'épave du vaisseau de Jean Ribault.

    Ces objets, dérobés par les ennemis de la France, se seraient simplement retrouvés sur un navire espagnol, qui se serait échoué à son tour, soutient GME. Ils proviendraient du pillage de le l'ancienne colonie française protestante de Fort Caroline, fondée en 1564 près de l'actuelle Jacksonville, sur une terre de Floride alors âprement disputée par les trois puissances européennes.

    Jean Ribault et ses hommes massacrés par les Espagnol

    Le scénario est plausible. En 1565, la flotte de Jean Ribault se voit anéantie par un ouragan alors qu'elle s'apprête à attaquer les Espagnols... Après leur avoir promis assistance dans la tempête, ces derniers massacrent finalement tous les marins français à St. Augustine, dont leur capitaine, Jean Ribault. GME se base donc sur ces faits historiques et pense que les canons et le monument de marbre ont été pillés par les Espagnols à Fort Caroline.

    Mais la France ne veut pas croire à ce scénario. Selon elle, GME a bel et bien mis la main sur l'épave de «La Trinité». Des chercheurs américains abondent d'ailleurs dans son sens. «C'est le joyau de la couronne, le Graal», s'est ainsi réjoui Chuck Meide, interrogé par The Florida Times. En 2014, cet archéologue marin avait mené, en vain, une expédition pour tenter de retrouver l'épave mythique.

    «Il s'agit de la plus ancienne épave française de tout le Nouveau Monde, de la pointe de l'Amérique du sud au Canada, poursuit-il. C'est la première fois que des Européens venaient chercher la liberté religieuse au Nouveau Monde. C'est l'histoire américaine. Il s'agit de la naissance de la Floride, l'histoire des origines».

    Pour Chuck Meide ou encore John de Bry, directeur du Center for Historical Archaeology à Melbourne Beach, aucun doute possible : il s'agit bien des restes de l'épave du navire amiral de Jean Ribault. Dans Le Figaro, le professeur d'histoire à la Boston University, John T. McGrath, est du même avis.

    L'entreprise de chasseurs de trésors a beaucoup à gagner dans cette histoire... ou à perdre. D'un point de vue juridique, l'identité de l'épave est déterminante : s'il s'agit d'un navire marchand, 80% de la trouvaille reviendra à GME et 20% à l'État de Floride ; en revanche, s'il s'agit d'un vaisseau militaire français, le gouvernement français en deviendra l'unique propriétaire.

    Qu'elle que soit la fin de l'histoire, ces vestiges ont d'ores et déjà acquis le statut de trésor historique majeur. Le monument en marbre découvert sous l'eau, lui aussi orné de la fleur de lys, ressemblerait en tout point à la colonne, jamais retrouvée, que Jean Ribault déposé en 1562 à l'embouchure de la rivière St Johns, comme acte de revendication de la Floride. C'est le patrimoine historique de la Floride et de toute l'Amérique, clame GME, qui n'a pas vraiment envie de voir le précieux fruit de ses fouilles tomber dans les poches de la France.