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«Bernadette Chirac est la femme qui n'a jamais trahi Jacques Chirac»

Jacques et Bernadette Chirac posent devant le Taj Mahal à New Delhi en janvier 1976.
Jacques et Bernadette Chirac posent devant le Taj Mahal à New Delhi en janvier 1976. Gilbert Uzan/Gamma-Rapho via Getty Images

INTERVIEW. - Dans Bernadette Chirac, les secrets d'une conquête, sa biographie consacrée à l'épouse de l'ancien président de la République, le journaliste Erwan L'Éléouet dévoile les failles mais surtout la force de l'ex-première dame.

Quand ils se croisent pour la première fois, elle, l'étudiante de bonne famille, discrète et besogneuse, et lui, le brillant orateur d'un mètre quatre-vingt-dix, c'est sur les bancs de Sciences Po, au 27 de la rue Saint-Guillaume, à Paris. On la surnomme la «Mondaine», lui fait l'unanimité. Qui pouvait parier que quelques quarante ans plus tard ils poseraient leurs valises à l'Elysée pour deux mandats ? Qui pouvait s'attendre à ce que la froide Bernadette Chodron de Courcel séduise, d'abord, le charismatique Jacques Chirac, et devienne, bien plus tard, la première dame préférée des Français ?

Dans Bernadette Chirac, les secrets d'une conquête, publié en 2019, le journaliste Erwan L'Éléouet, rédacteur en chef de la collection documentaire «Un jour, un destin» diffusée sur France 2, raconte de manière inédite l'épouse du cinquième président de la cinquième République, décédé en septembre 2019. Une amoureuse fidèle et ambitieuse, dépeinte également dans le film de Léa Domenach, Bernadette, en salles ce mercredi 4 octobre.

Madame Figaro . – Bernadette et Jacques Chirac se rencontrent en 1951 à Sciences Po. Sur le papier, la probabilité du couple est faible... Comment se sont-ils rapprochés ?
Erwan L'Éléouet. – Elle tombe rapidement amoureuse de lui, c'est évident. Jacques Chirac est charismatique, il est drôle, bavard, fougueux et fait l'unanimité autour de lui. Nicolas Sarkozy me disait récemment que Bernadette n'en revenait toujours pas d'avoir eu le plus beau garçon de Sciences Po. Jacques Chirac, lui, est fasciné par le grand monde, il rêve d'accéder à l'aristocratie (Bernadette est une Chodron de Courcel, NDLR). Il décèle en elle une sorte de partenaire, déjà. Il voit en elle cette femme qui va se mettre à son service dès le début. Il trouve, je pense, la partenaire idéale.

«Ce qu'elle voulait, c'était le conduire à l'Élysée»

Ils se marient en 1956. Au travers de votre ouvrage, on s'aperçoit que Bernadette ne cherche pas la lumière au sens large du terme, mais seulement la lumière de Jacques. Elle veut être vue par lui, reconnue, aimée. Toute cette carrière d'élue, l'aurait-elle faite pour lui, au fond ?
Elle n'y était pas destinée au départ. Même Jacques Chirac ne pense pas tout de suite à elle pour ce poste de conseillère générale (de la Corrèze, élue en mars 1979, NDLR). Ce sont ses collaborateurs qui lui suggèrent l'idée. Bernadette est effrayée à l'idée d'y aller. Elle finit en pleurs chez la veuve du conseiller général qu'elle est amenée à remplacer. Elle a peur de faire campagne, de devoir forcer sa nature, mais surtout de ne pas y arriver, de décevoir Jacques. On peut effectivement dire qu'il a vraiment influencé la personnalité de sa femme. Il l'a forcée à sortir d'elle-même, à devenir un leader, à tenir la boutique, pour qu'il y ait toujours un Chirac en Corrèze. Quand il était ministre, premier ministre, elle y était son oreille et son œil. Et au final, elle y a pris goût. Ce statut lui a permis d'avoir une attitude vis-à-vis de son mari qu'elle n'aurait pas eue sinon. Cela lui a donné une légitimité. Parce que pour le clan Chirac, l'onction du suffrage universel, c'est quelque chose.

En soutenant corps et âme son mari en politique, elle se révèle une élue solide, une icône en Corrèze et un totem de la droite. Peut-on imaginer que sans lui, elle aurait pu faire une plus grande carrière politique ?
On dit qu'elle a imaginé à un moment être sénatrice. Honnêtement, je ne sais pas si elle aurait pu faire une grande carrière politique. Il n'y avait de place pour deux politiques dans cette famille. Je pense qu'elle s'est mise au service de cet homme et qu'elle s'est toujours vue comme un soutien. Ce qu'elle voulait, c'était le conduire à l'Élysée. En accomplissant le destin de Jacques Chirac, elle s'est accomplie elle-même. Elle a eu des rôles de pouvoir à sa manière, en étant épouse de ministre, épouse de premier ministre, de maire de Paris, de président de la République.

«C'est la définition même du couple du pouvoir»

Quelle période a-t-elle préférée ?
Ses douze ans passés à l'Élysée, où elle accède à une popularité qu'elle n'avait pas encore. C'est là qu'elle prend goût à la lumière, et qu'elle développe son capital sympathie, longtemps déficitaire - on parlait d'une femme effacée, froide, austère, peut-être même un peu triste. Elle n'aime pas le mot "revanche" mais est-ce que ça n'en est pas une, quand même ? Tout d'un coup, elle existe aux yeux des Français, et l'opération "Pièces jaunes" va confirmer son influence. À l'Élysée, c'est la maîtresse de maison. Elle fait ses inspections, elle plante ses rosiers, elle règne sur son territoire.

Comment décririez-vous le couple Chirac ?
C'est la définition même du couple de pouvoir. On parle des Sarkozy, des Macron, mais les Chirac sont restés quarante ans en politique, ont gravi une à une les marches du pouvoir. Ce sont deux conquérants. Lui est un hussard, un homme de combat, qui prenait d'ailleurs plus plaisir à la conquête qu'à l'exercice du pouvoir. Elle a donné sa vie à Jacques Chirac. Bernadette, c'est son meilleur soldat. La femme qui ne l'a jamais trahi. Celle sur qui il pouvait compter quoi qu'il arrive. Le père de Bernadette, Jean-Louis Chodron de Courcel, lui répétait qu'elle serait le point fixe de Jacques Chirac. C'est ce qu'il s'est passé. Malgré toutes les incartades et les tempêtes, elle a gagné. C'est avec elle qu'il finit ses jours.

Bernadette et Jacques Chirac, 60 ans d'amour et d'ambition

Jacques et Bernadette Chirac

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«Elle a incarné une forme de résistance»

La biographie de Bernadette Chirac
Bernadette Chirac, les secrets d'une conquête, un ouvrage écrit par Erwan L'Éléouet et publié aux éditions Fayard. Fayard

L'éducation de Bernadette Chirac a été très stricte. Vous écrivez : «Dans cette famille, on ne s'apitoie pas sur son sort. En toutes circonstances, Bernadette doit tenir son rang et se tenir, ne pas montrer ses faiblesses, ses fragilités». Toute sa vie, elle a été à l'épreuve de la violence de la politique, des incartades de son mari, de la maladie de Laurence… Cette éducation, c'est ce qui lui a permis de ne jamais craquer ?
Cette éducation très stricte reçue de sa mère a été la base de tout, elle a structuré sa vie. Bernadette Chirac est une femme tenace avec un caractère très affirmé, très autoritaire, pouvant être cassante et cruelle, parce qu'il a fallu se blinder dans le monde politique. Elle a également un grand sens du devoir. Le sien a été d'accompagner Jacques Chirac, de tout faire pour qu'il puisse accomplir son destin, et elle n'a jamais dérogé à la règle. Il y a eu des velléités d'indépendance parfois. Je repense à cet épisode de 1972 où elle veut reprendre ses études et cette réponse de Jacques Chirac d'une violence inouïe : «vous vous ferez fouetter cul nu sur le campus, vous allez nuire à ma carrière et le président Pompidou va être fou de rage». Elle a affronté des vents contraires, et ces vents venaient souvent de ses proches. Georges Pompidou la mettait d'ailleurs en garde, lui rappelant que Jacques Chirac était un «bulldozer», «méfiez-vous sinon il vous écrasera !»

On sait que Brigitte Macron murmure à l'oreille d'Emmanuel Macron. Bernadette murmurait-elle à l'oreille de Jacques ?
Oui, mais elle était peu entendue. Je pense à la dissolution de 1997 dont elle dit que «c'est une bêtise». Elle lui dit, mais il n'en fait rien. Plus qu'une conseillère, elle incarne une forme de résistance. Nicolas Sarkozy dit qu'elle a résisté à la «gauchisation» de son mari. Je pense qu'en 2002, elle a sa part dans le score si serré entre Jacques Chirac et Lionel Jospin. Dans sa part, il faut entendre sa «clientèle». Plus conservatrice, plus catholique, d'une droite plus gaulliste. Le seul moment où Jacques Chirac reconnaît son intuition, c'est en 2002 quand il dit, devant ses conseillers, que la seule à avoir vu la montée de Marine Le Pen au second tour, c'est Bernadette.

Après vos recherches, vous l'avez rencontrée chez elle en octobre 2018. Quelle femme avez-vous trouvée ?
Une femme chez qui on sent encore le poids de l'éducation, qui à 85 ans tenait à me raccompagner à la porte. Une femme très proche de sa fille (Claude Chirac, NDLR), qui était là quand je l'ai rencontrée, malgré les grandes tensions qui ont existé entre elles. C'était drôle de voir sa fille la tutoyer, alors que Bernadette a toujours imposé le vouvoiement à son propre mari. Mais je crois surtout qu'il y a chez elle beaucoup de mélancolie aujourd'hui. Elle était une femme de combat, et tout d'un coup, ces combats, qu'elle a menés pour maintenir en vie sa fille, pour soutenir son mari en politique, sont terminés.

Cette interview a été publiée pour la première fois en septembre 2019.

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91 commentaires
  • Un truc de plus

    le

    Un petit animal politique mais un animal politique !

  • 3286558 (profil non modéré)

    le

    Franchement on s en bat la cou...e!!

  • didierfrance

    le

    Ce fut un personnage qui imposait mais le regroupement familial restera sa pire bêtise qui coûte des milliards aux Français et va continuer de nous coûter si personne n’a le courage de supprimer ce texte

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